Dossier Acta Litt&Arts : Les conditions du théâtre : la théâtralisation

Eddy Banaré

Représentations et contre-fictions dans Le Dernier Crépuscule de Pierre Gope

Résumé

Cet article se propose d’analyser l’œuvre du dramaturge kanak Pierre Gope à partir de la contre-fiction. Il s’agit de saisir les modalités selon lesquelles les pièces se font l’écho de débats politiques, et s’instituent également comme espaces de débats. La première pièce de Pierre Gope est jouée en 1992 dans une Nouvelle-Calédonie encore marquée par les « Événements » (1984-1988). Les premières représentations ont lieu en tribu devant un public essentiellement kanak avant d’être jouées à Nouméa pour un public qui découvrait, parfois pour la première fois, la parole coutumière et le chant kanak. Le dramaturge donne à entendre des séquences non traduites en nengone à un public urbain et/ou non-kanak. C’est un ensemble d’institutions et de faits anthropologiques dissimulés et minorés par l’héritage colonial qui, à travers cette œuvre, se retrouvent sur la scène théâtrale : la coutume, la tribu et la langue nengone. Pierre Gope franchit donc des seuils par un jeu d’opacités, de convocations mémorielles et de dévoilements linguistiques, créant ainsi de nouveaux espaces de négociation dans la Nouvelle-Calédonie contemporaine. Le Dernier Crépuscule, sa neuvième pièce (2001), interroge les contradictions entre le lien sacré à la terre et la dimension économique du projet indépendantiste kanak. Le théâtre prend ainsi la forme d’une contribution postcoloniale à des débats qui, dans leurs termes, peuvent être interrogés sous l’angle du théâtralisable et du théâtralisé.

Texte intégral

1Faire émerger un théâtre kanak, c’est, bien sûr, amener un ensemble de thématiques sur scène. Mais c’est également former des acteurs kanak, proposer une mise en scène, montrer et théâtraliser des espaces spécifiques (tribu, coutume, conseils, ville, etc.) et faire entendre des langues. Symboliquement, il s’agit donc d’ouvrir non seulement un monde au théâtre, mais encore le théâtre à un monde — et de provoquer des rencontres. C’est du moins, ces dernières décennies, ce que fait le théâtre de Pierre Gope en Nouvelle-Calédonie, qui opère un décloisonnement d’espaces en recréant sur scène la culture kanak : la tribu, la coutume, les palabres et en faisant entendre la langue nengone. En étant joué sur les scènes de Nouméa, ce théâtre permet de réaliser des superpositions inédites. La tension entre fiction et réalité créée par le dramaturge — où la violence historique et ses mécanismes de domination sont exposés et disséqués — doit être également interrogée en termes d’éthique.

2Le théâtre est donc pris ici comme un révélateur des ombres postcoloniales et de leurs enjeux politiques. On peut en effet considérer que Gope développe des mises en fictions qui, compte tenu de l’écho qu’elles se font du processus politique kanak, incitent à décrire sa dramaturgie comme une modalité à partir de laquelle la coutume kanak peut être prolongée par le théâtre, afin de répondre aux enjeux de représentations fictionnelles dans un contexte postcolonial, travaillé par les questions de minorisation et de reconnaissances identitaire — dimension qu’il s’agit d’explorer pour interroger ensuite la représentation et la fiction comme instruments critiques. Elles seront enfin analysées, d’un point de vue anthropologique, comme expressions d’inquiétudes écologiques et identitaires. Le Dernier Crépuscule, neuvième pièce de Pierre Gope, servira de point de départ de la réflexion engagée dans ces lignes.

Le Dernier Crépuscule : enjeux d’une mise en fiction

  • 1 Pierre Gope, Le Dernier Crépuscule, Nouméa, Grain de Sable, 2001.

  • 2 Eddy Banaré, « Représentations littéraires des paysages miniers en Nouvelle...

3Écrite et mise en scène en 2000, Le Dernier Crépuscule1 interroge les défis à relever pour le monde kanak, désormais activement impliqué dans les activités minières. La pièce met en scène la confrontation entre un diplômé kanak qui tente de convaincre les Anciens de céder les terres à une compagnie minière. Ainsi que son titre le suggère, elle est le récit d’une fin du monde organisée en 6 tableaux (qui peut être interprété comme la chronique d’un désastre annoncé, à la fois écologique et politique), qui traduisent les tours et détours d’une compagnie minière pour accaparer les terres d’une tribu kanak anéantie par l’alcoolisme et l’errance de ses jeunes, mais engagée pourtant dans le projet indépendantiste et désireuse de conserver ses terres. C’est dans la confrontation entre le Chargé de mission, le Grand-chef Whaneroï et le Vieux Wapo que se cristallisent les enjeux politiques de la pièce. S’y formulent non seulement une inquiétude kanak face à l’exploitation minière (elle se noue dans le conflit des générations), mais encore au sujet des visées du projet indépendantiste dans lequel l’État est arbitre. De fait, le récit politique de l’implication des kanak dans le nickel est à la fois triomphant et traumatique : le rapport sacré à la terre y entre en contradiction avec l’exploitation minière vécue à la fois comme fait colonial et comme impératif économique du projet indépendantiste kanak2. Or Le Dernier Crépuscule fonde sa dramaturgie sur la mise en pratique de ce discours paradoxal.

