Dossier Acta Litt&Arts : Épreuves de l'étranger
Traduire Gérard Macé : Prose
Texte intégral
Traduction Kohei Kuwada – Rétrotraduction Jacques Lévy
Traduction : Kohei Kuwada
近きアフリカ
コンラッドに言わせれば、闇の奥。
多くの人間にとっては暗黒大陸。
前人未到の地だったアフリカは、その後、暗く神秘的な土地だと思われてきた。そして、忘れ去られることはないものの、文明の歴史において特異な地位を占めてきた。実際、病気や災厄や一見すると奇妙な慣習のために、アフリカは文明の歴史では引き立て役でしかなかったのだ。中世の時代とおなじく、アフリカは仄暗く不明瞭なものと思われてきたが、現実には光と色で溢れている。ちょうど中世が生き生きと多彩な時代であったように。
さらに悪いことに、アフリカには歴史がないと言われている。書かれた歴史がないからだ。だから私はまずエチオピアへと向かったのだった。古代からエチオピアには文字があった。おそらく紅海を通ってアラビア半島から伝播したのだろう。エチオピアで4世紀に公認されたキリスト教はローマとは関係なく、旧約聖書に忠実で、ユダヤ教を決して否認しなかった。エチオピアは、アレクサンドリアとつながりをもちながら、目と精神を喜ばせる挿絵入写本と教会画のおかげで、現在まで完全に独自の歴史を歩んできたのだ。写本は、西欧におけるラテン語と同様、典礼言語としてのみ残る死語のゲーズ語で書かれたものだった。
ここでひとつの問いが浮かんでくる。なぜ文字は、エジプトやエチオピアから、サハラ以南のアフリカに伝播しなかったのか。
偉大な発明品が入ってこなかった人口過疎のアフリカ大陸にあって、大きな交易路から離れていたサハラ以南の地方では、文字は未知のものだった、時折、そのようにやや性急に言われることがある。だがそれは、移民を除いたとしても、サヘル地域はアラブ世界と交流があったこと、さらには、奴隷貿易よりもずっと以前に商品を奴隷と交換する商隊がコーランを持ち込んでいたことを忘れている。それにまた、インド洋を通して貝貨(有名なあの「宝貝」)が入ってきたように、時に予期せぬ仕方でアジアからの影響を受けてきたことも忘れている。1730年、スネルグレイヴという名の旅行者は、サヘル地域一帯でマレー人に出会ったことを報告している。マレー人たちはアフリカ人たちを前に、彼らの要求に応じて、文字を書いていたということだ。こうして書かれた原稿を現地人たちは護符として、幸せのお守りのように、あるいは、権力の印のように肌身放さなかった。18世紀末にはムンゴ・パークが、水に溶かした原稿が魔法の飲み物になるという光景に出くわすことになる。それから100年後のカメルーン西部では、王(スルタン)ンジョヤが、自分の発明した文字を水のなかに溶かし、ほとんど消えかかっている文字を臣下たちに飲ませている。時代も場所も異なるものの、この二つのよく似たエピソードが示しているのは、われわれ自身もよく知る、文字との魔術的な関係性である。教会ラテン語や薬屋のギリシャ語は言うまでもなく、神の意志を表すといわれた聖刻文字ヒエログリフに対する奇妙な解読や、失われた宗教の発見だという見解を思い起こせばよいだろう。後にシャンポリオンはそうした偽の神秘性をきれいさっぱり払拭することになるのだが。
文字を持たないことは、それが必ずしも選択されたわけではない場合、われわれの興味をかりたてる複雑な現象だといえる。なぜなら、それは人類全体に関わる現象であるからだ。古代サンスクリット語や8世紀までの日本語が書き言葉ではなかったことを思い出してもらいたい。また、文字のない言語のほうが、今なお多数であることも思い出してもらいたい。つまり文字の導入--それは報告することが難しい事象だが--は、極めて重要な人類学的事象であり、自民族中心主義に陥らず、また、何かしらの線的な発展のヴィジョンを持ちさえしなければ、人類の歴史について多くを教えてくれることだろう。われわれは複数の時代を同時に生きているのであり、いみじくもバルトが言ったように、われわれの多くはまだ「ヴォルテール以前の」心性を持っているのだから。
文字との魔術的な関係性は残り続けているものの、消滅するかもしれないという危機感にわれわれはとりつかれている。教育が記号とのかかわり方を変えてしまったアフリカにおいても儀礼や秘儀のようなものは残り続けており、それらはわれわれにとってまったく未知のものというわけではない。話し言葉が好都合なのは、言葉を向ける相手を選べるからだ。書かれた文書は万人の手にわたる可能性がある。話し言葉は仲間内にとどまる。文字であれば法の効力を遠くまで及ぼせるし、支配領域を広げることができるが、しかしまた、その崩壊を早めることにもなるのだ。
