Dossier Acta Litt&Arts : Les enjeux de la 'dispositio' au théâtre: les exemples d''Esther' et 'Athalie'
À propos du titre d’Athalie : sujet, personnages et épisodes dans la tragédie classique
Texte intégral
1Pourquoi la pièce Athalie a-t-elle pour titre « Athalie » ? La question pourrait sembler oiseuse, si Racine ne prenait pas lui-même la peine de justifier le choix de ce titre dans la préface :
1 Jean Racine, Athalie [1691], éd. G. Forestier, Paris, Gallimard, coll. « Fo...
[La tragédie] a pour sujet, Joas reconnu et mis sur le Trône ; et j’aurais dû dans les règles l’intituler Joas. Mais la plupart du monde n’en ayant entendu parler que sous le nom d’Athalie, je n’ai pas jugé à propos de la leur présenter sous un autre titre, puisque d’ailleurs Athalie y joue un personnage si considérable, et que c’est sa mort qui termine la Pièce1.
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2 C’est-à-dire analogue à celui du héros d’une « blague » rendue célèbre par ...
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3 La question du titre à donner à une pièce n’est cependant pas absente des t...
2Les préfaces de Racine ne sont pas toujours explicitement polémiques, mais elles contiennent toujours des remarques qui ne se comprennent que si on les lit comme des réponses à des critiques possibles. La présente remarque, apparemment anodine, sent la culpabilité : par l’accumulation des raisons (trois) et leur hétérogénéité, elle évoque le « plaidoyer dans la logique du chaudron2 ». D’un côté, le choix du titre relève de « règles » (point d’ailleurs obscur : on ne trouve pas de chapitres sur ces « règles » dans la pourtant immense bibliographie sur la « doctrine » et la dramaturgie classique3). De l’autre, il semble n’avoir pas d’importance, puisqu’on peut retenir le « mauvais » titre que d’autres lui ont donné. Surtout, d’un côté c’est Joad qui semble le personnage principal, de l’autre c’est Athalie. La remarque amène donc à s’interroger non seulement sur le sens du titre d’une tragédie de Racine, mais aussi sur la conception que celui-ci a du personnage principal. Cette interrogation ouvre plus largement une réflexion sur le rapport entre scénario et personnages.
Trois conceptions raciniennes du personnage principal d’une tragédie
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4 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 119.
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5 Daniel Heinsius, De constitutione tragoediae. La Constitution de la tragédi...
3La remarque de Racine permet de comprendre la règle qui selon lui fixe le choix du titre : le personnage-titre est le personnage clé du « sujet ». La notion de « sujet » s’inscrit dans la pensée classique de la composition dramatique, fondée sur La Poétique d’Aristote et ses commentateurs, parmi lesquels on peut retenir en particulier, puisque Racine y renvoie dans la préface de La Thébaïde4, Daniel Heinsius (1580-1655), auteur d’une traduction de la Poétique en latin et aussi d’un court traité, De constitutione tragoediae (première édition 1611), où il éclaircit et fait la synthèse de la doctrine d’Aristote sur la tragédie, en l’illustrant par des exemples tirés de Sénèque5.
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6 Aristote, La Poétique, chap. 6, 50a38 et chap. 7, 54b24, éd. et trad. R. Du...
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7 Aristote, La Poétique, chap. 17, 55a22-55b24, trad. cit., p. 93-95. Est don...
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8 D. Heinsius, De constitutione tragoediae, chap. 11, trad. cit. p. 211.
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9 Ibid.
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10 François Hédelin, abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre [1657], livre II...
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11 « Voilà les principales choses, en quoi je me suis un peu éloigné de l’Éco...
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12 Préface de Phèdre, dans Théâtre-poésie, éd. cit., p. 817.
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13 Quand Racine cite quelques mots de Suétone au début de la préface de Bérén...
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14 La mort de Mithridate est l’« action de [s]a tragédie » (préface de Mithri...
4Selon Aristote, l’histoire racontée dans une tragédie (muthos, fabula dans le latin d’Heinsius), histoire qui en est l’« âme », doit être une histoire structurée, un système de faits (sunthesis tón pragmatón), une « action (praxis) qui va à son terme6 ». La méthode d’écriture consiste à choisir un sujet (logos, argumentum), à dessiner à partir de ce sujet la base du scénario, ce qu’Aristote appelle le schéma général (to katholon) ; ensuite il faut « nommer » les personnages, et enfin développer le scénario par l’introduction des épisodes (episodeia) en ayant soin que ceux-là soient appropriés7. Heinsius utilise le mot fabula pour parler du schéma général et le définit comme une « action nue, sans aucun ornement ni épisode » (« actio nudam, simplicem, ac sine ullo ornemento, sine ullo episodio8 »). L’image de la nudité et le terme ornementum fait penser que le schéma général est à la construction finale ce qu’est le langage simple est au langage figuré. Heinsius utilise les mots constitutio et constituere pour désigner la base du scénario, mais aussi le scénario complet (le schéma général enrichi des épisodes, formant la dispositio Tragica9). L’abbé d’Aubignac utilise deux mots pour éviter l’ambiguïté : « constitution de la Fable » et « Composition de la Tragédie » (la « disposition » une fois ajoutés les épisodes10). Pour la seconde notion, Racine reprend le mot classique gréco-latin « économie de la Fable11 » ou parle de la « conduite de l’action12 ». Pour la première, c’est le mot « action » qu’il semble avoir choisi13, même si parfois il emploie « action » dans un sens proche de « sujet14 ».
