Dossier Acta Litt&Arts : Le laboratoire du roman. Le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes

Corinne Pierreville

Un romancier en quête de la fin amor. Tours et détours de l’amour dans Le Chevalier au lion

Texte intégral

  • 1 Voir par exemple Margaret Burell, « The Role of amorsseignorie and folie ...

  • 2 Voir en dernier lieu Alain Corbellari, « Âge d’or et sentiment du progrès d...

  • 3 Voir Emmanuèle Baumgartner, Chrétien de Troyes, Yvain, Lancelot, La charret...

1Parler de l’amour dans un roman de Chrétien de Troyes peut paraître une gageure. Vous vous demandez sans doute ce qu’il peut bien rester de nouveau à dire après les multiples articles et ouvrages abordant cette question1. De fait, les critiques ont déjà souvent noté que l’itinéraire d’Yvain pouvait se rapprocher en une sorte de miroir inversé de celui d’Erec, qui oublie les armes dans les bras de sa femme quand Yvain la délaisse sitôt les festivités des noces achevées pour aller tournoyer, l’un et l’autre étant hantés par le spectre d’une même recreantise2. Emmanuèle Baumgartner a par ailleurs montré de manière convaincante que s’il est difficile de rapprocher l’amour adultère peint dans la Charrette de la relation conjugale entre Yvain et sa dame, les deux romans, entre lesquels le poète champenois a voulu créer des jeux d’appels, amplifient l’un et l’autre les mêmes situations et motifs lyriques3. En dépit des échos narratifs unissant ainsi subtilement ses œuvres, il me semble que Chrétien propose dans le Chevalier au lion une réflexion sentimentale qui reste inédite, à la fois dans sa production littéraire et dans la littérature médiévale en général, tant elle renouvelle ce que l’ancien français nommait amor et le degré supérieur de ce sentiment impliqué par l’adjectif fin. C’est à l’exploration de cette fin amor singulière que je vous convie.

Or est Amors tornee a fable (v. 24)

2Que la réflexion sur l’amour soit essentielle dans le Chevalier au lion est une évidence attestée par la présence du terme dès les premiers vers du roman, quand Chrétien évoque l’activité des chevaliers rassemblés à la cour d’Arthur pour parler

d’Amors,
des angoisses et des dolors
et des granz biens qu’orent sovant
li deciple de son covant. (v. 13-16)

3Comme le suggèrent ces vers programmatiques, la tâche que se fixe le romancier consiste à illustrer ce qu’est le véritable amour, ce mélange de bonheur, de tourments et de souffrances qui le caractérise, non pas un amour sans nuage donc, mais un amour tumultueux, douloureux, qui débouche certes sur un bien suprême, mais seulement après avoir traversé des épreuves. Le parcours sentimental d’Yvain et de sa dame se dessine déjà ici.

4Ces vers liminaires tracent également un portrait de l’amant idéal par opposition à l’amant trompeur. Certains de ses contemporains, affirme Chrétien, se vantent d’être amoureux, ils « dient qu’il aiment, mes il mantent » (v. 26). Et ces menteurs ne trahissent peut-être pas seulement les dames, mais eux-mêmes en voulant se convaincre de la vérité des sentiments qu’ils revendiquent. Au temps jadis convoqué par le topos de la laudatio temporis, d’autres au contraire étaient pourvus des plus fines qualités par le simple fait d’aimer et ils devenaient

cortois ...
et preu et large et enorable (v. 21-22)

  • 4 André Le Chapelain, Traité de l’amour courtois, éd. Claude Buridant, Paris,...

5associant ainsi les manières les plus raffinées de la cour à la vertu, au courage inspirateur de prouesse, à la générosité essentielle à l’équilibre féodal, ce qui les rendait dignes d’honneur, d’estime et d’admiration. On retrouve dans ces vers l’un des principes fondamentaux de la fin amor exposé sensiblement à la même période par André le Chapelain dans son Traité de l’amour courtois et chanté depuis presque un siècle par les troubadours4. L’amour idéal pare les amants de mérites et les incite à se surpasser continuellement afin de se rendre dignes de la femme qu’ils aiment grâce à l’excellence de leurs qualités et de leurs exploits.

6Comment la relation sentimentale entre Yvain et la dame de Landuc s’inscrit-elle dans ce programme brièvement esquissé ? Yvain paraît d’emblée appartenir à la catégorie des amants parfaits de jadis dont Chrétien se propose de parler dans l’incipit, puisqu’il vit à l’époque mythique d’Arthur, rejetée dans un chronotope lointain. Il me semble pourtant qu’il n’est pas seulement le modèle de l’amant idéal, mais qu’il unit en lui-même les deux types antagonistes d’amants évoqués dans les vers liminaires, deux types d’amants correspondant à deux stades différents de son apprentissage sentimental, et c’est ce que je vais essayer de montrer à présent.

