Dossier Acta Litt&Arts : Eustache Deschamps : facettes d’un poète du XIVe siècle

Clotilde Dauphant

« Compter » selon Eustache Deschamps

Texte intégral

  • 1 Eustache Deschamps, Anthologie, éd. et trad. C. Dauphant, Paris, LGF, coll....

1Dans la pièce 51 de l’Anthologie, le poète Eustache Deschamps dénonce avec humour l’arithmétique, un art qui consiste à « Compter, getter et mannïer argent1 ». L’isotopie du monde financier est complétée par la répétition du substantif finance (v. 8 et 17) et par des noms de métier (v. 23-25) : les « receveurs » qui collectent les recettes, les « tresoriers » qui gèrent les dépenses et les « monnoiers » qui manipulent les pièces. Le refrain s’inscrit dans un chiasme avec le vers 7 où l’arithmétique est sujet de trois verbes : « Elle enrrichist, elle giette, elle compte ». Compter les pièces conduit à augmenter leur nombre, ce que suggère aussi la formule « sa[voir] doubler et tierçoier » (v. 18). La multiplication trompeuse des pièces, qui bénéficie à certains en appauvrissant les autres, s’oppose à l’image de la « balance » (v. 34), celle de l’équité et de la justice. L’arithmétique est ici un art appliqué et un art dévoyé : il s’agit de capter pour son profit l’argent des autres. Le poète esquisse d’abord une psychomachie où il met en scène les sept arts libéraux de la formation universitaire dans une compétition sociale. Puis ce sont les hommes eux-mêmes qui sont désignés comme coupables, mus par leur « orgueil » (v. 32).

  • 2 Anthologie, pièce 187 (MCCCXCVI), p. 582-634, § 3a.

2La mise en cause de l’arithmétique dans la ballade 51 s’oppose à la valorisation de tous les arts libéraux au début de l’Art de dictier. L’arithmétique y est définie comme « science de getter et compter par le nombre de augorisme et autre nombre commun2 » : il s’agit cette fois de manipuler de manière abstraite des chiffres selon différents systèmes de numération. Tous les arts du quadrivium consistent à établir des rapports de longueur, de distance ou d’intervalle entre des objets géométriques, entre les astres ou entre les notes de l’hexacorde. Comme l’écrit Isabelle Marchesin :

  • 3 « Cosmologie et musique au Moyen Âge », dans Le Moyen Âge entre ordre et dé...

Dans l’Antiquité grecque comme au Moyen Âge, il n’existe pas de valeurs numériques absolues, reconnues de tous, à partir desquelles on évaluerait le monde (c’est-à-dire que l’on ne connaît pas plus le gramme, le mètre, que le diapason). Les valeurs quantitatives n’existent que dans la relation de proportion : ceci est plus grand, lourd, petit, haut, de tant de fois que cela3.

  • 4 Nous nous méfions, à la suite de Paul Zumthor, du « symbolisme des nombres ...

  • 5 On citera à titre d’exemple l’explicit du Double Lai de fragilité humaine, ...

  • 6 Voir par exemple l’incise au vers 26 de la ballade 51 : « ainsi que je te c...

Aucun nombre ne revêt donc a priori une valeur particulière, un sens symbolique absolu, dans l’œuvre de Deschamps, qui s’intéresse plutôt à la démarche du calcul qu’à son résultat4. L’énoncé même des chiffres peut d’ailleurs être faux. La copie d’un chiffre romain est un lieu courant d’erreur pour le scribe, qui a tôt fait d’oublier ou d’ajouter une lettre et d’ainsi modifier la somme5. Enfin, le fait de compter ne produit pas seulement des résultats numériques. Sous différentes graphies, le verbe compter, issu du latin computare, confond en moyen français les deux sens qui donneront deux verbes en français moderne6 : compter au sens de « calculer » et conter au sens de « raconter ». Étudier les nombres chez Deschamps, c’est donc s’interroger non sur la valeur symbolique de tel ou tel chiffre, mais sur l’intérêt de calculer et de raconter.

3Dans la ballade 51 comme dans l’Art de dictier, le nombre est perçu comme créateur d’équité ou de déséquilibre, de justice ou de domination. Nous nous demanderons comment l’arithmétique peut être juste en étudiant les trois principaux objets comptés par le poète : le temps, l’argent et les mots. Nous verrons que le poète compte le temps qui passe pour tenter de comprendre la justice de Dieu. Nous étudierons ensuite comment il invite à bien compter dans le domaine économique, sans être injuste ni imprudent. Enfin, nous analyserons la force créatrice des proportions ajustées dans le domaine esthétique.

Compter les années : la vie humaine à l’épreuve de la mesure divine

4La fuite du temps est un topos. Mais Deschamps ne se contente pas de déplorer ce phénomène universel inéluctable. Il souhaite donner le sens de la vie en la confrontant au projet divin, qui est forcément juste. Il le fait comprendre en donnant peu de dates, mais en comptant les années au niveau humain et au niveau cosmique.

  • 7 Dans l’Anthologie (p. 288-290 et 698-700), parmi les pièces à formes fixes,...

  • 8 Anthologie, pièce 190 (MCCCCXI), p. 672-678, v. 103-104. L’édition est faut...

  • 9 Anthologie, pièce 189 (MCCCCIV), p. 650-672, v. 412-413.

  • 10 Jacques Paviot, étudiant « Ordres, devises, sociétés chevaleresques et la ...

  • 11 Anthologie, pièce 188 (MCCCXCVIII), p. 636-648, v. 250-251.

  • 12 Ibid., v. 3, 20, 22 et 36.

  • 13 Françoise Autrand, Charles V le Sage, Paris, Fayard, 1994, p. 545.

  • 14 Anthologie, pièces 22-23 (CXXIII-CXXIV), 28 (CLXV) et 38-39 (CCVI-CCVII), ...

5Très peu de textes sont explicitement datés par Deschamps, et la datation des autres textes est souvent impossible, parfois hasardeuse7. En tant que parodies de documents officiels, les chartes comportent souvent des indications de lieu et de temps qui peuvent être décevantes. Le Testament par esbatement a ainsi été « Escript a Vitri en grant soing / Le xviiie jour de joing8 », sans que l’année ne soit précisée. En revanche le Beau dit de ceuls qui contreuvent nouvelles bourdes et mensonges est daté des « xvi et dix septimes / Jours d’octobre mil quatre cens9 ». La convocation burlesque d’un parlement des menteurs peut ainsi être rapprochée de la mode des sociétés chevaleresques, en particulier la cour amoureuse fondée quatre mois après10. Quant à la Charte des Fumeux, datée du « ixe jour de decembre / L’an mil ccc lx et huit11 », elle s’intéresse à une question de ressort juridique. Dans l’exposé des circonstances conduisant à la prise de décision, attendu dans le protocole de la charte, le « sires des Fumeux » se plaint que les « subgiez de la Fumeë » ont pu être « appell[és] » ou « emprinsonnez » par « d’estrange gent12 ». Or, à la fin du mois de novembre 1368, le roi Charles V a reconnu la légitimité de l’appel du comte d’Armagnac auprès du Parlement de Paris13. Le comte refusait de payer des impôts au Prince Noir, remettant en cause le transfert de souveraineté en Aquitaine après le traité de Brétigny. Deschamps n’écrit pas un texte codé où les Fumeux représenteraient les Gascons sujets légitimes du roi de France : son texte est surtout l’amusant portrait imaginaire d’un groupe incohérent. Mais il reprend un sujet à la mode, alors que tous les Français espèrent la reconquête du domaine royal que Charles V avait déclaré inaliénable lors de son sacre en 1364. Les chartes 188 et 189 montrent que Deschamps s’inspire de circonstances précises tout en s’éloignant de l’actualité pour donner à ses textes une signification morale, ici humoristique, en peignant les caprices et les péchés des hommes. D’autres textes sont liés à des événements sans que l’auteur n’en donne la date, notamment les hommages funèbres au roi Charles V, au connétable Du Guesclin, au poète Guillaume de Machaut14. Eustache Deschamps n’est pas un chroniqueur attachant de l’importance à la chronologie historique, mais un poète lyrique cherchant à exprimer ce que sont les hommes et ce qu’ils voudraient être.

