Dossier Acta Litt&Arts : Le style Sévigné. A l'occasion de l'agrégation 2013/2014
Du fonctionnement pragmatique des phénomènes d’emphase en situation épistolaire : l’exemple de Mme de Sévigné
Initialement paru dans : M. Levesque et O. Pedeflous (dir.), (L’Emphase : copia ou brevitas ? (XVI-XVIIe siècles), Paris, PUPS, coll. « Bibliothèque des styles », 2010, p. 129-143.
Texte intégral
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1 On aura reconnu la terminologie qu’adoptent D. Denis et A. Sancier-Chateau,...
1Dans les lettres qu’elle écrit à sa fille de 1671 à 1696, Mme de Sévigné recourt abondamment aux trois phénomènes syntaxiques de mise en relief que sont les structures disloquées, clivées et pseudo-clivées. Pour qui cherche à comprendre l’omniprésence des « variantes emphatiques de la phrase linéaire1 » tout au long de la correspondance, il peut paraître commode de recourir à de vastes perspectives surplombantes, qu’elles soient d’ordre générique, psychologique ou esthétique. Pourtant, les trois principes explicatifs les plus couramment avancés pour caractériser le style de Mme de Sévigné présentent deux inconvénients majeurs : d’une part, ils reposent sur des présupposés trop peu questionnés ; d’autre part, ils occultent les paramètres proprement pragmatiques qui président à l’emploi, sur la scène d’énonciation épistolaire, des structures emphatiques. C’est pourquoi il faut faire preuve de la plus grande prudence à leur égard.
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2 Sur la remise en question, dans les années 1990, de l’appartenance des tour...
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3 Telle est l’hypothèse de D. Denis et St. Macé au sujet des tours disloqués ...
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4 Pour une critique de ce « mythe », voir C. Pagani-Naudet, Histoire d’un pro...
2D’abord, la prédilection de Mme de Sévigné pour les phénomènes syntaxiques de mise en relief paraît pouvoir être reliée au genre même de la lettre, conçue par toute la tradition épistolographique sur le mode d’une conversation entre personnes absentes. La grande fréquence des structures emphatiques, souvent perçues comme typiques de la langue parlée, s’expliquerait par une volonté d’oraliser le discours épistolaire. Or les limites de ce prétendu effet d’oralité ne sont plus à démontrer2. Compte tenu de la profusion de ces constructions au XVIIe siècle, y compris dans des textes qui ne cherchent pas spécialement à rapprocher leur style de la langue orale3, ce serait faire fausse route que de les traiter comme d’incontestables indices stylistiques d’oralisation. Depuis le stimulant réexamen du « mythe de la parole spontanée4 », on sait que l’effet d’oralité censé être propre aux structures emphatiques est largement sujet à caution.
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5 Cl. Badiou-Monferran, « “Syntaxe d’expressivité” et “ordre des mots” dans l...
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6 Telle est la conclusion de Cl. Badiou-Monferran, au terme d’une remise en q...
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7 C. Pagani-Naudet, Histoire d’un procédé de style. La dislocation (XII-XVIIe...
3Ensuite, face à l’abondance de structures emphatiques dans les lettres à Mme de Grignan, on pourrait évoquer des paramètres d’ordre psychologique, le bouleversement de l’ordre canonique de la phrase semblant traduire l’intensité des sentiments maternels. L’omniprésence des tournures emphatiques s’expliquerait ainsi par le caractère passionné de l’épistolière, dont le style ne saurait être plat et sans relief, comme si ces tournures mimaient les tumultes du cœur. Si l’on replace les structures emphatiques dans l’histoire des représentations linguistiques, il apparaît qu’elles relèvent de la rhétorique des passions. En procédant à des réaménagements syntaxiques propres à souligner certains constituants, les structures de mise en relief contreviennent à l’ordre des mots habituel : c’est en tant qu’hyperbate, conçue par la rhétorique classique comme « renversement de l’ordre banal des groupes fonctionnels5 », qu’elles sont appréhendées. Pourtant, n’en déplaise à ceux qui, fascinés par la personnalité excessive de la marquise, inclineraient à voir dans ces structures autant d’accidents de langage portant la trace des affects qui les sous-tendent, de tels agencements syntaxiques n’ont nullement besoin d’une quelconque hystérie maternelle pour exister. Deux mises au point récentes permettent d’éviter l’erreur de perspective. D’une part, les « structures clivées et les constructions disloquées » sont sans doute « moins transgressives qu’il n’y paraît6 ». D’autre part, l’amalgame qui consiste à voir, en particulier dans la dislocation, un « modèle de syntaxe affective » offrant « un fidèle truchement de la pensée et des sentiments7 », semble définitivement invalidé. Interpréter les structures emphatiques comme des traces d’affectivité n’est donc guère satisfaisant, même s’il est indéniable que les effets rythmiques qu’entraînent de telles structures accroissent la teneur émotionnelle du discours.
