La Réserve : Archives Barbara Michel (I)
La tragédie et l’action politique
Á paraître dans : Florent Gaudez dir., L’Art, le Politique et la Création (13èmes Rencontres internationales de sociologie de l’art, Grenoble, 2009), L’Harmattan
Texte intégral
« La tragédie : Un vieil os à ronger ou un lièvre débusqué… Qui sait ? »
Introduction
1Nous proposons, dans cet article, de revisiter les ouvrages de H. Lefebvre pour dégager, comment l’auteur articule, politique, art et création. En chemin, nous croiserons sa pensée avec celle de Y. Barel, car, à notre avis, leur réflexion à propos de la tragédie et l’action politique se croise et s’éclaire l’une, l’autre.
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1 H. Lefebvre ne s’intéresse pas seulement à la tragédie, mais aussi à la lit...
2En effet, H. Lefebvre propose une sociologie de l’art où la tragédie est convoquée pour saisir « le moment de la création de l’œuvre » comme ferment des possibles et comme exemple de l’alliance plausible entre la pensée et le vécu. L’art1 sert, ainsi de fil d’Ariane à l’auteur, pour développer une réflexion critique, qui cherche à saisir comment le politique est inextricablement mêlé à l’art et comment dans le même temps l’art peut-être une sorte d’antidote qui permet d’échapper à toute position politique dogmatique.
3Dans La présence et l’absence, publié en 1980, il explore le moment de l’œuvre après avoir esquissé une histoire du concept de représentation. Il conclut que la représentation est un fait social et psychique dont on ne peut se passer, et qu’il faut apprendre à choisir les représentations qui sont fécondes, celles qui permettent d’explorer les possibles contre celles qui fascinent, mais bloquent l’évolution de la société. L’art peut, parfois et sous certaines conditions, aider la pensée, à ne pas être un jeu fermé sur soi, et devenir un instrument d’exploration du réel qui aide alors aux choix des représentations les plus fécondes pour le devenir d’une société. Ainsi, les tragédies ont permis aux Grecs de vivre et de s’accepter, en acceptant leur cosmos (leur monde). Car la tragédie porte en elle une affirmation politique qui finalement sert à nier souffrance et mort.
4S’il fallait, en un mot, définir le mouvement de l’œuvre d’art pour H. Lefebvre, c’est autour des notions d’aventures et de création que celle-ci peut s’organiser. Comme la création ne peut entrer dans des cadres conceptuels connus, il faut admettre que l’on se trouve en présence d’un élément neuf, spécifique, originel. La création artistique, comme résistance à tous les dogmatismes, politique, social et mental, permet de saisir comment H. Lefebvre développe une sociologie critique qui autorise à penser la politique et le politique.
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2 Germanophone, H. Lefebvre traduira Marx et Nietzsche, ce dernier n’est pas ...
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3 Pour schématiser, il retient de Hegel, sa conception du tragique comme trav...
5Trois auteurs ont marqué particulièrement la pensée de H. Lefebvre, Hegel, Marx et Nietzsche2. Il choisira sciemment de poursuivre certaines de leurs pistes et en refusera d’autres. Ainsi, il gardera des raisonnements propres à la pensée hégélienne pour combattre les outrances marxisantes, et surtout il enrichira celle de Marx par celle de Nietzsche3.
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4 La controverse de la mort ou de la renaissance de la tragédie n’est pas clo...
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5 Il est très difficile de se faire une idée des lectures de H. Lefebvre à pr...
6L’exemple de la tragédie est très classique, très connu et très discuté4. Nombre d’ouvrages en traitent comme ceux de Steiner, Monnerot, Domenach, Barthes, Vernant, Vidal-Naquet… Et le raisonnement de H. Lefebvre à son propos fait bien sûr des emprunts5, mais il ouvre sur une palette de nuances. La tragédie est une quête de sens, elle cherche à mettre à la portée de tous, les hésitations, les tensions et les conflits du pouvoir politique. Elle interroge le mal du pouvoir. Elle catalyse et met en symbiose le perçu de la politique, son conçu et son vécu dans une expérience partageuse et collective. Enfermé dans un individualisme subi, le citoyen ne se sent-il pas un peu impuissant face aux politiques actuelles ? Ne nous manque-t-il pas une création artistique qui nous ouvre la voie de façon allusive et qui nous permette de mieux comprendre les choix politiques et leurs possibles ?
La sociologie critique : L’œuvre et le politique
« Deux excès, exclure la raison, n’admettre que la raison » (Pascal)
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6 D’ailleurs, sa manière d’écrire a très souvent la vivacité de la parole et ...
7Lire ou relire H. Lefebvre est une manière de renouer avec un type de sociologie critique qui ose avoir des intuitions. La sociologie est, chez lui, un mode de connaissance qui permet, non seulement de se risquer à penser, mais, qui lui permet de développer une pensée généreuse et vive pour éviter des impasses, en décalage avec d’autres qui se contentent parfois, juste de ressasser des pensées figées. Lire, H. Lefebvre, permet de sortir des ornières de notre discipline, de ses académismes commodes et, de renouer avec une pensée qui parfois fait mouche6.
8La sociologie qu’il déploie lui sert à développer une pensée politique de la marge comme à contre-courant des autres sociologues marxistes de son époque. Volontairement et involontairement, il ne cesse de se démarquer des sociologues de son temps.
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7 Une pensée, certes pillée depuis par petits bouts, mais cela dénature l’ens...
9D’abord, il ne cherche pas à défendre la discipline sociologique, c’est une forme contemporaine de pensées qui permet d’échapper aux impasses philosophiques. Il sera toujours un intellectuel de « la marge », il gardera toujours son libre arbitre face aux grands courants de pensée (existentialisme, phénoménologie avec Merleau-Ponty ; structuralisme, fonctionnalisme). Il pressent les pièges du débat « universel, relatif », et se méfie tout autant de l’essentialisme comme du pragmatisme. Au fur et à mesure de ses écrits, il affirme et affine une pensée de la différence7 qui ose s’affranchir des chemins tracés par d’autres et la sociologie lui est utile pour revenir et réfléchir sur des malaises pratiques et théoriques.
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8 Nous ne faisons là qu’une ébauche de sa biographie, sans tenir compte de la...
10De même, il ne suivra pas la voie universitaire académique, il n’est pas normalien et ne sera professeur de sociologie qu’à l’âge de cinquante ans, d’abord à Strasbourg, puis à Nanterre8.
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9 « Je dois à ma voix intérieure d’avoir évité l’absolu du dogmatisme. » H. L...
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10 Jeune, il voulait devenir ingénieur par goût des mathématiques et suite à ...
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11 Ainsi, il sera très tôt en contact avec le mouvement surréaliste. P. Eluar...
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12 Très vite, il se fâchera avec G. Debord.
11Armé d’un solide bon sens9, grâce à ses origines pyrénéennes, à la fois mondain et non mondain, son itinéraire est toujours fait d’écarts10. C’est dans un contexte de confrontation personnelle et intellectuelle avec les mouvements d’avant-garde (groupes des philosophes, surréalisme11, marxisme, mouvement d’opposition dans le PC, situationnisme12, mouvement étudiant de 68) que H. Lefebvre développe une position sociologique à propos de l’art.
12Bref, H. Lefebvre est un intellectuel cultivé (au double sens du terme, d’une grande culture et d’une culture libre), mais c’est aussi un intellectuel batailleur. Il se battra à l’intérieur du PC, des disciplines académiques (son rêve, faire exister la métaphilosophie) et des grands débats de son temps.
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13 Écrasées par le politique et l’économique, les forces créatives de notre é...
13Sociologue engagé, il prône une sociologie de l’art qui ose prendre le risque du choix des œuvres à étudier. Loin de se laisser guider par la légitimité d’œuvres consacrées, Henri Lefebvre pense qu’il vaut mieux se risquer à décider par soi-même de ce qui est œuvre d’art ou non. Ce n’est ni le Parti, ni la mode, ni la société et ses instances légitimes qui désignent l’œuvre d’art13.
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14 Il publie entre 1935 et 1955, plusieurs livres : Nietzsche, 1935 ; Diderot...
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15 Face au structuralisme génétique de L. Goldman, il étudie la genèse et la ...
14Entre 1935 et 1955, il sélectionne dans la littérature, des auteurs connus et controversés. Son choix n’est pas dû au hasard, mais s’inscrit dans un véritable programme de recherche qu’il se fixe14. Bien évidemment, dans ses livres, Lefebvre mène une analyse historique et sociologique. Mais son originalité par rapport à d’autres marxistes de son époque15 réside dans le fait que cette analyse cherche surtout à aller de la littérature à la vie et à se servir d’exemple littéraire pour comprendre le temps présent. Ce qui intéresse H. Lefebvre, ce n’est pas d’expliquer les diverses époques de la culture, mais d’en comprendre la genèse et la généalogie dans leur succession pour ouvrir l’avenir.
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16 H. Lefebvre, Diderot, Paris, Les Éditeurs Français réunis, 1948, p. 19.
15En travaillant sur des auteurs du passé, il cherche à faire une sociologie du présent. Dans trois livres Rabelais, Diderot, Musset, il éclaire l’histoire du roman de ses intuitions. Comment un genre mineur comme le roman, peut-il au fil des siècles, se développer, et devenir au XX siècle, synonyme de littérature ? Ces trois auteurs sont écartelés « entre le passé et l’avenir, les regrets, les aspirations proches, les espoirs et les pressentiments lointains. »16
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17 Sous la plume de Lefebvre, Diderot apparaît comme créateur de formes esthé...
16Rabelais, à cheval entre Moyen Âge et Renaissance, est d’après Lefebvre un précurseur du genre roman. Diderot (ancien régime annonçant la Révolution) marque le début du roman17 avec Jacques le fataliste et Le neveu de Rameau. Musset (échec de la Révolution française et pleine période de la Restauration) écrit une tragédie Lorenzaccio en 1830, au moment même où Stendhal publie Le rouge et le noir, considéré comme l’apogée du roman.
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18 Passionné d’art (littérature, poésie, théâtre, musique, architecture, etc....
17La réflexion sociologique autour de l’art permet à H. Lefebvre de combattre les outrances théoriques de son époque. Mieux l’art, à notre avis, lui sert de modèle de résistance face aux dogmatismes idéologiques et face aux pensées closes. De plus, l’art dont il s’est nourri comme d’un antidote18 lui a permis de ne pas désespérer (malgré une grande lucidité politique).
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19 Penser l’œuvre, c’est-à-dire analyser ses contradictions et ses conflits (...
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20 À l’instar du chef-d’œuvre en art, « l’œuvre de l’homme, c’est lui » ne ce...
18Donc, l’art peut devenir un modèle pour penser le politique ; pour penser sociologiquement l’œuvre19 ; et enfin, permets d’ouvrir des possibles20.
19En 1980, il pose un constat, les forces créatrices sont écrasées par le politique et l’économique, du coup les « non-œuvres » prospèrent à cause de la confusion produit-œuvre. H. Lefebvre oppose les créations artistiques à la créativité culturelle.
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21 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 243.
20La théorie de l’œuvre de H. Lefebvre comble une lacune. Car l’œuvre d’art vise à changer à la fois la conscience et la vie « en cessant de subordonner le vécu au savoir, l’action créatrice à l’action productive, le quotidien à la technologie, la qualité à la quantité, l’individuel à l’homogène, etc. Cela implique un changement global de perspective, déjà en cours, mais manquant d’ouverture théorique. Car il ne s’agit pas de condamner ou d’anéantir le quantitatif, l’échange, le rationnel, le savoir, les techniques, etc. Il s’agit au contraire de dépasser les pseudo-dilemmes et les choix motivés par des idéologies adverses, également et symétriquement limités. »21
Le témoin du PC : la politique et la tragédie
22 H. Lefebvre, Qu'est-ce que penser ?", Paris, Publisud, 1985, p.111.
« Comment pardonner à presque tous les marxistes d’avoir vidé l’art de contenu, de l’avoir réduit soit au reflet du réel, soit à l’idéologique (y compris la poésie, la musique, le théâtre), et d’avoir évacué le tragique de la tragédie ? » (H. Lefebvre22)
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23 La conscience mystifiée, écrit entre 1933 et 1935, connaît la censure sovi...
