La Réserve : Livraison à deux voix
Le Marquis de Fayolle de Nerval, roman feuilleté : appropriation d’un modèle, complications d’un dispositif
À paraître dans : L’Histoire feuilletée, dispositifs intertextuels dans la fiction historique du XIXe siècle, Claudie Bernard et Corinne Saminadayar-Perrin éd., Rennes, Presses Universitaires de Rennes,2022
Texte intégral
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1 Il fait suite au Prince des Sots (années 1830, non datable avec précision)....
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2 Il se donne pour sous-titre « Journal de la République progressive ».
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3 Mon édition de référence sera celle du Temps, reproduite par Jacques Bony d...
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4 Les Romans de la Révolution, 1790-1912, A. Déruelle et J.-M. Roulin dir., A...
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5 Trois jours avant l’interruption du roman, les élections législatives de 18...
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6 Numéro spécimen du Temps (février 1849), annonçant le feuilleton, cité par ...
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7 Voir J. Bony, « Notice », éd. cit., p. 1894-1895.
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8 Voir, dans Les Faux Saulniers (1850), la réponse de Gérard à un rédacteur d...
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9 « […] enté sur le terrain de l’histoire, [le roman de la révolution] se veu...
1Le Marquis de Fayolle compte parmi les quelques essais romanesques de Nerval1. Il a paru en feuilleton, à partir du 1er mars 1849, dans Le Temps, journal de centre gauche qui affiche, en ressuscitant (il avait disparu en 1842), son orientation républicaine2. Sa publication s’interrompra le 16 mai 1849, et il restera inachevé pour des raisons que la critique a diversement éclairées. Il sera terminé (et remanié) par un ami et collaborateur de Nerval, Édouard Gorges, et paraîtra en librairie chez Michel Lévy en 18563. Le Marquis de Fayolle est un « roman de la révolution » : un de ces romans qui, tout au long du XIXe siècle, et à l’occasion, souvent, des autres bouleversements que connaît l’époque, interrogent la crise qui inaugure l’Histoire moderne, et mettent en récit « le mythe fondateur4 » de la France nouvelle. C’est, de fait, à peu de distance des insurrections de février et de juin 1848, et alors que la Seconde République – certes de plus en plus menacée par le danger bonapartiste5 ̶ n’a guère plus d’une année d’existence, que les colonnes du Temps, à partir de leur tout premier numéro, accueillent un « sujet » qui « se rapporte aux premiers temps de notre histoire révolutionnaire6 ». Nerval, pourtant, ne paraît guère avoir d’attache avec ce quotidien7 et ne se signale pas par la ferveur de son engagement républicain, même s’il ne manque pas, au cours de ces années, de revendiquer des opinions libérales8. Ce roman, suscité par les circonstances, et qui, tout à la fois, s’emploie à recréer le récit de l’origine, à en reconfigurer la mémoire, et à participer au débat démocratique9, est caractérisé en particulier par son extrême feuilletage – feuilletage des temps et des temporalités, et aussi – c’est évidemment sous cet aspect que je l’aborderai ici ̶ feuilletage des discours, feuilletage intertextuel.
De la reprise d’un modèle…
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10 Le Prologue nervalien fait écho à l’« Invocation » aux ruines du livre de ...
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11 Voir à ce sujet Jean-Marie Roulin, « Matrice familiale et révolution dans ...
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12 Selon une mise en page qui était celle de l’édition Gorges (Michel Lévy, 1...
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13 Effet renforcé par le fait que la Seconde partie (p. 1217) ne reçoit pas d...
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14 Claudie Bernard, Le Chouan romanesque, PUF, 1989, p. 52.
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15 À propos des « souvenirs d’enfance » : « C’est comme un manuscrit palympse...
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16 Cf. Les Chouans ou la Bretagne en 1799, La Comédie humaine, Paris, Gallima...
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17 Vincent Bierce, « Le Marquis de Fayolle, roman sous influence. Nerval lect...
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18 L’anaphore mémorielle « un de ces … qui » (stylème balzacien !…) renvoie l...
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19 La scène de la réunion, au château de La Rouërie, des principaux responsab...
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20 Ch., p. 946-956.
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21 À qui sa mère ordonne de glisser son pied dans le sabot ensanglanté du pèr...
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22 Ch., p. 1079-1083.
2Dans l’intertexte littéraire du Marquis de Fayolle figurent, par exemple, La Nouvelle Héloïse (p. 1145, p. 1160, p. 1185), ou Les Ruines de Volney (d’ailleurs personnage du roman), dont on perçoit un discret écho10, de même que se saisissent quelques échos aux Mémoires d’outre-tombe11. Y figure, surtout, Les Chouans de Balzac, dont le titre devient celui de la Première partie du roman de Nerval : placé, de manière insolite, avant le Prologue – et juste au-dessous de celui du roman (p. 113312) – ce titre, en grosses capitales d’imprimerie, joue un rôle de sous-titre pour l’œuvre entière13, l’inscrivant d’emblée dans la lignée des « romans de chouannerie14 » ouverte par le roman balzacien de 1829. L’incipit, à sa suite, se fait « palympseste15 », pour reprendre, avec sa propre orthographe, un mot (et une métaphore) qu’affectionne Nerval. On peut aisément discerner, sous ses deux premiers paragraphes, l’empreinte de l’ouverture du roman de Balzac ; lieux et temps se superposent : « la Bretagne », « le mois de septembre » (p. 1133) – l’histoire proprement dite va s’amorcer, comme dans Les Chouans16, « vers la fin de septembre » (ibid.) ; les paysans rencontrés en chemin, avec leurs « peaux de chèvre » (ibid.), ont des silhouettes familières… Vincent Bierce a relevé les multiples échos au texte balzacien ménagés par cette entrée en matière nervalienne, qui se présente – avec des variations, des déplacements ̶ comme une « réécriture condensée17 » de son célèbre hypotexte : je renvoie donc à son étude. S’ils parviennent à Vitré et non à Fougères, les « deux voyageurs » (ibid.) qui cheminent dans ce Prologue marchent ainsi sur des traces balzaciennes ; ce que confirme l’apparition, à la sortie de la ville, du nom de « Jean le Chouan » sur une enseigne de cabaret : « Il serait assez curieux […] de retrouver là un descendant de ces fiers gars18 qui ont remué la Bretagne pendant vingt-cinq ans […] » (p. 1134). Ce sera évidemment le cas, et le récit qui s’enclenche à la suite de cette arrivée dans le « véritable nid de la chouannerie » (ibid.) va continuer à suivre en pointillé son prédécesseur, notamment à travers la réécriture de plusieurs de ses scènes, parmi les plus mémorables19 – en proposant tout un jeu de transpositions, d’interversions, de recombinaisons : ainsi le chapitre XV de la Première partie (« Le cabaret ») rejoue, en les condensant, les scènes de l’attaque de la turgotine20, devenue une « mauvaise carriole jaune » (p. 1208), roulant, avec trois passagers dont l’un, comme chez Balzac, garde le silence, sur la route d’Antrain ; de l’exécution de Galope-Chopine, dont le rôle est ici tenu par le patriote Nouaïl, « saigné » (p. 1213) par les chouans dans le cabaret où fait halte le véhicule – le traître Martinet, contraint de plonger sa main dans le bassin qui a reçu le sang, et à qui est donné le surnom de « Patte-Saignante » (p. 1214), reprenant en la circonstance le rôle du fils du condamné21 ; en filigrane se dessine également la scène où d’Orgemont, prisonnier, se fait infliger par Pille-Miche le sévice des chauffeurs22 ̶ la menace de leur « chauffer les pieds » (p. 1211) est proférée à plusieurs reprises, dans ce chapitre, à l’encontre de Nouaïl et de Martinet (entre lesquels se distribue le rôle de d’Orgemont), le premier se faisant, comme le personnage des Chouans, rançonner (p. 1212). Dans ce chapitre où s’entremêlent, jusqu’à la saturation, les réminiscences balzaciennes, les « noms de guerre » (p. 1214) des rebelles – le Grand-Fumeur, Chaudeboire, Cœurderoi, Passe-partout, Fleur-de-Rose – viennent introduire en outre tout le pittoresque de ceux de leurs homologues de 1829…
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23 Reprise de patrons dramatiques, de développements linguistiques (sur l’ori...