レジスタンス、地下活動家、人に追われる立場の人間は、自分を危険に巻き込んでしまうかもしれない書類を用心深く咀嚼して飲み込んだものだった。暗記している分にはその内容は不可視であり、不可侵である。それに、どれほど多くの囚人や詩人が、自分を生かしてくれるはずのもの、あるいは自分を生き延びさせてくれるはずのものを自分自身の(あるいは近親者の)記憶力に委ねたことだろう。
まるで親切な手が導いてくれたように、偶然、ピエール・ベタンクールの次のような寓話が私の目に入った。
「わたしは水の入った瓶に、妻が残した最後のことばを入れたのだった。まもなく黒い文字は溶けていき、水は泥のような色になった。数年後、戸棚のなかにその瓶を見つけると、水は蒸発していたが、瓶の底では文字がもとの姿に戻っていた。」
ベタンクールは王(スルタン)ンジョヤのことを耳にしたことはなかったし、ンジョヤはベタンクールの存在など考えたこともなかったが、二人に同じ想像力が働いたおかげで、旅をするのと同じように、われわれはアフリカに近づくことができるのだ。
Rétrotraduction : Jacques Lévy
PROCHE AFRIQUE
Pour Conrad, le cœur des ténèbres.
Le continent noir pour beaucoup.
Jadis impénétrable, l’Afrique a par la suite été tenue pour une terre sombre et mystérieuse. Et, bien que son existence n’ait jamais été complètement omise, elle a toujours occupé une place à part dans l’histoire de la civilisation. L’Afrique ne lui aura en fait servi que de faire-valoir par ses maladies, ses catastrophes et ses coutumes à première vue étranges. À l’instar du Moyen Âge, on l’a crue obscure alors que, tout comme l’était justement le Moyen Âge, elle est emplie de lumière et de couleurs.
Pis, on prétend que l’Afrique n’a pas d’histoire. Parce que celle-ci n’est pas écrite. C’est la raison pour laquelle je m’étais d’abord rendu en Éthiopie. L’écriture y existait depuis l’Antiquité, transmise probablement de la péninsule Arabique par la mer Rouge. Adopté au quatrième siècle sans passer par Rome, son christianisme était fidèle à l’Ancien Testament et ne rejetait aucunement le judaïsme. C’est grâce à ses relations avec Alexandrie et ses manuscrits enluminés, véritable plaisir pour l’œil et l’esprit, que l’Éthiopie a pu jouir jusqu’à aujourd’hui d’une histoire propre. Ces textes étaient écrits en ge’ez, langue morte préservée, comme pour le latin en Occident, uniquement dans la liturgie.
C’est alors que se pose une question. Pourquoi l’écriture n’a-t-elle pas été transmise à l’Afrique subsaharienne depuis l’Égypte et l’Éthiopie ?