  • 15 Anthologie, pièce 158 (MCLI), p. 512-514, v. 3 et 34.

  • 16 Anthologie, pièce 82 (DXXXV), p. 350-352, v. 8-9.

  • 17 Anthologie, pièce 145 (MLXIII), p. 476-478, v. 1-3. Voir aussi les pièces ...

  • 18 Anthologie, pièce 102 (DCLVII), p. 384, v. 1-2.

  • 19 Ibid., v. 6.

  • 20 Voir notamment les pièces LXXIX, v. 13-14 ; CXXXIV, v. 8-9 ; CXCVIII, v. 1...

  • 21 Anthologie, pièce 6 (XXV), p. 104-106, v. 10-15. Voir l’analyse de Camille...

  • 22 OCED, ballade CXXVIII, vol. 1, p. 250-252 : l’été occupe quatre vers, l’au...

  • 23 Anthologie, pièce 104 (DCLXXV), p. 384-386.

  • 24 Anthologie, pièces 36 (CXCV) et 154 (MCXXIV), p. 128 et 500-504.

6Compter le temps, pour Deschamps, consiste plutôt à dresser un bilan des années passées. La ballade 158 fait entendre la voix d’un père qui s’adresse à sa fille sur le point de se marier. Après l’avoir « Xvii ans nourrie et gouverneë », il doit déjà s’en séparer ; il lui déclare « bien vous ay ameë » au passé composé à valeur accomplie15. Dans la ballade 82, une femme regrette sa jeunesse si vite perdue : « Vint et cinq ans dura ma jeune flours / Mais a trente ans fu ma coulour muëe16 ». Ce sont ses années d’activité comme moraliste que pleure le poète désabusé au début de la ballade 145 : « Vint ans a que je ne cessay / Des vices blasmer et d’escripre / Les vertus, mais je m’en tairay17 ». Il s’agit toujours de compter un temps à jamais perdu. Le rondeau 102 exprime l’accélération de la vie humaine par sa forme très brève, grâce au choix de l’heptasyllabe et du refrain de deux vers. Le locuteur invite à son anniversaire : « Venez a mon jubilé ! / J’ay passé la cinquantaine18 ». Or le développement du rondeau passe du bilan au solde de tout compte. Malgré la reprise de l’invitation en guise de ritournelle, le poète annonce en effet sa mort prochaine : « Adieu ! de moy vous souviengne !19 ». Deschamps fixe en général l’espérance de vie à une soixante d’années20. Dans la ballade 6, l’accélération du temps est exprimée par une décomposition erronée des soixante ans, puisque la deuxième strophe explique que les « lx ans » sont constitués de « xx ans » de jeunesse, « dix ans » d’acquisition de biens terrestres et finalement « Dix ans regner et dix ans estre vains », ce qui fait cinquante et non soixante21. Dans une autre ballade, les quatre âges de la vie sont à l’image des quatre saisons ; mais la deuxième strophe est entièrement consacrée au printemps de la jeunesse, tandis que la troisième rassemble les trois dernières saisons de la vie22. La disproportion reflète la perception irrégulière du passage du temps. Les thèmes de la fuite du temps, de la vieillesse et de la mort conduisent naturellement le poète à une leçon de memento mori, que l’on trouve notamment dans le rondeau 10423. Au-delà du désespoir des hommes vieillissants et de la peur de la mort, le poète incite à se tourner vers Dieu en comprenant la vanité du monde terrestre. Toutes les formes des pièces, des plus courtes au plus longues, se prêtent à ce thème : en plus des rondeaux déjà cités, on peut penser au très long Double Lai de fragilité humaine ou encore à la ballade 36, en trois huitains heptasyllabiques, et à la chanson royale 154, en cinq dizains décasyllabiques suivis d’un envoi24. Ces deux dernières pièces dressent un bilan de la vie terrestre en lui donnant une valeur nulle au refrain : « Tout est perdu en une heure », « C’est tout neant des choses de ce monde ». L’intelligence humaine – qui dénombre les années et les biens – s’oppose ici à la sagesse divine. Le sentiment d’injustice que ressent l’homme voyant fuir les jours est détruit par le plan du Salut, que Deschamps évoque comme une certitude sur laquelle il n’est pas nécessaire de s’appesantir.

  • 25 Cette formule se trouve dans le chapitre IV « L’accomplissement des prophé...

  • 26 Voir l’étude de Thierry Lassabatère dans La Cité des Hommes. Eustache Desc...

  • 27 OCED, pièce CXXVI, p. 246-24, v. 9-15.

  • 28 Anthologie, pièce 137 (DCCCCLXXXI), p. 458-460, v. 12 et 19. La pièce DCCC...

  • 29 Thierry Lassabatère, La Cité des Hommes, op. cit., p. 86.

  • 30 Anthologie, pièce 20 (CVII), p. 96. Les bêtes sauvages (Ap 6, 8) sont remp...

7L’histoire des hommes s’inscrit dans un projet qui les dépasse et le poète, malgré le ton prophétique de ses admonestations, rend bien compte de son incertitude. « Poète de la fin des temps25 », il s’appuie sur de nombreuses traditions et utilise un langage allégorique codé pour expliquer l’arrivée imminente de l’Apocalypse26. Le décompte des années est l’un des moyens pour démontrer l’urgence de la situation, moyen spectaculaire mais ni unique ni univoque. Une ballade compte six périodes jusqu’à la fin du monde27 : « aage doré » puis « en argent », « en fer », « en arain », enfin « d’estain » et finalement de « plomc ». Or, dans la ballade 137, le poète compte « vii aage », annonçant la fin du monde « Dedenz vint ans, po plus, po moins28 ». Comme l’écrit Thierry Lassabatère, malgré les hésitations sur les découpages chronologiques, « Deschamps annonce invariablement la Fin du monde pour l’année 140029 ». Il ne s’agit pas de se plaindre du plan divin mais d’encourager les hommes à se convertir : ce type de pièce doit susciter un sentiment d’urgence, plutôt que la tristesse et le découragement. Selon le sens chrétien de l’Histoire, l’humanité court à sa perte avant le retour du Christ et le Jugement dernier. Les lecteurs sont invités à changer d’attitude pour freiner ce mouvement inéluctable. Ainsi, la ballade 20 reprend l’image des quatre chevaux de l’Apocalypse dans son refrain annonçant « Mortalité, tempest, guerre et famine30 ». L’humanité est frappée par une « sentence » (v. 7) annoncée au futur. Or l’envoi modifie la prophétie :

Prince, je tiens selon m’opinïon
Que se pitié vers Dieu noz cuers n’encline
Que du monde feront finicïon
Mortalité, tempest, guerre et famine.