  • 5 « Son cuer a o soi s’anemie, / s’ainme la rien qui plus le het » (v. 1362-1...

  • 6 « Que sanz prison n’est nus amis / por ç’a droit se prison le clainme / que...

  • 7 Le Chevalier au lion, v. 1533 et 1567-1579.

7Au début du récit, Yvain, encore célibataire, découvre l’amour dans la forteresse de Landuc en s’éprenant de la femme du chevalier qu’il a blessé à mort. Réactualisant les clichés de l’amour courtois, il aime au sens propre son ennemie, la femme qui le hait le plus au monde puisqu’il a tué son époux5. Il n’est pas seulement retenu dans la prison métaphorique d’Amour6, mais aussi concrètement dans le château de Landuc qu’il refuse de quitter en toute discrétion au nom d’Amour et de Honte, l’amour qu’il ressent pour la dame, la honte de ne pouvoir fournir une preuve de sa victoire sur Esclados et de subir à nouveau les railleries du sénéchal Keu7.

  • 8 Voir Edmond Faral, Recherches sur les sources latines des contes et romans ...

  • 9 L’amour en chasseur : vers 1361 ; cf. Ovide, Remedia amoris (Amour est un c...

  • 10 Le désespoir : vers 1427-1429 (« Mes de son voloir se despoire, / car il n...

  • 11 « Estre m’estuet an son dongier / toz jorz mes, des qu’Amors le vialt » (v...

  • 12 Soumission : « Tout a vous m’otroy » (v. 2031) ; « plus vos aim que moy » ...

8Narration et monologues amoureux alternent afin d’évoquer l’innamoramento et ses effets selon une casuistique courtoise aisément identifiable8. Amour, personnifié, pourchasse Yvain pour s’emparer de lui et frappe son cœur d’une blessure dont la gravité s’accroît à proximité de celle qui pourrait le guérir9. Il subit des maux bien connus des amants, le désespoir à l’idée de n’être jamais aimé en retour, l’obsession amoureuse qui l’affaiblit comme une maladie, le renoncement à la raison sous l’emprise de la folie d’aimer10 et il n’est évidemment pas anodin de voir s’esquisser ici le thème de la folie, si essentiel dans le roman. À la manière d’un parfait ami, il accepte la domination exercée sur lui par sa dame et par Amour, sans chercher à lutter contre les sentiments qu’il éprouve11. Quand arrive le moment de déclarer sa flamme, il se soumet aux désirs de la femme aimée et se dit prêt à accepter de mourir de sa main, enchaînant les réponses à ses questions dans des octosyllabes dont le rythme évoque les stichomythies théâtrales12.

9À ce stade du roman, Yvain a prouvé sa maîtrise parfaite du discours courtois et il est persuadé d’aimer la dame de Landuc. Mais Chrétien estime-t-il qu’il l’aime vraiment ? Yvain a-t-il compris ce qu’est le véritable amour ? De menus détails disséminés par le poète champenois dans son texte nous invitent à poser ces questions.

  • 13 Voir par exemple Maurice Accarie, « Faux mariage et vrai mariage dans les ...

10Comme on l’a déjà souvent remarqué13, la scène d’innamoramento du Chevalier au lion est particulièrement originale, car Yvain s’éprend de la veuve d’Esclados alors qu’elle est en deuil, qu’elle pleure, qu’elle lacère sa peau de ses ongles. Or, non seulement il ne ressent pas la moindre culpabilité à la pensée de ce veuvage qu’il lui a imposé, mais il aimerait la voir mettre un terme rapide à ces manifestations de douleur. Et pour quel motif ? Au nom de la compassion qu’il ressent à son égard ? De son inquiétude pour les blessures qu’elle pourrait s’infliger ? Pas le moins du monde. Il souhaite la voir cesser son deuil car elle serait alors une :

...mervoille fine
a esgarder s’ele fust liee. (v. 1490-1491)

Aux yeux d’Yvain, l’expression de ce deuil nuit à la beauté de la dame et au plaisir qu’il prend à l’observer. Voilà un amour manquant singulièrement d’empathie et de sensibilité à la douleur d’autrui.

11Il est par ailleurs surprenant de voir le héros se consoler à l’idée d’aimer une femme à laquelle les circonstances interdisent de répondre à son amour, puisqu’il a tué son époux, grâce au cliché misogyne de la versatilité féminine :

... fame a plus de cent corages.
Celui corage qu’ele a ore
espoir changera ele ancore.
Ainz le changera sanz espoir ! (v. 1438-42)

  • 14 Voir les vers 4408-4409 : « fame, chose avere / de voir dire et de mantir ...

  • 15 « Fame a tost s’amor reprise » (v. 2497).

