La Réserve : Livraison juin-juillet 2015

Francis Goyet

Les analyses de discours dans le livre XIII des Eloquentiae sacrae et humanae parallela

Initialement paru dans : Nicolas Caussin : rhétorique et spiritualité à l’époque de Louis XIII, éd. Sophie Conte, Marburg, LIT Verlag (collection Ars rhetorica), 2006, p. 1-48 (Actes du colloque Caussin, Troyes, 2004)

Texte intégral

1Le livre XIII des Parallela consiste en trente-huit discours tirés des historiens de l’Antiquité, grecs ou latins. Caussin en donne le texte, qu’il fait précéder d’une brève introduction et suivre d’une analyse rhétorique pas à pas. Par rapport à la production éditoriale de l’époque, cette présentation combine à la fois un petit Conciones et un livre d’Exercitationes rhetoricae. Un conciones est en effet un corpus de discours extraits des historiens, lesquels ne sont pas nécessairement suivis d’une analyse détaillée, sur le modèle fondateur du Conciones publié par Henri Estienne en 1570.

2Ce livre XIII n’a pas beaucoup retenu l’attention de la critique. Marc Fumaroli n’en dit qu’un mot, mais bien senti, dans le chapitre de l’Âge de l’éloquence qu’il consacre aux Parallela :

  • 1 L’Âge de l’éloquence, Genève, Droz, 1980, p. 286.

…le P. Caussin confond en un même mouvement la culture « adulte », tant sacrée que profane, et la pédagogie qui y prépare. Ce livre érudit est aussi un cours, qui amplifie et reflète, dans ses digressions, répétitions, ses effets parfois faciles, mais aussi ses « explications de textes » soignées, l’enseignement du régent de rhétorique que l’auteur fut à Rouen et à La Flèche. N’y voyons pas une facilité, un remploi. C’est une façon délibérée, quoique plus naïve que chez les auteurs romains [ = les jésuites Strada et Reggio], de relier comme ceux-ci l’avaient fait l’enseignement et les plus hautes formes de la culture, de faire percevoir d’un seul regard tous les étages du Logos, tous ses compartiments, en même temps que son unité profonde1.

3Ce bref passage est intéressant. Car c’est entre autres dans les Parallela que Fumaroli trouve explicitement l’opposition entre rhétorique « adulte » et scolaire, opposition qu’il fait sienne, en considérant tout comme Caussin que Longin et le sublime sont du côté de la rhétorique adulte, ce qui permet de laisser Cicéron au monde scolaire. Du coup, la présence de ces « explications de textes » semble contredire la présentation d’ensemble de l’Âge de l’éloquence. Elles ramènent un peu trop le sublime Caussin à son passé de professeur, et l’adulte à l’enfant. Dans cette perspective, c’est une sorte de régression. Fumaroli s’en débrouille comme il peut, en faisant pour ainsi dire une sortie par le haut. Mais par là il menace de ruine toute sa perspective. La mention du livre XIII le conduit en effet à affirmer pour une fois qu’il y a continuité entre rhétorique « adulte » et rhétorique scolaire, alors que partout ailleurs il les oppose très fortement.

4Pour ma part, je serais plutôt, et résolument, du côté de la continuité. Je ne vois et n’ai jamais vu aucune opposition entre ces deux rhétoriques, dont le distinguo même m’échappe et me paraît du reste, sous la plume de Caussin, plus un jugement de valeur qu’une description de ce qui est – en d’autres termes, une facilité polémique. L’idée que ces analyses soient des remplois ne me gêne donc nullement. Ce qui me gêne n’est pas là. En renvoyant ces analyses au monde scolaire, on traite celui-ci comme un tout homogène, et qui de plus serait si bien connu de tout un chacun, aujourd’hui comme hier, qu’il n’est nul besoin de l’explorer. Le concept de rhétorique « adulte » a contribué à ne pas orienter les recherches vers les productions des régents. Il y a pourtant là, très largement inexploitées, des ressources considérables, qui nous mèneraient plus loin dans notre compréhension de la rhétorique ancienne.

5Pour exploiter ce filon, il faut au minimum, et tout simplement, prendre le temps de regarder des analyses de discours. C’est ce que nous faisons régulièrement dans l’équipe « Rhétorique et Ancien Régime2 », et que je vais faire ici. Mon premier point regardera l’analyse par Caussin d’un discours précis, le Pro lege Oppia de Caton chez Tite-Live ; nous pourrons alors la comparer avec celle de son prédécesseur Melchior Junius ; et je conclurai par un coup d’œil à l’ensemble de ses trente-huit analyses. Le but est de tenter de caractériser en quoi les analyses des Parallela se distinguent de celles alors disponibles. Caussin professeur, certes : mais de quelle sorte ?

Caussin : analyse du Pro lege Oppia de Caton (Tite-Live, XXXIV, ii-iv)

6Si je m’arrête sur l’analyse de ce discours précis, le huitième chez Caussin, c’est qu’on peut aisément la comparer à nombre d’autres, tant Tite-Live est présent dans les divers conciones, du XVIe au XIXe siècle. Pour l’instant, commençons par le seul Caussin, en priant le lecteur de se reporter au tableau en annexe, où il trouvera aussi la liste des conciones utilisés ici.

