Dossier Acta Litt&Arts : Le style Sévigné. A l'occasion de l'agrégation 2013/2014
Scénographies mondaines et réglages polyphoniques dans les lettres de Mme de Sévigné : l’exemple des compliments
Initialement paru dans : C. Lignereux et J. Piat (dir.), Une langue à soi. Propositions, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, coll. « Stylistique et Poétique », 2009, p. 139-158
Texte intégral
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1 Comme le fait remarquer Roger Duchêne (1983 : 54), « les compliments, avec ...
1Dès le départ de sa fille pour la Provence, Mme de Sévigné se montre soucieuse de préserver les relations mondaines entre Mme de Grignan et ses connaissances parisiennes. C’est ainsi qu’« au début de la correspondance, dans presque toutes les lettres envoyées de Paris, Mme de Sévigné sert volontairement de relais pour envoyer en Provence les amitiés dont on l’a chargée pour sa fille. […] Prolongement de la vie en société, ces mentions du souvenir d’autrui dans les lettres se rattachent tout naturellement à leur fonction de communication. Elles traduisent les bonnes relations de la marquise avec les gens de son milieu et marque ses efforts pour les partager avec sa fille. » (Duchêne, 1996 : 130). Il est alors de règle, dans les sphères aristocratiques fréquentées par les deux femmes, d’échanger ce que l’on appelle des compliments – le terme étant alors d’emploi très lâche et recouvrant toute une série d’actes de civilité (Bray, 1990 et Grassi, 1995). Décidant de s’acquitter au mieux d’un rite de sociabilité incontournable et que la position éminente des deux femmes dans la société mondaine rend particulièrement visible, Mme de Sévigné expérimente ainsi l’art délicat d’orchestrer harmonieusement l’irruption de voix étrangères au sein de la lettre, les nombreuses connaissances de Mme de Grignan s’empressant de se rappeler régulièrement au bon souvenir de la comtesse par l’intermédiaire de sa mère1. Or au moment de communiquer à sa fille les nombreux compliments qui émanent de son entourage, Mme de Sévigné prend pleinement la mesure des risques inhérents à cette pratique éminemment ritualisée (Kerbrat-Orecchioni, 1994 : 199-301) – risques d’ailleurs dûment répertoriés par les traités de civilité et les manuels épistolaires, qui prodiguent de nombreuses mises en garde concernant « l’art de louer » (Denis, 1997 : 257-265).
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2 Nous faisons nôtre la démarche adoptée par Roger Duchêne (1996 : 129-130) –...
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3 Les références à la Correspondance de Mme de Sévigné, données entre parenth...
2Confrontée à la pléthore de compliments à transmettre, Mme de Sévigné se livre à toutes sortes de manipulations énonciatives, comme le montrent les lettres qui ouvrent la correspondance2. Les diverses solutions stylistiques qu’essaie successivement l’épistolière révèlent bien une volonté de pallier le risque de lasser sa destinataire. « La répétition des mêmes compliments oblige à varier la tournure. […] Pour ne pas tomber trop souvent dans de fastidieuses redites, l’épistolière est conduite à changer les formules et la mondaine à écrire en femme d’esprit. » (Duchêne, 1996 : 130). La première solution expérimentée est celle de la désinvolture capricieuse. Aux antipodes des usages et des codes d’une civilité volontiers pointilleuse, Mme de Sévigné, n’écoutant que son bon vouloir, semble revendiquer la maîtrise de l’espace épistolaire, qu’elle ne daigne pas ouvrir à la pression polyphonique, refusant purement et simplement de transmettre les compliments dont on l’a chargée : « Toute ma lettre serait pleine de compliments si je voulais. » (6 février 1671, i, 150)3 ; « Je ne finirais point à vous faire des compliments et à vous dire l’inquiétude où l’on est de votre santé. » (9 février 1671, i, 153). Une semaine plus tard, renonçant à une syntaxe minimaliste qui ne peut manquer de surprendre de la part d’une épistolière volontiers prolixe et exubérante, Mme de Sévigné cède à la tentation des hyperboles et des exclamatives, toutefois tempérées par le tour prétéritif qui désactualise les compliments en les coupant de leur tutelle énonciative, leur ôtant ainsi tout ancrage référentiel : « Bon Dieu, que de compliments à vous faire ! que d’amitiés ! que de soins de savoir de vos nouvelles ! que de louanges l’on vous donne ! Je n’aurais jamais fait si je voulais nommer tous ceux et celles dont vous êtes aimée, adorée, estimée. » (13 février 1671, i, 158). La lettre suivante, au contraire, dresse scrupuleusement une longue liste de connaissances et n’hésite pas à recourir à une expression figée : « Mme de Verneuil, Mme d’Arpajon, Mmes de Villars, de Saint-Géran, M. de Guitaut, sa femme, la Comtesse, M. de La Rochefoucauld, M. de Langlade, Mme de La Fayette, ma tante, ma cousine, mes oncles, mes cousins, mes cousines, Mme de Vauvineux, tout cela vous baise les mains mille et mille fois. » (18 février 1671, i, 163). Enfin, deux jours plus tard, Mme de Sévigné choisit de combiner la prétérition et la sélection de quelques amies particulièrement proches, dont les noms fonctionnent comme autant d’exemples isolés au milieu d’une série qui pourrait être interminable : « Je ne puis pas suffire à tous ceux qui vous font des baisemains. Cela est immense, c’est Paris, c’est la cour, c’est l’univers. Mais La Troche veut être distinguée, et Lavardin. » (20 février 1671, i, 166).