  • 16 Il est résumé par un proverbe médiéval Cueur de femme est tost mué (Moraws...

  • 17 Voir la contribution d’Estelle Doudet dans la présente publication.

  • 18 Vers 1846.

  • 19 Vers 2643-2660.

12Les remarques misogynes ne détonnent pas dans la bouche du sénéchal de Landuc, personnage antipathique par excellence14, ou de Gauvain qui n’a ici rien du parangon de l’amour courtois et préfère les amourettes sans conséquence15. Mais que le héros du roman s’approprie ce stéréotype sexiste fort ancien16 suggère la superficialité des sentiments qu’il éprouve à ce stade du récit. On est bien loin de la sacralisation de la dame aimée prônée par la fin amor. L’amour qui anime Yvain semble en fait s’apparenter à ce que l’Église médiévale nommait amor, c’est à dire une passion violente, charnelle, qui se confond avec la cupiditas, par opposition à la caritas, l’amour de charité17. Le mariage, conclu en trois jours18, permet d’ailleurs au désir d’être assouvi sitôt éveillé, et l’épouse est quittée deux semaines après les noces pour courir les tournois. Dans ces conditions, est-il vraiment surprenant qu’Yvain ne respecte pas le délai d’un an que sa dame avait fixé à son retour ? Il a beau lui déclarer qu’elle est [s]es cuers et [s]’ame / [s]es biens, [s]a joie et [s]a santez aux vers 2552-2553, il a beau vouloir être un colons au vers 2584 pour la retrouver à sa guise, et le narrateur a beau employer la métaphore du cœur arraché au corps au moment de la séparation des époux19, l’amour qu’Yvain porte à sa dame est pour le moment moins essentiel à ses yeux que sa réputation chevaleresque ou que le compagnonnage guerrier. Ce n’est pas encore pour lui une vertu supérieure à toute autre. Comme l’affirme la messagère de Landuc envoyée à la cour d’Arthur, Yvain

... se feisoit verais amerres,
s’estoit fos souduianz et lerres. (v. 2724-2745)

13Yvain lui-même voulait croire qu’il était un amant idéal, mais dans sa folie, il a trompé la dame pour lui voler son cœur. Il pensait lui porter un parfait amour, mais il a trahi à la fois son épouse et Amour en leur préférant les vains exploits d’un chevalier tournoyeur. En fait, le dire courtois, si présent dans le premier tiers de la narration, n’allait pas de pair avec un attachement d’une qualité exceptionnelle. Pour le poète champenois, il paraît vain que l’amant maîtrise à la perfection le langage amoureux s’il ne correspond pas à une expérience intime de l’amour le plus sublime. Yvain n’aura d’ailleurs plus besoin de ces ornements de style pour implorer le pardon de sa dame à la fin du roman. Il les emploie encore quand il se présente incognito devant elle après avoir remporté le combat contre le sénéchal et ses frères :

Dame, vos enportez la clef,
et la serre et l’escrin avez
ou ma joie est, si nel savez ! (v. 4626-4628)

14L’utilisation de cette casuistique courtoise stéréotypée à ce moment du récit me semble suggérer que le héros n’a encore parcouru que la moitié de l’itinéraire le menant à la perfection amoureuse. Quand il l’a atteint, il n’a plus besoin de ces métaphores précieuses.

N’est ce amors antiere et fine ? (v. 6007)


  • 20 Elle est largement exploitée dans les Métamorphoses d’Ovide, IX, v. 635 et...

  • 21 « Au revenir molt se blasma / de l’an que trespassé avoit, / porcoi sa dam...

15De fait, Yvain n’en reste pas à un échec sentimental. Chrétien a souhaité qu’il découvre lui aussi que l’amour peut devenir un principe de perfectionnement pour un chevalier, mais il doit à cette fin traverser plusieurs épreuves, dont la folie qui concrétise de manière dramatique la métaphore ovidienne amoureuse20, et la haine de soi. Répudié par son épouse pour avoir négligé le délai fixé à son retour, conscient de ses manquements à son égard, Yvain devient fou au sens littéral et quand il recouvre la raison, la prise de conscience aiguë de la faute qu’il a commise l’amène à éprouver aversion et mépris pour lui-même, au point d’envisager le suicide21. Deux interventions extérieures lui permettent alors de briser ce cercle autodestructeur, celle du lion et celle de Lunette.

  • 22 Vers 3500-3513.

  • 23 On comprend mieux ainsi les jeux d’échos qui se tissent entre l’attitude d...