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24 Voir Jacques Bony, Le récit nervalien, Paris, José Corti, 1990, p. 43.
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25 Peu soucieuse de recherches historiques, et dans laquelle la fiction cherc...
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26 Dans l’Avertissement du Gars, Balzac avait déclaré son « aversion » pour l...
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27 Citons simplement celle de 1845 : » […] tous les événements de ce livre, m...
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28 « Introduction » de la première édition du Dernier Chouan (1829), Ch., p. ...
3Au-delà de ces effets de palimpseste, très calculés, et que l’on ne peut ici étudier dans leur détail23 ni dans leur complexité, la dette de Nerval envers Balzac se manifeste à travers la reprise, ostensible également, d’un modèle d’écriture. Ainsi que l’a souligné Jacques Bony24, Nerval s’écarte de la formule dumasienne25, alors en vogue, de la fiction historique, pour retrouver un modèle antérieur, celui du roman historique inspiré de Walter Scott – celui dont se réclame Balzac lui-même. Dans le Prologue du Marquis de Fayolle (un prologue plus scottien, certes, que balzacien26), s’affiche la posture d’historien que l’auteur des Chouans revendique dans les différentes versions de la préface27 à son roman : elle est endossée par les deux voyageurs « fouillant le passé » (p. 1133) dont l’un, en particulier, est un « savant » en charge des considérations historiques » (p. 1134). Comme chez Balzac, le sujet du livre est tiré de l’« histoire contemporaine28 » ̶ ou d’une histoire encore très proche, relative à un passé qui a encore ses témoins, fussent-ils indirects (le fils de Jean le Chouan), un passé avec lequel le présent, donc, n’a pas rompu ses liens.
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29 Mentionnons les « gamaches » (p. 1133), « villotins » (p. 1189), » patauds...
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30 Celle-ci bien nervalienne…
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31 Ire partie, chap. XII, « Une soirée à la ferme ».
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32 « Introduction » de la première édition du Dernier Chouan, Ch., p. 897-898.
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33 Xavier Bourdenet, « Points de fuite : la Révolution comme irreprésentable ...
4Je passerai rapidement sur les nombreux éléments de la poétique balzacienne identifiables dans le roman de Nerval : volonté de ressusciter une époque, et de restituer une couleur locale (évocation de l’habitat et des costumes, nombreuses citations d’un lexique local et paysan29, attention30 portée au folklore ̶ le Carnaval31), préférence accordée au « drame » plutôt qu’au « récit » (c’est-à-dire au simple « procès-verbal32 » des faits), usage de types (le comte de Maurepas, « type du gentilhomme breton » (p. 1137), présence d’un discours narratorial explicatif (Prologue, partie II, p. 1134-1136)… Ce modèle suppose, comme l’a souligné Xavier Bourdenet, « l’intelligibilité et la figurabilité de l’Histoire33 ». Comme chez Balzac, les personnages historiques, du moins les plus célèbres, sont au second plan, et le regard porté sur la Révolution est décalé : celle-ci est vue de Bretagne, et à travers la contre-révolution.
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34 Ch., p. 897. Il a lu entre autres ceux de Mme de La Rochejacquelein (1823)...
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35 A. Beauchamp, Histoire de la guerre de la Vendée et des Chouans, 3 vol. , ...
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36 Sans doute par Édouard Gorges.
5Je mettrai l’accent, en revanche, sur le travail de documentation impliqué par l’observation du modèle, travail dans lequel on voit Nerval renchérir sur Balzac. L’« Introduction » au Dernier Chouan nous permet de savoir que l’auteur du livre a fait usage de « Mémoires publiés aux diverses époques de la Restauration34 » (Ch., p. 897), et de documents d’archives. La documentation de Nerval se révèle plus imposante encore : Jacques Bony a reconstitué la liste des ouvrages dont l’auteur du Marquis de Fayolle a tiré la matière de son roman : ouvrages d’historiens35, mais aussi sources archivistiques, consultées par lui à Rennes – ou qu’il a fait consulter36. À l’intertexte littéraire du roman vient ainsi se mêler ainsi un important intertexte « savant ».
… à la difficile gestion de sa transformation
6Si ces emprunts à un modèle balzacien sont manifestes, et ont été mis en évidence par la critique, celle-ci a prêté moins d’attention à la manière dont ce modèle se trouvait réemployé dans le contexte nervalien.
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37 Chez Balzac, il n’y a pas de narrateur représenté.
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38 « – […] les Chouans ne furent [dit l’un de nous] que des héros de broussai...
7Or, dès le Prologue, Nerval introduit visiblement du jeu dans ce modèle qu’il s’approprie. L’instance narratoriale37 s’y dédouble, se partageant entre un « savant » et un rêveur » dont les voix se révèlent discordantes (le dialogue des deux voyageurs sur les origines de la chouannerie met en scène un conflit de discours38), et si le « rêveur » affecte d’admettre humblement la prééminence du discours du « savant », c’est lui qui, en réalité, est censé être le scripteur (p. 1134)…
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39 « Introduction » de la première édition du Dernier Chouan, Ch., p. 898.
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40 Que restitue le précieux travail de l’édition de la Pléiade (sur lequel je...
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41 L’Envers de l’histoire contemporaine, La Comédie humaine, op. cit., t. VII...
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42 Je ne prends pas ce terme dans son sens restrictif (l’interdiscours étant,...
8Par ailleurs, alors que Balzac s’est efforcé d’effacer, dans son roman, les traces de son travail de documentation, laissant délibérément « dans l’enceinte des greffes » les « procédures », qu’il a lues, des « tribunaux révolutionnaires de l’Ouest39 », et livrant un texte qui se veut homogène, Nerval insère à maintes reprises dans le sien des extraits, fidèlement reproduits (ou avec de menues variantes), de documents d’archives, créant sciemment – même s’il ne délimite pas formellement ses emprunts et n’indique pas les références de ses sources40 ̶ un effet de feuilletage, dont l’exemple semble venir d’un autre roman, bien plus tardif, de Balzac, L’Envers de l’histoire contemporaine (1842-1848), achevé quelques mois seulement avant la rédaction du Marquis de Fayolle, et intégrant une pièce judiciaire, un acte d’accusation calqué sur un document « authentique41 ». Mais Nerval fait de ce feuilletage un procédé, et met en place un véritable dispositif intertextuel et interdiscursif42.
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43 Centre national de ressources textuelles et lexicales, entrée : « Disposit...