  • 31 Anthologie, pièce 154 (MCXXIV), p. 500-504, v. 1-2 et 6. La ballade 12 (LX...

  • 32 Anthologie, pièce 192 (MCCCCXXVI), p. 682-684.

  • 33 Anthologie, pièce 184 (MCCCLXXXIII), p. 576-578, v. 5, 10 et 15.

8Selon Deschamps, la fin du monde est conditionnelle parce que la conversion des pécheurs peut conduire au pardon de Dieu. Le temps cosmique est plusieurs fois ramené à une échelle humaine plus compréhensible. Le poète dresse le bilan d’un passé récent lorsqu’il compte, dans la chanson royale 154, « l ans […] de tribulacïon, / De tempestes et de mortalitez31 ». Si la tonalité apocalyptique fait penser à la ballade 20, les malheurs énumérés sont plus précis et plus proches du lecteur contemporain de Deschamps, qui a dû entendre parler de la guerre entre France et Angleterre, des derniers rois de France, des fêtes de l’année 1389 ou encore du mariage entre Isabelle de France et Richard II conclu en 1396. C’est à la hauteur d’une vie humaine qu’il peut comprendre que le monde court à sa fin. La ballade 192 met en scène le monde sous les traits d’un vieillard malade : la mort inévitable peut être retardée32. Dans la ballade 184, le monde est devenu aveugle « Tant par pechié comme par sa viellesce » : le poète lui annonce un terme de « viix ans », alors qu’il a atteint la cécité à « l ans33 ». La comparaison entre le monde et la vie humaine établit une analogie entre la mort et l’Apocalypse, toutes deux inévitables. Elle conduit le poète et son lecteur à partager une même peur et donc le même désir d’arrêter ce mouvement, en choisissant de se convertir. S’il est impossible de lutter contre la vieillesse, il est possible de renoncer à son péché et par conséquent de retrouver la vue, la vie et le bonheur. Le temps est ainsi l’objet de calculs, de récits et de plaintes, mais il est maîtrisable par celui qui attend le Salut.

Compter l’argent : la recherche d’un compte juste et prudent

9L’arithmétique n’est pas mauvaise en elle-même, mais elle doit être utilisée à bon escient. Elle est un outil indispensable à la création des biens terrestres, concrets ou intellectuels, et elle doit permettre une répartition inégale, mais juste, des richesses terrestres afin de garantir une véritable harmonie sociale.

  • 34 Voir Isabelle Marchesin, « Cosmologie et musique au Moyen Âge », art. cit....

  • 35 Essai de poétique médiévale, op. cit., p. 51.

  • 36 Anthologie, pièce 187, §2 et 3.

  • 37 Ibid., §2c et 2g.

  • 38 Anthologie, pièces 20 (CVII), 41 (CCX) et 183 (MCCCLXXX), p. 96, 136-138 e...

10Eustache Deschamps défend un idéal chrétien intellectuel, économique et social, qui se nourrit d’un héritage antique. Le Moyen Âge est sensible, depuis Boèce, aux différents niveaux d’harmonie, appelés musica mundana (harmonie cosmique, qui se manifeste notamment dans le mouvement des astres célestes et dans le cycle des saisons), musica humana (harmonie humaine, qui concerne les liens entre les hommes et la constitution physique du corps humain) et musica instrumentalis (harmonie audible, exprimée par les instruments et par la voix)34. Deschamps, sans reprendre explicitement cette tradition, est sensible à l’idée de justes proportions dans tous les domaines, qu’il s’agit de comprendre dans la nature et de reproduire dans la société. La première partie de l’Art de dictier expose ainsi un programme de compréhension de l’ordre établi par Dieu à partir de la liste des sept arts libéraux. Deschamps ne s’attarde pas sur les trois arts du langage qui constituent le trivium, car il ne veut pas limiter la poésie à la rhétorique. Il insiste davantage sur les quatre arts qui constituent le quadrivium, présentés comme des arts du nombre. Comme l’explique Paul Zumthor, « le nombre fait apparaître, plutôt que la dimension quantitative du monde, les relations primordiales entre ses qualités35 ». Les définitions que Deschamps donne de la géométrie et de l’arithmétique les présentent comme l’art de calculer et comprendre des rapports de proportion. On y trouve les verbes mesurer, querculer, compter, monter et multiplier qui permettent d’obtenir des données numériques, ainsi que les substantifs proporcion, longueur, grosseur, haulteur et parfondeur qui désignent les dimensions ainsi calculées36. Il s’agit autant d’une activité abstraite, où compter signifie « comprandre » par « ymaginacion », que d’une activité concrète, où compter signifie « faire et edifier37 ». Le nombre sert ainsi à maîtriser les idées en vue d’une construction matérielle ou intellectuelle. Dans ses poèmes, Deschamps n’hésite pas à utiliser lui-même des nombres pour clarifier son raisonnement et le rendre mémorable. Par exemple, dès l’incipit, il compte les « Quatre element » (signes eschatologiques), « les v sens de nature » ou les « six poins » (vertus ayant permis la domination de Rome)38. Dans ces discours, le chiffre n’a pas une valeur symbolique, puisqu’il ne représente rien en lui-même, mais il a une valeur didactique parce qu’il aide à comprendre et à retenir.

  • 39 Anthologie, pièce 51 (CCC), p. 158-160.

  • 40 Anthologie, pièce 33 (CLXXXIII), p. 122, v. 9-10.

  • 41 Anthologie, pièce 148 (MXCV), p. 482-484, v. 25-26 et 34.

  • 42 Voir Thierry Lassabatère, La Cité des Hommes, op. cit., p. 564.

  • 43 Anthologie, pièce 37 (CCI), p. 128-130, v. 3 et 19-21.

  • 44 Anthologie, pièce 54 (CCCXV), p. 276-280, v. 17.

  • 45 Anthologie, pièce 25 (CXXXII), p. 104-106, v. 20.

  • 46 Anthologie, pièce 164 (MCCXVIII), p. 528-530.

  • 47 Anthologie, pièce 43 (CCXXV), p. 140-142.

  • 48 Voir l’analyse de Jacqueline Cerquiglini-Toulet, qui voit dans la « peau p...

  • 49 Anthologie, pièce 195 (MCCCCXLVII), p. 690-692.

  • 50 Ibid., v. 4, 5, 9, 14, 19, 25.

  • 51 Anthologie, pièces 76 (CCCCLXXXIV) et 114 (DCCLV), p. 338-340 et 402-404.