3Laissant transparaître, dans le filigrane des diverses solutions stylistiques employées pour rapporter des discours, les usages stéréotypés que récuse l’épistolière, ces expérimentations manifestent une volonté de déjouer les risques liés à la transmission des compliments. Qu’il s’agisse de la fidélité au contenu, de la mention des actants du discours ou de la distance au discours cité, la gestion des propos d’autrui implique toute une série de réglages, qui apparaissent tous comme paradigmatiques de l’orchestration harmonieusement régulée des discours rapportés au sein de l’entretien épistolaire. C’est dire si leur étude représente une occasion privilégiée de s’interroger sur la sensibilité linguistique d’une épistolière qui, tout en rabaissant les effets de code et de mode liés à des pratiques de sociabilité étroitement ritualisées, parvient à en exploiter les différentes potentialités discursives. À l’opposé aussi bien d’une pure affectivité refusant catégoriquement de sacrifier aux usages que d’une socialisation qui ne manquerait pas de banaliser la relation épistolaire, ces réglages polyphoniques, ainsi que les scénographies mondaines qu’ils engagent, apparaissent comme autant de traces textuelles de la réflexion métalinguistique d’une épistolière pour qui l’allégeance commune à des usages dévalués constitue un puissant repoussoir stylistique.
La nécessité d’agrémenter l’allégeance épistolaire aux usages mondains
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4 Sur le badinage dans les lettres de Mme de Sévigné, nous renvoyons à Mireil...
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5 Mireille Gérard, « Art épistolaire et art de la conversation : les vertus d...
4Insistant souvent sur l’abondance des compliments qu’elle est chargée de transmettre, Mme de Sévigné aime souligner à quel point leur nombre est important, leurs sources variées, et leurs émetteurs pressants. Loin d’une soumission irréfléchie aux usages socioculturels et à la pression de l’interdiscours, l’épistolière choisit de gérer l’abondance des compliments à rapporter sur le mode plaisant, trouvant dans l’art du badinage une parade efficace aux spectres de la banalité et de l’impersonnalité4. Exploitant au mieux « les vertus de la familiarité »5, Mme de Sévigné se joue des attitudes convenues, des pratiques ritualisées et des formules sclérosées. Mettant à profit sa vivacité d’esprit et sa propension à plaisanter de tout, elle adopte à l’égard de la pratique des compliments une attitude désinvolte et impertinente, en parfaite adéquation avec la liberté de ton caractéristique de son milieu social (Duchêne, 1992 : 115-161). C’est ainsi qu’elle évoque volontiers le sentiment d’accablement que suscite en elle la saturation de compliments, se présentant plaisamment comme une martyre de l’affection de ses amis, n’hésitant ni à revendiquer son refus de transmettre les salutations dont on l’a chargée – « Voilà Mme de Coulanges qui veut que je vous dise et ceci et cela, et de l’amitié, mais je ne suis pas à ses gages. » (5 février 1672, i, 433) – ni à feindre de vouloir se débarrasser une fois pour toutes de la corvée des compliments :
J’ai mille amitiés à vous faire de M. de La Rochefoucauld, de Mme de La Fayette, de Son Éminence, des Barrillon, et surtout de Mme Scarron, qui vous sait louer à ma fantaisie ; vous êtes bien selon son goût. Pour M. et Mme de Coulanges, Monsieur l’Abbé, ma tante, ma cousine, La Mousse, c’est un cri pour me prier de parler d’eux, mais je ne suis pas toujours en humeur de faire des litanies. J’en oublie encore. En voilà pour longtemps. (9 mars 1672, i, 456)
Cette gestion désinvolte et impertinente des compliments d’autrui, placée sous le signe du caprice et du mouvement d’humeur, dont la traduction stylistique est la négligence, comprise comme « refus du “figé” » (Bray, 1996 : 208) et comme « ce qui sort de la platitude et de la banalité régulières » (Duchêne, 1982 : 50), constitue un cas exemplaire de la façon dont l’épistolière parvient, dans le même temps, à stigmatiser les codes d’une pratique imposée de la mondanité et à en jouer avec esprit. Ainsi biaisés, les compliments que rapporte Mme de Sévigné relèvent bien d’une stratégie d’« information oblique » qui permet à l’épistolière « d’assurer sa tâche d’informatrice, sans paraître la revendiquer » (de Boissieu et Garagnon, 1997 : 104-105).
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6 Le compliment peut porter soit « sur une qualité ou une propriété de l’allo...
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7 On doit en effet distinguer les compliments directs, qui « portent directem...