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15 D. Heinsius, De constitutione tragoediae, chap. 11, trad. cit., p. 212-213.
5Le sujet d’Athalie, c’est une révolution politique, engendrée par la mise au jour d’un héritier légitime inconnu jusqu’alors. Le personnage-clé en est Joad. La base du scénario est : Joad est sauvé du massacre, il est élevé sous un faux nom, on révèle son identité, on le couronne, il devient roi à la place d’Athalie. Ce schéma ne correspond qu’à une petite partie de la pièce : les récits de l’acte I, les quatre premières scènes de l’acte IV et les deux toutes dernières scènes. Tout ce qui concerne Athalie, à part sa mort finale, relève des épisodes (et de l’invention de Racine) : rêve, première intrusion au Temple où elle voit l’enfant du rêve, demande de rencontrer l’enfant puis de le faire amener auprès d’elle, seconde entrée dans le Temple où elle est prise au piège. La pièce suit la règle tirée d’Aristote par Heinsius, selon laquelle les épisodes peuvent entrer dans le nœud (connexio), mais pas dans le dénouement (solutio) qui doit revenir dans son entier au schéma général15.
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16 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 629-630 : « l’entreprise » « fut e...
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17 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 559.
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18 Dans la préface de Bajazet : « les particularités de la mort de Bajazet » ...
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19 Préface d’Andromaque, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 298.
6Mithridate s’appelle « Mithridate » parce qu’elle a pour « action » la « mort de Mithridate » (causé par le projet de passer en Italie, épisode que Racine dit avoir trouvé dans l’Histoire même16). Bajazet s’appelle « Bajazet » parce qu’elle a pour sujet la « mort de Bajazet », avec quelques épisodes inventés : Racine dit qu’il en a changé « quelques circonstances17 ». « Circonstances », « particularités18 » semblent renvoyer dans le vocabulaire de Racine aux épisodes, qu’on peut « altérer », où l’on peut opérer des « changements », et ainsi « accommoder la Fable [au] sujet », en opposition au « principal fondement d’une Fable », le schéma général qu’on ne peut modifier19.
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20 Passim : voir « Renversement » dans l’index d’Aristote, La Poétique, éd. c...
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21 Voir par exemple l’exemple du schéma général d’une Iphigénie à fin heureus...
7Athalie devrait s’appeler « Joas », parce que celui-ci est le personnage du sujet, celui qui passe du bonheur au malheur, renversement qui définit le genre selon Aristote (métabolê, mutatio actionis20), mais, à la différence de Mithridate et Bajazet, le malheur est évité au dernier moment, selon un type de pièce enregistré par Aristote21 et qui autorise aux auteurs classiques la tragédie à fin heureuse, comme le Cinna de Corneille par exemple.
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22 Préface de Britannicus, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 373.
8Athalie dans la pièce, dit Racine, « joue un personnage » « considérable ». Voilà une deuxième conception du personnage principal, plus difficile à cerner. De fait, on voit bien que le personnage-titre n’est pas toujours le personnage le plus « considérable ». Britannicus a pour sujet la « mort de Britannicus », sa mort en est le « dénouement », il est le « Héros d[e la] Tragédie » selon Racine22, d’où le titre de la pièce. Britannicus n’est pas pour cela un « grand rôle » et les protagonistes en sont avec évidence Néron et Agrippine. Cette évidence mériterait cependant d’être élucider : qu’est-ce qui fait un « grand rôle » ?
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23 Décompte repris de celui du site de l’Obvil (http://obvil.lip6.fr/Dramagra...
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24 Franco Moretti a analysé de cette façon Phèdre dans « “Operationalizing”: ...
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25 Site de l’Obvil, page internet citée.
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26 Étienne Souriau, Les Deux Cent Mille Situations dramatiques, Paris, Flamma...
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27 Marc Douguet, La Composition dramatique. La liaison des scènes dans le thé...
9L’apparent bon sens ou le désir d’une démarche « scientifique » a amené à des tentatives d’approches quantitatives : tableau de présence sur scène des personnages (nombres de scènes), nombre de vers de leur rôle, etc. Récemment ont été utilisés des logiciels. Athalie est présente dans sept scènes, peu devant Joas qui en a six ; Joad et Josabeth la dépassent largement en présence scénique (dix-sept et quinze). Son rôle occupe quatorze pour cent du texte contre seulement quatre pour cent pour Joas, mais elle arrive bien derrière Joad (vingt-huit pour cent) et guère devant Abdner (douze pour cent23). Si l’on suivait le critère du volume du rôle, la pièce devrait s’appeler « Joad ». Franco Moretti, maître des « humanités numériques », a proposé une nouvelle approche, définissant le protagoniste par sa centralité dans les interactions24. Dans le graphe d’Athalie, c’est encore Joad le protagoniste et Joas, le rôle-titre, y apparaît comme très périphérique25. Pourtant, on ne peut spontanément s’étonner que la pièce ne s’appelle pas « Joad » (qu’on l’admire comme un prophète michelangelesque pareil aux grandes statues des façades d’église baroque ou qu’on le déteste, comme le feront les Lumières, en le voyant comme un fanatique). Pour comprendre cela, peut-être faut-il recourir à la notion dramaturgique de « point de vue », notion avancée autrefois par Étienne Souriau26, peu utilisée depuis, mais récemment remise en valeur par une importance thèse sur la dramaturgie classique27. La scène de confidence, le monologue sont des moments où l’on entre dans l’âme du personnage, analogues aux passages de romans en focalisation interne ou en style indirect libre ; ils font partager le point de vue d’un personnage privilégié. Même s’il n’y a pas de vrais monologues dans Athalie, il y a bien des personnages « opaques » et d’autres « transparents ». Joad fait assurément partie des premiers et un monologue délibératif de lui, même court, l’aurait rendu plus humain. Dans le théâtre classique, quelques mots suffisent parfois à découvrir le cœur d’un personnage : c’est ce qu’on pourrait appeler les « cris du cœur ». Un des plus beaux est dans la fin du Tartuffe, où Molière a trouvé l’idée de faire s’écrier à Dorine : « Que le Ciel soit loué ! » (V, 7, v. 1945). Le seul personnage qui remercie pieusement Dieu au dénouement est celui dont la libre parole pouvait jusque là faire croire qu’il était libertin. C’est par un cri du cœur qu’Athalie, racontant le trouble qui a été jusqu’à lui faire prier Baal, révèle ses convictions libertines, épicuriennes si l’on ose dire : « Que ne peut la frayeur sur l’esprit des mortels ! » (II, 5, v. 524). Même cri du cœur, mais naïf et stupide, d’Abner, à la fin, déclarant sa fidélité à Athalie par un « Dieu m’est témoin… » (V, 5, v. 1739) qui rend celle-ci forcément furieuse. Confidences, monologues et cris du cœur constituent un « zoom » sur l’intériorité d’un personnage, ils ne suffisent pas à faire de ce dernier le personnage de premier rang.
