Dossier Acta Litt&Arts : Épreuves de l'étranger

Gérard Macé et alii
Édition de : Pascale Roux

Chenilles (& papillons) : Poèmes

Texte intégral

                                                  Gérard Macé

En sortant de la caverne, nous verrons les mirages
qu’on rêve depuis toujours de traverser à pied sec :
des flaques d’eau qui s’évaporent quand on avance,
des nappes de lumière dans lesquelles on voit des lacs.

Aucun prophète, aucun pharaon pour marcher devant nous.
Pas de mer rouge qui s’ouvrirait d’elle-même
comme les grandes lèvres des femmes, mais un au-delà
qui recule en même temps que l’horizon.

                                       *
Avec la neige la nappe est mise
sur les prés. Le ciel tout entier
pourrait tenir dans une cuiller en argent,
le ciel et deux ou trois soleils
sur les quatre que comptaient les Aztèques.

Le nôtre est un soleil d’hiver
qui éclaire le lieu du crime :
la goutte de sang, les plumes d’oiseau,
était-ce le festin des dieux
ou le repas du serpent ?

                                       *
Tant de noms sous la neige
qui attendent les beaux jours
pour briller comme de l’or.

Autant de morts à la guerre
qui ont vu dans leurs yeux, leurs yeux hagards,
la campagne en fleurs derrière les barbelés.

                                       *
Les montagnes à contrejour ressemblent à des enclumes,
et le soleil éclaire cette forge abandonnée.

Les étincelles, c’est le marteau du philosophe
qui les fait jaillir en tapant sur le vieux monde.

  • 1 RÉTROTRADUCTIONS                                         
                      ...

Un monde où l’on ferrait les chevaux
dans l’odeur de la corne, des chevaux battus
qui regardaient droit devant eux, à cause des œillères
que n’osaient pas porter les hommes1.

                                       *

Notes

1 RÉTROTRADUCTIONS                                         
                                                                               
     Rétrotraduction de l’allemand : Dominique Dias
  
Au sortir de la caverne nous verrons les mirages,
Que l’on rêve depuis toujours de traverser à pied sec :
Des flaques d’eau qui s’évaporent dès qu’on s’en approche,
Des étendues lumineuses dans lesquelles on voit des lacs.
  
Pas de prophète, pas de pharaon qui nous précède,
Pas de mer Rouge, qui s’ouvrirait d’elle même
Comme les grandes lèvres des femmes, mais un au-delà,
Qui recule en même temps que l’horizon.
                                       *
Avec la neige, la nappe est étendue
Sur les prés. Le ciel entier
Tiendrait dans une cuillère d’argent,
Le ciel et deux ou trois
Des quatre soleils aztèques.
  
Le nôtre est un soleil hivernal,
Qui éclaire les lieux du crime :
La goutte de sang, les plumes d’oiseaux,
Était-ce un banquet des dieux
Ou le repas du serpent ?
                                       *
Tant de noms sous la neige,
Qui attendent les beaux jours,
Pour briller comme de l’or.
  
Tout autant de morts à la guerre,
Qui dans leurs yeux, dans leurs yeux bouleversés,
Ont vu un pays florissant derrière les barbelés.
                                       *
Les montagnes dans le contre-jour ressemblent à des enclumes
Et le soleil éclaire cette forge abandonnée.
  
Les étincelles jaillissent du marteau du philosophe
Tandis qu’il brise l’ancien monde.
  
Un monde dans lequel on ferrait les chevaux
Dans l’odeur de corne, des chevaux battus,
Qui regardaient droit devant, à cause des œillères,
Qui n’osaient pas servir de monture.
                                       *
   
     Rétrotraduction de l’allemand : Natacha Rimasson & Ferdinand Schlie
  
En sortant de la caverne, nous verrons les mirages
que nous rêvions depuis toujours de traverser à pied sec :
des flaques d’
eau qui s’évaporent quand on se met en route,
des couches de lumières où l’on voit des lacs.

  
Pas de prophète, pas de pharaon pour nous précéder.
Pas de mer Rouge qui s’ouvrirait d’elle-même
comme les grandes lèvres des femmes, mais tout de même un au-delà
qui recule, tel l’horizon.

                                       *
Avec la neige, le drap est posé
sur les prairies. Le ciel tout entier
tiendrait dans une cuiller d’argent,
le ciel et deux ou trois soleils
des quatre que comptaient les Aztèques.