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44 Discours, image, dispositif, Philippe Ortel dir., Paris, L’Harmattan, 2008...
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45 Bernard Vouilloux, « Du dispositif », dans Discours, image, dispositif, op...
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46 Christophe Hanna, Nos dispositifs poétiques, Paris, éd. Questions théoriqu...
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47 Ibid., p. 17.
9Un dispositif, selon une définition simple, est un « ensemble d’éléments agencés selon un but précis43 ». Il y a donc, dans un dispositif, de l’hétérogène : avec son préfixe « dis », le mot, comme le souligne Philippe Ortel, dit bien l’« unité dans la séparation » « caractéristique des objets composites44 ». Autre trait définitoire : un dispositif est agencé en vue d’un « résultat à produire45 » – il a une fonction pratique. Avec Christophe Hanna, on pourra enfin constater qu’il est combiné ad hoc46 : il effectue « une opération qui lui est propre » : il est « un bricolage assemblé en vue de circonscrire un problème local et tenter de le surmonter47 ».
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48 Cette question de la lutte de l’aristocratie et de la province contre le p...
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49 C’est-à-dire celui qui figure le « point zéro du comput » (ces expressions...
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50 Ibid., p. 297-298.
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51 Voir p. 1135, n. 2.
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52 La Lettre du cardinal de Fleury au Conseil de Louis XVI (attribuée, de fai...
10On peut en effet discerner, à travers l’exposition, par le texte, de son hybridité, et l’orchestration de ses éléments composites, une composition intentionnelle. Dans le Prologue, c’est sur le mode de la juxtaposition que figurent les éléments hétérogènes : après le prélude qui met en scène l’arrivée des deux voyageurs à Vitré, et annonce un narrateur double, une deuxième partie s’emploie à brosser, d’après des travaux d’« historien[s] » (p. 1134), un tableau de « l’état politique et moral de la France avant 1789 » (ibid.). Les « causes et l’esprit » (ibid.) des luttes chouannes y sont rapportées à « la lutte incessante des nobles de province contre les rois et les ministres qui cherchaient à établir le pouvoir absolu sur la ruine des franchises locales48 » (ibid.). Cette explication anti-centraliste et anti-absolutiste vaut, de même, pour les origines de la Révolution : une date est mise en évidence, celle de 1770 ̶ celle de l’édit qui supprime les parlements ; la décision de Louis XVI de convoquer les États Généraux est donnée comme la conséquence des amples mouvements de protestation qu’engendre cette mesure (p. 1135). Si, dans notre imaginaire collectif, 1789 instaure une « déchirure temporelle », s’il est, à ce titre ̶ et, justement, depuis 1848 –, le « moment axial49 » de notre histoire contemporaine, Nerval, en désignant l’origine de cette origine, déplace le moment de la « rupture instauratrice50 », déterminant un autre moment fondateur : celui du divorce entre la monarchie et l’aristocratie. Notons que ce discours historique intègre – outre une citation entre guillemets empruntée sans doute à Émile Souvestre51 ̶ tout un développement (de 37 lignes) issu d’un pamphlet – pourtant apocryphe – de 1788 (p. 1135-113652).
11C’est en 1770 que nous transporte à son tour la troisième partie du prologue, mais cette fois, c’est une écriture mémorielle qui se trouve (fictivement) mobilisée : les narrateurs racontent une histoire qu’ils tiennent, en partie, du « fils de Jean le Chouan », « plusieurs personnes du pays » y ayant, par ailleurs, « ajouté des détails dont [leur] mémoire a profité » (p. 1136). Cette histoire transmise par des témoins, c’est celle de la naissance illégitime de Georges, fils de la comtesse de Maurepas, naissance tout juste précédée du meurtre du comte, tué au cours d’un duel par le père de l’enfant, le marquis de Fayolle. Celui-ci partira pour l’Amérique, où il participera, aux côtés de La Fayette, et en compagnie du marquis de la Rouërie, à la guerre d’Indépendance, tandis que la comtesse de Maurepas, après avoir, clandestinement, mis l’enfant au monde, s’enfermera dans un couvent (p. 1143).
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53 Le Parlement de Bretagne refusait de s’acquitter des impôts exigés par Ver...
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54 C’est en août 1770 que fut envoyée cette délégation de dix-huit conseiller...
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55 On sait combien l’imaginaire familial, surtout en cette période de l’Histo...
12Discours historique et récit (pseudo)mémoriel s’articulent en ce que l’aventure privée, romanesque, ainsi amorcée, a pour contexte et élément déclencheur « l’affaire de Bretagne », laquelle oppose, tout au long des années 1763-1774, les états et le parlement de Rennes (cour souveraine) au pouvoir royal53. En 1769-1770 a lieu le procès du duc d’Aiguillon, commandant en chef de la province bretonne, intenté par le parlement rennais, qui accuse ce dernier d’abus divers : c’est à Paris, où le comte de Maurepas, chargé, par ce même parlement, d’apporter les remontrances54 adressées à l’administration du duc et, pour cela, embastillé (p. 1140), que se noue l’idylle entre la comtesse et le marquis de Fayolle. Nerval propose, de cette manière, un autre récit du moment fondateur de 1770 : celui d’une rupture, sur fond de crise (une crise qui voit le pouvoir royal écarter la noblesse, ce qui pose la question de la raison d’être de celle-ci), de la lignée aristocratique. Fayolle part, ignorant qu’il a un fils, la comtesse se refuse à faire porter au bâtard le nom de Maurepas. Les données de l’histoire politique se trouvent ainsi transposées sous la forme d’un roman familial55.
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56 Je me permets, sur ce point, de renvoyer à mon article : « L’écriture de l...
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57 On reconnaît évidemment la distinction faite par Pierre Nora (« Entre Mémo...
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58 François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps...
13Le dispositif mis en place dans ces premières pages vise ainsi à tenir ensemble l’histoire et sa mise en fiction ; l’écriture historique, fondée sur les principes qui font alors de l’histoire une discipline savante (l’usage du document et la recherche d’archives56) et l’écriture mémorielle ̶ l’approche historique supposant que le passé est mort, révolu, la mémoire s’attachant à ce qui reste encore de vécu, la première ayant vocation à l’universel, la seconde étant « portée par un groupe, qu’elle soude57 ». Cela dans le cadre d’un projet lui-même pris en tension entre deux modes de rapport au temps, et, par là, deux modèles historiographiques : celui qui pense l’Histoire comme processus et perçoit le temps comme orienté, à partir d’un moment axial, le passé, coupé du présent, prenant sens du point de vue de l’avenir ; celui de l’historia magistra vitae qui, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle a consisté, à l’inverse, à éclairer le présent par le passé, « par le relais de l’exemplaire58 ». Cette tension s’exprime à travers la comparaison implicite des narrateurs à des archéologues (figures liées au régime d’historicité moderne) « fouillant le passé et cherchant dans les châteaux en ruines des enseignements pour l’avenir » (p. 1133) (ce qui est le propos de l’historia magistra). Un avenir qui est celui du moment de l’énonciation – la Seconde République est assez présente dans le récit à travers l’évocation de la première ̶ mais qui le dépasse aussi, la réflexion de Nerval visant à embrasser, comme on le verra plus loin, un temps très large.
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59 Frère du marquis.
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60 Le Cahier des charges, instructions, vœux et griefs du peuple de la Sénéch...
