Dossier Acta Litt&Arts : Les mondes des bergers

Denis Hüe

Le métier d’Abel

Texte intégral

1Si l’on revient au commencement, les activités humaines sont peu nombreuses :

  • 1 Gn, 3, 18.

  • 2 On suivra généralement le texte de la Vulgate Clémentine et, sauf mention c...

2Adam est chargé de gagner son pain à la sueur de son front, Ève enfante dans la douleur. Il est possible de nuancer davantage : le sol sera maudit pour Adam, produira des épines et des ronces – j’ai appris à cette occasion que le mot latin pour les ronces est tribulus1, dont on connaît la famille, y compris dans l’emploi religieux de la Tribulation : ce qui est dévolu à Adam, c’est le douloureux travail de la terre, auquel s’adonnera à sa suite Caïn. On me pardonnera de suivre ici pour le détail du mot la Vulgate, qui fondera la pensée médiévale, plus que le texte hébraïque ou les traductions modernes2.

  • 3 Gn 4, 3.

3Dieu donne aux humains pécheurs des vêtements en peau de bêtes, tunicas pelliceas : l’homme est donc, dès le départ, légitimé à se vêtir de peaux, à tuer les animaux, ce qui lui est plus aisé semble-t-il que de cultiver la terre. On peut voir aujourd’hui dans ces versets3 la nostalgie d’une société paléolithique de cueillette obligée de se tourner, à cause de l’explosion démographique, vers une civilisation de culture : la Bible écrit à sa manière le mythe de l’Âge d’Or, dont la seule certitude est qu’il est derrière nous.

  • 4 Gn, 4, 2.

  • 5 וַתֹּסֶף לָלֶדֶת, אֶת-אָחִיו אֶת-הָבֶל ; וַיְהִי-הֶבֶל, רֹעֵה צֹאן, וְקַיִן...

4Mais les choses vont au-delà, et c’est davantage ce qui nous retiendra ici : la deuxième génération, celle d’Abel et de Caïn, est plus tranchée encore. Caïn, le fils aîné, est agricola4, cultivateur, alors que l’autre, cadet, est pastor ovium, berger de brebis : une telle formulation est pléonastique en français, puisque le berbecarius étymologiquement paît les ovins et eux seuls. C’est la première apparition de ces deux mots si importants dans la Bible – il est vrai que nous sommes au début du texte. Le recours au texte massorétique de la Bible montre que Jérôme a été très fidèle dans sa traduction, les mots utilisés signifiant Abel pasteur de menu bétail, et Caïn cultiva la terre5. Mais ils sont importants en ce que l’homme apparaît, dès la deuxième génération, non plus en situation de cueilleur, mais bien dans une maîtrise des deux facettes essentielles de l’agriculture.

  • 6 Gn, 4, 3 ; Gn 4, 5.

5Caïn offre à Dieu ses productions, qui n’ont pas encore de valeur positive, production d’agriculteur dont le texte latin dit seulement offerret Cain de fructibus terræ munera Domino. Abel offre de son côté les premiers-nés de son troupeau et leur graisse : Abel quoque obtulit de primogenitis gregis sui, et de adipibus eorum6, et cette offrande plaît à Dieu. C’est, on le sait, ce dernier sacrifice qui plaît à Dieu et entraîne la jalousie fratricide.

  • 7 Thomas Römer, Dieu obscur : cruauté, sexe et violence dans l’Ancien Testame...

6On a diversement interprété cet épisode, en le comprenant par exemple comme la marque de l’amour de Dieu pour les éleveurs plus que pour les agriculteurs, pour les nomades plus que pour les sédentaires. D’aucuns ont compris cet épisode comme la simple marque d’une préférence divine, sans justification7. On peut se demander si la raison ne se trouve pas dans la nature du travail effectué par l’homme dans l’offrande : le don de Caïn est celui du fruit, sans préparation indiquée, alors que celui d’Abel, outre qu’il s’agit d’une ou plusieurs têtes de bétail (dont on ne sait s’il est tué ou présenté, préparé ou brûlé simplement), augmente son don de la graisse des animaux ; on comprend par-là que lanimal a été tué, et découpé, et qu’à la graisse native de l’animal s’ajoute celle d’autres encore : Abel offre à Dieu son dû et plus que son dû, ajoutant le don de la graisse des animaux mêmes qu’il a utilisés pour sa propre subsistance.

7Le don d’Abel est donc supérieur à celui de Caïn aux yeux de Dieu, entre autres par ce qu’il est transformé par l’homme, préparé, élaboré. Au-delà de la simple cause d’un assassinat, il faut comprendre le sacrifice dans sa double qualité : Abel offre l’animal et davantage, il offre surtout un objet transformé, qui porte la marque de l’humanité par cette transformation même, qu’il s’agisse d’un simple découpage ou plus probablement de la cuisson qui distingue radicalement de l’animalité. Ce qu’offre Caïn semble directement pris de l’arbre s’il s’agit d’un fruit, ou cueilli sur le sol s’il s’agit d’une céréale. Il faudra la transformation en pain pour que le blé devienne dans la liturgie fruit de la terre et du travail des hommes.

8Ce qui valide donc le sacrifice d’Abel est précisément cette transformation, minimale. Sur le plan théologique l’homme a effectivement travaillé, et c’est cet effort qui fait la qualité du sacrifice. Avec la mort d’Abel devrait s’éteindre la lignée des pasteurs nomades. La malédiction de Caïn cependant sera double : non seulement la terre sera stérile, mais il sera condamné à être vagant, chassé de toute terre :

  • 8 Gn, 4, 11-12.

Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et vagabond sur la terre8.

Ainsi, Caïn semble contraint au nomadisme et par conséquent à l’élevage, condamné à reprendre malgré lui la fonction de son frère, puisqu’il ne peut plus cultiver la terre. Sa force est alors d’inventer la cité, de fonder la ville :

  • 9 Gn, 4, 17.

Caïn connut sa femme ; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc9.

  • 10 La tradition médiévale dit que Lamech vieillissant, aveugle et guidé par u...

9Caïn, à la lettre, est le père de la civilisation, et conçoit une ville qui porte le nom de son fils. La société humaine commence avec cette ville d’Henoc, et c’est souvent à cela que lon s’arrête, opposant Caïn le sédentaire à Abel le nomade. Les choses sont plus complexes dans la mesure où c’est la descendance de Caïn qui pose les fondements de la société : Lamech a deux épouses, deux sœurs : d’Ada naît l’arrière arrière-petit-fils de Caïn, Jabel, dont on dit qu’il « fut le père de ceux qui habitent sous les tentes et des pasteurs » ; son frère Jubal est « le père de ceux qui jouent de la cithare et de l’orgue » ; de sa sœur Sella naîtra Tubalcaïn, le forgeron. Le passage de la Bible, assez obscur, dit que si Caïn sera vengé sept fois, Lamech le sera soixante-dix-sept fois10.

  • 11 Gn, 4, 17-24.

10Retenons de ce récit compliqué et elliptique que Lamech renouvelle la distinction entre sédentaire et nomade qui avait été esquissée et gommée avec Caïn et Abel ; deux frères aux noms très proches, Jabel et Jubal, deux frères dont les noms sont aussi dérivés d’Abel que celui de leur demi-frère est dérivé de Caïn : Tubalcaïn. On rejoue ici ce qui avait été joué à l’origine, avec deux demi-frères et sans crime, même si l’histoire de Lamech jette une ombre sur l’ensemble de la famille11.

11Il s’ensuit que le métier de pasteur est lui aussi issu du monde de Caïn, que les nomades sont comme les sédentaires porteurs du péché originel et héritiers du premier criminel. Mais alors que d’autres forgent, pères en quelque sorte des guerres, les enfants d’Ada sont pasteurs et musiciens, artisans de paix et d’harmonie.

  • 12 Cf. Glossa ordinaria : « Abel namque luctus, interpretátur, vel vapor, qui...

12C’est sur ce point qu’il faut sans doute s’attacher, et garder à l’idée que tout en étant aussi pécheurs que les hommes, les bergers sont des avatars d’Abel à défaut d’en être les héritiers. Les commentateurs médiévaux savent que le nom d’Abel a plusieurs sens, « pleur » ou « vapeur » : « pleur », parce qu’il entraîne la douleur de ses parents, « vapeur », parce qu’il disparaît aussi vite qu’elle12. Lié à la mort, le premier pasteur est ainsi associé à la figure du Christ, le bon pasteur qui donnera sa vie pour le troupeau. Héritiers de Jabel comme de Jubal, les pasteurs sont également musiciens, et ce talent leur sera constamment reconnu ; c’est ce point qui facilitera encore la représentation du Christ sous les traits d’Orphée dans les premiers temps chrétiens. Christ, mais homme, comme le dit Bersuire en conclusion de son article du Repertorium morale :

  • 13 « Vel dic quo abel significat hominem, quia abel interpretatur luctus, van...

Je dis également qu’Abel signifie l’homme, car Abel est à interpréter comme vain, misérable, suscitant les pleurs, etc. comme l’homme est naturellement vain, misérable, pitoyable, etc. On peut dire également de l’homme ce qui est dans Gn 4 « Où est ton frère etc. » il n’a pas une existence bien longue, il passe au contraire et disparaît comme une ombre13.

13Voilà ce qu’il en est d’Abel, ou de Jabel. Un deuxième point est sans doute à prendre en compte : dans le récit biblique, la fonction de pasteur ne naît pas directement à la sortie du paradis terrestre ; elle semble ressurgir avec la figure de Jabel ; elle semble surtout postérieure à la cité d’Henoc fondée par Caïn : ce métier rural et nomade apparaît après la cité. Si le berger est né de la cité, à plus forte raison le discours sur le berger est-il urbain et civilisé. Depuis la nuit des temps, ce sont les gens de la ville, les lettrés et les puissants qui forgent le discours sur le berger, qui le décrivent, et constituent l’objet de notre étude. Nous n’avons que peu de témoignages effectifs de ce qu’est le berger. Mais dès avant l’affirmation et in Arcadia ego, les bergers sont des figures essentielles de la littérature.

14Berger de cour, berger de ville, berger d’église, les voici qui, de l’Arcadie au Trianon, de Tityre à lAstrée, constituent une sorte de point limite de notre représentation du monde. Selon qu’ils sont puissants ou misérables, les voici figures royales ou images de l’animalité, instruits des choses de la nature ou au contraire d’une bêtise définitive.

  • 14 Cf. Pierre Riché, Gerbert d’Aurillac, le pape de l’an Mil, Paris, Fayard, ...

15Ils sont en même temps les victimes expiatoires, les sacrifiés de la civilisation, ceux qu’il faut tuer pour que naisse la société, ceux qui, à l’image de Remus ou d’Amphion doivent mourir pour que naisse la société. C’est autour d’eux que se cristallise la nostalgie d’un âge d’or autant que l’aspiration aux horizons futurs. En tout cas, il est évident que si le mot est utilisé, il ne l’est pas par le pasteur ou le berger lui-même : c’est le clerc qui a l’écriture qui parlera du berger, et plus souvent par ouï-dire que de source sûre. Nous connaissons au moins un berger lettré, à la destinée illustre : la légende veut que Gerbert d’Aurillac, le pape Sylvestre II, soit un jeune berger, dont on aurait reconnu les talents14, et lui-même se présente comme issu d’une souche modeste. Mais il ne dit rien évidemment de ce qu’est le travail pastoral, et son œuvre savante et politique sera à mille lieues des préoccupations d’un simple berger. Là encore, et c’est un paradoxe, le pasteur est muet sur son métier, et il appartiendra à d’autres de préciser ce qu’il doit être. Autour de cette campagne muette, trois pôles se dessinent naturellement : l’Église ou plutôt la Bible, la cour et la ville ; c’est ce qui constituera les étapes de notre progression, d’autant plus naturellement que les traiter dans cet ordre permettra de respecter globalement un ordre chronologique et, je l’espère, logique.

La Bible

  • 15 On connaît cette somme des Pères de l’Église, publiée par Migne au xixe si...

16En fait, plutôt que dans l’Église, où le lexique du berger est constant, il importe de poursuivre la recherche dans la Bible. Une recherche sur la racine pastor* dans la Patrologie latine15 rapporte des milliers d’occurrences, mais qui renvoient toutes à des lettres pastorales, à des missions pastorales, etc. sans compter la crosse abbatiale ou épiscopale héritée de celle du berger, et les ouailles qui suivent leur pasteur… De fait, il importe de remonter aux sources et de comprendre l’origine de la prégnance de ce lexique, détourné de sa signification initiale.