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24 H. Lefebvre raconte dans La somme et le reste (Paris, La Nef de Paris, 195...
21C’est en 1928 que H. Lefebvre adhère au PC avec ses camarades du groupe philosophie (N. Guterman, G. Politzer, G. Friedman). Il y restera pendant trente ans, trente ans de lutte interne dans le Parti, parfois de façon frontale, parfois de façon ironique23. Il s’en expliquera longuement dans La somme et le reste, écrit en 1958 quand il sera suspendu du PC24 à la suite du rapport Khrouchtchev et non exclu à l’instar d’E. Morin. Il déclare (La somme et le reste, p. 155) : « Impossible de garder le silence sous prétexte de discipline. »
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25 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 160.
22Dès 1933, H. Lefebvre est écarté des cadres politiques du Parti, après avoir été obligé de le devenir. « On m’a promu, animal politique de force »25, se plaint-il. Il restera donc militant de base au PC, tout au long de ces années.
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26 Il semble adopter une position politique singulière, car s’il critique Rog...
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27 La démocratie dont la formule est à réinventer, car elle n’est pas une fin...
23De 1954 à 1958, il se battra à l’intérieur du PC dans l’opposition26. Pour lui, il s’agit de réintroduire « la spontanéité et la démocratie27 » chez les communistes. Il diagnostique une paralysie du PC due « au dogmatisme idéologique » qui loin d’être une garantie de stabilité devient un moyen superficiel et illusoire de maintenir la cohérence du mouvement communiste. « Pour l’empêcher de se diluer, on le sclérose et on l’isole. Le remède est cent fois pire que le mal. » (La somme et le reste, p. 223) Il condamne vivement le stalinisme, « non seulement les procès, les amalgames, la vision policière, mais plus profondément : la doctrine d’une vérité politique venant du dehors et d’en haut. » (Ibid., p. 220)
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28 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 224.
24Pour H. Lefebvre, l’absence de démocratie dans le Parti sous Staline a produit des résultats désastreux. Cela a contribué « à la torpeur des masses, à leur dépolitisation et à leur absence de spontanéité » ; cela a entraîné « une détérioration de l’opinion publique » et « une pensée détachée du réel comme un mauvais rêve » ; de plus, cela a produit « une sélection à rebours dans les cadres du parti, basé sur des critères de conformisme, de zèle dogmatique et d’autoritarisme. »28
25Vers 1935, l’esprit du Parti change, « au lieu de se dire révolutionnaire, on se dit politique ».
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29 « Au fond, explique-t-il, je n’aime pas la politique. Ici, j’atteins la ra...
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30 Par exemple, l’évolution idéologique de G. Lukacs passe du néo-romantisme,...
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31 Lors d’un colloque en 1964, L. Goldman traite H. Lefebvre de « romantique ...
26H. Lefebvre donne alors, ses raisons de militer au PC : « Je souhaitais participer à l’action révolutionnaire, pour signer l’acte de décès de la politique. »29 Contrairement à beaucoup d’intellectuels30 de l’époque, H. Lefebvre ne changera pas de convictions politiques. Toute sa vie, il prônera la fin de l’État et de la politique31.
27Il estime faire de la politique à partir du moment où il entre en opposition franche face à la direction stalinienne du PC. Il est d’ailleurs perpétuellement obligé de ruser, pour avoir une petite possibilité d’expression dans ses livres. Comme il le dit fort bien, de « naïf, je devenais un faux naïf et je tolérai cela ».
28Du coup, il adopte en militant au PC « une position de témoin », et se demande : « Qu’est-ce que la politique ? » Pour expliquer et comprendre la politique, il convoque alors la connaissance tragique.
29Au jour le jour, la politique effraie par son incertitude, « l’histoire vécue » se déroule dans le désordre et l’incohérence. Elle est « un opportunisme continu ». Ce n’est pour H. Lefebvre ni un art, ni une science, ni même une technique. L’actualité politique, comme disent les journalistes, lui semble « une boîte diabolique » d’où surgissent des possibilités contradictoires. Les hommes politiques et les hommes d’État sont des spécialistes de la manœuvre. « Jouent-ils ? Pratiquent-ils un bluff incessant que le hasard vient récompenser ou punir ? Y a-t-il un secret du pouvoir ? Serait-il un surprenant mélange de brutalité, de persuasion, de séduction et de comédie, s’interroge-t-il ? »
30D’ailleurs, il trouve le spectacle de la politique prodigieusement déconcertant. Il éprouve parfois la tentation de considérer « la bêtise comme facteur historique ».
32 En 1958, H. Lefebvre pense que la crise de la gauche française est due à l...
33 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 161.
« Spectacle ou vraie vie vécue ? Cela ne ressemble ni à l’un ni à l’autre. Grotesque dans le détail32, tragique dans l’ensemble, sur l’instant, on ne voit que les détails, l’ensemble, on le comprend trop tard, bien trop tard. L’histoire, est-ce cela ? Ce bruit, ces fureurs inutiles, ces cris et ces gesticulations et ces mille récits sans liens apparents, racontés non par un idiot, mais par mille imbéciles et quelques malins. Ne serait-elle grande l’histoire qu’avec le recul, quand les détails s’estompent, et que la machinerie du pouvoir a disparu, et que viennent les amplifications, les épopées, les chansons de geste et les mensonges poétiques. »33
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34 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 165.
31Durant cette période de juin 1958, H. Lefebvre assiste à la chute de la IV République et à la naissance de la V République. Il relit Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte et le théâtre shakespearien34 :
« Shakespeare en sait plus sur la politique et le pouvoir que les spécialistes et les professionnels de la politique, plus que Machiavel, Bossuet et Napoléon eux-mêmes. »
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35 « Au jour le jour, « la politique est un show, un spectacle, une représent...
32La tragédie livre par allusions, « le diabolique secret du pouvoir », mieux elle le met en scène. Parmi les personnages politiques, il y a des ignorants, des menteurs et des traîtres. Or quand le traître a une face de traître, cela devient de la comédie. Au moins dans la tragédie, le héros traître ment et trompe avec le visage de la franchise. « Drôle de spectacle de la politique, chacun sachant qu’il trahit, comment peut-il encore trahir ? »35
33L’aveuglement, la traîtrise, le mensonge, le secret et l’ignorance sont à la base de notre histoire politique. Or la tragédie grecque expose déjà cela, mais va plus loin, car elle explore le réel par des représentations ouvertes qui permettent de s’interroger sur les choix politiques.
L’exemple de la tragédie grecque : comprendre l’action politique
« Apprendre l’histoire de la cuve traîtresse et sanglante… » (Eschyle, Agamemnon)
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36 Son histoire est jalonnée de longues éclipses. Avec la tragédie élisabétha...
34La tragédie grecque est un exemple dans l’histoire de la culture occidentale (européenne), un peu unique, car elle est parfaite à son commencement. Elle se déroule sur un fond de croyances collectives où divinités et humains se mêlent, en de troubles étreints. L’apogée de la tragédie se situe au commencement36. D’abord, très politique et collective chez Eschyle et Sophocle, elle devient davantage tragédie privée chez Euripide. Dès son origine, la tragédie est pénétrée du problème politique de la cité. Elle pose les dilemmes d’une conception politique sous tension.
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37 Duvignaud Jean, Les ombres collectives, Paris, PUF, 1973, p. 230.
35Certes, nous pouvons reconnaître avec J. Duvignaud que « l’éloignement, l’incertitude des données, le manque de faits précis constituent la toile de fond de tout ce que nous pouvons dire sur le théâtre grec. »37
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38 Barel Yves, Le héros et le politique : Le sens d’avant le sens, Paris, PUG...
36Pourtant, c’est dans un univers bouleversé par de multiples menaces externes (catastrophe des guerres médiques) et déchiré par de fortes contradictions politiques que s’est développée la tragédie. La tragédie est en corrélation avec l’intuition d’un changement de structure politique, elle est d’ailleurs précédée par l’épopée.38
39 La première représentation tragique aura lieu en 534, sous Pisistrate. Ava...
40 Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Se...
« La coïncidence historique est quasi absolue entre l’apogée de la tragédie grecque et l’apogée de la puissance athénienne39. L’incroyable victoire des cités grecques (parmi lesquelles le rôle d’Athènes a été déterminant) sur le formidable Empire Perse est encore toute fraîche dans la mémoire de chaque Grec, quand, au printemps 472, Eschyle remporte le concours de tragédie aux Dionysies, grâce à sa pièce, Les Perses, consacrée justement à cette victoire, et, dont le chorège (nous dirions à peu près aujourd’hui le « producteur ») sera le jeune Périclès qui n’a pas vingt ans à l’époque. »40
37La tragédie est une manifestation urbaine, or la cité est le lieu d’une multiplicité de conflits politiques, d’une grande variété de polémiques, d’où l’impression d’un déchirement permanent.
38Trois types de pouvoir s’entrechoquent : une conception patrimoniale du pouvoir (oligarchie et génos), une conception politique privilégiant l’État et le citoyen sur le patrimoine et la famille (la polis) et une conception, sans profondeur lignagère et sans mandat de la communauté civique, figurée par l’aventurier du pouvoir.
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41 Barel Yves, Le héros et le politique : Le sens d’avant le sens, Paris, PUG...
39— Pouvoir du génos, pouvoir d’une espèce d’aristocratie, où les logiques lignagères entraînent des conflits intra-familiaux. Le crime d’Œdipe peut prendre un sens socio-politique. « La révolte contre le père est le mode nécessaire et normal de la transmission du pouvoir, dans une société à connotation gentilice, explique Y. Barel41. C’est seulement dans le cadre de la future justice de la cité que le crime familial perdra ce rôle « fonctionnel », changera de sens, deviendra un crime pur et simple, ou pis encore, une faute sociale signifiant l’impossibilité pour le père de transmettre et pour le fils d’hériter. Mais, dans la logique lignagère, le pouvoir se transmet à la fois sur la base de révolte contre le père et du respect absolu de ce que commande ce dernier ainsi que les ancêtres, la lignée, l’ancienneté des choses. » Cela explique-t-il pourquoi la tragédie met l’accent avant tout sur les conflits intra-familiaux ?
40— Pouvoir de la Polis (entité politique qui ne dépend de personne, ni ne domine personne), naissance d’un droit abstrait, d’un « État cité » et obéissance volontaire à la loi. Naissance du citoyen lui-même conflictuel, où une division s’instaure dans l’individu même : L’homme privé avec ses intérêts immédiats qui souhaite la tranquillité et le citoyen qui réclame plus de démocratie. Pour H. Lefebvre, la démocratie n’est pas un but, mais un moyen. « Comment la démocratie pourrait-elle se prendre pour le but de l’histoire ? » Tout comme la libre discussion, qui n’est pas non plus un but, mais juste un moyen.