11Compter l’argent devrait être une activité arithmétique comme une autre. Dans la ballade 51, le poète ne condamne pas le fait de compter l’argent, mais plutôt la finance, soit l’abus de pouvoir et de richesse39. Le péché le plus directement lié à l’argent est celui de l’avarice, que Deschamps apparente à l’envie et à la convoitise, péchés de déséquilibre et d’injustice qui consistent à tout vouloir pour soi-même. Dans la ballade 33, l’avarice personnifiée « languissoit d’acquerre entalenteë » : les verbes languir et entalenter expriment le désir brûlant d’acquérir plus d’argent, alors même qu’on a déjà « or, joyaulx a foison40 ». Dans la ballade 148, l’avarice est le sujet du verbe rapiner : il ne s’agit pas de thésauriser une fortune personnelle mais d’accaparer celle d’autrui et de devenir trop riche aux dépends des autres, aussi bien les pauvres que les « regnans41 ». Le poème dénonce le nouvel office de général des finances qui centralise les recettes des receveurs provinciaux. Ce poste s’oppose à deux principes de bonne gestion administrative selon Deschamps : le roi devrait limiter ses officiers en se contentant d’un petit nombre de gens compétents, et par ailleurs il devrait vivre des revenus de son propre domaine au lieu d’instituer un impôt permanent42. C’est pourquoi le poète oppose dans la ballade ceux qui « vivent du leur » à ceux qui « n’ont riens du leur » au septième vers de la première et de la deuxième strophe. Tout homme devrait vivre du revenu de son travail ou de ses terres et non de la mendicité pour les plus pauvres, des gages pour les courtisans ou des impôts pour les rois. La ballade 37 dénonce ainsi la mauvaise attitude de celui qui « veult vivre de l’autrui vin », en encourageant à se contenter de « blef », de « vin », de « pois » et de « lart43 ». Ce modeste régime alimentaire est une façon d’encourager à une aurea mediocritas : « Soyons garni, faisons du moien bonne » (v. 18). La cohésion de la société est assurée par une juste répartition des richesses : il ne faut pas de trop grandes disproportions économiques même si les états sont différents. Dans la chanson royale 54, le bûcheron Robin affirme : « De mes bras vif, je ne robe ne tüe44 » : au plus bas de la société, il faut travailler plutôt que voler ou tuer pour vivre. La ballade 25 conseille aussi de « par son labour chevir45 ». Le mot labeur, s’il s’applique à l’auteur qui était officier du roi, a ici un sens bien plus large que « travail manuel pénible », mais renvoie à tout travail rémunéré. Les trois derniers vers de la ballade 25 donnent une morale plus générale : le locuteur affirme « Vueil Dieu servir et aler a l’eglise / Vivre du mien » tandis que « Viellesse vient ». L’allitération en [v] au début des trois vers associe une morale religieuse et économique à la prise de conscience du temps qui passe, en encourageant la thésaurisation des biens personnels. Dans la ballade 164, on retrouve cette allitération : l’incipit et le vers 5 associent ainsi « Vive chascun » et « Vive du sien », dans un même conseil d’indépendance financière46. C’est aussi la leçon de la ballade 4347. Les premiers vers dénombrent les années et les connaissances, puis la pièce déploie un mouvement d’ascension suivie d’une chute à chaque strophe, en opposant jeunesse et puissance et vieillesse et impuissance. Malgré l’image saisissante des « blobes » dans le refrain48, le poème ne se contente pas d’une leçon sur la vanité du monde, où le moraliste pourrait encourager l’humilité dans une perspective d’anéantissement de l’orgueil mondain. Le vers 24, « Or se gart lors qu’il ne soit indigens », est un avertissement adressé au « saige » qui a su agir « en son temps » pour éviter la « povreté » en sa vieillesse (v. 19-20). Il s’agit donc de se prémunir de la pauvreté et de l’humiliation en vue d’une vieillesse heureuse. Le thème des vieux serviteurs sous-entend qu’il faut savoir bien compter l’argent dû aux autres. La ballade 195 dénonce ainsi la mauvaise attitude des seigneurs qui ne savent pas rémunérer avec justice ceux qui les servent49. Cette pièce est fondée sur une construction binaire mettant en valeur l’injustice. On entend deux voix, l’une faisant entendre un serviteur sérieux, l’autre qui se moque de lui. S’opposent tout au long du poème, mais pas frontalement, la « povreté » et la « richesce », le « traveil » et le « repos », le « guerred[on] » et l’« ingratitude », donc la justice et l’injustice, et plus généralement les vertus et les vices50. Au-delà de la question des gages, les seigneurs et les dames doivent faire preuve de générosité. Au plus haut degré de la société féodale se concentre l’essentiel des richesses et il est nécessaire d’assurer une certaine redistribution. La « largesce » est ainsi l’une des qualités souhaitées au duc d’Anjou, dans la ballade 76 (v. 14), et au roi lui-même, dans le virelai 114 (v. 15)51.

  • 52 OCED, pièce CCCIX, vol. 2, p. 226-235.

  • 53 Anthologie, pièce 42 (CCXIX), p. 138-140, v. 17 et 19.

  • 54 Anthologie, pièce 51 (CCC), p. 158-160, v. 34.

  • 55 Anthologie, pièce 176 (MCCCXV), p. 560-562.

  • 56 Anthologie, pièce 27 (CLIII), p. 108-110, v. 7 et 17.

  • 57 Ibid., v. 9, 18 et 27.

  • 58 Anthologie, pièce 135 (DCCCCLIX), p. 454-456, v. 3 et 13. On trouve le sub...

  • 59 Ibid., v. 21-22 et 33.

  • 60 Anthologie, pièce 14 (LXXXII), p. 82.

12La société féodale du xive siècle est inéquitable mais non injuste selon Deschamps, comme l’explique notamment son Lay des douze estas du monde52. En fonction de sa naissance et de son métier, on occupe une place plus ou moins importante et rémunératrice. Une expression synthétique permet de définir cette société : « Li grant, li moyen, ly menour » devraient être « conjoint en une amour53 ». Dans la ballade 51, on trouve aussi l’image de la « balance » équilibrée qui s’oppose au travail des receveurs accaparant l’argent collecté54. Pour garantir la stabilité de cette société, chacun doit se contenter de sa place : c’est la vertu de « suffisance ». Deschamps conseille à chacun un « estat moien » qui consiste à n’avoir ni trop ni trop peu. Tout revenu doit être ajusté à l’état social. On peut citer en exemple la ballade 176, où le poète dénonce les clercs qui tiennent « cinq prouvendes ou six », « chapelles neuf ou dix », deux expressions qui riment ensemble à la fin des vers 1 et 355. Ce décompte des prébendes, qui associe quatre nombres différents, veut montrer comment les clercs accaparent les richesses et abusent de leur pouvoir. Dans la ballade 27, le poète s’adresse d’abord au « prince » qui doit veiller au « bien commun » dans le domaine politique56 ; mais tout le monde doit éviter de « convoitier trop d’or et de finance » ou « De trop vouloir amonceler chevance », deux expressions qui riment à la fin des sixièmes vers des strophes deux et trois. La morale énoncée à la fin de chaque strophe a donc une portée universelle, qu’il s’agisse de « regn[er] », d’avoir de la « souffisance » ou de mettre en Dieu son « esperance57 » : tout homme doit bien gouverner son corps, son cœur, son domaine, son âme. Bien compter son argent n’est qu’un des nombreux domaines où doit s’appliquer une bonne gestion et l’idéal du juste milieu. Dans la ballade 135, la modération concerne toutes les vertus. Le poème développe l’image naturelle de l’« inundacïon » dans la première et la troisième strophe, en dénonçant plusieurs péchés : la colère « vïolent » dans le refrain, l’« orgueil » dans la deuxième strophe et enfin l’envie, avec un polyptote autour du verbe acquerir58. La conclusion conseille de « t[enir] le moien » : l’adjectif substantivé moien remplace l’adjectif petit utilisé précédemment59. Il s’agit d’être à sa place, ni trop bas ni trop haut, comme dans la ballade 1460.