17Dès après Abel et Jabel, il semble que les pasteurs soient relégués au second rang ; ils apparaissent comme des serviteurs de Lot et Abraham (Gn 13, 8 sq.), on voit les bergers d’Isaac se disputer avec ceux de Gérare (Gn, 26, 20), et c’est pour gagner la fille de Laban que Jacob se met à son service et devient berger (Gn, 29).

  • 16 Cf. mon « Ab Ovo : Jumeaux, Siamois, Hermaphrodite et leur mère », Colloqu...

18Mais avant cet épisode, d’autres choses se sont jouées, qui répètent sans doute l’histoire de Caïn et d’Abel. On le sait, Jacob et Esaü sont jumeaux (Gn 25, 21 sq.) Nous sommes dans les temps où l’aîné des jumeaux était celui qui sortait premier du sein de sa mère : depuis, c’est le second qui bénéficie du droit d’aînesse, cela s’appuyant sur la croyance que la gémellité vient de deux rapports successifs, et que le dernier fécondé est le premier sorti, le plus ancien étant relégué au fond de l’utérus16. Ce qui est certain, c’est que la rivalité entre les frères est grande, et que Jacob prend son nom d’être venu au monde accroché au talon de son frère : on parlerait aujourd’hui de marquer à la culotte.

19La prophétie les concernant marque que le peuple né de l’un dominera l’autre, et leurs traits sont distincts :

  • 17 Gn, 25, 27.

Ces enfants grandirent. Esaü devint un habile chasseur, un homme des champs ; mais Jacob était un homme paisible, demeurant sous la tente17.

20Jacob, agriculteur, vit sous la tente comme un nomade : en hébreu, les mots sont identiques à la description de Jabel descendant de Caïn, et il est évident que les deux personnages sont liés, et Jacob à Abel de ce fait. L’insistance sur l’innocence de Jacob est constante : paisible dans la traduction de Crampon, tranquille chez Segond et Jérusalem, il est simplex chez Jérôme, et la traduction de l’hébreu donne simplement inoffensif. On serait prêt à l’accepter comme aussi bon et franc qu’Abel, si la suite ne nous prouvait pas le contraire.

21Le texte est ici très habile, puisqu’il est question de présenter le père du peuple d’Israël : symboliquement, il importe donc de le présenter comme le bon, légitime descendant d’Abel, et de faire d’Esaü une figure de Caïn. Il a déjà quelques traits négatifs : roux, velu, il s’apparente aux animaux et est d’une humanité inférieure. Chasseur, il est là aussi tiré du côté de la sauvagerie. Le texte ajoute qu’il est « homme des champs », traduction généralement adoptée, à l’exception près de Jérusalem qui propose « courant la steppe » – le mot latin est agricola, que l’on peut considérer comme fidèle au texte hébreu.

22Il y a une contradiction étonnante à voir Esaü, s’il est agriculteur, prêt à vendre son droit d’aînesse pour un plat de lentilles. Ce trait n’a pas de légitimité, et ne peut s’expliquer que par la réactualisation du motif de Caïn et d’Abel, à cela près que le clivage entre les deux cultures n’est plus le même. Jacob est la culture et la société, à la fois agriculteur et éleveur, possesseur d’un plat de lentilles qu’il a préparées et du pain qu’il offre à Esaü en échange de son droit d’aînesse : il est par cela supérieur à Caïn qui n’offrait que des gerbes au Seigneur. Esaü, face à lui, est un chasseur prédateur, et il faudrait comprendre son côté « homme des champs » comme « homme de plein air ».

23Jacob rassemble les éléments essentiels de la société, culture et élevage, il est à même de fonder une abondante famille – l’ensemble des tribus d’Israël – qui ne pourra pas assurer sa subsistance par la simple chasse. Le fait qu’Esaü ait assez faim pour vendre son droit d’aînesse prouve assez que la chasse n’est pas suffisante pour assurer régulièrement son existence. Voilà comment se joue différemment une bascule de la société : il n’est pas tant nécessaire d’opposer agriculteur et éleveur que de montrer qu’ils sont tous deux radicalement différents du chasseur-cueilleur. L’enjeu n’est plus celui d’Abel et de Caïn, mais il se joue comme en écho du précédent, et renvoie au passage bien connu du paléolithique au néolithique.

24Reste cependant à faire justice de la simplicité et du caractère inoffensif de Jacob. Il est souligné, on l’a dit, et a pour fonction de faire de lui un nouvel Abel, plus heureux. Mais que dire de quelqu’un qui se met à marchander un droit d’aînesse contre un repas ? Que dire de celui qui, quand son père aveugle et mourant demande à Esaü du gibier, lui prépare, avec l’aide de sa mère, un chevreau et le fait passer pour de la venaison ? Déguisé de surcroît, revêtu d’une peau de bête qui le rend aussi velu qu’Esaü, il reçoit la bénédiction d’Isaac. Jacob n’est pas un ange innocent, c’est un individu rusé et habile, aidé par une mère principalement nourricière, et c’est de cette fonction que relève Jacob. Un autre point est à noter, c’est que dans l’histoire, le chevreau est aisément pris pour de la venaison : Esaü ne possède rien que Jacob n’ait déjà, et dans la balance, si l’un a au mieux du gibier, l’autre propose du pain, des lentilles, du chevreau excellent comme du gibier.

25Cette supériorité, il importe de se l’approprier : c’est une démarche psychologique constante que ce que j’ai remporté, ce que je me suis approprié, ce que j’ai volé même, m’appartient bien plus que ce qui m’a simplement été donné. C’est la fierté de l’enfant qui s’achète un objet désiré « avec ses sous », fierté bien plus grande que si l’objet avait été un présent. À ce titre, la supériorité de Jacob est indiscutable, il a acheté le droit d’aînesse mais c’est un marché de dupes – il a, par supercherie, obtenu sa légitimation par la bénédiction d’Isaac. Il agit comme un trickster, cette figure d’arnaqueur sacré, qu’on pardonne l’expression, qui lui sera attachée. On voit dans les commentaires bibliques la difficulté qu’ont les glossateurs à accorder la volonté divine avec la loyauté ; ainsi, dans la Bible Historiale et les commentaires de Pierre Le Mangeur, on peut lire :

  • 18 Ms Arsenal 5059, f28a.

Et puis bailla [Rebecca] la viande a Jacob, et le pain que elle avoit cuit. Dont les porta Jacob a son père li dist « mon pere » ; il respondi « qui es tu ? » Jacob dist « Je sui Esau tes ainsnés filz (Glosa : Aussi comme se il deist : « je suis cilz a qui l’ainsneëté et la benëichon sont », c’est a dire doivent estre. Si ne menti mie einsi)18

Après avoir reçu la bénédiction paternelle, il importe que Jacob s’assure de sa descendance. Dans ses relations avec Laban, il a affaire à rude partie : il sert sept ans son cousin pour avoir sa fille Rachel, et se retrouve à épouser Léa ; pour avoir celle qu’il convoite, il lui faudra servir sept ans encore. Quel salaire pour Jacob ? Un accord se fait entre les cousins : Jacob aura les bêtes noires et tachetées, Laban les autres. On pourrait croire à un accord loyal, mais Laban met à part toutes les bêtes tachetées et les confie à ses fils, voulant ainsi spolier son gendre. Jacob rétablira la situation :

  • 19 Gn, 30, 37-40.

Jacob prit des baguettes vertes de peuplier, d’amandier et de platane ; il y pela des bandes blanches, mettant à nu le blanc qui était sur les baguettes. Puis il plaça les baguettes qu’il avait pelées en regard des brebis dans les rigoles, dans les abreuvoirs où les brebis venaient boire ; et elles entraient en chaleur quand elles venaient boire. Et les brebis, entrant en chaleur devant les baguettes, faisaient des petits rayés, tachetés et marquetés.19

  • 20 Gn, 31, 6 sq.

26Laban, déçu, change à diverses reprises les règles, mais Jacob ménage toujours son avantage. Il devient ainsi plus riche que son beau-père : sa ruse équilibre et bien au-delà la tromperie initiale de Laban, et le voici prêt à devenir le fondateur d’Israël, lui qui, au départ, cadet promis à rester dans l’ombre, a conquis son droit d’aînesse, la bénédiction paternelle, deux épouses et leur servantes, et de nombreux enfants qui fonderont les tribus d’Israël ; et quand on lui reproche sa richesse, volée à Laban selon ses fils, Jacob se défend en parlant de bénédiction divine20.

  • 21 Gn, 31.

  • 22 « Une découverte archéologique faite à Nuzi a révélé l’existence d’une loi...

27On se souvient de la fin, que je ne rappelle ici que pour mémoire : Laban se défie de plus en plus de son gendre, et Jacob décide de s’enfuir avec femmes, enfants et troupeau avant qu’on ne lui fasse un mauvais parti. Il revient ainsi sur les terres qu’occupe Esaü. Laban parti à sa poursuite est convaincu par Dieu de ne rien faire contre lui, et lui abandonne sans le savoir les theraphim que lui avait dérobés Rachel21. Selon les historiens de la Bible, les théraphim avaient un rôle dans la succession, pouvaient ainsi légitimer les droits de Jacob et ses descendants sur les biens de Laban : à dupeur, dupeur et demi22. Le cadet de famille, le gendre se retrouve à deux reprises investi de l’héritage de ses aînés.

  • 23 Gn, 32, 28.

  • 24 Cf. Laura Makarius, « Le mythe du “Trickster” », Revue de l’histoire des r...

28La force de Jacob se trouvera encore dans son combat nocturne, pendant toute la nuit, contre un individu étrange, qui apparaît dans le texte latin grâce à un ecce qui ne nous éclaire pas. Lutte avec l’ange, lutte avec Dieu ? Si l’on préfère l’ange pour des raisons évidentes, ce qui doit nous retenir est surtout la démesure de qui combat un être surnaturel et résiste jusqu’à l’aube, et la réponse qui est donnée à Jacob quand il donne son nom : « Ton nom ne sera plus Jacob, mais Israël, car tu as combattu avec Dieu et avec des hommes, et tu l’as emporté23 ». Cet épisode s’inscrit dans la tradition de ce que l’on peut attendre du trickster24, et nous éclaire sur un aspect qui caractérisera bien souvent le berger : la ruse, voire la fourberie. Le vrai trickster est en position de sacrilège, de transgression absolue : l’usurpation du droit d’aînesse, le vol des theraphim, le combat avec l’ange montrent Jacob sinon comme un rebelle blasphémateur, du moins comme un être décidé à forger son destin plutôt qu’à le subir, quitte à tenir tête à Dieu lui-même.

29En même temps, le texte biblique légitime à chaque fois les stratagèmes de Jacob : il n’a trompé Laban que parce que celui-ci le trompait, Esaü a réellement troqué son droit d’aînesse contre un plat de lentilles… On voit que l’histoire est partisane, et qu’elle reconnaît comme héros fondateur du peuple d’Israël un individu hors-norme, qui rétablit à sa manière la justice. À ce titre, Thibaut l’Agnelet est un lointain héritier de Jacob, lui qui a été exploité depuis son enfance par le drapier et rétablit l’équilibre en étant plus cynique et rusé que son employeur.

30Plus important encore, le fait que Jacob, fondateur du peuple d’Israël – sa descendance – l’inscrit sous un double registre : ils ne seront pas chasseurs, mais cultivateurs et avant tout pasteurs, pouvant quitter leurs terres en poussant leurs troupeaux. Dans la société pastorale qui s’institue, Jacob est une figure fondatrice, et ce n’est pas innocent qu’il préfigure ce que sera le premier roi d’Israël.

31Mais entretemps, les bergers continuent à être présents dans la Genèse : on les voit apparaître dans une situation presque plus noble quand Joseph présente ses frères à Pharaon : ils ne sont plus simples pasteurs, mais des viri pastores (Gn 46, 31), ce que Crampon traduit par propriétaires de troupeau, et qu’il faut comprendre comme des « adultes pasteurs », cette mission étant généralement dévolue aux jeunes ou aux vieillards – on se rappelle qu’Abel était le cadet des deux frères.

  • 25 Cf. Lv, 27, 32 : « Omnium decimarum bovis et ovis et capræ, quæ sub pastor...