  • 3 Voir en ligne le site de la Société Minière du Sud-Pacifique.

  • 4 Augusto Boal, Théâtre de l’opprimé (1979), Paris, La Découverte, 1996, p. 42

  • 5 La promotion de Raphaël Pidjot était la pierre angulaire du processus de « ...

  • 6 « La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu'elle a p...

4Il est difficile de ne pas y voir une référence à la trajectoire de Raphaël Pidjot, premier Kanak à devenir PDG d’une compagnie minière — la SMSP3 —, avant de disparaitre à 40 ans dans un accident d’hélicoptère en novembre de la même année que la création de la pièce. On peut rapprocher la démarche de Gope du « théâtre-journal » d’Augusto Boal dans son adossement à l’actualité, qui « transforme les nouvelles des journaux — ou tout autre matériau non dramatique — en scènes de théâtre4 ». C’est donc dans l’urgence que Gope réinvestit l’événement politique et économique que constitue la disparition de Pidjot5 pour en rappeler la puissance symbolique, ramenée à l’histoire coloniale du pays. L’écriture et la mise en scène se situent dans l’immédiat-contemporain de la disparition de Raphaël Pidjot en novembre 2000 ; Gope semble s’être engagé dans l’écriture et la mise en scène dès le mois suivant. Cette temporalité de création fait la singularité de cette pièce. Il ne s’agit pas d’adosser de manière rigide la création de Gope au politique, mais il est important d’identifier en quoi elle participe au « faire-mémoire » et à la restitution d’« une identité confisquée » dans l’espace public — principes énoncés dans le préambule de l’accord de Nouméa6 qui porte une série de mots d’ordre articulés autour du concept de « reconnaissance » (le terme apparaît sept fois dans le texte de l’accord).

5La fiction apparaît en effet comme la possibilité de représenter les doutes du projet d’émancipation kanak à travers des personnages symboliques qui suivent des trajectoires tourmentées, contradictoires et porteuses d’interrogations. Gope a accordé un entretien à la revue Mwà Véé pour célébrer ses vingt ans de carrière, qui aide à apprécier les enjeux éthiques de sa création :

  • 7 Pierre Gope et Gérard del Rio, « Vingt ans de théâtre kanak » (entretien), ...

Il m’arrive d’essuyer des critiques ou mêmes des agressions verbales de la part de ceux qui me reprochent d’être trop direct, trop cru dans mon théâtre. Est-ce que je pêche par naïveté ? Non, je procède ainsi par souci de toucher réellement les gens7.

  • 8 L’application du décret d’indigénat en 1887 organise le cantonnement des Ka...

6Ce qui est en jeu, tant à travers les réactions du public que dans la forme des préfaces, est la question du « théâtralisable kanak », au sens de ce qui peut être montré sur scène ou, plus précisément, de ce qui, du monde kanak, peut être exposé à un public non-kanak et jugé par lui. De fait, le travail de Gope impose une circulation entre plusieurs espaces structurants de la Nouvelle-Calédonie, depuis la « tribu8 » où il recrute les acteurs de sa troupe et « teste » ses créations, jusqu’aux scènes de Nouméa, sur lesquelles il parvient à les faire programmer grâce à une communication promotionnelle insistant sur la nouveauté et la gravité des thèmes abordés.

  • 9 Stéphanie Vigier, La Fiction face au passé. Histoire, mémoire et espace-tem...

7Depuis la séquence de 1984-1988 dite des « Événements », le peuple kanak est, en effet, engagé dans un dialogue avec l’État français fondé sur la reconnaissance du trauma colonial et l’engagement d’un processus de décolonisation fondé sur le vivre-ensemble avec les autres communautés de l’archipel. Ce dialogue est marqué par la signature de deux accords politiques — ceux de Matignon-Oudinot en 1988 et de Nouméa en 1998 — qui ont en commun de stimuler la création culturelle. Dans cette configuration politique, le théâtre de Gope est une véritable caisse de résonance du politique et des interrogations identitaires, à l’image « de nombreux récits de fictions océaniens » qui, comme le remarque Stéphanie Vigier, « adoptent une perspective historique ou au moins diachronique et produisent ainsi un discours sur leur société et leur histoire9. »

Le « théâtralisable » kanak : les détours de la contre-fiction

8La fictionnalisation mise en œuvre par Pierre Gope pose le problème du théâtralisable et du théâtralisé en interrogeant le réel par un jeu de références à la politique. Le rapport du jeu théâtral au réel est d’abord celui des moyens physiques et matériels (acteurs, dramatisation) qui agissent sur la mise en récit et la théâtralisation. Mais ce rapport au réel concerne également des questions éthiques et politiques : il oblige à penser ce que le dramaturge considère comme qui peut être dit, discuté, dénoncé, ou parodié (le théâtralisable). Les contextes coloniaux et postcoloniaux, travaillés historiquement par des problématiques de différenciation, de domination et de luttes de reconnaissance, intensifient ces interrogations.

9Une fois la référence à Pidjot mise en évidence dans Le Dernier Crépuscule, on peut être incité à interroger une trajectoire individuelle qui, dans sa dimension économique, a été travaillée par deux interrogations : l’appartenance sacrée à la terre d’une part, et l’essor économique kanak dans le cadre du projet d’émancipation d’autre part, prélude à la construction nationale de Kanaky. Pierre-Yves Le Meur incite à le comprendre dans sa « traduction » océanienne :

  • 10 Pierre-Yves Le Meur, « La terre en Nouvelle-Calédonie : pollution, apparte...