Compter les mots : la construction intellectuelle et artistique

13L’Art de dictier permet de placer la poésie parmi les autres arts du nombre, dans une vision ordonnée de la connaissance humaine. Deschamps calcule la forme de ses poèmes et invite son lecteur à le faire lui aussi. Le nombre sert à générer un texte, à le développer et à l’ordonner, afin de lui permettre de représenter le monde de façon ajustée, dans son harmonie et dans sa complexité, voire son irrégularité.

  • 61 Anthologie, pièce 46 (CCLI), p. 146-148, v. 3.

  • 62 Anthologie, pièce 189 (MCCCCIV), p. 650-672, v. 112, 141 et 350.

  • 63 Anthologie, pièce 188 (MCCCXCVIII), p. 636-648.

  • 64 Ibid., v. 1, 20 et 244.

14Le verbe compter apparaît trois fois dans l’Anthologie au sens de « raconter ». Dans la ballade 51 (v. 26), il sert à confirmer le propos du moraliste. Dans la ballade 46, il introduit le discours indirect de la souris à la grenouille, dans une fable sur le mensonge et la crédulité61. Dans la charte 189, il désigne l’action des plus habiles menteurs qui dépassent par leur art les « foulz faiseurs de bourdes » et les « gros bourdeurs62 ». Le verbe compter contient donc le sème de la fiction. Deschamps a rarement écrit des narrations fictionnelles et l’Anthologie n’en donne aucun exemple. Les textes les plus libres, sur le plan de la forme et sur le plan de la vérité, sont les chartes parodiques (pièces 188, 189 et 190). Il s’agit de dits à rimes plates en octosyllabes. Comme dans un roman du xiie siècle, le texte peut alors se déployer sans aucune limite, ni aucune répétition imposée. La Charte des Fumeux, écrite au début de la carrière poétique de Deschamps en 1368, constitue une sorte d’embryon d’art poétique63. On y voit la constitution d’un ethos poétique ambivalent et caricatural, tourné vers le discours à la fois amusé et sérieux, futile et moral. Le narrateur se désigne comme « Jehan Fumeë » puis signe « Eustace Morel » ; en faisant le portrait des « subgiez de la Fumeë » il semble décrire son propre comportement mélancolique, changeant et créatif64. Les vers 117 à 120 désignent la foule des Fumeux :

Ilz sont du nombre pluratif
Et du grant muef infinitif
Car en multiplicacïon
Mettent leur applicacïon.

  • 65 Anthologie, pièce 189 (MCCCCIV), p. 650-672, v. 17-64.

  • 66 Anthologie, pièce 190 (MCCCCXI), p. 672-578.

Le jeu sur le vocabulaire grammatical scolaire ne permet pas de comprendre clairement si les Fumeux « sont nombreux » et « s’appliquent à se multiplier », ou s’ils récitent leur leçon en affirmant qu’« ils sont un pronom pluriel » et qu’« ils s’appliquent à faire des multiplications ». En tout cas le texte déploie une énergie créatrice qui tend à multiplier les vers, jusqu’à une digression sur les chapeaux. Les autres chartes tendent aussi à la digression – on peut penser à l’anecdote sur l’incendie de la Marne dans la charte 18965 – et à l’énumération – la charte 190 est constituée d’une suite de legs burlesques d’un homme qui n’a pas l’intention de mourir66. La multiplication du texte n’est pas régulière. Non seulement le dit n’est pas une forme fixe, mais la charte 188 change de mètre à partir du vers 29, en passant du décasyllabe à l’octosyllabe. Le dit est donc fondé sur une esthétique de l’abondance plutôt que de la régularité.

  • 67 Pour Denis Hüe, Deschamps se place dans la lignée du De Musica de saint Au...

  • 68 Anthologie, pièce 187 (MCCCXCVI), p. 582-634 : cit. §21a et 21c.

  • 69 Voir les rubriques : « balade de huit vers » (§11b et 11f), « balade de ix...

  • 70 Dans le virelai, « le refrain a aucunefois iiii vers, aucunefois v, aucune...

  • 71 Le lai doit « avoir xii couples, chascune partie en deux, qui font xxiiii ...

  • 72 Anthologie, pièce 183 (MCCCLXXX), p. 572-574.

  • 73 Ibid., v. 3-7.

  • 74 Ibid., v. 4, 8, 15 et 19-20.

15En revanche, la présentation des formes fixes dans la deuxième partie de l’Art de dictier insiste sur un décompte précis et ordonné67. Même pour les rondeaux qui ne sont pas décrits, les rubriques introductrices permettent d’établir un rapport de proportion. En effet, l’exemple 13 est un rondeau « sangle » à refrain de deux vers, tandis que l’exemple 15 est un rondeau « double » à refrain de quatre vers68. En annonçant et en présentant les exemples de ballades, l’auteur dénombre les syllabes et les vers pour décrire la forme strophique69. À propos des virelais, il compte les vers et les couplets constituant les parties de la strophe70. Pour les lais, il dénombre avec application les strophes et les vers par strophes. Chacune des douze strophes est constituée de deux parties identiques. Deschamps s’amuse alors à multiplier puis à diviser le nombre des demi-strophes du lai71. Ces calculs ne sont pas indispensables à l’explication de la forme fixe ; au contraire, ils peuvent gêner le lecteur. Ne s’agit-il pas d’un jeu d’esprit semblable à ceux des Fumeux ? En tout cas, l’Art de dictier attire l’attention du lecteur sur la composition numérique des formes fixes. Le nombre 3 paraît particulièrement important dans l’acte créateur, puisque les ballades comptent en général trois strophes et que Deschamps en donne neuf exemples, que les virelais comptent trois couplets par strophes et que Deschamps en donne trois exemples, et enfin qu’il cite les trois premières strophes du lai. Dans son œuvre poétique, Deschamps exploite les formes fixes comme des contraintes qui stimulent et canalisent son inspiration. Ainsi, les trois strophes de la ballade permettent au poète de déployer son raisonnement dans un texte de taille médiane relativement souple, puisqu’il peut prolonger le vers jusqu’au décasyllabe ou le restreindre à l’heptasyllabe, et de même donner à la strophe entre sept et dix vers, voire davantage, et enfin ajouter ou non un envoi. Dans la ballade 183, le jeu habituel de composition en trois strophes est complété par un raisonnement numérique : « Six poins firent Romme regner / Et avoir toute seignourïe », expliquent les deux premiers vers72. Il n’y a pas d’envoi, le poème compte donc seulement trois onzains. Les vertus des Romains sont énumérées entre les vers 3 et 7, soit un vers entier pour « franchise ordonner », « le bien commun amer », « honourer chevalerïe », et un seul vers pour « justice » et « clergïe ». Le dernier point, « remerir les biens faisans », se prolonge sur les deux vers suivants : « Gouverner par gens souffisans / Et saiges les estas de Romme ». Le rejet de l’adjectif coordonné « Et saiges » contribue à l’impression d’allongement des six vertus. Cette disposition montre que le poète s’amuse autant à compter qu’à mal compter : il distingue « le premier », « second », « tiers », « le quart », « cinq » et « six » points73, puis dénombre « vi poins » à l’avant-dernier vers de chacune des strophes. Pourtant, la sixième vertu est double et les six points sont exposés sur sept vers ; par ailleurs, le reste de la ballade ne reprend pas ces vertus une à une et dans le même ordre. Le « bien commun » est transformé en « particulier » ; l’infinitif « gouverner » est repris dans une tournure passive en « Gouvernez furent par enfans / Les estas74 ». La chute de Rome est expliquée par l’arrivée des vices qui ne sont ni dénombrés ni équivalents aux vertus, dans l’énumération des vers 16-18 : « orgueil et envïe, / Guerre entr’eulx, haïneuse vïe, / Traïsons, plaiz, noises, contens ». Finalement, la construction ternaire laisse place à un raisonnement binaire qui oppose les vertus aux vices, sur le refrain invitant au bon gouvernement parce que « Le contraire destruit tout homme ». La liberté du poète se déploie dans le cadre d’une forme fixe.

