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La langue littéraire et la phrase
Initialement paru dans : La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, sous la direction de Gilles Philippe et Julien Piat, Fayard, 2009, p. 179-234. Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Librairie Arthème Fayard.
Texte intégral
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1 Gustave Flaubert, lettre à Louise Colet, 23 octobre 1851, Correspondance, i...
1En 1967, lorsqu’il se retourne sur la phrase de Flaubert, Roland Barthes situe l’auteur de Madame Bovary (1857) au principe d’un mouvement où « la rhétorique se retire et laisse en quelque sorte à nu l’unité linguiste fondamentale, la phrase » ([1967] 2002, 85). De fait, l’écriture avait toujours été, pour l’ermite de Croisset, difficile, laborieuse ; la Correspondance se fait souvent l’écho d’« abcès du style1 ». À l’origine de ces souffrances, une véritable « religion de la phrase » (Cressot 1938, 152) qui fait de « l’odyssée » de cette même phrase « le roman des romans de Flaubert » (Barthes [1967] 2002, 84) :
2 G. Flaubert, lettre à L. Colet, 13 juin 1852, ibid., p. 105.
J’aime les phrases nettes et qui se tiennent droites, debout tout en courant, ce qui est presque une impossibilité. L’idéal de la prose est arrivé à un degré inouï de difficulté ; il faut se dégager de l’archaïsme, du mot commun, avoir les idées contemporaines sans leurs mauvais termes, et que ce soit clair comme du Voltaire, touffu comme du Montaigne, nerveux comme du La Bruyère et ruisselant de couleur, toujours2.
2En quelques lignes, le lien est nettement établi entre le destin de la prose littéraire et le dessin des phrases.
3Un siècle plus tard, Claude Simon comparera l’expérience de Montès, le personnage du Vent (1957), à la « juxtaposition brutale, apparemment absurde, de sensations, de visages, de paroles, d’actes », comme
3 Claude Simon, Le vent. Tentative de restitution d’un retable baroque, Minui...
des phrases dont la syntaxe, l’agencement ordonné – substantif, verbe, complément – seraient absents. Comme ce que devient n’importe quel article de journal (le terne, monotone et grisâtre alignement de menus caractères à quoi se réduit, aboutit toute l’agitation du monde) lorsque le regard tombe par hasard sur la feuille déchirée qui a servi à envelopper la botte de poireaux et qu’alors, par la magie de quelques lignes tronquées, incomplètes, la vie reprend sa superbe et altière indépendance, redevient ce foisonnement désordonné, sans commencement ni fin, ni ordre, les mots éclatant d’être de nouveau séparés, libérés de la syntaxe, de cette fade ordonnance, ce ciment bouche-trou indifféremment apte à tous usages et que le rédacteur de service verse comme une sauce, une gluante béchamel pour relier, coller tant bien que mal ensemble, de façon à les rendre comestibles, les fragments éphémères et disparates de quelque chose d’aussi indigeste qu’une cartouche de dynamite ou une poignée de verre pilé […]3.
4Dès lors qu’une phrase est censée dire le monde, elle présente un défaut : celui de déformer le réel en le forçant à entrer dans un ordonnancement mensonger, assimilé à la « syntaxe » ; en même temps, il semble bien que la forme même de cette phrase tente de dépasser cette contrainte grammaticale – le chaos du monde s’incarnant dans celui de la grammaire.
5Par-delà leurs différences de positionnement esthétique, par-delà les années qui les séparent, deux des plus grands auteurs du canon situent donc leur travail par rapport à la notion de phrase – ce qui, d’abord, renvoie à une pertinence historique : la remarque de Barthes, mettant au jour l’enjeu linguistique du travail de Flaubert, annonce l’évolution majeure que connaîtra, vers la fin du xixe siècle, la conception du travail de l’écrivain. Désormais, en effet, son domaine privilégié ne sera plus – affaiblissement de la rhétorique oblige – la triade lexique-figures-rythme, mais la syntaxe (voir p. 45-55). Or, la phrase est bien l’unité syntaxique par excellence : pour le Dictionnaire de la langue française d’Émile Littré (1872), c’est un « assemblage de mots formant un sens complet, distingué de la proposition en ce que la phrase est surtout considérée grammaticalement, et la proposition, logiquement » – les grammaires d’aujourd’hui ne disent pas autre chose, et sans doute la phrase définit-elle alors le meilleur point d’observation sur les évolutions communes de la prose littéraire depuis 1850.
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4 La réflexion linguistique a précisément tiré parti de la difficulté qu’il y...
6Et cela d’autant plus que la notion convoque un imaginaire composite, résistant aux débats qui, au xxe siècle, ont opposé les linguistes4. Intuitivement, le terme de phrase renvoie bien à un prototype : cette suite minimale qu’identifiait Claude Simon, « substantif-verbe-complément ». Soit, cependant, ce début de chapitre de L’homme qui rit, chez Victor Hugo (1869) :
5 Victor Hugo, L’homme qui rit, 1869, Œuvres complètes, xiv, Club français du...
Gwynplaine demeura seul.
Seul en présence de cette baignoire tiède et de ce lit défait5.
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6 G. Flaubert, L’éducation sentimentale, 1869, Œuvres, ii, Pléiade, p. 448 ; ...
7Deux lignes, deux alinéas… et, sans nul doute, deux phrases. Certes, la seconde ne correspond pas au prototype syntaxique (elle ne possède pas de verbe), mais elle demeure typographiquement autonome. Or, il semble bien que ce soit là le critère le mieux à même de subsumer l’ensemble des phrases possibles, car lui seul insiste sur la nature fondamentalement écrite du phénomène. Qui plus est, c’est entre une majuscule et un point que l’on peut repérer des écarts avec le prototype – et donc des effets de sens. Ainsi délimitée, la phrase est apte à devenir l’objet de jugements stylistiques : un agencement donné des termes convoquera tel effet ; ainsi bornée, la phrase sera étudiée dans son rapport à celles qui la précèdent, à celles qui la suivent. Ce faisant, c’est aussi prendre acte que la connaissance que l’on a d’un auteur se résume parfois à quelques « phrases », généralement brèves : « Il voyagea » ; « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide »6. Plus rarement, un auteur sera même « réduit » à une caractéristique d’ensemble de sa phrase, comme Proust et sa phrase forcément longue (voir p. 413-421).
8Les enjeux de la phrase littéraire moderne, son travail, dépendent des trois caractéristiques que l’on vient d’évoquer : sa clôture, et à travers celle-ci, sa syntaxe et sa longueur. C’est là que, progressivement, elle rompt avec l’imaginaire de la phrase « classique », où l’idée de clôture était centrale : la période et la sentence composaient certes deux pôles d’organisation rhétorique, mais toutes deux incarnaient l’idéal de la clarté. Or, c’est précisément la pertinence de la clôture phrastique que va questionner la langue littéraire à partir de 1850 : longueur et brièveté changent de valeur. Albert Dauzat remarquait qu’à compter de la Renaissance, « phrase longue [et] phrase courte vont se partager […] la faveur des écrivains, des genres, des époques » (1942, 305) ; mais, pour bien comprendre les enjeux de cette opposition, il faut, mieux qu’il ne le fait, prendre acte de la sortie progressive, à la fin du xixe siècle, d’une conception principalement rhétorique des faits de langue attestés dans la prose littéraire. La phrase ne sera plus une unité syntaxique et sémantique bien close ; les contraintes acceptées auparavant ne le seront plus, même si persiste, on le verra, un horizon moins expérimental, lié à la permanence d’un idéal, celui de la « belle langue ».
La phrase, catégorie et reflet littéraire
9L’attention dont Flaubert témoigne pour la notion de phrase n’est pas celle d’un grammairien ou d’un philologue ; il en parle en « styliste », comme l’attestent ces mots, à propos d’Ernest Renan :
7 G. Flaubert, lettre à Jeanne de Loynes, 7 avril 1879, Correspondance, v, p....
Je partage absolument votre admiration quant au discours de Renan. Vous rappelez-vous m’avoir une fois demandé en quoi consistait précisément le style ? Eh bien, prenez, après le discours de Renan, celui de Mézières. Comparez-les, phrase à phrase. Et vous saurez à quoi vous en tenir. Il y a la différence de la hauteur à la bassesse, du talent à la bêtise, du distingué au commun, d’un patricien à un cuistre. Je voudrais avoir une chaire de rhétorique pour démontrer par ce seul exemple en quoi consiste l’Art d’écrire7.
10La phrase est donnée pour l’incarnation du style, et conformément à la tradition rhétorique encore prégnante, la « belle phrase », pourtant jamais clairement définie, est celle qui doit servir de modèle : c’est celle que l’on imitera, celle que Flaubert traquera inlassablement, au point de s’attirer les reproches de George Sand :
8 George Sand, lettre à G. Flaubert, 9 mars 1876, cité ibid., p. 25.
tu ne cherches plus que la phrase bien faite, c’est quelque chose, – quelque chose seulement – ce n’est pas tout l’art, ce n’en est pas même la moitié, c’est le quart tout au plus, et, quand les trois autres quarts sont beaux, on se passe de celui qui ne l’est pas8.
11Cet « art d’écrire » que Flaubert revendique devient, en 1899, le titre d’un traité d’Antoine Albalat. L’ouvrage, de visée avant tout pédagogique, accorde une place centrale à la phrase, censée porter les qualités que doit viser le « style » – et en premier lieu l’« harmonie ». Le projet d’Albalat, dont il souligne à plusieurs reprises la nouveauté, naît d’un constat : « Je n’ai trouvé, dans aucun ouvrage, la démonstration des procédés de style, la décomposition du métier d’écrire, l’analyse intrinsèque et détaillée de la science des phrases » ([1899] 1992, 7). Car s’exprime chez Albalat un imaginaire à la fois grammatical et esthétique de la phrase : « une phrase est une pensée principale. Pour être fidèle au sens, à la logique, à l’harmonie, il faut que les accessoires ne la diminuent pas et ne la fassent jamais perdre de vue » (145). On retrouve là un idéal de clôture et de maîtrise bien classique.
12De fait, le rapprochement entre phrases et procédés de style est un credo qui ne se démentira guère : « Les trois quarts des personnes écrivent mal parce qu’on ne leur a pas démontré le mécanisme du style, l’anatomie de l’écriture, comment on trouve une image, comment on construit une phrase » ([1899] 1992, 14). Le projet pédagogique demeure empreint de rhétorique, fondé sur une double méthode : d’une part, le commentaire de beaux passages, tirés de bons auteurs ; d’autre part, le choix de mauvais exemples, tirés de piètres auteurs, car « ce qu’il faut […] montrer [au lecteur], ce sont des phrases mauvaises qu’on peut rendre bonnes ; et dire pourquoi elles sont mauvaises et comment on les rend bonnes » (19). Dans cette entreprise, le jugement et la caractérisation stylistiques dépendent de la forme de la phrase :
[I]l y a autant de styles que d’auteurs, et il serait absurde de vouloir en imposer un, quel qu’il soit. Ce n’est pas un style spécial que nous voulons proposer, nous voulons apprendre à chacun à bien écrire dans son propre style. Il y a un art commun à tous les styles. (22)
13Cet « art commun », dont on comprend qu’il s’agit du français littéraire idéal, consistera d’abord dans « l’art de placer les mots et de combiner les phrases » (53), puisque « la construction des phrases est le secret de l’art d’écrire » (135). Pour Albalat, comme pour Flaubert, la liberté expressive de l’auteur est strictement subordonnée à des impératifs esthétiques et rhétoriques, valables pour tous : au moins faut-il respecter « la construction générale de la phrase française, telle qu’elle est sortie du latin et telle que l’ont exploitée trois siècles de littérateurs excellents. C’est, en somme, la forme latine, assouplie et transformée » (23). L’expressivité individuelle pourra être entendue, mais dans un second temps :
Notez chez l’un (Michelet) l’emploi du raccourci pour exprimer ce que l’autre (Bossuet) dira en de longues périodes. Celui-ci procède par empâtements ou juxtapositions (Taine, Goncourt, Zola), celui-là a la phrase colorée, mais classique (Chateaubriand, Flaubert). Celui-ci (Montesquieu) serre et noue des phrases assez courtes qu’il fait spirituellement se choquer ; celui-là (Rousseau) manie l’antithèse avec passion ; cet autre a l’harmonie et la majesté dans le calme (Buffon), etc. (38-39)
14Mieux encore, le critère d’originalité, dont Albalat fait une autre qualité du style, aux côtés de la concision et de l’harmonie, implique un travail de la phrase afin d’éviter « un style cliché, […] un style terre à terre et élégant, grammatical et inexpressif, le style des écrivains qui ne sont pas artistes » (61). Quant à la concision, elle-même « ne consiste pas dans les phrases courtes plutôt que dans les phrases longues. […] L’éloquence n’est pas dans la quantité des choses dites, mais dans leur intensité » (91-92), et la phrase doit être le catalyseur de ces effets. Cependant, un style singulier n’est acceptable que s’il respecte les normes de la langue :
De notre temps, l’anarchie des procédés littéraires, l’extravagance des goûts esthétiques ont amené une réaction injuste contre l’architecture du style et la nécessité de l’harmonie. Il est convenu qu’on écrit comme on veut ; qu’il n’y a plus d’ordre logique ; qu’on peut se permettre toutes les inversions ; faire attendre le régime, le mettre au bout d’une phrase ; accumuler ses incidents ; bref, qu’on écrit comme on l’entend. (117)
15Que conclure, alors, de ces remarques sur L’art d’écrire ? Les conseils de lecture, d’imitation, de récriture, rappellent les exercices traditionnels de la rhétorique, dont l’empreinte se retrouve dans la définition même de la bonne (et belle) phrase, évaluée en termes d’éloquence. Surtout, Albalat ne reconnaît pas les évolutions de la langue littéraire ; il demeure prisonnier des normes grammaticales ; l’invention syntaxique reste chez lui étroitement circonscrite. Aussi sa position n’est-elle guère représentative de la pensée de la phrase littéraire au début du xxe siècle : les réactions vigoureuses à son livre (voir Philippe 2002, 150) sont la preuve que l’articulation entre la norme et le style suppose désormais la prise en compte d’un mouvement de dérhétoricisation du fait littéraire en même temps qu’une conception de la phrase comme cadre syntaxique.
16On ne s’étonnera donc pas que la catégorie centrale de L’art d’écrire en 1899 soit encore celle de L’art de la prose proposé par Gustave Lanson en 1908, mais avec des présupposés tout différents. Lanson veut en effet montrer l’existence d’une « phrase artistique » propre au xixe siècle, et sa démonstration passe par une distinction entre « bonne » et « belle prose » (« il y a l’écrivain qui sait s’expliquer et l’artiste qui peut créer une forme », 38), ainsi que par une déliaison entre l’intelligible et le sensible. Ce faisant, Lanson rend compte des évolutions de la langue littéraire, et notamment de son décalage éventuel avec la norme, expliqué par « la subordination de l’exactitude grammaticale à l’intensité pittoresque ou poétique » (309). La forme de la phrase semble significative en elle-même, comme chez Zola, « ce grand peintre des masses et des cohues [qui] les exprime par le dessin de ses phrases » (313) – et notamment par son usage de l’apposition.
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9 « Aimons la prose d’art et n’en faisons jamais », écrit ainsi Lanson ([1908...
17Lanson réfléchit donc, lui aussi, dans « les limites de la phrase » (Reggiani 2006, 156) : l’unité lui permet effectivement d’évaluer « cette correspondance, ce concours parfait de la forme auditive, de la forme visuelle et des valeurs intellectuelles [qui] est la vraie difficulté, le vrai mérite » (Lanson [1908] 1996, 316). La phrase signe pour lui un style d’auteur mais surtout, par-delà, un style d’époque : on songe à sa « phrase Louis XIII », à sa « phrase romantique », ou à sa « phrase du xixe siècle » – celle qui, basculant du côté de la « belle » prose, se délie pour partie de la rhétorique, « fondée sur une définition générique du style » (Reggiani 2006, 155) et considérée comme « art d’écrire » à imiter9. Dit autrement, Lanson entrevoit l’évolution de la langue littéraire au sein des formes mêmes de phrases. Qu’il ait recours, çà et là, à des catégories typiques des traités de rhétorique, comme la clarté ou la netteté, n’est que le signe de son propre parcours (voir Compagnon 1999, 1242), celui d’un homme appartenant à une génération intermédiaire, pour laquelle la rhétorique n’est pas encore tout à fait morte.
18En 1945, la critique que Julien Benda propose du style de ses « contemporains » prolonge cette histoire stylistique de la phrase. Pour Benda, les écrivains de son temps, pratiquant un anti-intellectualisme flagrant, privilégient la forme au détriment de la vérité. Pointant ce défaut, il reconnaît l’autonomisation de la langue littéraire, et cela d’autant plus que la primauté du style apparaît dans des genres qu’il considère comme a priori tournés vers l’expression d’idées, tels l’essai, bien sûr, mais aussi le roman. Or, la phrase devrait résister puisque, « énonçant un système de relations, [elle] relève éminemment de l’intellectualisme » (1945, 123). Une phrase se devant d’organiser et de discriminer les pensées, c’est là que se joue le « problème littéraire » premier : celui du recouvrement de la pensée par la forme. André Gide, qui apparaît à plusieurs étapes de la réflexion, sert de (contre-)exemple, lui dont Benda relève la « gaucherie à construire une phrase hiérarchisée » (212) alors même qu’il est « souvent loué pour son retour au “style classique” » (229) :
Ah ! quand la nuit eût été plus sonore, quand l’air plus vaporeux, quand plus amoureux les parfums, que m’en resterait-il ce matin, qu’un peu de souvenir cendreux que dans le creux de mon cœur je rassemble, qu’un peu de vent dispersera, ne laissant en son lieu que brûlure.
19L’accumulation des que et leur utilisation dans plusieurs fonctions syntaxiques ruinent toute « pureté de style » et, dès lors, la conclusion est sans appel : « un grand écrivain, produisît-il cent volumes, n’écrira jamais une phrase comme celle-là, laquelle implique, dans le maniement des articulations de la pensée, une gaucherie fondamentale » (230).
