Koroğlu du XXIe siècle et les aşiq iraniens (Istanbul, 2021)
Koroğlu du XXIe siècle et les aşiq iraniens - Les éditions ISIS, Istanbul, 2021
Koroğlu est le héros turc qui a donné son nom aux centaines de récits épiques que l'on trouve du Turkestan chinois et de l’Asie centrale jusqu’en Albanie et en Irak. Chez les turcophones d’Iran on compte une vingtaine de récits, et d’innombrables variantes. Traditionnellement récitées dans un contexte quasi rituel par des bardes nommés aşiq, les “récitations de Koroğlu” subissent aujourd’hui d’énormes transformations pour s’ajuster aux nouveaux contextes de performance, aussi bien du côté du texte que du rituel.
Cet ouvrage contient sept récitations de Koroğlu, choisies de manière à représenter la transformation de la tradition dans différents contextes : fête de mariage, festival, café d’aşiq, concert. Le recueil a été préparé par une chercheuse iranienne, Monire Akbarpouran, pendant deux ans de recherches post-doctorales au laboratoire CELIS à l’université de Clermont-Auvergne. Il s’ouvre sur une préface par Karl Reichl, suivie d'une introduction détaillée sur la tradition d’aşiq en Iran et les récitations de Koroğlu.
Le recueil ne se contente pas de donner les textes de ces récits guerriers. Il fait apparaître les éléments de la performance : les explications ajoutées par l’aşiq, les interactions de celui-ci avec le public et les anecdotes qu’il insère dans le récit pour déployer le récit principal. Monire Akbarpouran distingue typographiquement les parties avec accompagnement musical, les parties récitées (textes versifiés), les parties déclamées (textes non versifiés), enfin les interventions explicatives de la part du chanteur.
Le premier contact du public francophone avec l’épopée de Koroğlu avait été très décevant. L’histoire remonte à 1843, l’année où George Sand décide de traduire en français un ensemble de récits de Koroğlu recueillis par Chodzko en Iran. : Chodzko et Sand adaptent ces textes à leur goût et à leur perception du genre épique. Cette modification porte sur le fond aussi bien que sur la forme, Chodzko distinguant deux catégories étanches : la prose et le vers, là où désormais nous repérons, dans une récitation traditionnelle, le chant, la déclamation, la récitation et le commentaire.
Le fait que les publications de Koroğlu n’aient jamais connu un grand succès souligne les limites de la textualisation et de la transmission écrite du genre épique. Certes, l’écriture s’adresse à un nouveau public qui ne partage pas nécessairement les mêmes valeurs que le public traditionnel, mais comment expliquer que même les amateurs traditionnels n'apprécient pas en général la lecture des épopées qu'ils aiment tant quand elles sont récitées ? Ce n’est pas seulement le contexte sémantique qui n’est pas au rendez-vous, mais l’aspect cérémonial. Sans les éléments de la performance, le texte perd une grande partie de son intérêt.