  • 75 Jacqueline Cerquiglini, « Quand la voix s’est tue : la mise en recueil de ...

16Le nombre joue aussi un rôle au moment de la constitution du recueil poétique. Les deux premières sections du manuscrit BnF fr. 840 sont construites sur des nombres remarquables qui n’ont pas de signification symbolique mais qui renvoient à la forme fixe qui les constituent. La section I, intitulée Balades de moralité, compte en effet 303 pièces, soit 3 centaines de ballades et 3 rondeaux, parce que les ballades comptent 3 strophes. Au-delà du désordre thématique et chronologique, la construction numérique apporte un effet de plénitude qui donne une unité à ce livre de poésie. La section II compte 12 lais parce que les lais comptent 12 strophes. Comme l’écrit Jacqueline Cerquiglini-Toulet, à partir de Guillaume de Machaut, l’horizon du lyrisme n’est plus la performance mais le livre, qu’il s’agisse de dits à insertions lyriques où « les pièces lyriques sont prises au fil d’un récit qu’elles engendrent », chez Machaut et Froissart, ou de recueils où « les poèmes sont organisés par un nombre qui leur donne forme et crée l’espace possible d’un récit ou d’un traité », chez Deschamps et tous les autres75. Le nombre crée le poème et le livre selon une esthétique de totalisation.

  • 76 Voir les pièces 27 (CLIII), 34 (CLXXXVI), 62 (CCCLXXXVII), 75 (CCCCLXXXIII...

17L’utilisation du nombre pour générer la poésie lyrique n’induit pas une parfaite régularité. Toutes les formes ne se réduisent pas à la répétition formelle. Dans l’Art de dictier, Deschamps met lui-même l’accent sur deux décalages volontaires. À propos de la ballade, au paragraphe 13, il conseille le mélange des rimes masculines et féminines pour éviter une trop grande régularité : « Et se doit on tousjours garder en faisant balade, qui puet, que les vers ne soient pas de mesmes piez, mais doivent estre de ix ou de x, de vii ou de viii ou de ix, selon ce qu’il plaist au faiseur, sanz les faire touz egaulx ». L’idée d’une inégalité est ainsi répétée par des formules négatives. Elle était déjà introduite par la description de l’exemple 4 comme « balade de dix vers de x et xi sillabes ». Même ce qui pourrait nous apparaître comme une strophe carrée – un dizain décasyllabique – est pour Deschamps une strophe de dix vers dont chaque vers compte tantôt dix syllabes s’il se termine par une rime masculine, tantôt onze syllabes s’il se termine par une rime féminine. De manière implicite, mais spectaculaire, Deschamps conseille aussi une irrégularité dans le lai. Il donne un exemple pour illustrer sa longue définition, en citant les trois premières strophes du Lai de departement et la douzième et dernière strophe. Or la première strophe n’est pas constituée de deux parties rigoureusement égales ; l’exemple contredit donc doublement la définition, puisque la strophe n’est pas constituée de deux parties identiques et que la douzième strophe ne reprend pas exactement la forme de la première. Cette irrégularité des formes fixes se retrouve dans plusieurs poèmes de l’Anthologie76.

  • 77 Anthologie, pièce 18 (XCIX), p. 90-92.

  • 78 Anthologie, pièce 19 (C), p. 92-94.

18Le recueil des Balades de moralité est lui-même construit sur de subtils décalages. Parmi les 300 ballades, une seule est une chanson royale à 5 strophes alors que toutes les autres sont des ballades à 3 strophes. La logique même de l’ensemble est remise en cause à l’issue de la première centaine de pièces qui constitue une entité autonome par son nombre rond. La pièce XCIX pourrait servir de conclusion magistrale avec le discours d’Aristote à Alexandre77. Mais la pièce C offre une conclusion provisoire déceptive, en faisant entendre un moraliste découragé sur le refrain burlesque scatologique : « Chantez a l’asne, il vous fera des pés78 ». Par ailleurs, dans la section des douze lais le Double Lai de fragilité humaine compte 33 strophes et non pas 12. L’irrégularité relève du décalage volontaire et n’empêche pas une certaine harmonie. Elle s’inscrit dans une esthétique de discontinuité : le poète rassemble de multiples pièces courtes qui font entendre de multiples voix et de multiples points de vue pour reconstituer le monde tel qu’il est. Deschamps ne cherche pas à construire une œuvre parfaitement belle, régulière et cohérente parce qu’il représente le monde dans ses limites et ses désordres.

   

19L’arithmétique est donc aussi bien un outil dévoyé par les hommes sur les plans financiers et temporels qu’un outil moral permettant de définir une vie vertueuse et enfin un outil poétique à la source de la création littéraire. Le poète moraliste dénonce la place de l’argent dans un monde dominé par le péché, mais il croit bon d’utiliser l’argent pour gouverner l’État, rémunérer les serviteurs et faire fructifier les domaines. Il est possible de faire des comptes justes, et de manière plus générale, de comprendre les relations entre les hommes pour établir une société chrétienne idéale. Il n’est pas étonnant qu’un auteur si sensible à l’ordre divin du monde cherche à donner lui-même de justes proportions à sa création poétique, ce qu’on peut voir dans sa pratique ainsi que dans la réflexion théorique de l’Art de dictier. Comme l’explique Michèle Gally, l’exposé initial sur les différents arts libéraux

  • 79 Michèle Gally (dir.), Oc, oïl, si. Les langues de la poésie entre grammair...

introduit de fait non seulement à un classement de l’activité poétique en leur sein, comme on l’a dit, mais, de façon plus implicite, à un apprentissage de la poésie saisie dans ses modes de fabrication. Mieux : la poésie utilise secrètement les autres arts, elle est tout ensemble proportion et construction, nombre et mesure, discours et musique79.

  • 80 Anthologie, pièce 34 (CLXXXVI), p. 124-126. La première strophe et la troi...