20Sans pensée organisée, et donc sans phrase bien structurée, pas de bon écrivain et surtout pas de bon écrivain français : « Avec leur furie du total, les Proust, les Gide, les Claudel et leurs ouailles désertent l’esprit français » (57), ce génie de la clarté et de l’organisation (voir p. 9-15 et 282-286). Pourtant, Benda reconnaît que la littérature tend, par nature, à exprimer l’idée vague, et à mettre en avant l’expression, davantage que la pensée :
Renouvier reproche quelque part à Renan de sacrifier une nuance de sa pensée pour éviter un qui ou un que ; on peut soutenir que c’est parce qu’il admet de telles mœurs que Renan est un littérateur et parce qu’il s’en abstient que Renouvier n’en est pas un. En somme, un des traits organiques du vrai littérateur est de porter au moins autant d’amour à la forme dont il vêt sa pensée qu’à cette pensée elle-même. (159)
21Tout serait donc affaire de degré. En 1948, à propos Du style d’idées, Benda précise la distinction qu’il conçoit entre l’« écrivain à idées » et le « littérateur ». L’un et l’autre expriment certes des idées, mais le second ne le fait qu’« à l’occasion d’une autre chose, qui est, elle, son vrai but : un récit historique, un roman, un poème, un journal d’impressions » ; si « l’écrivain d’idées a pour but d’exprimer des idées avec la précision qu’elles requièrent en tant qu’idées », le littérateur « est moins soucieux […] d’énoncer des idées proprement dites que de susciter des émotions idéologiques (Montaigne, Renan, Barrès ; Proust et Gide diraient des sensations idéologiques) » (1948, 196). D’où un lien intime entre un effet de vague et de subjectivité. Mais encore faut-il se préserver de faire du souci de la forme « une pure gymnastique de linguiste » (1945, 179), qui impose trop d’efforts au lecteur. Telle phrase de Valéry, où la relative est retardée, illustre ces brouillages inutiles : « Ils n’importent rien dans l’affaire qui la retire de ce vague où tout est vrai » (cité dans Benda 1945, 270). C’est donc comme malgré lui que Benda semble valider l’hypothèse d’une langue littéraire singulière, déliée d’une nécessité absolue de clarté rationnelle. En même temps, à travers des formes de phrase qu’il juge caractéristiques de l’écriture littéraire depuis la fin du xixe siècle, il fait d’une certaine « gaucherie », dont il ne sait pas toujours comment il doit l’évaluer, une tendance stylistique du premier xxe siècle ‑ et l’on a déjà pu entrevoir la justesse d’une telle intuition.
22Que ce soit chez Albalat, Lanson ou Benda, la réflexion remonte donc toujours de formes de phrases à une caractérisation stylistique globale : c’est parce que l’on peut reconnaître au sein de l’unité phrastique telle ou telle habitude de construction que l’on infère des qualités plus générales : celles qui définiront des valeurs de style – par exemple, un style d’époque ou un style d’auteur. La phrase, née sur les cendres de la rhétorique, n’est donc jamais devenue une catégorie uniquement grammaticale, comme le prouve l’entreprise de Charles Bruneau, au sortir de la guerre, qui entend dresser le panorama de la langue littéraire en France à la fin du xixe siècle (1953 et 1972) : ce qu’il recherche, c’est la récurrence de moules phrastiques donnés. Il semble ainsi possible – et souhaitable – d’étudier, sur la période qui nous intéresse, quelques formes de phrase particulièrement « rentables » d’un point de vue stylistique.
Une phrase « classique »
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10 Sur le sens de la référence « classique » pour la langue littéraire du xxe...
23Pour commencer, il convient de se préserver d’un préjugé dommageable : la phrase littéraire moderne n’oublie pas toute référence « classique »10, et cela vaut, d’abord et essentiellement, pour les formes de phrases. En 1921, Gide, qui peut servir de repère en matière, lie le banal au classique :
le grand artiste classique travaille à n’avoir pas de manière ; il s’efforce vers la banalité. S’il parvient à cette banalité sans effort, c’est qu’il n’est pas un grand artiste, parbleu ! L’œuvre classique ne sera forte et belle qu’en raison de son romantisme dompté.
24On comprend alors pourquoi la phrase « classique », ni trop brève ni trop longue, se veut une phrase « moyenne », susceptible de passer inaperçue, trait fondamental de l’idéal gidien :
11 André Gide, dans un billet à Angèle, 1921, Essais critiques, Pléiade, p. 2...
J’estime que l’œuvre d’art accomplie sera celle […] qu’on ne remarquera même pas ; où les qualités les plus contraires, les plus contradictoires en apparence : force et douceur, tenue et grâce, logique et abandon, précision et poésie – respireront si aisément, qu’elles paraîtront naturelles et pas surprenantes du tout11.
25Des phrases en équilibre ou en tension, le style sobre de Gide en recèle bon nombre ; et les entorses à cette banalité que Benda, on s’en souvient, a pu relever chez lui, ne sont sans doute que les traces du travail de contention ou d’épure précédemment évoqué. Des Caves du Vatican au Journal, les phrases de Gide ne diffèrent pas sensiblement des phrases d’Anatole France :
12 Anatole France, Les dieux ont soif, 1912, Œuvres, iv, Pléiade, p. 481.
À son tour, il entra dans la boutique : les paniers, les casiers étaient vides ; le boulanger lui délivra le seul morceau de pain qui restât et qui ne pesait pas deux livres. Évariste paya, et l’on ferma la grille sur ses talons, de peur que le peuple en tumulte n’envahît la boulangerie. Mais ce n’était pas à craindre : ces pauvres gens, instruits à l’obéissance par leurs antiques oppresseurs et par leurs libérateurs du jour, s’en furent, la tête basse et traînant la jambe12.
13 A. Gide, Les caves du Vatican, 1914, Romans, Pléiade, p. 807-808.
Le lendemain, dès l’éveil, son bouton, au palper, lui parut bizarre ; il l’examina dans une glace et constata qu’un squame jaunâtre en recouvrait l’écorniflure ; le tout avait un méchant aspect. Comme, à ce moment, il entendit Carola circuler sur le palier, il l’appela et la pria d’examiner le mal13.
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14 On en trouve plusieurs échos dans la Correspondance. En témoigne par exemp...
26Dans les deux cas, les phrases ne présentent pas plus de trois mouvements, quel que soit le mode de liaison entre les propositions. Le chiffre n’est pas anodin : il définit un seuil en deçà et au delà duquel la phrase n’est plus sentie comme moyenne. De ce point de vue, Gide et France constituent sans doute le prolongement de la tendance classique incarnée par Renan quelques décennies plus tôt – le plus grand des stylistes pour Flaubert14. Les phrases de Renan peuvent, certes, être parcourues de mouvements rhétoriques, comme dans ses essais et discours, avec une franche recherche de la période oratoire, comme en témoignent – le genre oblige – ces lignes du Discours de réception à l’Académie française (1879) :
15 Renan parle ici de Richelieu.
16 E. Renan, « Discours de réception à l’Académie française », 1879, Œuvres c...
Cette Compagnie, qui est après tout la plus durable de ses créations15 (depuis deux siècles et demi, elle vit sans avoir modifié un seul article de son règlement !), qu’est-elle, Messieurs, si ce n’est une grande leçon de liberté, puisque ici toutes les opinions politiques, philosophiques, religieuses, littéraires, toutes les façons de comprendre la vie, tous les genres de talent, tous les mérites, s’assoient côte à côte avec un droit égal16 ?
27C’est ici le règne de l’amplification, appuyée sur des structures syntaxiques solides. Mais ailleurs la phrase de Renan, tout en cherchant un rythme oratoire, apparaît moins solidement charpentée, comme dans ce passage de L’antéchrist (1873), sans subordination :
17 E. Renan, L’antéchrist, 1873, Histoire des origines du christianisme, ii, ...
À la voix de la cinquième trompette, une étoile (c’est-à-dire un ange) tombe du ciel ; on lui donne la clef du puits de l’abîme (de l’enfer). L’ange ouvre le puits de l’abîme ; il en sort de la fumée comme d’une grande fournaise ; le soleil et le ciel sont assombris17.
28Dans les Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883), comme pour souligner que la volonté de démontrer s’est éloignée au profit d’un autre régime d’écriture, plus « intime », les phrases moyennes dominent :
18 E. Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, 1883, Œuvres complètes, ii, ...
La maison fondée par M. Ollier, en 1645, n’était pas la grande construction quadrangulaire, à l’aspect de caserne, qui forme maintenant un côté de la place Saint-Sulpice. L’ancien séminaire du xviie et du xviiie siècle couvrait toute l’étendue de la place actuelle et masquait complètement la façade de Servandoni. L’emplacement du séminaire d’aujourd’hui était occupé autrefois par les jardins et par le collège de boursiers qu’on appelait les robertins. Le bâtiment primitif disparut à l’époque de la Révolution. La chapelle, dont le plafond passait pour le chef-d’œuvre de Lebrun, a été détruite, et de toute l’ancienne maison, il ne reste qu’un tableau de Lebrun représentant la Pentecôte d’une façon qui étonnerait l’auteur des Actes des Apôtres18.
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19 Lettre de Roger Martin du Gard à Émile Mayer, 19 octobre 1928, Corresponda...
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20 Le mot est de Martin du Gard, dans une lettre du 11 novembre 1926, ibid., ...
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21 Par exemple : « Je souscris à peu près à toutes vos corrections, sauf, par...
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22 Lettre de R. Martin du Gard à É. Mayer, 13 mars 1928, ibid., p. 295.
29De fait, aux xixe et xxe siècles, les auteurs que la postérité reconnaît comme « classiques » ou « traditionnels » apparaissent comme des tenants de la phrase moyenne, tel Roger Martin du Gard, dont la recherche de l’objectivité passe par une très forte attention portée à la correction du style. La Correspondance nous montre l’auteur soumettant ses écrits à la « compétence militaro-linguistique19 » du colonel Émile Mayer, « expurgeur20 » puriste, comme le corroborent effectivement les modifications qu’il propose21 ou les récriminations de Martin du Gard, quand ses reproches se font trop forts : « Si je n’avais pas le plus profond, le plus véritable respect pour la correction, est-ce que j’en serais arrivé à ne plus oser publier une ligne sans la faire passer par votre incorruptible tamis22 ? » Or, en 1928, Martin du Gard a terminé le cinquième volume des Thibault, La sorellina, qui est aussi le titre de la nouvelle de Jacques qu’on peut y lire :
23 R. Martin du Gard, La sorellina, 1928, Œuvres complètes, i, Pléiade, p. 11...
Descente à travers les vignes, citronniers. La plage. Un troupeau, poussé par un bambin, regard sombre, l’épaule nue sous le haillon. Il siffle pour appeler sur ses talons deux chiens blancs. La cloche de la vache qui mène, tinte. Immensité. Soleil. Les pieds font des trous d’eau dans le sable23.
30La nouvelle du fils Thibault affiche alors un style bien différent de celui de Martin du Gard, généralement construit sur des phrases moyennes, « classiques » :
24 R. Martin du Gard, ibid., p. 1127.
Le bar occupait le sous-sol ; on y descendait par un étroit escalier en spirale, pittoresque, vaguement clandestin. À cette heure, la salle était pleine de noctambules attablés dans une buée tiède qui puait la cuisine, l’alcool, le cigare, et que brassaient en sifflant les ventilateurs. L’acajou verni et le cuir vert donnaient à cette pièce basse sans fenêtres, et toute en longueur, l’aspect d’un fumoir de paquebot24.
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25 Lettres de R. Martin du Gard à É. Mayer, 23 et 28 mars 1928, Correspondanc...
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26 R. Martin du Gard, Souvenirs, Œuvres complètes, i, p. xcv.
31Les indications données à Mayer disent cette singularité : « Veuillez accepter la nouvelle écrite par Jacques,… comme un fait. Je veux dire : Ne vous amusez pas à la corriger, à la ponctuer, etc. » L’auteur croit aussi « prouver surabondamment que cette manière d’écrire ne [lui] semble pas satisfaisante, sans quoi [il] l’adopterai[t]… »25. Le style de Jacques se veut en effet « moderniste » et il reprend tous les traits, tous les tics, du récit poétique et du roman de l’intériorité (voir p. 102-111). Ce « style jeune, artiste, maniéré au besoin26 », construit sur la succession de phrases brèves, fréquemment averbales, ce style qui paraît bien peu classique, est voulu et reconnu comme tel.
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27 Julien Gracq, André Breton. Quelques aspects de l’écrivain, 1948, Œuvres c...
32François Mauriac et Henry de Montherlant offriraient d’autres balises de ce classicisme formel, qui, selon la belle définition qu’en donne Julien Gracq en 1948, à propos d’André Breton, vise à « cerner d’un contour qui ne tremble pas la pensée fluente27 ». Chez l’un comme chez l’autre, la phrase moyenne domine largement, même si elle est combinée à d’autres formes, moins « classiques » :
28 F. Mauriac, Thérèse Desqueyroux, 1927, Œuvres romanesques et théâtrales co...
L’enfance de Thérèse : de la neige à la source du fleuve le plus sali. Au lycée, elle avait paru vivre indifférente et comme absente des menues tragédies qui déchiraient ses compagnes28.
29 F. Mauriac, Le sagouin, 1951, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, ...
Elle accrocha sa pèlerine dans le vestibule. D’habitude, elle se lavait les mains à la fontaine de l’office puis gagnait la salle à manger, celle des domestiques, où la famille, depuis la mort de Georges, le fils cadet, prenait ses repas29.
33Même chose chez Montherlant, dont Les célibataires (1934) s’ouvre par une phrase assez longue :
30 H. de Montherlant, Les célibataires, 1934, Romans, i, Pléiade, p. 737.
Ce soir froid de février 1924, sur les sept heures, un homme paraissant la soixantaine bien sonnée, avec une barbe inculte et d’un gris douteux, était planté sur une patte devant une boutique de la rue de la Glacière, non loin du boulevard Arago, et lisait le journal à la lumière de la devanture, en s’aidant d’une grande loupe rectangulaire de philatéliste30.
34Malgré tout, cette phrase paraît équilibrée : les phénomènes d’amplification portant sur chaque constituant sont limités à deux ou trois, tandis que les deux verbes possèdent le même sujet. L’allongement de la phrase affiche maîtrise et unification. Cependant, les phrases les plus fréquentes chez Montherlant sont autres, qu’il s’agisse de prendre en charge le récit, de décrire ou encore de souligner un décrochement de la narration vers le commentaire :
31 H. de Montherlant, ibid., p. 903.
Il éteignit ; le froid lui parut plus vif ; il tira le drap sur son visage, comme il faisait du temps de Mariette, quand il voulait penser à elle avec plus d’acuité31.
32 H. de Montherlant, Le chaos et la nuit, 1955, Romans, ii, p. 922.
L’amour rend les gens niais ; la haine les rend bêtes ; l’amertume les rend fous. Vingt années d’amertume politique et d’amertume privée avaient mené Celestino Marcilla à un état voisin de la folie32.
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33 Marcel Arland, « La langue française et la littérature », Cinq propos sur ...
35On comprend alors pourquoi, selon Marcel Arland, Montherlant est celui qui a « le sens le plus sûr de la phrase française, de son équilibre et de son nombre », celui qui sait se tenir éloigné de la mollesse d’une syntaxe désarticulée ; pourquoi Mauriac « dont la forme n’offre pas moins de mouvement que de régularité, pas moins de chaleur que d’aplomb, a su tirer un fort bon parti des sermonnaires, des moralistes et […] des pamphlétaires » – ce en quoi il est bien un « classique ». Arland ajoute à cette liste le nom de Camus, « qui est plus jeune, mais qui montre un souci de plus en plus vif d’une phrase délicate et cohérente, encore qu’elle sente parfois un peu l’application »33.
36Mais la phrase moyenne, c’est aussi la phrase banale, d’où le risque de n’être qu’une forme passe-partout, celle que l’on trouve par exemple dans la littérature de grande diffusion – et, peut-être, celle qui fait les prix Goncourt aujourd’hui oubliés : parmi eux, Les loups de Guy Mazeline, qui, en 1932, vola la vedette à Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline :
34 Guy Mazeline, Les loups, 1932, Gallimard, 1950, p. 21.
Les mains de Jenny Durban racontaient son histoire. Elles étaient osseuses, un peu renflées aux jointures. Sous la peau fine cheminaient des veines si bleues, si apparentes que l’on éprouvait en les regardant, un peu de malaise, comme devant un dur secret révélé34.
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35 J. Gracq, Un balcon en forêt, 1958, Œuvres complètes, ii, p. 136 ; La pres...
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36 M. Barrès, Un jardin sur l’Oronte, 1922, Romans et voyages, ii, Bouquins, ...
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37 F. Mauriac, Le sagouin, 1951, p. 331.
37On peut donc remarquer – c’était le cas chez Montherlant ou Mauriac – que la valeur « classique » de la phrase moyenne lui est conférée par une esthétique d’ensemble, par des contrastes ou, à l’intérieur de ses limites, par un usage de la langue marqué comme soutenu ou recherché. C’est notamment le cas du rejet de la proposition relative, lorsqu’elle se trouve détachée de son antécédent, comme chez Gracq : « des pensées flottaient par moments dans sa cervelle, qui lui paraissaient […] » ; « une onde de bien-être le parcourut, qui montait […] » ; « une dernière silhouette enfin y bouge toute seule, dont l’œil ne se détache plus […] »35. Mais le cas n’est pas isolé, on le retrouverait chez Maurice Barrès (« Et ce jeune savant, un Irlandais, chargé par le British Museum des fouilles de Djerablous sur l’Euphrate, une heureuse fortune venait de me le faire rencontrer qui flânait comme moi dans les ruelles du bazar36 ») ou François Mauriac (« Mais cette part d’elle-même est morte qui naguère participait au monde visible37 »). Or, ce type de construction semble avant tout créer un effet de « belle langue » : c’est en cela qu’il fait classique. Par ailleurs, son apparition dans des phrases moyennes repose sur la possibilité de bien séparer les propositions – gage même de clarté et d’écriture « classique » (voir, cependant, les critiques de Benda, p. 187).
