La Réserve : Archives Barbara Michel (I)
L’œuvre : trait d’union entre territoires du conçu et du vécu
Inédit. Version rédigée de la conférence donnée lors des Dixièmes Rencontres Internationales de Sociologie de l’Art, GDRI OPUS et SHADYC CNRS-EHESS, Arts et Territoires, Marseille, octobre 2006
Texte intégral
1. Un programme de recherche en sociologie de l’art : une somme de questions avec des idées de directions.
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1 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef, 1959, p. 275. L’auteur aj...
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2 Cela explique en partie comment H. Lefebvre a inspiré nombre de sociologues...
1« L’homme labyrinthique (il est le labyrinthe et il est dedans) cherche son Ariane et son fil d’Ariane. Ses vrais ennuis commencent quand il en trouve plusieurs. »1 H. Lefebvre va faire de l’œuvre d’art un fil d’Ariane tout au long de ses écrits, il multiplie les études d’œuvres précises et ouvre la voie à de multiples approches de l’œuvre d’art dans une perspective de sociologie ouverte, dynamique, critique et non dogmatique. S’il est délicat de synthétiser simplement ses réflexions à propos de l’art, c’est, d’abord qu’H. Lefebvre est un auteur qui n’a surtout pas voulu développer une sociologie « systématique » (faisant système), c’est aussi un auteur qui a privilégié les recherches programmatiques2. Dès les années 1950, il développe une vision large et globale de l’œuvre, notamment à partir d’un travail sur Rabelais, Diderot, Musset et une Contribution à l’esthétique. Il puise dans ces expériences de recherche sur l’art nombre de pistes qu’il poursuit notamment dans certains de ces travaux sur le quotidien et sur l’urbain (La production de l’espace étant en 1974 l’aboutissement d’une série autour de ce thème) et qui inspire sa réflexion sociologique. En 1980, tout ce travail sur l’art et autour de l’œuvre aboutit à une véritable théorie de l’œuvre.
2Sa vision globale de l’art est un des points d’appuie qui lui permet de faire obstacle au morcellement du savoir. Et c’est aussi à partir d’une position critique qu’il développe sa réflexion sur l’œuvre.
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3 H. Lefebvre, Au-delà du structuralisme, Paris, Anthropos, 1972.
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4 H. Lefebvre, Critique de la vie quotidienne : de la modernité au modernisme...
3H. Lefebvre a en horreur tous les grands systèmes scientifiques qui se veulent exclusifs comme le structuralisme, la sémiologie, l’intuitionnisme (Bergson), l’existentialisme (et aussi le spontanéisme naïf) mais aussi les marxiens systémiques comme Althusser3… H. Lefebvre est un théoricien qui se méfie de la connaissance et du savoir trop solidifié et rigide. D’ailleurs la connaissance ne vaut pas “ grand-chose ” si elle se définit par « sa pureté épistémologique » l’intérêt d’une connaissance, c’est sa portée critique. « La pensée est critique ou n’est qu’un discours. »4
4Il aborde les œuvres en se situant contre la position essentialiste (idéaliste) et contre la position dogmatique marxiste (Jdanov). Il combat la position de « l’art pour l’art » et tous ces avatars, mais aussi l’approche matérialiste au premier degré qui ne voudrait voir dans l’art qu’idéologie et système de domination. Il se bat donc à la fois sur deux fronts (nous pourrions dire trois et ajouter les approches pragmatiques). C’est à partir de cette position critique qu’il dégage une théorie de l’œuvre comme pivot de sa réflexion.
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5 L’espoir d’H. Lefebvre est de retrouver un mouvement dialectique, « tel que...
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6 « Un chef d’œuvre du mode de production étatique, c’est d’avoir rendu la bê...
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7 Dans Contribution à l’esthétique, datant de 1953, H. Lefebvre attribue à « ...
5Au fur et à mesure, il élabore une théorie de l’œuvre ni fermée, ni abstraite, ni systématique mais ouverte sur le vécu, l’appropriation et les potentialités… Très tôt, il dénonce les visions réductionnistes qui consistent à n’analyser dans l’œuvre qu’un contenu idéologique ou à n’y voir qu’une histoire de formes (les genres d’œuvres). Car l’œuvre d’art condense une époque, elle exprime son temps, mais elle va aussi plus loin, car elle dépasse les contradictions de son temps, bref elle ouvre sur de nouveaux possibles et nous révèle un advenir. Il s’agit là d’une vision « humaniste » de l’œuvre, où il est plus facile pour le sociologue d’étudier des œuvres passées que présentes. Les œuvres d’art qui n’ont pas cette qualité d’ouverture vers l’avenir mérite-t-elle encore leur appellation d’œuvre ? Sans être définitif, ces œuvres-là se rapprochent plus du simple produit culturel, mais nous verrons qu’une des difficultés est de pouvoir définir clairement les œuvres des produits, car la relation « produit-œuvre »5 est plus subtile qu’une simple relation d’identité ou d’opposition. Ce qui intéresse H. Lefebvre, ce sont les nouvelles figures d’œuvres. Il s’agit donc d’une sociologie courageuse qui prend le risque de distinguer dans l’art, les nouvelles figures d’œuvres des « pseudo-œuvres », voir des non-œuvres6. Détecter les nouvelles figures de l’œuvre7 permet alors un enrichissement de la connaissance et débouche sur des pistes de recherches. Pour H. Lefebvre, il s’agit non pas d’une voie royale où tout est déjà trouvé, mais d’élaborer un programme de recherche en n’hésitant pas à faire aussi son autocritique au fur et à mesure. La manière dont H. Lefebvre se saisit du concept d’œuvre éclaire une position sociologique (la sienne), décrit un programme de recherche en sociologie de l’art (mais aussi de sociologie non spécialisée) et inaugure une méthodologie, celle des moments de l’œuvre.
2. De la définition au concept d’œuvre
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8 Chez H. Lefebvre, l’étude de l’œuvre est toujours rapportée au contexte soc...
6La notion d’œuvre est délicate à plus d’un titre. Elle n’est pas « un véritable objet » d’étude (ni substance, ni essence) car il est difficile de cerner ses contours ; l’œuvre est à la fois achevée et inachevée, stable et éphémère, singulière et suscitant des interprétations successives… Or H. Lefebvre aborde l’art en « sociologue de l’œuvre » avant l’heure8… Voici la définition qu’il donne de l’œuvre :
9 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repré...
« S’agit-il des œuvres d’art ? Oui, mais pas seulement des arts plastiques ; mais aussi de la poésie, de la musique, de la danse et du théâtre, ces derniers genres se considérant comme révélateurs, au même titre que la peinture, la sculpture et l’architecture. Il s’agira aussi des œuvres plus vastes : la ville, l’urbain et le monumental. Ne peut-on aussi considérer la socialité et l’individualité, le quotidien et l’insolite, voir les institutions, le langage et même la nature façonnée par la pratique, comme des œuvres ? »9
L’œuvre d’art
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10 H. Lefebvre, Contribution à l’esthétique, Paris, Anthropos, 2001, p. 74. (...
7Arrêtons-nous un instant sur cette définition de l’œuvre. H. Lefebvre affirme, tout d’abord que le modèle de l’œuvre d’art est par excellence le modèle de toute œuvre. Né de l’humanisme, peut-elle prendre une « figure nouvelle » ? « S’il y a dans l’art, le plus souvent un retard sur la vie, sur le développement social et ses possibilités, il peut aussi y avoir une avance et une exploration des possibilités. »10 L’art propose alors des exemples et des modèles qui posent à la connaissance une suite de questions et de problèmes. L’œuvre se révèle plus féconde à l’analyse sociologique que d’autres matériaux.
Peinture et arts plastiques
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11 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 351.
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12 Pour l’auteur, la visibilité est une figure classique de l’intelligibilité...
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13 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 92.
8Tout d’abord, il se méfie de la réduction de l’art aux « arts plastiques », parce qu’il a établi dans ces précédents ouvrages sur le quotidien et sur l’urbain, une tendance à sur-dimensionner « le visuel », caractéristique de l’histoire de notre modernité. Pourtant, la peinture lui sert d’exemples pour faire comprendre des aspects très fins dans l’histoire de l’art (par exemple : Picasso, La production de l’espace, pp. 346-349). Les peintres comme Picasso, Klee, Kandinsky dévoilent la transformation sociale et politique de l’espace vers les années 1910 : ils n’en sont bien évidemment ni les raisons, ni les causes. Alors qu’à la même époque l’architecture « se révélera au service du pouvoir et de l’État, donc réformiste et conformiste à l’échelle mondiale. »11 Le Bauhaus, comme Le Corbusier, exprime les exigences du pouvoir (socialiste ou capitaliste) en matière d’espace. D’ailleurs l’architecte est pour lui dans une position inconfortable d’entre deux, mi-artiste, mi-technicien. Pour H. Lefebvre, la visualisation12 est plus grave en conséquence que “ la mise en spectacle ”, elle masque la répétition. « Les gens regardent et ils confondent la vie, la vue et la vision. »13
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14 « La prédominance de l’abstrait dans l’art moderne accompagne l’extension ...
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15 H. Lefebvre, Contribution à l’esthétique, Paris, Anthropos, 2001, p. 22. (...
9À propos des arts plastiques, de son histoire récente, il est très critique sur les avant-gardes, sur l’art abstrait14 et conceptuel et aussi sur l’art « social réaliste ». Ces exemples sont issus le plus souvent de la peinture classique. Ainsi, « chez Botticelli, la contradiction entre la Renaissance et le Moyen Age, entre le paganisme et le christianisme, entre la sensualité et l’idéal de pureté, entre la justice selon Savonarole et le luxe artiste des Médicis, entre la beauté d’Aphrodite et la mysticité des vierges… fait partie intégrante… de la richesse de son œuvre. Avec une sensibilité poussée à son paroxysme par son tourment intérieur (et par les circonstances historiques qui produisirent ce tourment), Botticelli a donné un sens nouveau aux thèmes antiques et aux thèmes chrétiens périmés. Il a mêlé étrangement le profane avec le sacré ; ses Vierges sont sensuelles et sa Vénus mélancolique. »15
10En revanche, il privilégie « les arts de scènes » comme la musique, la danse, le théâtre, la poésie… Il compte surtout sur la musique et le théâtre tragique et la poésie, plus capable de métaphoriser et de transfigurer le « réel » que d’autres activités artistiques pour ouvrir la voie à des transformations sociales.
Musique
11H. Lefebvre joue du piano (ses compositeurs favoris sont Schuman pour l’élan romantique et Bach pour la structure musicale). Il prend beaucoup d’exemples à propos de la musique (Bach et ses conditions de réception, Mozart pour montrer qu’une tonalité affective est singulière et spécifique à un artiste, Beethoven pour éclairer comment l’harmonie concept, représentation et idéologie atteint son apothéose).
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16 « Quelques heures de piano par jour, pendant certaines périodes, par sacca...
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17 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef, 1959, p. 280.
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18 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 427.
12La musique est un modèle d’œuvre16, car elle donne l’idée de faire des recoupements entre des domaines distincts (rapprochement de Bach et de Leibnitz17) et surtout, c’est elle qui inspire à H. Lefebvre sa méthode des moments. L’œuvre musicale « s’analyse en première instance selon trois moments : le rythme, la mélodie, l’harmonie. » C’est cela qui garantit la possibilité d’une création sans fin. « La grande musique classique a maintenu l’unité des trois moments ; pourtant, chaque musicien, chaque œuvre, mise sur l’un des moments, l’accentue, mais pour valoriser tôt ou tard les autres… Ce qui engendre le mouvement au lieu de la stagnation, par renvoie perpétuel d’un moment à un autre, qu’il prépare et anime. La coprésence du matériau (gammes, modes, tons) et du matériel (piano, cordes, cuivres, etc.) ouvre les possibilités et amplifie les différences. »18
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19 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef, 1959, p. 281.
13Amateur de musique, il est passionné d’histoire de la musique et de ses évolutions récentes. « Depuis des années, j’essaie de suivre les tâtonnements, les balbutiements, les réussites incertaines de la musique atonale, sérielle, dodécaphonique, électronique. Ni Webern, ni Schönberg et son école, ni même le talent de Boulez que j’admire ne m’ont entièrement convaincu. Ce qui ne prouve rien. L’histoire de la musique montre qu’il faut du temps pour que cet art de donner forme au temps trouve une nouvelle forme, à partir d’acquisitions dans la matière et le matériau musical, dans la technique, dans les instruments. »19
14Il critique la théorie de « la distinction sociale » en prenant l’exemple de la musique :
20 H. Lefebvre, Critique de la vie quotidienne : de la modernité au modernism...
« Si quelqu’un préfère le carnaval de Vienne et la musique de Schumann aux chansons de Sylvie Vartan ou de Sheila, ce serait donc pour se distinguer des petits-bourgeois qui adorent celles-ci – Et pour annuler la distance par laquelle l’élite bourgeoise se distingue elle-même des autres classes. Intrinsèquement Schumann et sa musique n’y sont pour rien. La valeur esthétique de la musique n’entre plus en compte ; bien entendu, sans le dire, on tend à la faire disparaître. Quelle réduction, quel appauvrissement, par rapport aux propos d’Adorno, pour ne citer que lui, sur le rapport entre le musical, le social et l’idéologique. »20
Le théâtre
15Jeune, H. Lefebvre a eu l’occasion de se confronter au théâtre. Il montre comment le dispositif théâtral classique associe l’espace conçu, vécu et perçu. « La théorie des doubles doit aller jusqu’à l’espace théâtral, entre autres, ce jeu de doubles fictifs-réels, cette interférence de regards et de mirages où se rencontrent sans se confondre l’acteur, le public, les « personnages », le texte, l’auteur. Ces jeux font passer les corps de l’espace « réel », immédiatement vécu (la salle, la scène) à un espace perçu, un troisième espace, qui n’est plus ni scénique ni l’espace public. Ce troisième espace, fictif-réel, c’est l’espace théâtral (classique).