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8 Sur les problèmes que pose la redondance syntaxique qu’entraîne la reprise,...
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9 Nous renvoyons à l’enquête menée par C. Pagani-Naudet, ibid., p. 177-184.
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10 Une fois encore, le travail de correction d’H. d’Urfé recèle de précieuses...
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11 À propos de « l’exigence d’unicité » qui anime les Remarqueurs, voir la sy...
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12 Les citations des lettres de Mme de Sévigné, données entre parenthèses au ...
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13 N. Fournier, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998, § 188, p...
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14 Ibid., § 194, p. 195.
4Enfin, si l’on adopte un point de vue esthétique sur la prose sévignéenne, on peut être tenté d’affirmer que les fréquentes structures emphatiques renforcent le séduisant naturel des lettres. Parce que la dislocation consiste à détacher un constituant en tête ou en fin de phrase et à le reprendre ou à l’annoncer par un pronom, les constructions à détachement aboutissent en effet à des dédoublements fonctionnels atypiques8, qui contribuent sans doute à l’impression de naïveté épistolaire. Même si elle ne fait pas l’objet de critiques systématiques, faute d’être cernée dans sa spécificité par les grammairiens de l’époque9, la construction disloquée ne peut être ressentie que comme une source de pléonasme10. En convoquant très volontiers des tournures qui enfreignent manifestement le principe d’unicité11, Mme de Sévigné ferait donc preuve, une fois de plus, d’une résistance désinvolte aux prescriptions. Refusant d’expurger ses lettres de leurs nombreuses traces d’asianisme, la marquise parierait ainsi sur la désinvolture d’un style qu’elle qualifie elle-même de « naturel » et de « dérangé » (3 février 1672 : I, 428)12. Certes, une telle explication fait fond sur l’indéniable liberté que s’octroie la marquise à l’égard des injonctions normatives. Néanmoins, ne surinterprétons pas la récurrence des structures emphatiques sous la plume de Mme de Sévigné, notamment celles qui mettent en jeu la thématisation : « ces constructions, surabondantes au début du siècle, vont certes s’alléger mais resteront extrêmement vivantes […] d’un bout à l’autre du siècle13 ». L’hypothèse selon laquelle ces structures seraient la preuve d’une esthétique consciemment mise en œuvre ne résiste donc pas au constat que fait N. Fournier quant à « la vitalité et la fréquence de ces constructions en français classique et ce, contrairement à des préjugés parfois tenaces, dans tous les genres […], dans tous les styles et chez tous les auteurs14 ».
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15 Pour une réflexion d’ensemble sur l’importance du dynamisme communicatif e...
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16 Voir la mise au point terminologique de M. Galmiche, « Au carrefour des ma...
5Au terme de cette présentation des hypothèses qui pourraient sembler suffire à expliquer l’abondance des structures emphatiques dans les lettres à Mme de Grignan, on comprend qu’une telle abondance ne saurait être seulement appréhendée à la lumière de perspectives d’ensemble qui donnent davantage lieu à l’interprétation qu’à la description d’occurrences. L’analyse de ces différentes constructions ne peut être pertinente qu’à condition de prendre en compte les paramètres discursifs qui président à leur emploi, c’est-à-dire de mettre en relation les phénomènes énonciatifs avec la gestion du contenu informationnel15, la modification de la répartition des constituants en thème et propos16 permettant de hiérarchiser le contenu du message. Il s’agit donc de se demander à quel type de distribution obéissent ces structures, pour comprendre quels effets elles cherchent à produire chez la destinataire, ce qui implique d’être constamment attentif aux situations discursives qui définissent les valeurs d’emploi de ces structures. Dépasser les analyses syntaxiques et énonciatives en essayant de voir quels besoins pragmatiques ces structures viennent combler : tel est notre objectif.
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17 Sur les critères formels de la segmentation, conçue comme l’un des modes d...
6Cette contribution se propose ainsi de montrer que le choix des constructions emphatiques est orienté en fonction des séquences discursives dans lesquelles elles apparaissent. L’examen des conditions et contextes d’emploi des différentes phrases segmentées17 montre en effet qu’au souci d’expressivité se joint une nette orientation argumentative, le choix de telle ou telle tournure s’avérant argumentativement contraint. Sans s’attarder sur les sentiments des deux correspondantes, rappelons simplement que la relation entre une mère passionnée et une fille moins démonstrative est d’une nature éminemment conflictuelle. Il serait donc réducteur de considérer les structures emphatiques comme un simple tic de style dépourvu d’enjeux. Parce que Mme de Sévigné tente sans cesse d’orienter et d’infléchir la réception, par sa fille, des sentiments qu’elle transcrit, ces structures sont indissociables d’une dynamique communicationnelle qui trouve sa raison d’être dans la peur que sa destinataire rejette sa manière d’aimer. Quels besoins argumentatifs les structures emphatiques satisfont-elles ? Quelle est la fonctionnalité discursive propre à chacune de ces structures au sein de l’interaction épistolaire ? Telles sont les questions auxquelles il s’agit de répondre, en étudiant successivement la pertinence pragmatique des structures disloquées avec détachement à gauche (les plus saillantes dans notre corpus), puis des structures clivées, et enfin des structures pseudo-clivées.