Une phrase brève
38De la phrase classique à la phrase brève, il pourrait donc n’y avoir qu’un pas. On se souvient en effet que le « génie » du français, avec lequel la langue littéraire compose nécessairement, reste attaché de préférence à la phrase du xviiie siècle : « une phrase courte, sèche, nerveuse, hachée, sautillante, qui semble ne vouloir parler qu’à l’esprit, ne connaître l’homme que comme une intelligence qui fabrique et qui groupe les idées » (Lanson [1908] 1996, 170). Nette et concise, la phrase brève a partie liée avec l’efficace rhétorique. « Génie [du] génie » (Meschonnic [1997] 2001, 56-57), Voltaire, selon l’édition de 1835 du Dictionnaire de l’Académie, « ajoute, pour ainsi dire, à la nature [du français] celle de son esprit, si net, si juste, si facile, si rapide, si brillant de clarté », puisqu’il
rejette toutes ces lourdes façons d’exprimer les dépendances logiques, et de matérialiser, par des mots-crampons, les rapports des idées. Il réduit au minimum qu’il est impossible d’éliminer, les conjonctions, relatifs, et tous autres termes de coordination et subordination. (Lanson [1908] 1996, 186)
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38 Sur la persistance de ce mythe hérité des siècles classiques (voir p. 9-15...
39Dense, la phrase brève équivaut à une formule frappée, qui, par sa forme réduite, est censée faire immédiatement sens : elle témoigne de l’évidence et de la clarté ; elle signale une pensée juste et précise. Elle est la forme adéquate d’une langue française tenue pendant longtemps pour la langue de la raison38 ; mais, face à la phrase classique, équilibrée ou moyenne, la phrase brève recherche une efficacité peut-être encore plus forte.
40C’est ce qui explique qu’elle soit tout naturellement la phrase des manifestes et des préfaces, y compris chez les déviants Goncourt, dont Bruneau démasque par endroits la « rhétorique romantique » (1972, 99), héritière cette écriture polémique à la Victor Hugo, que l’on retrouve en contexte « discursif », des Misérables (1862) à Quatrevingt-treize (1874). Dans une visée persuasive, la phrase brève a vocation à frapper et, le cas échéant, à être mémorisée, comme « La beauté sera convulsive ou ne sera pas39 » ; elle se coule aisément dans l’écriture polémique ou pamphlétaire, comme ici, chez Georges Bernanos :
40 Georges Bernanos, Les grands cimetières sous la lune, 1938, Essais et écri...
Il y a une crise de la jeunesse, et elle ne se résoudra pas toute seule. Vos méthodes risquent de l’aggraver. Les maîtres du Monde croient sentir que la jeunesse leur échappe. Elle échappe à tous, elle échappe à elle-même, son énergie se détend peu à peu, ainsi que la vapeur dans le cylindre. L’accablante, la tyrannique, l’écrasante sollicitude des dictatures va la réduire à rien40.
41Les deux dernières phrases de ce passage reposent cependant sur un principe d’amplification rhétorique, avec des structures binaires et ternaires aisément repérables : répétition du même verbe, mise en série d’adjectifs ; mais l’ensemble est resserré. Chaque phrase se tient d’elle-même, en l’absence de lien logique qui guiderait le passage de l’une à l’autre.
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41 Henry de Montherlant, Carnets (1930-1944), Essais, Pléiade, p. 984.
42Dans cet usage même, la phrase manifeste un certain brio intellectuel et, de fait, la tradition des « formes brèves », que l’on fait remonter aux moralistes classiques, se décline tout au long du xxe siècle, par exemple dans les Carnets d’Henry de Montherlant : « L’essence d’un événement se trouve dans l’idée qu’on en tire. Pour les forts, dans l’idée qu’ils en tirent eux-mêmes. Pour les faibles, dans l’idée que les autres en tirent41. » On trouve aussi cette écriture frappée et spirituelle dans le roman proustien, où la phrase brève apparaît comme la conclusion d’un mouvement réflexif, sa clôture et sa résolution après les tâtonnements de la pensée, coulés quant à eux dans la phrase longue :
42 M. Proust, Albertine disparue, posthume, 1925, À la recherche du temps per...
La femme dont nous avons le visage devant nous plus constamment que la lumière elle-même, puisque même les yeux fermés nous ne cessons pas un instant de chérir ses beaux yeux, son beau nez, d’arranger tous les moyens pour les revoir, cette femme unique, nous savons bien que c’eût été une autre qui l’eût été pour nous, si nous avions été dans une autre ville que celle où nous l’avons rencontrée, si nous nous étions promenés dans d’autres quartiers, si nous avions fréquenté un autre salon. Unique, croyons-nous, elle est innombrable42.
43La phrase brève est ici d’autant plus brillante qu’elle compose une clausule antithétique et rejoint l’esthétique – rhétorique – de la pointe. La concision, c’est l’esprit – ce qui permet de comprendre encore les usages décalés ou légèrement ironiques d’une telle forme comme on en trouve déjà, et très souvent, chez Flaubert :
43 G. Flaubert, Madame Bovary, 1857, Œuvres, i, Pléiade, p. 329.
Charles finissait par s’estimer davantage de ce qu’il possédait une pareille femme. Il montrait avec orgueil, dans la salle, deux petits croquis d’elle à la mine de plomb, qu’il avait fait encadrer de cadres très larges et suspendus contre le papier de la muraille à de longs cordons verts. Au sortir de la messe, on le voyait sur sa porte avec de belles pantoufles en tapisserie43.
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44 Robert Pinget, Mahu ou le matériau, Minuit, 1951, p. 134.
44L’absence de transition entre la dernière phrase et ce qui précède, la mention d’objets triviaux, amplifient l’effet de chute qu’implique la brièveté de la formulation. On retrouvera cette pratique ironique de la clausule chez bien des auteurs, et jusque chez Samuel Beckett ou Robert Pinget, où la phrase brève tendra à souligner les manques et les défauts du discours, sa force d’affirmation initiale ainsi renversée, par exemple dans cette fin de chapitre : « J’ai bien du mal à m’exprimer. Ça empire. Cette question de parler, c’est ça qui ne va pas44. »
45Mais la phrase brève n’est pas l’apanage des seuls développements d’idées. Dans la fiction, elle vise à un autre type d’efficacité immédiate, en soulignant par exemple l’enchaînement du récit, comme ici chez Joris-Karl Huysmans :
45 Joris-Karl Huysmans, À rebours, 1884, Romans, i, Bouquins, p. 614.
Une voiture s’arrêta, vers une fin d’après-midi, devant la maison de Fontenay. Comme des Esseintes ne recevait aucune visite, comme le facteur ne se hasardait même pas dans ces parages inhabités, puisqu’il n’avait à lui remettre aucun journal, aucune revue, aucune lettre, les domestiques hésitèrent, se demandant s’il fallait ouvrir ; puis, au carillon de la sonnette, lancée à toute volée contre le mur, ils se hasardèrent à tirer le judas incisé dans la porte et ils aperçurent un Monsieur dont toute la poitrine était couverte, du col au ventre, par un immense bouclier d’or45.
46La phrase initiale, brève, pose l’événement, tandis que la suivante dit la réaction des domestiques. L’intérêt du roman moderne pour la représentation des états et événements mentaux semble ainsi entraîner une spécialisation des longueurs de phrases co-occurrentes : à la phrase longue, la conscience des personnages ; à la phrase brève, l’enchaînement narratif, selon un schéma que l’on retrouvera chez Claude Simon :
46 C. Simon, La route des Flandres, Minuit, 1960, Double, p. 101.
Puis il vit ce type. C’est-à-dire, du haut de son cheval, l’ombre gesticulante faisant irruption hors d’une maison, courant vers eux sur la route à la façon d’un crabe […]. Georges se rappelant avoir d’abord été frappé par l’ombre parce que, dit-il, elle était allongée, à plat, tandis qu’Iglésia et lui voyaient l’homme de haut en bas en raccourci, de sorte qu’il regardait encore l’ombre (semblable à une tache d’encre qui se serait déplacée rapidement sur la route sans laisser de traces, comme sur une toile cirée ou une matière vitrifiée) en train d’agiter incompréhensiblement ses deux pinces tandis que la voix lui parvenait d’un autre point46 […].
47La phrase brève reprécise les contours du récit, comme le souligne l’utilisation du passé simple, tandis que les temps et modes utilisés par la suite, tel le participe présent, composent les outils propres à créer un effet phénoméniste ou phénoménologique (voir chap. 2). La phrase brève semble alors devenir la phrase typique du récit « traditionnel », celle qui enchaîne des épisodes ; d’où, encore, son apparition non plus en clôture de séquence, mais en position initiale : à l’ouverture de chapitres ou de paragraphes.
48On pourrait ainsi conclure que la phrase brève est typique d’une vision « objective » et, de fait, elle peut prendre en charge des éléments descriptifs :
47 Jean Giono, Les grands chemins, 1951, Œuvres romanesques complètes, v, Plé...
L’air pétille, je me sens bougrement bien. Je casse la croûte. En même temps, je regarde. De tous les côtés, c’est très joli. On voit des montagnes et des montagnes à perte de vue, et des vallées fourrées, notamment celle où, puisque je suis là, je vais descendre47.
49Dans l’écriture de la chronique, chère à Giono, la suite de phrases brèves correspond bien à une succession de notations « extérieures » : situations, actions ; lorsqu’un point de vue est explicite (« on voit »), la phrase s’allonge. Mais ce n’est pas toujours le cas :
48 L. Aragon, Les cloches de Bâle, 1934, Œuvres romanesques complètes, i, p. ...
Catherine avait ce qu’on appelle des amis. Elle allait chez eux, elle s’asseyait dans une bergère. On posait des petits fours près de chacun sur des tables gigognes. Les pensées et les paroles tournoyaient dans une lumière d’abat-jour roses48.
50Le décor est bien dépeint à travers la perception du personnage, mais les phrases ne s’allongent pas ; dès lors, parce que la succession de phrases brèves a encore des répercussions sur le rythme de la prose, l’effet peut être celui d’un trouble :
49 L. Aragon, ibid., p. 872.
Plaire ! C’était presque son seul désir maintenant que la vie s’enfuyait d’elle. Plaire, et à n’importe qui, à tous. Le désir des hommes lui semblait une espèce de victoire sur la mort. Elle n’était ni une prude ni une vierge. Elle ne se suffisait pas de le susciter. Elle eut tous les amants qu’il lui chanta.
Elle ne se soignait pas, elle avait horreur de la prudence. Il lui fallait s’étourdir. Ce furent des mois de musiques et de fleurs49.
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50 Maurice Barrès, Mes cahiers, x (1913-1914), Plon, p. 231.
51Mais avec Aragon ou Giono, on est déjà tard dans l’évolution de la langue littéraire. Or, le mouvement qu’ils achèvent avait été initié dès la fin du xixe siècle et dès avant Jules Renard, par Jules Vallès dont la phrase brève était, selon Maurice Barrès, un « modèle de cadence et de relief50 ». Bien sûr, ce style coupé est repérable dans les romans de la trilogie de Jacques Vingtras, mais on peut aussi faire retour sur le Vallès journaliste, et notamment sur les articles réunis dans La rue (1866) :
51 Jules Vallès, « La servitude », La rue, 1866, Œuvres complètes, i, Pléiade...
Dans les vrais bagnes, au fond des maisons centrales, derrière les murs qui séparent l’homme coupable du théâtre de ses folies ou de ses crimes, on ne pousse point de sanglots, on ne jette pas de blasphèmes ; la vie s’écoule silencieuse et calme.
J’ai été frappé de l’air vénérable des galériens51.
52L’exemple est intéressant : il impose de prendre simultanément en compte l’opposition entre la longueur des deux phrases et l’accent imposé sur la phrase brève par l’alinéa. La première phrase garde quelques traits de la période : amplification et effet de clausule lui confèrent une certaine assise rhétorique ; la seconde, marquant l’apparition d’un point de vue subjectif, dramatise la scène, tout en rendant compte, par son décrochement, de la stupeur évoquée. Écrite pendant l’exil londonien, la trilogie L’enfant (1881), Le bachelier (1883), L’insurgé (1886), présente à n’en pas douter la même singularité stylistique que celle que leur auteur attribue à Alphonse Esquiros ou Louis Blanc :
52 Cité par Roger Bellet dans son « Introduction » à Jules Vallès, Œuvres com...
Il est à constater que le brouillard de Londres n’a jamais endolori le talent ni voilé la flamme dans les têtes françaises. Au contraire, il a trempé des styles. […] Au lieu de trébucher sur le pavé gras de la Cité, leur phrase, se fortifiant et s’amaigrissant, fit plus de chemin et alla plus net au but […]52.
53L’efficacité au bout de la phrase, donc – et plus précisément, de la phrase brève qui, dans l’écriture de Vallès, a une nette tendance à être isolée en un alinéa :
53 J. Vallès, L’enfant, 1881, ibid., p. 305.
C’est mon tour !
Mais il me faut de la place, je fais machinalement signe qu’on s’écarte.
La compagnie, stupéfaite, se retire comme devant un faiseur de tours.
On se demande ce que c’est : vais-je tirer une baguette, suis-je un sorcier ? Vais-je faire le saut de carpe ? On attend.
J’entre dans le cercle et je commence :
Une — je glisse.
Deux — je recule.
Trois — je reviens, et je fends le tapis comme un couteau.
C’est un clou de mon soulier.
Ma mère était derrière modestement et n’a rien vu53.
54De telles notations, présentes tout au long de l’itinéraire de Jacques Vingtras, apparaissent comme autant de constats non modalisés : une tentative pour énoncer de manière brutale l’expérience du monde ; c’est bien en tant que phrase lucide que la phrase brève intéresse la construction du point de vue. Et la valeur ainsi attachée à cette forme de phrase semble telle qu’on peut y percevoir un marquage de subjectivité en l’absence même de la première personne :
54 J. Giono, Regain, 1930, Œuvres romanesques complètes, i, p. 396.
Il y a eu, la nuit d’avant, une pluie brusque et lourde. Elle a écrasé le bois. Des feuilles sont tombées ; l’os des branches nues perce la peau des feuillages jaunis. Sur le plateau, l’herbe est écrasée aussi. Elle est couchée en tourbillons dans tous les sens.
« Nous sommes devant la porte de l’hiver », dit Arsule.
Elle suit Panturle. Ils sont sur le bord de ce plateau où elle a eu à la fois tant de peur et tant de chaleur d’amour. Elle y pense. Elle pense que c’est le vent qui a été son marieur. Sa vie n’a commencé que de là. Tout « l’avant » ne compte guère54.
55L’ensemble de ces phrases brèves représente en effet le point de vue d’Arsule, et cela dès le début du passage : les premières phrases multiplient les marques de subjectivité, comme l’image anthropomorphique des arbres ou la place de l’adverbe « aussi ». Le texte livre le contenu de la conscience du personnage, comme le marque la répétition même du verbe « penser » ; l’intérêt de la segmentation en phrases courtes est alors de mimer la succession des glissements du regard et de la pensée d’Arsule, sur la pluie de la veille, puis sur les dégâts qu’elle a causés, puis sur Panturle. C’est toujours elle qui, dans le paragraphe suivant, « refait » sa vie.
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55 Michel Leiris, L’âge d’homme, 1939, Folio, p. 25.
56Moins immédiatement introspective que la phrase longue, la phrase brève semble donc évoquer un sujet finalement moins réflexif que perceptif : elle est la phrase du constat, et comme telle, se voit fréquemment convoquée dans le récit autobiographique. On lit au début de L’âge d’homme (1939) de Michel Leiris : « Je viens d’avoir trente-quatre ans, la moitié de ma vie. Au physique, je suis de taille moyenne, plutôt petit55. » Or, chez Leiris, l’oscillation est particulièrement remarquable entre ces tentatives de saisie du moi depuis l’extérieur, et les tentatives de compréhension intime qui passent, elles, plutôt par la phrase longue. Il faut dire que les pensées, souvenirs d’épisodes douloureux ou scabreux, rêves, associations d’idées, supposent l’épaisseur du temps passé, une sédimentation que la phrase longue est mieux apte à sonder. Dans La règle du jeu, les exemples sont particulièrement frappants :
56 M. Leiris, Fourbis, 1955, La règle du jeu, Pléiade, p. 289-290 ; voir auss...
Rideau de nuages. C’est ainsi que se présente parfois le rideau des paupières lorsque, dormant encore, on est déjà pour s’éveiller. Comme un manteau d’Arlequin ou autre cache de théâtre aux poulies de commande si rouillées, poussiéreuses ou plâtrées de toiles d’araignées qu’il faudrait pour le manœuvrer un vrai deus ex machina plutôt que d’ordinaires machinistes, un voile informe continue à couvrir notre conscience et notre vue et c’est un authentique rideau de nuées – aussi opaque et aussi vague – que constitue alors cette taie tantôt rougeâtre tantôt plus obscure dont nos paupières nous paraissent intérieurement doublées quand nous avons les yeux fermés56.
57L’hypothèse énoncée par Marcel Cressot à propos de Huysmans semble donc valide sur l’ensemble de la période :
La phrase courte convient à l’observateur qui, d’un mot, doit définir le trait d’une situation, mais dès que l’auteur veut communiquer l’impression qu’il est en contact intime avec le mouvement continu et la richesse de la vie, cet instrument se révèle insuffisant. (1938, 149-150)
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57 Annie Ernaux, L’écriture comme un couteau, entretien avec F.-Y. Jeannet, S...
58Cette tension vers l’objectivité fonde en effet les projets d’un Patrick Modiano ou d’une Annie Ernaux, qui revendique, quant à elle, « l’écriture comme un couteau57 ». Ainsi, dans L’événement (2000), c’est tout naturellement la phrase brève qui dit non seulement le récit de l’avortement – c’est-à-dire l’implacable succession des faits –, mais aussi nudité de la violence et du choc psychologiques :
58 A. Ernaux, L’événement, Gallimard, 2000, p. 90-91.
Je voyais le carrelage entre mes cuisses. Je poussais de toutes mes forces. Cela a jailli comme une grenade, dans un éclaboussement d’eau qui s’est répandue jusqu’à la porte. J’ai vu un petit baigneur pendre de mon sexe au bout d’un cordon rougeâtre. Je n’avais pas imaginé cela en moi. Il fallait que je marche avec jusqu’à ma chambre58.
59C’est donc sous cet angle que la phrase brève a pu être exploitée dans l’écriture du monologue intérieur : enchaînée à d’autres, elle donne une impression de « tout venant » caractéristique de ce type de discours, comme l’a noté Édouard Dujardin (voir p. 104). Chaque phrase brève peut, de fait, fonctionner de manière quasi autonome :
59 Jean Giraudoux, Juliette au pays des hommes, 1949, Œuvres romanesques comp...
Vraiment la cheville de cette visiteuse est fine. Autrement fine que celle de Fedora Brandès. Être forgeron. Lui forger des anneaux59.