L’écriture est restée chose inconnue parce que les grandes inventions n’ont pu être introduites dans ce continent dépeuplé, situé à l’écart des grands axes commerciaux, s’empresse-t-on parfois de répondre. Mais cela revient à oublier que, même s’il n’y eut pas de migration, le Sahel avait des échanges avec le monde arabe et que, bien avant l’époque de la traite des Noirs, des caravanes qui échangeaient leurs marchandises contre des esclaves y avaient introduit le Coran. Et également à ne pas tenir compte de l’influence exercée par l’Asie sous des formes inattendues, comme l’introduction via l’océan Indien de ces coquillages qui servirent de monnaie d’échange primitive (les fameuses « porcelaines »). En 1730, un voyageur répondant au nom de Snelgrave rapporte qu’il a rencontré dans le Sahel des Malais qui traçaient des lettres à la demande des indigènes. Lesquels les portaient sur eux en guise de talisman, de porte-bonheur ou encore de marque de puissance. À la fin du dix-huitième siècle, Mungo Park assistait à une cérémonie au cours de laquelle des écrits étaient jetés dans l’eau pour en tirer une potion magique. Puis, cent ans plus tard, dans l’ouest du Cameroun, le sultan Njoya faisait également tremper dans l’eau les lettres qu’il venait d’inventer pour les donner à boire à ses sujets pendant qu’elles s’effaçaient. Similaires bien qu’elles se soient produites à des dates et dans des contrées éloignées les unes des autres, ces deux anecdotes témoignent d’une relation magique à la lettre qui ne nous est pas étrangère : sans même évoquer les cas du latin de l’Église ou du grec du pharmacien, il suffit de nous rappeler les curieuses interprétations que nous faisions des hiéroglyphes, en croyant y lire les traces d’une religion perdue, l’expression d’une volonté divine – autant de faux mystères que Champollion n’allait pas tarder à balayer d’un trait.
L’absence d’écriture, quand elle n’est pas le résultat d’un choix délibéré, est un phénomène complexe qui ne peut que nous intriguer. Il concerne en effet l’ensemble de l’humanité. Que l’on se souvienne que l’ancien sanscrit et le japonais avant le huitième siècle n’étaient pas des langues écrites. Et aussi que les langues sans écriture sont encore aujourd’hui majoritaires. L’adoption d’une écriture – même s’il est difficile d’en rendre compte avec précision – est un fait anthropologique essentiel qui, pourvu que l’on ne tombe pas dans l’ethnocentrisme et se garde d’une vision linéaire du développement, renseigne beaucoup sur l’histoire de l’humanité. Car nous vivons plusieurs époques simultanément et que, comme le disait avec justesse Barthes, nous sommes encore nombreux à vivre avec une mentalité « pré-voltairienne ».
La relation magique à l’écriture a beau continuer à exister, nous n’en sommes pas moins hantés par la crainte de sa disparition. En Afrique où l’éducation a transformé la relation au signe, on rencontre encore des pratiques qui s’apparentent à des rites ou des mystères, et celles-ci ne nous sont pas totalement inconnues. La parole a notre préférence parce qu’elle nous permet de choisir notre interlocuteur. Le texte écrit risque, lui, de passer entre toutes les mains. La parole reste entre nous. L’écriture permet, en asseyant au loin le pouvoir de la loi, d’étendre un empire, mais elle peut tout aussi bien en précipiter la chute.
Les résistants, les clandestins, les proscrits n’hésitaient pas, par précaution, à avaler les textes susceptibles de les compromettre. Pourvu qu’ils les retinssent par cœur, leur contenu demeurait invisible, inviolable. Combien de prisonniers ou de poètes n’ont-ils pas confié à leur mémoire (ou à celle de leurs proches) ce qui devait leur assurer la vie ou la survie ?
Comme guidé par une main gracieuse, je suis tombé sur cet apologue de Pierre Bettencourt :
« J’avais plongé dans une bouteille emplie d’eau les derniers mots de ma femme. Les lettres noires s’étaient aussitôt délayées dans l’eau qui avait alors pris une teinte boueuse. Quand, quelques années plus tard, je retrouvais la bouteille sur l’étagère, l’eau s’était évaporée et les lettres déposées en son fond avaient recouvert leur forme première. »
Sans doute Bettencourt n’avait-il jamais entendu parler de l’histoire du sultan Njoya, ni ce dernier songé à son existence, mais, par le travail de leur imagination commune, nous pouvons nous rapprocher de l’Afrique comme si nous y voyagions.