16Le lion qu’Yvain délivre du dragon dans la forêt de Brocéliande ne lui indique pas seulement la voie de l’héroïsme chevaleresque par les valeurs qu’il symbolise, la noblesse, la bravoure, la hardiesse au combat et la détermination à éradiquer le mal. Il incarne aussi un idéal affectif car sa fidélité et son dévouement à l’égard de ce chevalier venu à son secours ne connaissent pas de limites. Il ne cesse de protéger Yvain, de veiller sur lui et de le seconder dans les combats qu’il doit mener. Son abnégation va jusqu’au sacrifice ultime, jusqu’à la volonté de mourir quand il croit son maître mort22. Le lion tend ainsi à Yvain le miroir du véritable attachement affectif, fait de fidélité exemplaire et du don absolu et désintéressé de soi à l’autre23. Double du héros dont il devient l’emblème, il permet aussi à Yvain de se réconcilier avec lui-même et de retrouver l’amour de soi. En effet, si le lion lui voue un amor sans borneChrétien évoque « la grant amor qu’an lui ot » au vers 3449 - Yvain quant à lui aime le lion « autretant … come [s]on cors » (v. 3792), autant que sa propre personne.

17En s’attachant au lion, son double, en vouant de l’affection à cet autre lui-même, Yvain renonce à la haine de soi, à l’autophobie dirait-on aujourd’hui. Le lion lui tend un miroir dans lequel il peut reconnaître ses qualités et réapprendre à s’aimer, processus qui paraît indispensable pour s’ouvrir à l’amour de l’autre. La psychanalyse contemporaine ne désavouerait sans doute pas Chrétien de Troyes quand il suggère que pour aimer véritablement autrui, il faut d’abord être capable de s’aimer soi-même.

  • 24 Voir v. 6799-6800 : « Et Lunete rest molt a eise : / ne li faut chose qui ...

18Lunette, quant à elle, enseigne à Yvain une autre forme d’amor, une amitié exemplaire. Elle est d’une loyauté et d’un dévouement absolus envers lui. Elle l’aide quand il est captif dans la forteresse de Landuc et lui permet d’échapper à ses ennemis en lui remettant un anneau d’invisibilité. Elle déploie des trésors d’ingéniosité afin de satisfaire son inclination naissante pour sa maîtresse et lui permettre de l’épouser. Elle ne formule jamais le moindre reproche ou la moindre plainte à son encontre pour avoir outrepassé le délai fixé par sa dame et provoqué une colère dont elle a dû payer le prix en étant emprisonnée, puis menacée de mort. Elle est prête, elle aussi, à se sacrifier pour lui et préfère mourir sur le bûcher plutôt que de le voir perdre la vie en tentant de la sauver. Elle œuvre enfin inlassablement à le réconcilier avec sa maîtresse. Cette demoiselle qui trouve son bonheur dans le bonheur d’autrui24 incarne l’altruisme par excellence et un sentiment resté inédit dans la littérature médiévale, l’amitié parfaite entre un homme et une femme.

  • 25 Sur l’amitié virile au Moyen Âge, voir Micheline de Combarieu du Grès, L’I...

  • 26 Vers 6278-6282. Voir aussi le vers 4039 : « monseignor Gauvain que j’aim m...

  • 27 « Departir ne le leira / messire Gauvains d’avoec lui. » (v. 2670-2671).

19Les auteurs du Moyen Âge, à l’imitation des auteurs de l’Antiquité, ont souvent chanté l’amitié entre deux hommes. On pense par exemple à la relation entre Roland et Olivier ou Ami et Amile dans la chanson de geste, et à celle de Claris et Laris dans le roman arthurien25. Le compagnonnage guerrier d’Yvain et Gauvain s’avère néanmoins décevant en dépit de leurs revendications d’amitié et d’estime réciproques. Le héros ne cache pas que l’affection qu’il porte à Gauvain est supérieure à toute autre, qu’il l’aime « plus c’ome del monde » et Gauvain, dit-il, l’a « amé toz jorz / et enoré an totes cors »26. C’est pourtant Gauvain qui pousse Yvain à quitter sa dame sitôt après les noces, c’est lui encore qui ne le laisse pas partir à temps pour rentrer à Landuc au bout d’un an et honorer sa promesse27, lui enfin qui n’esquisse pas un geste ou une parole quand Yvain est publiquement pris à parti par la messagère. Rien n’empêchait Gauvain d’intervenir pour préciser devant les chevaliers assemblés qu’il avait lui-même provoqué le retard d’Yvain en l’attirant sans cesse dans de nouveaux tournois. Son silence contraint le héros à endosser seul la responsabilité de cette faute et quand il s’éloigne honteux de l’assistance, les blancs du texte suggèrent que Gauvain ne cherche ni à le rejoindre ni à le réconforter. L’amitié que Gauvain porte à Yvain paraît alors aussi faillible que le soutien et l’amour qu’il promet aux demoiselles dont il croise la route.

  • 28 « Ne por amor qu’[Lunete] a celui [=Yvain] ait. » (v. 1745).

  • 29 « Et cil [=Yvain] qui molt l’[=Lunete] avoit amee » (v. 4388) ; voir aussi...