32Quoi qu’il en soit, nos chefs de troupeaux n’ont pas un statut social très important, car le texte ajoute aussitôt : « vous habiterez dans le pays de Gosen, car tous les bergers sont en abomination aux Égyptiens » (Gn 46, 34). Affirmation éclairante mais qu’il faut nuancer cependant : si l’on peut comprendre ici une détestation des sédentaires à l’égard des nomades, on peut également s’attacher à la formulation latine pastores ovium : ce seraient alors les bergers d’ovins qui seraient méprisés, à la différence peut-être des possesseurs d’autres cheptel, bœufs, ânes ou chameaux, plus nobles. Le texte de la Genèse est assez stable et ne précise pas les animaux que le berger a en sa garde, autrement qu’à cet endroit précis ; il semble qu’au moment de la Genèse les ovins et les caprins sont une norme qu’il n’est pas nécessaire de préciser, sauf dans une terre étrangère aux pratiques pastorales différentes. Ce sera différent dans le Lévitique, où la garde semble s’élargir à d’autres animaux, bovins, ovins et caprins, peut-être à la suite du passage en Égypte25.

  • 26 Nb, 27, 17.

  • 27 R3, 22, 17. Cf. également Jg, 11, 15.

  • 28 Ecc, 18, 13.

  • 29 Is, 40, 10-11.

33Cette absence de statut devrait être modalisée, car les patriarches, Jacob en tête, sont des bergers ; mais ils se comportent bien vite comme des chefs de clan, laissant les tâches matérielles à des bergers qui sont eux des personnages subalternes. C’est ce qui apparaît dans la Genèse, et est nuancé dans la suite des récits bibliques, à partir du moment où, sédentarisé, le peuple d’Israël peut embellir le métier qu’il ne pratique plus vraiment ; la première occurrence positive du berger intervient dans les Nombres, où l’on précise l’importance du prêtre dans les cérémonies « afin que l’assemblée de l’Éternel ne soit pas comme des brebis qui n’ont point de berger26 ». Cette image se retrouvera à diverses reprises : « Je vois tout Israël dispersé sur les montagnes, comme des brebis qui n’ont point de berger »27. Davantage, le berger prend une dimension positive dans l’Ecclésiastique : « la pitié du Seigneur est pour toute chair, il reprend, il corrige, il enseigne, il ramène, tel le berger, son troupeau28 ». C’est dans Isaïe que la figure du bon berger sera développée, anticipant toute la rhétorique du Nouveau Testament : « Voici, le Seigneur, l’Éternel vient avec puissance […] comme un berger, il paîtra son troupeau, il prendra les agneaux dans ses bras, et les portera dans son sein ; il conduira les brebis qui allaitent29 ».

  • 30 1R, 17, 40 sq.

34Dans ce cheminement, une étape est essentielle, la figure de David le berger. C’est dans la Bible à partir de son apparition que le pasteur prend une dimension nouvelle : le mot de berger n’apparaît, de façon révélatrice, que lorsque l’enfant David choisit cinq pierres dans le torrent, qu’il met dans sa giberne de berger, in peram pastoralem avant d’affronter Goliath30. Il est révélateur également que David soit celui qui, plus que tous les autres, se caractérisera par son goût pour la musique, élément qui le rapproche de Jabel et de la tradition pastorale.

35Ce qui est formulé de façon elliptique dans les livres historiques est développé de façon superbe chez Ézéchiel le prophète ; le berger n’est plus un subalterne, il devient capable de défendre son troupeau et prend une dimension politique qu’il n’avait pas auparavant ; toutes les images que j’ai relevées plus haut, sur le troupeau perdu sans son berger, sont postérieures à cet épisode, et donnent à la figure pastorale une double résonance, politique et religieuse. Le chapitre d’Ézéchiel désavoue les mauvais pasteurs, qui se nourrissent du troupeau sans le soigner ni le protéger, ceux qui font paître les brebis grasses plutôt que les malades ; il condamne les brebis qui non seulement paissent les meilleurs pâturages, mais les souillent pour qu’ils soient inutiles aux autres.

  • 31 Ez, 34, 20-22.

Ainsi parle le Seigneur Yahweh : Me voici ; je vais juger entre la brebis grasse et la brebis maigre. Parce que vous avez heurté du flanc et de l’épaule, et frappé de vos cornes toutes les brebis débiles jusqu’à ce que vous les eussiez chassées dehors, je sauverai mes brebis, et elles ne seront plus au pillage, et je jugerai entre brebis et brebis31.

  • 32 Lv, 16, 20.

  • 33 Lv, 16, 27; 23, 19.

Le texte latin souligne de même la différence entre les chèvres et les brebis, ces dernières étant valorisées : c’est un bouc que l’on envoie dans le désert porteur des péchés d’Israël32, et c’est un bouc que l’on sacrifie « pour le péché33 ». Il annonce surtout l’arrivée du pasteur serviteur de Dieu, David.

  • 34 Ez, 34, 23-24.

Je leur susciterai un seul pasteur – et il les fera paître – mon serviteur David ; c’est lui qui les paîtra ; et c’est lui qui sera pour elles un pasteur. Moi, Yahweh, je serai leur Dieu, et mon serviteur David sera prince au milieu d’elles ; moi, Yahweh, j’ai parlé34.

  • 35 Cf. Mark F. Rooker, Biblical Hebrew in transition: the language of the Boo...

  • 36 Jn, 21, 17.

Le texte pourrait paraître problématique : Ézéchiel prophétise la venue du prince qui a semble-t-il régné 300 ans avant lui. De fait, le mot de David, dans la langue du prophète, renvoie plus au mot de Bien Aimé qu’au nom propre, avec une légère variante formelle35 ; on le retrouve employé dans ce sens dans le Cantique des cantiques. Le mot peut également être compris comme un écho de ce qu’était Abel par rapport à Caïn, le bien aimé. Ce qu’annonce Ézéchiel n’est pas d’ordre historique ; si le bon berger développé par Isaïe est reçu comme une préfiguration de Cyrus le grand souverain Achéménide, qui aidera le royaume d’Israël et reconstruira le Temple – la légende veut que ce dernier ait été le fils d’une gardeuse de chèvre et berger lui-même avant d’être souverain, c’est évidemment le Christ qu’il faut comprendre chez Ézéchiel, au moins pour la tradition chrétienne, image du Christ pasteur qui sera fondée par les derniers versets de l’Évangile de Jean : le Christ demande à trois reprises à Pierre s’il l’aime, et devant sa réponse affirmative, lui dit simplement « pais mes agneaux » par deux fois, puis « pais mes brebis »36. L’Évangile tisse consciemment ses liens avec l’Ancien Testament.

  • 37 Sermons, 46 et 47.

36Ce sont ces quelques mots qui justifient le vocabulaire pastoral dans l’ensemble de l’Église, dans le lexique, les ouailles comme les pasteurs en sont les marques durables, et on pourra consulter les sermons de saint Augustin sur ce texte37, qui développe attentivement les missions du pasteur et la responsabilité qui lui incombe. L’ensemble du sermon est cependant marqué par la polémique avec les Donatistes, et la responsabilité des évêques qui entraînent leurs ouailles dans l’erreur. Alors qu’il était serviteur dans le Pentateuque, il devient figure royale dans les Rois, et figure christique ensuite. La promotion de la fonction pastorale en quelques siècles est très sensible.

  • 38 Is, 31, 4.

  • 39 Is, 56, 11.

37Quelques conclusions sont à tirer cependant de cette enquête : le rôle subalterne du berger s’efface au bout du compte derrière sa double ou triple mission ; le berger a pour rôle de paître les brebis, et est tout d’abord nourricier ; il est ensuite protecteur, et on le voit se dresser contre les prédateurs, même s’il est parfois impuissant, comme lorsqu’ils se réunissent en vain contre le lion superbe38. Mais, la figure de David le montre, il est à même de se battre victorieusement contre plus fort que lui, et son courage est indiscutable. Il peut certes être incompétent, pasteur sans intelligence39 condamné par Isaïe, mais il a surtout pour mission de guider son troupeau, de le maintenir en ordre. Cela passe par le fait de mettre à l’écart le bouc chargé du péché ou la brebis galeuse, mais aussi d’aller chercher la brebis égarée. L’unité se fait grâce à lui, et on déplore l’éparpillement et la vulnérabilité du troupeau sans berger. Davantage, le berger est pourvu d’une sagesse, d’une habileté et parfois d’une ruse qui le valorisent bien au-delà de son humble condition sociale. L’histoire de Jacob nous le montre maîtrisant les lois de la génétique, fin politique et stratège, capable de biaiser le jeu s’il lui est trop défavorable : mais à chaque fois, sa finalité est positive.

38Ces missions seront réparties dans l’imaginaire médiéval entre l’évêque et le prince, qui auront également la mission de protéger le peuple et d’assurer son salut, matériel et spirituel, dans leur grande sagesse politique – il ne peut être directement question ici de ruse ou de biais.

  • 40 Cf. entre autres Georges Dumézil, Mythe et épopée, Paris, Gallimard 1968, ...

39Nous connaissons depuis Dumézil et Jacques le Goff l’importance du schéma trifonctionnel pour comprendre l’organisation de la société40. Il faut considérer qu’à cette triade indoeuropéenne se superpose naturellement la figure pastorale du souverain, d’origine biblique. On n’a pas en effet d’équivalent à ma connaissance de cette figure pastorale dans la tradition gréco-latine ; et si Rome commence par la mort d’un des deux frères, la dimension pastorale, si elle existe, est partagée par les deux : il n’y a pas de clivage civilisationnel entre Romulus et Remus. Ce n’est qu’autour de Cyrus, on l’a vu, que se développe ce motif, sans doute lié à la tradition sémitique.

  • 41 Liliane Bodson : « Le Berger et les dieux du troupeau dans la Grèce antiqu...

40On le sait, les bergers antiques ont d’autres caractéristiques, liées à la musique – Syrinx – au commentaire politique – les Bucoliques ou à la sexualité. Un article de Liliane Bodson41, succinct mais remarquablement documenté, fait apparaître divers éléments. Le plus marquant est assurément que le berger n’est pas dans la tradition antique une figure du pouvoir. Suiveur attentif d’Apollon et d’Hermès, les divinités des troupeaux, et de Pan, le berger leur offre des sacrifices, reconnaissant leur pouvoir, sans hybris ou conscience d’une mission particulière. Sa sagesse semble cependant reconnue, par le fait même de sa sollicitude à l’égard de son troupeau, sollicitude que partagent les plus sages.

La cour

  • 42 Monumenta Germaniae Historica, Scriptores, t. I, Hanovre, 1826, p. 579.

  • 43 Cette collection de documents sur l’histoire et la littérature en terre ge...

  • 44 R. Bezzola, Les origines et la formation de la littérature courtoise en Oc...

  • 45 J. De Ghellinck, Littérature latine au Moyen Âge, I. Depuis les origines j...

41L’autre endroit où l’on parlera des bergers, c’est évidemment la cour. Peu de choses apparaissent dans l’ère carolingienne, et on notera simplement l’expression, qui apparaît dans la Chronique de Réginon de Prüm (en fait, celle de son continuateur, Adalbert de Magdebourg) de l’expression « Deus omnipotens, princeps pastorum, in illa sancta sede pontificatus apicem sublimavit42 ». L’expression est jolie, mais on ne parvient pas à savoir si Dieu est ici prince des bergers ou des prêtres… Dans la littérature latine, entre la patrologie où des milliers de références surgissent, mais pour parler du clergé, et les Monumenta Germaniae Historica43 où apparaissent quelques mentions de la révolte des Pastoureaux, les sondages sont globalement infructueux. Il est frappant de remarquer qu’il ne s’écrit quasiment pas de pastorale ou de bucolique dans la littérature latine tardive ou carolingienne, à en croire Bezzola44 ou De Ghellinck45 : tout se passe comme si l’aristocratie issue des grandes invasions n’était pas sensible à ce genre de thématique, comme si la société nomade dont ils sont issus ne valorisait pas particulièrement ce mode de vie. Ce sont des occurrences littéraires des bergers qu’il importe à présent d’aborder, exemples connus dont il importe de tirer quelques leçons : il n’est pas question ici d’un inventaire exhaustif, mais de l’exploration de quelques épisodes connus, dégageant des facettes complémentaires de l’imaginaire et de la symbolique pastorale.

  • 46 Yvain, « Pochothèque », Livre de poche, v. 326-327, p. 721.

  • 47 Id. v. 338-340, p. 722.