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21 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 218.
16Est-ce une représentation de l’espace ou un espace de représentation ? Ni l’un, ni l’autre. Et les deux. L’espace théâtral implique une représentation de l’espace, l’espace scénique, qui correspond à une conception de l’espace (théâtre antique, élisabéthain, italien). L’espace de représentation, médiatisé mais vécu, enveloppant une œuvre et un moment s’effectue comme tel dans le jeu. »21
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22 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
17Le théâtre lui permet d’insister sur la notion de tragique proprement humaine. « Le tragique, Nietzsche l’a décelé, ne célèbre pas la mort mais la victoire sur la mort. La tragédie propose une présence : le héros victorieux jusque dans sa fin immortelle. La connaissance tragique ne voile pas la mort. Elle surmonte la séparation du vécu et du conçu. Elle refuse d’exorciser la mort, de conjurer le néant. Elle affronte. Ce n’est pas vaine parole quand le Prométhée d’Eschyle, délivre les hommes de l’obsession de la mort ! »22
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23 « Seul peut-être, Shakespeare atteignit au théâtre le « total », en ne lai...
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24 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef, 1959, p. 164-165.
18Mais surtout, il émet l’hypothèse que les tragédies, des grecs jusqu’aux tragédies du XVII siècle sont avant tout des histoires « sur le délire du pouvoir et ses raisons ». D’ailleurs, Shakespeare23, nous apprend plus sur la politique que les spécialistes du pouvoir comme Machiavel ou Bossuet24. Les tragédies ne sont pas, juste des histoires passionnelles, elles montrent les échecs et les chutes, les contradictions et les limites du pouvoir.
« La fin de la grande tragédie classique, qui se termine en mélodrames, ne signifie pas la fin de la tragédie politique. Au contraire ! Le bouffon se mêle de plus en plus au tragique, mais le tragique ne donne plus lieu à des tragédies. »
Et la littérature…
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25 Dans La somme et le reste, il explique que c’est la personnalité de Breton...
19La poésie est pour H. Lefebvre, un art « plein » s’exprimant par les mots et les comportements (il écrit aussi des poèmes, qu’il insère parfois entre ces textes théoriques). Il a fréquenté les surréalistes dès les années 192025.
20Il est d’accord avec le principe de la poésie comme étant plus que de la littérature.
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26 « La mimésis s’établit dans le factice, le visuel, l’optique privilégiée a...
21La poésie est l’art le plus global, qui mêle discours et pratique, qui combat avec efficacité la mimésis26 (raisonner par analogie et reproduire en imitant), qui détourne la quotidienneté et ses cohortes de représentations.
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27 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
22L’acte poétique permet d’accéder à un moment de présence, ni fixe, ni définitif pour H. Lefebvre (tout comme l’amour, la connaissance et la création que l’acte poétique présuppose). « Comment naît pour le poète, cette double présence, lui avec son verbe et devant lui le monde ? »27
Des œuvres de civilisations à la vie de l’homme
23Dans La production de l’espace, pour comprendre et faire comprendre le lien (et les contradictions) entre « pratique de l’espace, représentation de l’espace et espaces de représentation », il va analyser le monumental (temple, église…), et l’opposer au bâtiment.
24D’ailleurs, il étend la notion d’œuvre de la ville jusqu’au paysage (cf. la toscane, La production de l’espace, pp. 94-96),
25Un des possibles souhaitables pour l’auteur est de faire du quotidien, une œuvre analogue à l’œuvre d’art. Il affirme cela après avoir fait de la sociologie de la littérature et après avoir analysé un grand nombre d’œuvres d’art. Ce qui est intéressant dans le cheminement de la réflexion d’H. Lefebvre, c’est qu’il commence par faire de la sociologie de la littérature dès les années 1950, cela lui permet de résister aux divers dogmatismes de l’époque, alors qu’il cherche à dépasser la philosophie et ce parcours lui permettra de s’intéresser au quotidien et à l’urbain d’une façon beaucoup plus stimulante, car il renouvellera par cette approche, nourrie d’une réflexion sur l’œuvre, l’art, l’esthétique, le questionnement sociologique.
26À la question « qu’est-ce qu’être ? », il préfère substituer la question comment être, comment œuvrer. L’œuvre procède d’une volonté de faire, création et désir d’un autre monde mêlé. Finalement, n’est-ce pas la vie de l’homme qui est œuvre ? Étudier l’œuvre d’art ne se comprend alors que par rapport à cette vision large de l’œuvre comme vie de l’homme et ne se justifie qu’avec ce projet plus global.
27La notion d’œuvre gagne en épaisseur, mais alors, comment en faire un concept fertile ?
3. Le concept d’œuvre et de représentation
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28 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
28C’est dans un ouvrage, publié en 1980, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, qu’Henri Lefebvre consacre tout un chapitre à l’œuvre. Dans ce livre, l’auteur cherche à « élucider le concept de représentation. Il se propose aussi et surtout de concevoir (d’élucider conceptuellement) l’œuvre… L’œuvre éclaire les représentations parce qu’elle les traverse, s’en sert et les dépasse. »28
29La théorie des représentations ne peut se passer d’une théorie des œuvres, un peu comme une même médaille à deux faces. H. Lefebvre ne réduit pas le concept de représentation, ni celui d’œuvre. Il les prend tous deux dans une acception d’une grande ampleur qui tient compte à la fois de la genèse du concept (cf. Marx), à la fois de la généalogie du concept (cf. Nietzsche), de toute l’histoire occidentale de la pensée mais aussi de leur exagération actuelle, en particulier la prolifération des représentations.
30Pourquoi H. Lefebvre recoure-t-il à une notion comme l’œuvre, aussi entaché d’académisme, de classicisme et d’idéalisme ? On pourrait aussi dire du concept de représentation, qu’il est l’un des plus vastes de l’histoire de la philosophie, mot-valise et simple notion pour certain (comme chez Cuvillier, dans son Dictionnaire de la philosophie), “ illusio ” pour d’autres, et concept central de la sociologie durkheimienne…
Détour par la nécessité du concept et de son étude
31La théorie de l’œuvre que propose H. Lefebvre à notre réflexion, ne peut se comprendre sans un petit détour par la nécessité, de fonder une théorie grâce au concept.
32Le concept émerge et se formule dans des conditions « dites historiques », c’est-à-dire en tenant compte de l’histoire proprement dite mais aussi de celle de la philosophie et de la connaissance y compris scientifique. Si tout concept condense une genèse (comme Marx l’a montré, « de sa naissance à sa fin »), il faut aussi faire un travail plus fin, reconstituer sa généalogie (« filiations perdues » de Nietzsche) et oser les détours pour saisir son émergence, son trajet, son impact et son efficacité. Le travail conceptuel permet non seulement d’éclaircirez ce dont on parle mais surtout de mettre en place un programme de recherche sur le devenir dudit concept et de s’interroger sur ses limites : Le concept n’est pas un absolu (comme le pensait Hegel), il est en lien avec d’autres concepts qui permettent d’en comprendre la portée et la limite.
33Dés les premières pages de l’ouvrage, H. Lefebvre diagnostique une crise de la pensée conceptuelle à l’heure actuelle. Crise du logos ? Crise des référentielles ?
29 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
« Le concept comme tel échappe à beaucoup de gens, même parmi “ les intellectuels ”. La pensée conceptuelle leur paraît vaine et même ennuyeuse. Que veulent-ils ? Des évidences immédiates, des faits constatables, ou du discours… Le désintérêt devient aversion lorsqu’un ouvrage expose une constellation de concept qui renvoie les uns aux autres… Le caractère dynamique du concept, son ouverture en même temps que ses limites, cette dialectique de la pensée conceptuelle semble tomber en désuétude. »29
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30 Il cherche a situé le concept en indiquant ses limites. Le statut qu’il at...
34Courageusement, H. Lefebvre fait ce travail d’élaboration conceptuelle30, propre à la pensée théoricienne quand le courant ambiant (on est en 1980) demande une pensée pragmatique et « sur-spécialisée ». Quels fruits donnent cet acte de résistance à « l’air du temps » ? C’est ce que nous allons tenter de dégager.
Pourquoi le concept de représentations déjà très englobant et global est-il en lien avec le concept d’œuvre, tout aussi global ?
35Toute l’histoire du concept de représentation nous apprend à nous en méfier, pourtant il est indépassable. Avançons l’hypothèse, puisqu’il est indépassable, il lui faut un concept antidote qui sera pour H. Lefebvre, celui d’œuvre.
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31 Cf. un long passage, où H. Lefebvre critique à la fois les auteurs voulant...
36Contrepoison le concept d’œuvre31 ? Il l’est à plus d’un titre dans son lien avec celui de représentation.
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32 « Les représentations ne peuvent passer seulement pour des travestissement...
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33 « Dès que la raison se veut et se dit « pensée », dès que la pensée cherch...
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34 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
37H. Lefebvre en arrive à travailler le concept de représentation, après avoir bien vu les limites du concept d’idéologie et de son rapport avec la connaissance, et surtout après s’en être servi dans notamment La production de l’espace. En effet, le concept de représentation englobe à la fois la connaissance et l’idéologie32. Se représenter, c’est à la fois connaître par l’activité de penser33 (peut-on s’en passer !) mais aussi être tributaire de croyances qui limite le savoir. L’erreur serait d’estimer, la connaissance comme vraie une fois détachée des représentations considérées comme fausses. « Le projet d’un triage qui départagerait « idéologie-savoir » relève d’un utopisme philosophique mal rattaché à la « lutte idéologique ». On prétend séparer ces ingrédients des représentations. D’un côté, on fétichise le « pur » savoir, en dépréciant le savoir critique et la critique du savoir. De l’autre, on déprécie le vécu, au profit du conçu, en le soumettant aux critères apparemment rigoureux et agissants de la pure vérité conceptuelle. On oublie le cas du « savoir idéologisé » (y compris le marxisme lui-même). On ne cherche pas comment l’idéologie (c’est-à-dire les représentations) s’enracine dans le vécu. On arrive à espérer la mort du vécu pour extirper l’idéologie. On élude la magie du savoir, manié par les détenteurs du pouvoir politique. »34
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35 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 78.
38Car les deux, connaissance et représentation, sont inextricablement mêlées. Nous ne pouvons tout au plus que trier parmi les représentations et en choisir certaines contre d’autres. Et, l’œuvre d’art, nous aide à choisir les représentations qui renouvellent notre réflexion contre celles qui sont usées, fixées… C’est donc très concrètement que l’œuvre peut nous aider à progresser dans une sociologie de la dynamique sociale35 :
« L’espoir de sortir des représentations est naïf. »
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36 Les médias fabriquent des représentations, les sociologues se donnent pour...
39Simultanément, les représentations prolifèrent, « pullulent »36 et la pensée se propose de les dépasser, voire de les détruire. Pendant ce même temps, les œuvres se font plus rare…
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37 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
40La théorie des représentations de H. Lefebvre tente de trouver des instruments d’analyse pour choisir dans l’océan des représentations, celles « qui permettent d’explorer le possible contre celles qui bloquent, qui fixent en se fixant. »37 Or l’œuvre permet d’opérer ces choix. Cela rejoint l’idée de l’œuvre d’art comme partenaire épistémologique pour faire de la sociologie.
L’œuvre rassemble ce que les représentations dispersent
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38 Quand tous les grands référentiels comme les Beaux Arts, le Vrai en philos...
41C’est sur fond de crise de la pensée contemporaine (effondrement des référentiels38 au XXe siècle et « catastrophe silencieuse », où les activités humaines s’autonomisent et se proclament comme séparées, disjointes et déliées les unes des autres) que l’auteur se tourne vers l’œuvre pour y déceler une possibilité d’échapper aux représentations diffuses qui homogénéisent et fragmentent.
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39 « Il y a un monde des représentations, dans la modernité, il se définit pa...
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40 H. Lefebvre, dans un petit livre posthume, Les unités perdues, Paris, Édit...
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41 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
42L’œuvre permet non pas de sortir des représentations, mais de les condenser et d’en faire une synthèse originale. Car l’œuvre comporte des qualités opposées à celles de représentations. Les représentations ont une tendance à êtres à la fois « homogènes et fragmentés »39, alors que l’œuvre est « polyscopique », (plurielle) et à la fois entière, « une », même s’il s’agit de fragments comme œuvre40. « En principe l’œuvre est une et unique ; ce qui ne l’empêche pas d’être polyscopique, « plurielle » d’une multiplicité rassemblée dans une totalité. On la copie ; on l’imite, on la multiplie en la reproduisant. Elle n’en persiste pas moins dans son originalité. Elle produit donc de façons très diverses : des imitations, des copies, des représentations, des significations et des sens. »41
43Les représentations se concentrent sur des simplifications qui détournent du connaître et de l’action. Sous l’effet de l’homogénéité qui utilise la logique tautologique, les représentations, tendent alors vers la redondance, la répétition et la tautologie. Avec l’effet de la fragmentation qui utilise la logique analogique des ressemblances, les représentations se disséminent, elles glissent d’un contenu à l’autre et c’est ce qui leur permet de circuler d’une représentation à l’autre sempiternellement et surtout leur assure un renouvellement incessant. L’œuvre a l’avantage de rassembler ce que les représentations dispersent, fragmentent. Elle se présente directement comme une proposition différentielle qui fait obstacle à la répétition et à la fragmentation.