20La vigilante affection de Lunette n’est en revanche jamais prise en défaut. Parallèlement à la relation amoureuse unissant Yvain et sa dame, le roman me paraît illustrer un autre type de fin amor, un modèle exemplaire d’amitié, de dévouement désintéressé à l’ami, d’autant plus original qu’il ne connaît pas d’équivalent au Moyen Âge. Chrétien a joué sur la polysémie des termes médiévaux pour suggérer la perfection de ce lien amical idéal, car le substantif amour est employé pour évoquer l’attachement de Lunette à Yvain28 et les sentiments que lui porte le héros s’expriment grâce au verbe aimer ou au substantif amie29. On sait que le terme amour en ancien français pouvait s’appliquer à tous les stades de l’attachement, de l’amitié à la passion amoureuse. Je me demande si l’innovation majeure du Chevalier au lion n’est pas d’exposer grâce à Yvain et Lunette un modèle inédit de fin amor, une amitié parfaite, sublime, exemplaire, entre un homme et une femme.

  • 30 Vers 3644-3685.

  • 31 L’échange qu’il a avec Lunette emprisonnée prouve son égocentrisme initial...

  • 32 « Onques traïson vers sa dame / ne fist, ne dist ne ne pansa. » (v. 4432-4...

21Quand Yvain retrouve Lunette emprisonnée dans la chapelle jouxtant la fontaine, il découvre les conséquences dramatiques de sa négligence, la perte de confiance de la dame envers sa conseillère soupçonnée de trahison et le châtiment de mort dont elle est menacée30. Lui venir en aide permet à Yvain de ne plus se focaliser sur sa seule douleur31 et sa victoire dans le combat qui l’oppose au sénéchal et à ses frères prouve publiquement la loyauté de Lunette32. Or si elle n’a pas trahi sa dame en l’incitant à épouser Yvain, cela ne signifie-t-il pas aussi qu’Yvain n’a pas trahi délibérément son épouse en oubliant le délai imparti ?

Joie d’amors qui vient a tart / sanble la vert busche qui art... (v. 2521-2522)


  • 33 v. 3239-3250, 5468-5485, 5693-5764.

  • 34 « Celi que ses cuers voit / en quel que leu qu’ele onques soit » (v. 4339-...

22Il a toutefois commis une double faute envers elle : son absence loin de Landuc et son retard ont blessé son épouse dans l’amour qu’elle lui portait, mais ils l’ont également placée dans une situation critique en tant que suzeraine, puisqu’ils l’ont privée de l’appui chevaleresque que son mariage aurait dû lui fournir. C’est pourquoi Yvain s’engage sur une voie qui lui permet à la fois de prouver la constance de l’amour qu’il porte à son épouse et sa détermination à aider toutes les femmes desconseilliees. Il lui faut se confronter à la souffrance féminine pour comprendre ce qu’a pu éprouver sa dame sans sa présence à ses côtés. Il doit aussi côtoyer ces belles demoiselles pour découvrir la prééminence de l’amour qu’il lui porte. Jamais elle ne saura qu’il est resté d’une fidélité exemplaire en présence de la dame de Norison que tous souhaitent qu’il épouse ou de la fille du seigneur du château de Pesme Aventure en dépit de sa beauté, de la richesse du fief qu’elle apporte en dot et de l’insistance appuyée de son père33. Sans que son épouse le sache, il ne cesse de lui prouver qu’il pense dorénavant toujours à elle, qu’elle occupe toutes ses pensées, où qu’il se trouve34.

23Au terme de son itinéraire chevaleresque, quand Yvain est reconnu l’égal du meilleur chevalier au monde, Gauvain, il réalise enfin que ses faits d’armes détiennent moins de valeur à ses yeux que l’amour. Amour est devenu pour lui essentiel, vital :

...messire Yvains, qui sanz retor
avoit son cuer mis en amor,
vit bien que durer n’i porroit
et por amor an fin morroit,
se sa dame n’avoit merci
de lui qui se moroit ensi. (v. 6501-6506)

  • 35 Vers 6802-6803.

  • 36 Anita Guerreau-Jalabert, « L'amour courtois dans le Lancelot de Chrétien »...

24La sacralisation de l’amour s’est opérée. Amour incarne aux yeux d’Yvain une valeur supérieure à toute autre, il connaît à présent ce qu’est la fin amor, il est devenu monseignor Yvain le fin. Par l’entremise de Lunette qui réussit à briser de ses manœuvres subtiles la prison de rancune où s’était enfermée la dame de Landuc, il se réconcilie pour toujours à son amie chiere et fine35. La fin amor se réalise au sein du couple marié, offrant un nouvel exemple d’« amour courtois conjugal » pour reprendre l’expression utilisée par Anita Guerreau-Jalabert36, mais cette fin amor  n’aurait pu exister sans l’intervention de l’amie idéale incarnée par Lunette, que les derniers vers du roman unissent au couple de manière indissociable :

Or a messire Yvains sa pes,
et poez croire c’onques mes

ne fu de nule rien si liez,
comant qu’il ait esté iriez.