  
Le nôtre est un soleil d’hiver
qui éclaire le lieu du crime :
la goutte de sang, les plumes d’oiseaux,
était-ce le festin des Dieux
ou ce dont le serpent s’est rassasié ?
                                       *
Tant de noms sous la neige
qui attendent les beaux jours
pour briller comme de l’or.

  
Tout ce qui est mort au combat,
ceux qui ont vu devant leurs yeux, leurs yeux vitreux
la campagne en fleur derrière les barbelés.
                                       *
Les montagnes en contre-jour semblent des enclumes
et le soleil éclaire cette forge abandonnée.

  
Les étincelles, le marteau du philosophe les fait
jaillir par les coups qu’il porte à l’ancien monde.
  
Un monde où l’on ferrait les chevaux
dans l’odeur de la corne, des chevaux battus
qui regardaient devant eux à cause des œillères
que les hommes n’osaient pas porter.
                                       *
   
     Rétrotraduction de l’arabe : Sana Abdi
  
En sortant de la caverne nous verrons le mirage
Que nous avons rêvé de traverser depuis l’éternité sans nous mouiller les pieds :
Les mares d’eau qui s’évaporent, au fur et à mesure qu’on avance,
Des sources de lumière dans lesquelles nous voyons des étendues salées.
  
Il n’y a ni prophète ni pharaon pour ouvrir la marche.
Il n’y a pas de mer rouge qui s’ouvre d’elle-même
Comme s’entrouvrent les grosses lèvres chez les femmes, mais il existe un monde au-delà,
Qui s’étend, vaste, en même temps que s’y étend l’horizon.
                                       *
Avec la neige se posa la source sur les prés.
Le ciel entier peut se concentrer dans une cuillère en argent,
Le ciel ainsi que deux ou trois soleils
Parmi les quatre soleils chez le peuple aztèque
  
Notre soleil à nous est un soleil d’hiver
Qui éclaire la scène du crime :
La goutte de sang et la plume d’oiseau
Est-ce là le banquet des dieux ?
Ou le repas du serpent ?
                                       *
Beaucoup de noms sous la neige
Attendent les beaux jours
Pour briller comme l’or.
  
Ce grand nombre de morts pendant la guerre
Ceux qui ont vu dans leurs yeux, leurs yeux effarés,
La prairie fleurie derrière les fils barbelés.
                                       *
Au loin, les montagnes illuminées de la lumière du jour ressemblent à des chênes
Et le soleil éclaire cette forge abandonnée.
  
Les étincelles, c’est le marteau du philosophe
Qui les fait jaillir en martelant le monde ancien.
  
Un monde où les chevaux ont été ferrés
Dans les exhalaisons de corne, des chevaux battus
Regardant tout droit devant eux à cause des œillères
Et n’osant pas porter les hommes.
                                       *
   
     Rétrotraduction de l’arabe : Jalel El Gharbi
  
Une fois sortis de la caverne, nous verrons le mirage
Nous rêvons depuis l’éternité de le franchir, sans nous mouiller les pieds
Des flaques d’eau s’évaporent à mesure que nous progressons dans notre marche
Et des nuées de lumière où nous trouvons des lacs.
  
Ni prophète, ni pharaon pour marcher devant nous,
Ni mer Rouge s’ouvrant sur elle-même
Comme de grandes lèvres de femmes, mais au loin
La mer se retire tout au long de l’horizon.
                                       *
Et avec la neige s’étend une couche sur l’herbe
Et le ciel tout entier est dans une cuillère d’argent à laquelle on fait porter
Le ciel et deux ou trois soleils
Parmi les quatre que comptaient les Aztèques.
  
Notre soleil est un soleil d’hiver
Il éclaire la scène du crime :
Une goutte de sang et des plumes d’oiseau
Etait-ce un banquet divin
Ou bien le repas de la vipère ?
                                       *
Les noms sont nombreux sous la neige
À attendre les beaux jours
Pour scintiller comme l’or.
  
Les morts sont nombreux à la guerre
Ils ont vu dans leurs yeux, dans leurs yeux hagards
Des champs de fleurs derrière les barbelés.
                                       *
Dans la lumière réfléchie, les montagnes ressemblent à des enclumes
Et le soleil éclaire ce fusible abandonné.
  
Avec le marteau du philosophe, l’étincelle a explosé
Alors qu’il martèle le vieux monde.
  