41— Pouvoir du tyran, pouvoir d’un seul homme qui par la conquête ou la séduction devient soit un guide politique soit un maître absolu. L’insolence est un mode de gouvernement que l’on connaît encore, aujourd’hui, et contre lequel, il n’y a qu’une parade : en montrer le ridicule…
42Si les Tragiques évitent les définitions claires et transparentes de la réalité politique, il semble pourtant aborder le visage ambigu d’une cité, qui oscille entre démocratie et tyrannie, entre droit et pouvoir personnel. En effet, dans nombre de tragédies, les affaires de famille mettent directement en cause le destin de l’État. Pourtant, il n’est pas dans la coutume de la tragédie de terminer sur une victoire nette et franche du génos ou de la polis.
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42 « L’Iliade peut être entendue comme une magnification idéologique de l’ari...
43La tragédie témoigne des conflits idéologiques et politiques multiples (véhémentes protestations, recherche de compromis, angoisse d’une liberté devenue dangereuse dans son exercice même et fatalité des destins). Mais elle témoigne dans le même temps d’une sorte de légèreté et d’une incapacité à trancher les difficultés politiques, si ce n’est dans une « morale du paraître »42.
43 Barel Yves, Le héros et le politique : Le sens d’avant le sens, Paris, PUG...
« Ce qui permet de donner un sens à la souffrance humaine et d’assurer une sorte de victoire, c’est la gloire. On vit et meurt pour la galerie. »43
44La tragédie semble une réponse aux sentiments de troubles politiques, une création artistique d’un genre qui correspond à une expérience collective qui travaille conjointement l’immensité de vouloir (pouvoir) et la limitation des possibles politiques.
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44 « Les tragédies d’Eschyle, de Sophocle, et d’Euripide deviennent, dans le ...
45La tragédie grecque n’est pas un délassement, c’est un art qui a une fonction sociale, politique, presque idéologique. L’art a eu, semble-t-il, sur une période relativement courte, une dimension politique et collective44. L’art participe alors, aux remues ménages des idées.
46La tragédie cherche-t-elle à comprendre le monde politique, c’est-à-dire prendre avec et prendre ensemble ?
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45 Barel Yves, Le héros et le politique : Le sens d’avant le sens, Paris, PUG...
47Elle n’offre pas de réponse, sa force est dans le récit. Il y a aussi une absence totale du besoin d’expliquer les choses qui se traduit par une tranquille insouciance des contradictions qui jalonnent le récit. La présence d’un vide explicatif côtoie une pratique de la compréhension qui l’amène juste au bord de l’explication. « Le ressort tragique repose sur la tension entre ce qui est de l’ordre collectif et ce qui l’est moins. La disparition de la préoccupation publique détend le ressort. »45
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46 Lors du procès d’Oreste, la question peut se résumer à : Doit-il, être abs...
48Par exemple dans les Euménides d’Eschyle, nous explique Y. Barel, le récit se situe sur un double plan, le marchandage entre les dieux et le débat juridique46. Un pouvoir qui s’installe comme la polis athénienne du V siècle ne doit ni négliger, ni mépriser le poids et le rôle des vieilles traditions gentilices et des dieux immémoriaux.
47 Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Se...
« Il y va de la stabilité du nouveau pouvoir, de ses possibilités d’avenir même… Apollon ne comprend pas cet impératif politique et défie les Érinyes. Athéna, au contraire, en a une claire conscience et, dans la forme comme dans le fond, reconnaît d’une certaine manière le bon droit des Érinyes et pose que, à l’issue de la confrontation, il ne doit y avoir ni vainqueurs, ni vaincus. La victoire d’Athéna et des Athéniens n’est pas la défaite des Érinyes. Les deux plans, individuel et humain d’une part, collectif, politique et divin d’autre part, sont distincts, mais aussi complètement articulés, au point qu’ils deviennent, à certains moments indiscernables. »47
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48 Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Se...
49Le problème politique qui est posé consiste dans le fait que chaque partie en conflit incarne à sa manière la vérité et le bon droit. « Oreste a raison de vouloir venger son père et ainsi, incidemment protéger sa cité contre des usurpateurs ; il a tort (mais où est l’échappatoire pour lui ?) d’accomplir son devoir au prix du meurtre de sa mère, et les Érinyes sont dans leur bon droit en réclamant vengeance de ce parricide ; Apollon a raison de vouloir protéger la cité contre les troubles qui naissent des vengeances privées, mais il a tort de refuser de prendre en compte la justesse de la position des Érinyes. Pour sortir de cette situation sans issue, il faut inventer une nouvelle idée politique, puisque chaque thèse soutenue est aussi insoutenable qu’elle est incontournable et représente une nécessité de la vie collective dans la cité… La polis ne demande pas à la vieille vengeance lignagère de capituler ou de se désagréger dans l’humiliation. Elle lui demande de s’adapter à la nouvelle méta-règle du jeu en devenant une forme de crainte plus civique. »48 La position défendue est celle d’un juste milieu, ni oligarchie, ni démagogie.
50Dans nombre de tragédies, la connexion entre affaires de famille et affaires d’État montre une multiplicité de niveaux, distinctes et confondues qui ruse avec le message politique. Aussi le message politique est-il toujours abordé de façon oblique et de manière volontairement brouillée.
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49 Dans Sur Racine, R. Barthes explique comment dans Phèdre « tout est dans l...
51Pour le dire simplement, le récit tragique nous parle49, des malheurs et des souffrances publics et privés. Nous parle en acte, et l’acte parle de lui-même. Cela nous révèle les relations qu’une société entretient avec son image, son langage, son histoire et son avenir.
52Au-delà des tentatives d’explications scientifiques ou des raisonnements logiques, la tragédie voit de façon plus ample et plus pénétrante la fatalité des malheurs. Elle permet par allusion de comprendre « les diableries du pouvoir ». Elles les travaillent pour les rendre énigmatiques et non dogmatiques comme le font les idéologies (communisme, socialisme, libéralisme, etc.).
53Il y a d’un côté la fatalité, le destin et les déterminismes et de l’autre une liberté partielle du choix qui exclut d’autres possibles. Cela révèle l’homme d’action (par définition politique) en proie à son aveuglement, à son ignorance, à sa traîtrise, à ses mensonges par ses actes mêmes.
54La tragédie met en scène d’un côté la transcendance du pouvoir (il y a de l’extérieur aux choix politiques) et l’autoréférence du pouvoir (le pouvoir s’autojustifie en permanence). Mais au lieu de n’en faire qu’une connaissance (risque d’être stérile), l’art tragique nous rend tout cela sensible.
La mise en tension des forces contraires
« La tension des cordes fait l’accord » (Héraclite)
55La politique est pleine de contradictions. Or, la tragédie nous renseigne, sur comment les mécanismes, les rôles ou les fonctions se dérèglent inéluctablement au point d’aboutir à leur contraire. Comment la Révolution se retourne-t-elle en Terreur ? Comment l’administration se change-t-elle en bureaucratie ? Comment le socialisme devient-il tyrannie ? Comment la justice se transforme-t-elle en privilèges ?
56La tragédie oscille entre deux extrêmes contradictoires. Est-elle une manière de faire avec les contradictions qui cherchent ni à les résoudre, ni à les dissoudre ?
57Dans Antigone, Sophocle balance les causes antagonistes. Le conflit d’Antigone et de Créon assure deux choix politiques, également légitimes, que nous pouvons comprendre (cœur et esprit à la fois). Qui n’a pas choisi à un moment ou un autre, un de ces deux camps ? Raison d’État ou fidélité à soi (aux siens). Quel que soit le camp choisi, il est tragique, car il entraîne une catastrophe…
58Malgré eux, les hommes d’ordre nous montrent qu’ils peuvent foutre la pagaille et malgré eux, ceux qui sont épris de liberté recourent à la terreur.
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50 H. Lefebvre, Logique formelle, logique dialectique, Paris, Éditions Social...
59En bon lecteur de Hegel, H. Lefebvre insiste sur le tragique : Le négatif opère au cœur de ce qui veut se structurer, se constituer en un tout définitif et du coup s’arrête50. L’acte politique est la volonté de réaliser un possible. Mais en même temps que ce possible se réalise, qu’il s’accomplit, il s’épuise.
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51 Pour H. Lefebvre, en bon dialecticien, l’accomplissement est aussi une per...
60Toute décision politique prend en charge une possibilité, la discerne, la choisit par rapport à d’autres possibilités et s’y engage, sans réserve. Le choix est alors tragique, car il assume en reculant, les bornes des impossibilités et le risque d’échec. Le tragique est omniprésent dans le politique51. Pourtant, avec la tragédie grecque, la faute ou l’erreur n’est jamais simple conséquence d’une volonté politique de maîtrise ou de choix. Dans tous les cas, la faute est soustraite à une responsabilité directe, elle est accrochée à un hasard, à quelques paroles équivoques, voire camouflée derrière l’innocence. Elle surgit de l’effort même pour l’éviter.
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52 Jacqueline de Romilly soulève le problème dans l’Œdipe de Sophocle. Œdipe ...
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53 Le choix du héros, son acte même, entraîne toujours une incompatibilité qu...
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54 « Tout se passe, comme si la force de la polis, le sentiment puissant de t...
61Ainsi, Œdipe52, le roi aux yeux crevés, demeure le modèle et la référence « absurde »53 et significatif du « mystère tragique »54. Piégé par la divinité, victime d’une véritable escroquerie céleste, il accomplit les plus odieux des crimes : il tue son père, il épouse sa mère… Tout cela, sans le savoir, aveuglément, avant de s’aveugler lui-même. Toute responsabilité humaine semble exclue, et l’on se repasse la catastrophe comme un bijou de famille… La fatalité (destin, hasard, déterminations) se situe dans l’histoire des héros tragiques et leur manière d’y réagir, la liberté.
62Deux extrêmes : d’un côté, une faute inconsciente et une punition imméritée, la tragédie nous décrit l’atmosphère lourde et fermée de la fatalité ; de l’autre, un monde de libertés héroïques et exaltées, d’honneur et de gloire, de devoir et de sacrifice.
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55 Cela pose la question du sens de l’action politique. Le Tragique accorde u...
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56 L’action politique est paradoxale. Faut-il renoncer à trouver un sens impo...
63Comme si l’homme qui veut accéder à la maîtrise, donc au pouvoir d’action, se trouvait affronté à toutes les contradictions inhérentes à son choix55. La force de la tragédie, son habileté consiste à assumer l’aporie du sens « nécessaire-impossible » de l’action politique56.
64« Comment surmonter la contradiction trivialité/tragédie ? s’interroge H. Lefebvre. »
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57 Le tragique est l’impossibilité de choisir entre Créon et Antigone, par ex...
65Y. Barel poursuit la question de Lefebvre en montrant que la contradiction trivialité/tragédie est un paradoxe : le tragique est une double impossibilité57, soit de séparer les univers en présence, soit de les fusionner. Un événement, un héros, où une situation existe sur deux plans ou plus à la fois, à deux niveaux différents, or les niveaux de la tragédie sont à la fois distincts et confondus. Un événement familial, on l’a observé de nombreuses fois, est en même temps un événement politique. Ce qui se passe au niveau du prosaïque et du quotidien se passe en même temps au niveau du sacré…
58 Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Se...
« Ce que la tragédie nous décrit est une superposition d’univers, et on ne sait plus, à la fin, si le travail tragique produit la superposition d’univers en fusionnant ce qui est séparé ou, au contraire, en séparant ce qui est fusionné. En fait, les deux choses sont vraies à la fois et le travail tragique est à la fois dédoublement du « réel » et négation de ce dédoublement… L’ambiguïté du mode tragique, son refus fréquent de répondre prend alors une nouvelle coloration : là où l’on pourrait voir un aveu d’ignorance, une fâcheuse tendance à pactiser avec l’incohérence, voire une philosophie de l’absurde ou un refus radical de questionner ou penser un monde in-questionnable et impensable, on peut désormais identifier un enseignement positif des Tragiques, une prise de sens du monde. Le monde, disent les Tragiques, est paradoxal, ce qui constitue une affirmation toute différente de son absurdité ou de son impossibilité d’acquérir du sens. »58
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59 « L’homme ne peut pas ne pas agir, mais, quand il agit, il doit toujours s...