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61 « […] plutôt que du peuple », précise le narrateur (p. 1166).
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62 Précis exact et historique des faits arrivés à Rennes les 26 et 27 janvier...
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63 Numéro du 15 décembre 1788. Nerval transcrit au discours direct les propos...
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64 Mémoire adressé au roi par les ordres de l’Église et de la Noblesse séants...
14Le dispositif, tel qu’on le voit opérer à partir de la première partie, assure en effet la jonction du discours historique et du discours fictionnel. Sa présence vient scander différents moments du drame. C’est au chapitre IV de la Première partie (« Le Café de l’union »), que l’histoire personnelle de Georges vient rencontrer l’Histoire : poussé par un désir de revanche contre la noblesse (son amour pour Gabrielle, fille du comte de Fayolle59, lui a valu d’être chassé du château d’Épinay), Georges, à peine arrivé à Rennes pour faire sa médecine, se lie avec les étudiants républicains. Ce chapitre, qui met en scène, aux côtés de Georges, plusieurs personnages historiques (parmi lesquels Moreau, Chassebœuf [Volney] et Bernadotte), s’ouvre sur un rappel des plaintes contre la noblesse formulées « dès 1788 » par le Tiers État de Bretagne : Nerval reproduit alors assez fidèlement (p. 1153, l. 2 à 19) des extraits d’un document d’archive60 qui expose les grandes exigences révolutionnaires. Ce même dispositif est à l’œuvre au chapitre VI de cette même partie (« La place publique »), dans lequel Georges se trouve mêlé, place des Cordeliers, au « prologue du grand drame révolutionnaire » (p. 1163), c’est-à-dire à l’affrontement, le 26 janvier 1789 ̶ sous les yeux de la fictive Gabrielle ̶ de jeunes gens de la bourgeoisie61 et de la noblesse : la scène est introduite par un passage copié d’une brochure publiée à Rennes par les députés du Tiers État62, suivi de la citation d’une partie d’un discours de Volney dans La Sentinelle du peuple63, puis de la transcription, plus libre, d’un passage d’un mémoire adressé au roi par la noblesse et le clergé64 (p. 1163-1164). Un feuilletage similaire marque encore le chapitre xiii (« Le club de Rennes »), où l’on voit, sur fond de Révolution déferlante, d’émigration, de proclamation de la « patrie en danger », naître, de la révolte des prêtres contre la Constitution civile du clergé, la chouannerie, et s’ourdir la conspiration contre-révolutionnaire de La Rouërie ̶ dénoncée, dans une séance du club des amis de la Constitution, par l’ultra-révolutionnaire (et fictionnel) Martinet (en filigrane, se dessine la documentation nervalienne : Duchemin-Descepeaux, Crétineau-Joly, Beauchamp) ; ainsi que le chapitre xiv, qui met en scène les conjurés au château de la Rouërie – Nerval s’appuie là sur l’ouvrage de Beauchamp.
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65 Nerval prend là ses libertés avec l’Histoire : comme le rappelle Jacques B...
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66 Voir J. Bony, éd. cit., Notes et variantes, n. 3 de la p. 1231, p. 1921).
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67 Ibid., n. 1 de la p. 1235.
15La seconde partie met l’accent, de la même manière, sur deux moments importants : celui de la réunion générale des principaux chefs de la conspiration au château de la Rouërie, que Nerval date symboliquement d’un 6 janvier (jour des Rois) ; le chapitre i intègre des documents historiques selon le modèle auquel le roman nous a accoutumés : Nerval puise dans l’ouvrage de Beauchamp une partie du texte de la « Commission donnée au Marquis de la Rouërie par les princes frères de Louis XVI » (p. 1217-1218), puis celui d’un « brevet en blanc » (ibid.) accordé par ces derniers au chef contre-révolutionnaire, et transpose au discours direct le résumé, par l’historien, d’un discours du marquis (p. 1218-1219). La péripétie ainsi amorcée s’achève, à la fin du chapitre ii, sur l’arrestation (imaginaire, elle65), par les gardes nationaux, menés par Georges, de La Rouërie et du marquis de Fayolle : ce dernier, trahissant son camp, se rend alors à Georges, sachant qui il est, ce qui marque la réunion du père et du fils (« “Votre bras, Monsieur”, dit affectueusement Fayolle en glissant son bras sous celui de Georges », p. 1228). Le chapitre iv (« Les municipalités et les cloîtres »), à nouveau nourri, dans son évocation du développement de la chouannerie, de références historiques – Nerval s’inspire de Duchatellier, qu’il cite (p. 123166), et dont il démarque, dans son récit de l’évacuation du couvent des bénédictines de la forêt de Rennes, celui de l’expulsion des calvairiennes de Carhaix (p. 1234-123567) –, prélude à cet autre temps fort que sont les retrouvailles de Georges et de sa mère. Mais le jeune garde national, qu’a reconnu la comtesse, devenue abbesse et mère supérieure du couvent, attend vainement, cette fois, un « signe » (p. 1241) d’elle… Plus de trace, après cela, du dispositif qui jusque-là avait permis le tissage du récit : celui-ci, jusqu’à son interruption (à la fin du chapitre ix), se déroule dans un registre uniquement fictionnel.
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68 Avant-propos », Discours, image, dispositif, op. cit., p. 9.
16L’inachèvement du roman incite à se demander quelle a été l’action effective du dispositif ; ou, plus précisément, si celui-ci, en l’occurrence, ne se défait pas ̶ « la séparation », rappelons-le avec Philippe Ortel, « habite son unité68 » –, avant que sa mission ne soit accomplie.
17De toute évidence, comme nous venons de l’entrevoir, la conjonction de l’écriture historique et de l’écriture mémorielle est problématique. Si le narrateur juge utile, au cours du chapitre XIII de la Première partie, de nous rappeler la convergence des deux modes de son enquête historique :
69 Nerval reproduit ici la discussion des historiens (Duchemin-Descepeaux, Cr...
Cette guerre fut-elle ainsi nommée, à cause des quatre frères Chouan […] qui, les premiers, acquirent une triste célébrité ? ou à cause du chat-huant, du Chouan, dont le cri leur servait de signal69 ?...
C’est ce que les vieux Chouans eux-mêmes n’ont pu nous dire (p. 1200),
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70 Voir ibid., n. 1 de la p 1201, p. 1917.
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71 Ce à quoi les commentateurs du roman le ramènent souvent.
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72 Image que l’on retrouvera, notamment, dans « Sylvie » (chap. III).