La question adressée à tout « étranger » incorporé à une « communauté locale » est au fond : « à quel monde appartenez-vous ? ». […] On traduirait facilement cette interrogation dans le Pacifique par : « à quelle terre appartenez-vous ? » Et en écho à la problématique des ressources de propriété commune, la question subsidiaire concerne lesdites ressources : communes, certes, mais communes à qui ?10

10Décoloniser, construire la nation et participer au monde consiste-t-il à se saisir des modes de production existants, ou à réinventer ? Gope, avec les outils de la dramaturgie, s’empare d’un questionnement qui a donc d’abord été envisagé dans sa dimension politique.

  • 11 Société de Financement et d’Investissement de la Province Nord.

  • 12 « Maison ou enveloppe de la parole » dans la langue drùbéa.

11Les manifestations publiques (entretiens, articles) de Raphaël Pidjot entre 1998 et 2000 sont d’ailleurs marquées par la volonté de résoudre ce paradoxe. Entre sa nomination à la direction de SOFINOR11 et celle à la SMSP en 2000, Raphaël Pidjot donne deux entretiens et rédige un texte pour une encyclopédie à partir desquels il est possible d’identifier des élicitations articulées autour de l’identité kanak et de l’implication dans l’exploitation minière. Sa pensée politique est marquée par l’effort de conjuguer le rapport à la terre aux projets économiques. En 1993, Pidjot donne un entretien dans le premier numéro de la revue culturelle Mwá Véé12, publiée par l’Agence de développement de la culture kanak (ADCK). L’entretien, intitulé « Un projet de société différent », fait apparaître quelques traits saillants de la trajectoire du jeune dirigeant : l’ambition réformiste, la jeunesse et l’espace coutumier kanak. Il décrit la teneur des négociations avec les populations au sujet de l’exploitation minière :

  • 13 Raphaël Pidjot, « Un projet de société différent (la terre, l’entreprise, ...

Nous avons rencontré deux attitudes contradictoires à propos de la mine : une volonté d’aller de l’avant, en fonction du mot d’ordre politique de s’investir économiquement, car la mine est synonyme d’argent des européens, - une attitude de méfiance, car la mine est symbole de désastre historique : pollution, dégâts, appauvrissement général des populations autour de mines… Il fallait que ce handicap vécu s’efface progressivement au profit de ce que doit être une mine aujourd’hui : une source de bien être pour les populations environnantes, et plus généralement pour les populations du Territoire13.

12Précisément, l’intrigue du Dernier Crépuscule se noue autour de la contradiction exposée par Pidjot. Le personnage de Chargé de mission créé par Gope est un archétype de l’arriviste. Il n’est pas mû par le souci d’articuler le rapport sacré à la terre avec les défis économiques et la nécessité de dépassement du trauma colonial, que Pidjot qualifie de « handicap vécu ». Mais Gope introduit le personnage du Récitant qui, comme dans Et les chiens se taisaient d’Aimé Césaire, dispose d’une surconscience de la situation historique, qui déchiffre et explicite les relations entre les personnages. Chez Césaire, l’une de ces voix récitantes (qui sont inscrites dans une mystique des paysages) — L’Écho — connait, dès l’acte I, l’issue du conflit :

  • 14 Aimé Césaire, Et les chiens se taisaient, Paris, Présence Africaine, 1956,...

Le Rebelle
Va mourir comme cela est
Écrit en filigrane dans le vent et dans le sable
Par les sabots des chevaux sauvages et les boucles des rivières…14

  • 15 Pierre Gope. Le Dernier Crépuscule, op. cit., p. 11-19.

13Le Récitant de Gope n’a pas les mêmes certitudes : il n’a pas de dimension prophétique. C’est, au contraire, une voix qui doute. Sa première apparition dans la pièce (« La rumeur15 », tableau I) est une invitation au dialogue adressée aux spectateurs :

  • 16 Ibid., p. 26.

En vérité, l’histoire s’est passée sur une montagne isolée, dans la haute chaîne du grand Nord, qui a changé de nom aujourd’hui. Mais qu’importe ! elle aurait pu se passer ailleurs. C’est une vieille histoire qui ne surprend plus personne, loin de vous étonner ou de vous distraire. Je la raconte parce que j’ai besoin de vous, pour réfléchir avec moi. Car seul, je ne peux offrir aucune vérité décisive16.

14Or l’arrivée du Chargé de mission est annonciatrice de bouleversements et prend la forme d’un fatum. Voici comment le Récitant l’annonce dans le deuxième tableau :

  • 17 Idem.

Nous sommes arrivés à un point précis de l’histoire, quand un homme très significatif fait son apparition : un jeune Kanak diplômé, qui occupe un poste important à la Province. Mais celui-ci est un impudent, pressé de retourner dans son bureau pour courtiser sa jeune secrétaire. Il arrive dans le village, il déploie son discours sans tenir compte de l’inquiétude des villageois17.

  • 18 Ibid., p. 22-35.