44L’œuvre (même si certaines d’entrent-elles jouent de la logique de l’identité et de logique de ressemblance) se situe d’emblée dans l’apparence et elle provoque ou non une réaction. Elle ne bloque ni la pensée, ni l’action (les réactions sont nombreuses face à l’œuvre) ce qui est un premier mode de présence.
45La représentation est donc une abstraction d’apparence sensible et une abstraction qui se concrétise (cf. la marchandise, l’argent, etc…), en cela elle diffère du concept. Ainsi, si la représentation est une « abstraction à l’apparence sensible », l’œuvre se donne dans une apparence sensible (manière de traverser les représentations et mode de présence).
L’œuvre « réalité immédiate » contrairement aux représentations
46Le concept d’œuvre est intéressant, car il n’a pas à voir ni avec la vérité, ni avec le mensonge. Il y a une œuvre ou il n’y en a pas, ce n’est pas une histoire de vérité. Cela entraîne un deuxième mode de présence de l’œuvre, certes proche du sophisme. Mais ce simple constat entraîne que nous savons tous que dans une œuvre il y a à la fois du fictif, à la fois du réel. Dans le monde des représentations, nous ne sommes assurés de rien (la même représentation est pour les uns du réel, pour les autres de l’illusion de la simulation ou même de la fiction). Dans le monde des œuvres, nous pouvons dire qu’elles existent et même supposé qu’elles ont « une réalité immédiate » ce qui n’est pas le cas des représentations. Cela permet d’affirmer une réalité de l’œuvre (quels que soient nos jugements « Beaux », « Laid », « Légitime » « Illégitime »).
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42 H. Lefebvre, Contribution à l’esthétique, Paris, Anthropos, 2001, p. 15 (p...
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43 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
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44 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
47Cette découverte entre « art et réalité immédiate », H. Lefebvre l’attribue à Diderot, mais après lui, il y aura une régression de la théorie de l’art qui cherchera à résoudre un problème insoluble, le rapport du réel et de l’idéal dans l’art qui devient chez Kant, « une confrontation entre contenu et forme ». La forme l’emporte chez Kant.”42 Notons au passage, qu’après avoir utilisé ces deux notions de contenu et de forme (« Contribution à l’esthétique »), et avoir plutôt travaillé sur le contenu plutôt que sur la forme, H. Lefebvre parviendra à un constat simple le contenu sans la forme est vide et réciproquement. « La présence se donne toujours dans une forme et cependant la forme prise à part est vide donc absence. Le contenu pris à part est informe donc absent. Formes et contenus séparés sont des fuites de la présence. Elle suppose et implique un acte –L’acte poétique. »43 Forme et contenu sont à analyser ensemble et non séparément dans l’œuvre. « L’œuvre implique du jeu et des enjeux, mais elle est quelque chose de plus et d’autre que la somme de ces éléments et ressources, de ces conditions et circonstances. Elle propose une forme, qui a un contenu multiforme –sensoriel, sensuel, intellectuel- avec prédominance de telle ou telle nuance de la sensualité ou de la sensibilité, de tel sens, de telle technique ou idéologie, mais sans que cette prédominance écrase les autres aspects ou moment. »44
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45 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
48Contrairement à l’objet industriel, au produit qui occulte cette « réalité immédiate, « l’œuvre d’art seule contient son histoire, dit jusqu’à un certain point qui l’a créé, comment et pourquoi. Elle laisse place à l’imaginaire et à l’évocation ; elle suggère parce qu’elle porte des traces de reconnaissables, mais la connaissance expire en contemplation et jouissance dans l’œuvre d’art. »45
L’œuvre traverse les représentations contrairement au produit
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46 « Ce qui permet de comprendre le caractère paradoxal des représentations ;...
49Troisième point qui lie représentation et œuvre, toutes deux sont tissées de discours et de pratiques46. Se contenter d’analyser les discours et de n’analyser qu’eux est une erreur à éviter pour l’œuvre comme pour la représentation.
47 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
« Vivre, c’est (se) représenter mais aussi transgresser les représentations. Parler, c’est désigner l’objet absent, passer de la distance à l’absence comblée par la représentation. Penser, c’est représenter mais dépasser les représentations. Le concept de représentation implique-explique le langage… Toutefois, l’analyse des représentations ne passe pas par le langage. »47
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48 Les mots traduisent, trahissent, se renouvellent et s’usent… Le fameux « c...
50Si le langage est le véhicule par excellence des représentations48, croire que l’analyse des représentations peut se contenter d’une analyse des discours et ne prendre en compte que le niveau du langage est pour H. Lefebvre une manière de passer à côté de l’efficacité des représentations. Car les représentations ne sont pas que discours, figures de rhétorique et logiques mêlées, elles font faire et agissent nos pratiques. Et c’est, ce point qu’il est crucial d’élucider. Il faut aussi étudier les pratiques suscitées par les représentations.
51L’exemple du miroir permet de saisir simplement comment « le représenté » passe pour vrai et permet de comprendre le tour de passe-passe entre présence et absence qu’opère la représentation dans la pratique. Le miroir
49 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, pp. 215-218.
« fait apparaître devant l’ego sa présence matérielle ; elle suscite son inverse, son absence… (Ego ne coïncide pas avec son double dans le miroir) Ce double le représente, image inverse, où la gauche vient à droite, réflexion qui produit une différence extrême, répétition qui transforme le corps de l’ego en un fantôme obsédant. De sorte que…la transparence équivaut à l’opacité… Pour me savoir, je m’arrache à moi-même…Moi, dans le miroir, est une absence dépouillée de toute présence, de toute chaleur du corps. »49
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50 L’analyse sociologique de l’œuvre qui se contenterait de recueillir les di...
52De son côté, l’œuvre ne peut être réduite à la somme des discours tenus à son propos50, l’analyse doit aussi tenir compte du faire qu’elle suscite. Notons au passage que le faire de l’artiste n’est pas séparable dans l’analyse du faire des différents médiateurs de l’œuvre jusqu’au faire du public. Le concept d’œuvre condense ainsi différent faire.
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51 « La variété des présences est infinie. Ceci dit, la présence ne devient j...
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52 « L’homme nu en proie aux signes, au vampirisme des mots et des choses ? N...
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53 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
53Finalement, les représentations masquent autant la présence51 que l’absence52, alors que l’œuvre permet de révéler l’une et l’autre. « L’œuvre a une présence, elle ne se situe pas entre la présence et l’absence, mais les réunit, elle fait le don de sa présence, elle comble un vide, c’est-à-dire une virtualité : une absence. »53 C’est ainsi que l’œuvre se situe au-delà des représentations, alors que le simple produit culturel reste prisonnier des représentations. Mais de nos jours les artistes jouent sur l’ambiguïté « chose, produit, œuvre ».
54H. Lefebvre démontre comment dans l’histoire de la philosophie, chaque philosophe va valoriser un des trois termes et chercher à le porter vers l’absolu, ce qui a pour conséquence, après ces « analyses réductrices » de ne pas avoir situé clairement « chose, produit et œuvre ». Il prend l’exemple de l’espace qui est tout à la fois produit et aussi œuvré pour expliquer en quoi il n’y a pas d’opposition ni de rapport de discontinuité entre ces trois termes.
54 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
« Le discernement entre la chose, le produit, l’œuvre, remonte loin si l’on sait regarder. Le christianisme distinguait ce qui provient de la nature, ce qui vient de l’homme, ce qui survient de Dieu. La différence émerge chez les cartésiens et prend forme à partir de Kant donc à partir du moment philosophique et historique où se découvre comme telle la représentation. Pour Kant, la chose en soi ne peut s’atteindre, mais la « chose pour nous » est le produit d’une activité, celle des catégories a priori de la sensibilité et de l’entendement. Quant à l’œuvre, elle relève d’une appréciation spécifique : d’un jugement. La distinction se précise avec Hegel qui introduit le travail productif, action de l’homme sur la Nature. Pensée que Marx précise et approfondit. Cependant le concept de l’œuvre se rétrécit chez Marx, car il surestime le produit. Par contre, Nietzsche méconnaît le produit et surestime l’œuvre. Un rapport complexe à trois termes (chose - produit - œuvre), se découvre de Kant à nos jours, à travers Marx et Nietzsche, sans omettre l’apport de Schelling (philosophe romantique de la nature, donc de la chose et de l’œuvre), de Schopenhauer (dont la théorie de l’œuvre musicale fut le départ de la méditation nietzschéenne), ainsi que de Heidegger. »54
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55 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
55À notre époque H. Lefebvre dénonce la substitution de la capacité créatrice d’œuvre au profit des représentations de la créativité (différente de la création d’œuvre) et de l’inventaire (prolifération des expositions et des musées). La production économique favorise la multiplication des produits du coup « le produit se coupe de l’œuvre, la déplace et la remplace par des sophistications techniques… Des formalismes -codages et décodages vains, discours tordus et tortueux- passent pour des œuvres. »55
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56 « Il n’y a aucune raison de séparer l’œuvre d’art du produit jusqu’à poser...
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57 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 91.
56Mais H. Lefebvre pense aussi qu’il y a un risque de fétichiser56 la notion d’œuvre si on introduit une séparation nette entre la création et la production. Il discerne dans la modernité une : « Triste évidence : le répétitif l’emporte sur l’unique, le factice et le sophistiqué sur le spontané et le naturel, donc le produit sur l’œuvre. »57 L’analyse rétrospective a tendance à séparer, à couper l’œuvre du produit, mais il y a un mouvement générateur entre produit et œuvre qui se perd alors, mouvement dialectique où l’œuvre pourrait traverser le produit et où le produit devrait ne pas engloutir la création, la potentialité dans le répétitif. (Cf. l’exemple de Venise œuvrée et produite à la fois).
58 « Peut-être l’espace des plus belles villes naquit-il à la manière des pla...
« Peut-être aucune œuvre n’a-t-elle jamais été crée pour être œuvre d’art de sorte que l’art et notamment l’art de l’écriture -la littérature- annonce le déclin des œuvres. Peut-être l’art, en tant qu’activité spécialisée, a-t-il, détruit l’œuvre, pour lui substituer implacablement le produit, lui-même destiné à l’échange, au commerce, à la reproduction indéfinie. »58
57En bref, la représentation fait prendre l’absence pour la présence, l’apparence des représentations jouant un tour de passe-passe entre présence et absence, alors que l’œuvre qui ne s’occupe que d’apparence, est à la fois présence et absence.
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59 « Il serait absolument inexact de prêter à maître Alcofribas et à ses pers...
4. Rabelais ou l’exemple « clarificateur »59 du concept d’œuvre chez H. Lefebvre
60 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
« Aux œuvres, comme aux vécus, il ne faut toucher qu’avec réserve et précautions. Donc, pas de théories qui se proposeraient de donner des leçons. Pas d’esthétiques normatives ou pédagogiques. Il faut élucider une pratique créatrice et pas seulement productive et encore moins re-productive. »60
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61 Rabelais est un homme des frontières donc celui qui a le plus de chance d’...
58Pour élucider l’activité créative de Rabelais61, H. Lefebvre mène une analyse qui se veut à la fois « scientifique et vivante ». Il faut être capable non seulement d’analyser mais aussi de « sentir » l’œuvre. L’analyse ne doit pas plaquer une démonstration théorique sur l’œuvre, elle ne doit pas « tuer l’œuvre ». Il fait la critique d’un certain nombre d’études à propos de Rabelais, qui réduisent, trop souvent son œuvre à une de ces composantes. Ainsi, il est impossible de ranger Rabelais dans une catégorie nette et tranchée comme le font certains spécialistes qui s’arrêtent soit à son humanisme, soit le rapproche du protestantisme (de la guerre des religions très proche), soit le range comme sceptique et athée, soit le prétende modéré…
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62 « Nous admirons chez Rabelais une des plus parfaites réussites de l’art : ...
59Avant de chercher le contenu de la « substantifique moelle »62, H. Lefebvre soulève un premier obstacle en montrant comment les conditions de réception de l’œuvre changent selon les époques et les circonstances. Il démontre en quoi l’œuvre « n’est ni fixe, ni définitive » (c’est-à-dire sans dogmatisme). Malgré l’abondance de références, d’études et de documents à propos de Rabelais, les analyses aboutissent à une pseudo-reconstruction du passé et à une projection sur ce passé des préoccupations actuelles de l’analyste (qu’ils s’agissent de philosophes, d’historiens ou de critiques…).
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63 « S’agit-il de rendre aux hommes du XX° siècle les yeux et l’intelligence ...
60Il s’agit de restituer l’œuvre dans son contexte en tenant compte de l’histoire politique, social et culturel et en ne réduisant pas à juste un de ces aspects ou en y projetant le devenir historique (analyse de la genèse et de la généalogie de l’œuvre).63 L’étude de l’œuvre permet d’accéder au passé de notre culture, mais il s’agit aussi de « la rendre vivante » et cela se fait par ses liens avec la culture de notre époque.
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64 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 192-193.
61H. Lefebvre va démontrer que Rabelais est tout à la fois conteur, romancier et poète. Héritier de Boccace, des fabliaux et des conteurs du Moyen Age, il a la vivacité d’allure, de style, le goût de la couleur et du trait des conteurs, mais c’est aussi un romancier comme Cervantès (H. Lefebvre fait une longue comparaison entre ces deux auteurs). « Pour qu’il y ait roman… Il faut qu’il y ait des individus menant une vie terrestre et profane… L’homme devient le centre des préoccupations. Le roman est écrit en langue vulgaire, en prose, celle de la vie quotidienne… Rabelais, premier en date de nos grands romanciers, est l’un des créateurs du genre romanesque dans la littérature française. »64 Le thème central des « Cinq Livres » est le but et le sens de la vie, il faudra attendre Balzac et Stendhal pour trouver des œuvres romanesques faisant un tableau complet de leur époque et posant la question du bonheur (peut-être avant Diderot).
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65 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 194-195.
62Avec Rabelais, le récit romanesque ne se sépare pas encore du genre poétique. « Rabelais romancier reste profondément poète… Rabelais, poète perpétuel, ne disjoint pas plus les mots de l’image qu’il ne sépare l’image de la pensée… Cet élan verbal, seul les plus grands -Shakespeare, Victor Hugo- l’ont possédé et maîtrisé comme lui. »65
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66 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 26.
63Il montre comment Rabelais est inscrit dans une « triple jeunesse »66, celle d’une classe montante, de la nation, de la langue.
64L’œuvre de Rabelais est une synthèse originale des contradictions et des conflits de son époque. Rabelais
67 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 198.
« a parfaitement compris le conflit entre le Moyen Age et l’ordre nouveau, entre l’héroïsme et l’État, entre l’homme isolé et la loi générale. Mais il a su en l’exprimant dominer la contradiction. Il a su rejeter le Moyen Age en gardant le meilleur : récit populaire, verve et spontanéité du langage, noblesse chevaleresque. En l’unissant au meilleur du monde nouveau : la libre et indépendante recherche (avec ces problèmes et ses incertitudes) de la vérité et du bonheur. Les aspects de l’humain, c’est-à-dire de l’humanisme vivant au XVI° siècle, ne les a-t-il pas unis en lui-même ? Il a donc pu intégrer toute son expérience à son œuvre… Dans une unité des différents aspects de la vie et de l’œuvre d’art, qui ne se retrouvera plus par la suite, jusqu’à nos jours. »67
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68 Cf. un long passage H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 184-...
65L’intérêt des textes de Rabelais, c’est que d’une certaine façon, ils sont proches de nous et nous montrent une manière de résoudre les contradictions entre sensation, perception, raison, imagination, et aussi entre individu et société, et enfin entre connaissance et pratique sociale.68
69 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 197.
« Les Cinq Livres offrent un cas remarquable, peut-être unique dans la prose, de présence généreuse, multiple et une à la fois : l’auteur, l’œuvre, les personnages et les choses décrites … Rabelais ignore la séparation du subjectif et de l’objectif. Il a atteint ou retrouvé par la connaissance un contact direct avec la nature et le sensible. D’autre part, il ne perd jamais contact avec la matière verbale… Lyrisme objectif : élan lyrique, contact direct avec les mots, les choses, la connaissance –et le lecteur. Il écrit comme il pense et il pense comme il parle. Par conséquent l’art et la spontanéité ne se dissocient pas chez lui. La fraîcheur du langage et de la conversation populaire deviennent sans effort plénitudes. »69
66La singularité de Rabelais consiste donc dans sa présence, son œuvre traverse les épreuves des siècles et parvient au lecteur contemporain. D’ailleurs le lecteur, même ignorant rit à la lecture de Rabelais, et reçoit davantage que les érudits. L’œuvre se donne à lui dans sa présence.
67L’œuvre de Rabelais exprime un rapport « remarquable et unique » entre la spontanéité de la vie et la culture (élément acquis et conquis de la culture, la connaissance, la science, l’expérience sociale d’un homme et d’une époque).
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70 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 14.
68Chez Rabelais, mots, images, idées et réalités sensibles sont emportés dans un seul mouvement grandiose. La richesse n’est pas la confusion. « La pluralité de sens, la polyvalence de l’œuvre d’art n’a rien de chaotique ».70 L’œuvre de Rabelais
71 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 184.
« rend présent le lointain, l’inaccessible aux sens… Elle suscite ou ressuscite un monde dorénavant passé, ou bien présent ou à venir. Elle n’est pas conceptuelle, et cependant elle porte avec une puissance légère, une lourde charge de savoir et de pensée. Elle ne reste pas dans l’immédiat et le sensible ; et cependant elle ne s’évade pas hors du réel. »71
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72 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 22.
69Présence poétique encore, car sa vision du monde « afflue pour ainsi dire et s’incarne en chaque phrase. »72
70Il y a un double aspect spontané et cultivé dans l’œuvre qui, généralement, est séparé ou opposé : la vitalité élémentaire et la plus haute culture. Rabelais a une perception globale et pleine qui ne différencie pas la pensée et la vie.
73 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 183.
« Il en est au point où la perception domine encore, mais pleine, enveloppant dans une unité l’objectif (la connaissance) et le subjectif (l’émotion, l’image), sans séparation entre l’abstrait et le concret, entre l’immédiat et le conceptuel. L’on a même au cours de cette étude eut l’occasion de montrer comment le rythme et le mouvement d’une telle pensée (émotion, connaissance et image à la fois) orientent le style de Rabelais et le mouvement de son récit. Ainsi son naturalisme fut riche et profond, tandis que plus tard -de nos jours- le naturalisme n’est plus qu’une saisie incomplète et appauvrie du réel. »73
71H. Lefebvre, dans cette étude de Rabelais, montre comment et pourquoi certaines œuvres traversent les représentations, car l’œuvre est présence alors que les représentations comblent juste les vides de l’absence. À travers cet « humanisme vivant » de Rabelais, on comprend mieux le souhait d’H. Lefebvre de revaloriser le concept d’œuvre d’art mis à mal par notre modernité et d’en faire un modèle qui puisse s’étendre à de nombreux aspects de la vie sociale. Car l’œuvre est aussi énergie de liaison, elle ne dissocie pas le vécu, le conçu et le perçu, elle en fait une synthèse singulière.
72Cependant, il est délicat, nous dit-il de rendre sa place à l’œuvre dans une époque où tout se définit par rapport au savoir. Cette théorie de l’œuvre que développe H. Lefebvre a de nombreux adversaires qu’il désigne ainsi :
« a) Les partisans conscients ou non de la non-œuvre : ceux qui retombent dans les représentations et les acceptent ; ceux qui éludent l’œuvre.
b) Ceux (ce) qui tentent les pseudo-enchantements : le retour à l’immédiat et à la nature première, la valorisation du “ pur ” spontané, le repli vers le quotidien, etc.
74 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
c) Les utopies abstraites (technologie ou négatives, etc.).
d) L’acceptation d’une pratique morcelée et d’un savoir fragmentaire (le premier objectif d’une théorie de l’œuvre se définissant par le global restitué). »74
5. L’œuvre trait d’union entre vécu et conçu
73Il s’agit de développer le vécu et le conçu (sans soumettre l’un à l’autre) et le possible qu’ouvre l’analyse d’H. Lefebvre c’est de les développer grâce à l’activité créatrice comparable à celle qui enfante l’œuvre d’art. L’œuvre d’art est alors un modèle (et non une fin) que le sociologue doit étudier pour contrecarrer une tendance très importante de notre modernité : la domination du conçu (le su, les représentations et les idéologies) sur le vécu (subis et pourtant lieu de créativité et de transformation de la vie sociale).
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75 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
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76 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
74Le savoir, la raison, la science et la technique se sont progressivement imposés dans nos sociétés comme projet, ils sont devenus notre horizon. Or la priorisation du savoir entraîne « une singulière surestimation de la logique, du discours, de la représentation en général »75. Progressivement, au cours du développement de la modernité, le conçu tend à déprécier le vécu, cherche à le réduire et le traite comme « un résidu provisoire du connaître »76.
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77 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
75Qu’est-ce que le vécu ? « Le vécu, c’était la fréquentation de l’autre, l’affabilité, la douceur des approches, et la vivacité des colères, le déchirement des séparations... Et voici que cette naïveté s’en va… La pensée s’acharne contre la sociabilité. »77
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78 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
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79 Des réflexions contemporaines comme l’épistémologie, la logistique, la phé...
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80 « Le concept doit prendre des précautions avant de s’approcher du vécu. Qu...
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81 « Or « la nature » (quelles que soit sa définition philosophique) et ses r...
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82 H. Lefebvre, Critique de la vie quotidienne : de la modernité au modernism...
76Pour Henri Lefebvre, le vécu « a quelque chose de flou »78. D’un côté vouloir définir scientifiquement le vécu, c’est une fois de plus « le réduire en l’assimilant à du concevable ». De l’autre vouloir le rejeter dans « les profondeurs abyssales » est tout aussi condamnable et revient, ad fine au même résultat, en faire un concept, à l’instar des théories de l’inconscient. Chercher à « cerner »79 le vécu est délicat à plus d’un titre80. Le vécu est une notion, certes approximative, mal démêlée d’images de toutes sortes, mais il permet de figurer à la fois l’accompli, le présent81 et le virtuel. C’est-à-dire le vivre avec ses potentialités, « l’ampleur de ses horizons et de ses éclairages incertains ». C’est donc « l’œuvre vivante ou morte du vivre »82.
77Le vécu est subi mais c’est aussi le résultat d’une appropriation d’un vivre social. D’où une caractéristique parfois dramatique du vécu car c’est un lieu de tensions non seulement entre l’accompli, l’actuel et le virtuel mais c’est aussi un lieu de tensions entre ce que l’individu subit au présent et ce qu’il est capable de transformer au présent pour se l’approprier. Du coup, le vécu n’est pas seulement subi, il est lieu de création, de transformation social par l’appropriation.
78Dans La production de l’espace, Henri Lefebvre montre à travers de multiples exemples (impossibles à résumer ici) comment le vécu, le perçu et le conçu sont, selon les cas, installés en contradiction ou peuvent parfois se tramer entre eux de façon harmonieuse.
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83 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
79À notre époque, le vécu est non seulement sous domination du conçu, mais le perçu tend à devenir envahissant. « Au cours de ces péripéties, le vécu attaqué de toutes parts, réduit par divers procédés, se défend sauvagement… L’analyse dialectique de ce mouvement rend évident le troisième terme : le perçu, qui emprunte ses matériaux des deux côtés, le vécu et le conçu (la vie et la réflexion)… Le perçu joue l’intermédiaire (médiation) entre le conçu et le vécu, mais prend au cours de ce jeu densité et force. C’est dans ce que la psychologie classique nommait « perception » que se saisissent quelques présences, que les absences se ressentent, que les représentations pullulent. »83
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84 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
80« Partir du vécu sans rejeter le conçu ? Oui, mais en reconnaissant la fragilité du vécu, sa vulnérabilité -sans prétendre le saisir avec les pinces des concepts, sans le réduire, sans le soumettre à des analyses chirurgicales sur le modèle des sciences de la nature. Donc en montrant comment l’art, l’œuvre, le projet, partent du vécu (la poésie, la musique, le théâtre, le roman, etc.) en lui intégrant le savoir au lieu de l’inverse. »84
81Henri Lefebvre cherche des exemples qui rétablissent un équilibre entre apparence, conception et création, dans un projet profondément humaniste de non-dissociation entre perçu, conçu et vécu. Or l’œuvre d’art, sorte de clé de voûte (cf. Rabelais), montre parfois comment l’unité entre ces trois niveaux est possible.
82Ainsi l’artiste, le créateur part du vécu.
85 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
« [Il] trouve dans le vécu sont lieu de naissance, son terrain nourricier… Le créateur d’œuvres -dont l’œuvre d’art, encore hypercomplexe, offre le cas le plus aisément observable- ne reste pas dans le vécu ; il ne l’habite pas, il n’y séjourne pas longtemps ; il ne s’engloutit pas dans le flux et le flou. Quand cela arrive, il n’y a pas d’œuvre, seulement des cris inarticulés, des soupirs de douleur ou de jouissance. Le créateur d’œuvres trouve dans le vécu l’inspiration originelle et vitale. Il y revient, il « l’ex-prime » avec les contradictions et conflits sous-jacents, mais il lui faut émerger et plus encore : assimiler du savoir. Le « sujet » ? Oui, il y a toujours un moment subjectif, non pas celui où un « sujet » déjà constitué s’exprimerait dans l’œuvre, mais celui où le « sujet » se constitue par l’action poétique, celle qui donne forme à l’œuvre… Le créateur d’œuvres doit émerger du vécu en assimilant le plus de savoir possible au cours de ce trajet où il éprouve de multiples contradictions ; ce qu’élude le simple producteur. Ainsi le créateur d’œuvres accomplit une double création : celle d’un savoir par un vécu, celle d’un vécu par un savoir. Ce qui exclut toute expropriation… Le créateur se distingue du savant non par le savoir (car il peut s’approprier d’immenses connaissances), encore moins par le non-savoir, mais par le trajet, par le rôle du savoir le long de ce trajet, donc par le mode d’appropriation et de retour au vécu. Le savant travaille froidement, obstinément et patiemment, à étendre son domaine. L’art s’adresse au vécu pour l’intensifier, non pas pour le soumettre. »85
83Ainsi l’art et la création se nourrissent de vécu et de savoir, ils se développent aussi dans la représentation, mais là non plus ils n’en restent pas prisonniers. Ils en sortent soit pour retourner vers la spontanéité, la vitalité, l’immédiateté perdue et retrouvée, soit pour s’élever vers une pluralité de sens. (Cf. l’exemple du mort-vivant, p. 200).
86 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
« Au lieu de refléter le réel (thèse appauvrissante) l’œuvre supplante, déplace le réel et semble l’engendrer. Elle propose et superpose une « réalité » différente. » En cela l’artiste est un « inventeur de réalité », son œuvre ne dit pas les contradictions du réel mais les montre en les surmontant, en les résolvant dans la fiction / réel. »86
84L’œuvre se présente directement à la sensation et à la perception pourtant elle n’est pas immédiatement accessible. Elle est « infiniment riche, inépuisable à l’analyse, indécodable, hypercomplexe, totale et cependant non close, ouverte sur le monde entier (cf. Les monades de Leibniz, reprises par Adorno).
6. La méthode des moments
85L’étude d’une œuvre à chaud est un exercice délicat. La méthode des moments permet de sortir de cette difficulté.
86Il existe, chez H. Lefebvre, une relation étroite entre la théorie des moments et la question de l’œuvre. Pour lui, l’œuvre de l’homme, c’est sa vie, c’est la production de lui-même. En même temps, cette œuvre se concrétise dans des réalisations : le travail, l’amour, le jeu, l’œuvre d’art… Comment se pose la question des moments dans l’œuvre d’art ? L’œuvre est un centre provisoire qui rassemble ce qui, par ailleurs, se disperse. Toute œuvre a cette qualité. L’enjeu de l’œuvre, c’est un projet qui peut échouer : se proposer l’unité, la totalité des moments. D’origine philosophique, le terme de moment se préfère à d’autres rendus trop familiers par les sciences humaines ou sociales : niveau, dimension, fonction, structure. Ce terme veut aider l’analyse à s’assouplir, se différencier et surtout éviter l’écueil de prétendre épuiser son « objet ». L’objet de l’œuvre n’a rien à voir avec un objet scientifique. L’analyse sera infinie et surtout imprévisible. Et le processus créatif, en effet, a pu contourner ou détourner tel pouvoir ou telle catégorie. Le moment n’apparaît donc que dans sa négation. L’analyse qui discerne les moments s’inscrit dans la tradition philosophique, mais la déborde :
a) Unité-totalité-multiplicité. L’œuvre peut se décomposer en différents moments, mais la diversité de ceux-ci est transsubstantiée en une unité d’autant plus forte que la diversité interne est plus grande.
b) Critique-distanciation-contradiction. L’œuvre se démarque de la société existante, du mode de production, de l’économique et du politique. L’œuvre s’approprie ces moments en les contournant et en les détournant, en les approuvant et en les refusant. L’analyse doit en tenir compte.
c) Projet. L’œuvre est une utopie abstraite ou concrète. Elle explore le possible par les propositions, les représentations, le symbolique et l’imaginaire. On peut dissocier la rationalité (des moyens et des buts) et l’irrationalité (du vécu, des émotions, des sentiments… affects inhérents à l’œuvre). L’analyse dialectique met à jour le mouvement de l’aliénation et de la désaliénation, les représentations traversées (adoptées puis rejetées) et surmontées.
87H. Lefebvre a déjà tenté ce type d’analyse sur le terrain de la ville comme œuvre, sur celui de l’espace architectural et urbanistique, etc.
88Le moment de l’immédiateté est difficile à reconnaître : ce moment est en effet nié par l’œuvre qui le rétablit transformé ou transfiguré. L’immédiat peut être objectif (la sensation, le sensoriel, la perception sensible) ou subjectif (le vécu, le spontané, les émotions). L’ “ expression ”, au sens habituel, ne sort pas de ce moment de l’immédiat. La création le surmonte par un codage subtil du signifiant et du signifié. Mais ce travail sophistiqué, dissimulé, intégré profondément, finit par revenir à l’immédiat, c’est-à-dire au son, à la mélodie, au rythme, etc. Dans ce retour à l’immédiat, l’œuvre devient don. Au-delà du codage complexe de significations, de représentations diverses, l’œuvre se donne à voir, à entendre, à s’approprier. Contrairement au produit qui s’inscrit dans une logique d’échange, l’œuvre est là, présente. Son mouvement est en elle. Et, quelle que soit sa valeur sur un marché, elle s’offre à nous. L’œuvre donne et se donne. La dialectique de la création, c’est cette perlaboration de l’œuvre qui se caractérise par une accumulation de travail qui se dissipe soudain dans un retour à l’immédiat dans la présence. Dans ce mouvement, se dépasse l’opposition entre “ expression ” et “ signification ” de l’œuvre.
89Le moment de la mémoire. L’œuvre intègre la tradition, les œuvres antérieures, la mémoire et l’histoire de l’art. Mais dans le même temps, l’œuvre a une capacité d’oubli. Le travail sur le passé est contourné, détourné. L’œuvre implique une non-mémoire, au profit d’un usage et d’une jouissance, donnés dans le présent.
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87 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
90Le moment du travail. L’œuvre est une accumulation de travail, mais il faut comprendre ce terme dans un sens très large. La négation, le savoir critique, l’oubli des opérations accomplies par des moyens techniques appropriés participent de ce travail. En allemand, on distingue arbeiten et erarbeiten. Les deux termes signifient travail. Mais le surplus de sens du second terme, c’est la notion d’élaboration, mieux de perlaboration. « Le travail patient et appliqué se dépasse constamment par l’inspiration qui reprend contact avec le vécu, avec l’immédiateté passée ou possible ; mais il faut aussi revenir au travail87. » Le travail est une médiation entre la production et la création. De temps en temps, le travail est davantage dans la production (on recopie un texte ou une phrase musicale écrite par un autre et qui va être utilisée comme citation dans son propre texte : cette copie est un travail de reproduction) ; à d’autres, le travail entraîne une trouvaille. On invente en travaillant. Le chemin de la création se trouve dans cette tension entre la reproduction et l’invention, mais le travail n’est lui-même qu’un moment qui va se trouver très vite nié par le non-travail. La création de l’œuvre passe par des phases de contemplation, de désir, de jouissance. L’œuvre implique un désœuvrement. De toute façon, lorsqu’elle se donne, le travail a déjà cessé. Ce don entraîne un apaisement, un repos.
91Le moment interne-externe de la détermination. La recherche entre dans le travail, mais l’important, ce n’est pas de chercher, mais de trouver, comme le disait Picasso. Aristote l’avait déjà remarqué : il faut commencer, il faut finir. L’œuvre suppose une tension entre infini et fini. Oser conclure, oser donner, est absolument indispensable… La recherche infinie a tendance à rapprocher l’art de l’accumulation du savoir. Or, le savoir qui ne se définit que par la recherche du savoir ou par la méthode prend l’allure d’une dérision. Il faut que survienne un moment de l’arrêt. Le moment de la finitude annonce l’exigence de la finition. Mais il n’y a pas de vraie coïncidence entre les deux. Ce moment où l’on décide que c’est fini, c’est celui de la détermination. C’est finalement le moment où l’œuvre trouve sa forme, où elle s’invente une forme.
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88 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945, p. 176.
92Le moment de la forme. Il n’y a pas d’œuvre sans forme. L’artiste doit faire le choix d’une détermination. Il doit respecter des règles de composition (qui peuvent se démentir au cours du travail par une innovation). Il doit tenir compte aussi des règles de réception. Ces deux systèmes de règles peuvent différer, mais ils ne peuvent pas engendrer une antinomie, car il n’existe pas d’œuvre sans cohésion. Cette cohésion accepte les contradictions, mais les domine. Ce qui caractérise la forme, c’est de donner dans l’ici et maintenant la totalité des moments de l’œuvre, la totalité des déterminations, significations intégrées et dépassées. La forme c’est l’objet concret, produit d’un travail, donné avec son contenu dans l’œuvre. C’est la simultanéité, la contemporanéité des moments donnés ensemble. L’analyse intellectuelle peut les déconstruire, les dissocier, mais l’œuvre est d’abord cohérence, cohésion. C’est une construction qui se donne à travers sa forme. L’œuvre est ouverte. On peut la déconstruire. On peut reconstruire sa genèse, sa technique, sa place et sa date, c’est-à-dire la décoder selon diverses grilles de lecture, mais l’œuvre reste d’abord une présence. Le savoir qui voudrait supplanter cette présence détruirait l’œuvre. H. Lefebvre a tenté de faire avancer une théorie de la forme (notamment dans Logique formelle et logique dialectique ou encore dans Le droit à la ville). Le terme de forme est d’un emploi commun. Mais en même temps, la notion de forme est confuse. Peut-on choisir une forme ? Est-on conduit à la découvrir à partir d’un contenu ? Se déduit-elle d’une autre forme ? Par dérivation ? Par déformation ? Par détournement ? Trouve-t-on le contenu à partir de la forme ? D’un point de vue théorique, on peut distinguer la forme logique pure des autres formes. Le référentiel logique a la plus grande importance. Il persiste dans l’effondrement des formes non formelles. Le principe d’identité : A =A est la forme logique pure. Mais cette identité pose problème. Il faut distinguer l’identité abstraite de l’identité concrète. Cette dernière est une chose ou un être qui se maintient, qui persévère dans son être. Il se reconnaît dans le devenir. Or, bien que je sois le même, je ne suis plus aujourd’hui exactement le même que celui que j’étais hier. L’identité concrète se différencie de l’identité abstraite. Dans l’économie, dans la politique, dans le jeu institutionnel, le principe d’équivalence joue un rôle considérable dans le monde de la marchandise. Il s’applique partout. Il réduit les identités concrètes à des identités abstraites. Il abolit les différences dans un processus d’homogénéisation générale. La forme mathématique se caractérise par l’égalité. La forme contractuelle par la réciprocité… Dans les contrats, les contenus peuvent être différents, mais la forme reste identique. Il y a une multitude de contrats de travail, de contrats de mariages, de contrats de vente… Mais ils ont tous une forme en commun : la réciprocité. Cette réciprocité postule une égalité formelle entre les parties. Ce postulat est évidemment faux. Les parties contractantes ne sont que très rarement en position d’égalité… Au niveau de l’art, les formes esthétiques se distinguent des autres formes. Elles dépendraient de leur contenu, mais quel est ce contenu ? Comme nous l’avons vu, il incorpore à la fois du vécu, des représentations acceptées ou refusées, des idéologies, une influence de la tradition et de l’histoire de l’art, l’esprit du temps, du milieu, etc. Mais dresser cette liste ne permet pas d’élucider la question. Les formes esthétiques sont-elles à démultiplier en fonction de la diversité des œuvres, ou au contraire doit-on les ramener à certains caractères limités (symétrie et dissymétrie ; effets, figures) ? On voit bien qu’il existe un moment de la forme et que celui-ci est extrêmement divers en fonction des contextes, des situations, des milieux. La réflexion de H. Lefebvre peut s’inscrire ici dans une tradition, davantage celle de la phénoménologie plutôt que celle de la psychologie de la forme. L’œuvre d’art comme unité, comme totalité rassemblant des éléments éparts, avait déjà été utilisée comme métaphore par Maurice Merleau-Ponty, lorsqu’il cherchait à donner une idée de l’unité et de la synthèse du corps propre. Il parlait de la poésie comme quelque chose de plus que la somme de ses parties : « … La poésie, si elle est par accident narrative et signifiante, est essentiellement une modulation de l’existence88. »
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90 Dans La production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974, 4° édition : 2000 ...
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93Le moment de la présence et de l’absence. Au moment de la conception de l’œuvre, l’absence apparaît lorsque l’artiste prend ses distances avec les matériaux qu’il a rassemblés. Le créateur a besoin de prendre du recul par rapport à ce qu’il a déjà produit ou amassé : expériences, techniques, souvenirs, projets. Sa pensée prend alors la posture du rejet, de la critique, de la confrontation, de la négation. Le travail exige du recul, des blancs, des vides… Survient alors l’objet. Celui-ci figure-t-il dans le tableau ? N’est-il que suggéré ? « Dans la peinture, comme dans la poésie, l’objet s’invoque, s’évoque, se convoque. Il devient actuel, donc présence, autre face de son absence, puisqu’il ne peut être là en personne89. » Le travail de construction et d’élaboration de l’œuvre consiste à articuler les parties au tout. On peut distinguer les œuvres qui se déroulent dans le temps (musique, poésie, théâtre) et celles qui se déploient dans l’espace (peinture, architecture). Dans les deux cas, l’art consiste à proposer une simultanéité formelle de l’espace et du temps. Les procédés de composition (annonce du thème, exposition, répétition, reprise, leitmotiv, etc.) aident à produire l’impression de simultanéité. Ils créent une sorte d’espace de l’œuvre. De même, l’œuvre qui se déploie dans l’espace joue de la temporalité. Même en architecture, il existe des rythmes pour les yeux qui suivent la forme, des renvois de la partie au tout, des correspondances, des détails qui attirent l’œil dans une promenade qui s’inscrit dans une certaine temporalité. Dans Le droit à la ville, H. Lefebvre a décrit cette simultanéité de l’œuvre. La ville se caractérise comme la rencontre et le rassemblement de tout ce qui caractérise une société : produits et œuvres. Ainsi, elle est de l’ordre du « méta ». Elle est l’œuvre suprême90. Comment aborder la ville ? Par l’extérieur, par le dessus (en avion) pour permettre une saisie de la globalité, de la trame des rues et des avenues ? Par l’intérieur, par le détour des rues ? Cette hésitation explique la difficulté, parfois, à entrer dans une œuvre. Comment l’approcher ? On hésite. On cherche. Et puis, tout d’un coup, il y a pénétration. Une sorte d’insight. Le point d’entrer a quelque chose d’arbitraire. L’exploration de l’œuvre n’a pas grand-chose à voir avec sa genèse. Entrer dans l’œuvre suscite la joie, la jouissance qu’offrent la perception et la conscience de cette présence. Les grands artistes sont parvenus à tenir en même temps la présence et l’absence. L’œuvre, c’est la tragédie qui fait exister un héros, un dieu ; c’est un poème qui évoque un être cher mais perdu, lointain, amé ou haï. L’architecture fait aussi exister des événements ou des personnes disparues. Elle évoque des victoires (plus que des défaites), des disparus (statues ou tombeaux), la divinité (temples ou églises). Elle suscite une présence… La pièce théâtrale, elle aussi, permet de susciter la coprésence : celle de l’auteur à l’œuvre, celle de l’œuvre à l’acteur ou au metteur en scène, celle de l’acteur au public. Alors que le producteur ou le politique cherchent à réaliser les représentations, le créateur joue des représentations. Ils les utilisent, mais les dépassent. Ils ne rejettent pas les illusions, mais s’en servent. L’auteur, l’acteur jouent des apparences sans se laisser attraper, ni duper. L’acte créateur passe à travers le monde des représentations qu’il soumet à l’épreuve de l’action poïétique. « L’œuvre a de dures contraintes : permettre et même exiger cette transversalité qui se retrouve dans toutes les stratégies ; celles-ci ne s’en tiennent jamais à une donnée, à un secteur, à un domaine, encore moins à une opinion, à une interprétation, à une perspective91. » Le processus de réalisation implique une attitude critique (qui n’a pas besoin de s’expliciter en tant que telle dans une théorie ou un savoir critique). Représentations de la nature, du sexe, du pouvoir, de la vie et de la mort sont passées au crible. L’action poïétique, par le biais de la couleur, d’un dessin, d’une mélodie choisit les représentations qui permettent de susciter la présence. Le moment de la représentation traverse, dépasse au sens dialectique en surmontant ce qu’il y a d’incertain, de glissant, de superficiel dans le rapport « représentation-représenté-représentant ». Le travail du négatif ne se confond pas avec le non-travail (une pure contemplation).
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92 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
94Le moment de la centralité. « L’œuvre concentre pour un moment, le sien, les intérêts et les passions92. » L’œuvre condense des sentiments, des affects, des sensations, des impressions, des représentations. Mais la totalité s’organise autour d’un centre. Il peut s’agir d’une émotion, d’une représentation choisie. Le concept de centre se retrouve dans l’action, dans la connaissance de la nature, du social et du mental. L’œuvre se centre. Chaque partie s’articule à l’ensemble. Sans être un organisme naturel, cet ensemble, totalité de l’œuvre, a un caractère organique. Il y a une vie entre la partie et le tout. Cette vie s’organise à partir du centre. Celui-ci peut se déplacer. Il peut se dissimuler. Mais il est présent. Du centre dépendent des périphéries qui évoluent à partir de lui de manière durable ou momentanée. Ce centre est le point nodal de l’œuvre. Centre et périphéries font partie de la composition de l’œuvre.
95Le moment du quotidien. Le créateur d’œuvre n’échappe pas au quotidien. Il lui faut une demeure, un lieu, un espace où il puisse manger, dormir, travailler. Mais, à la différence des gens du sens commun, le créateur ne se laisse pas engloutir dans le quotidien. Il se l’approprie, mais s’en dégage. Il tire du quotidien les représentations dont il a besoin, mais il crée une distance par rapport au quotidien. Le philosophe vit aussi ce destin, mais il a tendance à s’installer dans cette distanciation. L’artiste, lui, ne s’installe pas dans la distance au quotidien. Il construit son espace d’action poïétique. Ainsi, il profite des phases de distanciation pour entrer en contact avec d’autres œuvres, avec d’autres influences. Cependant, il y a une proximité entre le créateur d’œuvre et le philosophe, mais ils ne le savent pas. Il en est de même du rapport au social. Le créateur d’œuvre, comme le philosophe, sont ancrés dans le social. Ils y sont immergés, mais dans leurs phases créatrices, ils ont tendance à s’installer dans un espace extra-social. À la manière des amants, des passionnés, des délinquants. Cette dissociation vécue entre le social et l’extra-social rend le créateur d’œuvre suspect. On ne voit pas comment on peut cohabiter dans deux continuités simultanément : la pratique sociale et l’action poïétique.
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93 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
96Le moment utopien « Il va de soi que ces moments ne se succèdent pas dans le temps, encore que la contemplation, la compréhension, la saisie d’une œuvre réclament du temps. L’ordre des moments n’est pas déterminé d’avance ; il change selon l’humeur de celui qui perçoit et reçoit l’œuvre. Le commencement (le moment premier) a quelque chose d’arbitraire ; et cependant tous les moments sont là, présents dès le début, offerts et pour ainsi dire disposés et disponibles93. » Entrer dans une œuvre, c’est découvrir un pays où règne une utopie. En effet, il y a toujours dans une œuvre le moment de l’utopie. L’artiste a imaginé. Il a perçu le possible et l’impossible, le prochain et le lointain. Il se dégage du réel. Il propose une autre façon de voir, de percevoir, de vivre. Il définit une liberté, un destin, une raison ou une déraison. Bref, il suscite la présence et l’absence. Il invite à un accomplissement, un épanouissement.
97Les moments critiques. L’œuvre peut renvoyer à une crise, à un pathos. En elle-même, elle est le dépassement des contradictions, des crises, des épisodes critiques. Mais le récepteur de l’œuvre, sans forcément entrer dans la biographie du créateur, peut entrer en contact avec ces moments critiques qui sont contenus dans la création, même s’ils ont été dominés. Le moment critique est souvent pathétique. Il est au cœur du drame, de la souffrance que l’ethos du récepteur comprend en le dominant.
98Les moments du jeu et du sérieux. Dans l’action poïétique, créatrice de présence, il y a une imbrication du moment du jeu et du moment du sérieux. Faire une œuvre nécessite une discipline, une organisation de l’emploi du temps, un projet. C’est l’aspect sérieux. Mais en même temps, l’œuvre est une aventure, c’est un jeu dans lequel on rencontre, comme dans tous les grands jeux, des embûches, des obstacles qu’il faut lever ou contourner pour avancer. Le jeu, comme l’amour ou la fête, est occasion de gratuité, d’énergie surabondante, de gaspillage de ressources et de temps. Mais le jeu est aussi beaucoup plus. Le jeu comporte un enjeu, et donc un risque. Chaque tentative créatrice, le long du trajet, risque beaucoup : échec, abandon, blocage en chemin. Comme dans le jeu, il y a une règle que le créateur se donne au départ. Pour arriver à destination, il faut surmonter les obstacles, les forces adverses. On les prend de front ou on les contourne. Cela demande une stratégie et une tactique. La tactique permet d’utiliser les ressources rencontrées sur le parcours pour avancer dans la voie dégagée par la stratégie. Mais parfois, il faut réviser ses plans de départ. Ainsi, il y a constamment présent dans le travail de l’œuvre une posture rigoureuse, sérieuse qui maintient le cap, mais sans que cela ait quelque chose à voir avec l’esprit de sérieux, lourd, cérémoniel. Pour cheminer, le créateur exécute des figures dansantes.
94 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des repr...
« Le moment du jeu implique non seulement le risque, mais le hasard (chance ou malchance), l’ouverture, l’aventure, la découverte de l’inconnu et peut-être du mystère. Le moment du sérieux implique l’inquiétude, la découverte de l’enjeu et de son importance94. »
99Ainsi, la théorie des moments décompose et recompose l’œuvre.
Conclusion
100Le concept d’œuvre chez Lefebvre est un domaine en soi. Il est extrêmement vaste. Nous n’avons fait que l’effleurer ici, en nous appuyant sur quelques ouvrages essentiels (La présence et l’absence, La production de l’espace). Même si nous l’utilisons ici, nous n’avons pas épuisé les ressources de La somme et le reste, dans ce domaine de l’œuvre. Une exploration plus approfondie du travail de l’œuvre chez H. Lefebvre mériterait un colloque. Nous espérons pouvoir développer ce chantier dans les mois et années à venir. Nous complétons cette approche d’une bibliographie des ouvrages d’H. Lefebvre. Sa lecture montre que de nombreux ouvrages ayant trait à l’œuvre, et que nous n’avons pas utilisés (Pascal, Pignon…), seraient à analyser pour rendre notre approche exhaustive.
Notes
1 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef, 1959, p. 275. L’auteur ajoute : « Le labyrinthe me paraît aussi rationnel, plus dialectique, plus vivant et en définitive plus agréable que la route droite, qui d’ailleurs n’existe que sur le papier. Et puis il y a Ariane. »
2 Cela explique en partie comment H. Lefebvre a inspiré nombre de sociologues, mais cela explique encore que si certaines de ces intuitions ont été reprises (véritable pillage par petits bouts), l’intégralité de sa démarche reste mal connue. C’est l’ensemble de la théorie de l’œuvre et la globalité du projet « lefebvrien » que nous aimerions restituer ici.
3 H. Lefebvre, Au-delà du structuralisme, Paris, Anthropos, 1972.
4 H. Lefebvre, Critique de la vie quotidienne : de la modernité au modernisme, T2, Paris, L’Arche, 1981, p. 27.
5 L’espoir d’H. Lefebvre est de retrouver un mouvement dialectique, « tel que l’œuvre traverse le produit et que le produit n’engloutisse pas la création dans le répétitif. » H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 4° éd., 2000, p. 93
6 « Un chef d’œuvre du mode de production étatique, c’est d’avoir rendu la bêtise fascinante, la stupidité attrayante, la passivité reposante. Comment et où ? Dans les chansons, dans les cinémas et la télévision, dans ces longues files d’attente que la bureaucratie excelle à produire. Ce qui attire ? Ne rien faire. Ne rien dire et parler pour rien. Laisser faire. Qui ? « Ils », les compétents, les experts, les spécialistes, les gens au pouvoir. Pas le moindre effort ; ce qui succède à l’idéologie du travail et de la productivité sans d’ailleurs les interdire. On a le choix. Serait-ce le non-travail ? C’est surtout la Non-Œuvre, par la « pure » image, la « pure » pensée. Par le spectacle, Non. Le spectacle tragique ou comique, entre autres, le théâtre, eut sa grandeur et son action. Il s’agit maintenant de la « pure » passivité et du « pur » désintéressement de la Non-Œuvre. Dernier acte, épisode actuel : la réduction du connaître à l’informationnel, la transformation de ce qui fut le « sujet » en émetteur et récepteur d’informations… » H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, pp. 190-191.
7 Dans Contribution à l’esthétique, datant de 1953, H. Lefebvre attribue à « la sociologie » (il critique à la fois les historiens de l’art, les philosophes et les esthéticiens), le rôle d’étudier les tentatives nouvelles d’expression en art. Si la peinture de chevalet est révolue, l’art de la grande fresque sociale est prématuré. Il dénonce le courant du « réalisme social » comme idéologie appliquée et démontre par des exemples pris dans le passé que l’art n’est pas au service d’une idéologie (alors que lui-même à l’époque est au PCF). Il analyse comment l’artiste « s’adresse directement –sans concept, bien que l’œuvre enveloppe concept et idées- » au public (il n’y a pas lieu de séparer les activités de création de celles de réception), il se passe de concepts, mieux « les traverse sans s’y arrêter ». Le créateur n’est ni au service de l’action (politique), ni au service de la connaissance. Que l’art soit expression d’une conception du monde, certes, mais il ne peut être réduit qu’à cela. « Il y a dans l’histoire de l’art, des « introducteurs de réalités » dans et par l’œuvre desquels une réalité nouvelle ou jusqu’alors inaperçue fait irruption dans l’art, et trouve (plus ou moins vite, plus ou moins bien), son expression » (p. 22). L’activité créatrice est intéressante donc à étudier pour le sociologue, en cela qu’elle condense en un « objet » à la fois « du nécessaire et de l’imprévu ».
8 Chez H. Lefebvre, l’étude de l’œuvre est toujours rapportée au contexte social dans laquelle elle émerge, en cela il fait de la sociologie, mais ce sur quoi il insiste c’est la part de liberté du créateur pour que l’œuvre existe en tant que telle. Quand il analyse une œuvre singulière, il le fait avec une extrême délicatesse pour que son analyse ne soit ni réductionniste ni sociologiste « Dès lors, rendre compte d’une œuvre d’art implique probablement de se munir d’une multitude d’approches, sociologiques certes, mais aussi de toutes les autres susceptibles de mieux comprendre l’œuvre. » A. Quemin, « Quelques remarques sur l’intérêt et les limites d’une sociologie des œuvres », in Vers une sociologie des œuvres, tome 2, L’Harmattan, 2001, p. 447.
9 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 243.
10 H. Lefebvre, Contribution à l’esthétique, Paris, Anthropos, 2001, p. 74. (Première édition, 1953)
11 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 351.
12 Pour l’auteur, la visibilité est une figure classique de l’intelligibilité en Occident. Les notions d’opacité et de transparence des représentations s’enchaînent à cette figure.
13 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 92.
14 « La prédominance de l’abstrait dans l’art moderne accompagne l’extension du monde de la marchandise et de la marchandise comme monde, ainsi que le pouvoir sans limites de l’argent et du capital, tout à la fois très abstrait et terriblement concret. L’œuvre abandonne ainsi son statut antérieur : proximité et même imitation de la nature ; elle se détache et se dégage du naturalisme. » H. Lefebvre, Critique de la vie quotidienne : de la modernité au modernisme, Paris, L’Arche, 1981, p. 52.
15 H. Lefebvre, Contribution à l’esthétique, Paris, Anthropos, 2001, p. 22. (Première édition, 1953)
16 « Quelques heures de piano par jour, pendant certaines périodes, par saccades ou par caprice, avec de longues interruptions (pendant la guerre notamment) ne m’ont même pas donné un talent d’amateur. Et pourtant, je crois savoir un peu ce qu’est la musique. Je me trouve vis à vis d’elle, dans la même situation que vis à vis des mathématiques. Je lui attribue la plus grande importance. L’ignorance en matière musicale de Marx et d’Engels m’a toujours étonné et choqué (leurs œuvres abondent en notations sur la littérature). Cette seule constatation m’aurait évité le dogmatisme de ceux qui ont cru tirer de Marx une esthétique marxiste, fragment du « système », alors qu’on ne peut prendre chez lui que quelques indications valables dans une théorie de l’art qui analyserait dialectiquement et concrètement la pratique créatrice d’art. Je suis également tout aussi surpris, aujourd’hui de l’attitude de Lukacs et de celle de M. André Malraux, qui semble ignorer et dédaigner la musique… Or les études contemporaines sur la musique me paraissent mettre en évidence un double caractère : l’historicité de la musique, et l’inéluctabilité de l’œuvre musicale à ses conditions (historiques, psychologiques, philosophiques, etc.). H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef, 1959, p. 270.
17 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef, 1959, p. 280.
18 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 427.
19 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef, 1959, p. 281.
20 H. Lefebvre, Critique de la vie quotidienne : de la modernité au modernisme, Paris, L’Arche, 1981, p. 117.
21 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 218.
22 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 243.
23 « Seul peut-être, Shakespeare atteignit au théâtre le « total », en ne laissant de côté aucun élément. » H. Lefebvre, « Musset », Paris, L’Arche, 1970, p. 95 (première édition, 1956).
24 H. Lefebvre, La somme et le reste, Paris, La Nef, 1959, p. 164-165.
25 Dans La somme et le reste, il explique que c’est la personnalité de Breton qui l’a dissuadé de participer au groupe. Il est ami d’Éluard jusqu’à sa mort, il lui dédie son livre sur Rabelais, car il a su apprécier et faire rééditer ses poésies. Éluard a vu en Rabelais un « clarificateur ». Au sujet de la poésie, il écrit: « Le surréalisme apparaît autrement, qu’il ne parut voici un demi-siècle. Certaines prétentions ont disparu : la substitution de la poésie à la politique et la politisation de la poésie, l’idée d’une révélation transcendante. Cette école de littérature ne se réduit cependant pas à la littérature (qu’initialement elle honnissait) donc à un simple événement littéraire lié à l’exploration de l’inconscient (l’écriture automatique), d’allure subversive au début, récupéré ensuite par tous les moyens : les gloses, les exégèses et commentaires - la gloire et la publicité, etc. Les principaux surréalistes tentèrent le décryptage de l’espace intérieur et s’efforcèrent d’éclairer le passage de cet espace subjectif à la matière, corps et monde extérieur, ainsi qu’à la vie sociale. Ce qui confère au surréalisme une portée théorique inaperçue au début. Cette tentative d’unité, annonçant une recherche par la suite obscurcie, se décèle dans l’amour fou d’André Breton… Toutefois, les limites de l’échec de cette tentative peuvent aussi se montrer. Non qu’il manque à la poésie surréaliste une élaboration conceptuelle en exhibant le sens (les textes théoriques, manifestes et autres, du surréalisme ne manque pas et l’on peut même se demander ce qui reste du surréalisme sans cette surcharge). Les défauts inhérents à cette poésie vont plus profond. Elle privilégie le visuel au-delà du voir, se met rarement « à l’écoute » et curieusement néglige le musical dans le « dire » et plus encore dans la vision « centrale ». H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, pp. 26-27.
26 « La mimésis s’établit dans le factice, le visuel, l’optique privilégiée absolument, en y simulant la nature primaire, l’immédiat, la corporité. » H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 434.
27 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 8.
28 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 23-24.
29 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 16.
30 Il cherche a situé le concept en indiquant ses limites. Le statut qu’il attribue au concept est : « Incertain, indispensable, éclairant le passé, le présent et l’avenir, sans fondement assuré, sans fétichisation à la manière de Hegel. Sans valeur de vérité totale. Relativisé en un mot. Mais le concept ne se donne pas dans la lecture. Ce n’est pas un cas de figure dans les textes. C’est lui qui permet la lecture, la textualité, les significations et les sens ». H. Lefebvre, Qu’est-ce que penser ?, Paris, Publisud, 1985, p. 65.
31 Cf. un long passage, où H. Lefebvre critique à la fois les auteurs voulant revaloriser l’œuvre au sens classique du terme, et les nostalgiques d’un passé révolu, qui se plaignent de la consommation et du quotidien programmé : « Jadis, seuls les maîtres consommaient. Il faut savoir ce que l’on pleure », et « l’hyper-criticisme » qui a contribué au désenchantement de l’œuvre, sans voir la puissance des représentations (plus modérés par des référentiels) à notre époque. Il est aussi méfiant vis-à-vis des tentatives de ré-enchantement de l’œuvre (romantisme, surréalisme). Il s’agit de rendre fécond, « ce legs du passé » qu’est le concept d’œuvre. H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, pp. 187-188.
32 « Les représentations ne peuvent passer seulement pour des travestissements du réel et du vrai, pour des masques, pour des mascarades, comme dans la théorie habituelle des idéologies ». H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 53.
33 « Dès que la raison se veut et se dit « pensée », dès que la pensée cherche à n’avoir affaire qu’à elle-même. Et c’est ainsi et c’est alors qu’elle se perd. Elle oscille, elle fluctue entre le pur et l’impur, entre le sujet et l’objet, quitte ensuite à les dissoudre dans l’être ou le néant. Elle flotte entre le reflet et l’entité, entre le « je pense que je pense que je pense… », et l’objet absolu, l’idée, l’essence, le noématique. » H. Lefebvre, Qu’est-ce que penser ?, Paris, Publisud, 1985, p. 13.
34 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 60.
35 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 78.
36 Les médias fabriquent des représentations, les sociologues se donnent pour mission d’étudier les représentations collectives et des artistes (cf. Arthaud et son théâtre de la cruauté) cherchent à les dépasser, pendant que les philosophes critiquent les représentations de leur époque, cherchent aussi à en sortir. Peut-on détruire les représentations ? H. Lefebvre pense l’entreprise impossible. « Entreprise délirante. Que reste-t-il ? Comment sans se la représenter comprendre et vivre une situation ? Et la changer ? Comment percevoir le possible ? … Comment vivre au nom d’une vérité qui d’abord consisterait dans le meurtre des représentations ? Si on abolit les représentations, les seules certitudes qui persistent sont la mort et le néant. » H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 63.
37 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 23.
38 Quand tous les grands référentiels comme les Beaux Arts, le Vrai en philosophie, Dieu, le sujet ou la réalité, s’effondrent, H. Lefebvre insiste sur la nécessité de trouver une théorie pour avancer dans la réflexion.
39 « Il y a un monde des représentations, dans la modernité, il se définit par les mêmes traits que le savoir, la société, la pratique, les rapports de production, l’espace : à la fois homogène et fragmenté. » H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 78.
40 H. Lefebvre, dans un petit livre posthume, Les unités perdues, Paris, Éditions Virgile, 2004, fait une liste d’œuvres disparues, détruites, ou jamais terminées. Il s’agit de fragments d’œuvres, tout cela montre l’extrême fragilité et fugacité des œuvres.
41 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 24.
42 H. Lefebvre, Contribution à l’esthétique, Paris, Anthropos, 2001, p. 15 (première édition, 1953)
43 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 225-226.
44 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 197.
45 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 35.
46 « Ce qui permet de comprendre le caractère paradoxal des représentations ; ce ne sont pas des « faits sociaux » analogues à des choses, car elles ne détiennent pas une consistance propre. Pourtant, elles ne peuvent se concevoir comme des « faits psychiques », bien qu’elles motivent les actes, car elles ne surgissent que dans des relations ; elles ne sont pas intérieures au « sujet » par essence, car elles contribuent à constituer le « sujet » (l’individu social) ; elles le traversent. Seraient-elles des « faits de langage » liés aux mots et significations ? Certes, elles ont pour support le discours, mais l’erreur déjà signalées consisterait à n’étudier que le langage (et non les actes) pour les saisir. Ce qui mènerait à analyser par exemple le discours sur la sexualité et non le vécu sexuel, ou encore le discours sur le travail et non le vécu du travail pour le porter au concept. » H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, pp. 177-178.
47 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 88. « Une société consiste bien en une hiérarchie de jugement de réalité et de moralité, en une architecture de représentations et de valeurs se réalisant dans une pratique » (p. 70).
48 Les mots traduisent, trahissent, se renouvellent et s’usent… Le fameux « changez la vie », formule subversive au départ, va dans le temps se dégrader, s’affadir, se banaliser et finalement être utilisé de multiple façons avec comme conséquence de perdre sa force initiale. (Il y aurait à comprendre les différences de représentation entre transformation, innovation, création, avec le tout dernier de L. Jospin cet été « novation »). « Nommer, c’est créer, mais les plus beaux mots se perdent et se salissent », cf. Nietzsche, cité par H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 44.
49 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, pp. 215-218.
50 L’analyse sociologique de l’œuvre qui se contenterait de recueillir les diverses représentations suscitées par l’œuvre ne fait que répéter les diverses représentations de son temps. Tel qu’H. Lefebvre, envisage le concept d’œuvre comme traversant les représentations, cela permet de sortir de cette tautologie.
51 « La variété des présences est infinie. Ceci dit, la présence ne devient jamais une substance. Elle se donne dans une forme et un contenu, elle n’est ni fixe, ni définitive. C’est un moment qui arrive soit par irruption, soit par imprégnation (cf. l’éducation), soit par un choix volontaire qui implique un risque (celui de l’échec, de la poursuite vaine et de la fin du moment de présence). Il s’agit de prendre le risque de rencontrer l’œuvre dans un moment de présence qui comble alors l’attente. Il y a de la présence dans l’œuvre, l’amour et le concept. La présence comme la création peuvent se simuler aussi ». H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, pp. 226-232.
52 « L’homme nu en proie aux signes, au vampirisme des mots et des choses ? Non. L’homme moderne en proie à l’absence. Paradoxe surprenant entre tous : l’échange, la communication, l’information, les discours continuels, le discours sur le discours, ont dénudé cet « homme » sans essence, ni définition générique, l’ont dépouillé de la nature, de l’usage… La disparition des références, l’éclatement de l’unité vécue et conçue, la prédominance des représentations le laissent en proie à une absence mal ressentie comme telle et pleine de ressentiments. » H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, pp. 229-230.
53 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 25.
54 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, pp. 189-190.
55 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 192.
56 « Il n’y a aucune raison de séparer l’œuvre d’art du produit jusqu’à poser la transcendance de l’œuvre. » H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 93.
57 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 91.
58 « Peut-être l’espace des plus belles villes naquit-il à la manière des plantes et des fleurs, dans les jardins, c’est-à-dire d’œuvre de nature, uniques bien que travaillées, par des gens très civilisés ? » H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 90.
59 « Il serait absolument inexact de prêter à maître Alcofribas et à ses personnages quelque chose de chaotique et de larvaire. De primitif. Au contraire, par ses types comme par sa langue, Rabelais fut un clarificateur ; Éluard l’a admirablement compris dans la brève note où il le présente comme poète (« Première anthologie vivante de la poésie du passé », I, p. 263). Mais quatre siècles d’histoire rendent parfois indispensable de clarifier le clarificateur et de le présenter clairement comme tel. » H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 31, (première édition, 1955). « L’exploration du réel par l’imagination, l’enthousiasme et le rire, lui permit de départager l’illusoire (le religieux, l’occulte, le proprement mythique) du possible. Ne confondons pas la richesse titanique avec la confusion. Dans une tradition prodigieusement complexe entre deux époques –entre deux modes de production- Rabelais eut le génie d’un clarificateur. Il plongé dans le passé en rejetant le dépassé, en apercevant le possible. Il parvint non seulement à exprimer son temps, c’est-à-dire à le formuler, et à agir sur lui dans le sens du possible le plus lointain mais à aller au-delà, dans le sens du possible le plus lointain et le plus grandiose – le règne de la Liberté. » Ibid., p. 214.
60 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 19
61 Rabelais est un homme des frontières donc celui qui a le plus de chance d’œuvrer. Il a des racines paysannes réelles (ce qui l’ancre dans le bon sens) et à la fois appartient à une fraction de classe bourgeoise naissante. Il a fait des études à Lyon, Paris Sorbonne, Montpellier. Il est cultivé et connaît la culture de son temps (voyage en Italie ; et il connaît Léonard De Vinci). H. Lefebvre dit de lui que c’est « un individu déjà libre ». « L’homme des frontières suit des chemins qui d’abord surprennent, deviennent ensuite des routes et passent alors pour évidences. Il chemine le long des lignes de partage des eaux et choisit la voie qui va vers l’horizon. » H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 203.
62 « Nous admirons chez Rabelais une des plus parfaites réussites de l’art : une telle unité du contenu et de la forme que seule l’analyse a pu les séparer pour ensuite mieux montrer leur union. » H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 211.
63 « S’agit-il de rendre aux hommes du XX° siècle les yeux et l’intelligence d’un homme du XVI° ? S’agit-il de nous rapprocher de Rabelais –du passé en général- en abolissant par la pensée le temps écoulé, les événements et les changements ? Ainsi posé le problème est insoluble… Jamais nous ne percevrons l’espace comme eux, et jamais nous ne sentirons et subirons le temps comme les hommes qui n’avaient ni montres, ni routes, ni moyens rapides de locomotion… Du XVI° siècle quelque chose nous échappe, et jamais notre conscience, reflet de notre temps, ne pourra complètement s’identifier avec une conscience du XVI° siècle, reflets d’autres conditions, d’autres rapports humains, d’autres événements. Et cependant là n’est pas la question essentielle ; nous en savons plus qu’eux-mêmes sur les gens de ce temps ; car nous savons où ils allaient eux, sans le savoir ! » H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, pp. 9-10.
64 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 192-193.
65 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 194-195.
66 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 26.
67 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 198.
68 Cf. un long passage H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 184- 191 très important à résumer qui démontre la théorie de l’œuvre et d’une certaine façon sa source
69 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 197.
70 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 14.
71 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 184.
72 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 22.
73 H. Lefebvre, Rabelais, Paris, Anthropos, 2001, p. 183.
74 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 191.
75 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 188.
76 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 197. Pour l’auteur, le conçu et le vécu se nourrissent l’un l’autre. Les représentations permettent une médiation entre les deux, Ainsi certaines représentations transforment à la fois le conçu et le vécu. Ce sont celles qui se solidifient. Alors que d’autres représentations disparaissent sans laisser de traces.
77 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 9.
78 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 198. « Le vécu ne coïncide pas avec le singulier, avec l’individuel, avec le subjectif, car les rapports sociaux sont aussi vécus avant d’être conçus ; il y a du vécu social lié à l’individuel mais différent de sa singularité. La médiation ne peut, allant vers le vécu, que se laisser emporter par le flux héraclitéen, pour émerger ensuite vers la lucidité. Ce qu’indiqua Husserl ; ce devant quoi n’hésitèrent pas Bergson et ses disciples mais en se fiant exagérément à l’immédiat, en se défiant exagérément du savoir et du discours, en s’immergeant dans le vécu et en refusant la remontée. Il y a des gens qui en viennent à penser que le vécu c’est l’informe et le fluide, donc le sang, la boue, la merde et le sperme. Ce qui suscite non sans raison le dégoût des gens raisonnables, partisans à juste titre de la forme et des formes » (p. 198).
79 Des réflexions contemporaines comme l’épistémologie, la logistique, la phénoménologie ou la psychanalyse entre autres ont une tendance à privilégier un axe, un centre au savoir autour desquels viendraient se concentrer les acquisitions. Chemin faisant, elles ignorent la collusion entre savoir, avoir et pouvoir. « L’état moderne accapare le savoir ; quand il ne le commande pas il le filtre et l’intègre. » H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 198.
80 « Le concept doit prendre des précautions avant de s’approcher du vécu. Que celui qui emploie des concepts mettent des gants de velours. Que l’homme de science apprenne à respecter le vécu, si petit, si humble soit-il devant l’énorme masse de savoir accumulé. » H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 198.
81 « Or « la nature » (quelles que soit sa définition philosophique) et ses rythmes, l’usage et le vécu du corps, restent les fondements de la présence. » H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 181.
82 H. Lefebvre, Critique de la vie quotidienne : de la modernité au modernisme, T2, Paris, L’Arche, 1961, p. 219.
83 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 183.
84 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 191.
85 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, pp. 199-200. L’auteur poursuit : « Quand le rapport conflictuel penche vers la prédominance du savoir et de la technique, alors naissent des formes sophistiquées, du maniérisme, qui souvent donne l’illusion soigneusement ménagée du spontané, de l’irrationnel, voire de l’absurde. Lorsque s’accorde le vécu et le savoir, s’agit-il de dire le vécu, de l’exprimer ? Non. L’œuvre d’art et l’artiste se proposent de l’exalter, voire de le transfigurer.
86 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 203.
87 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 207.
88 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945, p. 176.
89 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 210.
90 Dans La production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974, 4° édition : 2000 (pp. 89-96), H. Lefebvre réfléchit à cette question : la ville est-elle une œuvre ? Contrairement au point de vue défendu dans l’ouvrage que nous abordons ici, il a tendance à répondre non dans la mesure où l’intention, le projet initial n’existe pas dans la ville.
91 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 213.
92 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 213.
93 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 215.
94 H. Lefebvre, La présence et l’absence : contribution à la théorie des représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 216.
95 Une bibliographie complète des articles d’H. Lefebvre ainsi que de la traduction de ses livres est parue dans la seconde édition de L’existentialisme, Paris, Anthropos, 2001.
Bibliographie
Livres d’Henri LEFEBVRE95
1934
Introduction aux morceaux choisis de Karl Marx, en collaboration avec Norbert Gutterman, Paris, NRF.
1936
La conscience mystifiée, en collaboration avec Norbert Gutterman, Gallimard, 2° édition, Paris, Le Sycomore. 3° éd., Syllepse, 1999, avec une préface de Lucien Bonnafé et une autre de René Lourau ; suivi de La conscience privée, de H. L., introduction d’Armand Ajzenberg.
1937
Le nationalisme contre les nations, avec une préface de Paul Nizan, Paris, éd. sociales internationales, 244 p. ; 2° édition, Paris, coll. “Analyse institutionnelle”, Méridiens Klincksieck, 1988, avec une préface de Michel Trebitsch et une postface de Henri Lefebvre.
1938
Hitler au pouvoir, bilan de cinq années de fascisme en Allemagne, Paris, Bureau d’éditions, 88 p.
Morceaux choisis de Hegel, en collaboration avec Norbert Gutterman, Gallimard.
Cahiers de Lénine sur la dialectique de Hegel, en collaboration avec Norbert Gutterman, Gallimard.
1939
Nietzsche, éd. sociales internationales, seconde édition : Paris, Syllepse, 2002.
Le matérialisme dialectique, Paris, Alcan, édition détruite en 1940 (nombreuses rééditions Presses Universitaires de France à partir de 1947 ; La 7° en 1974, collection “ Nouvelle encyclopédie philosophique ”), puis Presses Universitaires de France, nouvelle édition “Quadrige”, 1990.
1946
L’existentialisme, Paris, Ed. du Sagittaire ; seconde éd. Paris, Anthropos, 2001, précédée de “ La dispute, un art philosophique ”, par R. Hess.
1947
Logique formelle et logique dialectique, éd. sociales. La seconde édition chez Anthropos en 1969 ; 3° édition en 1982 Messidor-Éditions sociales.
1948
Le marxisme, Paris, Presses Universitaires de France, collection “Que Sais-Je ?” n° 300, 128 p., 23° éd., 1990.
Pour connaître la pensée de Karl Marx, Paris, Bordas, (nombreuses rééditions, dont 1956, avec une nouvelle préface).
Diderot, Les Éditeurs français réunis, collection “ Hier et aujourd’hui ”, réédition 1983 sous le titre : Diderot ou les affirmations fondamentales du matérialisme, L’Arche, collection “ Le sens de la marche ”,252 p., 1983.
Pascal, éd. Nagel, tome 1, 240 p.
1953
Contribution à l’esthétique, éd. sociales (traductions en vingt langues, dont le russe), réédition 2001, précédée de “ Henri Lefebvre et l’activité créatrice ”, par Remi Hess, Paris, Anthropos, coll. “ Anthropologie ”.
1954
Pascal, éd. Nagel, tome 2, 255 p.
1955
Musset, Paris, L’Arche, collection “ Les grands dramaturges ”, éd. Revue et corrigée en 1970 collection “ Travaux ”, 160 p.
Rabelais, Paris, Les Éditeurs français réunis, réédition 2001, préface de R. Hess, avant-propos de Christine Delory-Momberger, Paris, Anthropos, coll. “ Anthropologie ”.
1956
Pignon, éd. Falaise, 63 p., (éd. augmentée en 1970, Le Musée de poche, 118 p.).
1957
Pour connaître la pensée de Lénine, Paris, Bordas, 358 p.
1958
Problèmes actuels du marxisme, Presses Universitaires de France (nombreuses rééditions).
Allemagne, Paris-Zürich, Ed. Braun et Cie –Atlantis Verlag, avec des photos de Martin Hurlimann, 222 p.
1959
La somme et le reste, Paris, La nef de Paris, 2 volumes ; 3° éd. augmentée d’une bibliographie internationale de l’auteur et d’une préface de R. Lourau, Paris, coll. “Analyse institutionnelle”, Méridiens Klincksieck, 1989.
1962
Critique de la vie quotidienne, II, Fondements d’une sociologie de la quotidienneté, Paris, L’Arche.
Introduction à la modernité, Paris, Minuit., collection “ Arguments ”, 374 p.
1963
La vallée de Campan, études de sociologie rurale, Paris, Presses Universitaires de France, collection “ Bibliothèque de sociologie contemporaine ”, 2° éd. 1990.
Karl Marx, Œuvres choisies, tome I, en collaboration avec Norbert Gutterman, Gallimard.
1964
Karl Marx, Œuvres choisies, tome II, en collaboration avec Norbert Gutterman, Gallimard
Marx, Paris, Presses Universitaires de France.
1965
Pyrénées, Lausanne, éd. Rencontre, collection “ L’atlas des voyages ”, 192 p. ; 2° éd. : éd. Cairn, Pau, avec une préface de René Lourau, 2000, 204 pages.
La proclamation de la commune, Gallimard, collection “ Trente journées qui ont fait la France ”.
Métaphilosophie, Paris, Minuit, 2° édition Syllepse, Paris, 2001, avec une préface de Georges Labica.
1966
Le langage et la société, Paris, Gallimard, collection “ Idées ”.
Sociologie de Marx, Paris, Presses Universitaires de France, collection “ Sup ” (nombreuses rééditions).
1967
Position : contre les technocrates, Paris, Gonthier.
1968
Le droit à la ville, Paris, Anthropos.
La vie quotidienne dans le monde moderne, Paris, Gallimard, collection “ Idées ”.
L’irruption de Nanterre au sommet, Paris, Anthropos, réédition 1998, éditions Syllepse, sous le titre Mai 68, l’irruption...
1970
La fin de l’histoire, Paris, Minuit, collection “ Arguments ”, 234 p., réédition 2001, avec une note de l’éditeur, par R. Hess, et une présentation de Pierre Lantz.
Du rural à l’urbain, Paris, Anthropos, 3e éd., 2001, présentation de R. Hess.
La révolution urbaine, Paris, Gallimard collection “ Idées ”.
1971
Le manifeste différentialiste, Paris, Gallimard, collection “ Idées ”.
Au-delà du structuralisme, Paris, Anthropos.
Vers le cybernanthrope, contre les technocrates, Paris, Denoël-Gonthier, bibliothèque “ Médiations ”.
1972
Trois textes pour le théâtre, Paris, Anthropos.
La pensée marxiste et la ville, Paris-Tournai, Casterman, collection “ Mutation-orientations ”, 158 p.
1973
Espace et politique, (2° tome du Droit à la ville), Paris, Anthropos, 2° éd., avec préface de R. Hess, 2000.
La survie du capitalisme, la reproduction des rapports de production, Paris, Anthropos. 3° éd. Anthropos, 2002 avec une préface de J. Guigou et une postface de R. Hess.
1974
La production de l’espace, Paris, Anthropos, 4° éd., 2000 (avec une préface de R. Hess).
1975
Le temps des méprises, Paris, Stock.
Hegel, Marx, Nietzsche ou le royaume des ombres, Paris-Tournai, Casterman, collection “ Synthèses contemporaines ”, 224 p.
L’idéologie structuraliste, Paris, Le Seuil, collection “ Points ”.
Entre 1976 et 1978
De l’État, 4 vols. Paris, UGE, collection “ 10/18 ”.
2. L’État dans le monde moderne, 1976.
3. Théorie marxiste de l’État de Hegel à Mao, 1976.
4. Le mode de reproduction étatique, 1977.
5. Les contradictions de l’État moderne. La dialectique et/de l’État, 1978.
1978
La révolution n’est plus ce qu’elle était, en collaboration avec Catherine Régulier, Ed. Libres-Hallier.
1980
La présence et l’absence, Paris, Casterman.
Une pensée devenue monde, Paris, Fayard.
1981
Critique de la vie quotidienne, III, De la modernité au modernisme (pour une métaphilosophie du quotidien), Paris, L’Arche.
1985
Qu’est-ce que penser ?, Paris, Publisud.
1986
Le retour de la dialectique. Douze mots clefs pour le monde, Médissor, éd. sociales, collection “ Théorie ”.
Lukacs 1955, Aubier (dans cet ouvrage figure également un texte de Patrick Tort : Être marxiste aujourd’hui).
Œuvres posthumes :
1991
Du contrat de citoyenneté (en collaboration avec le groupe de Navarrenx), Paris, Syllepse et Périscope.
1992
Éléments de rythmanalyse. Introduction à la connaissance des rythmes, Paris, Syllepse.
2002
Méthodologie des sciences, Paris, Anthropos, 206 pages, présentée par R. Hess.
2004
Les unités perdues, Paris, Éditions Virgile.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Barbara Michel
Université Grenoble Alpes / U.M.R. Litt&Arts – ISA
En 2006, Barbara Michel était membre du Laboratoire de sociologie CSRPC-ROMA (ex EMC2).
Du même auteur
Quelques mots à propos de : Rémi Hess
En 2006, Rémi Hess était membre du laboratoire EXPERICE.