42La première de ces occurrences, dans le monde d’Oïl – je dirais presque dans l’autre-monde d’Oïl, est celle du gardien de troupeaux que l’on voit dans Yvain. Nous ne nous trouvons assurément pas ici dans la continuité d’une tradition antiquisante, et le pasteur qui nous est présenté relève pour une bonne part de la tradition celtique. Être des frontières, figure forestière, dans un essart hors du monde des humains, il est monstrueux, au bord de l’animalité, au point que Calogrenant l’interroge en ces termes : « va, car me di / Se tu es boine chose ou non46 ». Même si la chose en ancien français renvoie aussi bien à des êtres vivants, on voit que l’interrogation est réelle : créature diabolique ou positive ? Il est vrai que Chrétien de Troyes s’est amusé à fabriquer un personnage composite, oreilles d’éléphant, œil de chouette et nez de chat, qui inspire la crainte. La réponse du personnage est claire : « Je sui uns hom ». Il garde ses bêtes, taureaux sauvages et impressionnants, et il précisera « je les gard, si voir, et les justis, /Que ja n’istront de cest pourpris47 ».

43La fonction du berger est ambiguë, dans la mesure où s’il garde ses bêtes, on ignore si c’est pour leur sécurité ou pour celle de leur entourage, comme l’indique le personnage de Calogrenant. Le Berger est donc une figure du pouvoir, protectrice mais ambivalente ; si elles désobéissent, c’est la force qu’utilise le berger :

  • 48 v. 344-348, 353. L’image de la crainte suscitée par le spectacle d’une mal...

N’i a cheli qui s’ost mouvoir,
Car quant j’en puis l’une tenir,
Si le destraing par mi le cors,
Ad poins que j’ai et durs et fors,
Que les autres de paour tramblent
Et tout en viron moi s’asamblent,
Aussi com pour merchi crïer […]
Ainsi sui de mes bestes sire48.

Dans cette représentation du pouvoir – le mot de sire montre bien que l’enjeu symbolique de cette scène est d’ordre politique – la force est légitimée par un souci d’ordre et de justice ; c’est la force du souverain qui fait sa domination. On notera l’utilisation du verbe destraindre : il ne s’agit pas de blesser l’adversaire, mais de le serrer entre ses bras – on retrouve le motif d’Hercule étouffant Antée, et les taureaux du roman figurent assez bien des puissances primitives, chthoniennes et a priori incontrôlables. Le berger est ici essentiellement gardien d’un ordre cosmique, jugulant la force de bêtes monstrueuses. On notera cependant qu’il est vêtu des peaux fraîches de ces taureaux, et s’en couvre pour marquer sa suprématie, en même temps que sa sauvagerie l’apparente à ceux qu’il jugule. Vêtu de peaux de bêtes, il se situe également comme au tout début de l’humanité, portant une tunique de peau comme Adam et Ève, évidemment dévaluée par le sang qui en découle.

  • 49 Cf. Yvain, v. 2240 sq.

44En fait, le berger présente ici une allégorie du pouvoir politique, on l’a dit, mais une allégorie poussée à l’extrême ; si la fonction pastorale est préservée, c’est dans un essart en pleine forêt que paissent les taureaux, tout en est exagéré, et ce qui légitime la violence du berger est celle de son troupeau. Comprenons que le souverain, s’il est obligé d’être dur aux cruels, doit également être doux aux humbles. La brutalité du berger est symétrique de la douceur d’Arthur, et souligne la bonté du souverain. L’enjeu est essentiellement ici non pas de légitimité du pouvoir, qui assure et maintient un ordre qui devient juste, mais une question de civilisation : s’il existe un pouvoir brutal et nécessaire dans un monde sauvage, la société policée dans laquelle nous vivons offre un ordre plus juste et mieux équilibré, garanti par un souverain à l’exemplaire civilité. À ce titre, la figure atypique de Keu est intéressante, parce qu’elle introduit la brutalité discordante dans une société courtoise : la façon dont la justice immanente châtie son manquement montre bien quel est l’ordre souhaitable, celui d’une société arthurienne où les écarts de Keu ne sont pas punis par la mort, mais par une blessure et surtout le ridicule49. Ce qui caractérise ce berger, c’est évidemment qu’il ne fait pas partie de la société, et se définit par sa marginalité même, par sa relation intime avec la nature.

  • 50 Michel Zink, La pastourelle. Poésie et folklore au Moyen Âge. Paris/Montré...

  • 51 Maxime Kamin me rappelle fort opportunément « À ma connaissance, les pasto...

45Une seconde occurrence du berger est évidemment celle, en langue d’oc, des pastourelles : elles ont été analysées par Michel Zink50, et je n’y reviendrai pas51. Ce qui les caractérise, c’est l’idée qu’une bergère est proche de l’état de nature, et que toute parade amoureuse est inutile : on est déjà bien poli de leur demander si elles consentent ou non. La bergère représente ainsi une vision simple de la pulsion sexuelle, à laquelle elle se soumet volontiers. La vie pastorale est ainsi une vie libérée des contraintes de la socialité, où les choses se font tout simplement. Dans la mesure où la société de cour est dite courtoise, dans la mesure où les choses de l’amour semblent la matière même de la courtoisie, on voit combien est séduisant le rêve d’une société où les contraintes sociales seraient levées, et où l’accès au plaisir, immédiat, ne passerait pas par le long chemin du désir et de la séduction.

  • 52 Qu’on pense à la tenso entre Montan et une dame, éditée entre autres par P...

46La déclinaison de ce motif se retrouvera dans de nombreux textes, où tantôt l’homme et la femme sont également étreints d’ardeur amoureuse52, tantôt le chevalier prouve à la jeune pastourelle qu’il fait cela bien mieux que son ami d’usage, et la comble malgré elle – c’est plus souvent le cas des pastourelles d’oïl, où le marivaudage a une moindre place. Globalement, le jeu des pastourelles relève d’une rhétorique amoureuse minimale, et comporte en soi sa propre récompense, au moins dans la fiction littéraire qu’il véhicule. Abordé avec subtilité dans les textes d’oc, le sentiment amoureux joue principalement sur le désir à l’assouvissement sans cesse différé, alors que les trouvères d’oïl en restent le plus souvent, surtout dans les pastourelles, au plaisir assouvi au plus vite.

  • 53 Pour ces trois textes, on pourra se renvoyer aux éditions bilingues procur...

47On ne doit être que plus attentif à la première de nos bergeries, et globalement une de nos premières pièces. Dans l’histoire du théâtre, il est d’usage de rappeler que les premières représentations attestées se trouvent dans l’enceinte ecclésiale, ou juste à côté, dans des corporations et confréries qui, certes urbaines et laïques, s’appuient sur le rite et la religion pour installer leur notoriété et leur influence : la Feuillée, le Saint Nicolas ne sont pas autre chose ; on ne prête pas assez attention semble-t-il au fait que le Jeu de Robin et Marion, si on le doit certes à un trouvère arrageois, est destiné à un milieu de cour et ne pourrait de fait avoir été conçu ailleurs53. Dans les années 1285-1288, le poète se trouve à la cour de Robert II de Sicile – certains pensent à Charles d’Anjou, et compose cette pastorale ; on ne sait si c’est une œuvre de commande, mais il est certain qu’elle répond aux attentes de son public, et sans doute au-delà si l’on compte le nombre étonnant de manuscrits qui nous l’ont conservée. En plus du célèbre manuscrit d’Arras, il faut compter avec celui d’Aix, qui comporte de nombreuses illustrations : le texte d’une représentation devient un objet de bibliophile.

48Tout le monde ici connaît la trame du Jeu de Robin et Marion, qui développe une thématique connue, celle justement de la pastourelle : une jeune bergère refuse les avances d’un chevalier, c’est ce qui constitue l’amorce du jeu. Celui-ci éconduit, Robin survient, et le couple se propose d’organiser une fête avec des camarades ; pendant que Robin est parti les chercher, le chevalier revient, à la recherche de son faucon : il conte fleurette à Marion, qui l’éconduit, et brutalise Robin, qui a trouvé le faucon mais le malmène un peu. Marion qui s’interpose est enlevée par le chevalier, mais il finit par la libérer : retrouvailles et jeux, confidences amoureuses, jusqu’au moment où un loup emporte une brebis. Robin va la rechercher, et le jeu se termine en projets de noces, pique-nique et danse.

  • 54 Jean Dufournet, Le théâtre arrageois au xiiie siècle, Paradigme, 2008.

49Jean Dufournet voit dans cette pièce une représentation dérisoire du monde pastoral, dont la cour sicilienne se moquerait franchement54. Certes, tous les personnages sont des gens de peu, qui n’ont pas vu de chevalier ni de chasse à l’oiseau ; certes, Robin est un peu balourd, qui ramène la brebis cul par-dessus tête, dans la hâte de l’arracher au loup ; les mets proposés sont bien médiocres. Mais cela ne veut pas dire à mon sens qu’il y ait une volonté de dévaloriser les pasteurs. Il y a même un certain paradoxe à imaginer un public aristocratique assister à des agapes pastorales, alors qu’on sait que le banquet des grands est en lui-même un spectacle, et qu’au xve siècle encore les banquets étaient souvent publics, offerts à l’admiration du petit peuple.

  • 55 On connaît bien le tableau représentant Gaspard de Gueidan jouant de la mu...

50Je crois plutôt que ce qui est représenté ici s’inscrit dans la traditionnelle nostalgie liée au monde pastoral. La référence à la pastourelle nous introduit dans un monde simple, où l’on pourrait aller droit au but avec des jeunes filles sans afféteries ; un monde où un repas sur l’herbe et des jeux suffisent à combler. Ce que la cour partage avec le monde pastoral, c’est le goût de la musique et de la danse, et il s’agit généralement des mêmes musiques et des mêmes danses : jusqu’au xviiie siècle la musette, instrument pastoral par excellence, est également jouée dans les milieux aristocratiques55. La vie en extérieur aux beaux jours est une aspiration de tous, qui trouve sa représentation exemplaire dans l’univers des bergers paissant leur troupeau à la belle saison – on délaisse tout le travail qui leur est dévolu tout au long de l’année pour privilégier ces moments, agréables il est vrai.

51À mes yeux, les bergers ne sont pas si stupides ou dérisoires ; simples certes, mais loyaux à ceux qu’ils aiment, pleins de joie de vivre, courageux à leur mesure – s’ils sont impuissants devant un chevalier, ils sont efficaces contre les loups. Ce qui fait rire et sourire relève à coup sûr de leur simplicité, de leur naïveté, mais elles sont sans doute enviables pour qui vit dans le monde codé et corseté de la cour. Cette représentation aristocratique du monde pastoral semble une première, mais on lui connaît une vaste descendance, qui ira jusqu’au Trianon de Marie-Antoinette, ce qui prouve que le berger n’est pas simplement un être méprisable.

  • 56 On préférera la récente édition de G. Roussineau : René d’Anjou, Regnault ...

52Un témoignage assez peu connu (pendant longtemps la seule attestation en était l’édition un peu confidentielle de Quatrebarbes en 184356) est le petit poème attribué à René d’Anjou, Regnault et Jeanneton, qui semble dater du milieu du xve siècle. Il s’agit de mettre en scène un débat amoureux, entre un berger et une bergère ; nous sommes dans un cadre idyllique, au bord d’une rivière où les oiseaux chantent :

  • 57 Op. cit., v. 51-63.

Car c’est, ce croy, trop plus doulce armonie
Que d’instrumens, desquelz le son eslie
Les cuers des gens : car leur voix très serie
Est plus à droit et par fine maistrie
Bien reiglée que nul ton d’organie,
Par musique, tel qu’on saiche noter.
Le merle, mauviz, le pinson
Recordent bien lors leur leson,
En faisant oyr leur doulx son,
Jà de moult long, par tel façon
Que leur amoureuse tenson
Sent le printemps qu’est en bouton,
Ou moitié fleur et reverdie.57

Dans ce locus amoenus exemplaire, un berger va chercher un nid au sommet d’un arbre, et l’offre à la bergère qui accourra le plus vite :

  • 58 Ibid., v. 106-112.