Les structures disloquées avec détachement à gauche : une fonction cohésive en contexte élégiaque
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18 Telle est la dénomination que propose G. Gougenheim, qui précise que « le ...
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19 M. Riegel, J.-Chr. Pellat et R. Rioul, Grammaire méthodique du français, P...
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20 « Les constituants recouvrant la fonction pragmatique de topique, qui assu...
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21 C. Pagani-Naudet, Histoire d’un procédé de style. La dislocation (XII-XVII...
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22 Ibid., p. 258.
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23 Nous renvoyons successivement aux analyses de M. de Fornel, « Construction...
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24 Sur la « cohérence contextuelle » qu’instaure la dislocation, voir M. Lapa...
7 Parce qu’elles permettent de renforcer la cohésion syntaxique, les structures disloquées avec détachement à gauche sont exploitées pour leur capacité à ménager des transitions à la fois discrètes et efficaces vers des sujets que ne goûte guère la pudique Mme de Grignan. Lorsque l’on examine les situations discursives qui définissent les valeurs d’emploi de ces « compléments de rapport18 », généralement introduits par pour, on s’aperçoit que les envisager comme de simples formules de transition ne suffit pas à rendre compte de leur rendement au sein de la lettre. Certes, les constructions disloquées se présentent souvent comme d’anodines « formules de détachement » propres à marquer « une rupture thématique dans le déroulement d’un texte », dans la mesure où elles « introduisent un groupe nominal qui s’oppose à un autre, figurant souvent dans le contexte antérieur19 ». Que les lettres de Mme de Sévigné, qui procèdent, en vertu de la familiarité, par accumulation de sujets les plus variés, soient jalonnées de formules permettant d’introduire, avec souplesse et désinvolture20, les sujets les plus variés, ne surprend guère. Pourtant, on s’aperçoit que de très nombreuses constructions disloquées avec détachement à gauche apparaissent au seuil d’aveux sentimentaux nettement empreints de sensibilité élégiaque. Loin de ne fonctionner que comme de banales chevilles, ces structures s’avèrent propres à ménager de discrètes transitions vers des sujets qui sont régulièrement à l’origine de malentendus entre la mère et la fille. De fait, « par sa position liminaire et par ses caractéristiques informationnelles, le syntagme disloqué à gauche marque la continuité thématique » : « la dislocation exhibe un élément du contexte antérieur à partir duquel la prédication se construit et progresse sur la base du connu et du familier », même si le « syntagme disloqué » a une nette « valeur contrastive21 ». La dislocation avec détachement à gauche fonctionnant à la manière d’un connecteur logique, elle réalise un coup de force pragmatique : non seulement elle signale « un changement arbitraire du propos22 », mais encore elle rend légitime ce changement, qui apparaît conscient et volontaire. Les constructions disloquées – qu’elles soient appréhendées comme marqueurs de « mouvement thématique » et d’« organisation préférentielle dans la conversation », comme « pertinenseurs », comme « marqueurs de topicalisation » ou comme « introducteur de cadre thématique23 » – permettent en effet d’opérer un changement de thème tout en le justifiant par ce qui précède24.