Traduction Midori Ogawa – Rétrotraduction Thierry Maré
Traduction : Midori Ogawa
近くにあるアフリカ
コンラッドにとっての闇の奥
われわれ多くにとってのブラック・アフリカ
単にその存在がないがしろにされなくとも、かつて不可侵とされていたアフリカは、いまなお暗然としたもの、不可解なものとみなされ、文明の歴史のなかで別扱いされ続けている。だが、実のところ、それはアフリカ独自の病気や災害、奇異にみえる風俗が際立っているにすぎず、暗黒呼ばわりされた中世が光に溢れ精彩豊かであったのと同様、実際のアフリカは生き生きとして、多種多様な色彩をもっている。
さらに事態を深刻にしているのが、その歴史が記述されていないために、アフリカは歴史を持っていないとおもわれている点だ。だからわたしはまずエチオピアを訪ねることにした。おそらくは紅海を渡ってアラビア半島沿いに伝来したのであろう、エチオピアでは古代から文字が知られていた。ローマの手を借りることなく四世紀にキリスト教に帰依したエチオピアは、旧約聖書に忠実で、ユダヤ教を否認することもなかった。完全に自立したその歴史は今日まで続いているが、目も心も喜ばせてくれる教会壁画や装飾写本という点で、アレクサンドリアと関係をもっている。
だが、ここでひとつ疑問が生じる。エジプトやエチオピアを起点として、なぜ文字文化はサハラ以南アフリカに伝播しなかったのか、という疑問である。
主要な陸路や交流地点から遠く離れたああした場所、重要な発明が伝わることのなかった人口過疎のあの大陸に文字など存在しなかった、と人は性急に考えがちだ。しかし、それは、民族の移動はともかく、サヘル地帯がアラブ世界とつながっていた事実や、奴隷協定が結ばれるずっと以前から、商品と引き換えに奴隷を運ぶ隊商がコーランをもたらしたという事実を忘れてしまうことだ。加えて、インド洋を渡って貝殻形の通貨(有名なキイロダカラ貝のことだ)を伝来させたアジアが、ときに予想外の形で影響を与えていたという事実を無視することにもなろう。アフリカ人たちの目の前で、ときには彼らの頼みに応じて文字を書いていたマレーシア人たちにサヘル地帯で出会った、と一七三〇年、スネルグレイヴという旅行家は伝えている。こうした手書きの文字を原住民たちは護符とし、お守りや権力の証として身につけていた。また、同じ一八世紀の末、水で溶かした文字が魔法の飲み物へと変化する場面にムンゴ・パークは出くわした。さらにその百年後、カメルーン西部で国王ンジョーヤは、発明したばかりの文字を水に溶かし、その消えかかった文字を臣民たちに飲ませるだろう。時間的・空間的な隔たりにもかかわらず、互いによく似たこのふたつのエピソードは、われわれもよく知るところの文字との不可思議な関係を示している。教会のラテン語や薬剤師のギリシア語は言うに及ばずとも、シャンポリオンの登場によっていつわりの謎が解明される前にヒエログリフに対してなされた数々の奇想天外な解釈、天命か、はたまた失われた宗教の啓示をあらわした聖なる文字であるというような解釈を思い起こすだけで十分であろう。
文字の不在は、たとえ選択によるものでないにせよ、それがひとつの現象であることは確かであり、人類全体に関わる以上、その現象の複雑さはわれわれの興味をひいてしかるべきである。古代におけるサンスクリット語の例や、日本語が八世紀まで文字をもたない言語であったことを思い出してほしい。そしてまた、こんにちでも文字をもたない言語が多くあることも。文字の適用は、たとえそれ自身説明し難いものであっても、本質的で人類学的な事実であり、自民族中心主義に安座せず、進歩などという線状的な見方を放棄する限りにおいて、われわれ自身の歴史について多くを教えてくれる。複数の時代を生きるわれわれにとって、それはなおさら重要だ。われわれの多くがいまだ「ヴォルテール以前の」精神性のままだ、こうバルトが正鵠を射る発言をしていたではないか。
文字との魔術的な関係はこんにちでも存在し、文字が消滅することへの不安はわれわれにつきまとう。教育を通じて文字記号との関係が変化したアフリカでも、いまだに秘技伝授や秘密にかかわる何かが存在し続けているし、それはわれわれにとっても完全に無関係ではない。対話者を選ぶ際にわれわれは話しことば(パロール)を優先するが、文字で書かれた文書は誰の手にも渡りうる。われわれは話しことば(パロール)を使って仲間うちの関係を維持するその一方で、書き言葉を使って支配を広げ、帝国の境界線を拡張することができる。ただし、そこにはみずからの滅亡を早める危険も孕んではいるが。
抵抗者(レジスタン)や密航者、祖国を追われた人々は、みずからの身を危うくしかねない文書を用心から呑み込んだ。心に暗記したものなら、誰の目にも触れず、それを侵すことはできない。だからこそ、多くの囚人や詩人たちが、彼らを生かしてくれるもの、あるいは生き続けることを可能にするものを、彼ら自身(あるいは近親者)の記憶に委ねたのである。
神の手に導かれたかのような偶然のはからいによって、つい最近、ピエール・ベッタンクールの次の寓話を見つけた。
「妻の最後の言葉が書かれた紙を、わたしは水の入った瓶の中に入れた。黒い文字はすぐさま溶け出し、水は泥色になった。数年後、棚に置かれた瓶を見てみると、水は蒸発していて、瓶の底には文字たちが元の姿を取り戻していた。」
ベッタンクールはンジョーヤ王の話を伝え聞いたことがないだろうし、王にしても、ベッタンクールの出現を予知したわけではなかったものの、ふたりに共有されたこの想像力のおかげで、われわれはまさに、旅するのと同じように、アフリカに近づくことができるのだ。
Rétrotraduction : Thierry Maré
PROCHE EST L’AFRIQUE
Pour Conrad le cœur des ténèbres
Pour la plupart d’entre nous l’Afrique noire
Quand son existence n’est pas simplement négligée, l’Afrique, autrefois dite impénétrable, est encore aujourd’hui traitée comme une poche d’obscurité, inintelligible dans l’histoire de la civilisation. Mais à la vérité, c’est que les maladies et les calamités qui lui sont propres, ses coutumes à l’air bizarre n’en apparaissent qu’avec plus de relief et, de même que le Moyen Âge qualifié de ténébreux débordait de lumière et d’éclat, l’Afrique est en réalité bien vivante, riche en toute sorte de couleurs.