Puis en chantant aux autres s’escrira :
Je l’ay trouvé le ny où oiseaux a
Foison petiz, si viengne qui pourra ;
La bergière, qui mieulx courir sara
Et qui plustost à moy tout droit vendra,
Savoir lui fais certes que les ara,
Pour ung baiser plaisant et gracieulx.58

Voici qu’accourent les bergères, retroussant leurs jupes et perdant dans leur hâte leurs coiffes. Les vêtements sont pauvres et de rude tissu, mais leurs cheveux sont beaux comme ceux des princesses, et des fleurs sont plus belles dans leurs tresses que rubis ou perles. Elles ont de beaux yeux. La bergère qui arrive la première embrasse le berger en prenant le nid,

  • 59 Ibid., v. 146-147.

et lors en chançonnete
Le Dalalo commencera chanter.59

Toute l’équipe passe le temps en se balançant sur les branches des arbres, tombant parfois au milieu des rires, pendant que Regnault et Jeanneton devisent d’amour, écoutés par un pèlerin qui passe par là.

  • 60 Les deux éditions les plus accessibles du texte d’Alain Chartier : La bell...

53La pièce est assez attendue sur certains points, et moins sur d’autres : le dispositif du débat amoureux, de l’auditeur qui se propose de trancher l’affaire – peu importe qu’il le fasse ou non – a d’illustres ancêtres, qu’il s’agisse des Jugements de Guillaume de Machaut ou de la Belle Dame sans Merci de Chartier60. Même si la rhétorique en est assez policée, ce n’est pas cela qui me retiendra, mais bien davantage le fait que l’on fasse échanger berger et bergère sur le sujet, en les recevant comme des personnages et pas comme des rôles comiques. On n’a pas de débat amoureux chez Robin et Marion, et s’ils sont sympathiques, leur mission est malgré tout de susciter une forme de sourire. Ici, il n’y a aucune dérision dans les propos qu’on leur attribue : il est vrai que Regnault et Jeanneton sont des diminutifs de René d’Anjou et de Jeanne de Laval son épouse, le texte ne laisse aucun doute en reproduisant en dernière page :

  • 61 René d’Anjou, Op. cit., v. 130-131.

Icy sont les armes, dessoubz ceste couronne
Du bergier dessus dit et de la bergeronne61.

54Que le texte soit de René lui-même ou de son entourage, il s’agit bien de transformer les deux grands seigneurs en humbles bergers devisant d’amour. Si la tradition veut que le couple ait été très amoureux, leur différence d’âge de près de 25 ans rend peu probable l’épisode. Il n’empêche, dans un manuscrit merveilleusement enluminé, le roi et la reine jouent au berger et à la bergère, et introduisent un type de marivaudage qui se retrouvera dans l’Astrée avant de se cristalliser dans les livrets de Métastase (Il re pastore) ou les annexes de Versailles.

55Le berger est digne de représenter un prince : voilà qui ne peut sans doute être perceptible que dans un univers pétri de culture biblique. Mais il le fait surtout dans un cadre naturel idyllique qui trouve son origine non seulement dans la tradition du locus amoenus, mais dans celle, qui en découle, du personnage de Franc Gonthier. On connaît ce texte surtout pour le contredit que composera Villon ; il est vrai que deux univers s’opposent, le confort trivial que propose Villon, réclamant tout le confort moderne, et la simple nature que développe le Dit originel.

  • 62 Le texte est établi dans Arthur Piaget « Le Chapel des fleurs de lys, par ...

  • 63 Op. cit., v. 5.

  • 64 Ibid.

56On n’a sans doute pas assez pris garde au fait que le premier auteur du Dit de Franc-Gonthier62 est un clerc, Philippe de Vitry, évêque de Meaux : à l’image de Bossuet son successeur, il est à la fois un prince de l’Église fin lettré, et un homme de cour. À ce titre, le discours de Philippe de Vitry est plus d’ordre curial que pastoral, même s’il développe dans un premier temps une louange de la vie rurale. Certes, la vie de berger y est valorisée, avec une grande précision : on voit en effet indiquée la borde portable, la cabane du berger dont Vigny reparlera plus tard, caravane dans laquelle il dort la nuit et conserve ses outils le jour. On y voit également un régime alimentaire issu pour l’essentiel des produits du troupeau « Fromage frais, laict, burre, fromaigee, Craime, matton (lait caillé)63 », et de la cueillette : « pomme, nois, prune, poire64 » : fruits d’automne pour la plupart, à l’exception de la prune estivale, qui brise d’un coup le réalisme voulu de la pièce : nous fabriquons un univers idyllique qui se moque des saisons, vu par un clerc depuis sa chambre…

  • 65 Id., v. 13.

57Il n’empêche, après les laitages et les fruits, ce sont les liliacées que chante Philippe de Vitry, ail, oignon, échalote, juste avant de s’embrasser, insistant sur le visage poli de l’une et barbu de l’autre. Les voici enfin qui, après avoir pris « le doulx més de nature65 », se mettent au travail, lui hache au col dans le bois, elle à faire la lessive – au passage, on pourra s’interroger sur une lessive qui se fait simplement au bord de l’eau, sans chaudron, cendre, feu etc.

  • 66 v. 3.

58Reprenons ce qui est écrit : manque à cet intéressant régime l’indispensable pain, dont les bergers n’avaient pas de raison de se passer, et les légumineuses ou la viande nécessaires à l’alimentation. Le « doux mets de nature », placé où il est dans le poème, ne me semble pas renvoyer au plaisir alimentaire, mais à ce qui suit habituellement un baiser, lui-même probablement assez rude après l’ingestion d’oignon, d’ail et d’échalote. À aucun moment Franc Gontier et sa femme Hélaine ne se soucient d’un quelconque troupeau, et la seule chose qui nous invite à les considérer comme des bergers est cette « borde portable66 » : à bien y réfléchir, l’endroit où s’installent nos bergers est un peu problématique, idéal pour un pique-nique et près d’une rivière certes, mais tout proche d’une forêt où le loup menace, et où le troupeau peut s’égailler : seuls les cochons vont glander dans la forêt, et ce sont des porchers qui les y emmènent, à un moment précis de l’année, dûment surveillés.

59On n’imagine pas enfin, outre une lessive improvisée, un berger s’improviser bûcheron en abandonnant son troupeau… Les bûcherons que nous rencontrons – il y en a souvent dans la littérature épique médiévale, fuyant la cour pour se réfugier en forêt – ne sont jamais des bergers ! S’il faut un savoir-faire pour abattre des arbres, ou faire du charbon, il en faut plus encore pour être berger.

  • 67 v. 20.

  • 68 Pour les Dits moraux d’Henri Baude, outre l’édition d’Annette Scoumanne, D...

60On le voit, la scène idyllique est totalement irréelle, même si la scène champêtre semble avoir séduit. C’est le discours de Gontier qui donnera la clef, aussi irréel que ce qui précède : sil prétend les ignorer, comment connaît-il si bien « piliers de marbre, pommeaux luisans, murs vestus de paincture67 » ? Toute l’ambition du cardinal poète est de dénoncer les chausse-trapes de la vie curiale. Le propos est moral, et semble s’inscrire dans la ligne de ce que seront les Dits moraux pour faire tapisserie d’Henri Baude68. C’est un peu ce que répondra Villon, un peu plus tard, dans les Contredits de Franc Gonthier, qui n’a pas une approche curiale mais simplement pragmatique de ce que peut être une bonne vie : le refrain est simple, « il n’est trésor que de vivre à son aise » ; l’amour dans une chambre chauffée « et nu à nu, pour mieux des corps s’aiser » est assurément plus agréable qu’une embrassade à l’ail et à l’échalote et une culbute sur un talus…

61Mais le modèle de Franc Gontier est essentiel dans la mesure où il inaugure une thématique, dont on notera qu’entre Philippe de Vitry, Pierre d’Ailly et Nicolas de Clamanges, elle a dès le départ une coloration cléricale forte. C’est à partir d’eux que se met en place la figure politique du berger, la relation entre la cour et la campagne, la mission du roi berger de ses ouailles. Le Bon Berger de Jean de Brie est un texte paradoxal, offert au souverain – sauf qu’on n’en a pas de manuscrit et aucune trace dans la bibliothèque royale – et qui superpose l’apologie du métier dont on montre le ministère quasi royal et une description attentive du métier, des attentes et des contraintes de la profession. À la différence de tous les autres textes pastoraux, Le Bon Berger parle très précisément des missions du berger et des gestes techniques qui lui sont attribués.

62Il ne s’agit pas d’un traité curial, même s’il en a quelques aspects ; mais il est trop savant et trop nourri pour être un vademecum professionnel : à tout le moins, il donne aux bergers trop d’importance et évoque des talents et des contraintes assez diversifiés pour que l’expertise pastorale de l’auteur soit absolument indiscutable. Mais, du Pastoralet au Trois Ages de lhomme, l’itinéraire de ces textes est assez balisé, qui met en place la fonction politique du berger.

La ville

63Parler du berger en milieu urbain pourrait paraître une gageure, tant il est a priori éloigné des activités qui caractérisent la ville ; n’oublions pas pour autant que l’essor économique de la France du Nord s’est fait autour de la draperie depuis le milieu du xiie siècle, et que le berger fournit la matière première de ce qui fera la richesse de plusieurs provinces. Il ne s’agit dans ce cas que d’une figure subalterne, et il n’aura pas la noblesse des figures allégoriques. Mais sa fréquence, sa présence quotidienne – ce sont les bergers et les bouviers qui apportent les troupeaux aux abattoirs de la ville, toujours centraux – vont lui donner une vraisemblance plus matérielle ; il ne s’ensuit pas pour autant que la dimension allégorique ait disparu.

  • 69 Cf. La Scène et les tréteaux, Paradigme 2005, ainsi que l’ensemble de sa t...

64En fait, Michel Rousse l’a bien montré, c’est la ville qui va monter la plupart des activités théâtrales de première importance ; si les farces sont des activités moins encadrées et pilotées par les officiers de ville, les mystères, parce qu’ils font rayonner la cité, auront une importance bien plus grande, par le fait même que financés par la cité et la mobilisant dans son entièreté, ils porteront très vite le nom des villes qui les ont montés, et inscriront leur nom dans l’histoire : la Passion d’Arras ou de Semur restent dans les mémoires et les chroniques, plus encore que la Passion de Gréban ou de Michel69.

65Il ne sera pas question ici ni de s’intéresser aux bergers effectifs qui pouvaient parcourir les villes à l’occasion, ni de recenser les diverses occurrences de bergeries politiques qui, montées dans les villes ou les cours, permettent de faire une sorte d’état des lieux de la situation d’alors – une des bergeries exemplaires étant la Bergerie de lAgneau de France.

66C’est sur les bergers des Nativités qu’il convient de s’attarder : par rapport au texte biblique que l’on a eu l’occasion d’aborder, ils offrent un double intérêt, en ce qu’ils sont juste mentionnés par le texte, à ce titre indispensable, et qu’ils offrent en même temps une grande liberté d’utilisation. Ils sont plus légitimes dans les jeux de la Nativité que lunguentarius dans les jeux de Pâques, et offrent une plage plus grande d’inventivité. Par ailleurs, alors qu’il y a une contrainte et malgré tout un sérieux dans le texte originel de la Nativité – le long cheminement des parents, l’impossibilité à trouver un logis, la pauvreté de la Crèche – ils sont l’occasion de moments plus légers, voire de moments plus musicaux.

  • 70 Cf. mon « L’apprentissage de la louange, pour une typologie de la prière d...

67Dans ce cas, les bergers bénéficient de plus d’un double instrumentarium : c’est à eux que les anges dans nos campagnes chantent gloria in excelsis Deo, et à la voix angélique peut se superposer celle, plus rustique, des bergers. Chez Guillaume de Digulleville, on apprend que les anges, en préparation de la Nativité, sont allés se mêler aux hommes pour apprendre à fabriquer des instruments de musique70 : s’ils jouent du psaltérion et de l’organum, ils jouent aussi de la flûte, et plus rarement de la musette, comme dans la crypte de Bayeux ou la cathédrale du Mans (ils ne sont pas moins de quatre à jouer) : il y a une continuité des anges aux bergers, sur le plan musical.

68Nécessaires à la représentation de la Nativité, musiciens, les bergers ont également un double statut : ils représentent les petits et les humbles, capables de reconnaître en premier la naissance du Sauveur, avant que les grands et les puissants, les rois Mages, n’arrivent au Christ. Ils sont en même temps, de ce fait, les premiers instruits, ceux qui sont attentifs au langage de la nature.

69C’est cette attention à la nature qui permet de résoudre la première incohérence apparente du texte ; alors que les bergers ne sortent leurs troupeaux qu’à la belle saison, les confinant dans leur bergerie tout l’hiver pour éviter le froid et les maladies, que font-ils dehors, en pleine nuit, au moment de Noël ? C’est Pierre Le Mangeur qui nous répond :

  • 71 « Mos fuit antiquiorum, in utroque solsticio, vigilas noctis custodire ob ...