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28 Jacques Scherer, La Dramaturgie classique en France au xviie siècle, Paris...
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29 Nous n’argumentons pas ce point : nous l’avons fait dans « Les personnages...
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30 Même si cet ordre n’est pas celui de la hiérarchie des rôles, qu’il mêle h...
10Jacques Scherer a proposé une analyse moins mécaniquement quantitative du « grand rôle » en montrant qu’un personnage pouvait être valorisé de deux façons opposée, par une présence massive de l’acteur sur scène (« héros prodigué » comme dans les « pièces à vedettes ») ou par une entrée retardée suscitant l’attente (« héros rare28 »). Un rôle de premier rang peut être soit celui d’un personnage présent dans la première et la dernière scène et dans beaucoup de scènes au cours de la pièce (cas d’Agrippine, cas aussi de Joad), soit celui d’un personnage apparaissant après l’exposition, au second acte (Néron en II, 1, cas fréquent ; Athalie seulement en II, 3). Mais la recherche du « premier rôle » est d’ailleurs peut-être illusoire : dans les tragédies classiques, le premier plan n’est pas composé d’un unique protagoniste, mais (comme dans les opéras du xixe siècle) d’un quatuor, à la structure-type bien établie : deux premiers rôles féminins opposés (la « dame » et la jeune femme, l’épouse et la fille à marier, la noble et la passionnée…) et deux premiers rôles masculins opposés (l’homme mûr et le jeune homme, le roi et le héros…). Cette structure est liée à la structure même de la troupe classique-type et les pièces qui échappent à cette construction sont des exceptions (Polyeucte chez Corneille, Bérénice chez Racine) qui trouvent leur explication dans l’histoire des troupes29. Ce sont les noms de ces quatre personnages qui sont souvent en tête des listes des personnages qui ouvrent le texte des pièces30. Mais les contraintes qui valent pour une pièce écrite pour une troupe professionnelle n’existent pas pour une pièce scolaire comme Athalie (comme le montre dans l’écriture même de la pièce l’appel massif à la figuration et l’existence de rôles minuscules, comme celui d’Agar par exemple, réduit à cinq vers, II, 3).
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31 Préface de La Thébaïde, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 120 (...
11Si pour Racine Athalie « joue un personnage » « considérable », ce n’est pas parce qu’elle joue le rôle le plus long ou occupe beaucoup la scène, mais parce qu’elle joue le rôle principal dans la chaîne des épisodes. De même, dans Cinna ou la clémence d’Auguste, Auguste est le personnage clé du sujet et Cinna le personnage clé de l’épisode. Par rapport au sujet, elle reste cependant un personnage épisodique, ce que Racine appelle un « second personnage31 ».
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32 Aristote, La Poétique, chap. 13, trad. cit., p. 77-79.
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33 ,J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 373. Sur ce point, Racine renvoie...
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34 Le « caractère » de Phèdre « a toutes les qualités qu’Aristote demande dan...
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35 Pour qu’il ne suscite pas « beaucoup plus d’indignation que de pitié », « ...
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36 Préface à Andromaque, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 197-198.
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37 Préface d’Iphigénie, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 698.
12La lecture des préfaces de Racine montre qu’il y a une troisième conception du personnage principal. Le « Héros de la Tragédie » est celui qui déclenche la terreur et surtout la pitié, et qui donc, conformément à l’analyse d’Aristote, n’est ni entièrement bon ni entièrement méchant32 : selon les « sentiments d’Aristote sur le Héros de la Tragédie », « bien loin d’être parfait », il doit « toujours » avoir « quelques imperfections », selon les mots de la préface de Britannicus33. Dans cette pièce, le héros tragique qui suscite la pitié est Britannicus (dont les fautes s’expliquent par la jeunesse) : ici le personnage-clé du sujet correspond au héros tragique. Pour Phèdre et Hippolyte, bien que la pièce soit rebaptisée Phèdre tout court à partir de 1687, Phèdre naturellement34, mais aussi Hippolyte, par une modification du caractère traditionnel dont se loue Racine35, sont des héros ni bons ni méchants pouvant susciter la pitié. En revanche, pour d’autres pièces, Racine donne comme « héros tragiques » un personnage qui n’est pas le rôle-titre. Dans Andromaque, c’est Pyrrhus : Racine se justifie d’en avoir adouci un peu la « férocité » tout en en faisant pas une « Héros parfait » : « […] Aristote bien éloigné de nous demander des Héros parfaits, veut au contraire que les Personnages tragiques, c’est-à-dire ceux dont le malheur fait la catastrophe de la Tragédie, ne soient ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants36 ». Andromaque serait donc le personnage clé du sujet, sans être le personnage clé du dénouement. Dans Iphigénie, ce n’est pas non plus le personnage titre « qui mérite en quelque façon d’être punie, sans être pourtant tout à fait indigne de compassion », mais Ériphile37.