Pour aggraver encore la situation, puisque son histoire n’a pas été notée, on croit que l’Afrique n’en a pas. C’est pourquoi j’ai d’abord voulu visiter l’Éthiopie. Probablement arrivée par la mer Rouge après avoir longé la péninsule Arabique, l’écriture y était connue dès l’Antiquité. L’Éthiopie n’avait pas eu besoin de Rome pour embrasser le christianisme au quatrième siècle, tout en restant fidèle à l’Ancien Testament et sans renier le judaïsme. Parfaitement indépendante, son histoire continue jusqu’à nos jours mais, pour la joie des yeux aussi bien que du cœur, les peintures murales de ses églises et ses manuscrits enluminés la rattachent à Alexandrie.
Ici toutefois s’élève une interrogation. À partir de l’Égypte et de l’Éthiopie, pourquoi l’écriture ne s’est-elle pas transmise au sud du Sahara ?
Trop éloigné des principales routes terrestres et des centres de circulation, manquant la diffusion des principales découvertes, le continent n’avait rien connu de l’écriture, incline-t-on trop vite à penser. Sans même parler des migrations de peuple, c’est oublier pourtant les liaisons avérées du Sahel avec le monde arabe et que, bien avant l’établissement des conventions sur l’esclavage, des caravanes trafiquant les esclaves contre des marchandises y avaient amené le Coran. C’est en outre négliger le fait qu’à travers l’océan Indien des monnaies sous forme de coquillage (les célèbres cauris) avaient été introduites d’Asie, dont l’influence prenait à l’occasion des formes insoupçonnées. Sous les yeux des Africains, parfois à leur demande, on rencontrait dans les régions du Sahel des Malais qui traçaient des lettres, rapporte en 1730 le voyageur Snelgrave. Ces inscriptions manuscrites servaient aux indigènes d’amulettes, de talismans, de gages de pouvoir à porter sur soi. De même, toujours à la fin du XVIIIe siècle, faisait-on dissoudre des lettres dans l’eau pour fabriquer un breuvage magique, dans une scène à laquelle assista Mungo Park. Cent ans plus tard encore, dans l’ouest du Cameroun, le roi Njoya ferait délayer dans l’eau l’écriture qu’il venait d’inventer, puis la donnerait à boire à ses sujets, à demi effacée. Malgré leur distance dans l’espace et le temps, ces deux épisodes se ressemblent beaucoup et révèlent les mystérieuses relations qu’entretiennent avec nous ces lettres si bien connues. Sans aller jusqu’au latin d’église ou au grec des pharmaciens, rappelons seulement qu’avant que Champollion n’entre en scène pour en élucider les fallacieuses énigmes, les hiéroglyphes, objet de multiples interprétations extravagantes, étaient pris pour une écriture sacrée où s’exposait la destinée, voire la révélation d’une religion perdue.