8Sous la plume d’une épistolière soucieuse de résorber le côté incongru, voire déplacé, de ses aveux élégiaques, la dislocation à gauche constitue un excellent moyen d’amener avec naturel des aveux qui ne correspondent guère à la sensibilité de la destinataire. Ainsi la dislocation effectue-t-elle avec subtilité les transitions les plus périlleuses, comme celles entre le compte-rendu des activités quotidiennes et l’expression du chagrin maternel,
Nous lisons fort, et le temps se passe si vite que ce n’est pas la peine de se tant tourmenter, au moins jusqu’à celui que je pourrai vous embrasser, car pour celui-là, j’avoue que je le souhaite ardemment. (9 novembre 1689 : III, 752)
entre les considérations sur les rythmes postaux et l’aveu de tourments obsessionnels,
Quand vous ne recevrez point de mes lettres, croyez bien fermement qu’il m’aura été impossible de vous écrire. Mais pour penser à vous, ah ! je ne fais nulle autre chose ; je cuis toujours, et comme vous savez, je m’amuse à éplucher la racine de ma chicorée, de sorte que mon bouillon est amer, comme ceux que nous prenions à Grignan. (13 octobre 1673 : I, 599)
ou encore entre le plaisir de recevoir des lettres et les souffrances de la séparation :
En voilà deux encore, ma bonne ; elles sont en vérité les bien venues. […] Mais pour être surchargée de cette lecture, ce n’est pas une chose possible ; c’est de celle-là qu’on ne se lasse jamais. (5 janvier 1676 : II, 211)
Ces quelques exemples suffisent à illustrer la définition que propose A. Jaubert de la thématisation, conçue comme « la projection en exergue du thème », qui « exhibe son lien avec le rhème25 ». Si « la cohérence d’un texte est dans la pertinence de ses éléments par rapport à un contexte donné », le détachement « fonctionne comme l’explicitation de cette pertinence : l’à-propos sémantique, en arborant tel ou tel profil, pointe l’à-propos pragmatique de l’énoncé ». De fait, « la thématisation, comme la mise en propos, amenant tel ou tel constituant sous les feux de l’énonciation, désigne en lui la réalité de discours articulée à son complémentaire, c’est-à-dire sous-tendue par une légitimité » – une « légitimité de discours », d’ailleurs « propice aux truquages de la parole », puisqu’« en matière de communication, le recentrage couvre parfois un décentrage26 ». C’est effectivement bien une véritable « démonstration d’à propos27 » qu’assure, dans les lettres de Mme de Sévigné, la mise en relief assurée par les structures disloquées.
Les structures clivées : une fonction conative en contexte didactique
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28 « Si la phrase disloquée est dite phrase à thématisation, dans la mesure o...
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29 Sur les raisons de considérer, dans les structures clivées, c’est comme un...
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30 N. Fournier, Grammaire du français classique, op. cit., § 194, p. 134.
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31 Si nous utilisons, conformément à une tradition vivace, les termes d’extra...
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32 Pour une présentation synthétique des divergences théoriques qui opposent ...
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33 C. Pagani-Naudet, Histoire d’un procédé de style. La dislocation (XII-XVII...
9La deuxième forme de mise en relief syntaxique, appelée structure clivée ou phrase à rhématisation28, repose sur le mécanisme d’extraction, qui associe c’est29 et une relative. Alors que « la phrase disloquée est dite phrase à thématisation, dans la mesure où elle détache […] le thème de l’énoncé, la phrase clivée peut être dite phrase à rhématisation, dans la mesure où elle isole et met en relief le rhème30 ». Dans les lettres à Mme de Grignan, la structure focalisante31 c’est…qui/que apparaît essentiellement dans des passages à forte teneur didactique. Parce qu’elles ont pour effet d’imposer une certaine vision des choses, les structures clivées s’avèrent particulièrement utiles lorsque Mme de Sévigné, qui entend bien mettre en pratique ses prérogatives de mère et de belle-mère, se montre soucieuse de prodiguer ses conseils quant aux deux « chapitres » que Mme de Grignan s’obstine à négliger : sa santé (fragile) et ses affaires (désastreuses). Au moment où la marquise tente d’expliquer à sa fille les dangers qui la menacent, afin de l’inciter à agir en conséquence, elle recourt surtout à l’extraction de l’attribut du sujet, de nature nominale. Sans entrer dans le détail des options terminologiques qui président aux différentes analyses du phénomène32, contentons-nous de souligner la forte valeur argumentative des « constructions en c’est », qui, dans la mesure où elles « fonctionnent de telle manière que l’exposition et la mise en valeur du propos mènent immédiatement à sa validation universelle », exercent « une pression sur le destinataire »33. Dans les lettres de Mme de Sévigné, les constructions clivées servent souvent à formuler des énoncés à portée générale – par exemple, au sujet des dépenses engagées par le train de vie des Grignan :
Il n’y a point de provisions dont on ne trouve très promptement la fin avec tant de monde. C’est une affaire d’en racheter ; c’est un gouffre que la consommation de mille choses qu’il faut acheter. (3 juillet 1680 : II, 995)
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34 St. Macé, « Sur quelques lignes de Huysmans, et de l’usage des constructio...
Dans ce type de formulation, qui ne manque pas de rappeler l’« art de la maxime », « le verbe être du tour clivé relève de la valeur gnomique34 ». Détentrice d’un savoir et d’une expérience en matière d’économie domestique dont elle a bien l’intention de faire bénéficier sa fille, Mme de Sévigné ne manque pas d’exploiter les ressources argumentatives du clivage par extraction de l’attribut, qui consistent à présenter ses réflexions comme une vérité générale.
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35 Sur les problèmes d’analyses soulevés par ce phénomène d’ellipse, ibid., p...