60 Samuel Beckett, Malone meurt, Minuit, 1951, p. 157.
On est venu. Ça allait trop bien. Je m’étais oublié, perdu. Ce n’est pas vrai. Ça allait. J’étais ailleurs. Un autre souffrait. Alors on est venu. Pour me rappeler à l’agonie. Si ça les amuse. Le fait est qu’ils ne savent pas, moi non plus je ne sais pas, mais eux ils croient savoir. Un avion passe, volant bas, avec un bruit de tonnerre60.
60Cependant, quel que soit l’éclatement du texte, le lecteur tentera toujours de construire une cohérence : dans le premier cas, celle-ci reposerait sur le rapport métonymique entre la cheville et les anneaux ; dans le second, seul le postulat d’une écriture phénoménologique (voir p. 111-118) permettrait de rassembler l’ensemble des éléments au sein d’une même conscience. Mais, parfois, l’enchaînement de phrases brèves coïncide avec un changement de focalisation : dès les premières phrases du Sursis (1945) de Jean-Paul Sartre, le point de vue peut changer brutalement d’une phrase à l’autre – quand ce n’est pas d’un segment de phrase à l’autre :
61 J.-P. Sartre, Le sursis, 1945, Œuvres romanesques, Pléiade, p. 772-773.
Des enfants sur le chemin, leurs petites voix aigres et inoffensives et leurs rires. La paix. […] Elle est là, tissée avec tous ces avenirs, elle a l’obstination hésitante de la Nature, elle est le retour éternel du soleil, l’immobilité frissonnante des campagnes, le sens des travaux des hommes. Pas un geste qui ne l’appelle et ne la réalise, même le trottinement pesant de Marcelle à mes côtés, même la tendre pression de mes doigts sur le bras de Marcelle. Une grêle de pierres par la fenêtre : « Hors d’ici ! Hors d’ici ! » Milan n’eut que le temps de se rejeter en arrière61.
61On passe ici du discours intérieur de Daniel au point de vue de Milan, deux des personnages du roman, sans qu’aucune marque ne le signale a priori : ce n’est qu’avec l’apparition ultérieure du nom propre que la référence est assignable. On comprend donc que la succession de phrases brèves renvoie non seulement à une succession d’événements, mais encore à une succession d’impressions, de perceptions et de pensées – qui sont, en l’occurrence, celles de sujets distincts.
62De la phrase polémique à la phrase d’expression de la pensée, la langue littéraire a donc progressivement établi un lien entre la phrase brève et l’expression de la subjectivité. L’idéal rhétorique de la pointe a cédé devant une diversité plus grande de valeurs – jusqu’au retournement complet de l’efficace lucide à la représentation du trouble et du choc. Derrière l’ensemble de ces valeurs, c’est la clôture, toujours sensible, de la phrase brève qui est déterminante : en séparant, elle peut couper, et dans ce cas, le sens ne glisse plus d’une phrase à l’autre ; le texte devient plus difficile à construire comme tout. La phrase brève est alors principe d’émiettement : loin de signifier la maîtrise du discours, elle traduit tout au contraire une forme de déprise.
De la période à la phrase longue
63L’oubli de la rhétorique se traduit encore dans l’écriture de la phrase longue. On se souvient notamment que Benda, s’il concédait quelques inventions formelles aux littérateurs, demeurait fondamentalement attaché au modèle phrastique du style d’idées :
une proposition maîtresse, à laquelle des subalternes viennent s’attacher soit par l’idée du lien de la cause à l’effet, ou du lien d’un phénomène à sa condition, ou du lien d’un cas particulier à un cas général, soit par l’idée de quelque autre rapport ; le tout enfermé dans une phrase unique, non morcelée en phrases discrètes, précisément pour faire apparaître ces rapports. (1948, 207)
64La longueur d’une phrase n’est donc pas un problème si elle est « organisée » et pour Benda, le modèle demeure Bossuet, signe de l’ancrage tout rhétorique de sa pensée. De fait, quand bien même elle rechercherait le flou et l’indistinct, la prose littéraire a pour fonction de transmettre des idées, même si ce n’est qu’« à l’occasion » (1948, 196) : on peut donc attendre de l’écrivain qu’il puise dans des formes de phrases dûment répertoriées par la panoplie rhétorique.
65La première d’entre elles, c’est évidemment la période. Selon le Larousse du xixe siècle,
la réunion de plusieurs propositions dans la même phrase, suivant un certain arrangement, constitue ce que l’on appelle une période. Pour qu’il y ait période, il ne suffit pas que les propositions se fassent suite, il faut encore qu’elles soient enchaînées les unes aux autres et que le sens, suspendu après chacune d’elles, ne soit complètement achevé que dans la dernière.
66Un siècle plus tard, les quatre définitions que le Dictionnaire de poétique et de rhétorique d’Henri Morier (1961) propose tour à tour reprennent ces mêmes critères syntaxiques et sémantiques, mais l’accent est déplacé sur le rythme, moyen de sceller définitivement les liens entre période et pratique éloquente :
Faisant le tour d’un concept central, avec ses tenants et ses aboutissants, la période artistique est une phrase de haut vol et de long souffle, nombreuse et équilibrée selon les besoins de l’expression et dont la mélodie, montée par paliers successifs à son point culminant, redescend progressivement, plus ou moins vite (souvent avec des suspensions, des parenthèses, des rémissions) jusqu’à son point de chute, dont la note basse termine une clausule qui coïncide avec une image plus saisissante, plus brillante, plus belle, plus profonde ou plus poétique. (Morier [1961] 1998, 921)
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62 Albert Dauzat apporte une importante clarification : « La période est autr...
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63 Témoignant de la dimension positiviste du savoir chère au grand Larousse d...
67Phrase longue et structurée, la période, pour Albalat, « constitue le mécanisme le plus savant de l’art d’écrire » ([1899] 1992, 136). Larousse, même, voyait en elle une « admirable forme du langage », destinée « à plaire à l’esprit et à charmer l’oreille ». Dès lors, c’est moins la longueur de la phrase que la hiérarchisation des propositions qui importe, d’où la distinction à opérer entre la période et les « longues phrases qui [sont] seulement des phrases énumératives » (137)62. Les exemples qu’on trouve dans L’art d’écrire, parce qu’ils doivent être des modèles, sont puisés chez les grands orateurs classiques : Bossuet, encore et toujours, ou Massillon. La raison en est simple, et c’est Larousse qui la donne : la syntaxe analytique du français, pleinement émancipée du latin à partir du xviiie siècle, rendrait la construction périodique moins aisée ; avec les déclinaisons, disparaît en effet un principe de récurrence phonique fondé sur les désinences flexionnelles63. Le mérite d’une telle hypothèse est alors de faire apparaître deux présupposés : une affinité entre la période et l’exposé d’idées ; une construction solidement charpentée.
68La longue carrière de Victor Hugo permet de l’envisager comme une charnière, dans un moment de transition où la période glisse, précisément, vers une phrase accumulative – que l’on peut qualifier simplement de phrase longue. On trouve d’abord, dans Napoléon le petit (1852), des développements où Hugo interpelle Louis-Napoléon Bonaparte :
64 V. Hugo, Napoléon le petit, 1852, Œuvres complètes, viii, p. 500.
Quoi ! – ici vous vous révoltez, et je le comprends, – lorsqu’on a d’un côté son intérêt, son ambition, sa fortune, son plaisir, un beau palais à conserver faubourg Saint-Honoré, et de l’autre côté, les jérémiades et les criailleries des femmes auxquelles on prend leurs maris, des mères auxquelles on prend leurs fils, des familles auxquelles on arrache leurs pères, des enfants auxquels on ôte leur pain, du peuple auquel on confisque sa liberté, de la société à laquelle on retire son point d’appui, les lois ; quoi ! lorsque ces criailleries sont d’un côté et l’intérêt de l’autre, il ne serait pas permis de dédaigner ces vacarmes, de laisser « vociférer » tous ces gens-là, de marcher sur l’obstacle, et d’aller tout naturellement là où l’on voit sa fortune, son plaisir et le beau palais du faubourg Saint-Honoré ! voilà qui est fort64 !
69Outre les phénomènes de structuration attendus de « morceaux » rhétoriques (fort marquage des liens logiques, récurrence de certains d’entre eux, équilibre volumétrique des séquences), un tel passage fait explicitement résonner la voix de l’exilé, recréant ainsi les conditions d’une énonciation véritablement « éloquente ». Si l’on se tourne vers Les misérables (1862), et si l’on y observe les passages où le narrateur (l’auteur ?) prend explicitement la parole, afin de philosopher ou de refaire l’histoire, on rencontrera alors fréquemment des phrases de ce type :
65 V. Hugo, Les misérables, 1862, Œuvres complètes, xi, p. 392.
Rêver la prolongation indéfinie des choses défuntes et le gouvernement des hommes par embaumement, restaurer les dogmes en mauvais état, redorer les châsses, recrépir les cloîtres, rebénir les reliquaires, remeubler les superstitions, ravitailler les fanatismes, remmancher les goupillons et les sabres, reconstituer le monachisme et le militarisme, croire au salut de la société par la multiplication des parasites, imposer le passé au présent, cela semble étrange65.
70On est de fait passé d’une logique hiérarchique à une structure beaucoup plus accumulative. La phrase s’éloigne du rhétorique, même si le travail d’amplification apparaît toujours dans sa partie « gauche », c’est-à-dire son ouverture. C’est encore le cas dans des passages plus proprement romanesques :
66 V. Hugo, ibid., p. 944-945.
Quand, à l’issue de toutes les cérémonies, après avoir prononcé devant le maire et devant le prêtre tous les oui possibles, après avoir signé sur les registres à la municipalité et à la sacristie, après avoir échangé leurs anneaux, après avoir été à genoux coude à coude sous le poêle de moire blanche dans la fumée de l’encensoir, ils arrivèrent se tenant par la main, admirés et enviés de tous, Marius en noir, elle en blanc, précédés du suisse à épaulettes de colonel frappant les dalles de sa hallebarde, entre deux haies d’assistants émerveillés, sous le portail de l’église ouvert à deux battants, prêts à remonter en voiture et tout étant fini, Cosette ne pouvait encore y croire66.
71Dans les deux cas, l’organisation paraît globalement rhétorique, appuyée sur une dissymétrie très sensible entre la protase (la partie initiale d’une période, où l’intonation monte) et l’apodose (la partie finale d’une période, où l’intonation descend) – cette dernière constituant une chute. Mais l’effacement des liens syntaxiques au profit de la multiplication de segments de même nature éloigne de l’unité proprement périodique.
72Considérons maintenant cet exemple tiré de La sorcière de Jules Michelet (1862) :
67 Jules Michelet, La sorcière, 1862, Stfm, p. 8.
Celle qui, du trône d’Orient, enseigna les vertus des plantes et le voyage des étoiles, celle qui, au trépied de Delphes, rayonnante du dieu de lumière, donnait ses oracles au monde à genoux, – c’est elle, mille ans après, qu’on chasse comme une bête sauvage, qu’on poursuit aux carrefours, honnie, tiraillée, lapidée, assise sur les charbons ardents67 !…
73La phrase articule deux temps, autour d’une pause matérialisée par un tiret : à gauche, des éléments qui viennent caractériser la femme ; à droite, les deux informations essentielles dans la phrase ; entre les deux, « mille ans », une antithèse – et un certain équilibre, chacun de ces mouvements reposant sur l’amplification de certains constituants. Autre phrase, autre syntaxe :
68 J. Michelet, ibid., p. 30.
Lorsqu’on lit encore aujourd’hui ces belles histoires, quand on entend les simples, naïves et graves mélodies où ces populations rurales ont mis tout leur jeune cœur, on ne peut y méconnaître un grand souffle, et l’on s’attendrit en songeant quel fut leur sort68.
74Là encore, deux temps, appuyés eux-mêmes sur une configuration binaire. La fin de la phrase semble toutefois moins fermement construite : fondée sur une relance (« et… »), elle est lue comme une information supplémentaire, surajoutée. On a donc déjà là une période « moderne » (voir p. 242 et suiv.), moins structurée, moins hiérarchisée que la période classique – même si la phrase implique toujours la constitution d’un rythme très sensible.
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69 G. Flaubert, L’éducation sentimentale, 1869, p. 31.
75Or, le travail sur le rythme n’est pas neuf : la « triade » est, depuis Quintilien, l’un des appuis de l’art oratoire. Mais là où la langue littéraire innove, c’est lorsque l’on trouve des groupements binaires ou ternaires déliés de l’ampleur périodique, comme chez Guy de Maupassant ou Gustave Flaubert. Dans une même page de L’éducation sentimentale (1869), on relève ainsi l’articulation, très fréquente chez l’auteur, de deux propositions dans une même phrase : « La porte s’ouvrit ; et, sur le seuil, les cheveux ébouriffés, la face cramoisie et l’air maussade, Arnoux lui-même parut69. » Mais cette phrase présente en outre une organisation ternaire, avec, dans son second mouvement, trois groupes nominaux décrivant Arnoux, construits sur un même moule. On retrouve ce principe d’organisation dans de plus larges développements :
70 G. Flaubert, ibid.
Des obstacles s’y opposaient. Il les franchit en écrivant à sa mère ; il confessait d’abord son échec, occasionné par des changements faits dans le programme, – un hasard, une injustice ; – d’ailleurs, tous les grands avocats (il citait leurs noms) avaient été refusés à leurs examens. Mais il comptait se présenter de nouveau au mois de novembre. Or, n’ayant pas de temps à perdre, il n’irait point à la maison cette année ; et il demandait, outre l’argent d’un trimestre, deux cent cinquante francs, pour des répétitions de droit, fort utiles ; – le tout enguirlandé de regrets, condoléances, chatteries et protestations d’amour filial70.
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71 « Le temps n’est plus, messieurs, où la discorde civile ensanglantait nos ...
76L’ensemble n’est pas à proprement parler rhétorique ; l’organisation des phrases repose moins ici sur la logique que sur divers décrochements énonciatifs : passage au style indirect libre pour commencer, puis, à l’intérieur du style indirect libre, après une pause, énoncé d’une justification. Dans la dernière phrase, le mouvement remonte, par un dégagement progressif du discours indirect libre, à un propos évaluatif du narrateur sur ce que Frédéric écrit, là encore après une pause. Il ne s’agit plus de périodes : la structuration du propos existe, mais les liens logiques ont cédé devant une organisation plus lâche et plus interprétative. Se trouvent coordonnées ou juxtaposées des étapes descriptives ou des couches énonciatives destinées à créer un effet de profondeur. Lanson remarquait que « la cadence oratoire a été délaissée » dès le xixe siècle ; c’est globalement vrai, et quand elle est reprise, c’est pour être déformée, et notamment parodiée, comme dans le discours des comices agricoles de Madame Bovary (1857)71.
77L’éloignement vis-à-vis de l’organisation périodique ne se démentira pas, dont un autre marqueur, outre l’accumulation non logiquement organisée des segments, sera le basculement du travail d’amplification vers la droite de la phrase (son pôle de clôture), comme chez l’ample Aragon de La semaine sainte (1958), impressionnant de virtuosité :
72 Louis Aragon, La semaine sainte, 1958, Œuvres romanesques complètes, iv, P...
Et voilà qu’abandonnant tout cela derrière lui, il avançait dans ce grand vide, avec l’irresponsabilité du soldat, par des itinéraires que d’autres avaient étudiés pour lui, si même ils en avaient eu les loisirs ! en pleines ténèbres nocturnes, dans cet habit rouge qui le brûlait, invisible, cavalier d’une chasse infernale, au trot prolongé d’une bête exténuée dont il ressentait les souffrances, l’haleine forcée, le pas devenu incertain, butant aux pierres, s’enfonçant dans la boue, sous les rafales de vent et de pluie, pincé malgré le manteau et la sueur, le poids du harnachement, par un froid de neige à la veille du printemps, voilà que Théodore Géricault, et qu’est-ce que c’est que cette guimbarde cahotante malgré ses chevaux frais, eux, de la dernière poste, ce train de voitures, où là-bas en tête un roi podagre somnole dans les lys des coussins et appuie sa lippe bourbonienne à l’épaule du Duc de Duras, voilà que Théodore Géricault, dans la chevauchée fantastique des mousquetaires, rompus, meurtris, les pieds saignant dans les bottes, […] voilà que Théodore Géricault est pris du vertige de l’homme qui tombe, qui tombe dans le vide ou dans un rêve, il ne sait, conscient à la folie de toutes les choses insignifiantes de son corps et de son âme, de toutes les pièces de son habillement, de chaque anneau de ses courroies, de la selle et de l’étrier, et de tout ce qu’il a oublié de faire avant de partir, habité de souvenirs exagérément lucides et battus comme un jeu de cartes, à poursuivre une inexprimable angoisse, une pensée unique aux développements sans fin, qui se reprend, se perd, se répète, se brise et se renoue, au trot, au trot de la nuit interminable, étouffante, glacée […]72…
78La phrase demeure analysable à deux niveaux : d’une part, elle est organisée par le retour du présentatif « voilà » ; d’autre part, à l’intérieur de ces séquences, les procédés d’amplification se multiplient afin de composer autant de tableaux (la voiture du Roi ; les conditions pénibles du voyage ; enfin, « le vertige de l’homme qui tombe »). Quelques années plus tôt, en 1938, Marcel Cressot avait identifié chez Huysmans une « phrase à escalier », « toute en reprises », dont cet exemple d’Aragon pourrait être une version poussée à l’extrême. Mais surtout, la structuration de l’ensemble n’empêche pas la « dérive » du dernier moment, celui qui, précisément, exprime le « vertige ». De fait, dans cette histoire d’une fuite (celle du Roi) et d’un emballement de l’Histoire, ce n’est pas une quelconque clarté que vise la phrase d’Aragon, mais, au contraire, l’expression d’une confusion où tout (décor, bruits, pensées…) se mêle.
79Les conditions sont alors réunies pour faire de la phrase longue un indéniable marqueur de subjectivité dans le discours, raison pour laquelle on la retrouve même dans la prose d’idées, dès lors qu’elle se teinte d’une tonalité lyrique, comme chez Charles Péguy :
73 Charles Péguy, Notre jeunesse, 1910, Œuvres en prose complètes, iii, Pléia...
Quand nos instituteurs comparent incessamment la mystique républicaine à la politique royaliste et quand tous les matins nos royalistes comparent la mystique royaliste à la politique républicaine, ils font, ils commettent le même manquement, deux manquements mutuellement complémentaires, deux manquements mutuellement contraires, mutuellement inverses, mutuellement réciproques, deux manquements contraires le même, un manquement conjugué ; ensemble ils manquent à la justice et à la justesse ensemble73.