15Le discours porté par le Chargé de mission n’est pas marqué par l’effort d’articulation signalé précédemment. C’est, au contraire, un discours fait de slogans où « progrès » et « développement » sont des mots dépourvus de sens. Gope met en scène l’impudence signalée par le Récitant à travers la rencontre avec le Grand-chef Whanéroï et le Vieux Wapo. « Le Rêve18 », titre du tableau dans lequel apparaît le Chargé de mission, semble renvoyer aux illusions et à la duperie :

Vieux Wapo
Paraît-il que notre village sera détruit ?
Le Chargé de mission
Apprenez à discuter ! J’ai horreur qu’on me coupe la parole à chaque fois que je parle. Très bien, je comprends que vous ne pouvez associer tradition et modernisme. Ce n’est pas catastrophique. Moi je suis persuadé que le projet minier en question permettra de faire sortir votre région du sous-développement.

Vieux Wapo
Et c’est quoi, le sous-développement ?

Le Chargé de mission
Si j’avais le temps je pourrais vous faire un cours sur la différence entre un sous-développé et un développé. Mais malheureusement, il y a d’autres priorités ailleurs. Je suis à contretemps, vous comprenez ? Non, je sais, vous ne comprenez pas, mais ce n’est pas trop grave.

Grand-chef Whanéroï
Comment vit un développé ?

Le Chargé de mission
Regarde-moi, je suis habillé comme un développé, et je roule en voiture climatisée. Celle-là est très récente. (En montrant sa voiture.) C’est une nouvelle série japonaise très solide, bien adaptée à rouler sur vos pistes.

  • 19 Ibid., p. 28-29.

Grand-chef Whaneroï
Si ta machine s’adapte à nos pistes, pourquoi le développement ne s’adapte-t-il pas à notre mode de vie ?19

  • 20 Martin Mégevand, « Violence et dramaturgies postcoloniales. », dans Littér...

  • 21 Ibid., p. 95.

  • 22 Frantz Fanon, Œuvres, Paris, La Découverte, 2011, p. 451.

  • 23 Pierre Gope, Le Dernier Crépuscule, op. cit., p. 32.

16L’aspect vaudevillesque du tableau dissimule une forme de tragique du vécu politique kanak : les questions des anciens restent sans réponses ou sont éludées par un personnage qui tient plus du comique que du réformateur. Bien que pris dans un questionnement de décolonisation — celui de l’accord de Nouméa signé en 1998 —, le théâtre de Gope ne présente pas toutes les caractéristiques des « dramaturgies de la décolonisation » décrites par Martin Mégevand20. Ces dramaturgies, parmi lesquelles Le Cercle des représailles de Kateb Yacine ou La Tragédie du Roi Christophe d’Aimé Césaire, ont « un objectif commun, celui de constituer un patrimoine aux futures nations décolonisées21 ». Or, la « future nation décolonisée » qu’il est possible de penser à partir de l’accord de Nouméa résulterait d’une décolonisation négociée et non plus de ce que Frantz Fanon décrivait en 1961 comme « un désordre absolu22 » — fait inédit dont Gope traduit les incertitudes dans Le Dernier Crépuscule. La posture du Chargé de mission rappelle que les rapports de domination subsistent et les appétits miniers autour de la terre également. Le fait qu’un « enfant du pays23 » se fasse l’ambassadeur d’un projet minier pourvoyeur d’emplois ne change rien à la donne.

  • 24 Emmanuel Tjibaou. « Le sentier des morts: rituels de deuil dans la société...

17Le Dernier Crépuscule donne d’une certaine manière la parole à un disparu — en dehors du cadre du deuil kanak qu’Emmanuel Tjibaou explique comme une série de « processus ritualisés initiés afin de ‟déconstruire” la personne24 ». Ces processus se poursuivent pendant un an ; il s’agit de se souvenir de la vie du défunt afin, poursuit E. Tjibaou, d’initier la « construction d’une image-vie ». Mais Gope opère un détour contre-fictionnel qui lui permet de se dégager de l’impératif du deuil coutumier : il peut ainsi se permettre d’évoquer le disparu en montrant ce qu’il a eu le courage de ne pas être. Yves Citton confère à la contre-fiction un pouvoir de mise en marche politique qui peut aider à comprendre certains enjeux d’écriture :

  • 25 Yves Citton, « Contre-fictions : trois modes de combat », dans Multitudes,...

On parlera de contre-fictions pour désigner des récits anti-systémiques dont la visée (ou l’effet) consiste à faire entrevoir un autre monde possible, afin de nous décoller des fausses évidences à travers lesquelles se reproduisent les données qui nous aveuglent et qui nous paralysent25.

  • 26 E. Banaré, Les Récits du nickel en Nouvelle-Calédonie (1853-1960), Paris, ...

18Car il y a un récit systémique du nickel en Nouvelle-Calédonie, où l’essor économique et le sentiment de communauté sont intrinsèquement liés. Il « aveugle et paralyse » au sens où il sert souvent de seul horizon. Grand récit colonial au départ, le récit systémique du nickel s’est élaboré à partir de la fin des années 1860 avec des chroniques, rapports de prospection, ou encore des récits de voyage26. A partir des années 1970 et l’émergence de la revendication politique kanak, ce récit systémique a été « retraduit » par les indépendantistes comme condition de naissance d’une nation équitable et indépendante : la Kanaky.

  • 27 Depuis 1992, Pierre Gope crée une à deux pièces par an. À ce jour, seules ...

  • 28 Il est possible de visionner en ligne Échos du mensonge, dernière pièce de...

  • 29 2118, soit un siècle après le référendum d’autodétermination prévu en 2018...