7Le dispositif est le suivant, et il est à peu près le même tout au long du livre XIII. Caussin donne d’abord un titre au discours. Ce titre est suivi d’un Argumentum, lequel donne d’une part un résumé de la situation historique immédiate, et d’autre part un premier descriptif rhétorique, à grands traits : l’inventio argumentorum, la dispositio en deux parties principales, enfin l’elocutio, qualifiée par trois adjectifs, « grandis, austera, sententiosa », bref, « sentant partout son Caton, Catonem ubique spirans ». Ensuite, est donné le texte latin du discours chez Tite-Live, d’un bloc, sans retour au paragraphe ni intertitres, ni même de guillemets pour signaler les sermocinationes et prosopopées. Pour baliser ce long texte, le lecteur n’est aidé que par neuf manchettes marginales, qui pour l’essentiel reprennent de façon quasi-tautologique des mots du texte livien. La seule autre aide ou marque, ce sont les italiques qui soulignent trois phrases ou plutôt bouts de phrase, en face des manchettes que je numérote 4, 5 et 8. Ces italiques font d’ailleurs redondance avec les manchettes, puisque dans les trois cas le texte en italiques est aussi, à peu de chose près, le texte de la manchette. Enfin, le texte latin est suivi de l’Œconomia orationis, elle-même flanquée de quatre manchettes marginales. En dix paragraphes numérotés par Caussin lui-même de I à X, l’Œconomia va de l’exorde à la péroraison de façon linéaire, dans un commentaire qui mêle remarques rhétoriques et générales.

8Deux traits me paraissent saillants : l’absence de paragraphage et la présence constante du pathos.

  • 3 Le latin classique ne semble pas avoir ce sens précis, ni pour resolutio ni...

  • 4 Par exemple, gr. ana-gignôskein (tout comme lat. re-cognoscere) c’est ou bi...

9L’absence de paragraphage fait d’abord que, d’un point de vue purement typographique, l’ensemble n’est pas extrêmement maniable. On aurait pu imaginer que Caussin, ou son éditeur, se donne au moins la peine de reporter les chiffres latins de l’Œconomia dans la marge du texte de Tite-Live, comme je l’ai fait moi-même. Mais il me semble que cette décision typographique est moins un oubli ou une paresse qu’un choix intellectuel. Il s’agit d’obliger le lecteur à ne pas aller trop vite, à entrer progressivement dans le discours. Pour pouvoir reporter les chiffres latins dans la marge, au moins mentalement, il faut comprendre l’Œconomia, la « suivre » pas à pas. Il faut donc prendre son temps. Le lecteur répète alors le geste du commentateur, qui est de découper le texte livien en tranches. Ce geste est fondamental, car il renvoie au sens propre du grec analysis, ou de son équivalent latin chez les humanistes, resolutio3. Ana-luein, c’est disjoindre ce qui est joint ou « lié » par des liens : luein signifie à soi tout seul « délier », et la lusis est au théâtre le dé-nouement. Il s’agit donc de décomposer un composé, de défaire la trame textuelle qui liait les parties et en faisait un tout, selon le sens donné par le préfixe ana- comme par son équivalent re- : remonter, revenir en arrière, avec aussi une valeur distributive, « en parcourant » tous les éléments4. Le problème est alors le distinguo classique posé par Platon entre le mauvais et le bon boucher. Le mauvais coupe l’animal « à la hache », de façon arbitraire, quand le bon fait passer le couteau là où sont les articulations originelles. L’ana-lyse est une ana-tomie.

  • 5 Je me permets de renvoyer là-dessus à mon commentaire de la Deffence et ill...

10Pour en rester à l’analyse textuelle, le geste de faire passer le couteau ou les ciseaux sur un texte implique plusieurs choses. D’une part, c’est présupposer que le texte est un composé, et même un composé vivant, comme l’animal que le boucher découpe : on sait l’importance anciennement de l’idée de compositio, ce que Du Bellay appelle précisément la « liaison5 » ; on se rappelle aussi que le mot même de « composition » est resté longtemps un terme scolaire – faire une composition française, c’était construire un discours, et, plus tard, une dissertation. D’autre part, l’analyse linéaire n’est pas du saucissonnage, c’est-à-dire un découpage arbitraire : l’analyste prétend au contraire retrouver et faire retrouver les articulations originelles, les jointures réelles du texte. En somme, d’un côté l’absence de paragraphage donne à voir le texte latin comme un composé vivant, comme une trame, tissu ou textus ; de l’autre côté, pour reporter au texte le découpage proposé par l’Œconomia, le lecteur doit faire tout un travail de compréhension, ce qui lui permet d’apprécier in situ la pertinence de ce découpage.

11Ce long discours donné d’abord d’un bloc, ce n’est donc que progressivement qu’on se l’approprie en y voyant de plus petites unités : d’abord l’exorde, bien sûr, puis ce premier argument qu’est le danger que les femmes font courir à l’État, etc. Si le texte livien était déjà paragraphé, ce serait du travail pré-mâché, sans enjeu de lecture. Il nous paraîtrait alors évident que l’exorde, par exemple, s’arrête là où Caussin le fait s’arrêter – or la comparaison avec le seul Junius montre aussitôt que cela n’a en fait rien d’évident, puisque Caussin arrête l’exorde bien avant celui-ci, à la fin de I (ou bien après, à la fin de II, si l’on se rappelle que la 1e partie pour Caussin commence à III). Avec des paragraphes déjà faits, le lecteur ancien serait dans la situation du lecteur moderne de Montaigne. On sait que les éditions actuelles des Essais mettent des paragraphes là où les éditions du vivant de Montaigne ne le faisaient pas. Du coup, ce paragraphage moderne donne pour acquis et « naturel » un découpage qui aurait dû être une conquête, d’ailleurs fragile, due à la diligentia de ce « diligent lecteur » que les Essais appellent de leurs vœux. De même ici, Caussin en appelle à la participation active du lecteur – de l’élève. Il le laisse pour ainsi dire faire la moitié du chemin. Et pourtant il l’aide à se repérer, avec les manchettes. Une fois qu’on a reporté au texte son paragraphage de I à X, on s’aperçoit en effet qu’il y a pratiquement une manchette par paragraphe. Comme j’ai numéroté les manchettes, c’est d’autant plus frappant : la manchette 1 correspond à I, 2 à II, 3 à III, 4 à IV, 5 à V. Ensuite, cela se décale un peu : 6 correspond à VII, 7 et 8 à VIII, enfin 9 à X. Mais enfin, peu ou prou, les manchettes permettent de baliser à grands traits le discours, de le « saisir » visuellement et donc intellectuellement, en permettant à l’esprit de se poser de place en place.