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73 Cette guerre commença, en réalité, en mars 1793 (voir J. Bony, éd. cit., N...
c’est justement à ce stade du récit que s’installe une discordance nette entre la chronologie historique et la chronologie diégétique. L’épisode relaté dans ce chapitre (une séance du club des Jacobins de Rennes) est censé avoir lieu après une ellipse de « deux années » (p. 1200) ̶ c’est-à-dire en 1791. Mais le résumé historique qui l’introduit inclut, de fait, une période qui excède cette date : c’est au cours de l’été 1792 que la « patrie » est déclarée « en danger » (p. 1201), et que se produisent les insurrections royalistes menées en Bretagne par des prêtres réfractaires (ibid.70) ; et le Comité de salut public qu’invoque Martinet au début de son discours n’a été créé que le 6 avril 1793. La réunion des conspirateurs au château de la Rouërie a eu lieu en réalité le 30 mai 1792… Dans les chapitres qui suivent, ce déphasage perdure, s’accentue même – signe qu’il n’est pas l’effet d’une simple inadvertance71 de Nerval ; les différents épisodes racontés vont prendre place au tout début de l’année 1791 : le 6 janvier, pour les chapitres XV et XVI de cette Première partie, et pour les chapitres I et II de la Seconde. L’action du chapitre III se situe « le lendemain » (p. 1228) ̶ autrement dit le 7 janvier ̶ tout comme celle du chapitre IV (« […] La Rouërie et le marquis de Fayolle ont été arrêtés cette nuit » (p. 1233), et du chapitre V (« ce matin […] un régiment de dragons est parti de Rennes pour faire évacuer le couvent des bénédictines de la forêt de Rennes […] », ibid.) ; c’est au cours de la nuit qui suit que l’abbesse, arrachée à l’escorte des Bleus par une attaque chouanne, se trouve emportée dans la ferme de Jean le Chouan (chap. VI), tandis que débattent le marquis de Fayolle et la Rouërie et que se discute leur sort (chap. VII). On peut dater du 8 janvier la scène dans laquelle l’abbé Péchard vient persuader le comte de Fayolle d’aider, par la ruse, à la libération de son frère (« Vous savez que M. de La Rouërie et votre frère ont été arrêtés la nuit dernière ? », chap. VIII, p. 1249), et du 9 (« Le lendemain », p. 1251) la scène de séduction au cours de laquelle Gabrielle, agissant pour Péchard, retient Georges, préposé à la garde du prisonnier, à l’hôtel Fayolle (chap. IX). L’action s’interrompt donc aux tout premiers jours de l’année 1791 (la « pendule », dans le salon de l’hôtel Fayolle, est alors symboliquement « arrêtée72 », p. 1152), alors que le discours historique, lui, poursuit, sans dater les événements, le cours de la chronologie, ne cessant d’amplifier l’anachronie : les événements énumérés (d’après Beauchamp) à la fin du chapitre VII de la Seconde partie ont eu lieu d’août à octobre 1792, et l’on reconnaît clairement, avec l’évocation des commissaires envoyés par Danton et des jugements du tribunal révolutionnaire (p. 1247), la situation de la « première Terreur » (10 août-10 septembre 1792)… Nerval anticipe même une seconde fois sur l’année 1793, en décrivant, au début du chapitre IV, les débuts de la guerre organisée des Vendéens73.
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74 « Points de fuite. La Révolution comme irreprésentable (Les Chouans) », ar...
18En contenant l’action de son récit, alors que continue à se dérouler l’Histoire, au seuil de 1791, Nerval évite d’y inclure des événements capitaux : la fuite du roi (20-21 juin 1791), mentionnée par le discours historique (p. 1201), mais qui ne peut avoir lieu dans le temps diégétique ; la chute de la monarchie (10 août 1792), que le discours historique lui-même passe sous silence pour n’en évoquer que les conséquences (l’entrée de la Révolution dans une phase plus radicale, dans sa phase démocratique) – il n’est pas anodin que l’omission de cet événement essentiel ait lieu dans le chapitre XIII de la Première partie, celui qui voit la chronologie diégétique se séparer de la chronologie historique ; et enfin, puisque la vision de l’historien nous mène parfois au-delà de 1792, la mort du roi (21 janvier 1793), prise dans une ellipse semblable à celle qui escamote le 10 août. Le roman de Balzac comportait, de même, des ellipses (ainsi, le 18 Brumaire n’y était pas représenté, alors qu’il était inclus dans la chronologie de l’histoire) : Balzac, comme l’a montré Xavier Bourdenet, tenait « à distance », dans Les Chouans, le référent révolutionnaire, faisant de la Révolution un « point de fuite » (« ce qui ordonne la représentation sans être lui-même intégré à la représentation74 »). Chez Nerval, l’occultation de la chute de la monarchie constitutionnelle et l’instauration de la Première République ont plutôt des allures de déni, ces événements occupant un « angle mort » de la vision historique.
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75 Ils relèvent, avance-t-il, d’une « épistémologie divisionniste » (Nos disp...
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76 Ibid. Le père (ici potentiel) selon la culture et la loi (voir Claudie Ber...
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77 Il lui importe de « ne point donner le nom et la fortune de son mari à un ...
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78 Sur ce point, voir Jean-Marie Roulin, « Matrice familiale et Révolution da...
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79 Je simplifie ici l’analyse, qui mériterait d’être développée.
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80 Georges, de Γεώργος : celui qui travaille à la terre.
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82 Exemple : « C’est moi, monsieur ̶ dit Huguet avec fierté, qui n’ai pas vou...
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85 Un peuple qui se confond avec la bourgeoisie, à laquelle s’intègre Georges...
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86 Pensée qui s’exprime notamment dans son article « De l’aristocratie en Fra...
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87 J.-M. Roulin, « Matrice familiale et Révolution dans Le Marquis de Fayolle...
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88 Ibid., p. 324.
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89 Ibid., p. 329.
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90 « […] il lui reste Elle-même », déclarait Nerval dans « De l’aristocratie ...
19On voit ainsi, dans son roman, s’instaurer le divorce de l’écriture historique et de l’écriture mémorielle. Les dispositifs, ainsi que l’observe Christophe Hanna, « divisent la vérité75 » : c’est bien ici le cas. Revenons un instant sur le roman familial que le dispositif intertextuel et interdiscursif met en tension avec le récit historique : la Révolution, je l’ai dit, s’y présente comme l’effet d’une rupture de la lignée aristocratique. Tout commence avec la mort du pater76, tué par le marquis (le géniteur) au cours d’un duel aux allures de meurtre (p. 1142), et la naissance du fils adultérin, que la mère se refuse à faire passer pour légitime77 : là, dans ce rejet de l’adultération – de l’admission de l’autre dans ce qui doit rester de l’ordre du même ̶ réside, paradoxalement, le geste foncièrement rupteur : voulant protéger la lignée des Maurepas des effets de la transgression, la comtesse, de fait, la brise (c’est à « une branche éloignée de la famille » [p. 1143] que reviennent, en conséquence, les biens du comte78)… Elle fait de l’enfant adultérin un « enfant trouvé » (p. 1149), qui, pour cesser de n’être rien, doit embrasser une carrière d’« homme du peuple » (p. 1151) : c’est en fonction de la logique enclenchée par le geste maternel que le pupille du prêtre libéral Huguet79, simplement pourvu d’un prénom, à connotation plébéienne de surcroît80, rejoint le camp républicain. Mais à peine l’a-t-il rejoint que, dans ce camp même, on reconnaît en lui, à travers le regard de « physiologiste » de Chassebœuf-Volney, le « type » du « gentilhomme » (p. 1157). La sentence de