Construction du scénario et construction des personnages
13Personnage clé du sujet, personnage clé des épisodes, personnage pathétique, voilà trois conceptions du personnage principal, dont la possible non concordance n’est pas sans poser des problèmes dramaturgiques.
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38 Textes de Saint-Évremond réunis dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., ...
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39 J. Scherer, La Dramaturgie classique…, op. cit., I, I, I-4, p. 19-33
14La concurrence entre le personnage clé du sujet et un personnage jouant un rôle « considérable » dans les épisodes fait courir le risque de faire prendre l’épisode pour le sujet lui-même. C’est le problème qu’a couru Racine dans Alexandre : il a dû réponde aux critiques qui lui reprochaient d’avoir donné un trop beau rôle à Porus, abaissant ainsi le Grand Alexandre et faisant trop de place aux mollesses de l’amour38. Le sujet de la pièce est la générosité d’Alexandre, le sujet est donc le même que celui de Cinna. Dans les deux pièces l’épisode est amoureux et une lecture galante risque donc de faire lire ces pièces comme traitant non le sujet héroïque de l’acte de générosité exemplaire, mais le sujet des amants séparés, qui ne relève que de l’épisode. La comédie, du point de vue aristotélicien, se définit comme un renversement inverse de celui de la tragédie, du malheur au bonheur, mais, depuis la Renaissance, elle se définit aussi comme traitant le sujet des amants séparés, le mariage en étant le dénouement. Ce sujet « comique » est aussi à la base des genres modernes que sont la pastorale et la tragi-comédie. Il devient à partir du début du xviie siècle un ingrédient obligé de la tragédie (que l’histoire d’amour soit à fin heureuse ou non). Dans ses Discours, Corneille théoricien prend soin de ne faire des amours (fictifs) de Cinna et d’Émilie que des éléments construisant une chaîne d’événements aboutissant au dénouement héroïque, mais en appelant sa pièce Cinna ou la clémence d’Auguste, il n’a pas caché la dualité de la pièce. De même, Boyer avait appelé en 1648 une pièce sur le thème que reprendra Racine, Porus ou la Générosité d’Alexandre. Un lecteur sentimental d’aujourd’hui pourra facilement croire que Cinna raconte une histoire d’amour. Ce contresens est peu coupable : Jacques Scherer le fait lui-même quand il rend compte, au tout début de son grand livre, de la « structure interne de la pièce » classique en la réduisant pour tous les genres, tragédie comprise, au conflit entre le « héros » plein de « charme » et des « obstacles » incarnés par le père et le roi39.
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40 Préface de Britannicus, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 374.
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41 Préface de Britannicus, version revue de 1675, dans J. Racine, Racine, Thé...
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42 Georges Forestier, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre [1996...
15La dualité d’Alexandre ou de Cinna n’a guère d’importance dans la mesure où le dénouement amoureux heureux s’identifie au dénouement politique heureux et en apparaît comme le complément, comme ce qui en rend l’« action complète40 ». Il en est de même pour Britannicus, où les deux dénouements malheureux s’identifient : Racine admet lui-même que sa « Tragédie n’est pas moins la disgrâce d’Agrippine que la mort de Britannicus41 ». Un déséquilibre tend en revanche à apparaître quand la pièce joint un dénouement malheureux à un autre heureux : dans Athalie, le dénouement malheureux (mort d’Athalie) ne concerne pas le personnage clé du sujet (Joas). Racine semble même dissocier « sujet » et dénouement en rappelant que c’est la mort d’Athalie qui « termine la Pièce ». Cette dissociation est d’autant plus frappante que sujet et dénouement chez Corneille s’identifient, selon l’analyse devenue classique qu’a faite de ses textes théoriques Georges Forestier. Ce dernier a montré comment l’analyse aristotélicienne était à la base de la théorie dramaturgique que Corneille développe dans ses Discours et ses Examens, et il a révolutionné la compréhension du théâtre de Corneille, et aussi de Racine, en montrant que l’on pouvait reconstituer le processus créateur des dramaturges classiques, qui construisaient leur tragédie « à rebours », en partant du « sujet », c’est-à-dire du dénouement, et en construisant une chaîne d’événements aboutissant à lui42.
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43 Aristote, La Poétique, chap. 13, trad. cit., p. 77-79.
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44 Selon Aristote (chap. 18), les tragédies simples (celles qui ne s’ornent p...
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45 Préface de Phèdre, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 817.