  • 6 Aristote, Rhétorique, III, 8 sub fine, 1409a21, première attestation : voir...

12Les manchettes apparemment si tautologiques ne sont donc pas inutiles. Si l’on veut poursuivre l’image de la « saisie », on pourrait dire qu’elles sont comme des poignées qui permettent d’attraper et de tenir toute une unité du texte, comme on tient une valise. Mais en fait d’image, est sans doute plus pertinente l’image ancienne des « lieux » de mémoire. Les manchettes sont comme une série de points d’accroche à parcourir et méditer, et à partir duquel le lecteur va se remémorer le texte, tel le moine s’arrêtant aux diverses « stations » dans l’église puis le cloître. Car le but ultime du dispositif typographique me paraît être la mémorisation de tout le discours. Si Caussin n’a pas voulu trop aider le lecteur, c’est pour mieux l’aider, dans et par le lent processus de va-et-vient entre son analyse et Tite-Live, à s’assimiler le texte lui-même, à le savoir de proche en proche tout entier par cœur, c’est-à-dire à le posséder dans sa plénitude. On apprend par blocs, lieux ou valises, et on apprend aussi l’ordre de succession des blocs ; et si les blocs sont arbitraires, on retiendra et on récitera bien moins facilement. Ainsi les manchettes marginales ne sont-elles qu’en apparence anodines. Terminons là-dessus en soulignant qu’elles nous renvoient au sens propre du grec paragraphè. Un para-graphe, c’est ce qu’on écrit (graphein) à côté (para), c’est-à-dire, justement, dans la marge ; d’où selon le Bailly le sens à la fois d’« annotation marginale » (Isocrate), de « signe de ponctuation annonçant la fin d’un développement6 », ou encore de « signe graphique pour annoncer la réplique dans un dialogue de théâtre ».

13L’absence de paragraphage n’est donc pas, on le voit, une question purement formelle ou typographique ; ou plus exactement, les questions de typographie impliquent toujours des décisions sur le fond. J’en viens ainsi à l’autre point annoncé, qui porte encore plus clairement sur le fond, à savoir la présence constante du pathos, ou plus exactement d’un certain pathos.

14Le nom même de Caton est emblématique d’une éloquence tout entière pathétique ou si l’on préfère véhémente : « grandis, austera, sententiosa », comme le dit Caussin à la fin de son Argumentum. La situation même du discours est elle aussi assez typiquement catonienne. Les femmes ont envahi le Forum en foule pour obtenir l’abrogation de la loi Oppia, qui leur a interdit toute espèce de luxe ostentatoire. Le consul Caton s’oppose à cette foule déchaînée, dans un jeu d’oppositions tranchées où il défend une certaine idée de Rome : les maris contre les femmes, la sévérité contre le luxe, la retenue d’autrefois contre la décadence d’aujourd’hui, etc. Bref, il est seul contre tous, ou plutôt contre toutes, telle la raideur contre la mollesse ou encore, pour reprendre l’image virgilienne, tel le rocher stoïque contre les flots démontés.

15Que Caussin voie de la véhémence partout n’est donc pas a priori pour surprendre. En voici l’énumération exhaustive (je souligne) :

Exordium graue nimiam virorum indulgentiam perstringit, Un exorde grave attaque la trop grande indulgence des maris envers leurs femmes.

Ex eo statuit in primis periculosa mulierum conciliabulae, et hujus authores licentiae sugillat, D’abord il expose les dangers que représente cette assemblée de femmes, et il flétrit les responsables à l’origine de pareille licence.

[ = manchette 4] Mulier indomitum animal, La femme est un animal indomptable.

VI. Etiamsi nulla lex esset opposita, tamen flagitiosa est haec mulierum importunitas : quod praeclare exaggerat, ostendens a rei natura et turpitudine petitionis indignitatem. Même si aucune loi ne s’y opposait, cette requête importune des femmes serait pourtant scandaleuse : ce qu’il « exagère » de façon brillante, en soulignant l’indignité de la requête à partir de la nature même de la chose et de sa turpitude.

VII. [ = manchette 6] Luxus Romanus perstringitur, Il attaque le luxe romain.

16Vu par Caussin, le ton catonien est monocorde : il attaque, flétrit, « exagère » l’indignité (au sens rhétorique d’exagérer). Le mot même d’indignitas à VI est révélateur, comme est très révélateur le fait que l’Œconomia isole en un seul paragraphe VI ce petit passage de Tite-Live, pour en faire la conclusion et donc la péroraison pathétique de la « première partie » commencée à III. Cela est d’autant plus étonnant quand on compare avec l’analyse de Junius : c’est le point précis où leurs deux découpages diffèrent radicalement, ils ne sont pas d’accord sur la jointure même du discours. Indignitas et mini-péroraison (ou, dit Quintilien, peroratiuncula) : ces deux éléments permettent de caractériser la sorte de pathos à laquelle songe Caussin. Ce qui l’intéresse est l’indignatio, laquelle renvoie à l’attitude du procureur. La véhémence est celle de l’invective dans le réquisitoire, qui se déploie précisément de la façon la plus éclatante dans la péroraison. Nous cherchions à caractériser Caussin : nous y sommes. Le recours constant aux catégories de la véhémence indignée est l’un des traits les plus caractéristiques de sa lecture. C’est aussi l’un des plus discutables, et l’un de ceux que la comparaison avec Junius va dégager de façon particulièrement éclairante. Pour en rester ici à Caussin, plusieurs éléments vont dans ce sens : le vocabulaire employé, le relatif oubli du plan proposé, enfin l’intérêt que les Parallela portent au « lieu commun » selon Aphthonius.

  • 7 Sug(g)illare est absent tant des traités cicéroniens de rhétorique que de l...