Chassebœuf consonne alors avec le rêve de « naissance illustre » (p. 1184) qui habite le jeune homme, et lui ouvre une voie autre : dans un discours où l’on reconnaît des théories défendues par des historiens libéraux, tel Augustin Thierry81, le futur Idéologue explique la constitution de la noblesse par la suprématie de la « race franke » (p. 1156) conquérante ; c’est à ce discours que fait écho la rêverie du marquis de Fayolle qui, repenti des dissipations de sa jeunesse et désireux d’être père, cherche, dans le fils qu’il vient de se découvrir, « un orgueil de race » (p. 1188). À la conception de la lignée qui détermine l’action de la comtesse de Maurepas – une conception dominée, certes, par l’idée d’une communauté de sang, mais aussi, comme cela est rappelé à maintes reprises dans le roman82, par la notion de transmission du nom et de la fortune83 ̶, le marquis de Fayolle oppose une autre conception, qui revient aux fondements mêmes du lignage aristocratique84. La logique de rupture instaurée par la mère va dès lors se trouver combattue par une logique, portée par le père, de réparation. Mieux : le rapprochement du père et du fils, réunis par cette redécouverte du principe aristocratique (le « courage primitif » pour Chassebœuf [p. 1155], le « cœur » pour Fayolle [p. 1188]), semble ouvrir la voie à la « régénération » (p. 1155) à laquelle en appelle Chassebœuf au Café de l’union : une régénération double, en l’occurrence, puisqu’elle est à la fois celle d’une aristocratie, qui, se ressourçant momentanément, par le biais de Georges, dans le peuple85, trouve à se refonder – et ce, d’autant plus aisément que l’« homme du peuple » en question est un « Franc » de race « pur[e] » (p. 1157) ! –, en même temps que celle d’une « civilisation dégradée » (ibid.), que peut venir revivifier cette force neuve. Comme l’a souligné Jean-Marie Roulin, Georges incarne idéalement celui qui, dans la pensée nervalienne d’une Histoire cyclique86, inspirée (à travers Michelet) de Vico, peut ouvrir un « nouveau cycle » : « de race noble, mais sans les préjugés de sa caste, libre d’adhérer aux idées républicaines et de leur apporter la force et le courage de la noblesse87. » Les pas que père et fils font chacun vers le camp de l’autre, le premier se rappelant qu’il a soutenu, en Amérique, « une République contre le pouvoir royal » (p. 1244), le second se souvenant qu’il a été élevé « dans la religion du pauvre et de l’orphelin » (p. 1237) permettent de concevoir, entre eux, un « moyen terme88 », et d’esquisser une « synthèse » entre « l’attachement à la race et les aspirations républicaines89 », dans laquelle Nerval exprime sa vision personnelle de la Révolution. Et, ajouterai-je : de montrer que l’aristocratie, même séparée du pouvoir royal, existe toujours par elle-même90, et doit avoir un rôle en contexte républicain.
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91 J’ai délibérément laissé de côté, dans cette étude, l’évidente présence de...
20Mais la voie ainsi tracée au destin de Georges s’interrompt : que faire, en effet, de la mère, incarnation du geste rupteur, dans un tel schéma ? Comment concilier la logique affective, en fonction de laquelle on voit s’esquisser, chez ce personnage, une reconnaissance (« Mon fils ! mon fils !... », p. 124391) et un possible revirement, avec la logique « philosophique » de l’histoire, qui paraîtrait plutôt impliquer, de sa part, un retrait définitif ? Comment, par ailleurs, résoudre la tension bien perceptible entre ce récit alter-révolutionnaire, ancré (fictivement) dans un épisode des prémices de la Révolution ̶ les discours de Volney au café de l’Union ̶ et la mémoire chouanne, contre-révolutionnaire, qui est censée le porter ? Quel groupe celle-ci pourrait-elle bien souder ?
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92 Un tel phénomène n’aurait pas eu à se produire s’il s’était simplement agi...
21C’est en raison de cette tension interne, et en particulier parce qu’il lui revient de prendre en charge le récit d’une révolution autre, que le récit mémoriel se décroche du récit historique92, ignorant sa chronologie ou la malmenant, reculant devant les événements qui conduiront à l’instauration de la république égalitaire.
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93 Voir entre autres, Susan Dunn, Nerval et le roman historique, « Archives n...
22La critique a souvent montré que l’inachèvement du Marquis de Fayolle tenait (et ce n’est pas contestable) aux contradictions insolubles qui s’y expriment, et qui sont celles de Nerval93. Il me semble qu’il est plus précisément dû à l’action du dispositif intertextuel et interdiscursif que le roman met en place et qui devrait tenir ensemble la révolution représentée, la révolution pensée, la révolution rêvée. Non content de jouer à plein son rôle « divisionniste » à l’égard de la vérité, ce dispositif, tel qu’il est agencé, dysfonctionne cependant jusqu’à mener le roman à l’aporie.
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94 Que j’ai déjà formulée à propos des Faux Saulniers (art. cit., p. 11).
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95 Le roman de la démocratie, Presses Universitaires de Vincennes, 2003.
23Ainsi, le modèle balzacien emprunté par Le Marquis de Fayolle se complexifie jusqu’à s’altérer sensiblement – on remarque d’ailleurs qu’après le chapitre II de la Seconde partie, le palimpseste se fait plutôt discret et que la réécriture de scènes des Chouans, dans le texte tel qu’il nous a été laissé, cesse – et au point de produire un avatar dont la gestion s’avère impossible : le récit s’essouffle d’être porté par un dispositif dont la fonction stratégique n’est guère efficiente. La manière dont est conduit ce roman m’amène ainsi à formuler cette suggestion94 : si Nerval s’est montré si peu à l’aise dans l’exercice du genre romanesque, c’est sans doute parce que celui-ci, à l’âge moderne, a pour objet de proposer – si l’on accepte l’hypothèse de Nelly Wolf95 – des refigurations de la démocratie ; et c’est bien, ici, le roman de la démocratie que Nerval ne parvient pas à écrire…
Notes
1 Il fait suite au Prince des Sots (années 1830, non datable avec précision). Voir aussi les ébauches rassemblées par Jacques Bony dans Gérard de Nerval, Œuvres complètes, J. Guillaume et C. Pichois dir., Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1989, p. 687-731.
2 Il se donne pour sous-titre « Journal de la République progressive ».
3 Mon édition de référence sera celle du Temps, reproduite par Jacques Bony dans l’édition de la Pléiade déjà citée, t. I. C’est à ce volume que renverront désormais les numéros de page indiqués entre parenthèses dans le texte.
4 Les Romans de la Révolution, 1790-1912, A. Déruelle et J.-M. Roulin dir., A. Colin/Recherches, 2014, « Introduction », p. 15.
5 Trois jours avant l’interruption du roman, les élections législatives de 1849 voient la victoire du parti de l’Ordre…
6 Numéro spécimen du Temps (février 1849), annonçant le feuilleton, cité par J. Bony dans ses « Notes sur le texte », éd. cit., p. 1903.
7 Voir J. Bony, « Notice », éd. cit., p. 1894-1895.
8 Voir, dans Les Faux Saulniers (1850), la réponse de Gérard à un rédacteur du Corsaire qui a mis en doute la sincérité de son républicanisme (Michel Brix éd., éditions du Sandre, 2009, p. 66). Il s’y dit « étranger toujours aux luttes des partis » (p. 67).
9 « […] enté sur le terrain de l’histoire, [le roman de la révolution] se veut une pièce du débat démocratique, participant à la réflexion sur la légitimité et les usages de la République qui traverse tout le siècle » (A. Déruelle et J.-M. Roulin, « Introduction », Les Romans de la Révolution, op. cit., p. 13).
10 Le Prologue nervalien fait écho à l’« Invocation » aux ruines du livre de Volney, et rejoue (p. 1133) l’arrivée de son voyageur à Palmyre (Les Ruines ou Méditations sur les révolutions des empires, Paris, Desenne, Volland, Plassan libraires, 1791, p. XI à XVI et p. 1 à 3).