19Or l’intrigue du Dernier Crépuscule porte précisément sur cette incapacité politique à dépasser la ligne d’horizon du nickel et questionne l’activité minière en tant que survivance coloniale dans le projet indépendantiste kanak. Prise comme récit « anti-systémique », la pièce pourrait donc se penser de deux manières. La première, évoquée précédemment, consisterait à lire le drame sous l’angle de l’hommage contre-fictionnel à Pidjot. La seconde, en revanche, incite à aborder Le Dernier Crépuscule comme une contestation du récit nationaliste kanak, dans lequel l’accès à la ressource minière est la pierre angulaire de la construction de Kanaky — seconde hypothèse à privilégier peut-être depuis que Gope semble avoir achevé une trilogie minière (ou poursuit un cycle minier, c’est selon27) avec Les Échos du mensonge (2015), qui met en scène le déchirement d’une fratrie autour des questions minières28, et Un souffle de luxure (2016), qui se déroule en 2118 dans une pseudo-république bâtie sur un monticule de scories de nickel29.

Dramaturgie critique

  • 30 Patrick Sultan, La Scène littéraire postcoloniale, Paris, Le Manuscrit, co...

  • 31 Ibid., p. 104.

20Appliquée à la recherche littéraire et théâtrale, la notion de trauma aide ici à rendre compte des enjeux de représentation et de dépassement. Le Dernier Crépuscule expose la dimension politique du « trauma colonial » qui, selon les termes de Patrick Sultan, « articule l’individu et le social, la mémoire personnelle et la mémoire collective30 ». En tant qu’écrivain postcolonial, Gope « ‟fait œuvre” de la souffrance coloniale31 » et en explore les stigmates (stéréotypes, dépréciation de soi) qui réapparaissent dans l’incompréhension entre les générations au nom de l’exploitation minière.

  • 32 On trouve en ligne sur le site de l’Union Calédonienne (UC), une page en h...

  • 33 Signés le 1er février 1998, les accords de Bercy constituent le préambule ...

  • 34 Christine Demmer, « De la diversité des enjeux du nickel pour les Kanak au...

  • 35 Leah S. Horowitz, « La micropolitique de la mine en Nouvelle-Calédonie. An...

21Le Dernier Crépuscule peut dès lors être vu comme le traitement artistique de l’émotion publique suscitée par la disparition d’une personnalité dont la promotion a été vécue comme le début symbolique de la décolonisation et la possibilité d’un dépassement du trauma colonial — même s’il faut préciser que Gope fait jouer ses pièces face à un public majoritairement non-kanak (qui peut dès lors, par la fiction, aborder une des variétés du discours politique). Mais Gope semble également interroger l’ambiguïté du symbole politique qu’a pu représenter la personnalité de Raphaël Pidjot : c’est d’abord le premier PDG kanak qui a été salué, et pas nécessairement son projet économique32. De fait, Le Dernier Crépuscule propose un récit du nickel quasi-apocalyptique, où « l’accès à la ressource33 » annoncé par les accords politiques est le prélude à une suite interminable de déséquilibres et de conflits. Pidjot était, depuis 1999, engagé dans la phase de négociation avec les clans propriétaires terriens installés autour du massif minier du Doniambo ; il était sur le point d’annoncer le lancement du chantier Koniambo34. La phase de négociation a été marquée par des disputes entre les clans35, au milieu desquelles Pidjot était le médiateur. On peut d’ailleurs considérer Le Dernier Crépuscule comme une dramatisation de ces négociations.

  • 36 Emily Apter, Zones de traductions. Pour une nouvelle littérature comparée ...

22Le Dernier Crépuscule est également une « zone de traduction » répondant aux deux définitions extrêmes que donne Emily Apter, c’est-à-dire comme « le seuil idéal de communication d’une communauté de locuteurs » mais aussi comme « une zone de conflit frontaliers36 », où les échanges entre le Grand-chef Whaneroï et le Chargé de mission se figent en un dialogue de sourds. Envoyé par l’État pour négocier l’exploitation du sous-sol et obtenir le déplacement du village, le Chargé de mission obtient un refus catégorique du Grand-chef Whanéroï :

Grand-chef Whanéroï
Tu es avant tout un enfant du pays. Je te suggère de porter ma parole auprès de l’État. Dis-lui que leur demande est refusée. Mes sujets et moi ne quitterons pas cette terre.

Le Chargé de mission
Mais soyez compréhensifs, voyons vous n’imaginez pas ce que vous perdez ! Moi, à votre place, j’aurais cédé pour faire sortir mes enfants de la nuit, pour vivre comme un développé à la lumière du jour.

  • 37 Pierre Gope. Le Dernier Crépuscule, op. cit., p. 31.

Grand-chef Whanéroï
On dirait qu’on ne parle pas le même langage37.