10La marquise renforce encore le poids argumentatif du clivage en optant systématiquement pour une formulation métaphorique. Cherchant à donner sa version (volontiers alarmiste, quoique pleine de bon sens) des choses, Mme de Sévigné joue en effet volontiers sur la force cognitive des métaphores. Même si les images qu’elle utilise sont largement topiques, elles contribuent grandement à la dramatisation du propos. La forte densité expressive des constructions clivées est d’ailleurs accrue par le fait que « l’extraction de l’attribut nominal précède une subordonnée » généralement « elliptique35 ». Que Mme de Sévigné présente les dettes qui étranglent les Grignan comme des « griffes »,
Je souhaite fort que vous trouviez à vous tirer de ce paiement abominable. Voilà comme on est doux en prêtant, et puis on montre des griffes ; vraiment ce sont bien des griffes que celles-là. (11 mai 1689 : III, 596)
ou qu’elle identifie au « carnaval » la vie fastueuse que mène le couple alors qu’il n’en a pas les moyens,
Un hiver est impraticable à Grignan et très ruineux à Aix de la manière dont les jeux et les plaisirs sont à votre suite ; c’est proprement le carnaval que la vie que vous faites. (21 février 1680 : II, 842)
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36 Tel est le propre du « discours objectif », comme le montre C. Kerbrat-Ore...
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37 Id.
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38 Id. Mme de Sévigné exploite ainsi « le privilège somme toute exorbitant du...
elle joue sur la surprise que créent des métaphores particulièrement fortes, aptes à condenser tout un raisonnement. Allons plus loin : si les structures clivées à teneur métaphorique sont particulièrement efficaces, c’est parce qu’elles s’avèrent propres à imposer un jugement subjectif tout en effaçant les « traces de l’existence d’un énonciateur individuel36 ». En effet, ces structures parviennent à présenter comme une vérité générale ce qui n’est pourtant qu’une expérience subjective. Exprimée dans le cadre économique de la structure clivée, la formulation métaphorique acquiert une allure objective. Le clivage par extraction de l’attribut permet à Mme de Sévigné d’« objectiver [son] jugement » et d’ériger son « appréciation personnelle en un jugement de validité générale »37. C’est parce que Mme de Sévigné présente ses jugements comme « de l’énonciation subjective objectivisée »38 que le clivage par extraction de l’attribut apparaît dotée d’une fonction conative particulièrement adaptée aux avis didactiques.
Les structures pseudo-clivées : une fonction adoucissante en contexte polémique
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39 Ibid., p. 83-100.
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40 Comme le souligne C. Kerbrat-Orecchioni, les « procédés adoucisseurs » con...
11Lorsque l’on cherche à déterminer les situations discursives qui sont les plus favorables à l’emploi de structures pseudo-clivées dans les lettres à Mme de Grignan, on s’aperçoit que ces structures interviennent essentiellement dans des passages polémiques, où résonnent tensions et désaccords. Parce qu’elles mettent ostensiblement l’accent sur l’engagement émotionnel de l’épistolière au moment où celle-ci formule ses critiques à l’égard de sa destinataire, les structures pseudo-clivées permettent d’affectiviser le discours maternel. Afin de ne pas paraître agressive, Mme de Sévigné insiste souvent sur le caractère tout personnel de son jugement. Elle utilise alors toutes sortes de termes qui énoncent à la fois « un jugement de valeur et un engagement émotionnel du locuteur39 ». Les structures pseudo-clivées, qui permettent d’exprimer une réaction émotionnelle dès le début de la phrase, apparaissent comme une tournure particulièrement adaptée à des remontrances qui n’osent pas s’afficher comme telles. On le sait, mentionner sa subjectivité constitue une manière efficace de relativiser l’allure catégorique du propos. C’est en cela que l’on peut parler de la fonction adoucissante40 des structures pseudo-clivées chez Mme de Sévigné – qui précèdent souvent l’expression de la désapprobation maternelle :
[…] ce qui est fâcheux, c’est que, quand on gâte ses affaires, on passe le reste de sa vie à les rapsoder, et l’on n’a jamais ni de repos, ni d’abondance. (21 juin 1671 : I, 275)
Tout ce que je crains, c’est qu’on ne trouve que la sagesse de la Provence fait plus de bruit que la sédition des autres provinces. (5 janvier 1676 : II, 211)
Mais ce que je ne puis comprendre, c’est que vous vous teniez tous deux pour des gens de l’autre monde et qui n’êtes plus en état de penser à la fortune et aux grâces de Sa Majesté. (13 mars 1680 : II, 869)
Ce qui tue, c’est que le temps a beau courir bien vite, et trop vite, vous ne sauriez attraper vos revenus. (1er février 1690 : III, 824)
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41 C. Kerbrat-Orecchioni, L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage, ...