16Le cas des tragédies contenant un double dénouement, heureux pour les bons et malheureux pour les méchants, a été prévu par Aristote, qui parle de « structure double » (diploun) et qui condamne fermement celle-ci, comme donnant le plaisir de la comédie et non celui de la tragédie43. Cette structure double est celle d’Athalie, c’est aussi celle d’Andromaque et d’Iphigénie. On comprend alors pourquoi Racine insiste sur le caractère tragique de Pyrrhus et d’Ériphile : il s’agit, tout en utilisant une « structure double », d’éviter la faute dénoncée par Aristote, en « sauvant » la crainte et la pitié. Andromaque et Iphigénie sont d’une vertu exemplaire et peuvent être au centre de ce que Heinsius appelle une tragédie « morale44 ». Mais, même s’ils connaissent le risque d’un grand malheur, ils ne sont pas des « héros tragiques », c’est-à-dire qu’ils ne sont pas des personnages capables de susciter crainte et pitié, ce qui supposerait qu’ils ne soient ni complétement bons ni complétement méchants. Il en est de même dans Athalie : Joad étant pur et innocent, pour qu’Athalie soit vraiment une tragédie, il faut qu’Athalie soit un « Héros de tragédie », c’est-à-dire ne soit pas une absolue scélérate. Dans Phèdre, Racine rendait « un peu moins odieuse » son héroïne en reportant une partie de la faute sur la nourrice45 ; dans Athalie, le scélérat Mathan a la même utilité. En tout cas, à la question « Doit-on avoir pitié d’Athalie ? », il est sûr qu’il faut répondre oui.
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46 Racine (attribué à), « Sur la Judith de Boyer », dans J. Racine, Théâtre-p...
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47 Voir ici même Oufae El Mansouri, « Les défauts de composition d’Athalie à ...
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48 Roland Barthes, Sur Racine, Paris, Seuil, 1963, p. 129.
17Cette solution dramaturgique comporte évidemment un risque, que Racine connaît très bien. Il en a fait le cœur d’une épigramme contre un de ses rivaux, Boyer, et justement à propos d’une tragédie biblique. Pour montrer le ratage à la fois esthétique et moral de la pièce, il y met en scène un financier imbécile qui pleure non sur Judith, mais sur Holopherne : « Si méchamment mis à mort par Judith46 ». Voltaire verra le même ratage dans Athalie et appliquera à cette dernière les vers de Racine contre Boyer47. On sait qu’au xxe siècle encore Roland Barthes notera ce ratage, mais pour y voir une contradiction entre l’éthique de Racine et son esthétique, intéressante en ce qu’elle dévoile le « noyau même de la subjectivité racinienne48 ».
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49 Victor Chklovski, « Comment est fait Don Quichotte », dans Sur la théorie ...
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50 Voir les notices de ces éditions dans la Bibliothèque de la Pléiade de Rac...
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51 Gérard Genette, « Vraisemblance et motivation », article de 1968 repris da...
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52 Jean de Guardia, Poétique de Molière. Comédie et répétition, Genève, Droz,...
18Ratage ou suprême réussite, le caractère d’Athalie est en tout cas lié à un point de la doctrine aristotélicienne. Faut-il pour cela aller jusqu’à avancer le paradoxe que le personnage est entièrement le fruit de cette contrainte ? Ce paradoxe à vrai dire n’en est plus un depuis longtemps. Les formalistes russes purent concevoir le prétendu caractère du personnage comme la simple conséquence du « sujet » (сюжет) et de ses « procédés », c’est-à-dire de la construction de l’œuvre, en tant qu’elle s’oppose à la matière (la « fable », фабула49). Dans le même esprit, G. Forestier50 a brillamment montré que la construction du personnage du théâtre classique était souvent l’accumulation des « motivations » (au sens de G. Genette51) du scénario, si du moins on met à part la comédie de caractère, où la construction du personnage peut entraîner la construction de l’œuvre52.
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53 Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Par...
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54 « Le personnage est le support, la base de l’art dramatique. Il est le vér...
19Doit-on pourtant céder au « démon de la théorie » et s’éloigner aussi bien du « sens commun53 » que des grands connaisseurs du théâtre, comme Louis Jouvet, qui faisaient au contraire du personnage le cœur de l’« art dramatique 54 » ?
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55 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 192 (« son caractère a plu ») et p...
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56 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 443, p. 444.
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57 Voir « Peindre » dans l’index d’Aristote, La Poétique, éd. cit., p. 435.
20Ce serait faire peu de cas de la place que donne Racine aux « caractères » de ses personnages dans ses préfaces. Dans celles d’Alexandre et de Mithridate, il se flatte des « caractères » qui ont « plu55 ». Celle de Britannicus dans la version de 1675 ne parle même qu’indirectement du scénario et se consacre entièrement à la question de la peinture des personnages. Racine s’y loue d’avoir fait une « peinture » « de la Cour d’Agrippine et de Néron », d’avoir « copié [s]es Personnages d’après le plus grand Peintre de l’Antiquité », Tacite, puis il passe en revue les personnages, notant au passage comment ils forment système (« J’ai choisi Burrhus pour opposer un honnête homme à cette Peste de Cour », c’est-à-dire à Narcisse56). Aristote déjà accordait une grande importance à la comparaison avec les portraits des peintres57.
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58 Aristote, La Poétique, chap. 15, 50a7-37, trad. cit., p. 54-57.
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59 Passage référencé note 7.
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60 D. Heinsius, De constitutione tragoediae, chap. 9, trad. cit., p. 211-213....
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61 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 629. Dans son Art poétique, Horace...
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62 Aristote dit que l’épisode doit être « approprié » (La Poétique, 55b15). L...