  • 8 Du Cange, s. v. Suggilatio, rend le mot par « infamia, dedecus ». Tite-Live...

  • 9 Cicéron, Verr. 4, 105 : « Rei magnitudo me breuiter praestringere atrocitat...

  • 10 Cf. la seule occurrence de Quintilien que l’on puisse à la rigueur qualifi...

  • 11 Énéide, IX, v. 294 : « Le cœur ému, Percussa mente, les Dardanides pleurèr...

  • 12 Les Exercitationes (…) T. Livii de 1740 ont deux emplois rhétoriques du ve...

17Tout d’abord, le vocabulaire de Caussin se distingue ici par sa préciosité. Perstringere (I, VII) et sugillare (II) sont du latin classique et même livien, mais ce sont des termes peu usuels pour une description rhétorique7. Très peu techniques, ils ne sentent pas l’école, et c’est donc du vocabulaire pour rhétorique « adulte ». Suggillare ou sugillare signifie « se moquer de, insulter, outrager », et dans ce sens de « flétrir » il est bien attesté tardivement : il permet de dire, à propos des tribuns, ce que Junius désigne plus techniquement à son 1 par pudor, le déshonneur8. Perstringere est plus intéressant, et il n’est pas dans les traités. Le mot ne saurait avoir ici son sens classique d’« effleurer (un sujet), toucher légèrement9 ». Caton ne mentionne pas comme au passage l’indulgence des maris ou le luxe romain ; bien au contraire, il les attaque fortement. Perstringere a ici son autre sens, qui est également du latin classique. Tite-Live (I, xxv, 4) : « Au premier choc de ces guerriers [les Horace et les Curiace], au premier cliquetis de leurs armes, dès qu’on vit étinceler leurs épées, horror spectantes perstringit, une horreur profonde saisit les spectateurs » (trad. Nisard) ou « un frisson crispe les spectateurs, leur serre le cœur » (trad. du nouveau Gaffiot10). Stringere : étreindre ; per-stringere : étreindre totalement. Qu’on effleure ou qu’on serre fermement, dans les deux cas il s’agit du même geste : saisir la surface (pincer, raser) ou au contraire la profondeur (étreindre, empoigner). Dans le second cas, le même verbe est souvent flanqué d’un adverbe, qui précise si on est dans le pathétique le plus grand, comme ici chez Tite-Live ou encore chez Virgile11, ou un ton plus bas12. Chez Caussin, le retour du verbe dit clairement la présence constante de la véhémence la plus grande, celle d’un Caton qui « saisit » son public par ses remontrances, le prend d’emblée ou plutôt l’empoigne pour ne plus le lâcher, tout comme l’angoisse poignante étreint les spectateurs au début du combat des Horace et des Curiace, pour ne plus les quitter. Et cela nous ramène précisément à la présence constante du pathos. Le per- annonce d’emblée que le poignant ou « stringent » va dominer la totalité du discours.

  • 13 Sur ce recours au mos Maiorum par Caton, et, à l’imitation de celui-ci, pa...

18Le deuxième élément qui va dans le même sens est le relatif oubli du plan proposé. Il est en effet assez étonnant de voir que l’Œconomia orationis ne mentionne même pas le découpage en deux parties signalé auparavant dans l’Argumentum : « première partie, la loi ; seconde partie, la censure des femmes ». Dans l’Œconomia, la censure des femmes, qui va de VII à IX, est tout entière vue comme une invective : pathos du réquisitoire contre le luxe actuel, et contraste typiquement catonien avec l’absence de luxe des ancêtres. En revanche, les considérations sur la première partie, la loi, de III à VI, sont introduites dans l’Œconomia par « disputat ». Ce verbe en principe introduit plutôt l’idée de contentio ou confirmatio : c’est là que commence l’exposé des arguments, la discussion. Donc cette première partie devrait être vue a priori comme un ton plus bas que la véhémence, et relever du docere. Mais derechef, on voit bien ce que Caussin en retient là aussi, à savoir l’effet de contraste violent et « catonien » : entre le présent où les femmes font ce qu’elles veulent et le passé glorieux des ancêtres qui ne leur laissaient rien faire (III), entre le laxisme où chacun se débarrasse des lois qui le gênent et l’autorité de la loi (V), avec mini-péroraison à VI sur l’indignité de leur demande. Ce contraste est un ressort de la véhémence, il est même le ressort catonien par excellence, le célèbre recours au mos Maiorum13.

19Il est aussi, si je puis dire, le ressort caussinien par excellence, et c’est le troisième élément, le plus probant je crois. Caussin lui-même en a fait la théorie plus haut dans les Parallela (V, 3), lorsqu’il appuie toute sa théorie du lieu commun sur le chapitre qu’Aphthonius lui consacre. Or, le « lieu commun » selon Aphthonius, c’est l’équivalent exact de ce que le De Inuentione de Cicéron nomme une indignatio, et qui a sa place dans la péroraison. Nous ne sortons pas du réquisitoire, auquel Caussin donne d’un point de vue théorique une place exagérée, en faisant par là comme si toute espèce d’amplificatio relevait de l’indignatio. À V, 3, il a une remarque à la fois très intéressante et très révélatrice. Le premier lieu ou point d’Aphthonius est ex enantia, tiré des contraires (a contrario dans la traduction Lorich). Dans l’exemple d’Aphthonius, qui est contre un tyran – c’est-à-dire contre une tentative de renversement de la démocratie –, ce premier lieu donne (je souligne) :

  • 14 Je reprends la paraphrase donnée par Michel Patillon, Éléments de rhétoriq...

Tenez-vous en donc plutôt à l’avis de nos ancêtres, qui ont trouvé que le moyen de combattre les inégalités et d’assurer la concorde était une constitution qui excluait toute forme de pouvoir absolu et qui était régie par des lois égales pour tous14.