Indéniablement, l’expression de la subjectivité rend les blâmes maternels moins péremptoires. Parce que les reproches sont présentés comme de simples réactions émotionnelles, leur côté autoritaire se voit partiellement résorbé. On comprend l’intérêt qu’a Mme de Sévigné à utiliser ce type de structure en contexte polémique : « en affectivisant » son discours, l’émetteur espère toujours « que la répulsion, l’enthousiasme ou l’apitoiement qu’il manifeste atteindront par ricochet le récepteur, et favoriseront son adhésion à l’interprétation qu’il propose des faits41 ». Consciente des risques de déplaire à sa fille, la marquise se montre prudente : souligner l’ancrage subjectif du propos est bien une manière d’en tempérer la portée intrusive.
42 Nous renvoyons aux analyses de M. Riegel, J-Chr. Pellat et R. Rioul, qui c...
43 On aura reconnu la terminologie d’A. Berrendonner, qui distingue la L-véri...
Les structures pseudo-clivées sont d’autant plus commodes que si elles insistent sur le caractère subjectif de l’appréciation qu’elles précèdent, c’est sur le mode, dépourvu de toute lourdeur explicative, du présupposé. Sans entrer dans les détails du mécanisme présuppositionnel constitutif des structures pseudo-clivées42, on soulignera seulement qu’il possède une double portée argumentative : d’une part, il présente la réaction émotionnelle comme une évidence ; d’autre part, il la rend incontestable. Loin de prétendre à l’objectivité ou à l’universalité, les reproches de Mme de Sévigné sont présentés comme de simples convictions intimes, rattachées à la seule sensibilité maternelle, de type L-vraies43 . En désamorçant l’agressivité des blâmes adressés à Mme de Grignan, les structures pseudo-clivées déploient ainsi un effet euphémisant propre à voiler le caractère directif des conseils.
Conclusion
12Ainsi donc, les régularités contextuelles dans l’exploitation des différentes propriétés pragmatiques des structures emphatiques s’avèrent frappantes. Si les différentes structures n’interviennent pas dans les mêmes types de contextes discursifs, c’est que Mme de Sévigné assigne aux différentes structures emphatiques des conditions d’occurrence relativement précises. En cela, l’épistolière témoigne, une fois de plus, d’une sensibilité aiguë aux faits de langue, dont elle sait exploiter les ressources en fonction de sa constante aspiration à persuader sa fille de la légitimité des différents registres sur lesquels s’expriment ses sentiments.
Notes
1 On aura reconnu la terminologie qu’adoptent D. Denis et A. Sancier-Chateau, Grammaire du français, Paris, Librairie Générale Française, 1994, p. 383.
2 Sur la remise en question, dans les années 1990, de l’appartenance des tours emphatiques à la seule langue orale, voir J. Härmä, « Dislocation et topicalisation : degrés de grammaticalisation », Verbum, XXV, 2003, 3, p. 385.
3 Telle est l’hypothèse de D. Denis et St. Macé au sujet des tours disloqués : « peut-être n’est-il pas souhaitable d’interpréter systématiquement ce type de structure comme un marquage d’oralité (même soumis à stylisation). Une œuvre de vastes dimensions comme L’Astrée utilise fréquemment le détachement syntaxique dans le cadre d’une prose d’art peu susceptible de telles intentions, de façon neutre et non marquée. » (« Archaïsme et sélection des publics : l’exemple de Cyrano de Bergerac et du Cardinal de Retz », dans L. Himy-Pieri et St. Macé (dir.), Stylistique de l’archaïsme, Actes du colloque de Cerisy, à paraître).
4 Pour une critique de ce « mythe », voir C. Pagani-Naudet, Histoire d’un procédé de style. La dislocation (XII-XVIIe siècles), Paris, Champion, 2005, p. 127-144.
5 Cl. Badiou-Monferran, « “Syntaxe d’expressivité” et “ordre des mots” dans les Maximes de La Rochefoucauld », dans Fr. Neveu (dir.), Faits de langue et sens des textes, Paris, SEDES, 1998, p. 133-134.
6 Telle est la conclusion de Cl. Badiou-Monferran, au terme d’une remise en question de la pertinence de l’approche transformationnelle des types de phrases dits « facultatifs », ibid., p. 152.
7 C. Pagani-Naudet, Histoire d’un procédé de style. La dislocation (XII-XVIIe siècle), op. cit., p. 143. Pour une dénonciation de la « confusion entre l’oralité et la spontanéité », qui conduit à penser que « l’ordre des mots à l’écrit témoignerait du triomphe de l’esprit et de la logique », tandis que « la dislocation serait une manifestation des libertés que la langue parlée prend avec la norme pour redonner une place à l’affectif », ibid., p. 143-144.