Molt an est a boen chief venuz,
qu’il est amez et chier tenuz

de sa dame et ele de lui.

Ne li sovient de nul enui,

que par la joie l’antroblie

que il a de sa dolce amie.
Et Lunete rest molt a eise :

ne li faut chose qui li pleise,

des qu’ele a fet la pes sanz fin

de monseignor Yvain le fin

et de s’amie chiere et fine. (v. 6789-6803)

25Ce passage nomme dans l’ordre Yvain, sa dame, puis Lunette, avant de conclure sur Yvain et son amie, comme pour suggérer les liens affectifs qui les rapprochent tous trois et le rôle déterminant joué par la demoiselle dans le destin des héros. Sans cette jeune femme généreuse et avisée, l’amour entre Yvain et sa dame n’aurait pu naître. Sans elle, ils n’auraient pu s’épouser, se réconcilier et parvenir à un niveau supérieur d’intimité affective et sentimentale. Si d’autres romans de Chrétien usent d’intercesseurs aidant opportunément les amants, comme la reine Guenièvre ou Thessala dans Cligès, l’amour que Lunette voue à Yvain et à sa suzeraine, le dévouement qu’elle leur manifeste, les sacrifices qu’elle est prête à consentir pour eux n’ont pas d’égal dans la littérature médiévale.

  

  • 37 Vers 6007-6101 ; voir R. Girard, « Love and Hate in Yvain », art. cit.

  • 38 Je rejoindrais alors la conclusion formulée par Alain Corbellari, « Âge d’...

26L’amour au sens médiéval du terme prend ainsi dans le roman des formes multiples, de l’attachement du lion à son maître au compagnonnage guerrier, en passant par l’amitié hétérosexuelle et la passion amoureuse. Mieux encore, Chrétien montre avec une finesse psychologique indéniable que cet amor n’est pas un sentiment figé, mais qu’il évolue et qu’il est susceptible d’une certaine réversibilité puisqu’il peut se changer en haine avant de redevenir amour, comme en témoigne l’amitié entre Yvain et Gauvain, qui se haïssent momentanément lorsqu’un duel les oppose incognito à la cour d’Arthur37. C’est aussi ce qu’atteste l’itinéraire sentimental de la dame de Landuc, qui hait d’abord en Yvain le meurtrier de son mari, qui s’enflamme ensuite pour lui avant même de l’avoir rencontré grâce à sa suprématie chevaleresque, puis lui interdit de jamais reparaître devant lui quand il trahit la parole donnée, avant de lui rendre intact l’amour qu’elle lui portait. Le couple formé par Yvain et sa dame incarne en fait les excès dans lesquels l’amour peut plonger. Au terme des épreuves qu’ils traversent, la folie, la négligence, l’oubli, le doute, la rancune, Yvain et sa dame parviennent à accéder à une fin amor, un amour parfait, une fois que chacun d’eux a triomphé de ses démons intérieurs. Cette fin amor n’a rien d’évident ni de facile, elle apparaît au bout d’un chemin de souffrances, mais contrairement à ce que Lancelot, le parangon de l’amour courtois pourrait faire croire, la fin amor peut aussi s’offrir à un couple faillible, un chevalier préférant les faits d’armes à l’amour, privilégiant le compagnonnage guerrier à la compagnie de sa dame, une femme trop passionnée pour pouvoir pardonner. Chrétien suggère à son auditoire que la perfection amoureuse peut s’apprendre et s’acquérir si le couple s’engage dans cette voie du perfectionnement, mais aussi s’il possède à ses côtés une amie sûre et dévouée, incarnation d’une autre fin amor, l’amitié parfaite. Illustrer la progression sentimentale d’Yvain et de sa dame vers cet amour parfait laisse croire que l’âge d’or de la perfection amoureuse n’est pas seulement une époque révolue mais qu’il pourrait constituer un futur possible non seulement pour les contemporains de Chrétien, mais aussi pour le lecteur moderne38. Tout bien considéré cependant, cette fin amor ne semble pouvoir se réaliser que dans un domaine isolé de la cour d’Arthur par la frontière liquide que constitue sa fontaine magique, comme si aux yeux du poète champenois, le parfait amour n’existait peut-être uniquement que dans l’Autre Monde de la merveille ou de la fiction littéraire.