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74 Gérard Fritz voit dans ces schémas de ressassement une libération de la la...
80La prose cherche à représenter une pensée en cours de formulation, et c’est à travers l’ensemble des tâtonnements exhibés par la phrase que se modèle la figure du sujet de l’énonciation. L’amplification veut coller au plus près des mouvements de la pensée, de manière brute74. Mutatis mutandis, bien des célèbres phrases de Proust s’éclairent de leur caractère à la fois réflexif et « sensible », comme dans ce passage où le narrateur, après une nuit dans le train, commente l’état d’exaltation où le plonge l’apparition d’une jeune fille :
75 Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919, À la recherche...
Ce n’est pas seulement que cet état fût agréable. C’est surtout que (comme la tension plus grande d’une corde ou la vibration plus rapide d’un nerf produit une sonorité ou une couleur différente) il donnait une autre tonalité à ce que je voyais, il m’introduisait comme acteur dans un univers inconnu et infiniment plus intéressant ; cette belle fille que j’apercevais encore, tandis que le train accélérait sa marche, c’était comme une partie d’une vie autre que celle que je connaissais, séparée d’elle par un liseré, et où les sensations qu’éveillaient les objets n’étaient plus les mêmes, et d’où sortir maintenant eût été comme mourir à moi-même75.
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76 J. Gracq, En lisant en écrivant, 1981, Œuvres complètes, ii, p. 735.
81Dans ce passage où se mêlent analyse personnelle et lois générales, la phrase semble d’abord structurée ; mais à y regarder de plus près, cette structuration obéit à un principe d’accumulation : les structures binaires sont répétées à plusieurs niveaux (« la tension… ou la vibration » ; « une sonorité ou une couleur » ; « il donnait… il m’introduisait… » ; « inconnu et infiniment plus intéressant ») et l’ensemble se clôt sur une série de propositions dont la coordination par « et » signe une difficulté à finir. La « phrase de Proust », plus diverse qu’il n’y paraît, oscille entre un principe d’amplification et un principe de subordination ; elle se tient dans un rapport complexe à l’idée même de structuration (Milly [1975] 1993, 163-203). Et Julien Gracq avait bien saisi l’importance de Proust dans le devenir de la langue des écrivains (« [il] a fait beaucoup pour nous, en œuvrant pour un continuum de prose débarrassé de l’obsession de la suture, plus soluble dans l’esprit76 »).
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77 É. Zola, L’œuvre, 1886, Les Rougon-Macquart, iv, p. 312.
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78 A. France, Le lys rouge, 1894, Œuvres, ii, p. 522.
82Un autre trait semble caractériser cette déstructuration de la phrase : la disjonction de constituants. Qu’un segment de longueur variable puisse être inséré entre deux autres groupes de mots, cela n’a rien de très remarquable en soi : l’opération est limitée chez Zola (même si l’on notera la séparation du sujet et du verbe dans cet exemple : « Dans le wagon, Sandoz, en le voyant nerveux, les yeux à la portière, comme s’il eût quitté pour des années la ville peu à peu décrue et noyée de vapeurs, s’efforça de l’occuper et lui conta ce qu’il savait de la situation vraie de Dubuche77 ») ou Anatole France (cette fois, c’est le complément qui est séparé du verbe : « Derrière eux, la façade du château étalait, au-dessus des trois arcades du rez-de-chaussée, dans les intervalles des fenêtres, sur de longues consoles, des bustes d’empereurs romains78 »). Mais des effets peuvent être tirés de ce phénomène, parce qu’il entraîne aussi la saturation et l’allongement de la phrase. L’inversion du sujet dans la proposition relative, ajoutée à la disjonction, peut troubler le sens en 1955 encore, en laissant filer la phrase au gré de la perception et des associations qu’elle fait surgir :
79 H. de Montherlant, Le chaos et la nuit, 1955, p. 979.
Il y avait vingt minutes que Celestino, à l’hôtel, avait occupé sa chambre, que remplissaient comme des chants d’oiseaux une volière, malgré les fenêtres fermées, les chants des servantes qui lavaient la courelle79.
83La disjonction d’un verbe et de son complément entraînera ailleurs des ambiguïtés de construction, comme dans ce passage de Proust, où l’objet, rejeté après une parenthèse, n’est pas vraiment attendu :
80 M. Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 12.
[…] de sorte que le soleil pouvait glisser sur le chêne ciré de la portière et le drap de la banquette (comme une réclame beaucoup plus persuasive pour une vie mêlée à la nature que celles accrochées trop haut dans le wagon, par les soins de la Compagnie, et représentant des paysages dont je ne pouvais pas lire les noms) la même clarté tiède et dormante qui faisait la sieste dans les clairières80.
84Ce que ces exemples mettent en évidence, c’est bien que l’allongement non périodique de la phrase entraîne le déplacement du travail de la zone gauche (l’attaque de la phrase) à la zone droite (la fin de la phrase). Or, le travail d’amplification à l’ouverture de la phrase apparaît plus « logique » : on y attend les éléments destinés à donner un cadre au propos (dont les compléments circonstanciels). Mais, quand elle investira encore cette zone, la langue littéraire tendra à la saturer : lorsqu’Aragon ouvre une phrase sur un complément circonstanciel, il peut ainsi avoir tendance à l’allonger et à y enchâsser d’autres éléments :
81 L. Aragon, Les cloches de Bâle, p. 795 et p. 723.
Quand il fut parfaitement établi qu’aucun miracle ne rendrait plus à la vie de Mme Simonidzé le lustre évanoui de la jeunesse, quand les miroirs lui eurent montré cette infinité de petites rides près des yeux, cet effondrement prématuré du cou, qui ne permettaient aucun espoir, quand elle eut mesuré les maigres ressources qui lui restaient, le problème se posa pour elle de savoir s’il fallait retirer Hélène de la pension élégante où elle l’avait mise.
Quand Mme de Nettencourt s’en aperçut, une amie en ayant fait l’observation, une Mme Miellet qui avait quelque chose à faire avec les Miellet de Versailles, dont le cousin était premier président à la Cour, ce fut une jolie sérénade.81
85L’effet demeure périodique dans le premier cas : la structuration de montée et descente de la phrase y est nette, grâce au rythme binaire de l’amplification. Dans le second cas, le premier temps de la phrase procède par une série d’amplifications portant sur des éléments distincts, et si l’on reconnaît un mouvement binaire, il est nettement moins appuyé que précédemment. À droite de la phrase, la saturation porte moins sur des éléments cadratifs que sur des détails – ce qui accentue encore l’effet de désorganisation :
82 L. Aragon, ibid., p. 893.
Elle pensait à Bakou, d’où chaque mois venait une petite formule chargée de signes, et où il y avait des ouvriers, qui ont aussi des mères ; et à toutes les mystérieuses opérations, qui de là-bas jusqu’à Paris, permettent à travers des bureaux, des surveillances, grâce à des contrats, des louages, que la feuille débarque un beau jour par la poste, par le facteur qui s’est levé très tôt, jusqu’à cet appartement où Mme Simonidzé fume et songe, et songe et fume depuis des années on se demande pourquoi82.
86L’allongement de la phrase, marqué par la récurrence de « et », ouvre à la représentation de pensées, de plus en plus déliées, avant la rupture finale. On est, malgré le chiasme « fume et songe, et songe et fume », loin de la hiérarchisation périodique.
87C’est aussi que l’amplification de la zone gauche est toujours « en sursis », tandis que celle de la zone droite est potentiellement infinie. C’est bien là une rupture avec l’« idéal classique du style », comme le note Barthes à propos de Flaubert : cette opération d’expansion (Barthes parle de « catalyse ») est a priori prolongeable ([1967] 2002, 80-81) : accumuler des éléments à gauche de la phrase permet de reculer l’apparition de la proposition principale, mais elle finira par être énoncée ; accumuler des éléments à droite, c’est ajouter alors que rien, en principe, n’est plus indispensable syntaxiquement. François Mauriac, que l’histoire littéraire ne tient pas pour l’un des stylistes les plus novateurs, fait lui aussi usage de ce type d’allongement, dès Le désert de l’amour, en 1925 :
83 F. Mauriac, Le désert de l’amour, 1925, Œuvres romanesques et théâtrales c...
Et pourtant il se souvient de ces étés à Bordeaux, que des collines défendent contre le vent du Nord et qu’assiègent jusqu’à ses portes les pins et le sable où la chaleur se concentre, s’accumule, – Bordeaux, ville pauvre en arbres, hors ce Jardin public où il semblait aux enfants mourant de soif que, derrière les hautes grilles solennelles, achevait de se consumer la dernière verdure du monde83.
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84 Tentatives qui valent aussi pour la période, entité au sein de laquelle la...
88On peut alors ressaisir certaines des images à travers lesquelles critiques et linguistes ont tenté de rendre compte des formes de phrase84. Cressot, particulièrement imaginatif dans le domaine – on l’a déjà vu décrire une « phrase à escalier » –, identifiait encore chez Huysmans une « phrase en éventail », qui
accumule dans sa partie ascendante, comme en éventail, toutes les circonstances pittoresques qui constituent le cadre où va s’inscrire le procès. Au fur et à mesure que celles-ci se juxtaposent, nous voyons se développer une atmosphère, et cette technique est précisément celle de la peinture moderne qui ne conçoit le personnage qu’intimement lié à son cadre. (1938, 151)
89À ce modèle s’ajouterait alors de plus en plus nettement la « phrase à queue », repérée par Bruneau chez les Goncourt ou Zola, où « les derniers éléments, mal rattachés à ce qui précède, donnent l’impression d’être ajoutés après coup, ornement inutile. Plutôt qu’à un enchaînement logique, nous avons affaire à une juxtaposition » (1972, 160). Mais pour Bruneau, alors que Zola demeure fidèle à des principes rhétoriques traditionnels (groupements ternaires, clausules…), les Goncourt seraient du côté d’une « rhétorique nouvelle », faite de phrases tout bonnement informes où le souci du rythme et de l’harmonie disparaît devant un autre impératif : « [Leur] phrase […], toute en incidents, toute en frémissements nerveux, a su épouser les mouvements les plus secrets de la pensée et du sentiment » (Cressot 1938, 8). Ce dont témoignent sans doute ces lignes de Madame Gervaisais (1869) :
85 Edmond et Jules de Goncourt, Madame Gervaisais, 1869, Œuvres complètes, xx...
Dans les galeries, elle se figurait être entourée par un peuple de morts de marbre qui, vivants, en avaient eu la dureté ; les matrones au repos sur des sièges roides, lui faisaient presque peur avec l’inexorable de leurs poses ; – et toujours plus redoutable, grandissait pour elle l’implacabilité des statues et des bustes85.
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86 Que l’on songe à cet exemple de Renan : « Le bon Simian, dont je vais main...
90Le travail a surtout lieu à droite de la phrase : en dehors de l’effet de clausule, marqué par le tiret, on y lit la perception troublée du personnage, en même temps que la revendication d’un type d’écriture passant par l’usage des noms tirés d’adjectifs et par l’inversion finale. Mais cet extrait permet aussi de mettre en évidence le rôle du point-virgule dans l’allongement de la phrase. Ponctuant ambigu, en ce qu’il marque une pause intermédiaire entre la virgule et le point, il porte, lui aussi, trace du mouvement d’oubli de la rhétorique sur lequel émerge la langue littéraire. Il se retrouvait en effet convoqué, dans la transcription des périodes oratoires, pour diviser les unités de souffle – qui recouvraient les unités de la syntaxe86. Mais le point-virgule se spécialise progressivement comme marqueur de littérarité, dans la mesure où il répond à certaines interrogations de la fiction moderne. Il permet notamment de préserver l’unité d’une phrase typographique tout en multipliant en son sein les séquences semi-autonomes ; en cela, il règle la tension entre linéarité et simultanéité à laquelle se heurte l’écrit de manière constitutive. On s’en rend compte dans Les lauriers sont coupés (1887) de Dujardin :
87 Édouard Dujardin, Les lauriers sont coupés, 1887, p. 98.
En sortant, elle disait, Léa, elle disait à sa femme de chambre qu’elle rentrerait dans une heure et qu’elle voulait avoir du feu ; je la ramènerai et nous remonterons ensemble ; les feuillages sont plus épais sur ce boulevard : je remonterai avec elle, je resterai un quart d’heure et je la quitterai, puisque je le dois ; combien jolie, là, mi-renversée, dans la voiture ! tour à tour son visage est éclairé puis obscurci, tour à tour dans l’ombre indécise et dans le blanc des lumières, tandis que s’avance la voiture ; près des becs de gaz, en effet, est une grande clarté, puis, après les becs, un obscurcissement ; […]87.
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88 Michel Butor, « Recherches sur la technique du roman », 1964, Œuvres compl...
91Dans ce passage, qui peut à bien des égards sembler maladroit, se mêlent perceptions actuelles du personnage, remémoration d’un événement passé et éléments d’anticipation. Dujardin se confronte ici à un problème technique du roman, qui renvoie à une question de la langue : « Liaisons des temps, des lieux et des personnes, nous sommes en pleine grammaire » écrit Michel Butor, pour en tirer la conséquence syntaxique qui s’impose : « La petite phrase que nous recommandaient nos professeurs d’antan, “légère et court vêtue”, ne suffi[t] plus »88.
92La phrase longue, en tension entre l’un et le multiple, est donc une autre forme privilégiée de restitution du monologue intérieur, en ce qu’elle permet de décliner un motif en plusieurs traits, correspondant aux séquences entre points-virgules. On trouve cette structure chez Leiris, mais aussi chez Pierre Loti, bien plus tôt, lorsque la mémoire est sollicitée et qu’elle peut être défaillante. Ainsi, dans Le roman d’un enfant (1890) :
89 Pierre Loti, Le roman d’un enfant, 1890, Folio, 1999, p. 125.
Pauvre petite Lucette ou Luçon (Luçon était un nom propre masculin singulier que je lui avais donné ; je disais : Mon bon Luçon) ; pauvre petite Lucette, elle était pourtant un de mes professeurs, elle aussi ; mais un professeur par exemple qui ne me causait ni dégoût ni effroi ; comme M. Ratin, elle avait un cahier de notes, sur lequel elle inscrivait des bien ou des très bien et que j’étais tenu de montrer à mes parents le soir89.
93Autre problème levé par l’allongement de la phrase et l’usage du point-virgule : l’inscription d’une succession d’événements sur un tempo rapide. On trouve souvent ce type de phrase dans les Mémoires de Simone de Beauvoir :
90 Simone de Beauvoir, La force des choses, Gallimard, 1963, p. 324.
Grâce à lui, nous avions été bien accueillis ; mais un peu plus tard, au retour d’une promenade dans l’oasis, sur la place presque déserte, les rares marchands figés derrière leurs éventaires nous regardèrent d’un air mauvais ; l’hôtel était fermé ; un bistrot qui semblait ouvert refusa de nous servir fût-ce un verre d’eau90.
94Mutatis mutandis, lorsque le sujet se trouve dans l’impossibilité de distinguer différentes étapes ou différents niveaux de conscience, une série de séquences, séparées par des points-virgules mais rassemblées dans une même phrase, se révèle efficace :
91 Jean-Paul Sartre, La mort dans l’âme, 1949, Œuvres romanesques, p. 1302.
Elle lui sourit parce qu’il faut toujours leur sourire, elle lui offrit le calme et la douceur de la nature, l’optimisme confiant de la femme heureuse ; par en dessous elle se fondait à la nuit, elle se diluait dans cette grande nuit féminine qui recelait, quelque part dans son cœur, Mathieu ; il ne sourit pas, il se frotta le nez, c’est un geste qu’il a emprunté à son frère, elle sursauta […]91.
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92 Claude Simon déclare ainsi : « La peinture a une grande supériorité sur l’...
95De la période rationnelle s’est ainsi dégagée une phrase (simplement) longue, caractérisée par un défaut de structuration et par une recherche tendancielle d’amplification à droite. Lorsque Barthes définit la période comme « une phrase “agréable”, parce qu’elle est le contraire de ce qui ne finit pas » ([1970] 2002, 588), on comprend les enjeux d’une telle forme – et la vision du monde qui peut en résulter. Si la phrase s’allonge au risque de perdre en clarté ou en lisibilité, c’est parce qu’elle rencontre l’expression de la subjectivité et que le sujet est, nécessairement, opaque, comme chez Samuel Beckett (voir p. 110-111 et 517-519) ; c’est aussi parce qu’il y a là un moyen de dire le palimpseste de la mémoire, comme chez Claude Simon92 (voir p. 520-521), ou encore la simultanéité de perceptions. L’intérêt de la phrase longue est en effet fondamentalement de composer une unité en rassemblant le multiple.
Une ponctuation « littéraire » ?
96La définition de la phrase comme observatoire linguistique et stylistique dépend, on l’a vu, de sa clôture, c’est-à-dire d’un critère typographique où la ponctuation joue le rôle essentiel d’établir la longueur de la phrase. Mais à l’intérieur de celle-ci, les « ponctuants » permettent de mettre de l’ordre dans la syntaxe – la ponctuation, « on le sait, divise le sens » (Barthes [1974] 2002, 539), et l’on vient de voir les possibilités que réserve le point-virgule. Le signe de ponctuation présente une fonction d’abord instructionnelle : principe fondamental de division, il sépare des éléments qui, syntaxiquement, ne fonctionnent pas ensemble, et regroupe, au contraire, ceux qui ont vocation à constituer des unités : il est « mise au jour des articulations logiques » (Dürrenmatt 1998, 74). Dans bien des cas, la ponctuation permet de lever d’éventuelles ambiguïtés, d’autant plus que la fin du xixe siècle a vu la « standardisation » de son usage. Le mouvement de régulation, qui débute au milieu du xviiie siècle, obéit à un souci de clarification ; par ailleurs, les conditions matérielles de publication des textes, avec le développement de l’imprimerie et la multiplication des supports de lecture, ont achevé de faire de ces signes des éléments à part entière de la grammaire de l’écrit (Catach 1980, 1988, 1989).