8 Sur les problèmes que pose la redondance syntaxique qu’entraîne la reprise, par un clitique, de l’élément disloqué, ainsi que sur leur traitement, au XVIIe siècle, à travers la problématique de l’ordre des mots, on se reportera à M. Blasco-Dulbecco, « Propositions pour le classement typologique de quelques détachements », L’Information grammaticale, n° 109, mars 2006, p. 27-28. Quant aux prises de position des grammairiens contre la reprise immédiate du sujet, voir C. Pagani-Naudet, Histoire d’un procédé de style. La dislocation (XII-XVIIe siècles), op. cit., p. 178-179.
9 Nous renvoyons à l’enquête menée par C. Pagani-Naudet, ibid., p. 177-184.
10 Une fois encore, le travail de correction d’H. d’Urfé recèle de précieuses informations : le fait que l’auteur efface systématiquement les pléonasmes, même lorsqu’ils assuraient une mise en relief, illustre bien l’évolution du sentiment linguistique à l’égard des redondances (A. Sancier-Chateau, Une Esthétique nouvelle : Honoré d’Urfé correcteur de L’Astrée (1607-1625), Genève, Droz, 1995, p. 296-297).
11 À propos de « l’exigence d’unicité » qui anime les Remarqueurs, voir la synthèse de G. Siouffi, Le “génie de la langue française” à l’âge classique. Recherches sur les structures imaginaires de la description linguistique de Vaugelas à Bouhours, thèse de doctorat, sous la dir. de P. Cahné, Paris IV-Sorbonne, janvier 1995, p. 113-129.
12 Les citations des lettres de Mme de Sévigné, données entre parenthèses au fil du texte, mentionnent la date de la lettre et sa pagination (tome et page) dans l’édition de référence : Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 3 volumes, 1972-1978.
13 N. Fournier, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998, § 188, p. 132.
14 Ibid., § 194, p. 195.
15 Pour une réflexion d’ensemble sur l’importance du dynamisme communicatif en ce qui concerne la place des constructions détachées, nous renvoyons aux analyses de B. Combettes, « Facteurs textuels et facteurs sémantiques dans la problématique de l’ordre des mots : le cas des constructions détachées », Langue française, n° 111, septembre 1996, p. 83-95.
16 Voir la mise au point terminologique de M. Galmiche, « Au carrefour des malentendus : le thème », L’Information grammaticale, n° 54, juin 1992, p. 3-10.
17 Sur les critères formels de la segmentation, conçue comme l’un des modes de structuration de la phrase, voir É. Pellet, « Les phrases segmentées dans Le Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline », L’Information grammaticale, n° 61, mars 1994, p. 41-42.
18 Telle est la dénomination que propose G. Gougenheim, qui précise que « le complément de rapport en tête de phrase est généralement marqué par quant à, pour, pour ce qui est de, etc. » (Grammaire de la langue française du seizième siècle, Paris, Picard, 1973, p. 232).
19 M. Riegel, J.-Chr. Pellat et R. Rioul, Grammaire méthodique du français, Paris, P.U.F., 1999, p. 430.
20 « Les constituants recouvrant la fonction pragmatique de topique, qui assurent une relation de pertinence (aboutness/au sujet de) par rapport au commentaire et au contexte discursif, présentent des propriétés d’éléments périphériques très faiblement intégrés à la hiérarchisation de l’énoncé » - la « topicalisation avec marqueur » réalisant une « articulation » qui fonctionne comme une « structuration intermédiaire entre la parataxe et les relations de dépendance » (B. Combettes, « Discontinuité et diachronie : deux types d’évolution », L’Information grammaticale, n° 109, mars 2006, p. 16 et 17-18).
21 C. Pagani-Naudet, Histoire d’un procédé de style. La dislocation (XII-XVIIe siècles), op. cit., p. 238.
22 Ibid., p. 258.
23 Nous renvoyons successivement aux analyses de M. de Fornel, « Constructions disloquées, mouvement thématique et organisation préférentielle dans la conversation », Langue française, n° 78, mai 1988, p. 101-123 ; A. Jaubert, La Lecture pragmatique, Paris, Hachette, 1990, p. 82-89 ; B. Combettes et S. Prévost, « Évolution des marqueurs de topicalisation », Cahiers de praxématique, n° 37, 2001, p. 103-124 ; S. Porhiel, « Les introducteurs de cadre thématique », Cahiers de Lexicologie, n° 85, 2, 2004, p. 9-45.
24 Sur la « cohérence contextuelle » qu’instaure la dislocation, voir M. Laparra, « Sélection thématique et cohérence du discours à l’oral », Le français moderne, tome L, n° 3, juillet 1982, p. 210.