L’usage était, chez les Anciens, à chaque solstice, de veiller la nuit pour vénérer le soleil. Cet usage s’était sans doute implanté chez les Juifs à cause de la cohabitation71.

Voici que nos bergers sont astronomes et savants sur les étoiles : cette caractéristique, qui est juste esquissée dans le commentaire de Pierre le Mangeur, deviendra au cours du xve siècle un des traits saillants du berger – nous voyons ici naître le motif qui donnera naissance au Calendrier et Compost des bergers.

  • 72 Les pages qui suivent reprennent pour une part le travail déjà présenté « ...

  • 73 « Romae templum pacis corruit, fons olei erupit, Caesar praeceperat ne qui...

70Savants, mais simples toujours, proches de la nature plus que jamais, les bergers vont constituer un morceau de choix pour les auteurs de Mystères ; je n’en retiendrai qu’un, le plus développé sans doute de tous, le Mystère de lIncarnation nostre Seigneur de Rouen, 147472. Il se déroule en deux journées, la seconde étant consacrée à la Nativité elle-même, et c’est là que l’on voit arriver les Pasteurs. L’ensemble du mystère est articulé autour d’un va-et-vient entre Rome et la Terre Sainte, en s’appuyant sur les légendes bien établies apparaissant dès avant l’Histoire scolastique : « à Rome le temple de la Paix s’effondre, la fontaine coule de l’huile, César Auguste ordonne que personne ne l’appelle divin73 ». En regard des bergers, ce n’est pas moins que la Sibylle qui intervient, et donne sur la ville éternelle des avis et des jugements écoutés. La fonction des pasteurs dans cette Incarnation est donc multiple, musicale bien sûr, et proposant un divertissement apprécié ; mais elle aura aussi une fonction didactique à l’image de celle de la Sibylle, mais d’un autre ordre.

71Fonction de divertissement : la première apparition d’un berger dans le mystère se produit à un moment précis, après qu’on a vu Joseph et Marie sur l’âne traverser l’espace scénique, et la didascalie nous indique :

Adonc sen vont vers Bethleem. Et lors commence Ludin, fol pasteur, endormy dedens une loge a pasteurs, ou avoit ung moulinet a enfant au coupe quil faisoit tourner par dedens quant il vouloit et parle par une fenestre dicelle loge jusques ce quil doyt partir

  • 74 Mystère de l’Incarnation et Nativité de Notre Sauveur et Rédempteur Jésus-...

Ludin fol pasteur commence*          [* Luce secundo : Et pastores erant in regione eadem, et cetera.]
Quel heure est il ? Par mon serment
Se je sçay ! Est il point saison
De desloger de sa maison
Pour aler veiller ? Il fait cler !
A ce fait tonnerre ou escler
Qui m’a esveillé en soursault.
C’est ceste nuyt que veiller fault,
Je le sçay ja pieça ; aussy
Je m’estoye endormy icy
Dés aussy tost que j’eus disné,
Affin d’estre mieux arruné          [arruné : arrangé, équipé]
A veiller quant en sera heure.
Je ne sçay pas se trop demeure
Ou non, mais est il jour ou nuyt ?
Le solleil ou la lune luyt,
Mais je ne sçay lequel. La loge
De mes yeux dit que ne desloge
Encore, pour tant je ne sçay
S’el est bien arrunee ou quoy**.          [** Adonc sault de sa loge.]
Au fort, a toutes adventures
Je m’en iray jusque es pastures
Ou se doibt faire l’assemblee,
Car il y auroit grand huee
Sur moy se derrenier venoye.74

  • 75 Ludin le présentera cependant comme « le moulinet qui sert de virevite » (...

72Caché dans sa cabane, – la fameuse « maison du berger » des romantiques ou la « borde portable » des textes médiévaux – qui n’est qu’une minuscule couchette à roulettes, le personnage qui apparaît à la fenêtre doit paraître bien étonnant. À cela s’ajoute aussi la figure du moulinet a enfant, soulignant la dimension puérile du personnage. On devine comment une sorte d’intermède silencieux peut permettre la transition d’une scène évangélique de haute tenue – Marie et Joseph s’approchant de Bethléem en même temps que de la Nativité – et une séquence comique. La loge à pasteur jusqu’ici immobile comme un simple élément de décoration destiné à souligner la ruralité du paysage – et l’éloignement de la ville – s’anime soudain du mouvement du moulinet : ce genre d’objet n’est pas le petit moulin à ailes auquel nous pensons spontanément75, mais plus probablement le moulinet à noix. Il s’agit alors d’une sorte de crécelle qui dépasse du toit de la loge, et dont on se sert comme d’un tintinabulum rustique ; on peut imaginer le jeu de scène, jouant sur le bruit puis le silence, ménageant les effets de surprise et jouant de l’étrangeté de la situation, puis la venue à la fenêtre, silencieuse, d’un visage mimant le réveil et scrutant le jour ou la nuit : le fol berger est d’abord un mime, grimaçant, disloqué, dont on ne voit qu’une partie du corps. L’extraction de la loge à pasteur peut à son tour donner lieu à un très beau jeu de scène : il s’agit, on s’en souvient, d’une sorte de caravane très étroite. Si Ludin s’est contorsionné pour plaquer son visage à la fenêtre, il sera obligé de le faire encore bien davantage pour s’extraire de la loge. C’est donc un numéro de clown ou de contorsionniste qui est proposé, dont on peut penser qu’il va passer par des postures de plus en plus étranges et « nouées » pour aboutir à une sortie très élégante et d’une déconcertante facilité.

73La façon dont Ludin craint les rires et les moqueries de ses camarades montre assez qu’il tient le rôle d’un badin, et que son statut, sinon son personnage est directement importé du théâtre des farces. Il s’agit donc de l’idiot, le premier berger que l’on rencontre, et qui va faire rire ; mais c’est celui qui, avant même la naissance du Christ, sait qu’il va se passer quelque chose :

  • 76 Id., p. 65. 

C’est ceste nuyt que veiller fault,
Je le sçay ja pieça ; aussy
Je m’estoye endormy icy
Dés aussy tost que j’eus disné,
Affin d’estre mieux arruné
A veiller quant en sera heure76.

Sa simplicité lui permet d’être plus proche qu’aucun homme du dessein divin, et le distingue radicalement des autres bergers qui, quand ils interviendront près de 40 pages après, seront qualifiés de maistre pasteur, ou de prudent pasteur : seul Ludin sera le fol pasteur, pasteur qui signale expressément qu’il a confié ses bêtes à Nachor : sans troupeau, sans chien, il est une version minimale du berger, et sa valeur scénique est autre. Il est pourtant le premier sur place, et conclut son monologue par :

  • 77 Id., p. 67.

Tousjours sont prest de m’apeller
Lent, mol, et on peult voir bien cler
Que je suis le plus diligentant…77

  • 78 Id., p. 127.

Ce qui ne l’empêche pas de s’endormir sur le champ et de ne se réveiller que plus tard, quand tous les autres seront sur le point d’arriver. Les bergers font alors l’appel de tous les membres de la compagnie : ceux qui sont sur scène, et dont on connaît les noms : Mathan, Eleazar, Isac, Isacar, Josué Massal et Laban, Jesan, Mosoc, Salmanasar, Lameth… tous noms bibliques fort aptes à une pastorale en Terre Sainte ; mais on voit aussi apparaître Clobart, Aigret et Levant, Maistre Albert, suivis bientôt d’une nouvelle liste de noms bibliques. De tous ou presque, Ludin commente la disparition, faisant leur éloge en quelques phrases : « Comme / Sont ilz mors ! C’est un grand dommaige / Il n’y a pas d’ici a Romme / Gens qui aient plus joyeux couraige78 ». Une mention marginale nous donne cependant une nouvelle indication :

  • 79 Ibid. ; « ce sont les noms d’autres bergers qui furent appelés ainsi dans ...

ista sunt nomina aliorum pastorum que in precedentibus moralitatibus nominata fuerant precipue Rothomagi79

74Cette mention confirme la perméabilité des genres et la persistance du public ; seule une assistance ayant majoritairement assisté aux moralités où figuraient ces bergers peut saisir un tel jeu d’allusions et de références. Davantage, la démultiplication des noms à consonance biblique laisse penser que d’autres versions du récit de Noël ont pu avoir lieu, assez mémorables pour qu’on puisse les évoquer après la mort de leurs acteurs principaux ; éventuellement d’autres récits vétérotestamentaires ont pu être mis en scène, qu’il s’agisse de Joseph et ses frères ou de l’histoire de Jacob que l’on vient d’évoquer : ce sont d’autres genres littéraires que les simples Nativités – la mention nous parle de moralités – qui sont évoqués, et l’on peut attendre des farces ou des bergeries. L’énumération s’arrête par la boutade de Ludin

nachor
Levi, Achar, Mosin ?

ludin
          Assemble,
Bref ilz sont alez tous ensemble
Sçavoir que monnoye c’est que on forge
Par dela. Point ne leur resemble,
Ilz sont tous trespassez fors je ;
Ilz n’estoyent point de telle forge
Que moy ne de si bonne terre.
La mort les a pris par la gorge,
Ilz estoyent fresles comme ung verre.

75Ludin est un ancien ; il est sans doute le dernier de la génération précédente, capable de jouer son rôle de badin mieux que personne, et témoin d’un art ancestral de jouer les bergers naïfs. Flanqué de son apprenti Anathot, jeune berger niais qui entre dans la carrière des personnages comiques, il est censé donner un spectacle exceptionnel, de morceau de bravoure en morceau de bravoure. On a mentionné l’arrivée sur scène de Ludin : il n’est que de voir la façon dont Anathot se présente à Nachor pour deviner qu’il y a là matière à rire également :

ludin
Nachor, nostre maistre,
Vecy Anathot qui pour estre
Vostre serviteur vient icy.

Anathot sans faire aucun honneur.
Dieu vous gart, Nachor, nostre maistre.

nachor
Es tu venu ?

anathot
          Ouy, Dieu mercy.

ludin
Couvre toy.

nachor.
          Faloit il ainsy
S’amuser et attendre tant 

anathot descouvert mais sans pleier le genouil.
Je n’en puis mès, mais nonobstant
Je leve la main et suis prest
L’amender.

ludin
          Plaisse le garet.

  • 80 Id., p. 127.

nachor
Qu’on sache se plus en vendra.
Ou est Mathan ?80

  • 81 Le nom d’Anathot semble renvoyer tantôt à une cité de la tribu de Benjamin...

76C’est ainsi non seulement le même public, mais aussi les mêmes personnages et plus encore les mêmes acteurs qui se retrouvent d’une représentation dramatique à l’autre. Ludin le fol accompagné d’Anathot81 le niais sont des figures au riche potentiel comique, et les rôles sont confiés à des acteurs chevronnés – il est bien probable que le personnage d’Anathot ne sera pas confié à un enfant, mais à un jeune homme excessivement grand, dont la candeur sera d’autant plus éclatante et comique.

  • 82 Cf. Mt. 5, 3-10.

77Ce sont ces deux personnages qui, après avoir suscité le rire et la moquerie, seront les premiers à attirer l’attention sur le comportement des animaux : leur simplicité porte sens, dans la mesure où ils illustrent les versets des Béatitudes : ce sont eux les pauvres en esprit, les cœurs purs qui auront le royaume des cieux, et qui verront Dieu82. Ils sont les révélateurs de mystères que les prudents bergers ne sont pas capables de percevoir.

  • 83 C’est l’essentiel de mon travail dans les Mélanges Hindley, j’y renvoie le...

78Après l’épisode où les animaux refusent de manger le foin qui leur est offert83, les bergers se réunissent pour un chant royal. Chacun des prudents bergers a pris la parole, et développé dans une strophe un des aspects de l’Incarnation : le don qu’a fait le Créateur en acceptant la nature humaine est développé par Nachor ; Enos s’extasie ensuite sur la puissance de l’amour et de la Charité, qui va racheter l’homme :

  • 84 Ibid., p. 381.

Et Dieu luy a donnéagrace tant plaine
Qu’oncques n’en fust une aussy souveraine.84

Malaleel insistera sur l’exemple qu’un tel amour doit inspirer au cœur humain, qui doit toucher, inciter à la méditation et à la contemplation de l’enfant. Le propos apologétique est donc bien bouclé et mené à son terme, en apparence, à l’issue de trois strophes qui constituent une ballade.