5La pratique du badinage favorise ainsi l’ingéniosité – une ingéniosité volontiers railleuse, propre à éviter que la lettre ne verse dans un style stéréotypé, à l’image de la pratique sociale fonctionnelle des compliments. Cédant au plaisir de divertir sa destinataire, Mme de Sévigné s’affranchit des effets de code avec un enjouement et une aisance dont elle mesure pleinement le pouvoir séducteur. Une telle inventivité est d’autant plus indispensable qu’elle répond à la nécessité de se distinguer des nombreux autres correspondants de la comtesse de Grignan (Bray, 1969 : 495-496) – nécessité dont prend acte Mme de Sévigné en faisant définitivement siennes les « qualités jugées nécessaires au compliment » que sont l’adresse, la finesse et la délicatesse (Denis, 1997 : 257-258). C’est parce qu’elle est consciente que les compliments destinés à sa fille ne manqueront pas de rejaillir sur elle6, en vertu des jeux de ricochets propres aux compliments indirects7, que Mme de Sévigné choisit de déjouer d’avance toutes les accusations d’amour-propre en s’affranchissant, avec une désinvolture tout aristocratique, du poids des usages, c’est-à-dire en se plaçant au-dessus des règles pointilleuses de la civilité mondaine. La négligence plus ou moins provocante dont elle fait preuve à l’égard des compliments de Mme de La Fayette illustre bien cette prise de liberté à l’égard des codes et des usages : « Mme de La Fayette me prie toujours de vous dire mille choses pour elle. Je ne sais si je m’en acquitte bien. » (6 mai 1671, i, 247) ; « Mme de La Fayette nous dit mille tendresses et mille douceurs, que je ne m’amuserai point à vous dire. » (8 juillet 1672, i, 552) L’ingéniosité déployée par l’épistolière en vue d’esquiver les compliments – compliments auxquels elle ne fait allusion que très rapidement et comme par inadvertance – lui permet ainsi de s’acquitter de ses commissions mondaines avec discrétion et modestie, sans paraître en tirer vanité.
6Loin de se restreindre à une fonction sociale, la transmission des compliments dans les lettres de Mme de Sévigné à sa fille est modelée en profondeur par un constant souci d’échapper à la banalisation rituelle (à la fois sociale, linguistique et symbolique) d’une telle pratique. Refusant de laisser la circulation des compliments envahir l’espace épistolaire, Mme de Sévigné s’affranchit de la servilité à l’égard des usages en vigueur avec la négligence propre à l’âme aristocratique, dont aucun conformisme ne saurait brider la supériorité native. À y regarder de près, la désinvolture impertinente de l’épistolière à l’égard des compliments qu’elle rapporte est largement favorisée par l’usage omniprésent du discours narrativisé (DN).
L’art de manier les compliments avec la séduisante désinvolture du discours narrativisé
7Surmontant le hiatus, expérimenté lors des lettres qui ouvrent la correspondance, entre les injonctions contradictoires des pratiques de sociabilité mondaine d’une part et d’un art de plaire épistolaire largement tributaire des idéaux de naturel, de variété et de négligence d’autre part, Mme de Sévigné trouve dans la gestion désinvolte et capricieuse des compliments d’autrui le moyen non seulement de faire d’une nécessité sociale un exercice de style placé sous le signe de la connivence et du plaisir partagé, mais encore une occasion d’affirmer sa personnalité forte et singulière, dont le refus spirituel de prendre au sérieux les usages stéréotypés de la sociabilité mondaine constitue l’une des plus séduisantes facettes. Parce qu’elle néglige volontiers de donner accès aux propos qu’elle rapporte, l’épistolière met surtout l’accent sur la gestion qu’elle en propose, n’hésitant pas à faire ainsi passer pour négligeable le contenu discursif des compliments évoqués. Choisissant de mettre en scène moins les discours des autres que son propre discours, moins le contenu des compliments que leur thématique, moins les paroles rapportés que ses propres activités de régie énonciative, Mme de Sévigné exploite en virtuose toutes les possibilités offertes par ce que l’on considère – non sans scrupules terminologiques – comme une « nouvelle recrue du champ du discours rapporté » : le discours narrativisé (Rosier, 1999 : 225).
8L’examen attentif du traitement des compliments rapportés révèle une exploitation parfaitement maîtrisée des potentialités offertes par les deux principes définitoires du DN : « la synthèse globalisante d’une part, qui permet l’acte de reformulation non seulement d’un énoncé, mais de toute une séquence discursive ou interactive – ce que ne peut effectuer le DI – et, d’autre part, l’aspect plus allusif aux propos rapportés, pouvant aller jusqu’à l’effacement de tout contenu » (Paillet, 2005 : 48). Si Mme de Sévigné recourt de manière massive au discours narrativisé, elle ne le fait cependant pas de manière uniforme : trop consciente que la seule multiplicité des compliments ne saurait suffire à leur agrément, l’épistolière se montre attentive à déjouer la monotonie des discours cités en jouant de toutes les possibilités de cadrages, de montages et de mises en relief permises par le DN. Certes, par rapport à l’éventail des combinatoires énonciatives engagées par l’usage brillant et spirituel que fait la marquise des discours rapportés, toute tentative de typologie descriptive peut paraître condamnée à la schématisation. Pourtant, elle n’en est pas moins nécessaire, dans la mesure où elle permet de repérer au plus près du texte les stratégies stylistiques que privilégie Mme de Sévigné au moment où elle rapporte les compliments d’autrui. Si l’on adopte le cadre conceptuel élaboré par Laurence Rosier (1999 : 159), on peut alors distinguer deux grands types d’emploi du DN, en fonction de leurs manières de gérer l’attribution du dit.