25 A. Jaubert, La Lecture pragmatique, op. cit., p. 84.
26 Ibid., p. 85.
27 Ibid., p. 84.
28 « Si la phrase disloquée est dite phrase à thématisation, dans la mesure où elle détache (en tête ou en fin de phrase) le thème de l’énoncé, la phrase clivée peut être dite phrase à rhématisation, dans la mesure où elle isole et met en relief le thème » (N. Fournier, Grammaire du français classique, op. cit., § 194, p. 134).
29 Sur les raisons de considérer, dans les structures clivées, c’est comme un « marqueur d’identification » utilisé avec un verbe pleinement attributif, voir P. Le Goffic, Grammaire de la phrase française, Paris, Hachette, 1994, p. 209-211. Pour une analyse différente, qui consiste à dire que « dans la structure focalisante c’est X qui/que, le verbe n’est pas attributif », mais qu’il « forme avec ce une locution présentative introduisant un complément », voir V. Raby et F. Lefeuvre, « Ô Prince ! C’est à vous qu’on parle. Les structures focalisantes dans les Sermons de Bossuet », L’Information grammaticale, n° 97, 2003, p. 4.
30 N. Fournier, Grammaire du français classique, op. cit., § 194, p. 134.
31 Si nous utilisons, conformément à une tradition vivace, les termes d’extraction et de clivage, il semble tout à fait légitime de préférer parler de structure focalisante, ainsi que le font V. Raby et F. Lefeuvre : « Nous avons choisi d’appeler le tour c’est X qui/que “structure focalisante” plutôt que d’employer les termes habituels d’extraction et de clivage, parce qu’il nous semble important de considérer cette structure non pas comme le résultat d’une transformation syntaxique mais comme la marque d’une opération énonciative de focalisation. » (« Ô Prince ! C’est à vous qu’on parle. Les structures focalisantes dans les Sermons de Bossuet », art. cit., p. 5).
32 Pour une présentation synthétique des divergences théoriques qui opposent linguistes et grammairiens, nous renvoyons à St. Macé, « Sur quelques lignes de Huysmans, et de l’usage des constructions clivées dans le Carême du Louvre », dans G. Ferreyrolles (dir.), Bossuet. Le Verbe et l’Histoire (1704-2004), Paris, Champion, 2006, p. 307-308.
33 C. Pagani-Naudet, Histoire d’un procédé de style. La dislocation (XII-XVIIe siècles), op. cit., p. 212.
34 St. Macé, « Sur quelques lignes de Huysmans, et de l’usage des constructions clivées dans le Carême du Louvre », art. cit., p. 314.
35 Sur les problèmes d’analyses soulevés par ce phénomène d’ellipse, ibid., p. 308.
36 Tel est le propre du « discours objectif », comme le montre C. Kerbrat-Orecchioni dans L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage, Paris, Colin, 1980, p. 71.
37 Id.
38 Id. Mme de Sévigné exploite ainsi « le privilège somme toute exorbitant du sujet d’énonciation », à savoir son « droit […], en effaçant le lien qui relie à sa propre subjectivité la proposition assertée, de “faire comme si” c’était la vérité vraie qui parlait par sa bouche. » De fait, la métaphore « a beau se donner par usurpation des allures objectives ; et sembler émaner d’un sujet universel, elle est bel et bien marquée subjectivement. » (id.).
39 Ibid., p. 83-100.
40 Comme le souligne C. Kerbrat-Orecchioni, les « procédés adoucisseurs » consistent « à remplacer l’expression “menaçante” par une formulation édulcorée, ou à l’accompagner d’une sorte de “bémol”. » (article « Adoucisseur », dans P. Charaudeau et D. Maingueneau (dir.), Dictionnaire d’Analyse du discours, Paris, Seuil, 2002, p. 28.
41 C. Kerbrat-Orecchioni, L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage, op. cit., p. 125.
42 Nous renvoyons aux analyses de M. Riegel, J-Chr. Pellat et R. Rioul, qui commentent ainsi la répartition « entre un posé et un présupposé » propre aux phrases pseudo-clivées : « Généralement, le premier élément de la phrase est une relative périphrastique et le second, introduit par c’est, est une séquence (groupe nominal, infinitif ou complétive) qui entretient une relation de complément avec le verbe de la relative. […]. Le contenu du premier élément est présupposé et l’élément introduit par c’est est posé comme identifiant ce contenu et s’opposant à un autre référent spécifique possible. » (Grammaire méthodique du français, op. cit., p. 433).
43 On aura reconnu la terminologie d’A. Berrendonner, qui distingue la L-vérité ; la ON-vérité ; la Ø-vérité (Éléments de pragmatique linguistique, Paris, Minuit, 1981, p. 50-58).
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Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Cécile Lignereux
Maître de conférences en langue et littérature françaises – Université Grenoble Alpes / UMR Litt&Arts – RARE Rhétorique de l'Antiquité à la Révolution