L’absence d’écriture, quand bien même elle n’aurait pas été choisie, est par elle-même un phénomène qui concerne à coup sûr l’humanité entière et dont la complexité doit en conséquence attirer notre intérêt. Qu’on se souvienne du sanscrit dans les temps anciens, par exemple, et qu’avant le VIIIe siècle le japonais n’était pas une langue écrite.
Ou que, de nos jours encore, nombreuses sont les langues non écrites. Quoique en elle-même difficile à expliquer, l’adoption de l’écriture est un fait anthropologique essentiel qui, pour peu qu’on refuse le confort de l’ethnocentrisme et qu’on abandonne un point de vue aussi linéaire que celui du progrès, a beaucoup à nous apprendre sur notre propre histoire. Pour qui vit plusieurs époques à la fois, comme nous tous, cette importance est plus grande encore. Beaucoup d’entre nous gardent une mentalité « pré-voltairienne » : par ces mots, Barthes ne mettait-il pas dans le mille ?
La relation entre écriture et magie persiste jusqu’à nos jours et l’angoisse nous hante à l’idée d’une disparition des lettres. Même si l’éducation y a changé la relation aux signes écrits, quelque chose demeure en Afrique qui tient à la transmission initiatique aussi bien qu’au secret et ne nous est pas totalement étranger. Au moment de choisir un interlocuteur nous privilégions la parole, alors qu’un texte écrit peut passer par n’importe quelles mains. C’est au moyen de la parole que se maintiennent les liens du groupe, quand l’écrit sert à accroître la domination et à repousser plus loin la frontière des empires. Quitte à hâter le risque de leur perte.
Les résistants et les clandestins, ceux qu’on chassait de leur patrie avalaient par prudence les écrits qui les auraient mis en danger. Ce qu’on apprend par cœur n’est livré aux yeux de personne et ne peut être violé. C’est précisément pourquoi tant de prisonniers et de poètes ont confié à leur propre mémoire (ou à celle de leurs proches) ce qui les faisait vivre ou leur permettait de continuer à vivre.
Comme guidée par la main d’un dieu, la sollicitude du hasard, tout récemment, m’a mis sous les yeux cette fable de Pierre Bettencourt :
« Le papier sur lequel étaient écrits les derniers mots de ma femme, je l’ai mis dans un vase rempli d’eau. Les lettres noires aussitôt se sont dissoutes, l’eau devint couleur de boue. Quelques années plus tard, sur l’étagère où ce vase était posé, j’ai vu que l’eau s’était évaporée tandis qu’au fond les lettres avaient repris leur forme d’origine. »
Bettencourt n’avait sans doute jamais entendu parler du roi Njoya, pas plus que le roi, pour sa part, ne prévoyait l’apparition de Bettencourt : pourtant, grâce à la puissance de leur imagination commune, exactement comme en voyage, nous nous rapprochons de l’Afrique.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Kohei Kuwada
Traduction français-japonais
Du même auteur
Quelques mots à propos de : Jacques Lévy
Rétrotraduction japonais-français
Du même auteur
Quelques mots à propos de : Midori Ogawa
Traduction français-japonais
Du même auteur
Quelques mots à propos de : Thierry Maré
Rétrotraduction japonais-français