Un monde où les chevaux étaient ferrés et conduits
Dans l’odeur des cornes, des chevaux estampillés
Regardent droit devant car ils portent des œillères
Que les gens n’osaient point mettre.
                                       *
   
     Rétrotraduction du coréen : Lee Tae-yeon & Aline Marchand
  
C’est un vieux rêve, nous traverserons à pied sec
Les mirages qui éblouissent à la sortie d’une grotte,
Les flaques d’eau qui disparaissent en avançant,
Les strates de lumière que les lacs reflètent.
  
Pas un prophète, pas un pharaon pour nous guider !
Sans la mer Rouge qui s’ouvre elle-même
Comme les lèvres secrètes des femmes,
L’autre monde s’éloigne avec l’horizon.
                                       *
Sous la neige, les strates de lumière
Se répandent sur l’herbe,
Au creux d’une cuillère argentée
Se lovent le ciel entier et deux ou trois des quatre soleils
Que les Aztèques comptaient.
  
Le nôtre est soleil hivernal
Qui reflète la scène du drame.
Seraient-ce les gouttes de sang,
Les plumes, le banquet des dieux
Ou le festin du serpent ?
                                       *
De nombreux noms sous la neige blanche
Attendent les beaux jours
Pour briller comme l’or.
  
De leurs yeux épouvantés,
Les morts innombrables de la guerre avaient contemplé
Le champ fleuri à l’infini derrière les barbelés.
                                       *
La montagne à contre-jour ressemble à l’enclume,
Le soleil éclaire cette forge abandonnée.
  
Le marteau du philosophe projette
Des étincelles en frappant le vieux monde.
  
Dans le parfum des cornes,
Du temps où l’on ferrait les sabots,
Sous les œillères que les humains n’osaient porter,
Les chevaux vaincus regardaient droit devant.
                                       *
 
 
     Rétrotraduction du coréen : Cha Hyang-mi & Thierry Laplanche
  
Si tu sors de la grotte, tu verras le mirage
que depuis longtemps tu rêves de traverser sans te mouiller les pieds.
Des flaques d’eau qui disparaissent à mesure que tu avances,
des lacs baignés de feuilles de lumière.
  
Il n’y a ni prophètes, ni pharaons qui nous précèdent,
ni mer Rouge qui s’ouvre comme les grandes lèvres d’une femme,
mais l’au-delà
qui en même temps que l’horizon recule.
                                       *
La neige est tombée, et voilà la prairie
recouverte d’une nappe de table. Dans la cuiller en argent
peut rentrer le ciel tout entier.
Le ciel et deux ou trois des quatre soleils
que comptaient les Aztèques.
  
Il ne reste pour nous
que le soleil d’hiver éclairant le lieu du crime,
des gouttes de sang, des plumes d’oiseaux.
Était-ce le festin des dieux,
ou bien le repas d’un serpent ?
                                       *
D’innombrables noms dans la neige
qui attendent les beaux jours
pour briller comme de l’or.
  
D’innombrables morts de la guerre
dont les yeux, les yeux hagards fixaient
la plaine en fleurs derrière les barbelés.
                                       *
Adossée au jour, la montagne ressemble à une enclume,
le soleil illumine cette forge abandonnée.
  
L’éclair, ce qui fait jaillir l’éclair en cognant sur le vieux monde,
c’est le marteau du philosophe.
  
Ce bas monde où, respirant l’odeur de la corne de l’enclume,
on ferrait les chevaux, les chevaux qui, sous les coups de cravache,
ne regardaient que devant eux,
avec ces œillères que jamais l’homme n’osa porter.
                                       *
   
     Rétrotraduction du grec ancien : Matteo Capponi
  
Hors de la caverne nous verrons ces images
Qu’en rêve chaque fois nous foulons à pied sec.
Des marais s’asséchant tandis que l’on avance
Et des semblants de lacs dans la lueur étale.
  
Et face à nous aucun Pharaon ni prophète,
Aucune mer Rouge qui s’entrouvrirait comme
Des lèvres de femme, juste un autre au-delà
Qui fuit en même temps que l’astre à l’horizon.
                                       *
Tulle de neige déployé
Sur les prés. Le ciel entier
Tiendrait dans une cuillère,
Le ciel et deux ou trois
des quatre soleils aztèques.
  