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8 Nous nous appuyons ici sur les pistes de recherche présentées par Laurence ...
9Le premier type de DN employé par Mme de Sévigné pour rapporter des compliments consiste à « rapporter un dit, voire un on-dit, sans l’attribuer de manière spécifique » ; c’est alors « davantage la mise à distance qui importe » (Rosier, 1999 : 159). Si Mme de Sévigné renonce parfois à préciser l’identité des énonciateurs auxquels elle fait allusion et propose une vision globale des paroles échangées dans les lieux mondains de la capitale, exploitant ainsi « la capacité résumante ou illustrative, presque prototypique » (Rosier, 1999 : 217) du DN, c’est que « peu importe qui dit le discours puisque l’effet recherché est l’universalité (relative) du propos » (Rosier, 1999 : 217). Dans les exemples suivants, où l’emploi du passif et du pronom on ne particularisent pas l’acte de parole, les personnes nommées se trouvent fortement désindividualisées, réduites à de simples silhouettes mondaines : « Je soupai l’autre jour chez la marquise d’Huxelles, avec Mme la maréchale d’Humières, Mmes d’Arpajon, de Beringhen, de Frontenac, d’Outrelaise, Raimond et Martin. Vous n’y fûtes pas oubliée. » (27 avril 1671, i, 237) ; « Nous passâmes l’autre jour un après-dîner à l’Arsenal fort agréablement. Il y avait des hommes de toutes grandeurs ; Mmes de La Fayette, de Coulanges, de Méri, La Troche, et moi. On se promena, on parla de vous à plusieurs reprises et en très bons termes. » (22 avril 1671, i, 230). En refusant aux délocutés tout sentiment propre en même temps que toute parole précisément attribuée, Mme de Sévigné dépasse l’anecdotique pour accéder au typifiant. Cette attribution collective du dit est encore plus frappante dans les phénomènes de récursivité8, les lettres de Mme de Sévigné livrant moins une consignation scrupuleuse des paroles louangeuses qu’un écho de leur circulation : « Il faut pourtant que je vous fasse encore mille baisemains de sa part [Mme de Chaulnes], et que je vous dise qu’on ne peut estimer plus une personne qu’elle vous estime ; elle est instruite par d’Hacqueville de ce que vous valez. » (22 juillet 1671, i, 301). La thématisation récurrente des phénomènes d’échos, d’enchaînements, d’échanges et de conversations gravitant autour des éloges concernant Mme de Grignan a pour effet, en émancipant les louanges de leur tutelle énonciative, de les faire fonctionner comme une doxa sans cesse remise en circulation au sein des cercles mondains fréquentés par Mme de Sévigné. Repérables à l’anonymat ou du moins au caractère flou de leur source, les compliments désignent alors moins les paroles usuelles de civilité adressées à la comtesse que les éloges suscités par la reconnaissance unanime des mérites de Mme de Grignan, ainsi que l’illustrent certains fragments de conversations mondaines rapportés par Mme de Sévigné : « Tout ce que vous avez laissé d’amitié ici est augmenté. Je ne finirais point à vous faire des compliments et à vous dire l’inquiétude où l’on est de votre santé. » (9 février 1671, i, 153). Exploitant pleinement la capacité qu’a le DN à résumer aussi bien un énoncé unique qu’une interaction verbale multipolaire et répétée, Mme de Sévigné ne manque de jouer ni sur l’impression de démultiplication obtenu par l’effacement des sources d’énonciation ni sur l’effet d’amplification produit par l’homogénéisation spatio-temporelle des actes d’énonciation, propre à donner l’impression que la louange, échappant à tout contrôle, vient saturer à tout moment l’espace discursif :
Je ne vous dis point ce que m’est tout ce qui a rapport à vous, et l’effet que m’a fait Rippert (tout cela est aisé à imaginer), ni toutes les visites, ni tous les baisemains, ni toutes les conversations où vous êtes célébrée, ni les louanges extrêmes que l’on dit de vous partout et dans les meilleurs lieux du monde, - les différences, les préférences, les comparaisons avantageuses ; je ne finirais point, ce serait la matière d’un juste volume. (30 décembre 1671, i, 405)