11 Voir à ce sujet Jean-Marie Roulin, « Matrice familiale et révolution dans Le Marquis de Fayolle », dans Gérard de Nerval, histoire et politique, G. Chamarat-Malandain et alii dir, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 318 et 321.
12 Selon une mise en page qui était celle de l’édition Gorges (Michel Lévy, 1856, p. 1), et probablement celle du Temps.
13 Effet renforcé par le fait que la Seconde partie (p. 1217) ne reçoit pas de titre.
14 Claudie Bernard, Le Chouan romanesque, PUF, 1989, p. 52.
15 À propos des « souvenirs d’enfance » : « C’est comme un manuscrit palympseste dont on fait reparaître les lignes […] » (Les Faux Saulniers, éd. cit., p. 98) – passage repris dans « Angélique ».
16 Cf. Les Chouans ou la Bretagne en 1799, La Comédie humaine, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. VIII, 1877, p. 905. Ce sera mon édition de référence (en abrégé : Ch.).
17 Vincent Bierce, « Le Marquis de Fayolle, roman sous influence. Nerval lecteur de Balzac », dans Corinne Bayle (dir.), Nerval et l’Autre, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 61. Cet article montre que ce roman est traversé, en outre, de réminiscences de bien d’autres textes balzaciens.
18 L’anaphore mémorielle « un de ces … qui » (stylème balzacien !…) renvoie le lecteur, par connivence, à l’univers des Chouans et en particulier au long développement que Balzac consacre au mot « gars » dans le premier chapitre de son roman (Ch., 917-918) – dont Le Gars était, d’ailleurs, le premier titre prévu.
19 La scène de la réunion, au château de La Rouërie, des principaux responsables de la conspiration (Seconde partie, chap. I, p. 1217-1219) fait clairement écho à celle de l’assemblée des chefs au château de la Vivetière (Ch., p. 1030-1033), et l’attaque des Républicains par les chouans, lors de ce même épisode, trouve une manière de réplique, mais inversée, dans la prise du château de la Rouërie par les gardes nationaux (p. 1225-1228). Voir V. Bierce, art. cit., p. 67.
20 Ch., p. 946-956.
21 À qui sa mère ordonne de glisser son pied dans le sabot ensanglanté du père (Ch., p. 1179).
22 Ch., p. 1079-1083.
23 Reprise de patrons dramatiques, de développements linguistiques (sur l’origine, par exemple, du mot « Chouan », p. 1190, p. 1200), et, comme on l’a aperçu, de balzacismes stylistiques…
24 Voir Jacques Bony, Le récit nervalien, Paris, José Corti, 1990, p. 43.
25 Peu soucieuse de recherches historiques, et dans laquelle la fiction cherche davantage à rivaliser avec l’Histoire qu’à la servir.
26 Dans l’Avertissement du Gars, Balzac avait déclaré son « aversion » pour les longs préambules à la manière de Walter Scott (Ch., p. 1969), et l’incipit des Chouans nous plonge, avec la découverte de la colonne des conscrits, in medias res.
27 Citons simplement celle de 1845 : » […] tous les événements de ce livre, même les moindres, sont entièrement historiques » (Ch., p. 903).
28 « Introduction » de la première édition du Dernier Chouan (1829), Ch., p. 897.
29 Mentionnons les « gamaches » (p. 1133), « villotins » (p. 1189), » patauds » (p. 1212 et passim), « gouliers » (p. 1192), « houlons » (p. 1195 et 1211) et autres « pichés » (avec l’orthographe balzacienne – p. 1190), qui se rencontrent dans le texte.
30 Celle-ci bien nervalienne…
31 Ire partie, chap. XII, « Une soirée à la ferme ».
32 « Introduction » de la première édition du Dernier Chouan, Ch., p. 897-898.
33 Xavier Bourdenet, « Points de fuite : la Révolution comme irreprésentable (Les Chouans) », dans Fictions de la Révolution, 1789-1912, J.-M. Roulin et C. Saminadayar-Perrin dir., Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 91.
34 Ch., p. 897. Il a lu entre autres ceux de Mme de La Rochejacquelein (1823), de la marquise de Bonchamps, consulté ceux de Louis-Marie Turreau (Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de Vendée, 1795). Voir Ch., L. Frappier-Mazur, Notes et variantes, n. 2 de la p. 897, p. 1684. Pour plus de titres, voir Ch., L. Frappier-Mazur, Documents, p. 1661).
35 A. Beauchamp, Histoire de la guerre de la Vendée et des Chouans, 3 vol. , 1806 ; J. Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire, 4 vol. , 1840-1842 ; A. Duchatellier, Histoire de la Révolution dans les départements de l’Ancienne Bretagne, 6 vol. , 1836 ; J. Duchemin-Descepeaux, Lettres sur l’origine de la Chouannerie et sur les Chouans du Bas-Maine, 2 vol. , 1825 ; Th. Muret, Histoire des guerres de l’Ouest, Vendée, Chouannerie, 5 vol. 1848 ; Pitre-Chevalier, Bretagne et Vendée, histoire de la Révolution française dans l’Ouest, 1848 ; Émile Souvestre, « Rennes en 1788 », Revue de Paris, t. XII, 22 déc. 1839 (p. 338-354) ; E. Veuillot, Les Guerres de la Vendée et de la Bretagne (1790-1832), 1847 (voir J. Bony, Note sur le texte, éd. cit., p. 1095-1096).
36 Sans doute par Édouard Gorges.
37 Chez Balzac, il n’y a pas de narrateur représenté.
38 « – […] les Chouans ne furent [dit l’un de nous] que des héros de broussailles, des brigands et des assassins fanatisés… – Ne vous y trompez pas, dit l’autre, qui avait la prétention de généraliser toutes les questions […] la chouannerie, comme la guerre de Vendée, fut une résistance plutôt religieuse que politique […] » (p. 1134).
39 « Introduction » de la première édition du Dernier Chouan, Ch., p. 898.
40 Que restitue le précieux travail de l’édition de la Pléiade (sur lequel je m’appuie).
41 L’Envers de l’histoire contemporaine, La Comédie humaine, op. cit., t. VIII, p. 292-306. Cette pièce se trouve dans le premier épisode du roman, publié en 1846 dans l’édition Furne de La Comédie humaine, et que Nerval pouvait avoir lu.
42 Je ne prends pas ce terme dans son sens restrictif (l’interdiscours étant, dans ce cas, « une articulation contradictoire de formations discursives référant à des formations discursives antagonistes »), mais dans son sens large (interdiscours désignant alors « l’ensemble des unités discursives […] avec lesquelles un discours particulier entre en relation implicite ou explicite ») Cf. Dictionnaire d’analyse du discours, P. Charaudeau et D. Maingueneau dir., Seuil, 2002, entrée « Interdiscours », p. 324.
43 Centre national de ressources textuelles et lexicales, entrée : « Dispositif » (https://www.cnrtl.fr/definition/dispositif ; consulté le 30/11 /2020).
44 Discours, image, dispositif, Philippe Ortel dir., Paris, L’Harmattan, 2008, « Avant-propos », p. 6.
45 Bernard Vouilloux, « Du dispositif », dans Discours, image, dispositif, op. cit., p. 18.
46 Christophe Hanna, Nos dispositifs poétiques, Paris, éd. Questions théoriques, 2010, p. 15.
47 Ibid., p. 17.
48 Cette question de la lutte de l’aristocratie et de la province contre le pouvoir central se retrouvera l’année suivante dans Les Faux Saulniers.