20Nous avons vu que ce jeu de proportions associait l’idée d’une totalisation à celles d’une discontinuité et d’un décalage. Aucun exemple ne l’illustre mieux que la ballade 34 sur les livres de la Bible, que le poète énumère dans des strophes qui n’ont pas toutes la même longueur80. Alors même que le refrain invite à admirer « l’ordre » de la Bible, le poète déforme le moule strophique pour montrer que ni la parole divine, ni sa propre parole poétique, ne peuvent être parfaitement contenues. C’est à un lecteur attentif qui sait compter les livres et les vers, et comprendre leur beauté et leur sens, que le poète Eustache Deschamps dédie son œuvre.

Notes

1 Eustache Deschamps, Anthologie, éd. et trad. C. Dauphant, Paris, LGF, coll. « Lettres gothiques », 2014 [désormais Anthologie], pièce 51 (CCC), p. 158-160. Voir aussi les Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, éd. Marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Raynaud, Paris, Firmin Didot, 1878-1903 [désormais OCED]. Les numéros de pièces en chiffres arabes renvoient à l’Anthologie, les numéros en chiffres romains aux OCED.

2 Anthologie, pièce 187 (MCCCXCVI), p. 582-634, § 3a.

3 « Cosmologie et musique au Moyen Âge », dans Le Moyen Âge entre ordre et désordre, Paris, Cité de la musique, 2004, p. 29-35 ; cit. p. 33.

4 Nous nous méfions, à la suite de Paul Zumthor, du « symbolisme des nombres » : voir son Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, p. 50-51.

5 On citera à titre d’exemple l’explicit du Double Lai de fragilité humaine, présent uniquement dans le BnF fr. 20029. Le copiste a d’abord copié à l’encre rouge presque tout le texte : « Ci fine le livret de la fragilité d’umaine nature fait et compilé par maniere de double lay par Eustace Morel de Vertus escuier et huissier d’armes du roy Charles le [blanc] chastelain de Fymes et a li presenté le [blanc] jour d’avrilg aprés Saintes Pasques l’an de grace Nostre Seigneur mil .CCC. quatrevins et troys. » Les deux blancs ont été complétés à l’encre brune par « quint » et « xviiie ». Or, si l’auteur a reçu la fonction d’huissier d’armes de Charles V dès les années 1360, c’est à son fils Charles VI qu’il a présenté le livre achevé en 1383.

6 Voir par exemple l’incise au vers 26 de la ballade 51 : « ainsi que je te compte » signifie « comme je te le dis ».

7 Dans l’Anthologie (p. 288-290 et 698-700), parmi les pièces à formes fixes, seules la chanson royale 57 (CCCXLVI) et la ballade 198 (MCCCCXC) contiennent une date. La première indique que la ville de Montpellier s’est révoltée « L’an mil ccc de l’Incarnacïon […] lxix et dix » (v. 10-11), mais situe l’entrée du duc d’Anjou le jour du « sains vendredis / Ouquel Dieux fist nostre redempcïon » (v. 1-2), par rapport à l’histoire du Salut. La seconde date le « grant pardon de Romme » en « l’an mil ccc iiiixx dix et neuf », mais le refrain célèbre un événement qui a lieu tous les « cinquante ans ».

8 Anthologie, pièce 190 (MCCCCXI), p. 672-678, v. 103-104. L’édition est fautive : il est écrit sur le manuscrit « xviiie » (f°422b) et non « xiiiie ».

9 Anthologie, pièce 189 (MCCCCIV), p. 650-672, v. 412-413.

10 Jacques Paviot, étudiant « Ordres, devises, sociétés chevaleresques et la cour, vers 1400 », cite, parmi de nombreuses assemblées plus ou moins éphémères, l’ordre de l’Ecu vert à la dame blanche inventé par le maréchal Boucicaut aux Rameaux 1400 et la Cour d’amour imaginée à l’Épiphanie 1401 par le roi, sur une suggestion de ses oncles Philippe de Bourgogne et Louis de Bourbon, juste après l’ordre de la Rose élaboré par Louis d’Orléans vers la mi-janvier 1401, dont parle Christine de Pizan : La Cour du Prince. Cour de France, cours d’Europe, xiie-xve siècle, dir. Murielle Gaude-Ferragu, Bruno Laurioux et Jacques Paviot, Paris, Honoré Champion, 2011, p. 271-280, en particulier p. 277-279.

11 Anthologie, pièce 188 (MCCCXCVIII), p. 636-648, v. 250-251.

12 Ibid., v. 3, 20, 22 et 36.

13 Françoise Autrand, Charles V le Sage, Paris, Fayard, 1994, p. 545.

14 Anthologie, pièces 22-23 (CXXIII-CXXIV), 28 (CLXV) et 38-39 (CCVI-CCVII), p. 98-102, 110-114 et 130-134.

15 Anthologie, pièce 158 (MCLI), p. 512-514, v. 3 et 34.

16 Anthologie, pièce 82 (DXXXV), p. 350-352, v. 8-9.

17 Anthologie, pièce 145 (MLXIII), p. 476-478, v. 1-3. Voir aussi les pièces CCXLVII (« J’ay .xiiii. ans sui royal lignie », v. 5), LVII (« Il a .xvi. ans que je suis ou vergier », v. 1), CXIV (« Dix et sept ans ay au Sathan servi », v. 1), CXII (« J’ay puis vint ans au jour de l’an nouvel », v. 1) et CXXXVIII (« J’ay puis vint ans veu choses advenir », v. 1) : OCED, vol. 1, p. 149-150, 228-229, 231-232 et 262-263 et vol. 2, p. 81-82.

18 Anthologie, pièce 102 (DCLVII), p. 384, v. 1-2.

19 Ibid., v. 6.

20 Voir notamment les pièces LXXIX, v. 13-14 ; CXXXIV, v. 8-9 ; CXCVIII, v. 17-18 : OCED, vol. 1 p. 181-182 et 258 et vol. 2, p. 17-18.

21 Anthologie, pièce 6 (XXV), p. 104-106, v. 10-15. Voir l’analyse de Camille Brouzes sur le rythme poétique mimant la perception du temps qui accélère, le poète consacrant deux vers à la jeunesse, deux vers à la maturité et un seul vers à la vieillesse : « Le corps vieillissant d’Eustache Deschamps porte-t-il un memento mori ordinaire ? », Memini, 27 (2021), § 14-15, URL : http://journals.openedition.org/memini/1910.

22 OCED, ballade CXXVIII, vol. 1, p. 250-252 : l’été occupe quatre vers, l’automne et l’hiver seulement un vers chacun.

23 Anthologie, pièce 104 (DCLXXV), p. 384-386.

24 Anthologie, pièces 36 (CXCV) et 154 (MCXXIV), p. 128 et 500-504.

25 Cette formule se trouve dans le chapitre IV « L’accomplissement des prophéties » de l’anthologie commentée Eustache Deschamps en son temps, dir. Jean-Patrice Boudet et Hélène Millet, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 133.

26 Voir l’étude de Thierry Lassabatère dans La Cité des Hommes. Eustache Deschamps, expression poétique et vision politique, Paris, Honoré Champion, 2011, p. 83-96.

27 OCED, pièce CXXVI, p. 246-24, v. 9-15.

28 Anthologie, pièce 137 (DCCCCLXXXI), p. 458-460, v. 12 et 19. La pièce DCCCCLXXIX (OCED, vol. 5, p. 221-222) associe la critique d’Arithmétique, qui conduit à la toute-puissance de l’argent comme dans la ballade 51, à l’annonce de la fin des temps par le décompte de six âges du monde.