Caussin remarque que « contraire » signifie en somme : opposer la situation actuelle aux « Maiorum placita », aux décisions de nos ancêtres. Il en déduit que cela ressemble sur le fond au premier lieu de l’amplificatio selon l’Ad Herennium (II, 48), c’est-à-dire encore au premier lieu de l’indignatio selon le De Inuentione de Cicéron (I, 101), dont la formulation est à peu de choses près la même. Ce premier lieu est dit par l’Ad Herennium et par Cicéron ab auctoritate (je souligne) :

  • 15 Rhétorique à Herennius, éd. et trad. Guy Achard, Paris, Les Belles Lettres...

Le premier lieu se tire de l’autorité, quand nous rappelons quel intérêt les dieux immortels, nos ancêtres, les rois, les cités (…) ont pris à la chose, et surtout (…) les lois, Primus locus sumitur ab auctoritate, cum commemoramus quantae curae ea res fuerit diis immortalibus aut maioribus nostris, regibus, ciuitatibus (…) item maxime (…) legibus15.

20« Contraire » chez Aphthonius, « autorité » dans les traités latins : parce qu’il met théorie grecque et latine en parallèle, Caussin sait dégager le troisième terme qui unit ces deux premiers, et qui est le mos Maiorum. Comme explication théorique, c’est très intelligent, et c’est en soi un apport très intéressant à l’histoire de la rhétorique, que ni Guy Achard ni Michel Patillon ne me semblent signaler, parce que ni l’un ni l’autre ne pratique le parallèle. Mais c’est aussi très révélateur des intérêts de Caussin. La première partie du discours de Caton commence par « Maiores nostri… » ( = III), donc pour Caussin par un contraste ou « contraire » avec les ancêtres. Et la fin de cette première partie, sur la déliquescence de la loi, est pour notre jésuite « ab authoritate legis » ( = V) : la formule est clairement une référence à la formulation des traités latins. Le rapprochement est ainsi très net entre la théorie de Caussin et sa lecture de la première partie de ce discours. Mais on voit aussi la conséquence du rappel de sa théorie. Cela signifie que pour lui toute cette première partie relève d’une amplificatio (Ad Her.) ou d’une indignatio (Cicéron) ou encore d’un « lieu commun » au sens d’Aphthonius. Or ce type d’amplification est en soi tout entier du pathos, de la véhémence. Chassez l’invective – le pathos de l’indignatio –, elle revient par le mos Maiorum.

21On va voir que chez Junius le pathos est plus différencié. Junius signale, comme Caussin, le petit passage de pudor (à son 1 = Caussin, IIb, « sugillat »). Mais surtout, et que ne fait pas Caussin, d’un côté il limite l’indignatio à deux passages circonscrits, ses 2 et 9 ( = IIc et milieu de X) et de l’autre il introduit deux autres « passions », ira et metus, et elles aussi à des moments circonscrits. Concluons notre lecture interne de Caussin en soulignant ce que pèse cette idée de moment circonscrit.

  • 16 Francis Goyet, Le sublime du « lieu commun », Paris, Champion, 1996 ; j’ai...

22Le problème crucial pour Junius est en effet celui de la place dans le discours. De son point de vue, le recours constant de Caton-Caussin à la seule indignatio et au seul « lieu commun » modèle Aphthonius est hautement problématique. Car ce type de « lieu commun » n’a pas sa place dans un début de contentio, et il peut encore moins représenter la moitié de celle-ci – Quintilien dit seulement qu’on peut placer par-ci par-là de petits « lieux communs » dans la contentio, pour souligner que le pathos n’est pas tout à fait exclu de celle-ci, bien qu’elle soit dédiée en principe au seul docere. Comme j’ai jadis tenté de l’expliquer, la place par excellence du lieu commun est la péroraison, qui est ce que j’appelais « le grand moment des grands moyens16 ». Et pour cause : le lieu commun n’intervient que quand la discussion a établi les faits, par une narration puis par une argumentation. Chez Aphthonius lui-même, c’est un morceau détaché du reste du discours, lequel aura établi par des preuves (par du docere) qu’il y avait bien tentative de renversement de la tyrannie. Caussin commence par décrire la première partie du discours comme une disputatio, mais en fait il la considère toute comme un réquisitoire, sur le modèle de la péroraison. Ce devrait être du logos ou docere, et c’est du pathos ou mouere. Il brûle ainsi les étapes, et son Caton est d’emblée un procureur, qui pérore avec véhémence contre le temps présent. En termes de dispositio, il est significatif que Junius ne voie même pas les deux « parties » que voit Caussin, parce que précisément Junius ne voit pas les deux grands « lieux communs » qui sautent aux yeux du jésuite. Chez l’un comme chez l’autre, le plan est une décision de lecture, des sortes de lunettes qui nous renseignent sur la vision de chacun. Pour Caussin, l’articulation principale est entre VI et VII, à un endroit où son prédécesseur ne repère même aucune articulation d’aucune sorte : les VI et VII du jésuite sont chez Junius la fin d’un long 6. Inversement, pour Junius l’articulation principale est entre 4 et 5 : d’abord 1-4 pathétiques, puis 5-8 « éthiques », je vais y revenir. Si Caussin ici fait bien passer les ciseaux au même endroit que Junius (IV et V = 4 et 5), chez le jésuite cette séparation n’a rien d’une articulation fondamentale, puisqu’elle est englobée, noyée pour ainsi dire dans sa première partie (de III à VI).

  • 17 Comme apparemment toutes celles après 1619 que nous a montrées la Biblioth...