Un soleil hivernal
Éclaire les lieux du crime.
Plumes d’oiseau, goutte de sang
– festin des dieux
ou repas du serpent ?
                                       *
Tant de noms sous la neige
Attendant l’été pour
Briller en lettres d’or !
  
Tant de morts à la guerre :
Leurs yeux fixent encore
Les champs en fleur derrière
Les pieux des palissades.
                                       *
À contre-jour les montagnes ressemblent à des enclumes,
Une forge abandonnée que frappe le soleil.
  
Penser c’est pareillement de son marteau
Faire jaillir des étincelles du monde ancien.
  
Ce monde où l’on ferrait les chevaux dans l’odeur de la corne,
Chevaux frappés, munis d’œillères,
Forcés de regarder droit devant eux,
Comme n’osaient pas faire les hommes.
                                       *
   
     Rétrotraduction du grec ancien : Antje Marianne Kolde
  
Sortis de la caverne, nous verrons les apparitions grâce auxquelles nous désirons toujours traverser à pied sec. Il y a en effet des marais qui sont balayés par un souffle quand nous marchons en avant et dans lesquels nous voyons les étendues brillantes de l’eau stagnante.
  
Certes, il se trouve qu’aucun prophète ni aucun Pharaon ne marche devant nous. Certes, là ne s’étend aucune mer Rouge qui s’ouvrirait comme les grandes lèvres d’une femme, mais la rive opposée s’éloigne avec la ligne d’horizon.
                                       *
Une couverture de neige fraîche était étendue sur les prés. Une seule cuillère en argent pourrait contenir non seulement le ciel tout entier mais deux ou trois des quatre soleils que connaissaient les Aztèques.
  
Celui que nous appelons « Soleil d’hiver » est celui qui éclaire la région où le mal a été perpétré : ce sang qui s’égoutte et ces ailes de l’oiseau – s’agit-il d’un festin des dieux ou de la nourriture du serpent ?
                                       *
Combien de noms, sous la neige, attendent des jours meilleurs pour briller comme de l’or !
  
Combien d’hommes tombés à la guerre regardaient de leurs propres yeux effrayants les champs couverts de fleurs, précipités dans des liens ailés !
                                       *
Les montagnes détournées du soleil sont comme des enclumes, mais le soleil éclaire cet atelier de forgeron abandonné.
  
Les étincelles jaillissent sous le marteau du philosophe qui frappe l’antique univers.
  
Dans cet univers, les hommes ont ferré les chevaux, percevant en même temps l’odeur de la corne. Les chevaux, frappés, regardaient aussitôt droit devant eux, à cause des œillères que les hommes n’osaient porter eux-mêmes.
                                       *
   
     Rétrotraduction de l’italien : Marie-Line Zucchiatti
  
Au sortir de la caverne, nous apercevrons les mirages
que depuis toujours nous rêvons d’outrepasser sans nous mouiller :
flaques d’eau s’évanouissant à notre approche
étendues de lumières qui nous semblent lacs.
  
Devant nous, aucun prophète, aucun pharaon pour nous indiquer la
voie, devant nous, aucune mer ne s’ouvre
telles les grandes lèvres des femmes, mais,
devant nous, rien qu’un au-delà et un horizon
qui tous deux nous échappent.
                                       *
Tombe la neige, la nappe s’étend
sur les prés. Le ciel tout entier pourrait s’entretenir,
le ciel, et deux ou trois
des quatre soleils des Aztèques.
  
Notre soleil est celui de l’hiver
qui illumine la scène du crime :
une goutte de sang, plume d’oiseau,
banquet divin ou repas du serpent ?
                                       *
Nombreux sont ceux qui sous la neige
attendent les beaux jours
pour briller comme de l’or.
  
Aussi nombreux que ceux tombés au front
et dont les yeux, les yeux bouleversés
ont reconnu la nature en fleur derrière les barbelés.
                                       *
Les montagnes, en contre-jour, comme des enclumes
d’une forge abandonnée éclairée par le soleil.
  
Le marteau du philosophe,
en tapant sur le passé,
allume les étincelles.
  
Un passé où l’on ferrait les chevaux
dans l’odeur de la corne brulée,
chevaux battus, obligés de regarder en avant
par des œillères que les hommes n’avaient pas le courage de porter.
                                       *
   
     Rétrotraduction de l’italien : Claire Pellissier
  
En sortant de la caverne, nous verrons les mirages
que depuis toujours nous rêvons de traverser à pied sec :
flaques d’eau qui s’évaporent quand on avance,
puits de lumière où l’on aperçoit des lacs.
  