Notes

1 Voir par exemple Margaret Burell, « The Role of amorsseignorie and folie in Chrétien de Troyes’s Le Chevalier au lion », New Zealand Journal of French Studies, 23, 2, 2002, p. 6-14 ; Armel Hugh Diverres, « Chivalry and fin’amor in Le Chevalier au lion », Studies in Medieval Literature and Languages in Memory of Frederick Whitehead, éd. William Rothwell et al., Manchester, Manchester University Press, 1973, p. 91-116 ; René Girard, « Love and Hate in Yvain », Modernité au Moyen Âge : le défi du passé, éd. Brigitte Cazelles et Charles Méla, Genève, Droz 1990, p. 249-262 ; François Suart, « Les figures du couple dans le Chevalier au lion », Lorraine vivante, Hommage à Jean Lanher, Nancy, 1993, p. 455-460.

2 Voir en dernier lieu Alain Corbellari, « Âge d’or et sentiment du progrès dans le Chevalier au lion », Op. cit. revue de littérature et des arts n° 17, automne 2017, p. 6, § 11 [en ligne : https ://revues.univ-pau.fr/opcit/244] : « On sait que Le Chevalier au Lion est construit en symétrie inverse d’Erec et Enide. Si Erec pèche par excès d’amour et défaut de chevalerie, Yvain, au contraire, péchera par excès de chevalerie et défaut d’amour. »

3 Voir Emmanuèle Baumgartner, Chrétien de Troyes, Yvain, Lancelot, La charrette et le lion, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 19-20 et 59-85.

4 André Le Chapelain, Traité de l’amour courtois, éd. Claude Buridant, Paris, Klincksieck, 1974 et Moshé Lazar, Amour courtois et "fin 'amors" dans la littérature du xiie siècle, Paris, Klincksieck, 1964.

5 « Son cuer a o soi s’anemie, / s’ainme la rien qui plus le het » (v. 1362-1363) et le monologue des vers 1456-1463 : « toz jorz amerai m’anemie [...] / Et doit me ele ami clamer ? / Oïl, voir, por ce que je l’aim. »

6 « Que sanz prison n’est nus amis / por ç’a droit se prison le clainme / que sanz prison n’est nus qui ainme » (v. 1942-1944) ; voir Le Roman d’Enéas, éd. Aimé Petit, Paris, Le Livre de poche, 1997, v. 10051-10053 : « Manderay li com fins amis / en quel destroit ele m’a mis / en sa douce prison serree. »

7 Le Chevalier au lion, v. 1533 et 1567-1579.

8 Voir Edmond Faral, Recherches sur les sources latines des contes et romans courtois du Moyen Âge, Paris, Champion, 1913.

9 L’amour en chasseur : vers 1361 ; cf. Ovide, Remedia amoris (Amour est un chasseur qui tend ses pièges) ainsi qu’Enéas, éd. citée, v. 8060. L’amour blessant : vers 1370-1378. On reconnaît la métaphore de la flèche d’amour passant par les yeux jusqu’au cœur déjà présente chez Catulle, Tibulle, Properce et Ovide, Métamorphoses, I, 468, de la blessure amoureuse et de l’amour médecin (Ovide, Remedia amoris ; Enéas, v. 1502 et 7969-7974).

10 Le désespoir : vers 1427-1429 (« Mes de son voloir se despoire, / car il ne puet cuidier ne croire / que ses voloirs puisse avenir »). La maladie d’amour : vers 1548-1549 (« De l’amor qui en lui s’est mise / le trova trespansé et vain »). La folie d’aimer : vers 1430-1431 (« Por fos me puis tenir / quant je vuel ce que ja n’avrai »).

11 « Estre m’estuet an son dongier / toz jorz mes, des qu’Amors le vialt » (v. 1444-1445) ; « qui Amor en gré ne requialt [...], / felenie et traïson fet. » (v. 1446-1448).

12 Soumission : « Tout a vous m’otroy » (v. 2031) ; « plus vos aim que moy » (v. 2032) ; « pour vous vueil mourir ou vivre » (v. 2034). Sur la forme des réponses, voir Gaston Raynaud de Lage, « Le procédé de la correctio chez Chrétien de Troyes », Centro de Estudos filologicos, Lisbonne, Presses de l’Université de Lisbonne, 1961, t. II, p. 145-149.

13 Voir par exemple Maurice Accarie, « Faux mariage et vrai mariage dans les romans de Chrétien de Troyes », Annales de la faculté des lettres et sciences humaines de Nice, 38, Nice, Presses de l’Université de Nice, 1979, p. 25-35 et en dernier lieu Jean-Marie Fritz qui évoque un « innamoramento singulier, insolite, voire pervers » dans « Le corps dans le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes », Op. cit. revue de littérature et des arts n° 17, automne 2017, p. 10, § 26 [en ligne https ://revues.univ-pau.fr/opcit/244].

14 Voir les vers 4408-4409 : « fame, chose avere / de voir dire et de mantir large ».

15 « Fame a tost s’amor reprise » (v. 2497).