23Une autre façon de retrouver le même résultat caractéristique est de regarder l’index. Dans l’édition tardive que j’ai utilisée, l’index réfère ce discours sous la rubrique Lex, en donnant pour premiers exemples ce discours même17. C’est bien dire que la première partie ou contentio est aux yeux de Caussin, et ensuite du faiseur d’index, une vaste amplificatio ou locus communis, à ranger de façon exemplaire sous la rubrique Lex. De même, la liste abrégée des arguments que donne l’Argumentum sonne comme une liste de lieux communs, d’ailleurs repris par les manchettes : « ab authoritate legis, à disciplina maiorum, ab ingenio muliebri cupido et indomito, a detrimentis quae ex luxu et auaritia consequentur ». On sort du discursif pour passer à l’énoncé grandiose et autonome de « vérités », sur la nature de la loi ou sur celle des femmes. Dans sa façon de mettre des manchettes, Caussin signale sa quête permanente d’envolées « sublimes », et on voit d’ici le professeur enflammé et enflammant qu’il devait être. Car l’indignatio a tout pour plaire à des adolescents, avec sa manière puissamment simplificatrice d’agiter le sentiment de révolte face à l’injustice scandaleuse du monde tel qu’il est. Le sublime, c’est l’irrésistible. Les classes d’histoire et de littérature ont ainsi tendance, aujourd’hui comme autrefois, à se transformer en cours d’instruction civique. Tout cela est parfaitement légitime, et même peut-être nécessaire. Mais ce choix de lecture, à l’évidence, retentit sur la façon d’analyser le texte. Le sublime professeur ne s’attache guère à la question de la place, du moment où apparaissent ces grands moyens qui feront de si beaux morceaux choisis. Or, en termes de compositio, cette question de la place est cruciale. Pour le dire autrement, et selon la formule qui clôt ce même Argumentum, le discours « respire partout son Caton, Catonem ubique spirans » ; et pourtant l’analyse qui en est donnée ne le fait pas beaucoup respirer. Son Caton est monocorde et pour tout dire monotone, réduit qu’il est à tonner toujours.

Junius : analyse du même Pro lege Oppia de Caton

24Nous en savons maintenant assez pour en venir à l’analyse du même discours par Junius, dans ses ressemblances et ses différences.

25Les ressemblances sont essentiellement formelles. Le dispositif de Junius est en effet le même que celui de Caussin. Lui aussi donne d’abord un titre au discours. Ce titre est aussitôt suivi de l’analyse ou « resolutio », mot dont nous avons vu qu’il rend le grec analusis. La resolutio de Junius combine l’argumentum et l’œconomia orationis de Caussin, en commençant elle aussi par le rappel des circonstances immédiates du discours, et en continuant par l’analyse proprement dite. La resolutio est elle-même donnée d’un bloc, sans aucun retour au paragraphe. Je la donne ici dans sa continuité, mais en l’aérant un peu (on en trouvera le texte complet dans l’annexe, réparti en divers endroits). Les chiffres en italiques sont ceux donnés par Junius ; j’ai ajouté ceux en romain et entre crochets :

D’abord, un rappel de la situation immédiate.

Ensuite, les arguments :
Quod primo abrogatio…
2. Agendi modus…
3. Maiorum longe…
(…)
10. Semper denique…

Ad èthè, mores et conciliationem pertinent :
[1] cum ostendit Cato, se de Republ. solicitus esse…
[2] Deinde modeste…
[3] Tum grauiter et prudenter disputat…
[4] Postremo voto orationem concludit…

Pathè, motus animorum sunt…
[1] Iram excitat Cato contra mulierculas…
[2] Mouet metum ac timorem malorum…
[3] Indignatio oritur, quando monstratur…
[4] Pudor tandem inculcitur…

Collocatio et tractatio horum constat.

Exordio…

Pars confirmatio est ; in qua aliquot argumentis legis Oppianicae abrogatio a Catone dissuadetur.

Peroratio pia et modesta…

Loci communes in hac sunt colligendi :
[1] de mulierum officio ;
[2] occultis ac secretis conuentibus in Republ. non ferendis ;
[3] legum abrogatione ;
[4] luxuria muliebri prohibenda et punienda.

Usus erit, cum dissuadere earum legum antiquationem volumus, quae utiles Reipub. et superbiam aliaque vitia coercent ac castigant.

26Le texte même du discours livien est, comme chez Caussin, donné d’un bloc, sans paragraphes. Pour le baliser, Junius ne reporte en marge que les deux derniers éléments de son analyse : d’une part, les I, II et III du plan ou « collocatio » ; d’autre part, les lieux communs, indiqués par des guillemets dans la marge.

27Pour le plan, ce repérage au texte va un peu plus loin que celui de Caussin avec ses seules manchettes, mais au fond ce n’est guère plus utile, sauf pour l’exorde. Le III de Junius ne recouvre en effet que la toute fin du discours ; son II en revanche en couvre la quasi-totalité, si bien que le lecteur se retrouve tout de même à affronter bien démuni ce très long paragraphe II. Junius, ou son éditeur, aurait pu reporter également en marge le numéro des dix arguments que son analyse énumère soigneusement, de 1 à 10. Le refus de le faire me paraît relever du même raisonnement pédagogique que chez Caussin. Là aussi, il s’agit d’obliger l’étudiant à ne pas entrer trop vite dans le discours, et à faire le va-et-vient entre l’analyse et le texte. Quant aux guillemets dans la marge, ils sont ici dans leur rôle classique au XVIe siècle, celui de « flèches » ou d’index signalant des phrases remarquables, et en général des maximes, que l’élève pourra reporter dans un cahier de lieux communs. Junius va en ce cas précis un peu plus loin dans la marge que dans son analyse. Les guillemets lui servent à indiquer au lecteur les quatre lieux communs signalés par l’analyse, en face de ses I, 3, 5 et 6 ; mais aussi trois autres passages, à ses 7, 9 et 10. D’un point de vue typographique, ces guillemets marginaux attirent d’ailleurs bien plus l’œil et donc l’esprit que les italiques par quoi je les ai remplacés, faute de meilleure solution.

  • 18 « R. S. Conway pense (Praefatio, I, p. ix-x) que la distinction en chapitr...