Aucun prophète, aucun pharaon pour marcher devant nous.
Pas de mer Rouge pour s’ouvrir toute seule
comme les grandes lèvres des femmes, mais un au-delà
qui recule en même temps que l’horizon.
                                       *
Avec la neige la nappe est étendue
sur les prés. Le ciel tout entier
pourrait tenir dans une cuillère d’argent,
le ciel et deux ou trois soleils
sur les quatre que comptaient les Aztèques.
  
Le nôtre est un soleil d’hiver
qui éclaire le lieu du délit :
la goutte de sang, les plumes de l’oiseau,
était-ce le symposium des dieux
ou le repas du serpent ?
                                       *
Tant de noms sous la neige
qui attendent les beaux jours
pour briller comme de l’or.
  
Autant de morts à la guerre
qui ont vu dans leurs yeux, yeux révulsés,
la campagne en fleurs derrière les barbelés.
                                       *
Les montagnes à contre-jour ressemblent à des enclumes,
et le soleil éclaire cette forge abandonnée.
  
Les étincelles jaillissent du marteau du philosophe
quand il pilonne le vieux monde.
  
Un monde où l’on ferrait les chevaux
dans l’odeur de la corne brûlée, chevaux fouettés
qui regardaient droit devant eux, contraints par les œillères
que n’osaient porter les hommes.
                                       *
   
     Rétrotraduction du japonais : Jacques Lévy
  
Nous verrons en sortant de la grotte
Le mirage que nous avions depuis toujours rêvé de traverser sans nous mouiller
La flaque d’eau qui s’évapore à mesure que nous avançons
L’étendue de lumière où transparaît un lac
  
Sans prophète pour nous conduire ni pharaon
Sans mer Rouge qui s’ouvre telles les grandes lèvres d’une femme
Juste un au-delà
Qui recule avec l’horizon
                                       *
Il neige et une nappe
Recouvre toute la prairie
Le ciel pourrait tout entier tenir dans une cuiller d’argent
Le ciel et deux ou trois soleils
Parmi les quatre que comptait la civilisation aztèque
  
Le nôtre est le soleil de l’hiver
Qui éclaire le lieu du crime 
Sang qui goutte et plumes d’oiseau
Festin des dieux ou
Repas d’un serpent
                                       *
Combien de noms ensevelis sous la neige
Attendent les beaux jours
Pour briller comme l’or
  
Combien de morts au champ d’honneur
De leurs yeux injectés de sang
Ont-ils vu le champ fleuri derrière les barbelés
                                       *
Les montagnes à contre-jour sont pareilles à l’enclume
D’une forge abandonnée qu’illumine le soleil
  
Où le marteau du philosophe bat l’ancien monde
En faisant jaillir les étincelles
  
C’était au temps du ferrage quand
Dans l’odeur du sabot
Les chevaux fixaient droit devant eux
Grâce aux œillères que les hommes n’avaient pas le courage de porter
                                       *
   
     Rétrotraduction du japonais : Thierry Maré
  
Au sortir de la caverne, nous saisira
le rêve de toujours, l’illusion de passer à pied sec
à mesure qu’on avance, dans les flaques où l’eau s’évapore
dans les couches de lumière qui recouvrent le lac
  
En tête de la marche aucun prophète ou pharaon,
comme les lèvres immenses d’une femme
ouvrant à lui seul une mer rouge absente :
rien qu’avec l’horizon le lointain qui s’éloigne
                                       *
La neige en tombant partout sur la plaine
met la nappe. Le ciel entier
tiendrait dans une cuillère en argent.
Le ciel et, diraient les Aztèques,
des quatre soleils au moins deux ou trois.
  
Notre soleil à nous, soleil d’hiver
illumine le lieu d’un crime
gouttes de sang, plumes d’oiseau
était-ce le banquet des dieux
ou le déjeuner d’un serpent ?
                                       *
Sous la neige beaucoup de noms
espèrent des jours de bonheur
pour briller à l’égal de l’or
  
A peu près autant de morts au combat
de leur prunelle sanglante ont vu
par-delà les barbelés la campagne en fleurs
                                       *
A contre-jour les montagnes ont l’air d’enclumes
forge à l’abandon par le soleil illuminée
  
tournent dans l’air des grains de feu, qu’en forgeant le vieux monde
les philosophes sous leur marteau font danser
  
on battait encore le fer à cheval dans ce monde
au milieu des odeurs de corne, les chevaux terrassés
droit devant eux braquaient les yeux, les hommes ne songeant à porter
les œillères qu’ils leur appliquaient
                                       *
   
     Rétrotraduction du latin : Pierre Siegenthaler
  
Hors de l’antre, admirons les spectres
de nos départs jadis projetés.
Pieds au sec, admirons les eaux
qui de vapeur se muent en voies
et les lumières qui s’ourdissent
où se révèlent tant de lacs.
  