49 C’est-à-dire celui qui figure le « point zéro du comput » (ces expressions sont de François Dosse, Renaissance de l’événement, Paris, PUF, 2010, p. 297).
50 Ibid., p. 297-298.
51 Voir p. 1135, n. 2.
52 La Lettre du cardinal de Fleury au Conseil de Louis XVI (attribuée, de fait, à La Reynie), voir p. 1135, n. 3.
53 Le Parlement de Bretagne refusait de s’acquitter des impôts exigés par Versailles pour renflouer les caisses de l’État après la guerre de Sept ans.
54 C’est en août 1770 que fut envoyée cette délégation de dix-huit conseillers (voir p. 1138, n. 2).
55 On sait combien l’imaginaire familial, surtout en cette période de l’Histoire, nourrit l’imaginaire politique. Voir Lynn Hunt, Le roman familial de la Révolution française [1792], trad. fr., Albin Michel, 1995, et J.-M. Roulin, « Matrice familiale et révolution dans Le Marquis de Fayolle », art. cit.
56 Je me permets, sur ce point, de renvoyer à mon article : « L’écriture de l’archive dans Les Faux Saulniers de G. de Nerval », Les archives au XIXe siècle. Nouveaux partages, nouveaux usages, Claude Millet dir., Publications du centre Seebacher , Université Paris Diderot, 2018 ; http://seebacher.lac.univ-paris-diderot.fr/sites/default/files/archives19_massol.pdf
57 On reconnaît évidemment la distinction faite par Pierre Nora (« Entre Mémoire et Histoire », Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, t. I, [1984] 2002, p. XIX).
58 François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Seuil, 2003, p. 103.
59 Frère du marquis.
60 Le Cahier des charges, instructions, vœux et griefs du peuple de la Sénéchaussée de Rennes arrêtée dans l’Assemblée de cette Sénéchaussée, tenue le 7 avril 1789 et jours suivants (voir p. 1153, n. 1)
61 « […] plutôt que du peuple », précise le narrateur (p. 1166).
62 Précis exact et historique des faits arrivés à Rennes les 26 et 27 janvier 1789 et autres jours suivants (voir p. 1163, n. 2)
63 Numéro du 15 décembre 1788. Nerval transcrit au discours direct les propos d’un député que Volney rapporte au discours indirect.
64 Mémoire adressé au roi par les ordres de l’Église et de la Noblesse séants aux États de Bretagne […], s.l., 1789.
65 Nerval prend là ses libertés avec l’Histoire : comme le rappelle Jacques Bony (éd. cit., Notes et variantes, n. 1 de la p. 1228, p. 1920), La Rouërie ne fut jamais capturé et se réfugia en divers asiles tout en poursuivant sa guérilla. Il mourut en 1793.
66 Voir J. Bony, éd. cit., Notes et variantes, n. 3 de la p. 1231, p. 1921).
67 Ibid., n. 1 de la p. 1235.
68 Avant-propos », Discours, image, dispositif, op. cit., p. 9.
69 Nerval reproduit ici la discussion des historiens (Duchemin-Descepeaux, Crétineau-Joly, Beauchamp) sur l’origine du terme de « chouannerie » (voir J. Bony, éd. cit., Notes et variantes, n. 1 de la p. 1200, p. 1917).
70 Voir ibid., n. 1 de la p 1201, p. 1917.
71 Ce à quoi les commentateurs du roman le ramènent souvent.
72 Image que l’on retrouvera, notamment, dans « Sylvie » (chap. III).
73 Cette guerre commença, en réalité, en mars 1793 (voir J. Bony, éd. cit., Notes et variantes, n. 1 de la p. 1231, p. 1921). Même anticipation sur 1793 dans l’évocation de la crainte inspirée par le tribunal révolutionnaire (p. 1247) : celui de la première Terreur ne fit guillotiner que trois « conspirateurs ».
74 « Points de fuite. La Révolution comme irreprésentable (Les Chouans) », art. cit., p. 94.
75 Ils relèvent, avance-t-il, d’une « épistémologie divisionniste » (Nos dispositifs poétiques, op. cit., p. 20 et 19).
76 Ibid. Le père (ici potentiel) selon la culture et la loi (voir Claudie Bernard, Penser la famille au XIXe siècle (1789-1870), Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2007, p. 88 et suiv.)
77 Il lui importe de « ne point donner le nom et la fortune de son mari à un enfant étranger – que cependant la loi des hommes eût reconnu comme légitime » (p. 1180).
78 Sur ce point, voir Jean-Marie Roulin, « Matrice familiale et Révolution dans Le Marquis de Fayolle », art. cit., p. 326 et suiv.
79 Je simplifie ici l’analyse, qui mériterait d’être développée.
80 Georges, de Γεώργος : celui qui travaille à la terre.
81 On retrouvera l’influence de Thierry et la théorie des races « conquérantes » et « conquises » dans Les Faux Saulniers (éd. cit., p. 117-118).
82 Exemple : « C’est moi, monsieur ̶ dit Huguet avec fierté, qui n’ai pas voulu que le fils d’un étranger héritât d’un nom et d’une fortune qui ne lui appartenaient pas… » (p. 1178).
83 Conception qui, au XIXe siècle, n’est d’ailleurs pas spécifiquement aristocratique (voir C. Bernard, Penser la famille, op. cit., p. 60 et suiv.)
84 « Légitime ou non, qu’importe ! ce n’était pas au point de vue de son nom ni de sa fortune… c’était son cœur, son caractère, son esprit qu’il aurait voulu transmettre en héritage » (p. 1188).
85 Un peuple qui se confond avec la bourgeoisie, à laquelle s’intègre Georges (voir supra, la note 61).
86 Pensée qui s’exprime notamment dans son article « De l’aristocratie en France », Le Carrousel, 20 juin 1836, Nerval, Œuvres complètes, éd. cit., I, p. 348.
87 J.-M. Roulin, « Matrice familiale et Révolution dans Le Marquis de Fayolle », art. cit., p. 323-324.
88 Ibid., p. 324.
89 Ibid., p. 329.
90 « […] il lui reste Elle-même », déclarait Nerval dans « De l’aristocratie en France » (art. cit., p. 347).
91 J’ai délibérément laissé de côté, dans cette étude, l’évidente présence de la fantasmatique personnelle de Nerval.
92 Un tel phénomène n’aurait pas eu à se produire s’il s’était simplement agi de raconter la Révolution à travers la mémoire contre-révolutionnaire.
93 Voir entre autres, Susan Dunn, Nerval et le roman historique, « Archives nervaliennes » n° 12, Minard, Lettres modernes, 1981, p. 69-70 ; Jacques Bony, « Un roman feuilleton sur la chouannerie en 1849 : Le Marquis de Fayolle de Gérard de Nerval, dans Vendée, chouannerie, littérature, Presses de l’Université d’Angers, 1986, p. 99.
94 Que j’ai déjà formulée à propos des Faux Saulniers (art. cit., p. 11).
95 Le roman de la démocratie, Presses Universitaires de Vincennes, 2003.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Chantal Massol
Université Grenoble Alpes, CNRS, UMR 5316 Litt&Arts