23Le recours à la dialectique ténèbres/ lumières, récurrente dans le discours colonial, est un premier signe des paradoxes du nationalisme. Le Chargé de mission revendique, dans les répliques suivantes, d’agir au nom du projet indépendantiste et dit reconnaître le préjudice colonial. L’ambiguïté du personnage vient précisément du fait qu’il parle d’indépendance au nom de l’État, et du nickel :

Vieux Wapo
Les causes des conflits les plus graves et les plus journaliers, immédiats, entre nous et les Blancs, résident dans l’accaparement illimité des terres. Votre politique, la politique de l’administration autrefois, a favorisé l’exploitation de l’élevage qui a permis aux Blancs de lâcher leur bétail, de détruire nos plantations au détriment de nos tribus. Et ils nous ont refoulés dans les fonds des vallées perdues, dans les montagnes. Ceux qui refusaient étaient strictement décapités et leurs clans exterminés. Aujourd’hui, c’est par la bouche d’un enfant du pays que l’État parle, pour nous demander de partir et d’abandonner nos terres et nos dieux. Pour nous laisser envahir par ces mêmes Blancs. Pour nous tirer de la bouche un petit grain de terre qui nous reste pour faire pousser notre igname.

  • 38 Ibid., p. 31-32.

Le Chargé de mission
Je sais ce que la colonisation vous a fait subir dans le passé, mais une chose est certaine : travaillez dans la marche du progrès, pour préparer votre indépendance38.

24Finalement, les deux personnages paraissent tenter de répondre à une question : est-il possible de penser l’indépendance sans le nickel ? Les réponses formulées font apparaître les contradictions d’une situation politique. Pour le Vieux Saké, le nickel n’est qu’un prolongement de la dépossession et des violences coloniales alors que pour le Chargé de mission, la mine permet de rêver d’une émancipation nationale technologique. La parole est alors laissée aux esprits nengone, qui s’expriment dans leur langue sans que celle-ci ne soit traduite. Le passage d’une langue à l’autre semble indiquer ici ce qui peut être montré et exprimé.

  • 39 Ibid., p. 37- 47.

  • 40 Ibid., p. 38-39.

  • 41 Voir Dominique Jaillard, « Plutarque et la divination : la piété d’un prêt...

  • 42 Il existe trois niveaux de nengone : le pene iwateno, niveau élevé réservé...

25Le nengone apparaît dans le tableau « Dans la forêt de Dadac39 ». Après la confrontation avec le Chargé de mission, le Grand-chef Whaneroï consulte son Sorcier afin de déchiffrer les événements. Le Sorcier entame un dialogue avec Les Esprits. Une didascalie indique : « Les esprits réagissent, seul le sorcier comprend leur langage40 ». La scène rappelle la consultation de la Pythie chez Plutarque : le langage porté sur le politique est opaque et a besoin d’intermédiaire pour être décodé41. Sur la scène, comme dans le texte, le nengone parlé par les Esprits apparaît d’abord comme la langue d’un monde secret et invisible. Le dialogue n’est donc pas traduit et, dans le récit, est également incompréhensible pour le Grand-chef Whaneroï. Gope met donc en scène une situation d’opacité linguistique qui intensifie la dramaturgie. On peut également considérer qu’il crée chez les spectateurs une situation de double opacité linguistique en composant le dialogue en pene iwateno, niveau élevé du nengone42, dont la pleine compréhension est réservée aux rangs coutumiers élevés (appartenant ou proche des chefferies, comme Gope) ou aux linguistes experts. Ainsi, lors de la représentation, pour le non-locuteur du nengone, l’occurrence de la langue coïncide avec un point d’acmé de l’intrigue, alors que le locuteur du pene nengone se retrouve pris dans un moment quasi cérémoniel :

Le Sorcie
Be ni retok né receluani bon, ci sibon noré nekhonekhatu me khuweil sei bunidjengo, w hakuneic co xenijelu nenore ciranibunidje, thu deko co phina jore meneng, khore ithuba nenore nodei thu kukokuko.

Les esprits réagissent, seul le sorcier comprend leur langage. Les esprits apparaissent et répondent en cœur.

  • 43 « Le Sorcier : [Intraduisible] du Grand chef et ses sujets, vous demandent...

Les Esprits(en chœur)
Bunijore ta nodei tokha thu hul, nodei tok nore penenod, inu ci wadran, bunij ha itria ri nha ane ceden, bunij ha ci simenengonore doku mane, ka hanedugnore ta nha ekhonejeu ri nhashen neilore ta nodei repapa ni bunij. Koiko bunij meci alan nore khonekhatunij, bunij co kedi re alayegu Enij ci alanore dra nore morow43.

  • 44 Il y a également une posture éditoriale de résistance linguistique ; le ne...

26Les Esprits réclament donc la vie du jeune fils du Grand-chef Whaneroï pour réparer l’offense faite par le Chargé de mission d’avoir osé négocier la terre. La question minière noue ainsi une intrigue autour de la vie et de la transmission et ne peut être résolue que par la perte et le sacrifice. L’occurrence du nengone (pene iwateno) semble avoir ici vocation d’affichage politique ; les passages non-traduits sont autant le signe d’un patrimoine menacé par l’exploitation minière, que celui d’une identité en résistance44.

Conclusion

  • 45 Voir Sonia Grochain, Les Dynamiques sociétales du projet Koniambo, Nouméa,...

27La liberté fictionnelle propices aux exagérations et à la convocation de voix autres (esprits, sorciers, récitants, etc.), permet à Pierre Gope de contribuer au débat politique par un jeu d’allusions aisément identifiables par son public local. L’approche dramaturgique permet d’explorer les tensions et les troubles contenus dans ce que l’on peut nommer le « récit-Koniambo ». Ramené à l’histoire des associations et aux recherches de terrain45, la pièce de Gope apparaît comme le premier signal d’un faisceau d’inquiétudes (politiques, identitaires et écologiques) suscitées par l’exploitation minière. La théâtralisation se singularise, dans le contexte de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie, par l’intérêt porté au politique. Elle questionne le « comment » du théâtre, c’est-à-dire les possibilités de dire et montrer. Participant de la reformulation de la civilisation kanak, Gope enrichit, par le détour fictionnel, la question de l’émancipation.