10Parce que Mme de Sévigné sait bien que « la meilleure louange sera celle qui sera rapportée, relayée, confirmée par un cercle d’amis et de connaissances ; car à ce moment l’unanimité de l’appréciation dégage l’éloge de tout soupçon de complaisance personnelle » (Bray, 1969 : 139), il lui arrive fréquemment de recourir à un deuxième type de DN, celui qui repose sur « le renvoi à un énonciateur précis », où « c’est l’attribution à autrui qui prime » (Rosier, 1999 : 159). À première vue, Mme de Sévigné, au moment où elle rapporte les paroles de ses connaissances parisiennes en usant de toute une panoplie de procédés didascaliques (identification précise de ceux dont on rapporte les propos ; précisions spatio-temporelles permettant d’ancrer les discours cités dans la sphère restreinte de la sociabilité privée ; emploi de verbes de paroles attestant que la conversation a bien eu lieu), paraît accepter de bonne grâce de se faire l’écho d’énonciateurs précis, dont elle résume ici les propos au moyen de « verbes qui contiennent, en leur sémantème propre, un espace discursif qui ne doit pas nécessairement être explicité, développé », c’est-à-dire des verbes « stéréotypiques » qui « délimitent des discours types sous-entendus, dont on connaît le contenu » (Rosier, 1999 : 226) :
J’ai fait vos compliments à M. de La Rochefoucauld et à Mme de La Fayette et à Langlade ; tout cela vous estime, vous aime et vous sert en toutes occasions. Pour D’Hacqueville, nous ne parlons que de vous. (…) Mme de Verneuil, Mme d’Arpajon, Mmes de Villars, de Saint-Géran, M. de Guitaut, sa femme, la comtesse de Fiesque, M. de La Rochefoucauld, M. de Langlade, Mme de La Fayette, ma tante, ma cousine, mes oncles, mes cousins, mes cousines, Mme de Vauvineux, tout cela vous baise les mains mille et mille fois. […] Je vis hier Mme du Puy du Fou, qui vous salue. (18 février 1671, i, 161-162)
Pourtant, les termes que les locuteurs cités peuvent fort bien avoir employés eux-mêmes – et qui fonctionnent au sein du DN sur le mode de l’« îlot textuel », défini comme « un élément “non traduit”, c’est-à-dire comme fragment conservé du message d’origine » (Authier-Revuz, 1993 : 41) – laissent surtout deviner l’agacement d’une épistolière qui non seulement n’aime guère se plier aux façons de parler toutes faites, mais qui constate en outre qu’il ne lui reste plus de termes pour évoquer ses propres sentiments :
Mme de Vauvineux vous rend mille grâces ; sa fille a été très mal. Mme d’Arpajon vous embrasse mille fois, et surtout M. Le Camus vous adore. Et moi, ma pauvre bonne, que pensez-vous que je fasse ? Vous aimer, penser à vous, m’attendrir à tout moment plus que je ne voudrais, m’occuper de vos affaires, m’inquiéter de ce que vous pensez, sentir vos ennuis et vos peines, les vouloir souffrir pour vous, s’il était possible, écumer votre cœur, comme j’écumais votre chambre des fâcheux dont je la voyais remplie ; en un mot, ma bonne, comprendre vivement ce que c’est d’aimer quelqu’un plus que soi-même : voilà comme je suis. C’est une chose qu’on dit souvent en l’air ; on abuse de cette expression. Moi, je la répète et sans la profaner jamais ; je la sens tout entière en moi, et cela est vrai. » (1er avril 1671, i, 207)
11C’est pourquoi la plupart du temps, lorsqu’elle cède à la pression de quelques personnes désireuses d’être nommées dans ses lettres, l’épistolière préfère vider le discours cité de son contenu, souvent jusqu’à l’effacer. Tout se passe en effet comme si l’épistolière cherchait à compenser l’individualisation de l’énonciateur par la désindividualisation de son propos, ce qui donne lieu à des cas-limites de DR, puisque l’acte d’évaluation de l’épistolière étant seul mis en relief, plus rien n’indique qu’un acte linguistique a effectivement eu lieu : « J’ai vu Guitaut et sa femme. Ils vous aiment. » (11 février 1671, i, 155). Attachant bien plus d’importance à la « thématique » qu’au « contenu » des discours (Rosier, 1999 : 226), et en définitive aux sentiments voués à Mme de Grignan qu’à des pratiques langagières qu’elle sait dévaluées, Mme de Sévigné en vient même à renoncer au discours rapporté, certains cas d’hybridation énonciatives entre DN et DIL semblant interpréter moins les paroles que les pensées, les intentions ou les sentiments du délocuté (Charaudeau, 1992 : 627). En rapprochant ainsi de manière asymptotique les discours rapportés d’une dynamique proprement narrative, Mme de Sévigné affirme la supériorité des exigences du cœur sur les usages de la civilité. Exploitant au mieux la « visée distanciée et sélective » du DN, qui permet la « subordination du dit à l’évaluation du dire » (Paillet, 2005 : 56), elle choisit de faire passer au premier plan non pas les discours de ceux qui prennent part à sa douleur, nécessairement répétitifs et attendus, mais leurs sentiments à l’égard de Mme de Grignan. La capacité fortement résomptive du DN (qui fait qu’il est impossible d’avoir une idée précise du propos tenu) permet de mettre l’accent sur l’essentiel : non pas le contenu du discours mais sa teneur ; non pas les mots de l’énonciateur mais ses qualités de cœur ; non pas l’acte d’énonciation mais sa signification : « Je vis hier les Villars, dont vous êtes révérée. » (7 juin 1675, i, 726) ; « Pour M. de La Rochefoucauld, il vous aime très tendrement. » (22 avril 1671, i, 230).