79Mais Ludin le fol berger va intervenir, lui qui se situe sur un autre registre de réalité. Il développera la gratuité et l’innocence de l’enfant incarné, sa perfection en même temps que sa pauvreté : « par luy tous biens croissent ».

80Anathot enfin aura le dernier mot, qui soulignera que Dieu est non seulement amour, mais source d’amour :

  • 85 Mystère…, p. 383. le texte propose plaine. J’ai corrigé en vaine pour deux...

Sans charité toute vertu est vaine
Et vezency la source et la fontaine85

L’incarnation est ainsi perçue au carrefour de plusieurs approches spirituelles, comme une surabondance de bien, due à l’amour divin, et qui rejaillit sur l’ensemble de l’humanité. L’envoi est pris en charge par Nachor :

  • 86 Ibid.

Princes et tous, liez d’amour la chaine
Autour de vous, et vos levres ne cessent
Louer l’enfant nasqui, a haulte alaine
Car les bestes brutes le recongnoissent86

Ce qui est essentiel ici, c’est bien que la naïveté de nos personnages est au bout du compte aussi savante que celle des prudents bergers, des savants en leur discipline, et que c’est à eux qu’il revient de transformer ce chant de louange à l’enfant né en un chant proprement royal.

  • 87 « Calendrier et toupie : sur quelques attributs des bergers dans la Passio...

81Si les bergers de l’Incarnation sont exemplaires, ils s’inscrivent dans une lignée qui en a connu d’autres ; j’ai eu l’occasion de travailler sur ceux de la Passion de Gréban87, et de montrer qu’ils s’inscrivent comme des maîtres du temps et du comput, par le présent qu’ils font à Jésus d’un calendrier :

  • 88 Le mystère de la Passion d’Arnoul Gréban. Édition critique par Omer Jodogn...

Je luy donray bien autre chose :
J’ay ung beau kalendrier de bois
Pour sçavoir les jours et les mois,
Le karesme et le nouveau temps
En place ou je soye hantans ;
ne trouve si juste qu’il est :
chascun saint a son marmouset
escript de lectre pour songier,
mais quelle lectre de bergier !
Cela luy fera advantaige ;
au moins, s’il vient en avant aage
Il aprendra a les savoir.88

  • 89 « Les Calendriers des Bergers, une encyclopédie portative ? » Lire, choisi...

82C’est une belle rencontre que la première impression d’un extrait de la Passion de Gréban, justement l’épisode de la Nativité et du dialogue des bergers, se trouve dans l’édition Le Rouge du Calendrier des Bergers89, cette encyclopédie populaire où se retrouve tout ce dont l’homme peut avoir besoin, et qui sera réimprimée avec quelques variantes jusqu’au milieu du xixe siècle.

83Ce savoir sur le temps, cette maîtrise du comput sont directement hérités de la tradition attestée par Pierre le Mangeur ; le berger est astrologue, connaît les destinées et maîtrise la nature. Il dispose d’un savoir universel, cosmique, animalier et humain ; il est certes à ce titre une figure de même nature que le roi lui-même, mais il est plus familier, plus proche des hommes et de leurs préoccupations immédiates.

84Ce Calendrier des Bergers, qui a été édité et réédité des centaines de fois, était destiné à un public capable de lire, de s’intéresser à la santé, aux humeurs et aux points de saignée, soucieux de connaître les peines d’enfer et les caractéristiques des oiseaux, les points de la foi (dix commandements, Credo, Pater et Ave Maria), et même de savoir quelques choses bien générales sur l’état de bergerie qui est une figure de l’ordre du monde et de l’harmonie universelle, comme l’annonçait déjà Jean de Brie, abondamment cité :

  • 90 Le terme de Philosotie est un hapax « formé par plaisanterie sur Philosoph...

  • 91 Jean de Brie, Le Vray Regime et gouvernement des bergers et bergeres, 1542...

Et se aulcun demandoit a quelle partie de philosophie il sera supposé, on peut respondre que il sera attribué et supposé à la philosotie90, ou philosophie de bergerie. Et en verité on le pourroit et devroit par raison appliquer a toute philosophie raisonnable, moralle et naturelle. Le prouffit de cest ouvrage est moult grand et bon a la chose publique, comme cy après sera plainement declairé91.

À la suite du Bon berger, le Calendrier vise, bien sûr, un public urbain plus qu’un public rural, un lectorat pour qui, en ce qui concerne les choses de la nature, le berger constitue une référence. Il n’empêche ; en même temps que les articles de la foi et des textes moraux, le berger se trouve ainsi, magiquement, détenteur d’un savoir qu’il a la bonté de diffuser : celui qui est chez Pathelin à la limite de l’animalité, fol ou niais dans le mystère que l’on vient d’étudier, devient le vecteur de savoirs disponibles chez Jean de Brie ou Guy de Chauliac, annonce les signes de la fin du monde et donne les moyens de prévoir le temps. Son savoir n’est pas que naturel, mais aussi spirituel et philosophique, par son souci des êtres vivants et son observation du ciel.

     

85Et c’est cela sur quoi il importe de conclure, après cette enquête initiée aux bords mêmes du Paradis Terrestre.

  • 92 « Le Berger à la fin du Moyen Âge. Remarques sur une Figure Trifonctionnel...

86J’avais, dans un travail précédent92, esquissé l’idée que le berger rassemblait à lui seul les trois fonctions duméziliennes, et qu’à la fois combattant, sage et dispensateur de richesse, il était implicitement une figure royale et une métaphore du pouvoir.

87Je continue à le croire, en modalisant cependant certains éléments : il est évident que la figure pastorale qui s’est constituée tout au long du Moyen Âge n’a pas grand-chose d’indo-européen, et relève davantage du monde sémitique, ce qui fragilise évidemment une lecture trifonctionnelle tant Dumézil les considérait comme antagonistes. Néanmoins, comme beaucoup des motifs qui courent en Occident, les deux mondes se rejoignent. C’est d’Israël que nous vient ce que je nommerai faute de mieux une mythologie du berger, qui de pasteur peut devenir roi. C’est par l’Église que cette figure s’impose dans la littérature et l’idéologie médiévales, et on ne trouvera pas ou très peu de modèles latins, et toujours dispersés. Jacob, fondateur d’Israël est un berger particulièrement avisé, maîtrisant les lois de la génétique ; sage à coup sûr, porteur et dispensateur de richesses, le berger David peut d’un jet de fronde devenir roi.

88Abel, Jacob, David et Ezéchiel ont composé par petites touches un modèle qui se déclinera même dans les versions ludiques des bergeries ; ce qu’ajoute le Moyen Âge à cette thématique, c’est, à partir du motif de la pastourelle, une fascination pour la vie naturelle, ce que j’appellerais une composante panique – une nostalgie de l’Âge d’Or – et l’idée, cette fois-ci héritée de l’Antiquité sans doute, que les bergers ont tout le temps de s’occuper de l’amour. Si cette composante aboutit aux badinages de Robin et Marion ou de LAstrée, elle a aussi une dimension plus charnelle.

89De ce fait, le temps passant, la figure pastorale connaîtra ses déclinaisons, ses renversements. Dans la lignée initiée par la paronomase d’Abel, Jabel et Jubal, le berger prendra une place grandissante dans l’imaginaire de la musique, et si le motif est très clairement d’origine gréco-latine, il trouve un ancrage dans la tradition hébraïque : depuis Pan et sa flute, depuis David dansant devant l’arche, les pastorales se multiplient, proposant une musique de plus en plus élaborée.

  • 93 Marie-Thérèse Kaiser-Guyot, Le Berger en France au XIVe et XVe siècles, Pa...

90Mais cette version idyllique, on devrait dire arcadienne, a évidemment son envers. Le berger allouvi que dénonce Agrippa dAubigné et que l’on retrouve chez Molinet ou même chez Thibaut l’Agnelet a son origine biblique, dénoncé qu’il est par Isaïe et les Évangiles ; le berger clerc et instruit de la nature des choses se trouve dès Jacob, et se poursuivra longtemps ; qu’on pense non seulement au calendrier des Bergers, mais à des romans comme Les Maîtres sonneurs de Sand, ou LEnsorcelée ; mais il y a une face sombre du berger, brutal et vaguement sorcier, bestial à l’occasion, que l’on voit ressurgir dans les archives ; Marie-Thérèse Kaiser Guyot93 mentionne quelques bergers urbains dans les archives rouennaises, et il est intéressant de voir que sur douze sentences prononcées par le Tribunal ecclésiastique de Rouen entre 1425 et 1496, trois concernent des bergers – ceux-ci ne représentent pourtant pas le quart de la population ! Ils ont tous été jugés et condamnés pour des sortilèges, herbes ou enchantement, protégeant les troupeaux ou les femmes – ou captant leur amour...

91Le berger possède une force chthonienne, proche du plus primitif de la nature – ne pratique-t-il pas le plus vieux métier des hommes ? Il participe des forces primitives, et a la main sur la reproduction des troupeaux ; force sexuelle, force panique, il participe à la fois du faune au désir infatigable et des terreurs surhumaines. Si ce motif n’est pas vraiment apparent au cours du Moyen Âge, il affleure parfois, autour de la figure inquiétante du berger d’Yvain, ou autour des angoisses que suscitent les pastoureaux. Cette puissance sur ses bêtes l’apparente au roi, et le rend essentiellement protecteur de ses ouailles. Mais par sa dimension naturelle, il est le témoin de l’ordre et du désordre du monde. Les pastoureaux sont le signe d’une société malade, et leur quête de justice est également une quête spirituelle, tout comme Le Grand Troupeau de Giono passe par la figure du berger pour rendre compte du mal du monde et de sa régénérescence, lorsqu’à la fin du roman apparaît l’enfant nouveau-né. Le berger qui avait ouvert le roman dans une transhumance apocalyptique passe alors, témoin de l’apaisement du monde, et lui fait « les présents des bergers » : le vert de l’herbe, le bruit du monde, le soleil…

  • 94 Le Grand Troupeau, « Pléiade » sous la direction de P. Ricatte, NRF, 1973,...

Et moi, j’ajoute : Si Dieu m’écoute, il te sera donné d’aimer lentement, lentement dans tous tes amours, comme un qui tient les bras de la charrue et qui va un peu plus profond chaque jour. […] Tu feras ton chemin de la largeur de tes épaules. Il te sera donné la grande facilité de porter souvent le sac des autres, d’être au bord des routes comme une fontaine. Et tu aimeras les étoiles.94[…]

92Le roman s’achève enfin sur la présentation de l’enfant à la nature, et « l’étoile des bergers monte dans la nuit ».

Notes

1 Gn, 3, 18.

2 On suivra généralement le texte de la Vulgate Clémentine et, sauf mention contraire, la traduction Crampon, toutes deux accessibles grâce au programme Vulsearch.

3 Gn 4, 3.

4 Gn, 4, 2.

5 וַתֹּסֶף לָלֶדֶת, אֶת-אָחִיו אֶת-הָבֶל ; וַיְהִי-הֶבֶל, רֹעֵה צֹאן, וְקַיִן, הָיָה עֹבֵד אֲדָמָה. Le texte hébreu selon la version massorétique et la traduction française sous la direction du Grand-Rabbin Zadoc Kahn sont accessibles sur le site https://www.mechon-mamre.org

6 Gn, 4, 3 ; Gn 4, 5.

7 Thomas Römer, Dieu obscur : cruauté, sexe et violence dans l’Ancien Testament, Labor et Fides, 2009, p. 97.

8 Gn, 4, 11-12.

9 Gn, 4, 17.

10 La tradition médiévale dit que Lamech vieillissant, aveugle et guidé par un enfant, tire sur ce qu’il croit être du gibier : c’est son propre père qu’il transperce d’une flèche – se blessant ainsi lui-même, et c’est son propre fils qu’il tue pour l’avoir rendu parricide. C’est cette version qui est diffusée dans la Glossa ordinaria. Si j’ai consulté la version disponible grâce à l’indispensable application Vulsearch, on peut accéder à une version plus scientifique sur le site Glossae.net, extrêmement riche : http://vulsearch.sourceforge.net et http://glossae.net/

11 Gn, 4, 17-24.

12 Cf. Glossa ordinaria : « Abel namque luctus, interpretátur, vel vapor, quia luctus fuit parentibus vel tanquam vapor cito disparuit ».