Notes

1 Pierre Gope, Le Dernier Crépuscule, Nouméa, Grain de Sable, 2001.

2 Eddy Banaré, « Représentations littéraires des paysages miniers en Nouvelle-Calédonie : regards coloniaux et vécus kanak », dans Journal de la Société des Océanistes, n° 138-139, Les Mises en récit de la mine dans le Pacifique, dir. P.-Y. Le Meur et E. Banaré, 2014, p. 151-164, également en ligne.

3 Voir en ligne le site de la Société Minière du Sud-Pacifique.

4 Augusto Boal, Théâtre de l’opprimé (1979), Paris, La Découverte, 1996, p. 42

5 La promotion de Raphaël Pidjot était la pierre angulaire du processus de « rééquilibrage » engagé par l’accord de Nouméa travaillant à la promotion d’autres cadres kanak dans l’administration et l’industrie. La mort du premier PDG a donc été vécue comme l’impossibilité du dépassement du trauma colonial, au point de faire naitre des rumeurs au sujet de complots criminels et surtout de sorcellerie. Les registres du fatalisme et de la malédiction sont fréquemment employés pour évoquer la disparition brutale de Raphaël Pidjot. Voir Héloïse Rougemont, Le Ciment de mes Ancêtres : construction sociale et transmission d'un conflit. Événements et destin commun en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, Université de Genève, Thèse de Doctorat, 2014 ; disponible en ligne.

6 « La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu'elle a privé de son identité. Des hommes et des femmes ont perdu dans cette confrontation leur vie ou leurs raisons de vivre. De grandes souffrances en sont résultées. Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes, de restituer au peuple kanak son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d'une nouvelle souveraineté, partagée dans un destin commun. » (« Accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 », dans Journal officiel de la République française (JORF), n° 121, en ligne, 27 mai 1998, p. 8039.)

7 Pierre Gope et Gérard del Rio, « Vingt ans de théâtre kanak » (entretien), dans Mwa Vée, n° 76, La parole kanak, 2012.

8 L’application du décret d’indigénat en 1887 organise le cantonnement des Kanak en « tribus », ainsi que l’organisation en chefferies et en clans dirigés par des « Grand-chef », « Chef », « Petit-chef », etc. Si le décret a été abrogé en 1946, il a laissé un lexique (le français étant la langue véhiculaire) repris et réactualisé par le Sénat coutumier créé par l’accord de Nouméa en 1998.

9 Stéphanie Vigier, La Fiction face au passé. Histoire, mémoire et espace-temps dans la fiction littéraire océanienne contemporaine, Limoges, PUL, coll. « Francophonies », 2011, p. 31.

10 Pierre-Yves Le Meur, « La terre en Nouvelle-Calédonie : pollution, appartenance et propriété intellectuelle. », dans Multitudes, n° 41, Propriétés / communs — Désobéir à la limite, p. 92, également en ligne.

11 Société de Financement et d’Investissement de la Province Nord.

12 « Maison ou enveloppe de la parole » dans la langue drùbéa.

13 Raphaël Pidjot, « Un projet de société différent (la terre, l’entreprise, le pays) », dans Mwa Véé, n° 1, 1993, p. 35.

14 Aimé Césaire, Et les chiens se taisaient, Paris, Présence Africaine, 1956, p. 7.

15 Pierre Gope. Le Dernier Crépuscule, op. cit., p. 11-19.

16 Ibid., p. 26.

17 Idem.

18 Ibid., p. 22-35.

19 Ibid., p. 28-29.

20 Martin Mégevand, « Violence et dramaturgies postcoloniales. », dans Littérature, n° 154, Passages. Écritures francophones, théories postcoloniales, dir. Zineb Ali-Benali, Martin Mégevand et Françoise Simasotchi-Bronès, 2009, également en ligne.

21 Ibid., p. 95.

22 Frantz Fanon, Œuvres, Paris, La Découverte, 2011, p. 451.

23 Pierre Gope, Le Dernier Crépuscule, op. cit., p. 32.

24 Emmanuel Tjibaou. « Le sentier des morts: rituels de deuil dans la société kanak contemporaine » (Document numérique), Conférence ADCK, Nouméa, ADCK, 20.10.2011.

25 Yves Citton, « Contre-fictions : trois modes de combat », dans Multitudes, n° 48, Contre-fictions politiques — Fukushima : voix de rebelles, p. 72, également en ligne.

26 E. Banaré, Les Récits du nickel en Nouvelle-Calédonie (1853-1960), Paris, Honoré Champion, coll. « Francophonies », n° 1, 2012.

27 Depuis 1992, Pierre Gope crée une à deux pièces par an. À ce jour, seules quatre d’entre elles ont été éditées : Okorenetit ?/ Où est le droit ? (1998), Le Dernier Crépuscule (2001), Les Dieux sont borgnes (avec Nicolas Kurtovitch en 2002) et La Parenthèse (2005). Faute d’éditeurs locaux après 2005, les publications ont cessé ; les autres programmées par le Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou sont enregistrées et parfois diffusées sur Nouvelle-Calédonie Première. Dernier chantier présidentiel de François Mitterrand achevé en 1998, le CCT — du nom du leader indépendantiste — est le symbole de la réconciliation et de la reconnaissance officielle de l’identité kanak ; il s’est imposé comme scène incontournable du pays. La programmation systématique des pièces de Pierre Gope est le signe d’une reconnaissance locale.