12Ainsi l’usage du DN, qui permet de renvoyer aux paroles des autres de manière allusive, lapidaire et souvent dévalorisante, manifeste-t-il de la part de l’épistolière le souci de dominer sans partage et sans scrupule la scène d’énonciation épistolaire – souci qui s’enracine dans l’extrême vigilance de l’épistolière à conjurer les principaux risques liés à la transmission des compliments.
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9 La formule est de François de Grenaille dans La mode ou Caractère De la rel...
Des compliments qui « viennent moins de la langue que du cœur9 »
13Parce qu’elles parviennent à infléchir une pratique éminemment ritualisée conformément à l’art de plaire épistolaire cultivé par Mme de Sévigné, les procédures énonciatives prenant en charge la communication des compliments apparaissent comme autant de parades opposées par l’épistolière aux différents pièges relatifs à l’inscription épistolaire des compliments.
14Le premier risque que ferait immanquablement courir à Mme de Sévigné l’irruption incontrôlée des compliments d’autrui au sein du tissu épistolaire est d’ordre stylistique. Parce que la formulation des compliments est étroitement codifiée voire stéréotypée, leur transmission risque non seulement d’entraîner un décalage marqué avec l’idéal de spontanéité, d’enjouement et de facilité propre à la lettre familière, mais aussi de parasiter une écriture épistolaire volontiers placée sous le signe du naturel, de la naïveté et de la négligence, à l’opposé de la banalité et de l’impersonnalité de ce « style à cinq sols » pour lequel Mme de Sévigné ne manque pas d’afficher son mépris (Bray : 1969 et 1996). C’est pourquoi le DN, qui permet la plus grande liberté à l’égard des propos cités, s’avère précieux pour une épistolière qui n’hésite pas à dévaloriser les paroles qu’elle rapporte, n’utilisant les formes du DI et du DD que dans des fragments parodiques propres à justifier son refus habituel de restituer fidèlement les propos d’autrui :
Le comte des Chapelles m’a écrit de l’armée. Il me prie de vous faire cinq cent mille compliments ; il dit qu’hier (je ne sais quel jour c’était que son hier), il s’était trouvé dans une compagnie de grande conséquence, où votre mérite, votre sagesse, votre beauté, avaient été élevées jusqu’au dessus des nues, et que même on y avait compris le goût et l’amitié que vous avez pour moi. Si cette fin est une flatterie, elle m’est si agréable que je la reçois à bras ouverts. (27 mai 1672, i, 521)
Je reviens de Saint-Germain, ma chère fille, où j’ai été deux jours entiers avec Mme de Coulanges et M. de La Rochefoucauld ; nous logions chez lui. Nous fîmes le soir notre cour à la Reine, qui me dit bien des choses obligeantes pour vous. Mais s’il fallait vous dire tous les bonjours, tous les compliments d’hommes et de femmes, vieux et jeunes, qui m’accablèrent et me parlèrent de vous, ce serait nommer quasi toute la cour ; je n’ai rien vu de pareil. « Et comment se porte Mme de Grignan, Quand reviendra-t-elle ? » Et ceci, et cela. Enfin représentez-vous que chacun, n’ayant rien à faire et me disant un mot, me faisait répondre à vingt personnes à la fois. (11 décembre 1673, i, 636-637)
En libérant des contraintes de fidélité à l’égard du dire d’origine, le DN a le mérite stylistique d’ouvrir la voie à toutes les variations spirituelles et reformulations ingénieuses, loin des formules codifiées, banales et sclérosées. Ce faisant, il permet à Mme de Sévigné de provoquer chez la destinataire des compliments un surcroît de plaisir : l’épistolière sait bien que la seule répétition des compliments ne saurait suffire à l’agrément du « cadeau verbal » (Kerbrat-Orecchioni, 1994 : 228) qu’ils représentent. En outre, parce qu’il condense, souvent de façon très allusive, les paroles de tiers, le DN entre en parfaite adéquation avec le genre même de la lettre, peu « propice à la transcription littérale de la conversation » (Duchêne, 1991 : 101).
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10 La flatterie fait l’objet de nombreuses définitions, distinctions et mises...