13 « Vel dic quo abel significat hominem, quia abel interpretatur luctus, vanitas, vel miserabilis, quare homo naturaliter est vanus miserabilis, lusctuosus, etc. Ideo de homine potest dici illud Gen .iiij. Ubi est frater tuus, etc. quod dico iste non habet existentiam longam, immo transit ut vanitas et recedit. »

14 Cf. Pierre Riché, Gerbert d’Aurillac, le pape de l’an Mil, Paris, Fayard, 1987.

15 On connaît cette somme des Pères de l’Église, publiée par Migne au xixe siècle, qui comprend plus de 240 volumes. Outre les versions numérisées que l’on pourra trouver en ligne, on pourra consulter la version électronique proposée par Chadwyck-Healey, accessible dans la plupart des bibliothèques universitaires.

16 Cf. mon « Ab Ovo : Jumeaux, Siamois, Hermaphrodite et leur mère », Colloque d’Aix en Provence, Les relations de Parenté dans le Monde médiéval, Senefiance n° 26, p. 351-371, 1989 (disponible sur internet : http://books.openedition.org/pup/3077).

17 Gn, 25, 27.

18 Ms Arsenal 5059, f28a.

19 Gn, 30, 37-40.

20 Gn, 31, 6 sq.

21 Gn, 31.

22 « Une découverte archéologique faite à Nuzi a révélé l’existence d’une loi patriarcale aux termes de laquelle la possession des dieux familiaux donnait à un homme le droit de propriété sur les biens de son défunt beau-père. Les exemples de déclarations bibliques confirmées par les fouilles de Nuzi sont si nombreux que le Supplément au dictionnaire de la Bible (vol VI, colonnes 663-672) y consacre plus de huit colonnes en petits caractères ». site LouvreBible, rubrique « Teraphim », consulté le 15 septembre 2018.

23 Gn, 32, 28.

24 Cf. Laura Makarius, « Le mythe du “Trickster” », Revue de l’histoire des religions, 1969, t. 175-1, p. 17-46.

25 Cf. Lv, 27, 32 : « Omnium decimarum bovis et ovis et capræ, quæ sub pastoris virga transeunt, quidquid decimum venerit, sanctificabitur Domino ».

26 Nb, 27, 17.

27 R3, 22, 17. Cf. également Jg, 11, 15.

28 Ecc, 18, 13.

29 Is, 40, 10-11.

30 1R, 17, 40 sq.

31 Ez, 34, 20-22.

32 Lv, 16, 20.

33 Lv, 16, 27; 23, 19.

34 Ez, 34, 23-24.

35 Cf. Mark F. Rooker, Biblical Hebrew in transition: the language of the Book of Ezekiel, éd. Continuum International Publishing Group, 1990, p. 68-71.

36 Jn, 21, 17.

37 Sermons, 46 et 47.

38 Is, 31, 4.

39 Is, 56, 11.

40 Cf. entre autres Georges Dumézil, Mythe et épopée, Paris, Gallimard 1968, nouvelle édition « Quarto » 1995 ; Georges Duby, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978.

41 Liliane Bodson : « Le Berger et les dieux du troupeau dans la Grèce antique », Journal d’Agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 29e année, bulletin n° 1, janvier-mars 1982, p. 75-79.

42 Monumenta Germaniae Historica, Scriptores, t. I, Hanovre, 1826, p. 579.

43 Cette collection de documents sur l’histoire et la littérature en terre germanique est accessible désormais en ligne https://www.dmgh.de/

44 R. Bezzola, Les origines et la formation de la littérature courtoise en Occident (500-1200), 3 vol. , Paris 1944, 1960, 1963.

45 J. De Ghellinck, Littérature latine au Moyen Âge, I. Depuis les origines jusqu’à la fin de la Renaissance carolingienne. II. De la Renaissance carolingienne à saint Anselme, Paris, Bloud et Gay, 1939.

46 Yvain, « Pochothèque », Livre de poche, v. 326-327, p. 721.

47 Id. v. 338-340, p. 722.

48 v. 344-348, 353. L’image de la crainte suscitée par le spectacle d’une maltraitance est un écho à la locution « battre le chien devant le lion », où les aboiements du chien sous l’effet de la douleur inspirent la crainte, donc l’obéissance du lion ; l’intérêt est ici que la force du vilain peut s’appliquer directement sur des bêtes sauvages.

49 Cf. Yvain, v. 2240 sq.

50 Michel Zink, La pastourelle. Poésie et folklore au Moyen Âge. Paris/Montréal, Bordas, 1972.

51 Maxime Kamin me rappelle fort opportunément « À ma connaissance, les pastourelles en langue d’oc n’aboutissent que très rarement sur la représentation de rapports sexuels. Seule une pastourelle anonyme, L’autrier, al quint jorn d’abril (Audiau, p. 123-126), et peut-etre une aussi de Joan Estève se prêtent éventuellement à ce type d’interprétation. Vouliez-vous donc parler des pastourelles en langue d’oïl ? » Oui, en effet, ce sont celles qui content volontiers l’issue sexuelle de ces dialogues. Elle reste cependant en ligne d’horizon dans les textes d’oc, sauf exception.

52 Qu’on pense à la tenso entre Montan et une dame, éditée entre autres par Pierre Bec, Burlesque et obscénité chez les troubadours, Stock, 1984, p. 161-164.

53 Pour ces trois textes, on pourra se renvoyer aux éditions bilingues procurées par J. Dufournet chez Garnier-Flammarion.

54 Jean Dufournet, Le théâtre arrageois au xiiie siècle, Paradigme, 2008.

55 On connaît bien le tableau représentant Gaspard de Gueidan jouant de la musette de cour, par Hyacinthe Rigaud, 1738, Musée Granet, Aix-en-Provence.

56 On préférera la récente édition de G. Roussineau : René d’Anjou, Regnault et Jeanneton, édition et traduction par…, Genève, Droz, 2012 (« Textes Littéraires Français », 610), qui offre la reproduction du superbe manuscrit unique de St Petersbourg.

57 Op. cit., v. 51-63.

58 Ibid., v. 106-112.

59 Ibid., v. 146-147.

60 Les deux éditions les plus accessibles du texte d’Alain Chartier : La belle dame sans mercy et les poésies lyriques. Édition publiée par Arthur Piaget, Paris, Droz (Textes littéraires français, 1), 1945. Poèmes par Alain Chartier. Textes établis et présentés par James Laidlaw, Paris, Union générale d’éditions (10/18. Bibliothèque médiévale, 1929), 1988. Pour Guillaume de Machaut, on consultera Œuvres de Guillaume de Machaut éd. Ernest Hoepffner, Paris, Champion pour la Société des anciens textes français, 1908-1921, 3 t.

61 René d’Anjou, Op. cit., v. 130-131.

62 Le texte est établi dans Arthur Piaget « Le Chapel des fleurs de lys, par Philippe de Vitri », Romania, t. 27 n° 105, 1898, p. 55-92 ; p. 63-65.

63 Op. cit., v. 5.

64 Ibid.

65 Id., v. 13.

66 v. 3.

67 v. 20.

68 Pour les Dits moraux d’Henri Baude, outre l’édition d’Annette Scoumanne, Dictz moraux pour faire tapisserie. Édition critique publiée, Genève, Droz ; Paris, Minard, 1959, on se référera à Dictz moraulx pour faire tapisserie. Dessins du Musée Condé et de la Bibliothèque nationale ; [catalogue rédigé par Jean-Loup Lemaître], Ussel, Musée du pays d’Ussel, 1988.

69 Cf. La Scène et les tréteaux, Paradigme 2005, ainsi que l’ensemble de sa thèse, disponible en ligne sur le site de la BU de Rennes.

70 Cf. mon « L’apprentissage de la louange, pour une typologie de la prière dans les pèlerinages de Guillaume de Digulleville », Guillaume de Digulleville, les pèlerinages allégoriques, sous la direction de F. Duval et F. Pomel, P. U. Rennes 2, « Interférences » 2008, p. 159-184 ; p. 174-176.

71 « Mos fuit antiquiorum, in utroque solsticio, vigilas noctis custodire ob solis venerationem. Qui forte mos etiam apud Judaeos ex usu cohabitantium inoleverat », Petrus Comestor, Historia scolastica, in Migne, Patrologia Latina, t. 198, col 1540.

72 Les pages qui suivent reprennent pour une part le travail déjà présenté « La campagne à la ville : bergers et animaux à Rouen, 1474 », Performance, Drama and Spectacle in the Medieval City, Essays in Honour of Alan Hindley, ed. Catherine Emerson, Mario Longtin and Adrian P. Tudor, Peeters, 2010, p. 295-318.

73 « Romae templum pacis corruit, fons olei erupit, Caesar praeceperat ne quis eum divum vocaret ». (ibid.)

74 Mystère de l’Incarnation et Nativité de Notre Sauveur et Rédempteur Jésus-Christ représenté à Rouen en 1474, publié d’après un imprimé du xve siècle, avec introduction, notes et glossaire par Pierre Le Verdier, Société des Bibliophiles normandes, Rouen, Espérance Cagniard, 3 tomes, 1884, 1885 (texte), 1886 (introduction et notes), p. 65.

75 Ludin le présentera cependant comme « le moulinet qui sert de virevite » (p. 370). Ce sera le cadeau du berger à l’enfant Jésus, et la présentation en est intéressante à plus d’un titre. On pourrait rapprocher ce passage du chant royal de Pierre Crignon qui, une cinquantaine d’années après, présentera Marie comme « Du bon pasteur le sacré tabernacle » (Cf. D. Hüe, Petite anthologie palinodique, Paris Champion, 2002, p. 272 sq.).

76 Id., p. 65. 

77 Id., p. 67.

78 Id., p. 127.

79 Ibid. ; « ce sont les noms d’autres bergers qui furent appelés ainsi dans des moralités antérieures, en particulier à Rouen. »

80 Id., p. 127.

81 Le nom d’Anathot semble renvoyer tantôt à une cité de la tribu de Benjamin (Js 21, 18) tantôt à un fils de Becher, de la même tribu (I Cr.7, 8).

82 Cf. Mt. 5, 3-10.

83 C’est l’essentiel de mon travail dans les Mélanges Hindley, j’y renvoie le lecteur.

84 Ibid., p. 381.

85 Mystère…, p. 383. le texte propose plaine. J’ai corrigé en vaine pour deux raisons : le mot figure déjà à la rime dans le chant royal ; une mention marginale renvoie au fameux passage de l’épitre au Corinthiens (1Co, 13-1 : si je n’ai pas la charité, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit ») qui donne le sens dans lequel corriger le texte autrement incompréhensible.

86 Ibid.

87 « Calendrier et toupie : sur quelques attributs des bergers dans la Passion de Gréban » Le Jeu et l’accessoire, Mélanges… Michel Rousse. Garnier 2011, p. 369-388.

88 Le mystère de la Passion d’Arnoul Gréban. Édition critique par Omer Jodogne, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1965-1983, v. 5497-5508.

89 « Les Calendriers des Bergers, une encyclopédie portative ? » Lire, choisir, écrire, la vulgarisation des savoirs du Moyen Âge à la Renaissance, sous la direction de V. Giacomotto-Charra et C. Silvy, études et rencontres de l’École des Chartes 43, 2014, p. 71-96.

90 Le terme de Philosotie est un hapax « formé par plaisanterie sur Philosophie et « ὄις » (Französisches Etymologisches Wörterbuch, t. VIII, p. 386b). On voit par une telle référence au grec que l’auteur est déjà un humaniste, que la préface date du xive ou du xvie siècle.

91 Jean de Brie, Le Vray Regime et gouvernement des bergers et bergeres, 1542 f. Aiii v.

92 « Le Berger à la fin du Moyen Âge. Remarques sur une Figure Trifonctionnelle » Mélanges... J. Batany, Paradigme 2006, p. 117-138.

93 Marie-Thérèse Kaiser-Guyot, Le Berger en France au XIVe et XVe siècles, Paris, Klincksieck, 1974.

94 Le Grand Troupeau, « Pléiade » sous la direction de P. Ricatte, NRF, 1973, p. 724.

Pour citer ce document

Denis Hüe, «Le métier d’Abel», Acta Litt&Arts [En ligne], Acta Litt&Arts, Les mondes des bergers, mis à jour le : 06/11/2023, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/actalittarts/537-le-metier-d-abel.

Quelques mots à propos de :  Denis  Hüe

XXX