29 Thierry Lassabatère, La Cité des Hommes, op. cit., p. 86.

30 Anthologie, pièce 20 (CVII), p. 96. Les bêtes sauvages (Ap 6, 8) sont remplacées par l’épidémie.

31 Anthologie, pièce 154 (MCXXIV), p. 500-504, v. 1-2 et 6. La ballade 12 (LXVIII) compte elle aussi « cinquante ans » de sujétion des Français depuis le début de la guerre avec les Anglais (Anthologie, p. 78, v. 14).

32 Anthologie, pièce 192 (MCCCCXXVI), p. 682-684.

33 Anthologie, pièce 184 (MCCCLXXXIII), p. 576-578, v. 5, 10 et 15.

34 Voir Isabelle Marchesin, « Cosmologie et musique au Moyen Âge », art. cit., p. 35.

35 Essai de poétique médiévale, op. cit., p. 51.

36 Anthologie, pièce 187, §2 et 3.

37 Ibid., §2c et 2g.

38 Anthologie, pièces 20 (CVII), 41 (CCX) et 183 (MCCCLXXX), p. 96, 136-138 et 572-574.

39 Anthologie, pièce 51 (CCC), p. 158-160.

40 Anthologie, pièce 33 (CLXXXIII), p. 122, v. 9-10.

41 Anthologie, pièce 148 (MXCV), p. 482-484, v. 25-26 et 34.

42 Voir Thierry Lassabatère, La Cité des Hommes, op. cit., p. 564.

43 Anthologie, pièce 37 (CCI), p. 128-130, v. 3 et 19-21.

44 Anthologie, pièce 54 (CCCXV), p. 276-280, v. 17.

45 Anthologie, pièce 25 (CXXXII), p. 104-106, v. 20.

46 Anthologie, pièce 164 (MCCXVIII), p. 528-530.

47 Anthologie, pièce 43 (CCXXV), p. 140-142.

48 Voir l’analyse de Jacqueline Cerquiglini-Toulet, qui voit dans la « peau parcheminée » du vieillard les traces d’un passé perdu et de la mort future inéluctable (à partir des pièces 43 et 169 de l’Anthologie), dans son article « Poétique de la ride. L’inscription du passage du temps chez les poètes au Moyen Âge », Micrologus, XIII (2005), La Pelle umana, p. 183-193 ; cit. p. 187.

49 Anthologie, pièce 195 (MCCCCXLVII), p. 690-692.

50 Ibid., v. 4, 5, 9, 14, 19, 25.

51 Anthologie, pièces 76 (CCCCLXXXIV) et 114 (DCCLV), p. 338-340 et 402-404.

52 OCED, pièce CCCIX, vol. 2, p. 226-235.

53 Anthologie, pièce 42 (CCXIX), p. 138-140, v. 17 et 19.

54 Anthologie, pièce 51 (CCC), p. 158-160, v. 34.

55 Anthologie, pièce 176 (MCCCXV), p. 560-562.

56 Anthologie, pièce 27 (CLIII), p. 108-110, v. 7 et 17.

57 Ibid., v. 9, 18 et 27.

58 Anthologie, pièce 135 (DCCCCLIX), p. 454-456, v. 3 et 13. On trouve le substantif acquest (v. 16 et 18), le participe passé acquis (v. 19) et le participe présent acquerant (v. 32).

59 Ibid., v. 21-22 et 33.

60 Anthologie, pièce 14 (LXXXII), p. 82.

61 Anthologie, pièce 46 (CCLI), p. 146-148, v. 3.

62 Anthologie, pièce 189 (MCCCCIV), p. 650-672, v. 112, 141 et 350.

63 Anthologie, pièce 188 (MCCCXCVIII), p. 636-648.

64 Ibid., v. 1, 20 et 244.

65 Anthologie, pièce 189 (MCCCCIV), p. 650-672, v. 17-64.

66 Anthologie, pièce 190 (MCCCCXI), p. 672-578.

67 Pour Denis Hüe, Deschamps se place dans la lignée du De Musica de saint Augustin, selon qui « la poésie est liée tout à la fois à la musique et à l’arithmétique, en ce qu’elle est tout à la fois modulation et proportion. » : « Le vers et le nombre : notes sur quelques théories poétiques », Nouvelle revue du seizième siècle, 18/1 (2000), p. 25-40 ; cit. p. 27.

68 Anthologie, pièce 187 (MCCCXCVI), p. 582-634 : cit. §21a et 21c.

69 Voir les rubriques : « balade de huit vers » (§11b et 11f), « balade de ix vers » (§12f), « balade de dix vers de x et xi sillabes » (§13a), « balade de ix et de viii piez, et de viii vers » (§15a). Le décasyllabe compte dix ou onze syllabes selon qu’il se termine par une rime masculine ou une rime féminine ; de même, l’octosyllabe compte huit ou neuf syllabes.

70 Dans le virelai, « le refrain a aucunefois iiii vers, aucunefois v, aucunefois vii », tandis que le couplet libre qui suit le refrain contient « deux vers » soit deux demi-couplets, « le clos et l’ouvert » (§20a et 20e).

71 Le lai doit « avoir xii couples, chascune partie en deux, qui font xxiiii » (§23b) ; « Et est la couple aucunefoiz de viii vers, qui font xvi ; aucunefois de ix, qui font xviii ; aucunefois de dix qui font xx ; aucunefoiz de xii qui font xxiiii » (§23c) ; « lesquelles vi couples ne font que troys des xii que un lay doit avoir » (§23n).

72 Anthologie, pièce 183 (MCCCLXXX), p. 572-574.

73 Ibid., v. 3-7.

74 Ibid., v. 4, 8, 15 et 19-20.

75 Jacqueline Cerquiglini, « Quand la voix s’est tue : la mise en recueil de la poésie lyrique aux xive et xve siècles », dans La Présentation du livre, actes du colloque de Paris X – Nanterre, dir. E. Baumgartner et N. Boulestreau, Littérales, 2 (1987), p. 313-327 ; cit. p. 315.

76 Voir les pièces 27 (CLIII), 34 (CLXXXVI), 62 (CCCLXXXVII), 75 (CCCCLXXXIII) et 130 (DCCCCIX), p. 108-110, 124-126, 306-308, 336-338 et 440-444.

77 Anthologie, pièce 18 (XCIX), p. 90-92.

78 Anthologie, pièce 19 (C), p. 92-94.

79 Michèle Gally (dir.), Oc, oïl, si. Les langues de la poésie entre grammaire et musique, Paris, Fayard, 2010, p. 213.

80 Anthologie, pièce 34 (CLXXXVI), p. 124-126. La première strophe et la troisième sont des neuvains avec une disposition de rimes en ababbcdcD, tandis que la deuxième est un onzain en ababbbccdcD.

Bibliographie

   

Œuvres

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Études

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Pour citer ce document

Clotilde Dauphant, «« Compter » selon Eustache Deschamps», Acta Litt&Arts [En ligne], Acta Litt&Arts, Eustache Deschamps : facettes d’un poète du XIVe siècle, mis à jour le : 10/11/2023, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/actalittarts/640--compter-selon-eustache-deschamps.

Quelques mots à propos de :  Clotilde  Dauphant

Sorbonne Université (EA 4349)