16 Il est résumé par un proverbe médiéval Cueur de femme est tost mué (Morawski 435) et remonte au moins à l’Enéide de Virgile : Varium et mutabile semper femina (IV, 569-570).

17 Voir la contribution d’Estelle Doudet dans la présente publication.

18 Vers 1846.

19 Vers 2643-2660.

20 Elle est largement exploitée dans les Métamorphoses d’Ovide, IX, v. 635 et suiv., XIV, v. 422 et suiv., puis dans le Roman d’Enéas, éd. citée, v. 1391, 1408,1884, 8134, 8211, 8279, etc.

21 « Au revenir molt se blasma / de l’an que trespassé avoit, / porcoi sa dame le haoit, / et dit :’Que fet, quant ne se tue, / cil las qui joie s’est tolue ?’ » ; v. 3534-5 : « Haïr et blasmer et despire / me doi voir molt, et je si faz. » (v. 3522-3526).

22 Vers 3500-3513.

23 On comprend mieux ainsi les jeux d’échos qui se tissent entre l’attitude du lion et celle d’Enide lors de la scène surprenante où l’animal tente de se transpercer avec l’épée de son maître qu’il croit mort. Ses deux personnages si différents vouent à l’homme qu’ils aiment un amour tout aussi exemplaire.

24 Voir v. 6799-6800 : « Et Lunete rest molt a eise : / ne li faut chose qui li pleise ».

25 Sur l’amitié virile au Moyen Âge, voir Micheline de Combarieu du Grès, L’Idéal humain et l’expérience morale chez les héros des chansons de geste (des origines à 1200), Aix, Publications de l’Université de Provence, 1980 ; Regina Hyatte, The Arts of Friendship : the Idealization of Friendship in Medieval and Early Renaissance Literature, New York / Leyde, Brill, 1994 ; Huguette Legros, L’Amitié dans les chansons de geste à l’époque romane, Aix, Publications de l’Université de Provence, 2001.

26 Vers 6278-6282. Voir aussi le vers 4039 : « monseignor Gauvain que j’aim molt » et l’affirmation d’Arthur aux vers 6366-6367 : « Seignor, fet il, antre vos deus / a grant amor ».

27 « Departir ne le leira / messire Gauvains d’avoec lui. » (v. 2670-2671).

28 « Ne por amor qu’[Lunete] a celui [=Yvain] ait. » (v. 1745).

29 « Et cil [=Yvain] qui molt l’[=Lunete] avoit amee » (v. 4388) ; voir aussi les vers 1557, 3638, 3745 et 6685.

30 Vers 3644-3685.

31 L’échange qu’il a avec Lunette emprisonnée prouve son égocentrisme initial puisqu’il ne cesse d’affirmer que sa douleur est supérieure à tout autre alors qu’elle doit mourir pendue ou brûlée vive le lendemain, v. 3601-3603.

32 « Onques traïson vers sa dame / ne fist, ne dist ne ne pansa. » (v. 4432-4433).

33 v. 3239-3250, 5468-5485, 5693-5764.

34 « Celi que ses cuers voit / en quel que leu qu’ele onques soit » (v. 4339-4340) ; « la dame qui avoit / son cuer, et si ne le savoit. » (v. 4577-4578).

35 Vers 6802-6803.

36 Anita Guerreau-Jalabert, « L'amour courtois dans le Lancelot de Chrétien », Amour et chevalerie dans les romans de Chrétien de Troyes, éd. Danielle Quéruel, Besançon, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1995, p. 254.

37 Vers 6007-6101 ; voir R. Girard, « Love and Hate in Yvain », art. cit.

38 Je rejoindrais alors la conclusion formulée par Alain Corbellari, « Âge d’or et sentiment du progrès... », art. cit., p. 11, § 21 : « loin de se livrer, comme les auteurs de l’Antiquité (qu’il espère explicitement mettre au rancard), à la laudatio tempor acti, à l’éloge morose du temps passé, il [= Chrétien de Troyes] montre que l’âge d’or est à la fois l’origine et le but. Si les chevaliers arthuriens l’ont réalisé, c’est qu’il n’est pas utopique de vouloir le faire advenir. »

Pour citer ce document

Corinne Pierreville, «Un romancier en quête de la fin amor. Tours et détours de l’amour dans Le Chevalier au lion», Acta Litt&Arts [En ligne], Acta Litt&Arts, Le laboratoire du roman. Le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes, mis à jour le : 13/02/2018, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/actalittarts/362-un-romancier-en-quete-de-la-fin-amor-tours-et-detours-de-l-amour-dans-le-chevalier-au-lion.

Quelques mots à propos de :  Corinne  Pierreville

Université Jean Moulin – Lyon 3 / CIHAM-UMR 5648