21Ce serait peut-être aussi donner de La Poétique d’Aristote une lecture restrictive. Certes Aristote formule nettement le primat de l’agencement des faits sur les caractères58, mais la place qu’il donne à la construction du personnage dans la méthode d’écriture qu’il propose doit être notée. Après avoir composé le schéma général, mais avant d’ajouter les épisodes, il faut « nommer les personnages59 ». Cette étape peut paraître insignifiante, sauf si l’on comprend, comme Heinsius le fait60, que donner un nom signifie ici choisir un caractère. On pense à la préface de Mithridate, qui s’ouvre par le rappel du « nom » du personnage-titre, c’est-à-dire de son caractère exceptionnel transmis par la fama61. Dans l’interprétation de Heinsius, le choix du caractère est une étape qui précède l’élaboration du scénario lui-même, c’est-à-dire l’ajout des épisodes62. Cette interprétation a l’intérêt de rendre compte de la construction de La Poétique, où le chapitre sur les caractères, le chapitre 15, est inséré au sein des chapitres traitant de l’histoire (chap. 7-18) et non mis à leur suite, comme le sont l’expression et la pensée.
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63 Roger Planchon, mise en scène couplée d’Athalie et de Dom Juan, TNP de Vil...
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64 Titre de l’édition de 1607.
22Si Racine a suivi Heinsius, fixer le caractère d’Athalie a donc succédé au choix du sujet et de la base du scénario, mais a précédé la construction du scénario complet et l’a conditionné. Athalie est une reine impitoyable, mais qui reste une femme à l’esprit fragile ; elle est surtout une « esprit fort » qui défie Dieu, le pendant féminin de Don Juan, une « reine méchante femme63 ». La pièce est une peinture de ce caractère, elle est même à travers les différents autres personnages une peinture des différents aspects de la foi. Athalie peint les divers rapports des hommes à Dieu, comme L’Astrée peint les « divers effets de l’amour64 ».
Notes
1 Jean Racine, Athalie [1691], éd. G. Forestier, Paris, Gallimard, coll. « Folio Théâtre », 2001, p. 33 ; p. 1010 dans Jean Racine, Théâtre-poésie, éd. G. Forestier, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999.
2 C’est-à-dire analogue à celui du héros d’une « blague » rendue célèbre par Freud, rapportée à la fois dans L’Interprétation du rêve et Le Trait d'esprit et sa relation à l'inconscient. La formule citée a été forgée par Jacques Derrida, Résistance de la psychanalyse, Paris, Galilée, 1996, p. 19.
3 La question du titre à donner à une pièce n’est cependant pas absente des textes des anciens érudits. Évanthius (rapporté par Donat, De comedia excerpta, VI, 4) donne les quatre façons que Térence a de donner un titre à une comédie : le nom d’un personnage, un personnage désigné par son gentilé (locus), la situation initiale (factum), l’événement raconté (eventus). La justesse de certains titres de pièces anciennes a pu aussi donner lieu à des discussions : voir les discussions de Scaliger et de Heinsius sur le titre des tragédies attribuées à Sénèque, résumées par le P. Brunoy dans la préface à La Troade de Sénèque (Théâtre des Grecs, nouvelle édition, t. VIII, Paris, Cussac, 1787, p. 104-107).
4 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 119.
5 Daniel Heinsius, De constitutione tragoediae. La Constitution de la tragédie dite « La Poétique d'Heinsius », éd. et trad. A. Duprat, Genève, Droz, coll. « Travaux du Grand Siècle », 2001.
6 Aristote, La Poétique, chap. 6, 50a38 et chap. 7, 54b24, éd. et trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot, Paris, Seuil, 1980, p. 57 et p. 59.
7 Aristote, La Poétique, chap. 17, 55a22-55b24, trad. cit., p. 93-95. Est donné l’exemple du schéma général d’une Iphigénie. Heinsius donne lui le schéma général, puis les épisodes, des Troyennes de Sénèque (trad. cit., p. 212-213).
8 D. Heinsius, De constitutione tragoediae, chap. 11, trad. cit. p. 211.
9 Ibid.
10 François Hédelin, abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre [1657], livre III, chap. 5, éd. H. Baby, Paris, Honoré Champion, p. 339 : « La Composition de la Tragédie n'est autre chose, que la disposition des Actes et des Scènes, c'est‑à‑dire des Épisodes, qui se doivent selon Aristote ajouter à la Constitution de la Fable pour la remplir et lui donner sa juste grandeur, en quoi souvent consiste la plus grande beauté du Poème , comme c'est le plus grand art du Poète ; car un même sujet, c’est-à-dire une même constitution de fable, sans en altérer le fond, l’ordre ni le succès, peut avoir une disposition d’Actes et de Scènes si différentes, c’est-à-dire les Épisodes si différemment ordonnés, qu’on en ferait une tragédie fort bonne, et une fort mauvaise. »
11 « Voilà les principales choses, en quoi je me suis un peu éloigné de l’Économie de la Fable d’Euripide. », préface d’Iphigénie, dans Théâtre-poésie, éd. cit., p. 699.
12 Préface de Phèdre, dans Théâtre-poésie, éd. cit., p. 817.
13 Quand Racine cite quelques mots de Suétone au début de la préface de Bérénice, il les donne comme l’« Action » utilisée dans sa tragédie (J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 450). C’est le schéma général, sans le personnage épisodique d’Antiochus.
14 La mort de Mithridate est l’« action de [s]a tragédie » (préface de Mithridate, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. citée, p. 629).
15 D. Heinsius, De constitutione tragoediae, chap. 11, trad. cit., p. 212-213.
16 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 629-630 : « l’entreprise » « fut en partie cause de sa Mort, qui est l’action de ma tragédie. J’ai encore lié ce dessein de plus près à mon sujet, et je m’en suis servi pour faire connaître à Mithridate les secrets sentiments de ses deux fils » (c’est-à-dire que l’épisode participe aussi de la reconnaissance du dénouement).