15Le second danger inhérent à la transmission irréfléchie des compliments d’autrui est d’ordre rhétorique, Mme de Sévigné courant le risque d’être soupçonnée de flatterie10 et, en définitive, de provoquer l’incrédulité de Mme de Grignan. De fait, le caractère socialement normalisé et linguistiquement stéréotypé de la pratique rituelle des compliments risque fort de nuire à leur « effet de sincérité », qui constitue pourtant l’une des « conditions de réussite de l’acte complimenteur » (Kerbrat-Orecchioni, 1994 : 254-256). Une fois encore, Mme de Sévigné trouve dans les mécanismes énonciatifs propres au DN de précieux alliés, qui lui permettent de présenter comme authentiques, objectifs et irréfutables les compliments qu’elle transmet – bref non seulement de « faire plaisir » à Mme de Grignan mais encore de lui « faire admettre » comme vrais les compliments transmis (Kerbrat-Orecchioni, 1994 : 279). En effet, « la forme globalisante et homogénéisante du DN » (Paillet, 2005 : 58), qui permet d’occulter les actants des discours au profit de leur circulation et de leur thématique, accrédite l’idée que l’éloge de Mme de Grignan fait l’unanimité. Si la force persuasive des compliments est largement accrue par le choix du DN, c’est que Mme de Sévigné ne manque de jouer ni sur l’apparente objectivité de l’acte délocutif (Charaudeau, 1992 : 627), ni sur le caractère irréfutable des « formulations implicites offrant les intérêts stratégiques propres à tous les présupposés et sous-entendus » (Kerbrat-Orecchioni, 1994 : 207), ni sur la désactualisation des discours rapportées, qui permet de mettre en relief l’activité évaluative d’une épistolière qui ne transmet que les compliments qu’elle juge de bon aloi. À une époque où la dénonciation des ruses de l’amour-propre aboutit à jeter un discrédit durable sur les pratiques de civilité (Denis, 1997 : 257-265), il n’est pas étonnant que Mme de Sévigné éprouve si souvent le besoin d’insister sur le fait que les compliments qu’elle rapporte sont dignes de foi : « Il [M. de La Rochefoucauld] m’a chargée de mille amitiés pour vous, mais d’un si bon ton, et accompagnées de si agréables louanges, qu’il mérite d’être aimé de vous. » (3 mars 1671, i, 173). Exploitant pleinement la capacité qu’a le DN à mettre en relief ses propres activités de sélection, d’évaluation et d’estimation des discours, l’épistolière met en lumière sa capacité à faire la différence entre les devoirs imposés par la civilité mondaine et les véritables sentiments des rares cœurs capables de tendresse : « Je ne finirais point, si je voulais vous dire toutes les douceurs des Villars ; vous en êtes fort honorée, estimée et aimée, je vous en assure. » (3 juillet 1675, i, 750).
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11 Cécile Lignereux, « L’emploi des substantifs abstraits au pluriel dans les...
16Mettant un point d’honneur à garantir l’authenticité des sentiments de ceux dont elle accepte d’être la porte-parole, Mme de Sévigné recourt souvent à l’emploi de substantifs abstraits au pluriel, le pluriel de concrétisation lui permettant de renvoyer au principe affectif, psychologique ou moral dont procèdent les manifestations langagières qu’elle rapporte11. Refusant de n’être que la simple courroie de transmission impersonnelle de « débordements de compliments » (6 décembre 1688, iii, 415) dont elle ne mesure que trop le caractère dévalué, Mme de Sévigné ne donne accès qu’à un nombre limité et soigneusement choisi de « tendresses », d’« amitiés » ou de « douceurs » – autant de termes qui fonctionnent comme des « noms opérateurs de DN » (Paillet, 2005 : 51) – rigoureusement sélectionnées pour leur caractère authentique. D’ailleurs, elle ne dissimule pas les difficultés qu’elle éprouve parfois à nommer de façon précise les modulations affectives et morales dont les compliments ne sont qu’un indice toujours suspect – difficultés dont ses commentaires méta-énonciatifs constituent la trace textuelle. Qu’il s’agisse de résumer tout un ensemble d’interactions mondaines – « On conserve ici de vous un souvenir plein d’estime et d’approbation ; il me paraît que je pourrais dire tendresse, mais ce dernier sentiment ne peut être si général. » (10 novembre 1673, i, 616) – ou de simples conversations intimes – « Notre abbé vous aime avec une tendresse et une estime qu’il n’est pas aisé de dire en peu de mots. » (26 juillet 1671, i, 307) –, Mme de Sévigné fait preuve de scrupules lexicaux tout à fait en accord avec sa hantise de trahir ou de banaliser les différents mouvements affectifs des uns et des autres à l’égard de sa fille bien-aimée. Que l’épistolière non seulement veille à se préserver d’une utilisation incontrôlée de discours stéréotypés et d’une soumission irréfléchie aux usages sociaux, mais encore choisisse de ne transmettre que des compliments dûment passés au crible d’une conscience linguistique toujours guidée par un souci de justesse, c’est ce qu’illustrent les opérations de sélection, de filtrage et d’évaluation auxquelles Mme de Sévigné soumet les compliments d’autrui – opérations qui manifestent une constante vigilance à déceler, derrière les apprêts d’une pratique culturellement normalisée, socialement ritualisée et linguistiquement codifiée, les authentiques mouvements du cœur.