  • 19 Les unités découpées par nos deux professeurs regroupent en général de deu...

28Une fois qu’on a reporté en marge du texte livien les repères de Junius dans son analyse, et qu’on les compare à ceux de Caussin, on s’aperçoit qu’en gros ils sont tous deux d’accord sur le découpage du texte. Le III de Caussin est l’argument 3 de Junius ; IV = 4 ; V = 5 ; VIII = 7 ; IX = 8. Au début, IIb = 1 et IIc = 2. Vers le milieu, Vb = 6. À la fin, Xb = 9, et Xc est la seconde moitié de 10. La différence la plus notable est celle que nous avons déjà vue et à laquelle je vais revenir dans un instant : au beau milieu, le 6 de Junius ne cadre pas avec les VI et VII de Caussin. Aussi abstrait que paraisse ce résultat d’ensemble, il est très important. Il signifie que les deux professeurs sont en général d’accord sur l’endroit où faire passer les ciseaux de l’analyse, sur la façon d’anatomiser le texte. Ce résultat confirme celui dont nous nous sommes assez vite rendu compte dans l’équipe Rare, à propos du paragraphage de Cicéron. Nous ne savons pas encore de quelle édition date précisément ce découpage en paragraphes (repérés d’emblée, comme aujourd’hui, par des chiffres arabes), mais il représente un fait acquis au XVIIe siècle, en particulier pour les régents jésuites qui commentent Cicéron, de Nicolas Caussin et Gérard Pelletier à Martin du Cygne : tous renvoient uniquement aux paragraphes, et non aux chapitres en chiffres romains. Le fait évident est que ces paragraphes sont dus à un éditeur très informé de rhétorique, qui repère par là des unités signifiantes, par exemple l’étendue d’une figure de pensée. Il arrive que, d’un régent à l’autre, la numérotation même des paragraphes change, d’une ou deux unités, parce que de façon très ponctuelle un régent va découper en deux ce qui chez l’autre faisait une seule unité/paragraphe, ou au contraire fusionner deux unités en une seule – ce qui suffit évidemment à décaler toute la numérotation. Mais le fait essentiel est que tous les commentateurs sont en gros tout à fait d’accord sur le découpage, donc sur le repérage des unités, tout comme ici Junius et Caussin. Du reste, on pourrait se poser la même question sur Tite-Live, en se demandant de quand date le paragraphage en chiffres arabes, et à quel type de lecture correspond ce découpage, plus fin que celui par chapitres18. Un rapide coup d’œil aux tableaux permet de voir que les ciseaux de Junius et de Caussin passent toujours là où passent ceux du découpeur des paragraphes « actuels » (hormis pour Caussin au début de VI, ce qui confirme le caractère problématique de ce VI19).

29Cela posé, autant Caussin et Junius sont à peu près d’accord sur la façon de découper et donc, au sens propre, d’analyser, autant diverge l’interprétation qu’ils donnent de ce découpage. Après leurs ressemblances, nous en venons ainsi à leurs différences. Nous avons vu à l’instant que Junius relève quatre lieux communs et trois autres maximes. Apparemment, cela pousserait à penser qu’il recourt à la véhémence de l’invective de façon tout aussi constante que Caussin, d’autant que pour l’essentiel ils repèrent tous deux les mêmes passages de ce genre. Mais ce n’est pas si simple, car chez Junius, comme on vient de le voir, l’analyse fait intervenir un jeu complexe de catégories différenciées. Du coup, les mêmes phénomènes n’ont pas la même portée. Le pathos chez lui n’a pas le même sens que chez Caussin.

  • 20 Molière, Les Femmes savantes, III, 4, v. 972.

30La première différence très frappante entre Caussin et Junius est, chez ce dernier, l’affichage explicite des catégories. Junius a une grille de lecture, et il l’applique de façon uniforme à l’ensemble des discours qu’il analyse dans son ouvrage. Sa grille a six entrées : d’abord le trio aristotélicien logos, ethos, pathos, puis le plan et les lieux communs, enfin l’usage qu’on pourrait faire du discours dans d’autres occurrences. Cela oblige a priori à toujours poser au texte un questionnement aristotélicien, ce qui est pour le professeur une vraie contrainte. Il ne lui suffit pas de développer à ses étudiants la théorie de l’ethos et du pathos, il lui faut se préparer à leur montrer sur pièces, dans une série de discours, où se retrouvent ces catégories. Le questionnement lui-même amène alors à une lecture différenciée du texte. Il ne saurait y avoir « partout » de l’ethos, ou du pathos, du moins si « partout » veut dire « de façon constante ou récurrente » – pour citer la réponse de Vadius à Trissotin, « On voit partout chez vous l’ithos et le pathos20 ». Du coup, la catégorie de l’ethos, ou du pathos, est elle-même différenciée : dans tel texte sont convoqués tel ou tel type d’ethos, tel ou tel type de pathos. Ici, pas moins de quatre ethè différents, et autant de pathè, correspondant eux-mêmes très précisément à autant de chapitres de la Rhétorique d’Aristote sur les « passions » : ira, metus, indignatio, pudor. Enfin, le trio aristotélicien est lui-même fermement relié au plan, c’est-à-dire à la question cruciale de la place où apparaissent les divers éléments.

31La lecture proposée fait alors « respirer » le pathos, en lui opposant des moments plus calmes d’ethos.