17 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 559.
18 Dans la préface de Bajazet : « les particularités de la mort de Bajazet » ; dans celle d’Iphigénie : les poètes antiques « ne s’accordent pas tous ensemble sur les plus importantes particularités » (Théâtre-poésie, éd. cit., respectivement p. 559 et p. 697).
19 Préface d’Andromaque, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 298.
20 Passim : voir « Renversement » dans l’index d’Aristote, La Poétique, éd. cit., p. 439.
21 Voir par exemple l’exemple du schéma général d’une Iphigénie à fin heureuse, Aristote, La Poétique, 55a34-55b12, trad. cit., p. 92-95.
22 Préface de Britannicus, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 373.
23 Décompte repris de celui du site de l’Obvil (http://obvil.lip6.fr/Dramagraph/?play=racine_athalie).
24 Franco Moretti a analysé de cette façon Phèdre dans « “Operationalizing”: or, the function of measurement in modern literary theory », Pamphlets of the Stanford Literay Lab, n° 6, december 2013, [en ligne : https://litlab.stanford.edu/LiteraryLabPamphlet6.pdf], repris sous le titre, « “L’opérationnalisation” ou, du rôle de la mesure dans la théorie littéraire moderne », trad. V. Leÿs, dans La Littérature au laboratoire, dir. Franco Moretti, Ithaque, coll. « Theoria Incognita », 2016, p. 93-112. Ce type de recherche est repris en France : voir Frédéric Glorieux et Marc Douguet, Dramagraph [http://obvil.paris-sorbonne.fr/developpements/dramagraph]. Un numéro récent de la Revue d'Historiographie du Théâtre est consacré au thème « Études théâtrales et humanités numériques » (dir. I. Galleron, 2017-4, [http://sht.asso.fr/revue/etudes-theatrales-et-humanites-numeriques/]).
25 Site de l’Obvil, page internet citée.
26 Étienne Souriau, Les Deux Cent Mille Situations dramatiques, Paris, Flammarion, 1950. L’auteur parle des « ressources du point de vue » et montre que d’une même situation en dérivent plusieurs différentes selon le point de vue (voir notamment p. 236-239).
27 Marc Douguet, La Composition dramatique. La liaison des scènes dans le théâtre français du xviie siècle, thèse de doctorat de l’université de Paris 8 dirigée par M. Escola, soutenue le 11 mai 2015 : voir le chapitre 1 de la seconde partie, p. 399 sqq., où l’auteur analyse les « rapports focaux » entre deux scènes qui se suivent, par exemple entre une scène de confidence et une « scène de confrontation ».
28 Jacques Scherer, La Dramaturgie classique en France au xviie siècle, Paris, A. G. Nizet, s.d. [1950], I, I, III, p. 23‑30.
29 Nous n’argumentons pas ce point : nous l’avons fait dans « Les personnages de Corneille et la structure de la troupe professionnelle française au xviie siècle », dans Héros ou personnages ? Le personnel du théâtre de Pierre Corneille, dir. Myriam Dufour-Maître, Rouen, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2013, p. 35-49, et dans « Le théâtre classique et l’“âge du rôle” », Recherches & Travaux, n° 86, 2015, p. 67-81 (voir surtout p. 76‑77).
30 Même si cet ordre n’est pas celui de la hiérarchie des rôles, qu’il mêle hiérarchie sociale et hiérarchie actantielle, et qu’il regroupe souvent rôles masculins et rôles féminins. Pour Britannicus : Néron, Britannicus, Agrippine, Junie, etc. Pour Iphigénie : Agamemnon, Achille, Ulysse, Clytemnestre, Iphigénie, etc. Pour Phèdre : Thésée, Phèdre, Hyppolyte, Aricie, etc.
31 Préface de La Thébaïde, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 120 (« jeter l’amour sur un des seconds personnages » : les amours d’Hémon et d’Antigone, épisode du sujet du combat d’Étéocle et de Polynice).
32 Aristote, La Poétique, chap. 13, trad. cit., p. 77-79.
33 ,J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 373. Sur ce point, Racine renvoie à la préface d’Andromaque.
34 Le « caractère » de Phèdre « a toutes les qualités qu’Aristote demande dans le Héros de la Tragédie, et qui sont propres à exciter la Compassion et la Terreur. En effet Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocence. » (J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 817).
35 Pour qu’il ne suscite pas « beaucoup plus d’indignation que de pitié », « J’ai cru devoir lui donner quelques faiblesse qui le rendrait un peu coupable envers son père » (J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 818).
36 Préface à Andromaque, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 197-198.
37 Préface d’Iphigénie, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 698.
38 Textes de Saint-Évremond réunis dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 181-189. Sur la question de la tragédie galante, voir Carine Barbafieri, Atrée et Céladon. La galanterie dans le théâtre tragique de la France classique (1634-1702), Rennes, PUR, 2006.
39 J. Scherer, La Dramaturgie classique…, op. cit., I, I, I-4, p. 19-33
40 Préface de Britannicus, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 374.
41 Préface de Britannicus, version revue de 1675, dans J. Racine, Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 444.