Nul prophète ne nous fait face, nul pharaon,
nulle mer Rouge pour s’entrouvrir
comme des lèvres de femme,
juste un semblant de fin
qui au bout du monde
recommence.
                                       *
La toile des neiges
sur les prés se meut
et soudain siègent,
entiers, les cieux
comme dans l’image
d’un cuiller d’argent ;
et des soleils, par trois ou deux,
au firmament, parmi les quatre
astres aztèques.
  
Notre soleil, lui, est hivernal et luit
sur les lieux du crime :
plume d’oiseau, goutte de sang,
qui des dieux ou du serpent a rompu son régime ?
                                       *
Sous la neige, tant de noms
attendent de rejaillir
en rayons d’or aux beaux jours.
  
Dans leurs armes, tant de morts
de leurs yeux laminés virent
les fleurs des vallées finales
suivant la guerre et ses fers,
belliqueuses barricades.
                                       *
Vois ces monts qui, dos au jour, dans leur ombrage deviennent enclumes.
Dans le sillage du soleil, une forge âgée s’allume.
  
Ici martèle un sage, façonnant des étincelles.
Il frappe, fébrile, les âmes séniles d’une race ferreuse,
  
de ceux qui fixent aux canassons les sabots sonores dans l’odeur de corne.
Mais le cheval, regard au sol, fonçait tout droit sans qu’on califourchonne,
vue couverte et sans lucarne,
portant les œillères que les hommes s’épargnent.
                                       *
   
     Rétrotraduction du latin : Florian Barrière
  
En sortant de la caverne, nous verrons les reflets de flaques
que nous rêvions de traverser à pied sec,
profondeurs qui s’évanouissent comme nous avançons,
plaines de lumière où l’on aperçoit des lacs.
  
Nul prophète, nul pharaon, prince d’Égypte, pour nous précéder,
nulle mer Rouge pour, d’elle-même, nous livrer passage,
comme les grandes lèvres des femmes, mais des recès
qui s’éloignent en même temps que l’horizon.
                                       *
Une nappe de neige dans les prés
s’étend. Le ciel immense
pourrait tenir dans une cuiller d’argent,
le ciel et deux ou trois soleils
parmi les quatre que comptent les Aztèques.
  
Sur nous, un soleil d’hiver
qui brille dans des lieux criminels :
une goutte de sang, des plumes d’oiseau
était-ce le festin des dieux ou le repas du dragon ?
                                       *
Tant de noms recouverts de neige
qui attendent les jours où le soleil rit
pour briller avec l’éclat de l’or.
  
Tant d’hommes tombés au combat
qui, le teint livide, ont contemplé les fleurs éparses dans les champs
au milieu des barbelés.
                                       *
Les montagnes, quand les ombres les enveloppent, sont pareilles aux enclumes
et le soleil éclaire cette forge
où personne ne travaille plus.
  
Le philosophe, comme s’il usait d’un marteau, fait jaillir
des étincelles, en détruisant les vestiges d’un autre temps.
  
Alors, les sabots étaient recouverts
de corne odorante, pour les chevaux battus
qui ne pouvaient regarder qu’en avant,
parce que leurs yeux portaient des œillères
que n’osaient porter les hommes.
                                       *
   