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93 George Sand, Impressions et souvenirs, 1873, cité par Arabyan (1994, 66).
97Mais la ponctuation ne relève pas que du textuel ; elle participe aussi de la « mise en œuvre » (Dürrenmatt 1998, 5). À son rôle linguistique semble ainsi se superposer, dès lors que la langue des écrivains a prétendu s’« autonomiser », une valeur littéraire. On se souvient des proclamations de George Sand en la matière : « Je nie qu[e la ponctuation] relève immédiatement des règles grammaticales, je prétends qu’elle doit être plus élastique et n’avoir point de règles absolues93. » Valery Larbaud croyait aussi en une telle spécificité :
en poésie ou en prose littéraire ces signes, tout aussi bien que les mots, sont soumis à l’arbitraire de l’écrivain, et il y a une ponctuation littéraire à côté de la ponctuation courante comme il y a une langue littéraire à côté du langage écrit courant94.
98Or, ces enjeux semblent bien illustrés par certains phénomènes, qui acquièrent à partir de Flaubert une fréquence et une force remarquables. On s’arrêtera sur trois d’entre eux, les plus sensibles dans l’histoire de la langue littéraire depuis 1850 : la montée en puissance des points de suspension ; l’usage des tirets et parenthèses ; les pratiques de surponctuation, sous-ponctuation et déponctuation – qui jouent avec la notion de paragraphe et imposent peut-être même de redéfinir ultimement la catégorie de phrase.
99Les points de suspension sont liés au « vertige du vague » propre à la génération romantique (Dürrenmatt 1998) : de fait, ils closent une phrase sans la clore tout à fait ; ils ouvrent sur un « ailleurs ». À l’origine, ils indiquaient, dans le texte de théâtre, l’interruption d’une réplique par l’interlocuteur : ils valent marqueur de transition énonciative – à la fois démarcation et ligature. Au xixe siècle, ils se chargent d’une coloration émotive ; le texte d’idées renâcle à les utiliser : dans la mesure même où ils ne marquent pas de vrai terme, ils contredisent le principe de clarté nécessaire à l’élaboration d’une pensée certaine ou définitive. Inversement, le glissement phénoméniste de la prose littéraire trouve en eux un auxiliaire remarquablement efficace. On n’observe pourtant rien de tel chez Hugo, hors exception, comme à la dernière page de Quatrevingt-treize (1874) ; mais cette exception permet d’atteindre le sublime d’un effet de dramatisation :
95 V. Hugo, Quatrevingt-treize, 1874, Œuvres complètes, xv, p. 509.
On le coucha sur la bascule, cette tête charmante et fière s’emboîta dans l’infâme collier, le bourreau lui releva doucement les cheveux, puis pressa le ressort, le triangle se détacha et glissa, lentement d’abord, puis rapidement ; on entendit un coup hideux95…
100C’est, sans surprise, chez les Goncourt que le phénomène atteint un seuil critique. Les points de suspension y sont très fréquents dans le dialogue, où ils transcrivent à la fois les interruptions et les réticences :
96 E. et J. de Goncourt, Madame Gervaisais, 1869, p. 173.
Mais, monsieur, ma porte était défendue…
— C’est pour cela, madame… J’ai pensé que vous étiez souffrante, et que vous aviez besoin96…
101Mais ils tendent à se développer hors du discours direct, et insufflent alors à la prose l’émotion d’une conscience percevante :
97 E. et J. de Goncourt, ibid., p. 89.
toujours plus pressé, plus furieux, le bombardement des coups de cloches et la tempête de leur bronze tonnaient à toute volée, quand, dans le cadre de la fenêtre encore une fois vidée, monta doucement, avec l’ascension d’un nuage, un bout de tiare nimbé par deux éventails de plumes d’autruche ocellées de plumes de paon… […] Tout à coup la tiare d’or se leva, le Saint-Père sortit de ce qui le cachait, du livre qui le masquait ; et surgissant dans toute la candeur magnifique de son costume, on le vit immobile dans sa gloire blanche97…
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98 Voir, par exemple, le chapitre xii, dans Pierre Loti, Romans, Omnibus, p. ...
102Loti radicalise le mouvement en donnant aux points de suspension une dimension proprement lyrique. Un roman comme Ramuntcho (1896) en est saturé ; sur certaines pages, ils apparaissent à la fin de chaque paragraphe98. Mais c’est à l’autre extrémité de la phrase que se situe la vraie trouvaille de Loti, dans Pêcheur d’Islande (1886) et Madame Chrysanthème (1887). L’apparition des points de suspension dès l’ouverture de certains paragraphes colore l’ensemble d’émotion. Parfois, il est vrai, cette impression se superpose à une ellipse temporelle, et l’on peut alors hésiter sur la valeur du ponctuant : « … Toujours pas de lettres d’Europe, de personne. Comme tout s’efface, change, s’oublie… » Cependant, ces ellipses sont fondues dans la continuité que suppose le signe de ponctuation ; et cette continuité, il semble bien que ce soit précisément celle de la sensation :
Elle dormait, elle, étendue par terre, suivant l’habitude de son sommeil de sieste.
… Quelle forme à part ils ont toujours, ces bouquets arrangés par Chrysanthème : quelque chose de difficile à définir, une sveltesse japonaise, une grâce apprêtée que nous ne saurions pas leur donner.
… Elle dormait à plat ventre sur les nattes, sa haute coiffure et ses épingles d’écaille faisant une saillie sur l’ensemble de son corps couché.
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99 P. Loti, Madame Chrysanthème, 1887, ibid., p. 735, 684 et 551.
103L’émotion n’est plus seulement celle des personnages : la tonalité lyrique habite ici le récit, dans des romans – ce n’est pas un hasard – à la première personne : de là, une forte empathie, qui peut prendre la forme d’un érotisme délicat (« … Elle enlevait ses vêtements avec la lenteur distraite d’une jeune fille qui rêve […] »99) ou celle d’une tout aussi délicate évocation de la mort :
100 P. Loti, Pêcheur d’Islande, 1886, ibid., p. 587.
… Au moment où cette traînée de feu rouge, qui entrait par ce sabord de navire, s’éteignit, où le soleil équatorial disparut tout à fait dans les eaux dorées, on vit les yeux du petit-fils mourant se chavirer, se retourner vers le front comme pour disparaître dans la tête. Alors on abaissa dessus les paupières avec leurs longs cils – et Sylvestre redevint très beau et calme, comme un marbre couché100…
104L’écriture « pathétique » des Nourritures terrestres (1897) de Gide creuse ce même sillon. On y retrouve les points de suspension à l’ouverture de nombreux paragraphes, comme pour exhiber la fragmentation du texte. Le sensualisme se multiplie en autant de notations, dont la seule importance est l’effet qu’elles présentent sur le sujet lyrique :
101 A. Gide, Les nourritures terrestres, 1897, Romans, p. 244.
… Ma soif augmentait d’heure en heure, à mesure que je buvais. À la fin elle devint si véhémente, que j’en aurais pleuré de désir.
… Mes sens s’étaient usés jusqu’à la transparence, et quand je descendis au matin vers la ville, l’azur du ciel entra en moi. […]
… Puis, après quelques semaines de labeur, des éternités de repos.
… Comme si l’on pouvait garder aucun vêtement dans la mort ! (Simplification.)101
105Dans ce chant à la sensation, les points de suspension soulignent aussi la tentative d’épuisement du monde :
102 A. Gide, ibid., p. 225-226.
Nathanaël, nous n’avons pas encore ensemble regardé les feuilles. Toutes les courbes des feuilles…
Feuillages des arbres ; grottes vertes, percées d’issues ; fonds déplaçables aux moindres brises ; mouvance ; remous des branches ; balancement arrondi ; lamellicules et alvéoles102…
106Dans ces lignes, les points-virgules se superposent aux points de suspension, assurant à la fois le surmarquage d’une écriture littéraire, d’une énonciation lyrique et d’une tentation simultanéiste, que l’on retrouvera tout au long du siècle (voir p. 463 et suiv.).
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103 L.-F. Céline, Entretiens avec le Professeur Y, 1955, Romans, iv, Pléiade,...
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104 L.-F. Céline, ibid., p. 542.
107Mais l’on ne peut évidemment réfléchir aux points de suspension sans penser à Céline, qui préfère d’ailleurs parler de ses « trois points », comme pour mieux souligner la singularité qu’il leur confère. Dans les Entretiens avec le Professeur Y (1955), l’usage de la ponctuation est tenu pour un élément essentiel du « style “rendu émotif” » revendiqué par l’auteur. Les « trois points » ont d’abord l’intérêt de marquer une dynamique : sans en avoir conscience, Céline joue avec l’effet d’incomplétude propre aux points de suspension. L’image du « métro émotif » revient constamment, qui justifie une langue démarquée de la langue classique (« si vos rails sont droits, colonel, du style classique, aux phrases bien filées… […] Tout votre métro verse, colonel103 ! »), ainsi que l’abondance des « trois points » : « mes trois points sont indispensables ! indispensables, bordel Dieu !… je le répète : indispensables à mon métro ! […] Pour poser mes rails émotifs104 !… » Une autre image surgit alors : celle des « soupirs » en musique, dont on ne peut s’empêcher de penser que la polysémie n’est en rien fortuite. L’émotion est partout présente dans la ponctuation célinienne – dans les trois points donc, mais aussi dans la dominante exclamative, repérable jusque dans ces Entretiens avec le Professeur Y. Ce qui change avec Céline, c’est ainsi moins la valeur que la fréquence des points de suspension : marque, non seulement, d’une situation dans l’histoire de la subjectivité au cœur du roman moderne ; signe, aussi, que chez lui, la subjectivité s’infiltre partout – ou mieux, qu’il n’y a qu’une voix célinienne, à l’origine de la fiction comme des textes d’idées.
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105 M. Butor, « La littérature, l’oreille et l’œil », 1968, Œuvres complètes,...
108Ce qui va à l’encontre des pratiques habituelles. Les romans et récits de Nathalie Sarraute abondent en points de suspension, « certaines pages sont presque dévorées par eux105 », quand ses essais en sont étonnamment vierges. C’est que, pour elle, la langue du roman est différente par nature : le « roman-œuvre d’art » suppose « une certaine qualité du langage », un « langage essentiel », qui
106 Nathalie Sarraute, « Le langage dans l’art du roman », 1970, Œuvres compl...
consiste non à informer, en renvoyant à des significations intellectuelles (ce que le langage scientifique accomplit à merveille) mais, comme c’est le cas de tout moyen d’expression artistique, à faire éprouver au lecteur un certain ordre de sensations106.
109On imagine alors tout l’intérêt des points de suspension dans un tel programme. De fait, on en trouve non seulement dans la conversation des personnages, mais aussi dans leur « sous-conversation » – à la surface et en profondeur des « tropismes » chers à la romancière des Fruits d’or (1963) :
107 N Sarraute, Les fruits d’or, 1963, ibid., p. 548.
C’est une sorte de rayonnement qu’il dégage, comme un fluide, cela coule vers vous de ses yeux étroits, de son sourire de Bouddha, de son silence… elle ne sait pas ce que c’est… c’est son charme… il est charmant : « Ton beau-père a du charme, tu ne trouves pas ? moi je trouve qu’il a quelque chose, je ne sais pas… je le trouve très séduisant… Ah, il a dû faire des ravages autrefois… »107
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108 Nathalie Sarraute, « Ce que je cherche à faire », 1971, ibid., p. 1705.
110D’où, aussi, « ces phrases hachées, suspendues, cabrées devant le danger que leur ferait courir le souci de la correction grammaticale et le respect des usages qui les tireraient immanquablement vers la clarté mortelle du déjà connu108 ».
111Ouvrant vers un ailleurs, référentiel ou discursif, principe de réorientation et de cohésion, les points de suspension jouent un rôle important dans la construction de textes énonciativement composites, comme Femmes de Philippe Sollers (1983) :
109 Philippe Sollers, Femmes, Gallimard, 1983, p. 230.
Appelons-la la Présidente… Étrange aventure… Je dîne avec elle, seul, chez des amis… Elle arrive en cours de soirée… Pardon du retard… Ses fonctions… Le ministère… La question brûlante de la commission X… Le fameux procès Y en cours… Elle me regarde à peine… Mais tout de même un peu… Et même beaucoup pendant deux secondes… Au bout d’un moment, elle veut mon avis de journaliste étranger… J’improvise… La Présidente semble me suivre… Elle n’est pas mal du tout… Un peu forte, beaux yeux noirs creusés… Tailleur Chanel… Forte mâchoire… Bouche épaisse109…
112Dans ce court passage, les points de suspension créent un effet de staccato : la succession des événements et des commentaires est dite à travers une large part d’affectivité.
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110 Et Balzac, déjà, avait conscience d’emprunter aux Anglais un signe destin...
113L’usage des parenthèses et tirets constitue un autre élément indiscutable de l’évolution de la langue littéraire. Ces signes de ponctuation, qui allongent la phrase, marquent aussi des décrochements énonciatifs ; de ce fait, ils tendent à entraîner la lecture dans une « complexification du dire » (Pétillon-Boucheron 2002, 130). Le statut des séquences ainsi décrochées est problématique à l’écrit : éléments accessoires ? – mais alors, pourquoi sont-ils là ? Éléments essentiels ? – mais alors, pourquoi les placer entre parenthèses ou entre tirets, quand la convention fait de ces séquences des éléments a priori moins importants ? Or, c’est précisément ce flou qui préoccupe la modernité littéraire. Jacques Dürrenmatt a ainsi remarqué que tirets et parenthèses ont commencé à intéresser les romantiques parce qu’ils permettent le brouillage des voix110. Proust s’en souvient, chez qui les parenthèses constituent une « troisième dimension », celle de la profondeur (Serça 1998), avec des enjeux à la fois sémantiques, esthétiques, ontologiques et métaphysiques, qui pourraient être généralisés. La parenthèse est particulièrement utile pour dire la sédimentation de plusieurs époques ; dès lors, on comprend sa place privilégiée dans l’écriture de soi. On en trouve chez Gide :
111 A. Gide, Si le grain ne meurt, 1921, Souvenirs et voyages, Pléiade, p. 317.
Une lettre mit le comble à ses craintes, où je lui appris brusquement qu’avec le peu d’argent qui m’était revenu de ma grand-mère, je venais d’acheter un terrain à Biskra (que je possède encore)111.
114mais encore bien davantage chez Michel Leiris :
112 M. Leiris, L’âge d’homme, 1939, p. 179.
À cette austérité d’ordre quasi religieux (dernière trace, peut-être, de la piété de mon enfance quand, par exemple, il m’arrivait de fixer pendant de longues minutes une image divine décorant le mur de l’église, avec le vain espoir qu’elle s’animerait, battant des paupières ou me donnant quelque autre signe qui constituerait par lui-même un miracle) se joignent deux autres éléments – la peur et la timidité – qui contribuèrent à notre désunion en me faisant découvrir peu à peu ce que mon amour avait d’artificiel et de surfait112.
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113 On peut se reporter, par exemple, à trois pages de Fourbis (1955), dans L...
115Toujours chez Leiris, la parenthèse peut être très amplifiée, et courir sur plusieurs pages113. Dès lors, c’est le statut même du passage qui devient problématique : alors que la parenthèse devrait entraîner une mise hors-texte, l’amplification de la séquence décrochée renverse la hiérarchie. De Proust à Simon, le roman moderne, attaché à représenter la conscience, a ainsi su tirer parti de telles configurations : toutes les couches de la mémoire ont une même réalité, aussi réelle que le réel. Qu’il s’agisse de faire entendre la voix du narrateur évaluant ce qu’il raconte, celle du narrateur ou de l’auteur souhaitant apporter une précision ou une rectification, lançant une digression, le but visé semble toujours de souligner l’émergence complexe, problématique et non linéaire du sens. Chez Claude Simon, des parenthèses permettent par exemple, à l’occasion, dans un récit mêlant plusieurs époques, de distinguer le Directoire et le xxe siècle :
114 C. Simon, Les géorgiques, Minuit, 1981, p. 70-71.
Il a écrit à son intendante pour lui expliquer en détail la meilleure méthode de culture de la pomme de terre. (Le train s’arrête en pleine campagne et les gardes ouvrent les portes à glissière des wagons […])114.
116De même, on comprend mieux, toujours chez Simon, les parenthèses multiples qui s’imbriquent les unes dans les autres ; il s’agit de souligner l’étagement des souvenirs, des sensations et des commentaires :
115 C. Simon, ibid., p. 194.
Comme si (quoique l’oncle Charles dît aussi plus tard que sans doute elle l’avait véritablement oublié – elle qui parfois confondait les noms de ses propres petits enfants –, en supposant encore qu’elle en ait jamais su beaucoup plus que le contenu de cette lettre pliée en quatre (peut-être oubliée aussi) dans le double fond de son coffret à bijoux […])… comme si, donc, elle se considérait solitaire […]115
116 J.-K. Huysmans, Les sœurs Vatard, 1879, Romans, i, p. 97.
Cependant, il ne faut pas confondre cet usage des signes doubles avec l’usage fréquent, dans la langue littéraire, d’un seul tiret clôturant ou isolant, tel qu’on a déjà pu le remarquer chez les Goncourt, et qui décroche une sorte de clausule. Une telle valeur renvoie à l’usage rhétorique de la pause et c’est en tant qu’outil disjonctif que ce signe de ponctuation semble surtout intéresser la langue littéraire. Huysmans paraît familier des opérations de ce type :
La pauvre Eulalie, ce soir-là, ne bougeait, regardant son mari avec une fixité qui le gênait. – Désirée dormassait sur une chaise, Céline se mouvait languissamment du fourneau aux fenêtres. – Le gigot fut trop cuit. – Jamais ses filles n’avaient été dans un état semblable116.
117D’une phrase l’autre, le tiret marque aussi bien le changement de l’objet décrit que, dans le dernier cas, le glissement du point de vue. Dans ses Contes cruels, Villiers de l’Isle-Adam dispose un tiret à la fin d’une digression, comme pour souligner (et atténuer ?) la disjonction entre deux constituants de la phrase :
117 Villiers de l’Isle-Adam, « Duke of Portland », Contes cruels, 1883, Œuvre...
Sur la fin de ces dernières années, à son retour du Levant, Richard, duc de Portland, le jeune lord jadis célèbre dans toute l’Angleterre pour ses fêtes de nuit, ses victorieux pur-sang, sa science de boxeur, ses chasses au renard, ses châteaux, sa fabuleuse fortune, ses aventureux voyages et ses amours, – avait disparu brusquement117.