42 Georges Forestier, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre [1996], Genève, Droz, 2004.
43 Aristote, La Poétique, chap. 13, trad. cit., p. 77-79.
44 Selon Aristote (chap. 18), les tragédies simples (celles qui ne s’ornent pas d’une reconnaissance et d’un dénouement) peuvent valoir cependant comme tragédies « pathétiques », comme tragédies « éthiques », ou comme tragédies spectaculaires (opsis). On peut comprendre que la tragédie « éthique » (éthikè) est une tragédie « de caractère », comme on dit « comédie de caractère », c’est-à-dire qui vaut moins pour son scénario que pour la psychologie de ses personnages. Mais pour Heinsius, la tragédie « éthique » (morata) est celle qui met en scène « un homme excellent ou vertueux qui puisse servir d’exemple de tel ou tel caractère », tel Énée, image de la piété (chap. 9, trad. cit., p. 216-217).
45 Préface de Phèdre, dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 817.
46 Racine (attribué à), « Sur la Judith de Boyer », dans J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 1104.
47 Voir ici même Oufae El Mansouri, « Les défauts de composition d’Athalie à la lumière de la critique du xviiie siècle ».
48 Roland Barthes, Sur Racine, Paris, Seuil, 1963, p. 129.
49 Victor Chklovski, « Comment est fait Don Quichotte », dans Sur la théorie de la prose [1929], trad. G. Verret, Lausanne, L'Âge d'Homme, 1973.
50 Voir les notices de ces éditions dans la Bibliothèque de la Pléiade de Racine et Molière.
51 Gérard Genette, « Vraisemblance et motivation », article de 1968 repris dans Figures II [1969], Paris, Seuil, coll. « Points », 1976, p. 71-99.
52 Jean de Guardia, Poétique de Molière. Comédie et répétition, Genève, Droz, 2007.
53 Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Seuil, 1998. On notera d’ailleurs les signes d’un « retour au personnage » dans la théorie littéraire elle-même : voir par exemple Vincent Jouve, L’Effet-personnage dans le roman, Paris, PUF, 1992 (le personnage comme « support d’investissements inconscients »), et Françoise Lavocat, Fait et fiction. Pour une frontière, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2016 (rôle de l’« empathie » dans la fiction). Boris Tomachevsky proposait déjà en 1925 de prendre en compte la « teinte émotionnelle » particulière qui caractérise le héros et de voir en quoi elle relevait d’une « construction esthétique » (« Thématique », dans Théorie de la littérature. Textes des Formalistes russes, éd. et trad. Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 1965, p. 295, rééd. coll. « Points », 2001, p. 300).
54 « Le personnage est le support, la base de l’art dramatique. Il est le véritable révélateur de l’acte du théâtre, le seul précipité de cette opération étrange. Tout ce qui existe et subsiste d’une représentation tient dans le nom d’un acteur, quand on a oublié le nom du personnage. Titre, action, intrigue d’une pièce, échappent peu à peu à la mémoire des spectateurs. Seuls restent de ces songes auxquels ils ont participé les traits et le souvenir d’un type, d’un personnage ou d’un héros. » (Louis Jouvet, «Le royaume des “imaginaires” », dans Témoignages sur le théâtre [1952], Paris, Flammarion, coll. « Champs arts », 2009, p. 225). Il est vrai qu’il faut distinguer le processus de création de l’œuvre et le processus de sélection qui la retient comme mémorable : on peut donner un modèle abstrait du premier, on ne peut que partir du constat empirique pour le second (voir Claude Lévi-Strauss, « La structure et la forme. Réflexions sur un ouvrage de Vladimir Propp », Anthropologie structurale deux, Paris, Plon, 1973, p. 139-173).
55 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 192 (« son caractère a plu ») et p. 689 (« caractère qui n’a pas déplu », préface revue de 1675).
56 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 443, p. 444.
57 Voir « Peindre » dans l’index d’Aristote, La Poétique, éd. cit., p. 435.
58 Aristote, La Poétique, chap. 15, 50a7-37, trad. cit., p. 54-57.
59 Passage référencé note 7.
60 D. Heinsius, De constitutione tragoediae, chap. 9, trad. cit., p. 211-213. La méthode (ratio) est : 1. construction générale de l’action (disponere ac delineare actionem), 2. construction du personnage avec son caractère et ses passions en se mettant à sa place (de personis cogitare, habitus mentis ac affectus induere), 3. introduction de l’épisode.
61 J. Racine, Théâtre-poésie, éd. cit., p. 629. Dans son Art poétique, Horace demande de conserver aux personnages mythologiques le caractère que leur attribue la fama, la tradition (v. 119-124).
62 Aristote dit que l’épisode doit être « approprié » (La Poétique, 55b15). L’est-il à l’histoire de base ou au personnage ? Heinsius les veut « apta ut Fabulae », insérés « apte et pro rebus » (trad. cit., p. 210), appropriés au schéma général, à ce qui est en jeu. Castelvetro comprend quant à lui que les épisodes doivent être adaptés aux personnages : « il convenevole dell’episodio, il quale convenevole si trahe delle personne » (Poetica d’Aristotele vulgarizzata et sposta, Vienne, Gaspar Stainhfer, 1570, commentaire à la « particella » 18, fol. 211 vo). Il interprète l’imposition du nom comme le passage du schéma général (« l’universale »), possiblement commun à plusieurs tragédies et personnages, ou scénario particulier. Les commentateurs s’opposent encore aujourd’hui sur ce sujet : voir état de la question dans Aristote, La Poétique, éd. cit., p. 288, note 9.
63 Roger Planchon, mise en scène couplée d’Athalie et de Dom Juan, TNP de Villeurbanne, 1980.
64 Titre de l’édition de 1607.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Jean-Yves Vialleton
Université Grenoble Alpes – UMR Litt&Arts / RARE Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution