Dossier Acta Litt&Arts : Eustache Deschamps : facettes d’un poète du XIVe siècle
Jeunesse et vieillesse dans les poèmes d’Eustache Deschamps
Texte intégral
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1 Les pages qui suivent reformulent en partie des réflexions issues de notre ...
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2 Voir S. Shahar, « The Old Body in Medieval Culture », dans Framing Medieval...
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3 G. Gouirhan traite ainsi les cas très isolés de vieillissement au féminin d...
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4 Voir ball. 13, p. 80-81 ; ball. 49, p. 150-153 ; ball. 151, p. 490-493 ; ba...
1Le sujet, que nous traiterons comme un intitulé de leçon, invite à penser ensemble deux âges opposés de la vie qui structurent un rapport au temps et à l’identité et dont la portée est à première vue plus personnelle que collective1. Toutefois, ramassant ainsi les différentes étapes de l’existence à ces deux périodes opposées et les employant sans les actualiser par un déterminant, l’énoncé les hisse au rang de types, en fait des catégories abstraites qui recouvrent une expérience collective commune des deux âges. La réduction de la variété d’une existence à ces deux pôles antagoniques implique une tradition de représentation des âges de l’existence humaine qui tend à les simplifier à ces deux extrêmes comme seules époques qui importent véritablement : le printemps de la vie face à son hiver2. Dans la culture collective médiévale comme dans la nôtre, on associe à chacune de ces périodes des occupations, des goûts, des traits d’humeur. La conception médiévale du monde entretient un rapport rigide à la dissociation entre jeunesse et vieillesse, en fait une norme de comportement appuyée sur la théorie des humeurs. Une éthique des âges de la vie se diffuse tout au long de la période qui tient à la fois du discours médical et moral et qui conçoit la jeunesse comme le temps de l’ardeur et de l’amour, là où le grand âge est celui de la froideur et du retrait, de l’approche de la mort et de l’inquiétude pour le salut. Cette compréhension morale des âges imprègne bien sûr toute la poésie édifiante de Deschamps, qui en reprend le principe polarisé. Or l’intégration du grand âge en poésie ne va pas de soi. Parce qu’elle se destine traditionnellement au chant amoureux, qui sied nécessairement mal aux vieillards, la poésie lyrique, à quelques exceptions près, est au Moyen Âge la chasse gardée de la jeunesse3. Si les pièces de Deschamps portent l’empreinte de conceptions collectives, l’entrée massive du grand âge dans son œuvre est plus singulière. Elle est l’une des conséquences de la variété thématique nouvelle d’une poésie séparée de la musique, ainsi que de sa prédominance morale. Car tout vieillit chez Deschamps : les chiens, les tours, les organes sexuels, les bateaux et les selles de cheval, le monde lui-même4. N’oublions pas, pourtant, que le sujet invite à considérer la notion dans ce qui l’oppose ou l’unit à la jeunesse. Dès lors, on se demandera comment l’œuvre de Deschamps, par l’ouverture de thèmes et de registres qu’elle offre, tend à penser ensemble ces deux âges traditionnellement considérés en poésie comme irréconciliables. Nous constaterons dans un premier temps que les poèmes du Vertusien reconduisent la partition à la fois esthétique et sociale entre les deux périodes, qu’ils n’associent pas aux mêmes types de discours et dont ils opposent les qualités. Mais l’ambition essentiellement didactique du poète le conduit à bouleverser cette polarisation trop stricte pour proposer une vision différente du temps, où se nuance la distinction entre jeunesse et vieillesse. Enfin, en incarnant à la première personne le passage de l’une à l’autre, le poète fait des transformations suscitées par le temps une marque de distinction. Plus qu’un objet extérieur de discours ou une esthétique, la transition entre jeunesse et vieillesse devient chez Deschamps une modalité de présence poétique.
Polarisation des âges, opposition des discours
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5 « Aetatis cuiusque notandi sunt tibi mores, / mobilibusque decor naturis da...
2La poésie de Deschamps se saisit des deux pans de la vie que sont jeunesse et vieillesse pour donner l’idée d’un antagonisme qui nourrit différents types de discours. L’opposition n’est pas uniquement morale, elle est esthétique et théorisée comme telle dès le Moyen Âge. L’Art poétique d’Horace, qui a beaucoup influencé l’écriture médiévale, conçoit en effet jeunes et vieux comme des natures différentes de personnages auxquels correspondent des règles de composition5. Cette opposition nourrit une vision du monde et du discours littéraire gouvernée soit par une sectarisation de chaque catégorie, soit par un affrontement violent de leurs prérogatives.
Jeunesse et énonciation amoureuse
3La poésie amoureuse de Deschamps est pour l’essentiel affaire de jeunesse, car seul le jeune âge dispose de la chaleur nécessaire à l’enthousiasme et à l’ardeur des sentiments. Le poète hérite en cela d’une tradition qui le précède amplement et qui déjà, chez les trouvères et les troubadours, arrimait le chant amoureux au printemps de la vie. Plus proche de notre poète, le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris exclut l’allégorie de Vieillesse du verger de Déduit dans lequel se déploie l’intrigue : le personnage fait partie des figures figées sur le mur extérieur du jardin, aux côtés de Tristesse et de Papelardie ; le parfait amant doit être jeune. Il est vrai que les ballades amoureuses de Deschamps mentionnent rarement l’âge de leur sujet lyrique. Sans donner lieu à une délimitation numérique très nette, la jeunesse apparaît comme une qualité implicite. Les femmes aimées sont jeunes, il n’en est pas fait mystère : la dame aimée de la ballade 81 est tendrement appelée « ma tresbelle jouvente » (v. 5) ; le rondeau 95 décrit une scène d’innamoramento dans laquelle une « dame joeune, cointe et jolÿe » (v. 4) a su pétrifier le sujet lyrique. La gaieté entraînante du virelai 86, autoportrait d’une prostituée parisienne qui vante ses charmes, ne peut être énoncée que par une toute jeune femme : « Que XV ans n’ay, je vous dis. / Moult est mes tresors jolys, / S’en garderay la calvette » (v. 39-41). À la jeunesse correspond un type d’écriture, donc, celui de l’énonciation amoureuse et des portraits sensuels de beauté dont sont exclus les personnages vieillissants. Ayant atteint trente ans, la femme de la ballade 82 ne peut que constater avec regret l’impossibilité de l’amour et son exil loin du printemps de jeunesse : vieillesse l’a « effacee » (v. 17), le grand âge doit demeurer invisible dans la constellation de la poésie amoureuse courtoise.
Vieillesse, écriture du corps souffrant et obscénité
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6 On doit à R. Magnan d’avoir finement retracé les modèles dont Deschamps dis...
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7 Sur les lunettes, dont le statut d’objet éminemment moral se confirme au xv...
4Face à une jeunesse associée au discours amoureux et à la gaieté, le grand âge présente des caractéristiques essentiellement négatives. Il est flagrant, tout d’abord, qu’il corresponde à une entrée dans les textes d’un discours sur le corps et plus particulièrement sur le corps souffrant, perçu comme une charge. Alors que la jeunesse printanière est le temps des amours et de la beauté, la vieillesse se manifeste comme une attaque. Elle « cuit » le corps du vieux chien de la ballade 13 (v. 26) qu’elle rend « pesans », « chargans » (v. 10, v. 12). Elle est un assaut douloureux dans la ballade 24, affectant durement l’homme marié : « Assailli m’a viellesce soufraiteuse / Qui de servir me fait estre dolent » (ball. 24, v. 25-26). Elle « nuit fort » au poète qui propose à l’occasion de la ballade 169 un portrait saisissant de son corps diminué par la vieillesse, dépeint dans ses dimensions les plus organiques. La pièce se fait l’écho des conceptions médicales du temps, la vieillesse est percluse de douleurs et correspond à un refroidissement et un assèchement des humeurs, en même temps qu’à une modification de caractère. Elle est ainsi parcourue de pertes de fluides —la versification énumère ses différentes transformations— qu’elle semble incapable de retenir tant elles sont nombreuses : « Je flue en chascune narine » ; « Mon corps se mine » ; « Mes dens sont longs, foibles, agus, / Jaunes, flairans comme santine » (v. 4, v. 15 et v. 21-22). Robert Magnan rappelle à juste titre ce que cet autoportrait doit à une tradition satirique de représentation du corps de vieillesse, que l’on rencontre déjà chez Horace ou chez Juvénal : dans l’Antiquité comme au Moyen Âge, les corps vieillissants sont d’abord compris comme des corps malades et saisis par une énumération d’infirmités et de défauts6. Ils appellent une écriture des maux et du détail des affections, comme le dit encore l’image des lunettes, les « bericles » (ball. 184, v. 11) que le monde devrait porter pour mieux apercevoir ses péchés – rappelons que l’invention de l’objet est relativement récente, puisque les lunettes ont été conçues au xiiie siècle7.
5Parce qu’elle est considérée comme sèche et froide, laide, la vieillesse est impropre à l’amour et la sexualité sénescente est la plupart du temps circonscrite au registre comique ou grossier : la ballade 151, pièce du vit d’Orléans, dépeint avec humour un organe désormais incapable des performances jadis accomplies. Si le sujet lyrique masculin vieillissant sait renoncer comme il le doit aux ébats de jadis, les vieillardes sont coupables d’une lubricité qu’elles sont incapables de réfréner et condamnées par leur ridicule : le trait est fréquent, à la vieillesse au féminin est associée dans les textes médicaux une recherche de compensation de la perte de chaleur par le rapport sexuel et par conséquent une lubricité tout à fait déplacée. La pièce 165 expose dans un dialogue comique les avances sexuelles d’une vieille femme que l’homme qu’elle harcèle parvient à congédier. L’autoportrait de la vieille est sans concession et son excès de lubricité se dit dans une image aussi effarante que comique dans son outrance :
8 Voir également la ball. 163, « Sote chançon en balade d’une vielle merveill...
J’ay ventre emflé, grant cul et plate fesse,
Con estendu, large comme un cabas
Pour hebergier tout le charroy d’Arras.
C’est droittement hostel saint Julïen
Tout s’y reçoit. […] (ball. 165, v. 25-298).
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9 Sur ce point que nous ne traitons pas plus avant, voir le chapitre de notre...
La vieillesse au féminin, chez Deschamps comme ailleurs, se nourrit de misogynie et donne lieu à un traitement plus dur, plus violemment satirique que son équivalent masculin : le personnage de la vetula, vieillarde lubrique, entremetteuse et parfois sorcière est encore très prégnant dans les représentations tardo-médiévales9.
6Alors que le corps de jeunesse est peu décrit chez Deschamps, qu’il apparaît comme une surface de beauté, le corps de vieillesse révèle une organicité, une propension à la douleur et se prête volontiers à une écriture comique ou obscène.
Jeunes et vieux dans la critique curiale : tensions intergénérationnelles
7La polarisation entre jeunesse et vieillesse se rejoue par ailleurs dans un type de discours très différent de la poésie amoureuse et qui n’antagonise pas moins les deux âges : la critique de la cour. Un nombre important de textes de Deschamps qui impliquent un propos sur le grand âge traitent de la vie de cour et plus particulièrement des risques que celle-ci représente pour les hommes vieux que leur seigneur délaisse avec l’âge. Milieu de tous les vices et de tous les dévoiements, la cour apparaît dans la poésie de Deschamps comme un monde à l’envers où les jeunes gouvernent et n’écoutent plus les vieillards, auxquels est pourtant traditionnellement associée la sagesse. Le discours de Deschamps sur ce thème est souvent grondeur, il dresse une catégorie contre l’autre. La figure biblique de Roboam y sert régulièrement d’exemplum, comme dans la prosopopée de la France qui pleure son état déplorable : le roi Charles VI serait victime de « jeune conseil qu’il a d’enfance / Dont Roboan fu convaincus jadis » (ball. 26, v. 21-22) et le chant royal 149, fable du lac dont on épuise les ressources, met en garde contre les pratiques prédatrices des jeunes conseillers :
Prince, bon fait retenir gens loyaulx
Et qu’om garde son peuple et ses feaulx
Sanz jeunement par jeunesce exillier
Car Roboam par les jeunes consaulx
Perdit païs, sa terre et ses vaisseaulx
[…]. (ch. r. 149, v. 51-55).
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10 Voir la note de l’édition au programme, p. 489. Sur la figure exemplaire d...
8La fidélité, la loyauté associées aux conseillers les plus anciens sont présentées comme des vertus, elles entrent dans une logique louable de préservation du bon équilibre d’un entourage politique – il faut « garder » son peuple – alors que la jeunesse encourage à la perte, à la dilapidation. Le personnage biblique sert de figure repoussoir particulièrement bien choisie dans la situation qui est celle de Charles VI : Roboam, la note de Clotilde Dauphant le rappelle, est un roi d’Israël qui succède à son père le sage Salomon. Il choisit de s’entourer de conseillers inexpérimentés plutôt que des fidèles de son père et ses mauvais choix aboutissent au schisme du royaume10. De la même manière, la fable du chien et du paysan présente l’âgisme curial comme une stratégie concertée de remplacement : après avoir exploité autant que possible les services du chien, le paysan « les jeunes fut adonc prenans » et le poète de conclure que « Les nouveaulx boutent hors telz genz » (ball. 13, v. 15 et v. 27). Une confrontation s’engage donc entre jeunes et vieux, les jeunes sont stratégiquement présentés par le moraliste comme un groupe hostile, une catégorie indistincte – « les jeunes », « les nouveaulx », « les jeunes consaulx » – mais une coterie bien constituée, un groupe de pression puissant et majoritaire.
9L’ardeur de la jeunesse peut donc devenir dommageable dans le cadre d’une pensée politique parce qu’elle est synonyme d’inexpérience. Dans cette polarisation des classes d’âge, pourtant, des possibilités de communication demeurent, car l’ambition morale de Deschamps oblige à repenser la division trop stricte des rôles et des périodes.
Unir les âges : le temps du moraliste
10Deschamps sait rejouer le principe d’opposition entre différentes catégories pour proposer une poésie adressée à tous, qui n’est pas vouée à l’une ou l’autre classe d’âge mais rappelle la porosité entre les différentes temporalités.
Jeunesse, vieillesse et finitude
11En bon moraliste, Deschamps s’assure que son propos englobe l’ensemble de son lectorat, qu’il tâche d’intéresser largement. Parce qu’ils prônent une morale éminemment chrétienne, le memento mori ou l’exhortation à songer au salut concernent tous les âges sans distinction, ils permettent de gommer la différence entre jeunesse et vieillesse, abolie dans l’horizon commun du trépas. Le grand âge est a priori plus proche de la mort et donc davantage concerné par la pensée du salut mais le lectorat jeune de Deschamps ne doit pas pour autant se désintéresser de la leçon. Il faut ainsi se garder de mésinterpréter le sens de la ballade 154, dans laquelle l’allégorie de Raison proscrit les démonstrations de piété chez les jeunes gens : « Qui jeune saintist, vieulz enrrage » (ball. 174, refrain). Le moraliste brocarde alors l’excès de religiosité qui ne peut être durant la jeunesse qu’une affaire de signes, d’« apparence », selon le terme qu’emploie Raison (v. 17). La recommandation vise une piété modérée mais suffisante et condamne donc l’ardeur de la jeunesse et non l’élan vers la piété. Comme toujours et à tous les âges, le juste milieu est la clé de voûte du comportement vertueux : « Bon fait faire par atrempance / Ne trop ne po » (v. 34-35). Jeunesse et vieillesse restent cependant les extrémités réversibles d’une existence terrestre veine : leur temporalité particulière s’abroge dans le seul horizon qui importe, celui du salut. Alors qu’il constate l’inutilité de sa longue expérience du monde, le poète rappelle en envoi la fin inexorable qui attend tout un chacun : « Il fault chascun a son aage finer, / Jeusnes et vieulz, aussi vielles et blondes » (ball. 45, v. 27). Deschamps reprend à son compte le syntagme « jeunes et vieux », régulièrement employé dans la langue médiévale pour dire l’adresse à la totalité d’un auditoire mais remotivé ici par son utilisation dans un memento mori. La leçon aboutit à un écrasement des temporalités, selon un principe bien connu au Moyen Âge : l’heure exacte du trépas étant impossible à déterminer, il faut s’y préparer à tout âge. Dans une perspective morale, la différence entre jeunesse et vieillesse se réduit face au risque de péché que chaque âge comporte : aucune période de la vie n’est plus désirable qu’une autre aux yeux du moraliste, l’ensemble de l’existence terrestre est synonyme d’une éventuelle damnation. La joyeuse jeunesse devient « Jeunesse la derveë » dans l’optique didactique du beau virelai 153 :
Douce saison tost passeë,
En jeusne temps desireë
Par plaisant folour
Des foulz appelee Amour,
Nulz saiges a vous ne beë. (vir. 153, refrain).
Les plaisirs amoureux du jeune âge sont bien vite réduits à néant par l’accélération du temps que produit le moraliste, car au jeune âge succède immédiatement la vieillesse et l’inquiétude du salut : « Puis vient Viellesce a son tour / De sa tour, / Et Tristour / Recorde la vie useë » (v. 42-45).
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11 E. Sears a montré comment, à la fin du Moyen Âge, la tradition scientifiqu...
12Le moraliste produit à plusieurs reprises cette accélération du temps de l’existence humaine pour rendre plus saisissant le message. Il utilise la tradition savante et morale de la répartition de l’existence en âges de la vie, chaque pallier étant associé à une disposition particulière11. La seconde strophe de la ballade 6 en propose une illustration remarquable :
L’en n’y puet pas sa vïe retarder,
Au mieulx venir, de LX ans ou moins,
Dont XX ans sont en jonesse gastez,
En doubte d’ame et autre perilz mains ;
Dix ans y a pour tirer a ses mains
L’avoir mondain qui a dure s’assemble
Dix ans regner et dix ans estre vains :
C’est tout neant, par ma foy, ce me semble. (v. 9-16)
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12 Voir sur ce point notre article « Le corps vieillissant d’Eustache Descham...
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13 Voir également le ron. 104, où s’élabore le même parcours au pas de course...
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14 D. Poirion, « Le temps perdu et retrouvé… au xve siècle », Écriture poétiq...
Nous avons déjà remarqué ailleurs avec quelle efficacité Deschamps se saisit des contraintes des formes fixes pour produire un memento mori poétique, qui réduit à néant en l’espace de quelques vers l’ensemble d’une existence humaine, en faisant varier les rythmes et les espaces accordés à chaque période de l’existence12. La caractérisation rapide de chaque âge rejoue des conceptions traditionnelles : la jeunesse est une période de dangers, l’âge mûr recherche difficilement la puissance et n’en jouit que peu avant que la vieillesse n’emporte l’existence. Il ne s’agit pas pour le poète de complexifier la vision de l’existence humaine en nuançant le binarisme jeunesse/vieillesse par l’introduction d’une période de maturité. Le moraliste passe au contraire avec une brièveté fulgurante sur les différents âges pour produire toujours le même rappel d’une finitude13. Daniel Poirion a peut-être raison de lire dans ce type de textes de Deschamps la figuration d’un « [c]ycle refermé du temps, à l’image de l’horloge que l’on vient d’inventer14 ». L’ensemble de l’existence, quel que soit l’âge auquel on se réfère, est a priori condamnable et, dans tous les cas, dépourvu de joie : « Soixante ans ne sont c’un moys / Ou un jour souventesfoys / Que la mort vient tressoudayne / Qui le corps et l’ame enmayne » (vir. 88, v. 28-31). L’existence est une fois de plus réduite à sa finitude, car, dans la conception chrétienne du temps, jeunesse et vieillesse sont un même néant.
L’inscription dans une temporalité plus vaste : l’âge du monde
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15 C. Dauphant, La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps (ms. Bn...
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16 Sur la périodisation en sept millénaires, que Deschamps hérite du Pseudo-M...
13Le vieillissement, la finitude ne sont pas seulement un horizon dont il faut tenir compte mais un présent de vices dans lequel vivent les lecteurs et lectrices de Deschamps : on perçoit le monde comme vieillissant au xive siècle et ce vieillissement est synonyme d’un enfoncement dans le péché. Jeunes et vieux habitent une époque de déclin, se trouvent unis dans cette temporalité longue et bien plus vaste. Deschamps figure notamment cette déchéance morale par le truchement d’un corps vieillissant qui, selon Clotilde Dauphant, rejoue ses autoportraits en vieillard, « le poète vit trop vieux dans un monde trop vieux15 ». L’image est vive et pathétique, elle recouvre le principe doctrinal des âges de la chrétienté. On la rencontre dans la prosopopée du monde de la ballade 192 ainsi que dans son portrait en vieillard qui a perdu la vue dans la ballade 184. La vieillesse n’est plus alors associée à la sagesse mais à l’accablement et à la vulnérabilité : le monde « Bericles n’a et queurt par my la rüe. / En trebuchant se fraint, destruit et lasse » (ball. 184, v. 11-12) ; « Bien croi que ne gariray jamais » dit-il en refrain de la ball. 192. Pour le Moyen Âge comme pour notre époque, l’image d’une société vieillissante n’a rien de positif, le septième âge de la ballade 184 dit le risque de la fin, la perspective de l’apocalypse16. On retrouve dans les deux textes une écriture des maux de la vieillesse, qui rend plus concrète et plus saisissante l’image mais qui sert un discours sur le péché et le dévoiement adressé à tous et toutes : « Recouvrons nostre veuë / Par les oeillez Mémoire qui radresse / Les desvoiez » (ball. 184, v. 32-34). Enjeu individuel de salut, le passage de jeunesse à vieillesse est aussi une perspective collective.
Une alliance des générations : le memento senescere
14Si le memento mori tend à réduire l’écart entre les âges, l’une des grandes tendances morales de Deschamps réintroduit la possibilité d’une alliance entre les générations : le poète prône un memento senescere qui peut emprunter les techniques d’expression du memento mori mais qui porte bien souvent une leçon spécifique sur la nécessaire thésaurisation. C’est là l’un des apports de l’œuvre de Deschamps, qui a beaucoup contribué à faire entrer en poésie cette thématique morale traditionnelle de la pauvreté des vieillards et en a fait un discours autonome, une morale pratique à part entière. Le memento senescere correspond à une pragmatisation des thématiques qu’aborde le moraliste et à une revalorisation des défauts traditionnellement associés au grand âge : dans la poésie en moyen français, l’avarice proverbiale des vieillards se mue en vertu. Le refrain de la ballade 25 le rappelle avec force, en introduisant dans la pensée de la finitude un troisième terme bien plus matériel, la préoccupation pour l’argent : « Viellesse vient, guerdon fault, temps se passe ». Le memento senescere est, comme il se doit, prôné par un locuteur vieillissant, il peut s’adresser à tous et toutes, sans distinction d’âge : « Saiges est donc qui en son temps pratique / Que povreté ne le puisse sousprandre / Car qui vieulx est, chascun lui fait la nique » (ball. 43, v. 19-21). Les leçons que porte le corps vieillissant peuvent réduire la distance générationnelle dans la mesure où elles proposent un enseignement utile aux jeunes gens et même orienté de manière privilégiée vers eux. Elle rappelle aux jeunes qu’ils ne le seront pas éternellement et que la vieillesse saura les saisir. L’envoi de la ballade 50, qui constitue une mise en garde contre les illusions de la folle jeunesse, identifie ainsi la cible de son enseignement : « Prince, monstrez a ces jeunes enfans / Que leurs cuidiers ne les soit decevans / Car tost verront de viellesce la bonde » (ball. 50, v. 31-33).
15Dans ce dialogue entre les âges que le moraliste rétablit, la mise en garde n’est pas forcément moqueuse ou vengeresse, elle rend au corps vieillissant une utilité, suggère la nécessaire évolution d’un temps à l’autre. Rappelant à ses lecteurs et lectrices leur finitude, Deschamps connaît bien les bénéfices de ce passage entre différentes temporalités, qu’il prétend incarner à la première personne.
De jeunesse à vieillesse : l’incarnation du temps qui passe comme marque distinctive
16Nous considèrerons dans un dernier temps comment la vision typée des âges se voit revivifiée par son incarnation à la première personne par le poète.
Se donner un corps changeant
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17 C. Dauphant, La Poétique des œuvres complètes, op. cit., p. 45.
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18 P. Zumthor, « Le je de la chanson et le moi du poète », Langue, texte, éni...
17Deschamps représente avec régularité son corps pris dans un processus de vieillissement, « en blobes » (ball. 43, refrain). Le fait que le poète se place ainsi à l’épreuve du passage du temps confère une couleur particulière à sa voix et lui donne une qualité de présence. Le vieillissement relève certes, Clotilde Dauphant le note, d’un « autoportrait traditionnel de l’auteur en clerc laid17 », mais il présente aussi une modalité d’incarnation intéressante dans ce qu’elle impose de l’évidence d’un corps. En se dotant d’une enveloppe charnelle qui subit les atteintes du temps, le poète se distingue des multiples avatars poétiques de la jeunesse, dont le degré de singularité est faible. Tout autant que la laideur, l’inscription d’un corps dans le temps relève d’une marque distinctive, du discours de la subjectivité que Michel Zink et Paul Zumthor considèrent comme caractéristique des mutations du lyrisme tardo-médiéval18.
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19 A. Sobczyk, « La place du Moi dans les poèmes d’Eustache Deschamps », dans...
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20 G. M. Roccati, « Sur quelques textes d’Eustache Deschamps témoignant de la...
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21 Sur ce poème et sur ceux qui traitent de la calvitie en général, voir l’an...
18De fait, le poète met en scène les modifications de son corps, les exhibe à différentes reprises aux yeux de son lectorat : alors que le lyrisme courtois traditionnel et la société curiale ne veulent voir que des corps jeunes, le vieillissement devient chez Deschamps le cœur d’un discours. « Plus son corps l’abandonne, plus il est présent dans sa poésie », résume efficacement Agata Sobczyk19. Le geste de monstration est évident dans certaines pièces qui en appellent à l’attention du lectorat pour constater les effets du temps : ainsi la première strophe de la ballade 151, ballade du vit d’Orléans, joue sur un effet d’attente, une parodie du discours moral anticipé pour faire résonner en refrain le véritable objet de la pièce : « Se j’eusse mon vit d’Orliens ». La déliquescence de l’organe sexuel donne lieu à une proclamation en détail de son état : « Or faiz assavoir / Qu’il est muez de rouge en noir, / Pale et destaint sanz lui drecier » (v. 24-26). De la même manière, la ballade 124, qui présente au roi la requête de garder le chaperon à la cour, implique un haut niveau de précision des différents états de dégradation des chauves : « Princes, trop plus sont les aucuns grevez, / Qui pour couvrir ont cheveulx reboursez / Que ceuls qui n’ont plus rien sur le peleux » (v. 25-27). Le tableau comiquement pathétique a certes vocation à appuyer la demande mais il exhibe aussi les défaillances du groupe de chauves. Le consortium de pelés que Deschamps réunit autour de lui à l’occasion de cette demande – « Eustace suy pour les pelez message, / Coucy, Saint Poul, Hagest, Torcy : venez ! » (v. 9-10) ne vaut pas uniquement pour générer ce que Gian Matteo Roccati nomme la « fonction comique du poète de cour20 ». En mentionnant d’autres noms de chauves, défaillance physique dont il fait dans son œuvre un emblème personnel, le poète rend visible des corps que la cour tend à escamoter, identifie un possible groupe de pression qui fait concurrence à celui des jeunes, selon lui si omniprésent21. L’effet de présence suscité est enfin évident dans la pièce 169, ballade des signes de la mort, que nous avons déjà mentionnée. Les premiers vers donnent le ton du texte : « Je deviens courbés et bossus, / J’oy tresdur, ma vïe decline, / Je pers mes cheveulx par dessus » (v. 1-3). Le poète dote son corps d’un devenir, d’une capacité de transformation qui le différencie fortement des corps arrêtés dans le printemps éternel de la jeunesse. L’emploi du présent façonne un effet d’incarnation : c’est encore aujourd’hui un corps en mutation qui s’adresse à nous.
Expérience du monde et vanité
19En proposant ces autoportraits qui enregistrent les marques du temps, Deschamps travaille en outre à construire la continuité d’un lien. Il est vrai que le poète n’organise pas la copie de ses textes en une œuvre complète et cohérente et préfère la diffusion « en blobes », morcelée de ses pièces. Pourtant, la référence régulière à son expérience de poète et de moraliste contribue à asseoir la légitimité de son œuvre : Deschamps n’est pas toujours un auteur jeune, il peut se prévaloir d’une expérience d’écriture. Il présente ainsi le Testament par esbatement comme une réussite remarquable dans son œuvre : « je ne fis depuis dix ans / Meilleur virelay, ce me semble » (190, v. 86-87). De la même manière, il ne se prive pas de faire valoir sa longue pratique du monde et des vices de ses contemporains, rappelant qu’il ne prend pas la parole en jeune moraliste étourdi : « Vint ans a que je ne cessay / Des vices blasmer et d’escripre / Les vertus » (ball. 145, v. 1-3). L’âge s’associe naturellement au discours moral et à la pratique poétique pour en décupler la valeur et le bien-fondé dans la mesure où il est traditionnellement synonyme d’expérience.
20Cependant, dans la vision morale du monde qui est celle de Deschamps, le grand âge a la particularité de ne pas signifier uniformément la sagesse : le poète s’applique la leçon de la vacuité de l’existence et s’attache à dissiper l’autorité mal comprise qu’il pourrait tirer de son ancienneté. C’est le sens du chant royal 154, qui énumère les différents événements historiques dont le poète, qui prétend avoir cinquante ans, a été témoin avant de répéter en refrain la vanité des grandeurs royales :
Quarte lignie et generacïon
Ay veu des roys depuis que je fu nez,
Philippe, Jehan, Charle en successïon
Le Ve, Charles, ses filz ainsnez,
Regna aprés, […]
C’est tout neant des choses de ce monde. » (ch. r. 154, v. 25-29 et refrain)
Le passage de jeunesse à vieillesse se calque sur le rythme de l’histoire des grands mais se réduit pour tous à la même leçon de la finitude : l’expérience du temps n’apporte jamais que la connaissance du néant.
Échecs de la jeunesse et incarnation de l’exemple
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22 D. Poirion, Le Poète et le Prince. L’évolution du lyrisme courtois de Guil...
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23 En cela, le corps vieillissant de Deschamps sert un objectif tout aussi pr...
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24 J. Cerquiglini-Toulet, « Écrire le temps. Le lyrisme de la durée aux xive ...
21De manière plus générale, les représentations du poète en vieillard et le regard rétrospectif sur sa jeunesse le présentent rarement à son avantage. La vieillesse tient un rôle majeur dans ce que Daniel Poirion nomme « la comédie du moi22 », c’est-à-dire l’incarnation par le moraliste des vices dont il tâche de corriger ses contemporains. Elle s’ajoute régulièrement aux malheurs du « povre Eustace » pour produire une surenchère de déconvenues et dresser un tableau pathétique de la situation du poète. Il est tentant de lire dans ces autoportraits une confession sincère sur les extrémités auxquelles peut conduire au Moyen Âge le grand âge, mais il ne faut en vérité jamais oublier l’ambition didactique qui guide le poète. Le passage de jeunesse à vieillesse offre le privilège d’un regard rétrospectif, d’une position attristée de regrets qui joue sur l’empathie du lectorat et constitue ainsi un outil très efficace de conversion23. Il relève de ce que Jacqueline Cerquiglini-Toulet nomme joliment « la tentation du chronologique24 », caractéristique de la poésie en moyen français. La ballade 43, ballade des « blobes », livre à première vue une rétrospective très personnelle de la vie du poète. Elle revient sur la jeunesse stimulante de ses études à l’université, l’apprentissage des « VII ars » et celui des « loys » et des « decrez » (ball. 43, v. 3 et v. 10). Le texte a l’intérêt de représenter une déchéance davantage intellectuelle et sociale que physique ce qui n’est pas si fréquent dans les écritures du vieillissement. Cependant, malgré sa coloration biographique, il décline pour l’essentiel à la première personne les conceptions les plus traditionnelles des schémas des âges de la vie : la jeunesse apparaît comme un temps d’apprentissage et de stimulation intellectuelle ; l’âge adulte ou « moien temps » (v. 10) est celui de la pleine puissance sociale. Implicitement, la vieillesse, que le poète a désormais atteinte, est l’époque de la déchéance, du stigmate social : « Mais l’en me fait par derrière les bobes » (v. 16). Tout au long du texte, le rappel en refrain des « blobes » réduit à néant l’orgueil des capacités hyperboliques de la jeunesse. La dernière strophe de la pièce révèle pleinement son objectif moral et fait des erreurs de jeunesse du poète un exemplum : « Saiges est donc qui en son temps pratique / Que povreté ne le puisse sousprandre » (v. 19-20). Plutôt que de prétendre à une trajectoire héroïque, à un itinéraire d’exception, le poète s’inscrit dans le devenir commun du grand âge : « Je suis moqué, ainsi sont vielle gens » (v. 26). C’est donc moins parce qu’elle apporte la sagesse que le poète incarne à la première personne la vieillesse mais parce qu’elle le dote d’un supplément de malheurs. La vieillesse permet le regard rétrospectif sur le jeune âge qui est utile au moraliste, elle offre le privilège paradoxal de l’erreur. Le procédé n’est pas différent dans la ballade 50, à l’occasion de laquelle le poète revient avec le même regard lucide et amusé sur l’arrogance de son jeune âge. Ici encore, le schéma des âges de la vie est instancié à la première personne et se déploie avec davantage de souplesse dans le récit qui est proposé d’une existence. Mais le trajet de déchéance est toujours le même : à vingt ans, le poète se croit « oiseauls volans, / Fors et appers, convoiteus de vouloir » (v. 5-6). Son arrogance le pousse à suivre les ordres de Folie et il se voit, à quarante ans, « acquerans » trop tardivement. Le regard rétrospectif du grand âge sur la jeunesse permet d’incarner davantage le propos, de lui donner une dimension plus touchante, parce qu’elle repose sur l’expérience personnelle et malheureuse de qui a vécu.
22Jeunesse et vieillesse correspondent dans la poésie de Deschamps à des discours et des valeurs bien dissociées, qui les arriment à des registres spécifiques. Bien plus que des âges ou des catégories sociales, ce sont des manières d’appréhender le monde et de l’écrire, dans la poésie amoureuse comme dans la critique curiale. La dissociation des âges est toutefois battue en brèche par le discours moral et l’enseignement chrétien de Deschamps. La vieillesse devient l’avenir du jeune âge et non plus son opposé, le poète réinscrit au cœur de son œuvre didactique la pensée du temps qui passe. Ce processus de vieillissement qui relie jeunesse et vieillesse et dont il ne cesse de nous rappeler l’imminence, le poète se l’applique à lui-même, en fait un outil de distinction et d’enseignement. Deschamps se donne la possibilité d’une existence dans le temps, réconcilie les temporalités en les incarnant toutes et fait du regard rétrospectif le principe d’un savoir moral et d’une présence poétique.
Zumthor, Paul, Langue, texte, énigme, Paris, Éd. du Seuil, 1975.
Notes
1 Les pages qui suivent reformulent en partie des réflexions issues de notre travail de doctorat mais se limitent aux pièces de l’anthologie au programme de l’agrégation 2023 : « De viel porte voix et le ton » : corps et masques du vieillissement dans la poésie en français des xive et xve siècles, soutenu à Grenoble le 10 juin 2022, disponible en ligne : https://theses.hal.science/tel-03824903.
2 Voir S. Shahar, « The Old Body in Medieval Culture », dans Framing Medieval Bodies, dir. S. Kay et M. Rubin, Manchester-New York, Manchester University Press, 1994, p. 166.
3 G. Gouirhan traite ainsi les cas très isolés de vieillissement au féminin dans la poésie des troubadours, voir son article « La Vielha au pays de Joven », dans Vieillesse et Vieillissement au Moyen Âge. Actes du colloque d’Aix-en-Provence, février 1986, Aix-en-Provence, Centre universitaire d’études et de recherches médiévales, Université de Provence, 1987 p. 89-109, disponible en ligne : http://books.openedition.org/pup/3245.
4 Voir ball. 13, p. 80-81 ; ball. 49, p. 150-153 ; ball. 151, p. 490-493 ; ball. 184, p. 576-579 de l’édition au programme (Anthologie, éd. C. Dauphant, Paris, Librairie générale française, 2014) ainsi que vol. 2, CCXXIII et vol. 5, DCCCCLXV des œuvres complètes pour la nef et la selle de cheval (Œuvres complètes, éd. Marquis de Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, Paris, Firmin Didot, 1878-1903).
5 « Aetatis cuiusque notandi sunt tibi mores, / mobilibusque decor naturis dandus et annis », « Il vous faut marquer les mœurs de chaque âge et donner aux caractères, changeant avec les années, les traits qui conviennent », écrit Horace, Art poétique, dans Épîtres, éd. et trad. F. Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 1934, v. 156-157.
6 On doit à R. Magnan d’avoir finement retracé les modèles dont Deschamps dispose dans son écriture du vieillissement, voir Aspects of Senescence in the Work of Eustache Deschamps, thèse de PhD., Indiana University, 1985, p. 134 et p. 138. Il souligne notamment l’importance du vers de l’Art poétique d’Horace : « Multa senem circumveniunt incommoda », « Mille incommodités assiègent le vieillard » (éd. et trad. cit., v. 169), qui déclenche pareillement une énumération de maux divers.
7 Sur les lunettes, dont le statut d’objet éminemment moral se confirme au xve s. chez Jean Meschinot, voir F. Cornilliat, « L’objet allégorique au xve siècle : l’exemple des Lunettes des Princes », dans Poétiques de l’objet, dir. F. Rouget, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 37-55.
8 Voir également la ball. 163, « Sote chançon en balade d’une vielle merveilleuse », pièce d’invectives contre une femme repoussante qui est un héritage des sottes chansons, ces textes parodiques dans lesquels les trouvères déclaraient leur amour à des femmes laides.
9 Sur ce point que nous ne traitons pas plus avant, voir le chapitre de notre thèse « Les potentialités réduites du vieillissement au féminin », dans « De viel porte voix et le ton », op. cit., p. 215-264. Cette question a été traitée par d’excellentes études auxquelles nous référons dans ce travail de doctorat, on peut notamment citer l’article d’A. Planche, « Le corps en vieillesse. Regards sur la poésie du Moyen Âge tardif », Razo, n° 4, 1984, p. 39-57, ainsi que celui de B. Ribémont, « Sagesse ou folie ? Être vieux dans la littérature médiévale », Gérontologie et société, n° 114, 2005, p. 129-147, disponible en ligne : www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2005-3- page-129.htm. Tous deux affirment la partition qui distingue vieillissements au féminin et au masculin.
10 Voir la note de l’édition au programme, p. 489. Sur la figure exemplaire de Roboam et la manière dont Deschamps l’utilise pour éclairer une situation politique, voir V. Minet-Mahy, « Eustache Deschamps : images de lecteurs, autoportraits et toile de fond », Studi Francesi, n° 146, 2005, p. 225-239, disponible en ligne : https://journals.openedition.org/studifrancesi/34062.
11 E. Sears a montré comment, à la fin du Moyen Âge, la tradition scientifique des schémas des âges de la vie se moralise et permet bien souvent d’illustrer un message sur le bon comportement chrétien, The Ages of Man, Medieval Interpretation of the Life Cycle, Princeton, Princeton University Press, 1986, p. 98 et p. 133. Sur les sources qui peuvent être celles de Deschamps dans son adaptation des différents schémas des âges de la vie, voir l’article de R. Magnan « Eustache Deschamps and the Course of Life », dans Eustache Deschamps, French Courtier-Poet : His Work and his World, dir. D. M. Sinnreich-Levi, New York, AMS Press, 1998, p. 229-244. L’auteur conclut toutefois à leur difficile identification, tant les découpages réemployés par le Champenois sont variés.
12 Voir sur ce point notre article « Le corps vieillissant d’Eustache Deschamps porte-t-il un memento mori ordinaire ? », Memini, n° 27, 2021, disponible en ligne : https://journals.openedition.org/memini/1910.
13 Voir également le ron. 104, où s’élabore le même parcours au pas de course des différents âges de l’existence.
14 D. Poirion, « Le temps perdu et retrouvé… au xve siècle », Écriture poétique et Composition romanesque, Orléans, Paradigme, 1994, p. 431.
15 C. Dauphant, La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps (ms. BnF fr. 840). Composition et variation formelle, Paris, Honoré Champion, 2015, p. 50.
16 Sur la périodisation en sept millénaires, que Deschamps hérite du Pseudo-Méthode, voir Th. Lassabatère, La Cité des hommes. Eustache Deschamps, expression poétique et vision politique, Paris, Honoré Champion, 2011, p. 89-93.
17 C. Dauphant, La Poétique des œuvres complètes, op. cit., p. 45.
18 P. Zumthor, « Le je de la chanson et le moi du poète », Langue, texte, énigme, Paris, Éd. du Seuil, 1975, p. 181-196 ; M. Zink, « De la poésie lyrique à la poésie personnelle : l’idéal de l’amour et l’anecdote du moi », La Subjectivité littéraire : autour du siècle de Saint Louis, Paris, Presses Universitaires de France, 1985, p. 47-74.
19 A. Sobczyk, « La place du Moi dans les poèmes d’Eustache Deschamps », dans Autour d’Eustache Deschamps. Actes du colloque du Centre d’études médiévales de l’Université de Picardie–Jules Verne, Amiens, 5-8 novembre 1998, dir. D. Buschinger, Amiens, Presses du Centre d’études médiévales, Université de Picardie-Jules Verne, 1999, p. 239.
20 G. M. Roccati, « Sur quelques textes d’Eustache Deschamps témoignant de la fonction comique du poète de cour », dans Le Rire au Moyen Âge dans la littérature et dans les arts. Actes du Colloque international des 17, 18 et 19 novembre 1988, dir. T. Bouché et H. Charpentier, Talence, Presses universitaires de Bordeaux, 1990, p. 283-297.
21 Sur ce poème et sur ceux qui traitent de la calvitie en général, voir l’analyse de F. Vigneron, qui défend notamment que « le choix du comique est un moyen de ne pas faire que subir les moqueries. Le ton de l’autodérision permet au poète de retrouver un rôle actif », « Eustache Deschamps et la calvitie en hiver », dans Particularités physiques et marginalité dans la littérature, Recherches sur l’imaginaire, Cahier XXXI, 2005, p. 71-88, disponible en ligne : https://books.openedition.org/pur/10958?lang=fr.
22 D. Poirion, Le Poète et le Prince. L’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans, [1965], Genève, Slatkine reprints, 1978, p. 232.
23 En cela, le corps vieillissant de Deschamps sert un objectif tout aussi pratique que celui que K. Becker voit à l’œuvre dans les poèmes diététiques : il est une « stylisation rhétorique de sa personne » et « le point de vue subjectif crée un effet de vérité, de sorte que le lecteur adhère plus facilement à un savoir qui lui semble couler de source, puisqu’il se rattache à un “moi” prêt à partager ses connaissances », Le Lyrisme d’Eustache Deschamps. Entre poésie et pragmatisme, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 212. Voir également l’ouvrage de J. Lemaire, qui montre comment la « vision individuelle des faits » est le propre de la critique de la cour que propose Deschamps, Les Visions de la vie de cour dans la littérature française de la fin du Moyen Âge, Paris, Klincksieck, 1994, p. 434.
24 J. Cerquiglini-Toulet, « Écrire le temps. Le lyrisme de la durée aux xive et xve siècles », dans Le Temps et la Durée dans la littérature du Moyen Âge à la Renaissance. Actes du colloque organisé par le Centre de Recherche sur la Littérature du Moyen Âge et de la Renaissance de l’Université de Reims, dir. Y. Bellenger, Paris, A. G. Nizet, 1986, p. 103.
Bibliographie
Œuvres
Eustache Deschamps, Œuvres complètes, éd. Marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Raynaud, Paris, Firmin Didot, coll. « Société des anciens textes français », 1878-1903, 11 vol.
–, Anthologie, éd. Clotilde Dauphant, Paris, Librairie générale française, Le Livre de Poche, coll. « Lettres gothiques », 2014.
Horace, Épîtres, éd. et trad. François Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 1934.
Études
Becker, Karin, Le Lyrisme d’Eustache Deschamps. Entre poésie et pragmatisme, Paris, Classiques Garnier, 2012.
Brouzes, Camille, « De viel porte voix et le ton » : corps et masques du vieillissement dans la poésie en français des xive et xve siècles, thèse de doctorat soutenue à Grenoble le 10 juin 2022, disponible en ligne : https://theses.hal.science/tel-03824903.
–, « Le corps vieillissant d’Eustache Deschamps porte-t-il un memento mori ordinaire ? », Memini, n° 27, 2021, disponible en ligne : https://journals.openedition.org/memini/1910.
Cerquiglini-Toulet, Jacqueline, « Écrire le temps. Le lyrisme de la durée aux xive et xve siècles », dans Le Temps et la Durée dans la littérature du Moyen Âge à la Renaissance. Actes du colloque organisé par le Centre de Recherche sur la Littérature du Moyen Âge et de la Renaissance de l’Université de Reims, dir. Yvonne Bellenger, Paris, A. G. Nizet, 1986, p. 103-114.
Cornilliat, François, « L’objet allégorique au xve siècle : l’exemple des Lunettes des Princes », dans Poétiques de l’objet, dir. François Rouget, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 37-55.
Dauphant, Clotilde, La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps (ms. BnF fr. 840). Composition et variation formelle, Paris, Honoré Champion, 2015.
Gouirhan, Gérard, « La Vielha au pays de Joven », dans Vieillesse et Vieillissement au Moyen Âge. Actes du colloque d’Aix-en-Provence, février 1986, Aix-en-Provence, Centre universitaire d’études et de recherches médiévales, Université de Provence, 1987, p. 89-109, disponible en ligne : http://books.openedition.org/pup/3245.
Lassabatère, Thierry, La Cité des hommes. Eustache Deschamps, expression poétique et vision politique, Paris, Honoré Champion, 2011.
Lemaire, Jacques, Les Visions de la vie de cour dans la littérature française de la fin du Moyen Âge, Paris, Klincksieck, 1994.
Magnan, Robert, Aspects of Senescence in the Work of Eustache Deschamps, thèse de PhD., Indiana University, 1985.
–, « Eustache Deschamps and the Course of Life », dans Eustache Deschamps, French Courtier-Poet: His Work and his World, dir. Deborah M. Sinnreich-Levi, New York, AMS Press, 1998, p. 229-244.
Minet-Mahy, Virginie, « Eustache Deschamps : images de lecteurs, autoportraits et toile de fond », Studi Francesi, n° 146, 2005, p. 225-239, disponible en ligne : https://journals.openedition.org/studifrancesi/34062.
Planche, Alice, « Le corps en vieillesse. Regards sur la poésie du Moyen Âge tardif », Razo, n° 4, 1984, p. 39-57.
Poirion, Daniel, Le Poète et le Prince. L’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans [1965], Genève, Slatkine reprints, 1978.
–, « Le temps perdu et retrouvé… au xve siècle », Écriture poétique et Composition romanesque, Orléans, Paradigme, 1994, p. 427-441.
Ribémont, Bernard, « Sagesse ou folie ? Être vieux dans la littérature médiévale », Gérontologie et Société, n° 114, 2005, p. 129-147, disponible en ligne : www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2005-3- page-129.htm.
Roccati, Gian Matteo, « Sur quelques textes d’Eustache Deschamps témoignant de la fonction comique du poète de cour », dans Le Rire au Moyen Âge dans la littérature et dans les arts. Actes du Colloque international des 17, 18 et 19 novembre 1988, dir. Thérèse Bouché et Hélène Charpentier, Talence, Presses universitaires de Bordeaux, 1990, p. 283-297.
Shahar, Shulamith, « The Old Body in Medieval Culture », dans Framing Medieval Bodies, dir. Sarah Kay et Miri Rubin, Manchester-New York, Manchester University Press, 1994, p. 160-186.
Sears, Elizabeth, The Ages of Man, Medieval Interpretation of the Life Cycle, Princeton, Princeton University Press, 1986.
Sobczyk, Agata, « La place du Moi dans les poèmes d’Eustache Deschamps », dans Autour d’Eustache Deschamps. Actes du colloque du Centre d’études médiévales de l’Université de Picardie–Jules Verne, Amiens, 5-8 novembre 1998, dir. Danielle Buschinger, Amiens, Presses du Centre d’études médiévales, Université de Picardie-Jules Verne, 1999, p. 233-243.
Vigneron, Fleur, « Eustache Deschamps et la calvitie en hiver », dans Particularités physiques et marginalité dans la littérature, Recherches sur l’imaginaire, Cahier XXXI, 2005, p. 71-88, disponible en ligne : https://books.openedition.org/pur/10958 ?lang =fr.
Zink, Michel, La Subjectivité littéraire : autour du siècle de Saint Louis, Paris, Presses Universitaires de France, 1985.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Camille Brouzes
Université de Rouen, CÉRÉdI