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118 Villiers de l’Isle-Adam, « La machine à gloire », ibid., p. 592 ; cité da...
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119 C. Simon, La route des Flandres, 1960, p. 285 ; voir, sur ce point précis...
118De manière plus facétieuse, il peut se servir du tiret pour dissocier des unités lexicales : « De sorte – et voilà la solution du problème : un moyen physique réalisant un but intellectuel – que le succès devienne une réalité118 !… » Simon bouscule lui aussi la grammaire, lorsque se développe, à l’intérieur des parenthèses, une seconde ligne syntaxique, par rapport à un terme mis en facteur commun : « … pas plus qu’il n’avait pris garde au (ni peut-être même senti le) poing qui avait réussi à passer par-dessus119… »
119En jouant avec les règles traditionnelles de la ponctuation, la langue littéraire entend aussi tirer des effets du brouillage des frontières ainsi suscité. L’usage des points de suspension rend parfois problématique jusqu’à la notion même de phrase, vu qu’ils ne sont pas systématiquement suivis d’une majuscule. Mais dans ce cas, où commencent et finissent les unités ? Soit ce passage de Céline :
120 L.-F. Céline, Mort à crédit, 1936, Romans, i, Pléiade, 1981, p. 893.
L’oncle Édouard, tout en me causant… il se demandait… il pensait peut-être… que ça ferait plaisir à mes vieux de me revoir un petit moment… Qu’on se raccommode avec mon père… Qu’il avait eu assez de malheur… qu’il avait bien assez souffert120…
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121 L. Aragon, Les cloches de Bâle, 1934, p. 858.
120Le début de la séquence laisse penser que la complétude syntaxique est suffisante pour identifier les différentes phrases : pas de majuscule à « que ça ferait plaisir » – la phrase se prolonge donc. Mais la suite rend ce critère inopérant : pourquoi « Qu’il avait eu assez de malheur » mais « qu’il avait bien souffert » ? La question n’est pas secondaire, car la construction du sens n’est pas identique – à ponctuation différente, rythme différent, et signification autre ; l’enchaînement des pensées n’est pas représenté de la même manière. Cependant, la langue littéraire peut aussi, sans l’aide des points de suspension, faire apparaître comme phrase autonome un élément qui aurait vocation à être syntaxiquement intégré dans la phrase précédente : « Catherine chaque jour sentait peser davantage l’inutilité, l’absurdité de sa vie. Ou de la vie, comme elle disait121. » La typographie va à l’encontre du sens : le mouvement de signification n’est pas terminé à la fin de la première phrase ; la seconde vient rectifier le contenu en introduisant une autre énonciation. Là encore, on peut voir un trait de langue destiné à un effet phénoméniste ou oralisant : une phrase qui se termine sans se terminer permet de dire une pensée en acte ; elle remet également en cause le caractère a priori définitif de la formulation écrite.
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122 J. Gracq, Un balcon en forêt, 1958, p. 15.
121Les cas de sous-ponctuation se caractérisent par l’absence de démarcation entre des groupes syntaxiquement différents – ce qui en fait une autre source d’ambiguïtés. Parfois, des groupes de mots inversés ne sont pas précédés d’une virgule, comme chez Gracq : « dès que le soleil déclinait tombait sur la terrasse, en guise de platane, l’ombre d’un châtaigner énorme122. » La transcription du monologue intérieur, dont on a vu le bénéfice qu’elle pouvait tirer des phrases longues et des phrases courtes, peut creuser ses effets par la déponctuation, qui a aussi le mérite d’exhiber le fossé entre l’écrit et cette « parole » intérieure. S’il faut encore remonter à 1887 et aux Lauriers sont coupés pour trouver le premier exemple de monologue intérieur suivi, c’est la parution d’Ulysse de Joyce, en 1922 – et notamment le dernier chapitre du roman, le célèbre monologue de Molly Bloom –, qui provoque une révolution en la matière. Le pastiche que donne Queneau de ce type d’écriture, dans Le chiendent (1933), laisse imaginer la prégnance d’une forme associant phrase longue, absence de ponctuation et ruptures de syntaxe :
123 Raymond Queneau, Le chiendent, 1933, Romans, i, Pléiade, p. 75-76.
S’il se tuait il désirerait quelque chose ça c’est vrai c’est un cul-de-sac ici ah oui les ateliers du chemin de fer de la Compagnie du Nord on les aperçoit du train ces vieux wagons allemands Narcense a voulu se tuer lui il est malheureux pourquoi oui c’est vrai il doit être désespéré un peu fou il s’est enfui il veut mourir parce que malheureux en effet si le bonheur c’est de n’être rien mais ce vieux-là il doit avoir peur de mourir qu’est-ce que Legrand peut penser en ce moment123 ?
122Certains mots se trouvent hors de tout cadre syntaxique, tel « malheureux » ; des segments se prêtent à deux lectures : « les », dans « on les aperçoit du train », reprend-il « les ateliers de chemin de fer de la compagnie du Nord », ou annonce-t-il « ces vieux wagons allemands » ? Ce dernier groupe nominal n’est-il pas plutôt apposé à « train » ? La prose reste ambiguë.
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124 La déponctuation sera plus largement adoptée en poésie, au moins après la...
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125 Pierre Albert-Birot, « La langue en barre », 1955, Les six livres de Grab...
123Nouvelle étape : la déponctuation, qui apparaît comme un trait de la langue littéraire des avant-gardes, et ne cesse, depuis les années 1920, de croiser la question de la lisibilité124. L’une des plus grandes entreprises littéraires affranchies de la ponctuation est le méconnu Grabinoulor de Pierre Albert-Birot, commencé en 1918, publié en plusieurs étapes, de 1921 à 1965. Près de mille pages, et, à l’exception de quelques passages, pas de ponctuation autre que quelques tirets et parenthèses. Raison pour laquelle la publication de cette somme a pu être difficile, comme le rappelle l’auteur dans sa préface de 1955 : si Robert Denoël avait personnellement accepté de publier les deux premiers livres, sa mort complique les choses. En 1945, le comité-directeur de la maison, refuse de publier la suite de l’épopée, mais propose à Albert-Birot de republier les livres i et ii, à condition qu’il y ajoute la ponctuation. La discussion avorte, et Grabinoulor se retrouve à nouveau sans éditeur, jusqu’en 1955. La critique avait, elle aussi, été déroutée, comme en témoigne la réaction de Frédéric Lefèvre : « C’est un grand bouquin, quel dommage que vous n’ayez pas mis de ponctuation125. » Mais pour l’auteur, il ne s’agit pas d’une suppression des signes ; leur absence renvoie le texte au domaine de la poésie, et non de la logique :
126 P. Albert-Birot, ibid., p. 962.
Je n’ai pas, par désir d’originalité, supprimé la ponctuation dans des pages qui l’attendaient, mais […] ces pages au contraire n’en peuvent point recevoir parce que chaque chapitre a été coulé d’un jet en une seule masse verbale. Un bon cœur bat de la naissance à la mort, un cœur qui a des points est un cœur malade126.
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127 Madeleine Chapsal, « Entretien avec Claude Simon », L’express, 10 novembr...
124Les malheurs d’Albert-Birot annoncent les recherches formelles du Nouveau Roman, et rappellent un autre épisode : en 1960, Claude Simon, à en croire ses dires, avait donné à Jérôme Lindon, son éditeur aux Éditions de Minuit, une Route des Flandres non ponctuée. Le risque d’illisibilité était grand et Lindon aurait alors travaillé aux côtés de l’auteur : « Nous avons ponctué ensuite, mon éditeur et moi, en mettant les virgules et les points là où vraisemblablement il pouvait y avoir confusion127. » Simon ne renonce pas complètement, mais il faudra attendre La bataille de Pharsale, en 1969, en plein moment textualiste (voir p. 495-496), pour lire de tels passages :
128 C. Simon, La bataille de Pharsale, Minuit, 1969, p. 95.
maintenant il n’y a plus de pigeons sur la place l’asphalte mouillé a séché il est d’un gris terne et ne reflète plus la façade des immeubles d’en face qu’à certains endroits où l’eau accumulée ne s’est pas encore complètement évaporée près de la grille d’un arbre derrière la sortie du métro où suivant une légère déclivité l’eau s’accumule arrêtée par le soubassement de la murette
la façade de l’immeuble n’étant plus éclairée par le soleil ces plaques encore humides ne font plus des taches claires dorées mais luisent, simplement128
125Seule la composition en paragraphes distincts peut alors apparaître comme un principe de ponctuation – c’est-à-dire à la fois de division et de construction. Samuel Beckett avait mené un travail similaire, dans Comment c’est, en 1961 : le » roman » est composé d’une succession de paragraphes séparés par un blanc, sans aucun autre type de ponctuation :
129 Samuel Beckett, Comment c’est, Minuit, 1961, p. 50-51.
jambe droite bras droit pousse tire dix mètres quinze mètres arrivée nouvelle place réadaptation prière au sommeil qu’en attendant questions au besoin de qui il s’agissait quels êtres quel point de la terre
ce sera de bons moments puis de moins bons ça aussi il faut s’y attendre ce sera la nuit présente rédaction je pourrai dormir et si jamais je me réveille129
126Outre l’inachèvement syntaxique, point commun entre bon nombre de ces séquences, l’effacement des points, virgules et guillemets, opacifie fortement le texte : les liens syntaxiques et énonciatifs ne sont plus explicités. Si l’on s’arrête sur « présente rédaction », dans le dernier paragraphe, la question se pose de savoir comment ce segment se rattache à l’ensemble du paragraphe. On peut même hésiter à parler de paragraphe : la forme n’en est préservée qu’a minima : comme un bloc de texte séparé d’un autre par un blanc – pas d’alinéa, pas de signes de ponctuation démarcatifs, contrairement à Cette voix de Robert Pinget, paru en 1975, où les paragraphes présenteront un alinéa initial et un point final :
130 R. Pinget, Cette voix, Minuit, 1975, p. 153.
Journées bien remplies d’occupations sans une minute d’écart entre elles par où s’infiltrent les mauvais souvenirs.
J’avais mes travaux d’archives comme vous savez toutes sortes de notes et de documents relatifs à des choses de plus ou moins d’intérêt mais sait-on jamais celles qui peuvent en prendre à l’occasion130.
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131 G. Flaubert, Madame Bovary, 1857, p. 611 ; Salammbô, 1862, Œuvres, i, p 994.
127On peut ainsi comprendre que la ponctuation ne s’arrête pas aux ponctuants. Le paragraphe, qui n’est pas une notion récente – même si ses usages et son imaginaire ont pu évoluer –, repose sur les mêmes principes organisateurs que la phrase, mais à un niveau supérieur : comme elle, il représente idéalement une unité, thématique ou énonciative (Arabyan 1994, 259-260) ; comme elle, il est idéalement structuré. Mais il est lui aussi un espace de jeu, propre à voir se développer des « libertés d’auteur » (Arabyan 1994, 260). La langue littéraire affiche là encore une double tendance : d’une part, vers un texte-bloc, où le paragraphe tend à disparaître ; d’autre part, vers un texte émietté, où le paragraphe, qui n’apparaît plus comme une unité intermédiaire entre la phrase et le texte, n’a plus de pertinence. Cette seconde dynamique semble avoir en Flaubert un précurseur, lui dont certains paragraphes, réduits à une seule phrase, et à une seule ligne, sont particulièrement mis en évidence. Mais cette disposition était encore ici signifiante : elle détache les derniers mots ironiques de Madame Bovary (1857) : « Il vient de recevoir la croix d’honneur », ou ceux de Salammbô (1862) : « Ainsi mourut la fille d’Hamilcar pour avoir touché au manteau de Tanit »131. Hugo amplifie le mouvement dans ses romans d’après 1860, et peut faire se succéder plusieurs paragraphes courts, rompant avec le décalage volumétrique qui fondait le contraste flaubertien :
132 V. Hugo, L’homme qui rit, 1869, p. 60.
Il ignorait où il était.
Il ne savait rien, sinon que ceux qui étaient venus avec lui au bord de cette mer s’en étaient allés sans lui.
Il se sentit mis hors de la vie.
Il sentait l’homme manquer sous lui.
Il avait dix ans132.
128L’effet de dramatisation est certain : du fait de son autonomisation en paragraphe, chaque phrase prend une résonance solennelle, voire tragique. Chez Vallès, la succession distanciée des événements, telle qu’on a pu la relever plus haut (voir p. 200), passe par une telle alliance, entre la brièveté des phrases et celle des paragraphes. Plus tard, que ce soit chez Samuel Beckett ou Marguerite Duras, la segmentation en paragraphes séparés par un blanc obéit à un principe de morcellement encore plus grand : la continuité textuelle est brisée parce qu’elle reflète une temporalité vécue sur le mode de la discontinuité.
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133 M. Proust, Le côté de Guermantes, ii, 1921, À la recherche du temps perdu...
129La dynamique inverse est rare chez les grands romanciers du xixe siècle : à partir du moment où le paragraphe apparaît comme un principe de structuration, on ne peut le faire disparaître sans courir le risque de l’illisibilité – et ces enjeux ne seront au cœur des problématiques de la langue littéraire que plus tard (voir p. 512-513). C’est sans doute avec Proust que le paragraphe commence à grossir ; cependant, la règle de correspondance entre l’unité typographique et l’unité sémantique y prévaut encore manifestement. La soirée chez le duc et la duchesse de Guermantes est ainsi l’occasion de s’arrêter sur les convives ; le découpage en paragraphes relativement longs obéit à un principe logique, affiché par des marqueurs de transition : « Pour en revenir à l’antipathie qui animait les Courvoisier… » ; « Or, pour en revenir à Mme des Laumes… »133. Chez Beckett, en revanche, l’absence de hiérarchisation, dans le « flux » de L’innommable (1953), se traduit par l’effacement progressif du paragraphe, et par un allongement remarquable des phrases. Portant plus loin encore l’expérimentation, H de Philippe Sollers (1973) voit disparaître le paragraphe et tout signe de ponctuation, dans « un certain procès de la Phrase » d’où émergent cependant « des mouvements syntaxiques, des bribes d’intelligibilité, des taches de langage », comme l’a relevé Barthes – « Le texte de Sollers n’est pas monté : la composition (l’ordre rhétorique) est mise en échec, non le bombardement des représentations instantanées » ([1979] 2002, 608-609). L’entreprise est poursuivie dans Paradis (1981), texte qui plus est imprimé en italiques et en gras, et Paradis II (1986). La même année, Comédie classique (1986) de Marie N’Diaye n’est composé que d’une seule et même phrase typographique, sans aucun passage à la ligne – sans paragraphe donc. La romancière, ce faisant, radicalise deux principes de division mis à sa disposition par la langue ; ce faisant, elle en tire tout le parti littéraire possible.
130Mais certains peuvent encore choisir de forger de nouveaux signes. Une telle créativité prend acte des deux principes sur lesquels repose l’usage de la ponctuation : la conscience d’un système et l’assignation d’une valeur « sémantique » aux ponctuants. On peut ici songer à la pause de Paul Claudel, qui prend la forme d’un blanc, ou au « point d’indignation » de Raymond Queneau :
134 R. Queneau, Le chiendent, 1933, p. 201.
— Je ne voudrais pas vous vexer encore un coup, mais je vais vous dire une chose ; je les trouve plutôt « à côté » vos réflexions sur l’onanisme.
— Oh ¡¡ (¡¡ c’est le point d’indignation)134.
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135 Voir, par exemple, le début du roman, dans Œuvres, p. 907 et suiv.
131Toutes créations qui, si elles ne parviennent pas à entrer dans le système de la langue, sont aussitôt oubliées par leurs auteurs… Ailleurs, par exemple au sein de la logorrhée d’Éden, Éden, Éden (1970), Pierre Guyotat dispose de temps à autre des signes « / », « // », « /// ». Progressivement, on comprend qu’ils séparent des fragments que la ponctuation traditionnelle ne permet pas de distinguer : l’ensemble du texte est formé d’une suite de segments juxtaposés par des points-virgules, dans un texte continu, sans paragraphes. En tant qu’éléments de division et d’organisation séquentielle, les barres obliques sont bien des ponctuants. Entre elles, une hiérarchie existe : « /// » sépare des macroséquences tandis que « / » et « // » se distribuent à des niveaux inférieurs. En même temps, ces outils aident à forger une impression de simultanéité : au sein d’une même coulée verbale, charriant les épisodes sexuels les plus crus, les balises ainsi marquées permettent de passer d’une scène à une autre, puis de revenir à la première, ad libitum. Dans de tels phénomènes, la dimension proprement graphique de la ponctuation est fondamentale, et l’on peut aller jusqu’à convoquer ici des jeux portant sur la disposition même du texte. Le Jardin des Plantes (1997) de Claude Simon colle ainsi plusieurs massifs de texte sur une même page : pas simplement deux colonnes, mais divers agencements135. Il faut alors reconstituer plusieurs moments, plusieurs voix qui se superposent, à l’instar de ce que Michel Butor avait pu proposer à travers le jeu du gras et des italiques, dans 6 810 000 litres d’eau par seconde, en 1965 : s’entrelaçaient, » devant » les chutes du Niagara, des lignes de Chateaubriand, les voix de divers « visiteurs », les pensées d’autres.
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136 V. Hugo, « Réponse à un acte d’accusation », Les contemplations, 1856.
132Les temps sont donc loin, où Victor Hugo déclarait « Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe136 ! » C’était en 1856, et la langue littéraire ne revendiquait pas encore pleinement son autonomie. La rhétorique effectivement bientôt morte, le mot d’ordre allait changer, et devenir, pour le second xixe siècle, « Guerre à la phrase ! ». Les coups seraient nombreux, tous dirigés contre la clôture phrastique et la construction syntaxique « moyenne » – c’est-à-dire aussi contre la clarté sémantique, qu’il s’agisse d’émiettement, de saturation, d’allongement, de disjonction, de déponctuation, de surponctuation. Mais la phrase a résisté, comme unité fondamentale de l’imaginaire langagier, parce qu’elle a su redéployer et redéfinir les grands patrons rhétoriques de la période précédente : depuis Flaubert, elle s’est maintenue dans une tension entre, d’une part, une stylistique de la phrase ample (héritière du « style périodique » classique) et du maximalisme syntaxique (phrases saturées, amplifiées), et, d’autre part, une stylistique de la phrase brève (héritière du « style coupé ») et du minimalisme syntaxique (phrases courtes, émiettées).