28 Il est possible de visionner en ligne Échos du mensonge, dernière pièce de Pierre Gope, enregistrée en mars 2016 au Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou.

29 2118, soit un siècle après le référendum d’autodétermination prévu en 2018, est une date fortement symbolique au niveau fictionnel. L’intrigue et les représentations de la société kanak que Pierre Gope y superpose, constituent un commentaire pessimiste sur l’issue du projet indépendantiste.

30 Patrick Sultan, La Scène littéraire postcoloniale, Paris, Le Manuscrit, coll. « L’Esprit des Lettres », 2011, p. 103.

31 Ibid., p. 104.

32 On trouve en ligne sur le site de l’Union Calédonienne (UC), une page en hommage à Raphaël Pidjot qui salue le « militant et bâtisseur » et le réinscrit dans le projet indépendantiste : « Camarade de route de l’Union Calédonienne, illustre citoyen de Kanaky, porteur d’espoir et du flambeau de la dignité, tu es l’artisan de l’émancipation économique du pays kanak. »

33 Signés le 1er février 1998, les accords de Bercy constituent le préambule économique de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998. L’accord de Bercy contient un « Préalable minier » qui stipule un « accès à la ressource » (minière) garantissant le « rééquilibrage » mis en œuvre par l’accord de Nouméa.

34 Christine Demmer, « De la diversité des enjeux du nickel pour les Kanak aujourd’hui », dans Ethnies n° 37-38, Émancipations kanaks, dir. Ch. Demmer et Christine Salomon, 2015, p. 134-157.

35 Leah S. Horowitz, « La micropolitique de la mine en Nouvelle-Calédonie. Analyse des conflits autour d’un projet minier au sein d’une communauté kanak », dans Journal de la Société des Océanistes, n° 117, Nouvelle-Calédonie, 150 ans après la prise de possession, dir. Isabelle Leblic, 2003 ; mis en ligne le 22 mai 2008.

36 Emily Apter, Zones de traductions. Pour une nouvelle littérature comparée (2006), trad. Hélène Quiniou, Paris, Fayard, coll. « Ouvertures », 2015, p. 187.

37 Pierre Gope. Le Dernier Crépuscule, op. cit., p. 31.

38 Ibid., p. 31-32.

39 Ibid., p. 37- 47.

40 Ibid., p. 38-39.

41 Voir Dominique Jaillard, « Plutarque et la divination : la piété d’un prêtre philosophe », Revue de l’histoire des religions, n°2-2007, Divination et révélation dans les mondes grec et romain, dir. Nicole Belayche et Jörg Rüpke, 2007 ; mis en ligne le 01 juin 2010. URL : http://rhr.revues.org/5266.

42 Il existe trois niveaux de nengone : le pene iwateno, niveau élevé réservé aux cérémonies, le pene animac niveau bas des conflits et de l’insulte, et le pene nengone qui est le niveau courant. Voir Marie-Joseph Dubois, Dictionnaire Maré-français, Paris, INALCO, 1980.

43 « Le Sorcier : [Intraduisible] du Grand chef et ses sujets, vous demandent assez d’aide. Couvre nous de ton amour pour qu’il ne nous arrive pas malheur. Les Esprits (en chœur) : Vous les sacrificateurs, les chefs de la « coutume ». Je vois votre façon de faire, vous ne suivez plus ce qui a été mis en place, vous êtes devenus « esclaves de l’argent » / sujets du chef-argent. Et vous avez oublié les accords des ténèbres avec vos ancêtres. Alors, si vous voulez notre aide, vous devez accepter mon vœu. Nous voulons le sang de l’enfant. » (Pierre Gope, Le Dernier Crépuscule, op. cit., p. 38-39 ; trad. Suzie Bearune, Équipe Eralo, Université de Nouvelle-Calédonie, 2017)

44 Il y a également une posture éditoriale de résistance linguistique ; le nengone apparaît également dans une berceuse traduite dans la version écrite de la pièce. Cependant, l’opacité linguistique du dialogue entre le Sorcier et les Esprits est maintenue. Le dialogue en Pene Iwateno est retranscrit mais, là encore, seuls certains lecteurs peuvent y accéder.

45 Voir Sonia Grochain, Les Dynamiques sociétales du projet Koniambo, Nouméa, IAC, 2013, et Christine Demmer, « De la diversité des enjeux du nickel pour les Kanak aujourd’hui », art. cit.

Bibliographie

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Pour citer ce document

Eddy Banaré, «Représentations et contre-fictions dans Le Dernier Crépuscule de Pierre Gope», Acta Litt&Arts [En ligne], Acta Litt&Arts, Les conditions du théâtre : la théâtralisation, Théâtre (du) politique, mis à jour le : 08/10/2017, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/actalittarts/207-representations-et-contre-fictions-dans-le-dernier-crepuscule-de-pierre-goppe.

Quelques mots à propos de :  Eddy  Banaré

Équipe Troca (Trajectoires Océaniennes), Université de Nouvelle-Calédonie