     Rétrotraduction du persan : Nina Soleymani Majd
  
au sortir de la caverne s’offrent à nos yeux des mirages aqueux
que nous cherchions depuis l’éternité à traverser sans nous mouiller les pieds
des étendues d’eau qui dès qu’on s’en approche s’évaporent dans les airs
des nappes de lumière que nous discernons dans ces lacs
  
aucun prophète ni aucun pharaon qui nous guide
aucune mer rouge qui comme les lèvres rondes des femmes
s’ouvre d’elle-même. Mais au contraire un au-delà
qui recule en même temps que l’horizon
                                       *
la neige a recouvert d’une nappe les pâturages
le ciel entier tient dans une cuillère d’argent
le ciel ainsi que deux ou trois soleils
de ces quatre soleils auxquels croyaient les Aztèques
  
notre soleil à nous est un soleil d’hiver
qui dévoile le lieu du crime
une goutte de sang, les ailes des oiseaux
fut-ce le festin des dieux ou la pâture des serpents ?
                                       *
tous ces noms sous la neige
qui attendent les beaux jours
pour briller comme l’or
  
tous ces morts à la guerre
qui de leurs yeux, de leurs yeux égarés
virent au travers des barbelés les villages pleins de fleurs
                                       *
les montagnes à contre-jour sont pareilles à des enclumes
et le soleil éclaire cette forge abandonnée
  
c’est le marteau du philosophe qui, en frappant
la face de ce monde ancien, fait jaillir des étincelles
  
ce monde dans lequel on garnissait les sabots des chevaux
de fers, des chevaux qu’on battait
qui à cause de leurs œillères regardaient droit devant eux
des œillères que l’être humain n’avait pas le courage de porter
                                       *
   
     Rétrotraduction du persan : Alireza Ghafouri & Laetitia Gonon
  
En sortant de la grotte, nous verrons les mirages
Que toujours nous pensions traverser les pieds raides
En avançant nous apercevons les trous d’eau qui s’évaporent
Et les grandes nappes de lumière au travers desquelles apparaissent les lacs
  
Il n’existe aucun prophète ni pharaon pour nous montrer la voie
Et pas non plus la mer Rouge qui s’étend toute seule devant nous
Comme les grandes lèvres des femmes. Mais il existe un autre monde
Qui recule en même temps que l’horizon
                                       *
La neige déploie une nappe sur les pelouses
Tout le ciel s’est contracté dans une cuillère d’argent
Le ciel et deux ou trois soleils
Parmi les quatre que comptaient les Aztèques
  
Notre soleil est un soleil d’hiver
Qui éclaire la scène du crime
Cette goutte de sang, ces plumes d’oiseaux
Annoncent-elles la fête des dieux ou le repas du serpent ?
                                       *
La neige recouvre le nom des personnes
Attendant de beaux jours
Afin de briller comme l’or
  
Que de morts à la guerre
Qui entrevirent de leurs yeux enfoncés
La ferme pleine de fleurs derrière les fils de fer barbelés
                                       *
Les montagnes dans l’obscurité ressemblent aux enclumes
Et le soleil éclaire cette forge abandonnée
  
Les étincelles sont le marteau du philosophe
Qui jaillissent lorsqu’il bat l’ancien monde

Un monde où les chevaux sont sellés
Dans l’odeur mêlée du fer à cheval, les chevaux battus
Qui avec les œillères ne voyaient que devant eux
Et craignaient d’être la monture des hommes
                                       *
   

Pour citer ce document

Gérard Macé et alii , «Chenilles (& papillons) : Poèmes», Acta Litt&Arts [En ligne], Acta Litt&Arts, Épreuves de l'étranger, mis à jour le : 09/04/2018, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/actalittarts/333-chenilles-amp-papillons.

Quelques mots à propos de :  Gérard  Macé

Première édition pour les poèmes de Gérard Macé et leurs traductions (en allemand, arabe, coréen, grec, italien, japonais, latin et persan) : Chenilles & papillons, Paris, éd. La Pionnière, 2017.

Du même auteur

Quelques mots à propos de :    alii

Auteurs des rétrotraductions (par ordre des langues traduites) :
  
. Allemand: Dominique Dias - Natacha Rimasson et Ferdinand Schlie
. Arabe: Sana Abdi - Jalel El Gharbi
. Coréen: Lee Tae-yeon et Aline Marchand - Cha Hyang-mi et Thierry Laplanche
. Grec ancien: Matteo Capponi, Antje Marianne Kolde,
. Italien: Marie-Line Zucchiatti - Claire Pellissier
. Japonais: Jacques Lévy - Thierry Maré
. Latin: Pierre Siegenthaler - Florian Barrière
. Persan: Nina Soleymani Majd -  Alireza Ghafouri et Laetitia Gonon
  
Rétrotraductions en français : inédit.

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Quelques mots à propos de :  Pascale  Roux

Université Grenoble Alpes – UMR Litt&Arts/ÉCRIRE

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