66Quoi qu’il en soit, le héros incarne un choix exclusif, mais ce choix est toujours un choix de travers, comme à travers des valeurs antagonistes, parmi une totalité détruite à jamais et impossible à recomposer. Les hommes politiques ne sont jamais à même de prendre la mesure de tous les effets de leurs actes. Or agir, c’est se limiter59.
60 Monnerot J., Les lois du tragique, Paris, PUF, 1969, p. 11.
« L’individu que nous sommes est à l’état actif, une limitation, toujours en train de se limiter. Chaque fois que nous commettons un acte, nous choisissons à nouveau notre propre limitation, nous reconduisons le défaut, la faute ou le manquement. C’est cela que la tragédie grecque met en exemple, à travers, le prisme triangulaire de la mise en forme esthétique, de la dimension imaginaire et de la distance mythique. »60
La connaissance tragique : « Interroger le mal »
« Le beau est affreux, et l’affreux est beau. Planons à travers le brouillard et l’air impur. » (Shakespeare, les trois sorcières de Macbeth)
67La tragédie ne résout pas le problème du mal, elle le pose, elle l’approfondit. En effet, « le mal » n’a pas une clarté logique, il ne semble pas y avoir d’opposition entre Bien et Mal. Paul Ricœur, explique qu’il y a une indistinction du divin et du diabolique dans la tragédie. Car le même dieu est à la fois l’auteur de la perte du héros, mais aussi de son salut.
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61 « L’axe du mal », « tolérance zéro », sont des termes utilisés par les pol...
68La tragédie est-elle née avec l’intuition originelle du « mal » ? Elle semble en savoir beaucoup sur les manières dont les puissances du bien sont détournées, ou se détournent pour servir d’autres desseins. Bien ? Mal ? Bien et Mal… La tragédie nous ramène en deçà des distinctions trop simples61. Il n’y a pas de camps tranchés. L’ordre ne s’oppose pas au désordre, la liberté à la tyrannie, la résistance à l’oppression…
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62 « Le rapport positivité-négativité n’étant pas pensé, cette fissure laisse...
69Y a-t-il un destin coopérant du négatif, un « mal » activant62, mobilisant tel qu’il met sous tension, et peut promouvoir, innover, intensifier (très loin d’un mal qui ne détruit et ne produit rien) ? Dans L’ombre au tableau F. Jullien, prétend que nous avons à repenser, aujourd’hui, « le mal ».
70La tragédie n’est-elle pas une capacité artistique à faire « lever » (comme la farine pour le pain), à rendre productif le négatif au lieu de le désamorcer ?
71N’est-elle pas un art qui fait apparaître, ce qui paraît mauvais comme peut-être révélant des ressources inexplorées ? Voir qui pourrait coopérer.
72Elle semble, en tout cas, interroger au-delà des tentatives d’explications scientifiques et des raisonnements logiques. On pourrait dire : la tragédie cherche à étendre une espèce de voyance-connaissance du mal alors que notre époque rationaliste et fonctionnaliste cherche à progresser par élimination des maléfices.
63 Nous nous sommes beaucoup aidées de la pensée de Barel pour comprendre et ...
64 H. Lefebvre, Contribution à l’esthétique, Paris, Éditions Sociales, 1953, ...
« Connaître est un destin tragique », disait Mounier. La connaissance est tragique en ce qu’elle sépare, immobilise, stérilise. Ensuite parce qu’elle apporte des vérités qui font peur, qui peuvent prendre notre vie et la briser63. Autrement dit, la connaissance nous rapproche de la mort. Or, dans la tragédie, l’horreur de la mort est un élément indispensable de l’émotion tragique. « Le contenu de l’art part souvent des données élémentaires, la vie, la mort, par exemple, ainsi la tragédie nous en présente une mise en forme singulière, qui nous purifie et nous vivifie… La mise en tension de la mort, notre destinée est plus qu’une catharsis, il y a résolution de l’horreur par l’esthétique. »64
73Dans son Nietzsche, publiée en 1939, H. Lefebvre montre comment, dans l’art tragique, la mort est à la fois une sanction et un sacrifice.
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65 H. Lefebvre, Nietzsche, Paris, éd. Sociales internationales, 1939, p. 43.
74« En face de l’art tragique –qui met en jeu la vie et la mort, donc l’homme tout entier– Nietzsche prend une attitude religieuse. Le salut viendra de l’art, non de la religion ; mais ce sera un salut, une rédemption ; c’est-à-dire une illumination intérieure de l’homme moderne, restitué à sa nature profonde, apaisant dans l’expression tragique sa douleur éternelle et son éternel déchirement. »65
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66 « L’homme grec ne fut pas harmonieux, ni pacifié, comme l’avait imaginé un...
75La culture grecque n’a pas ignoré la tension des contraires : vie et mort, être et néant, vérité et illusion. « Elle n’a pu refuser de voir l’informe et l’horrible, et négliger les instants paroxystiques, le rêve, l’ivresse, la volupté et la cruauté ! » Et Nietzsche a détruit l’illusion d’une Grèce riante66 et découvre la puissance du « négatif » qui n’est pas qu’un mal, mais est aussi une puissance de fermentation du devenir.
76H. Lefebvre développe alors, sa lecture de Nietzsche, le « mythe tragique » sert à justifier l’existence par une représentation artistique qui transforme le destin et la mort en inexprimables délices.
67 « Ce n’est pas un spectacle au sens moderne : objet miroir. Elle ne s’offr...
68 « Les problèmes évoqués par l’art sont des raccourcis du problème infinime...
69 H. Lefebvre, Nietzsche, Paris, éd. Sociales internationales, 1939, p. 44-45.
« Le mythe tragique n’est pas un spectacle, mais un acte67. Le spectateur-acteur s’identifie avec le destin et la mort du héros. Avec eux, il accomplit les crimes d’Œdipe et de Prométhée. L’acte tragique n’est pas seulement la reconstitution d’un drame, la mimique d’une mort, la décharge ou catharsis des énergies criminelles accumulées dans les hommes. Le sens de la tragédie est plus mystérieux sous le voile transparent de l’action. Le spectateur-acteur participe à des forces primordiales et se trouve replacé dans l’état génial du créateur de mythes. Il est Dionysos et Apollon… parce que ces forces cosmiques sont en nous. Leurs noms « rend intelligible l’art grec », mieux que des notions abstraites68. L’état dionysiaque n’est pas une fusion béate avec l’harmonie de la nature. Il est une rupture du moi, donc toujours une anticipation de la fusion de l’individu avec le cosmos, des métamorphoses du devenir et de la mort. L’état apollinien n’est pas une calme rêverie, mais une mystérieuse contemplation, d’une légèreté et d’un bonheur divinement délivré de la réalité et du destin, et de la mort. »69
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70 H. Lefebvre, Nietzsche, Paris, éd. Sociales internationales, 1939, p. 45-46.
77Les mythes fabriquent des images, modèles éthiques et esthétiques, ils permettent de s’identifier au héros, et aussi de faire rencontrer esthétiquement des contraires. H. Lefebvre s’emporte, « on les a réduits à des légendes scéniques, à des prétextes pour les gesticulations d’acteurs… » Et il critique l’interprétation marxiste matérialiste et la confusion du tragique avec l’histoire politique. « On ne voit plus en eux (les héros de la tragédie) que des faits historiques déformés. Car la tragédie grecque est plus que le tragique politique de Saint-Just ou de Staline… »70 La tragédie est une mise en tension du vécu subi et du vécu créatif… Elle tente de nous affranchir par une mise en forme esthétique, du subi et des déterminismes, dans un tricotage réussi, de conçu et de vécu.
71 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 243-244.
« Ne pas proclamer le triomphe de la mort, serait-ce accepter un facile optimisme ? Non, au contraire, c’est inaugurer la connaissance tragique. Le tragique, Nietzsche l’a décelé, ne célèbre pas la mort, mais la victoire sur la mort. La tragédie propose une présence, le héros victorieux jusque dans sa fin, immortel. La connaissance tragique ne voile pas la mort. Elle surmonte la séparation du vécu et du conçu. Elle refuse d’exorciser la mort, de conjurer le néant. Elle affronte. Ce n’est pas vaine promesse quand le Prométhée d’Eschyle déclare qu’il délivre les hommes de l’obsession de la mort. »71
Le théâtre tragique comme dispositif de présence et comme dispositif de représentation
« Je vois que, tous, tant que nous sommes, nous ne sommes rien de plus que des fantômes ou des ombres légères. » (Sophocle, Ajax)
78Henri Lefebvre aime le théâtre (jeune, il en a fait), car il se prête à une immersion de la culture dans la vie, car pour exister, il a besoin chaque fois d’être interprété à neuf, d’être parlé par des bouches vivantes.
79Cette incarnation au théâtre n’est pas qu’une technique. Il est probable que le théâtre nous attire parce qu’il nous « représente ». Il y aurait à s’interroger sur le succès de la métaphore théâtrale en sociologie, dire que la politique c’est du théâtre n’est somme toute pas très original.
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72 Il est probable que l’attirance pour le théâtre provient du fait « qu’il r...
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73 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974, p. 216.
80Le théâtre nous met en face de vérités individuelles et sociales de façon plus directe72, plus émouvante que n’importe quel roman. Il expose des individus singuliers, vivants, donc séparés de nous, mais dont le corps et la voix pourraient être nôtres ; « ici et ici seulement l’existence est capable de nous contenir tous, sans se banaliser ; je peux habiter une autre âme, un caractère étranger, et vivre sans conflit une destinée différente. Le théâtre est un modèle de re-présentation valable pour toute institution. »73
81D’ailleurs, l’espace théâtral est un dispositif de présence où la sensibilité immédiate et la pleine présence de chacun (et de tous) sont requises pour participer à une représentation, pourtant riche d’élaboration complexe dans une simplicité reconquise. L’acteur, le public, « les personnages », le texte et l’auteur se rencontrent sans se confondre.
82« Ces jeux (fictif-réel) font passer les corps de l’espace « réel », immédiatement vécu (la salle, la scène) à un espace perçu, un troisième espace qui n’est plus ni l’espace scénique, ni l’espace public. Ce troisième espace, fictif-réel, c’est l’espace théâtral (classique).
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74 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974, p. 218.
83Est-ce une représentation de l’espace ou un espace de représentation ? Ni l’un, ni l’autre. Et les deux. L’espace théâtral implique une représentation de l’espace, l’espace scénique qui correspond à une conception de l’espace (théâtre antique, élisabéthain, italien). L’espace de représentation, médiatisé, mais vécu, enveloppant une œuvre et un moment s’effectue comme tel dans le jeu. »74
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75 La tragédie met aussi en scène des fantômes, des doubles, des spectres qui...
84Dans la tragédie grecque, le public est lui-même un acteur de la représentation, car il se découvre, se reconnaît et s’exprime aussi (cf. les chœurs). C’est probablement un spectacle civique75, Aristote note à ce propos « chacun, et tous ensemble ».
85H. Lefebvre dans son livre sur Musset montre combien Lorenzaccio (1830, régime louis-philippard) est une pièce tragique et comment le problème de l’action politique s’y trouve posé dans la lumière ambiguë d’une ferveur retombée.
86Il a assisté en 1952 à la mise en scène de Gérard Philippe au TNP (théâtre national populaire) où le meurtre du duc Alexandre prend l’allure du terrorisme et de l’acte inutile, accompli désespérément par un adolescent sans principes, ni politique, ni moral.
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76 Lorenzaccio-Musset « ne peut se comprendre que comme contamination de Sain...
87Sa lecture de la pièce de Musset n’est pas la même. Pour H. Lefebvre, « Lorenzaccio agit et tue par devoir. Le devoir envers soi ne se distingue pas des autres devoirs. L’homme libre lutte pour la liberté avec deux formes antagonistes de celle-ci (liberté pour soi ou pour tous). »76
88D’ailleurs, la pièce de Musset ne sera jouée qu’après la mort de ce dernier, bien après...
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77 Pour beaucoup, le destin devient l’Histoire. Les idéologies politiques écr...
89Pourquoi ? L’époque n’est pas à la tragédie comme l’a expliqué Marx dans Le 18 Brumaire, l’histoire « tragique de la Révolution » a remplacé la tragédie. Y a-t-il un glissement du tragique dans l’histoire77 ? C’est d’ailleurs au même moment que Hegel récupère l’histoire sous sa forme théâtrale.
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78 H. Lefebvre, Musset, Paris, L’Arche, 1955, p. 124.
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79 Ainsi si les insurrections qui se succèdent (1830, 1848, 1870) sont héroïq...
90L’explication, qu’en donne H. Lefebvre, est que la bourgeoisie de l’époque Musset redoute toute création où elle pourrait se reconnaître, toute expression qui l’obligerait à se définir, car elle affirme son universalité. « Et le socialisme ouvrier de l’époque s’exprime par la polémique et la chanson, mais la mise en question n’est pas davantage son fait. Il rêve d’avenir qui n’est pas tragique, comme le dit Hugo, où « il n’y aura plus d’événements », la fin de l’histoire. «78 Ainsi, par excès d’espérance79, il n’y a plus de public pour la tragédie de Musset. Cela permet de renforcer l’hypothèse d’H. Lefebvre pour qu’il y ait tragédie : il faut un public acteur, c’est-à-dire un public assez uni par une foi, ou une histoire, un public capable de faire bloc au point de devenir aussi un acteur.
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80 La révolution avec Saint-Just entraîne chez nombre d’auteurs un parallèle ...
91Certes, il y a du tragique vécu (conflit tragique entre une nécessité historique, la révolution et l’impossibilité de sa réalisation, cf. Hegel), mais qui ne donne plus lieu à des tragédies représentées80.
92Pourquoi le spectacle de la tragédie perd-il de son intérêt et de sa signification ?
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81 « Ainsi, tout se passe comme si une gigantesque pulsion faisait alterner t...
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82 « Le mythe du pouvoir dans les temps modernes perpétue le pouvoir mythique...
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83 L’analyse posthume du stalinisme permet d’apprécier la terrible puissance ...
93La tragédie tombe en syncope, car on tourne en direct81. La politique ne donne plus lieu à des légendes, ni à des mythes communs et partagés82, les idéologies politiques remplacent la tragédie. Il y a de multiples représentations du pouvoir qui ne révèle plus autre chose que la puissance des représentations83.
Conclusion : Le détour par l’art tragique pour comprendre le pouvoir politique
« Il est difficile de dire la vérité ; car, il n’y en a qu’une, mais elle est vivante et, a par conséquent un visage changeant » (F. Kafka, Lettres à Miléna)
94Pourquoi et comment l’art tragique permet-il un essai de compréhension du politique, de la politique et du pouvoir ?
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84 La démocratie pose le problème de la compétence politique, son sort repose...
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85 Le peuple est étrangement absent de la tragédie, il n’est pas source d’ins...
95La tragédie, machine à fabriquer de la perplexité, est pour le moins ambiguë face au pouvoir politique. L’art tragique préfère parler à côté ou au-dessus et transpose « la réalité politique » d’un niveau à l’autre comme s’il s’interdisait de dire ce qui va ou ce qui ne va pas. Les Tragiques abordent les problèmes politiques de façon oblique en évitant soigneusement la transparence et les définitions claires de « la réalité politique ». Ils ne sont ni partisans, ni adversaires du génos, de la cité État comme s’ils ne voulaient pas coller de trop près à leur actualité. Il y a une espèce de mise à distance des problèmes contemporains et des luttes politiques. Ils tournent autour des impasses du politique. Ils « rusent » en permanence avec les réponses. Le pouvoir se montre capable d’injustices84 et la révolte contre ce pouvoir n’est pas plus juste85.
96Pour H. Lefebvre, ce qu’éclaire la tragédie, c’est le conflit entre les prétentions du pouvoir politique et ses limitations.
97La tragédie, comme art, est une représentation du pouvoir qui rend présent, et montre, non seulement, les origines du pouvoir, mais aussi, ses chutes, ses contradictions, ses échecs et ses limites, alors que les idéologies politiques contemporaines ne nous montrent que la puissance (pouvoir) des représentations politiques.
86 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 72.
« Où se trouve une représentation du pouvoir ? Dans la tragédie. Des tragiques grecs, à ceux du XII siècle en France, en passant par les élisabéthains, la tragédie est une tragédie du pouvoir. Elle marque la fin des mythes et des symboles du pouvoir et le début des représentations. »86
98Depuis que les représentations sociales et mentales pullulent, la tragédie comme art civique disparaît. Aujourd’hui en s’y prenant bien, un pouvoir politique peut utiliser les représentations admises, les modifier, les déplacer et s’il le faut les remplacer.
87 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 72.
« La transcendance du pouvoir se réalise avec les moyens modernes, à travers les représentations des média. Mais la transcendance des Olympiens, raille Lefebvre, ne fait que simuler la transcendance des dieux et des rois, ce n’est que caricature et parodie. »87
99Dans la tragédie, la représentation du pouvoir est aussi une apparition qui a du sens.
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88 « Quant au charisme des sociologues, cette non-représentation du pouvoir, ...
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89 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 73.
100« Jadis, le pouvoir n’avait de rapport qu’avec l’absolu et, le caché, le mort et la vie, le néant et l’Être. Il s’ornait de grands récits sur ses origines. Il se liait à un ordre du cosmos. » Autrement dit, les Tragiques considéraient le pouvoir politique comme une puissance qui appartient aux dieux, aux héros, aux princes, tout à la fois entité, qualité occulte, aura88 et prestige suprême. « Pour autant qu’il parvienne à se donner l’apparence de l’absolu et du divin, le pouvoir (détaché quelque peu par la représentation tragique de ses conditions réelles historiques et pratiques) relève du surnaturel et de son apparition. »89
101Le Pouvoir ne se représente pas, mais il se présente comme apparition du « surnaturel » et de « transcendance ». Du coup, la transcendance ne donne pas lieu à des représentations.
90 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 73.
« Je me demande donc si toutes les tragédies – œuvres théâtrales, représentant une réalité – ne consistent pas en une fiction du pouvoir qui montre ses échecs et ses chutes, ses contradictions et ses limites… La catharsis viendrait alors de ce fait que la tragédie libère du pouvoir, c’est-à-dire du pouvoir des représentations et des représentations du pouvoir. »90
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91 H. Lefebvre souhaite une révolution sociale qui entraîne la fin de l’écono...
102Le détour par l’art tragique se justifie par la recherche de l’arché, entendu comme commencement et principe. Il tente de s’interroger sur l’importance décisive que revêtent les notions de commencement et d’origine pour tous les problèmes de nature strictement politique. L’action politique, actus tragicus, à l’instar de toute action, est toujours, fondamentalement, commencement de quelque chose de neuf91. Dans le même temps, elle est sans achèvement, ni fin.
92 Y. Barel, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seui...
« S’il est une donnée constante de la tragédie, c’est bien l’affirmation selon laquelle on n’est jamais sûr de rien avant que tout ne soit fini, et que rien finalement, n’est jamais totalement fini. »92
103Loin, d’insinuer que le logos tourne en rond depuis le début, ou qu’il n’y aurait pas d’histoire, il s’agit seulement de découvrir, que le sens de l’existence est une affaire politique et que ce sens est à trouver à la fois dans l’existence et en dehors d’elle, pour donner la possibilité de la parler et de la vivre.
104L’effort de compréhension du politique, par le retour sur l’art tragique, cherche-t-il à nous réconcilier avec nos actions et nos passions, avec nos pensées et nos vies ?
93 H. Arendt, La philosophie de l’existence et autres essais, Paris, Payot & ...
« Il y a une analogie entre la compréhension des problèmes politiques et celle des personnes, car il s’agit peu ou prou d’affaires proprement humaines. »93
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94 « Les banalités récitées de génération en génération, à propos des pièces ...
105Le début de l’action politique, qui constitue, par « nature », une liberté réservée aux humains, est, aussi, une démarche de compréhension de nous-mêmes94.
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95 « Le politique déborde l’art politique, même s’il noue avec ce dernier une...
106N’y a-t-il pas une disparition du besoin de comprendre le politique, qui se double d’une difficulté politique actuelle à produire du sens95 ? Le politique désigne, ici, la manière dont une société se dirige, et éventuellement les représentations qu’elle se donne de cette direction.
96 H. Arendt, La philosophie de l’existence et autres essais, Paris, Payot & ...
« Notre quête de sens est tout ensemble stimulée et freinée par notre incapacité à en produire. »96
107Cela a pour conséquence, une perte de capacité d’agir politiquement, avec les menaces de tyrannie (totalitarisme), d’emprise du non-sens et de ruine du sens commun.
108Aurions-nous oublié les outils qui nous permettent de comprendre le politique ?
97 Y. Barel, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seui...
« Comment et pourquoi des façons humaines de penser parviennent-elles pendant un temps, à assumer correctement leur tâche qui est de donner du sens à l’action et à l’existence ? Et comment et pourquoi les mêmes façons de penser perdent-elles cette efficacité, à certains moments, et se creusent-elles un vide à la fois inquiétant et lourd de potentialité créatrice plus soupçonnée que vécue. »97
109Les outils mentaux pour penser le politique sont en nombre réduit, car la panoplie de ruses possibles avec la transcendance (ou mieux avec la production du sens) semble restreinte.
110Les Tragiques ont inventé la ruse humaine avec la transcendance qui consiste à voiler et dévoiler en même temps le problème posé. Or, voiler et dévoiler est spécifique, aussi, des représentations.
111De nos jours, le pouvoir politique cherche à manipuler les représentations du pouvoir, mais ce monde de représentations ne repose que sur soi (autoréférence). Homogènes et fragmentées, les représentations s’affirment dans leur répétitivité et dans leur cohérence. Autistiques, elles s’enferment dans l’autoréférence et dans la tautologie. L’autoréférence n’est pas satisfaisante, car d’abord, il est impossible de ne se référer qu’à soi-même, puis surtout, l’autoréférence, entendue comme auto-justification du pouvoir politique, est « maléfique » comme si le pouvoir secrétait son propre poison.
112La relation transcendance-autoréférence doit articuler le spécifique sur l’universel, être capable de donner du « corps aux idées et des idées aux corps ».
113Or, dans l’art tragique, la question politique associe étroitement celle de la cité, de la démocratie, et finalement, du sens de la vie humaine. Elle s’enchaîne à celle du bien et du mal et à celle du juste et de l’injuste. Ce que nous apprennent les Tragiques sur la polis, c’est qu’elle oscille entre démocratie et tyrannie, entre droit et pouvoir personnel.
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98 La transcendance est double, elle évoque deux choses, parfois distinctes e...
114Au soubassement de ces questions, comme en toile de fond, la production du sens par définition politique travaille avec succès ou non, sur les notions de transcendance et d’autoréférence98.
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99 Barel Y., La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seui...
115La transcendance et l’autoréférence s’articulent l’une à l’autre, dans la production du sens. Y. Barel montre comment la production d’un sens est l’affrontement d’un paradoxe et combien elle exige le recours à des stratégies elles-mêmes paradoxales. « La production de sens permet ou ne permet pas aux hommes d’accomplir. »99 Il y a des périodes de relative maîtrise du paradoxe et des périodes de « vide social » où le paradoxe n’est plus maîtrisable. On assiste alors, avec un sentiment d’impuissance, au retrait hors du politique, à l’émergence d’un individualisme subi, dans ces périodes de « panne du sens » qui crée du « vide social », il ne reste plus qu’à attendre l’embarquement des hommes dans une nouvelle aventure collective.
Notes
1 H. Lefebvre ne s’intéresse pas seulement à la tragédie, mais aussi à la littérature, à la musique, à l’art plastique et même à l’architecture. Dans les années 1947-1955, il écrit une série d’ouvrages consacrés à de grands écrivains français (Descartes, Diderot, Pascal, Musset, Rabelais). Précurseurs d’une sociologie de la littérature, il tente de montrer comment ces auteurs, loin d’être des « penseurs bourgeois », comme le prétend son Parti, inventent des formes, des styles, des genres. Et H. Lefebvre s’interroge sur les conditions d’émergence de ces œuvres.
2 Germanophone, H. Lefebvre traduira Marx et Nietzsche, ce dernier n’est pas en odeur de sainteté au P.C., on s’en doute.
3 Pour schématiser, il retient de Hegel, sa conception du tragique comme travaillant les contradictions. Il conserve chez Marx combien l’histoire est tragique, puis tragi-comique. Il garde chez Nietzsche, cette idée de l’importance mythique (symbole) du pouvoir.
4 La controverse de la mort ou de la renaissance de la tragédie n’est pas close. Certains prétendent qu’il y a des pièces contemporaines qui sont des tragédies. Mais, y a-t-il encore des spectateurs pour les recevoir, s’interrogerait H. Lefebvre ?
5 Il est très difficile de se faire une idée des lectures de H. Lefebvre à propos de la tragédie, car avant tout il se nourrit de la lecture des auteurs tragiques (en premier lieu Eschyle, Sophocle, Euripide, Shakespeare, mais aussi Musset) qu’il cite parfois longuement dans ses écrits. Il est plus facile de repérer les auteurs qui s’en inspirent. Par exemple, J. Duvignaud dans les ombres collectives, fait du théâtre « une révolte contre l’ordre établi ». La publication date de 1973, elle est postérieure aux travaux de H. Lefebvre. Ou aussi, ce que l’on pourrait appeler les continuateurs de H. Lefebvre. La pensée d’Y. Barel, à propos de l’art tragique grec, semble très en osmose avec celle de Lefebvre, elle poursuit la même piste et y apporte des précisions et une acuité d’analyse qui m’ont permis de saisir certaine des allusions de Lefebvre.
6 D’ailleurs, sa manière d’écrire a très souvent la vivacité de la parole et la fraîcheur de la trouvaille. Souvent, il pointe quelque chose d’essentiel qu’il ne poursuit pas, ou revient sur des idées qu’il complète au fur et à mesure de ses écrits successifs.
7 Une pensée, certes pillée depuis par petits bouts, mais cela dénature l’ensemble de l’entreprise lefebvrienne qui est avant tout programmatique. « Qui vous pille vos idées vous traite d’épave », écrit J. Baudrillard, dans Fragments. D’ailleurs, une histoire des affiliations, des emprunts et des plagiats reste à faire en sociologie.
8 Nous ne faisons là qu’une ébauche de sa biographie, sans tenir compte de la chronologie. Pour plus d’informations sur sa biographie, il est important de consulter R. Hess, Henri Lefebvre et la pensée du possible : Théories des moments et construction de la personne, Paris, Ed. Economica et Anthropos, 2009.
9 « Je dois à ma voix intérieure d’avoir évité l’absolu du dogmatisme. » H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 274.
10 Jeune, il voulait devenir ingénieur par goût des mathématiques et suite à une maladie de jeunesse, il fait des études de philosophie à Aix-en-Provence où Marc Blondel enseigne. Intellectuel par nature et formation, il a fait un tas de petits boulots, manœuvre, chauffeur de taxi à Paris, bien avant la mode maoïste…
11 Ainsi, il sera très tôt en contact avec le mouvement surréaliste. P. Eluard sera son ami jusqu’à sa mort et dès le premier jour, il se déclarera l’ennemi viscéral de A. Breton.
12 Très vite, il se fâchera avec G. Debord.
13 Écrasées par le politique et l’économique, les forces créatives de notre époque sont bloquées par la confusion entre création artistique et créativité culturelle qui se double d’une autre confusion entre produit et œuvre. Pour H. Lefebvre, la culture médiatique crée autant de chefs-d’œuvre que la culture « cultivée », mais il insiste pour montrer combien notre temps mélange « produit culturel et œuvre d’art ». Ce n’est bien évidemment pas un retour à l’académisme qu’il prône, mais un danger guette les sociologues, celui d’analyser « plein de non-œuvres » produites par notre société comme s’il s’agissait d’œuvres.
14 Il publie entre 1935 et 1955, plusieurs livres : Nietzsche, 1935 ; Diderot, 1948 ; Contribution à l’esthétique, 1953 ; Pascal, 1954 ; Musset et Rabelais, tous les deux en 1955.
15 Face au structuralisme génétique de L. Goldman, il étudie la genèse et la généalogie des œuvres (c’est-à-dire leur filiation).
16 H. Lefebvre, Diderot, Paris, Les Éditeurs Français réunis, 1948, p. 19.
17 Sous la plume de Lefebvre, Diderot apparaît comme créateur de formes esthétiques ; le mélodrame, la nouvelle et le roman. Il s’inspire du quotidien et découvre « le réel romanesque » comme les conditions sociales (notamment la condition des femmes) ; les paysages (la nature telle qu’il la voit et la prend comme décors de ses récits) ; les caractères et les passions humaines. Contrairement à Musset, il eut la chance d’arriver au bon moment. « Avant cette heure, il est trop tôt ; après elle, il est trop tard. Les talents ont besoin de circonstances favorables et peut-être d’un peu de succès, d’un public préparé. Diderot eut la chance d’entrer sur la scène au moment où se rassemblaient les personnages du drame, et ses décors et ses thèmes. » H. Lefebvre, Diderot, Paris, Les Éditeurs Français réunis, 1948, p. 33.
18 Passionné d’art (littérature, poésie, théâtre, musique, architecture, etc.), il écrit un livre sur E. Pignon, quand il est totalement inconnu, et, un tout dernier livre est publié après sa mort sur les œuvres perdues, inachevées ou détruites. Face à la création artistique, il garde son quant-à-soi dans une attitude brechtienne. Dans « Rabelais », il écrit : L’œuvre d’art « peut se comprendre, s’analyser, se connaître, encore faut-il la vivre avant de la comprendre. Aussi, le créateur comme le spectateur doivent-ils, parfois, oublier la réflexion et pour ainsi dire s’immerger momentanément dans les produits de la sensibilité cultivée (donc, déjà humaine, sociale et politique). D’ailleurs, il a une grande méfiance pour les arts visuels et préfère les arts sensibles comme la musique. C’est un des tout premiers à dénoncer l’hégémonie des arts plastiques. « Je ne suis pas un visuel, et même je ferais volontiers une critique très poussée de la visualisation dans notre époque, ce qui inclut la critique de l’image, du spectaculaire, du pur regard ? « H. Lefebvre, Qu’est-ce que penser ? », Paris, Publisud, 1985, p. 66.
19 Penser l’œuvre, c’est-à-dire analyser ses contradictions et ses conflits (très classique comme approche), mais surtout cela permet de rompre avec l’homogénéité, la spécialisation et la fragmentation de notre société. Chercher à comprendre la singularité d’une œuvre et d’un artiste sert à insister sur les différences sans pour autant tomber dans un relativisme.
20 À l’instar du chef-d’œuvre en art, « l’œuvre de l’homme, c’est lui » ne cesse de répéter H. Lefebvre. Le quotidien de chacun devrait pouvoir tramer harmonieusement, le conçu, le perçu et le vécu, sans prédominance de l’un sur l’autre pour parvenir à échapper à la quotidienneté. Le possible de l’art qu’il appelle de ses vœux, c’est celui « d’un nouveau destin » au service de nos sociétés urbaines et de la vie quotidienne… Car, « l’art contient le sens de l’œuvre », écrit-il dans Le droit à la ville, 1965.
21 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 243.
22 H. Lefebvre, Qu'est-ce que penser ?", Paris, Publisud, 1985, p.111.
23 La conscience mystifiée, écrit entre 1933 et 1935, connaît la censure soviétique qui lui refuse le service de presse, puis il sera proscrit et détruit par les nazis, un peu plus tard. Dans Contributions à l’esthétique, pour être sûr d’être publié par « les camarades », il aura recours à une ruse : inventer une phrase qu’il attribuera à Marx. » L’art est la plus haute joie que l’homme se donne à lui-même. »
24 H. Lefebvre raconte dans La somme et le reste (Paris, La Nef de Paris, 1959) l’interrogatoire qui lui vaut sa suspension, suite au rapport Khrouchtchev. Sans pouvoir ni argumenter, ni se défendre puisqu’il ne peut répondre que par oui ou par non, il se voit contraint de reconnaître qu’il a écrit et exprimé « des choses sans en avoir demandé l’autorisation » au Parti.
25 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 160.
26 Il semble adopter une position politique singulière, car s’il critique Roger Garaudy pour sa position dogmatique, il refuse celle de Merleau-Ponty comme cultivant trop les ambiguïtés.
27 La démocratie dont la formule est à réinventer, car elle n’est pas une fin en soi, mais un moyen. Ce n’est pas un but. « Comment la démocratie pourrait-elle se prendre pour le but de l’Histoire ? « H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 224.
28 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 224.
29 « Au fond, explique-t-il, je n’aime pas la politique. Ici, j’atteins la racine du malentendu profond qui me sépare des dirigeants du PC, parti politique (évidemment !). Ce sont des hommes réalistes (pas assez d’ailleurs ou trop, trop idéologues, pas assez hommes de réflexion, trop empiristes, trop cyniques, trop moralisateurs, cela va ensemble). Il poursuit : « Ce malentendu me sépare aussi de beaucoup d’hommes plus jeunes que la politique écœure, ou qui aiment la politique, mais qui ne l’ont jamais mise en question. » H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 159.
30 Par exemple, l’évolution idéologique de G. Lukacs passe du néo-romantisme, à une vision tragique du monde (voir à l’existentialisme selon L. Goldman) au « gauchisme », puis au bolchevisme et enfin au stalinisme. Cf. Michael Lowy, Pour une sociologie des intellectuels révolutionnaires, Paris, PUF, 1976.
31 Lors d’un colloque en 1964, L. Goldman traite H. Lefebvre de « romantique ». H. Lefebvre accepte l’appellation. Bien sûr, il n’est pas « romantique » à proprement parler, mais on peut parier que ce terme qui joue de confusions fécondes, pluralité et discordance des significations, propice à la pensée et qui relance curiosité et intérêt dans des directions imprévues, doit ravir H. Lefebvre. Plus prosaïquement, être « révolutionnaire romantique », est plutôt une insulte pour les marxistes. Plus sérieusement, l’expression de « romantique révolutionnaire » renoue avec la tradition de la gauche socialiste française où la révolution n’est pas seulement politique, mais elle concerne peu ou prou, tout de la vie. Rappelons encore, que le romantisme français naît de la conscience de l’échec révolutionnaire, et qu’elle réhabilite le pouvoir de l’imagination contre toute pensée systématique. Pour H. Lefebvre, Gaston Bachelard est un modèle, car il n’a pu se résoudre à accepter jusqu’au bout l’exigence totalitaire de l’intelligibilité mathématique. « Bachelard se résigna, tout en savourant l’ironie de cette attitude à être un Janus bifrons… La littérature, la poésie, les arts, la religion, la philosophie, toutes les formes du savoir communiquent et parfois communient, dans une réciprocité des significations. Le séparatisme des sciences rigoureuses, leur prétention à la souveraineté dans l’étendue de la culture est une absurdité. « Gusdorf Georges, Fondements du savoir romantique, Paris, Payot, 1982, p. 196.
32 En 1958, H. Lefebvre pense que la crise de la gauche française est due à l’économie capitaliste et au machiavélisme stalinien. Elle n’a ni programme politique, ni programme économique. Il attribue ce « fait brutal » au fait que la gauche oscille entre « dogmatisme et vide » et entre « un fatalisme désabusé et un fétichisme absolu du pouvoir d’État. »
33 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 161.
34 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 165.
35 « Au jour le jour, « la politique est un show, un spectacle, une représentation, un mauvais théâtre, du mélo, inépuisables de bouffonnerie. On suit mal le mouvement de la pièce décousue et compliquée. Les hommes politiques puisent dans un vieux répertoire, mais sans avertir le public, il change de rôle et même de genre, du mélo à l’opérette. » H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef de Paris, 1959, p. 167.
36 Son histoire est jalonnée de longues éclipses. Avec la tragédie élisabéthaine, les héros sont des rois dont l’appétit de pouvoir et de puissance se définit par l’excès ; leur destin est fait de mensonges, de violences et de meurtres. Pour H. Lefebvre, c’est ce que nos contemporains appellent l’histoire.
37 Duvignaud Jean, Les ombres collectives, Paris, PUF, 1973, p. 230.
38 Barel Yves, Le héros et le politique : Le sens d’avant le sens, Paris, PUG, 1989.
39 La première représentation tragique aura lieu en 534, sous Pisistrate. Avant Eschyle, on connaît les noms (pas les œuvres) de quelques tragiques : Thespis (semi-légendaire), Pratinas, Phrinicos. En 472, Eschyle remporte le concours de tragédie aux Dionysies, avec Les Perses. C’est au cours du IV siècle (la guerre du Péloponnèse commence en 432 contre Sparte) que la tragédie va jouer un rôle de moins en moins important.
40 Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 21-22.
41 Barel Yves, Le héros et le politique : Le sens d’avant le sens, Paris, PUG, 1989, p. 25.
42 « L’Iliade peut être entendue comme une magnification idéologique de l’aristocrate grec, ce héros qui nous communique sa transcendance par la superbe assurance qu’il possède de puiser en lui-même, dans l’autoréférence, les raisons et les preuves de sa supériorité. Cette « idéologie » est une idéologie de l’insolence dont nous avons du mal à percevoir aujourd’hui la grandeur et la force persuasive. » Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 15.
43 Barel Yves, Le héros et le politique : Le sens d’avant le sens, Paris, PUG, 1989, p. 32.
44 « Les tragédies d’Eschyle, de Sophocle, et d’Euripide deviennent, dans le même temps, la première et la plus grande école politique et idéologique des citoyens de la Polis en dehors de l’agora et des tribunaux. » Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 22.
45 Barel Yves, Le héros et le politique : Le sens d’avant le sens, Paris, PUG, 1989, p. 60.
46 Lors du procès d’Oreste, la question peut se résumer à : Doit-il, être absout ou condamné du meurtre de sa mère. « Du côté de la défense, Apollon assisté par Athéna, tous deux étant des « nouveaux dieux ». Et comme juges des citoyens d’Athènes. Mais toute la tragédie se déroule sur un double plan : il y a d’une part le sort d’un homme et le débat juridique autour du problème de savoir s’il faut le condamner ou l’acquitter ; il y a d’autre part une discussion politique, au moins aussi importante, entre Athéna et les Érinyes, discussion au cours de laquelle Athéna s’efforce de persuader les Érinyes (et y parvient) d’accepter leur défaite et de ne pas tourner leur colère contre Athènes : ici, c’est le sort de la cité, de l’État et, finalement, de la démocratie athénienne qui se joue, non dans un débat juridique, mais dans un marchandage entre dieux. » Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 37.
47 Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 38.
48 Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 39-41.
49 Dans Sur Racine, R. Barthes explique comment dans Phèdre « tout est dans le dire ou ne pas dire ». « Qu’est-ce donc, qui fait la parole si terrible, s’interroge-t-il ? … C’est d’abord qu’elle est un acte, le mot est puissant. Mais surtout qu’elle est irréversible : nulle parole ne peut se reprendre. Livré au logos, le temps ne peut se remonter, sa création est définitive. »
50 H. Lefebvre, Logique formelle, logique dialectique, Paris, Éditions Sociales, 1946, pp79-93.
51 Pour H. Lefebvre, en bon dialecticien, l’accomplissement est aussi une perte ; il y a ainsi une « aliénation » par le choix qui est dans le même temps une tentative de désaliénation politique. Cela entraîne une totalisation qui à son tour devient une négativité, c’est-à-dire une nouvelle aliénation.
52 Jacqueline de Romilly soulève le problème dans l’Œdipe de Sophocle. Œdipe est écrasé dans Œdipe roi, il est exalté dans Œdipe à Colonne. « Mais d’une pièce à l’autre, le héros n’a pas changé : il reste violent, hautain, il se dispute avec Créon, avec Polynice, il ne se réconcilie pas avec les dieux ou avec la justice et rien ne se passe qui puisse justifier une réhabilitation. Il est le jouet du sort : Condamné, persécuté, exalté, chaque fois sans raison. » J. Romilly, La tragédie grecque, Paris, PUF, 1982, p. 110.
53 Le choix du héros, son acte même, entraîne toujours une incompatibilité qui montre le choix politique mêlé à son contraire. D’ailleurs, « les forces qui s’affrontent dans la tragédie sont également légitimes et également armées en raison. Dans le mélodrame ou le drame, l’une est seulement légitime. Autrement dit, la tragédie est ambiguë, le drame simpliste ». (A. Camus en 1955, lors d’une conférence)
54 « Tout se passe, comme si la force de la polis, le sentiment puissant de tout Athénien du V siècle d’une solidarité profonde entre son sort et celui de la cité, la virulence de ce que Paul Veynes a appelé « le militantisme » grec jouait comme une sorte de protection invisible contre le sentiment de l’absurde et obligeait à trouver du sens même là où il n’y en a manifestement pas, si ce n’est celui de l’évidence de la polis, donatrice de sens alors même que son propre sens reste mystérieux et fait problème. Là est peut-être la raison de l’élévation finale d’Œdipe : dans le décrochage qu’il opère à l’égard de son propre horizon familial, dans la possibilité de mettre sa mort au service d’Athènes, la puissance diffuse des ancêtres protégeant désormais la cité comme elle protégeait et protège par ailleurs le génos. » Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 98-99.
55 Cela pose la question du sens de l’action politique. Le Tragique accorde une énorme importance au sens tout en multipliant les avertissements sur l’impossibilité d’y accéder, ce en quoi il est tragique, posant que le nécessaire est impossible. » Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 99.
56 L’action politique est paradoxale. Faut-il renoncer à trouver un sens impossible ou avoir le courage d’assumer l’impossibilité du sens ?
57 Le tragique est l’impossibilité de choisir entre Créon et Antigone, par exemple, alors que le choix est nécessaire.
58 Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 105.
59 « L’homme ne peut pas ne pas agir, mais, quand il agit, il doit toujours s’attendre à le payer durement : voilà, réduite à sa plus simple expression, ce que l’on pourrait appeler l’aporie tragique, ou le double bind constitutif de l’homme grec. Puni s’il s’abstient, il est puni s’il ne s’abstient pas : puni parce qu’il ne sait pas ce qu’il fait, puni parce qu’il paie pour les fautes de sa famille et de sa lignée, puni parce qu’il doit se comporter comme s’il était tout seul, alors qu’il est plongé, tel un fétu, dans les tourbillons d’un monde de l’Invisible qui ne se laisse entrevoir que pour mieux se dérober et où les morts, les ancêtres et les dieux jouent avec les hommes. » Barel Yves, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 22.
60 Monnerot J., Les lois du tragique, Paris, PUF, 1969, p. 11.
61 « L’axe du mal », « tolérance zéro », sont des termes utilisés par les politiques contemporaines, elles prétendent dans leur discours être engagées dans le camp du Bien. Est-on dans un western ? Ont-elles oublié, tout de la sagesse des présocratiques, moment de la création de la Tragédie ? Ce discours politique, à propos du « mal » relève du registre de la morale, c’est aussi vouloir isoler une singularité, instaurer une dualité et prononcer une exclusion au nom du « devoir-être ». L’antagonisme poussé à l’extrême de l’affrontement est sans rémission, tout cela induit une dramatisation excessive, oublieuse de la connaissance tragique. « Car la tentation est toujours récurrente, celle, manichéenne, bien que d’ordinaire, ne s’avouant pas comme telle, d’instaurer le Mal en force propre et, à partir d’elle, de dramatiser sommairement l’Histoire : d’en revenir à l’antagonisme primaire, à peine rhabillé aujourd’hui, des Ténèbres et de la Lumière, de diaboliser l’autre, voire requérir un autre à diaboliser, et d’invoquer « l’axe du mal ». Comme elle est douée d’une fonction mythologique, cette figure du Mal alimente elle-même le récit et l’on ne voit guère ce qui pourrait l’épuiser. » F. Jullien, L’ombre au tableau : Du Mal ou du Négatif, Paris, Seuil, 2004, p. 47.
62 « Le rapport positivité-négativité n’étant pas pensé, cette fissure laisse place à toutes les fictions, à toutes les abstractions, et bien entendu au désespoir : au négativisme qui observe le travail du négatif, et tantôt détourne le regard, tantôt va jusqu’au suicidaire. Cet entre-deux, négligé par la philosophie au profit d’autres inquiétudes, c’est la perte de la pensée. La pensée ne se situe ni du côté du positif (logico-technocratique) ni du côté du négatif. Elle naît entre et passe au-delà. » H. Lefebvre, Qu’est-ce que penser ? », Paris, Publisud, 1985, p. 57.
63 Nous nous sommes beaucoup aidées de la pensée de Barel pour comprendre et développer celle de Lefebvre. Car, il nous semble que le parallèle entre ces deux auteurs s’impose à plus d’un titre. À propos de la tragédie, leur pensée s’emboîte et s’enrichit l’une l’autre. Grâce à une lecture attentive, nous avons l’intuition d’un parallèle entre eux, qui va beaucoup plus loin, et, prend ancrage dans leur raison personnelle de s’intéresser à un sujet aussi classique et discouru. Tous les deux sont d’abord des penseurs « solitaires » d’une intégrité rare (sans opportunisme académique). Leur réflexion sur le thème de la tragédie se fonde sur une même attitude politique, et sur une expérience relativement identique de la résistance. Tous deux ont pratiqué le PC avec la même position, faite de retrait (rôle de témoin, d’opposition au stalinisme, etc.) et faite de fidélité à une conception politique qui ne dévie jamais, malgré tous les aléas de la politique. Ainsi, Y. Barel a été hanté par la perte d’un frère aimé et glorieux. Max Barel a été exécuté comme résistant communiste durant la Seconde Guerre, il est célèbre à Nice, car une place porte son nom. Pour la petite histoire, Y. Barel a donné à son premier-né, le prénom de Max (frère chéri). Le héros politique, la bagarre interne entre le génos et la polis, entre raison familiale et raison d’État est à la base de sa réflexion sur « le sens » et sa quête. En ce qui concerne H. Lefebvre, qui eut plus de chance que Max Barel, il dut quitter son travail d’enseignant durant la guerre en tant que militant communiste et se réfugier dans la maison familiale des Pyrénées. Seule, la chance n’en a pas fait « un héros communiste ». Tous deux, donc, ont éprouvé de la fascination pour la figure du héros tragique qui se révolte contre l’ordre et tous deux ont su établir une distance critique par rapport au malaise provoqué par la fascination (faite de haine, de vengeance, d’obligations, de devoirs et de sentiments contradictoires). Revenir à la Tragédie a peut-être été une espèce de remède face à la souffrance ?