Conclusion
17S’acquitter d’un devoir mondain contraignant tout en faisant preuve d’esprit et d’originalité ; transmettre des éloges sans pour autant verser dans la basse complaisance ; se faire l’écho des propos d’autrui tout en faisant entendre sa propre voix ; sacrifier à une nécessité sociale sans renoncer à l’art de plaire épistolaire : entre ces exigences contradictoires, l’écart pouvait sembler irréductible et la transmission des compliments vouée à une inévitable banalité. C’était sans compter sur la sensibilité linguistique d’une épistolière qui, exploitant tous les procédés dont la langue dispose pour rapporter des discours, parvient non seulement à neutraliser les effets secondaires liés à une pratique strictement codifiée, mais encore à s’approprier un rituel imposé de la mondanité au point d’en faire un élément stratégique de la relation à la destinataire.
Notes
1 Comme le fait remarquer Roger Duchêne (1983 : 54), « les compliments, avec le temps, deviendront moins gratuits, plus réduits et centrés autour des familiers et des amis intimes (1677, 1679-1680), ou au contraire très nombreux mais transmis à l’occasion d’une circonstance exceptionnelle : exploits du chevalier de Grignan (1675), blessure du marquis de Grignan, promotion du comte parmi les chevaliers de l’ordre (1688-1689) ». Pour une vue d’ensemble sur la transmission des compliments dans les lettres de Mme de Sévigné, nous renvoyons à Roger Duchêne (1996 : 129-135).
2 Nous faisons nôtre la démarche adoptée par Roger Duchêne (1996 : 129-130) – démarche qui consiste à dresser un panorama des différentes façons dont l’épistolière transmet les compliments à sa fille dans les lettres qui ouvrent la correspondance.
3 Les références à la Correspondance de Mme de Sévigné, données entre parenthèses au fil du texte, mentionnant la date de la lettre et sa pagination (tome et page) dans l’édition établie par Roger Duchêne, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 3 volumes, 1972-1978.
4 Sur le badinage dans les lettres de Mme de Sévigné, nous renvoyons à Mireille Gérard, « L’idée de badinage en prose dans la Correspondance de Mme de Sévigné : premières remarques », Mme de Sévigné (1626-1696). Provence, spectacles, « lanternes ». Colloque international du Tricentenaire de la mort de Mme de Sévigné, Château de Grignan, 29 mai-1er juin 1996, textes recueillis et publiés par Roger Duchêne, Grignan, 1998, p. 223-232 ; Fritz Nies, Les lettres de Mme de Sévigné. Conventions du genre et sociologie des publics, trad. Michèle Creff, Champion, 2001, p. 93-147 ; Nathalie Freidel, « Le badinage de Mme de Sévigné : respect des conventions ou attitude originale ? », PFSCL, xxxi, 60, 2004, p. 175-192.
5 Mireille Gérard, « Art épistolaire et art de la conversation : les vertus de la familiarité », RHLF, nov.-déc. 1978, n° 6, p. 958-974.
6 Le compliment peut porter soit « sur une qualité ou une propriété de l’allocutaire A » soit « sur une qualité ou propriété d’une personne plus ou moins étroitement liée à A ». De fait, « si deux personnes X et Y sont liées par une relation suffisamment étroite pour que X se montre dans une certaine mesure solidaire de Y, et responsable de ses qualités […], la louange […] portant sur Y peut venir par métonymie ricocher sur X, dans la mesure où s’établit entre X et Y ce que l’on peut appeler une “chaîne de mérite” » (Kerbrat-Orecchioni, 1994 : 202).
7 On doit en effet distinguer les compliments directs, qui « portent directement sur l’allocutaire A » des compliments indirects, qui « portant sur une personne différente de A mais plus ou moins étroitement associée à A, viennent par ricochet affecter A » (Kerbrat-Orecchioni, 1994 : 204).
8 Nous nous appuyons ici sur les pistes de recherche présentées par Laurence Rosier lors de sa conférence intitulée « Les formes marginales du discours rapporté ; ou La récursivité, est-ce bon, est-ce mauvais ? », prononcée par le 12 janvier 2006 dans le cadre des conférences de Linguistique de Sorbonne.
9 La formule est de François de Grenaille dans La mode ou Caractère De la religion…, Paris, N. Grasse, 1642, p. 264.
10 La flatterie fait l’objet de nombreuses définitions, distinctions et mises en garde dans la plupart des traités de morale, de civilité et d’art épistolaire. Par exemple, c’est pour prévenir cet écueil que Madeleine de Scudéry préconise dans ses Conversations sur divers sujets, parues en 1680 chez Claude Barbin, de toujours « distinguer la complaisance raisonnable, de celle qui ne l’est pas » (t. i, « De la différence du flatteur et du complaisant », p. 341) et de ne jamais excéder « les véritables bornes que la complaisance doit avoir » (t. i, « De la complaisance », p. 319).
11 Cécile Lignereux, « L’emploi des substantifs abstraits au pluriel dans les lettres de Mme de Sévigné à Mme de Grignan », La langue, le style, le sens, C. Badiou-Monferran, F. Calas, J. Piat, C. Reggiani éd, L’Improviste, 2005, p. 157-166.
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Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Cécile Lignereux
Maître de conférences en langue et littérature françaises – Université Grenoble Alpes / UMR Litt&Arts – RARE Rhétorique de l'Antiquité à la Révolution