133Mais il faut bien voir que l’autonomisation de la langue littéraire est allée de pair avec une spécialisation très nette des valeurs de phrase : à telle forme a pu être associé tel effet – et au premier chef, un effet de voix ou de point de vue, caractéristique d’un devenir énonciatif de la littérature moderne. La phrase, « notion à la fois idéaliste et objectivement grammaticale » (Seguin 1998, 464) cristallise ainsi bon nombre d’enjeux. En 1942, Albert Dauzat écrivait : « Telle est la phrase française, qui sait tour à tour, suivant le nombre, la qualité, l’ordre des matériaux employés, être courte et logique, disloquée et impressive, ou dont les longs plis, savamment diaprés, épousent dans leur variété et leur ampleur toutes les formes, toutes les modalités du jugement, du raisonnement, de l’émotion humaine » (1942, 255) – telle a bien été, et telle est la phrase française littéraire.
Notes
1 Gustave Flaubert, lettre à Louise Colet, 23 octobre 1851, Correspondance, ii, Pléiade, p. 14.
2 G. Flaubert, lettre à L. Colet, 13 juin 1852, ibid., p. 105.
3 Claude Simon, Le vent. Tentative de restitution d’un retable baroque, Minuit, 1957, p. 174.
4 La réflexion linguistique a précisément tiré parti de la difficulté qu’il y a à stabiliser la moindre définition de la phrase pour remettre en cause son existence même : le croisement de critères typographiques (la phrase commence par une majuscule et finit par un point), morphologiques (la phrase correspond à la suite sujet verbe complément), sémantico-logiques (la phrase s’appuie sur une relation prédicative et elle a du sens), se heurte à la multiplicité des productions effectives, notamment à l’oral.
5 Victor Hugo, L’homme qui rit, 1869, Œuvres complètes, xiv, Club français du livre, p. 319.
6 G. Flaubert, L’éducation sentimentale, 1869, Œuvres, ii, Pléiade, p. 448 ; Louis Aragon, Aurélien, 1944, Œuvres romanesques complètes, iv, Pléiade, p. 17.
7 G. Flaubert, lettre à Jeanne de Loynes, 7 avril 1879, Correspondance, v, p. 598. Le 3 avril, Ernest Renan avait été reçu à l’Académie française par Alfred Mézières.
8 George Sand, lettre à G. Flaubert, 9 mars 1876, cité ibid., p. 25.
9 « Aimons la prose d’art et n’en faisons jamais », écrit ainsi Lanson ([1908] 1996, 344) ; voir ici-même p. 397-399.
10 Sur le sens de la référence « classique » pour la langue littéraire du xxe siècle, voir p. 281-321.
11 André Gide, dans un billet à Angèle, 1921, Essais critiques, Pléiade, p. 281 et 282.
12 Anatole France, Les dieux ont soif, 1912, Œuvres, iv, Pléiade, p. 481.
13 A. Gide, Les caves du Vatican, 1914, Romans, Pléiade, p. 807-808.
14 On en trouve plusieurs échos dans la Correspondance. En témoigne par exemple cette lettre à Renan lui-même : « Je ne résiste pas au besoin de vous remercier pour l’enthousiasme où m’a jeté votre “Prière sur l’Acropole”. Quel style ! quelle élévation de forme et d’idées ! Quel morceau ! / Je ne sais s’il existe en français une plus belle page de prose ? Je me la déclame à moi-même tout haut, sans m’en lasser. Vos périodes se déroulent comme une procession des Panathénées et vibrent comme de grandes cithares, c’est splendide ! » (13 décembre 1876, Correspondance, v, p. 142).
15 Renan parle ici de Richelieu.
16 E. Renan, « Discours de réception à l’Académie française », 1879, Œuvres complètes, i, Calmann-Lévy, p. 723-724.
17 E. Renan, L’antéchrist, 1873, Histoire des origines du christianisme, ii, Bouquins, p. 193.
18 E. Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, 1883, Œuvres complètes, ii, p. 853.
19 Lettre de Roger Martin du Gard à Émile Mayer, 19 octobre 1928, Correspondance générale, iv, Gallimard, 1987, p. 384.
20 Le mot est de Martin du Gard, dans une lettre du 11 novembre 1926, ibid., p. 106.
21 Par exemple : « Je souscris à peu près à toutes vos corrections, sauf, par-ci par-là, à quelque virgule, ou à quelque imparfait du subjonctif (que j’exclus, exprès, du langage parlé, m’astreignant à bien observer la règle de corrélation dans le style écrit, pour qu’on sente bien que je le fais volontairement) » (lettre à É. Mayer, 2 mars 1928, ibid., p. 293).
22 Lettre de R. Martin du Gard à É. Mayer, 13 mars 1928, ibid., p. 295.
23 R. Martin du Gard, La sorellina, 1928, Œuvres complètes, i, Pléiade, p. 1174.
24 R. Martin du Gard, ibid., p. 1127.
25 Lettres de R. Martin du Gard à É. Mayer, 23 et 28 mars 1928, Correspondance générale, iv, p. 303 et 306.
26 R. Martin du Gard, Souvenirs, Œuvres complètes, i, p. xcv.
27 Julien Gracq, André Breton. Quelques aspects de l’écrivain, 1948, Œuvres complètes, i, Pléiade, p. 474.
28 F. Mauriac, Thérèse Desqueyroux, 1927, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, ii, Pléiade, p. 28.
29 F. Mauriac, Le sagouin, 1951, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, iv, p. 333.
30 H. de Montherlant, Les célibataires, 1934, Romans, i, Pléiade, p. 737.
31 H. de Montherlant, ibid., p. 903.
32 H. de Montherlant, Le chaos et la nuit, 1955, Romans, ii, p. 922.
33 Marcel Arland, « La langue française et la littérature », Cinq propos sur la langue française, Fondation Singer-Polignac, 1955, p. 75. Sur Camus, voir p. 464-465.
34 Guy Mazeline, Les loups, 1932, Gallimard, 1950, p. 21.
35 J. Gracq, Un balcon en forêt, 1958, Œuvres complètes, ii, p. 136 ; La presqu’île, 1973, ibid., p. 472 et 506.
36 M. Barrès, Un jardin sur l’Oronte, 1922, Romans et voyages, ii, Bouquins, p. 745.
37 F. Mauriac, Le sagouin, 1951, p. 331.
38 Sur la persistance de ce mythe hérité des siècles classiques (voir p. 9-15), on peut se reporter à Meschonnic ([1997] 2001).
39 André Breton, Nadja, 1928, Œuvres complètes, i, Pléiade, p. 753.
40 Georges Bernanos, Les grands cimetières sous la lune, 1938, Essais et écrits de combat, i, Pléiade, p. 529.
41 Henry de Montherlant, Carnets (1930-1944), Essais, Pléiade, p. 984.
42 M. Proust, Albertine disparue, posthume, 1925, À la recherche du temps perdu, iv, Pléiade, p. 85.
43 G. Flaubert, Madame Bovary, 1857, Œuvres, i, Pléiade, p. 329.
44 Robert Pinget, Mahu ou le matériau, Minuit, 1951, p. 134.
45 Joris-Karl Huysmans, À rebours, 1884, Romans, i, Bouquins, p. 614.
46 C. Simon, La route des Flandres, Minuit, 1960, Double, p. 101.
47 Jean Giono, Les grands chemins, 1951, Œuvres romanesques complètes, v, Pléiade, p. 474.
48 L. Aragon, Les cloches de Bâle, 1934, Œuvres romanesques complètes, i, p. 859.
49 L. Aragon, ibid., p. 872.
50 Maurice Barrès, Mes cahiers, x (1913-1914), Plon, p. 231.
51 Jules Vallès, « La servitude », La rue, 1866, Œuvres complètes, i, Pléiade, p. 794.
52 Cité par Roger Bellet dans son « Introduction » à Jules Vallès, Œuvres complètes, ii, p. xiii.
53 J. Vallès, L’enfant, 1881, ibid., p. 305.
54 J. Giono, Regain, 1930, Œuvres romanesques complètes, i, p. 396.
55 Michel Leiris, L’âge d’homme, 1939, Folio, p. 25.
56 M. Leiris, Fourbis, 1955, La règle du jeu, Pléiade, p. 289-290 ; voir aussi ici-même p. 468-469.
57 Annie Ernaux, L’écriture comme un couteau, entretien avec F.-Y. Jeannet, Stock, 2002.
58 A. Ernaux, L’événement, Gallimard, 2000, p. 90-91.
59 Jean Giraudoux, Juliette au pays des hommes, 1949, Œuvres romanesques complètes, i, Pléiade, p. 838.
60 Samuel Beckett, Malone meurt, Minuit, 1951, p. 157.
61 J.-P. Sartre, Le sursis, 1945, Œuvres romanesques, Pléiade, p. 772-773.
62 Albert Dauzat apporte une importante clarification : « La période est autre chose qu’une phrase longue. Une phrase peut être interminable : si elle consiste en membres cousus bout à bout, si elle est désossée, sans armature centrale, elle n’a aucun caractère de la période. La période offre un ensemble, un tout, une unité, une architecture : elle représente un développement de pensée axé sur une idée centrale et exprimé par un groupement de membres qui 2 autour d’un verbe, derrière un sujet chef de file » (1942, 306).
63 Témoignant de la dimension positiviste du savoir chère au grand Larousse du xixe siècle, un second argument est avancé – toujours à l’entrée « période » : le développement de la science, attachée à la précision, aurait ainsi condamné l’abondance de la période, suspecte d’être un ornement potentiellement gênant. Raison pour laquelle se serait développé, à partir du xviiie siècle, le style coupé, particulièrement adapté aux « discussions philosophiques » et aux « querelles littéraires » : il fournit « une arme plus maniable que la période, qui se prête mal aux attaques soudaines, aux ripostes élégantes, aux parades brillantes ». Le style coupé, c’est, rappelons-le, « ce style alerte, dégagé, étincelant, redoutable, dont Voltaire s’est si supérieurement servi, et qui devint le style français par excellence ».
64 V. Hugo, Napoléon le petit, 1852, Œuvres complètes, viii, p. 500.
65 V. Hugo, Les misérables, 1862, Œuvres complètes, xi, p. 392.
66 V. Hugo, ibid., p. 944-945.
67 Jules Michelet, La sorcière, 1862, Stfm, p. 8.
68 J. Michelet, ibid., p. 30.
69 G. Flaubert, L’éducation sentimentale, 1869, p. 31.
70 G. Flaubert, ibid.
71 « Le temps n’est plus, messieurs, où la discorde civile ensanglantait nos places publiques, où le propriétaire, le négociant, l’ouvrier lui-même, en s’endormant le soir d’un sommeil paisible, tremblaient de se voir réveillés tout à coup au bruit des tocsins incendiaires, où les maximes les plus subversives sapaient audacieusement les bases […] » (cité dans Lanson [1908] 1996, 310).
72 Louis Aragon, La semaine sainte, 1958, Œuvres romanesques complètes, iv, Pléiade, p. 806-807.
73 Charles Péguy, Notre jeunesse, 1910, Œuvres en prose complètes, iii, Pléiade, p. 36. Sur Péguy, voir chap. 10.
74 Gérard Fritz voit dans ces schémas de ressassement une libération de la langue des intellectuels, destinée à « retrouver la réalité et la possibilité d’atteindre cette réalité à travers et dans le langage » (1973, 503).
75 Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919, À la recherche du temps perdu, ii, p. 18.
76 J. Gracq, En lisant en écrivant, 1981, Œuvres complètes, ii, p. 735.
77 É. Zola, L’œuvre, 1886, Les Rougon-Macquart, iv, p. 312.
78 A. France, Le lys rouge, 1894, Œuvres, ii, p. 522.
79 H. de Montherlant, Le chaos et la nuit, 1955, p. 979.
80 M. Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 12.
81 L. Aragon, Les cloches de Bâle, p. 795 et p. 723.
82 L. Aragon, ibid., p. 893.
83 F. Mauriac, Le désert de l’amour, 1925, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, i, Pléiade, p. 753.
84 Tentatives qui valent aussi pour la période, entité au sein de laquelle la tradition rhétorique fait le départ entre, par exemple, période carrée (quatre membres, équilibre), période croisée (période carrée dont les membres s’opposent deux à deux), etc.
85 Edmond et Jules de Goncourt, Madame Gervaisais, 1869, Œuvres complètes, xxxi, Slatkine, p. 111.
86 Que l’on songe à cet exemple de Renan : « Le bon Simian, dont je vais maintenant vous parler vous est surtout présenté par Mistral ; oui, Mistral, votre lauréat, qui vous a écrit une lettre charmante pour vous recommander un de ses compatriotes de Maillane, dont les vertus ont quelque chose d’archaïque et de touchant » (« Rapport sur les prix de vertu, lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française du 4 août 1881 », Œuvres complètes, i, p. 828)
87 Édouard Dujardin, Les lauriers sont coupés, 1887, p. 98.
88 Michel Butor, « Recherches sur la technique du roman », 1964, Œuvres complètes, ii, La Différence, p. 445.
89 Pierre Loti, Le roman d’un enfant, 1890, Folio, 1999, p. 125.
90 Simone de Beauvoir, La force des choses, Gallimard, 1963, p. 324.
91 Jean-Paul Sartre, La mort dans l’âme, 1949, Œuvres romanesques, p. 1302.
92 Claude Simon déclare ainsi : « La peinture a une grande supériorité sur l’écriture : la simultanéité. Vous voyez un retable : il représente diverses scènes de la vie d’un personnage que vous pouvez embrasser d’un coup d’œil. Il me plairait de parvenir à m’expliquer ainsi » (« Je cherche à suivre au mieux la démarche claudicante de mon esprit », La tribune de Lausanne, 20 octobre 1969).
93 George Sand, Impressions et souvenirs, 1873, cité par Arabyan (1994, 66).
94 Valery Larbaud, « La ponctuation littéraire », Sous l’invocation de saint Jérôme, Gallimard, 1946, p. 243.
95 V. Hugo, Quatrevingt-treize, 1874, Œuvres complètes, xv, p. 509.
96 E. et J. de Goncourt, Madame Gervaisais, 1869, p. 173.
97 E. et J. de Goncourt, ibid., p. 89.
98 Voir, par exemple, le chapitre xii, dans Pierre Loti, Romans, Omnibus, p. 857.
99 P. Loti, Madame Chrysanthème, 1887, ibid., p. 735, 684 et 551.
100 P. Loti, Pêcheur d’Islande, 1886, ibid., p. 587.
101 A. Gide, Les nourritures terrestres, 1897, Romans, p. 244.
102 A. Gide, ibid., p. 225-226.
103 L.-F. Céline, Entretiens avec le Professeur Y, 1955, Romans, iv, Pléiade, p. 540.
104 L.-F. Céline, ibid., p. 542.
105 M. Butor, « La littérature, l’oreille et l’œil », 1968, Œuvres complètes, ii, La Différence, p. 1038.
106 Nathalie Sarraute, « Le langage dans l’art du roman », 1970, Œuvres complètes, Pléiade, p. 1685.
107 N Sarraute, Les fruits d’or, 1963, ibid., p. 548.
108 Nathalie Sarraute, « Ce que je cherche à faire », 1971, ibid., p. 1705.
109 Philippe Sollers, Femmes, Gallimard, 1983, p. 230.
110 Et Balzac, déjà, avait conscience d’emprunter aux Anglais un signe destiné « à peindre ces hésitations, ces gestes, ces repos qui ajoutent quelque fidélité à une conversation » (Michel Butor, « La littérature, l’oreille et l’œil », 1968, Œuvres complètes, ii, p. 1037).
111 A. Gide, Si le grain ne meurt, 1921, Souvenirs et voyages, Pléiade, p. 317.
112 M. Leiris, L’âge d’homme, 1939, p. 179.
113 On peut se reporter, par exemple, à trois pages de Fourbis (1955), dans La règle du jeu, p. 504-506.
114 C. Simon, Les géorgiques, Minuit, 1981, p. 70-71.
115 C. Simon, ibid., p. 194.
116 J.-K. Huysmans, Les sœurs Vatard, 1879, Romans, i, p. 97.
117 Villiers de l’Isle-Adam, « Duke of Portland », Contes cruels, 1883, Œuvres complètes, i, Pléiade, p. 597.
118 Villiers de l’Isle-Adam, « La machine à gloire », ibid., p. 592 ; cité dans Watthee-Delmotte (1998).
119 C. Simon, La route des Flandres, 1960, p. 285 ; voir, sur ce point précis, Yocaris (2006).
120 L.-F. Céline, Mort à crédit, 1936, Romans, i, Pléiade, 1981, p. 893.
121 L. Aragon, Les cloches de Bâle, 1934, p. 858.
122 J. Gracq, Un balcon en forêt, 1958, p. 15.
123 Raymond Queneau, Le chiendent, 1933, Romans, i, Pléiade, p. 75-76.
124 La déponctuation sera plus largement adoptée en poésie, au moins après la parution d’Alcools de Guillaume Apollinaire, en 1913.
125 Pierre Albert-Birot, « La langue en barre », 1955, Les six livres de Grabinoulor, Jean-Michel Place, 1991, p. 961.
126 P. Albert-Birot, ibid., p. 962.
127 Madeleine Chapsal, « Entretien avec Claude Simon », L’express, 10 novembre 1960.
128 C. Simon, La bataille de Pharsale, Minuit, 1969, p. 95.
129 Samuel Beckett, Comment c’est, Minuit, 1961, p. 50-51.
130 R. Pinget, Cette voix, Minuit, 1975, p. 153.
131 G. Flaubert, Madame Bovary, 1857, p. 611 ; Salammbô, 1862, Œuvres, i, p 994.
132 V. Hugo, L’homme qui rit, 1869, p. 60.
133 M. Proust, Le côté de Guermantes, ii, 1921, À la recherche du temps perdu, ii, p. 738 et 741.
134 R. Queneau, Le chiendent, 1933, p. 201.
135 Voir, par exemple, le début du roman, dans Œuvres, p. 907 et suiv.
136 V. Hugo, « Réponse à un acte d’accusation », Les contemplations, 1856.
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Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Julien Piat
Université Grenoble Alpes / U.M.R. Litt&Arts – ÉCRIRE