64 H. Lefebvre, Contribution à l’esthétique, Paris, Éditions Sociales, 1953, p. 56.
65 H. Lefebvre, Nietzsche, Paris, éd. Sociales internationales, 1939, p. 43.
66 « L’homme grec ne fut pas harmonieux, ni pacifié, comme l’avait imaginé un hellénisme de convention. » H. Lefebvre, Nietzsche, Paris, éd. Sociales internationales, 1939, p. 43.
67 « Ce n’est pas un spectacle au sens moderne : objet miroir. Elle ne s’offre pas aux regards comme un simple objet, ni à l’audition comme un discours ou un récit. Acte, elle implique participation active et même identification (ceci encore une fois contre Adorno et Brecht) à celui qui subit souffrance et mort… Pour métamorphoser en joie, en exaltation de la vie et du vivant (humain et social) la marche au supplice. Par une sorte de miracle. » H. Lefebvre, Qu’est-ce que penser ?, Paris, Publisud, 1985, p. 112-113.
68 « Les problèmes évoqués par l’art sont des raccourcis du problème infiniment compliqué de l’action et de la volonté humaine. « Nietzsche, Considérations inactuelles, 4.
69 H. Lefebvre, Nietzsche, Paris, éd. Sociales internationales, 1939, p. 44-45.
70 H. Lefebvre, Nietzsche, Paris, éd. Sociales internationales, 1939, p. 45-46.
71 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 243-244.
72 Il est probable que l’attirance pour le théâtre provient du fait « qu’il représente et nous représente ». Est-ce le spectacle de ce que nous devrions être, si nous vivions « vraiment », et parfois de ce que nous sommes sans y penser ?
73 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974, p. 216.
74 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974, p. 218.
75 La tragédie met aussi en scène des fantômes, des doubles, des spectres qui sont bien souvent une manière de traduire des « entités collectives » (famille, race, cité, nation) comme si, dès l’origine, les Grecs avaient pressenti le tragique du politique. Dans l’épaisseur du politique, il y a des forces antagonistes assez terrifiantes, incarnées par toutes sortes de personnages écartelés entre choix volontaristes où l’action dérange et où le pouvoir qui est pouvoir d’agir se mêle à de la fatalité, de la souffrance et des catastrophes.
76 Lorenzaccio-Musset « ne peut se comprendre que comme contamination de Saint-Just et de l’idéal jacobin. Il en partage les ignorances, les illusions et la grandeur… Plaçons, donc résolument, Lorenzaccio, sous le signe tragique de la Révolution. Le héros arrive trop tard ou trop tôt, pour établir ou rétablir la liberté ; et pour sauver sa patrie de l’abaissement où il la voit tomber. » H. Lefebvre, Musset, Paris, L’Arche, 1955, p. 126.
77 Pour beaucoup, le destin devient l’Histoire. Les idéologies politiques écrasent les « acteurs-spectateurs » en mobilisant l’enthousiasme et la haine, mais on ne s’interroge plus sur les raisons de vivre et les nécessités de mourir.
78 H. Lefebvre, Musset, Paris, L’Arche, 1955, p. 124.
79 Ainsi si les insurrections qui se succèdent (1830, 1848, 1870) sont héroïques, elles ne sont pas tragiques, car le socialisme ouvrier lutte pour une « bonne cause » et pour un avenir sans inquiétude. Par excès d’espérance, il n’y a alors pas de tragédie. « Cependant, il y a un tragique révolutionnaire : celui des jacobins qui, pour faire la liberté du peuple, recourent à la terreur. Le stalinisme, plus tard répétera ce cycle, mais ce n’est plus la tragédie théâtrale qui porte ce malheur, mais le roman (Dostoïevski, Faulkner, Kafka, voire Malraux qui témoigne de ce tragique vivant). » H. Lefebvre, Musset, Paris, L’Arche, 1955, p. 129.
80 La révolution avec Saint-Just entraîne chez nombre d’auteurs un parallèle entre tragédie et histoire. « Quand la révolution croit se fortifier en organisant sa propre hécatombe, quand elle se voit contrainte de choisir entre un compromis démobilisateur où la violence, les acteurs de la Révolution se retrouvent face à face avec une fatalité, un mal injuste qu’il croyait éliminé… Saint-Just, dépouillé de son amour propre, s’identifie à la cause qu’il sert… Lénine aussi, puis Staline s’érigera en pseudo-destin pour tuer à tort et à travers. Saint-Just entrant dans la Révolution veut le Bien, il ne possède pas le goût du sang (et l’obsession de la violence comme Marat) c’est pourtant lui qui va devenir le théoricien de la Terreur. » J.-M. Domenach, Le retour du tragique, Paris, Seuil, 1967, p. 91-94.
81 « Ainsi, tout se passe comme si une gigantesque pulsion faisait alterner tragique vécu et tragique représenté. À partir d’un degré d’engagement et d’horreur, le spectacle théâtral perd de son intérêt et de sa signification, la passion atteint son paroxysme dans l’histoire, une histoire qui ne donnera pas prétexte à des légendes, car elle traîne ses mythes avec elle et les consomme à mesure. … Les spectateurs disparaissent, entraînés bon gré mal gré dans l’action. C’est la fin de la tragédie ; ou peut-être son accomplissement, si l’on admet avec Lukacs que la tragédie ne se joue que pour un seul spectateur, qui est Dieu. » J.-M. Domenach, Le retour du tragique, Paris, Seuil, 1967, p. 72.
82 « Le mythe du pouvoir dans les temps modernes perpétue le pouvoir mythique des temps anciens » H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 72.
83 L’analyse posthume du stalinisme permet d’apprécier la terrible puissance des représentations politiques. (Elles agissent par des mouvements de déplacement, substitution, condensation et transfert.) « Dans le stalinisme, il n’y a pas eu fusion réelle du savoir et du pouvoir, mais confusion de leurs représentations, fiction de totalité. Staline cumulait les représentations du pouvoir révolutionnaire (la dictature du prolétariat) et du savoir révolutionnaire (le marxisme). Il a également fusionné par confusion les images de Petit Père des Peuples, du Savant qui détient et dispense le savoir, du chef du Parti et de l’armée. L’URSS a joui d’un prestige international sous Staline, ce qui prouve la puissance des représentations politiques. » À l’époque où H. Lefebvre militait au P.C.F., les attaques et les révélations contre Staline et le stalinisme passaient pour calomnies. Il en va de même pour le nazisme, il y a un nœud de représentations, tout aussi complexe, qui joue de représentations historiques, avec une mise en spectacle des masses et de la guerre. « Derrière l’esthétisme hitlérien se dissimulent les symboles, les plus archaïques : le sang, la terre, la race. » H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 70-71.
84 La démocratie pose le problème de la compétence politique, son sort repose sur la qualité de celui, qui est à sa tête. Et, pourtant, il y a là quelque chose qui échappe au jeu démocratique. Le chef est souvent présenté comme un homme « providentiel ». Il y a une très forte phobie du tyran, crainte d’un homme de hasard non légitimé par la tradition ou la famille, mais ce soupçon semble comme refoulé. Y a-t-il une différence entre un tyran intelligent qui gouverne avec modération et un héritier compétent, la différence entre les deux est ténue, mais ni l’un, ni l’autre ne se concilient facilement avec la démocratie.
85 Le peuple est étrangement absent de la tragédie, il n’est pas source d’inspiration ou d’enthousiasme. Il est comme une sorte d’instance vague, capable de manifester son accord ou sa réprobation. Y. Barel montre comment le peuple, les femmes et les barbares sont perçus comme une sorte de menace vague…
86 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 72.
87 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 72.
88 « Quant au charisme des sociologues, cette non-représentation du pouvoir, représente l’effet en l’imaginant comme cause. Ce qui ne signifie pas que le pouvoir ne soit qu’un imaginaire ou un effet de l’imaginaire : un fantasme. Certes non ! Cette fiction échappant à la représentation et cependant partout représentée comme clef de voûte d’un ordre social réel (politique). Le pouvoir politique se dit dans une telle société et s’apparaît divin. Il ordonne toutes les représentations. Tout fait partie, en lui et par lui, d’une double ordonnance qui comporte deux aspects, l’un spirituel et discursif (images, représentations, valeurs), l’autre matériel et spatial (les lieux forts, possédés, consacrés, les endroits magiquement privilégiés). H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 70.
89 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 73.
90 H. Lefebvre, La présence et l’absence, Paris, Casterman, 1980, p. 73.
91 H. Lefebvre souhaite une révolution sociale qui entraîne la fin de l’économie politique (capitalisme et productivisme) et la fin de l’État. Mais pour lui chaque fin s’ouvre nécessairement sur une création. Il y a là, ni millénarisme, ni catastrophisme politique, ni apologie du désordre et du pourrissement, mais juste succession de dépassement dans la création.
92 Y. Barel, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 19.
93 H. Arendt, La philosophie de l’existence et autres essais, Paris, Payot & Rivages, 2000, p. 197.
94 « Les banalités récitées de génération en génération, à propos des pièces classiques, ont longtemps fourni la base de la culture française ; or, ces banalités ont un sens. «
95 « Le politique déborde l’art politique, même s’il noue avec ce dernier une complicité étroite qui donne à penser qu’en effet, la production de sens est largement conditionnée par ce qui se passe dans le rapport entre les idées et la politique, au sens ordinaire du terme. » Y. Barel, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 13.
96 H. Arendt, La philosophie de l’existence et autres essais, Paris, Payot & Rivages, 2000, p. 204.
97 Y. Barel, La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 9.
98 La transcendance est double, elle évoque deux choses, parfois distinctes et parfois indissolublement mêlées : celle de l’extériorité dans transcendance-immanence ; et la faculté de dépassement (transcender, ou se transcender) signifie alors aller au-delà de ses propres limites. « L’ambivalence du préfixe, trans, qui signifie à la fois « à travers » et « au-delà de » traduit l’ambiguïté de la transcendance qui pose et brouille à la fois la frontière entre l’intérieur et l’extérieur. » La même remarque pour l’auto-référence s’impose, elle s’accompagne de transcendance et d’hétéroréférence. « Quand on choisit la transcendance, il faut faire la place à l’immanence et à l’autoréférence et quand on se veut autoréférentiel, il est impossible d’exorciser l’ombre de l’hétéroréférence et de la transcendance. Une société qui cherche son sens à l’extérieur d’elle-même ne peut pas éviter d’avoir à retrouver ce sens, d’une manière ou d’une autre, à l’intérieur d’elle-même. Une société autoréférentielle ne parvient jamais complètement à empêcher la production de transcendances, c’est-à-dire de sources de sens en partie extérieures à elle-même. « Barel Y., La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 10-11.
99 Barel Y., La quête du sens : Comment l’esprit vient à la cité, Paris, Seuil, 1987, p. 12.
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Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Barbara Michel
Université Grenoble Alpes / U.M.R. Litt&Arts – ISA
En 2009, Barbara Michel était membre du Laboratoire de sociologie CSRPC-ROMA (ex EMC2).