32Il y a du pathos, de façon prévisible, dans l’exorde : ira, metus, indignatio à I, et de plus ces trois catégories sont reprises à 9-10, dans la péroraison. L’étudiant peut ainsi vérifier la théorie, à savoir que la péroraison « récapitule » les passions centrales du discours. Le pudor en est bien distingué, et isolé : car cela concerne uniquement le petit passage contre les tribuns, autrement dit 1. On voit déjà la différence d’avec Caussin. Celui-ci ne nomme tout simplement pas la « colère », qui ne saurait pourtant être sur le même plan que l’« indignation », ni que la crainte des dangers à venir. Dire « Caton critique fermement, perstringit, la trop grande indulgence des maris » (Caussin, I), ce n’est pas dire que Caton cherche à susciter leur colère, c’est-à-dire leur désir de se venger, de rétablir une supériorité qui a été bafouée. Le titre même que Junius donne au discours ne dit pas seulement, comme chez Caussin, que Caton attaque le goût du luxe chez les femmes, « contra mulierum luxuriam ». Junius ajoute : « contra muliercularum luxuriam ac superbiam ». Le mot de superbia renvoie précisément à son analyse selon laquelle Caton suscite la colère. Car la « superbe » est le sentiment de supériorité, le juste orgueil de son rang. C’est révéler, dès le titre, la cause profonde qui, selon l’orateur, meut les femmes à demander le retour du luxe. De la même façon, là où chez Caussin le verbe perstringere indique seulement l’effet produit par l’éloquence, chez Junius le mot ira permet de remonter à la cause qui suscite cet effet. Exorde poignant, « stringent », oui : mais pourquoi ? Caton vu par Junius n’est pas dans l’invective, de façon vague. Au-delà de la pose « catonienne », il y a un orateur qui comme tous les autres vise à susciter une réaction précise chez un public précis, en plaçant d’emblée la question sur le terrain de la supériorité – qui, de vous ou de vos femmes, est le maître ? Par contraste, quand on lit Caussin, l’attaque contre l’indulgence des maris ou celle contre les tribuns déchaînant les femmes, indulgentia de I ou licentia de IIb, c’est un peu tout pareil, toujours la même pose catonienne du procureur drapé dans sa dignité et son regret du temps passé.

33Vu par Junius, le début du discours (I et 1-4) est saturé par trois pathè, tout comme la fin (9-10). Ensuite, ou si l’on préfère au milieu, cela se calme. De 5 à 8, c’est l’ethos qui domine, l’ethos d’un consul qui parle avec gravité et beaucoup d’intelligence politique, « grauiter et prudenter ». Il parle donc un ton plus bas. Nous retrouvons ici le problème de l’articulation principale. Le passage au ton plus bas est ce que Caussin nous rend incapable de voir : pour lui, nous l’avons vu, on est là encore dans le registre de l’invective, d’une part le vaste lieu commun en faveur du maintien de toute loi (V-VI = 5), d’autre part cet autre vaste lieu commun qu’est la « censure des femmes » (VII-Xa = fin de 6 jusqu’à 8). Junius repère les mêmes lieux communs que Caussin, mais de façon bien plus circonscrite. Chez lui, de même qu’il y a de l’ethos au milieu d’une péroraison dominée par le pathos (par exemple l’ethos « modeste » au début de son 2), de même, il y a des passages de lieu commun au milieu de ce long passage dominé par l’ethos de 5-8, « grauiter et prudenter ». Mais à chaque fois, les choses sont hiérarchisées, elles respirent plus, avec des pleins et des déliés. Une chose hors de sa place n’a pas un sens aussi fort qu’une chose à sa place.

34D’abord 1-4 pathétiques, puis 5-8 « éthiques » : voilà la particularité essentielle de Junius. Ou plutôt, voilà ce en quoi Caussin se distingue fondamentalement. Il ne voit pas ce changement de registre, pourtant bien signalé par ses prédécesseurs et par ses successeurs, en tout cas par les sept dont je dispose pour l’instant.

35Par ethos, il faut comprendre ici à la fois le sens aristotélicien et le sens chez Quintilien. Junius à 5 repère un « ethos grauiter et prudenter » : c’est là conforme à Aristote. Pour le redire en latin, la grauitas et la prudentia définissent les mores, les « mœurs oratoires » de l’orateur Caton. Les Exercitationes rhetoricae citées plus haut en note diraient typiquement ici « Mores Viri grauis et prudentis ». Caussin lui-même emploie graue et grauitas pour désigner l’ethos (je souligne) :

I. Exordium graue nimiam virorum indulgentiam perstringit, Un exorde grave [ = ethos de Caton] attaque [ = pathos] la trop grande indulgence des maris envers leurs femmes.

  • 21 Pour monere = « prédire », et même « prophétiser », cf. la formule ici du ...

X. [c/] Tum grauiter monet, ne luxuriam legis seueritate constrictam…, Ensuite il prédit [ = pathos, la crainte ou metus du a futuro : il « prophétise », il joue les Cassandre] avec gravité [ = ethos] que le goût du luxe, une fois affranchi de la sévérité de la loi, sera comme une bête féroce échappée de sa cage21.

36Pour en revenir à Junius, ce qui est ici important est ceci, que ma présentation en tableau permet de visualiser. La formule « ethos grauiter et prudenter » n’est pas seulement en face de 5. Elle est aussi la seule formule de ce genre jusqu’au ira en face de 9. Autrement dit, cet ethos donne sa couleur à l’ensemble qui va de 5 à 8, c’est une indication non pas ponctuelle mais structurelle. Ce n’est pas un ethos isolé dans un ensemble dominé par les pathè, comme l’est l’« ethos modeste » en face de 2, cerné par le pudor, l’indignatio et le metus. Ici, c’est l’inverse. De 5 à 8, les lieux communs contre l’abrogation de la loi et contre le luxe des femmes sont circonscrits, isolés dans un ensemble dominé par l’ethos.

37Cette vision même de pathos ou d’ethos circonscrits est liée à l’inflexion bien connue que Quintilien, après Cicéron, a fait subir au couple aristotélicien. Dans son fameux chapitre VI, 2, l’Institution oratoire décrit pathos et ethos comme deux registres différents de la passion. L’ethos se définit véritablement par opposition d’avec le pathos, comme un ton plus bas : plus doux, plus calme, moins tendu. C’est une corde qu’on relâche. Que Junius lise ainsi l’ensemble 5-8, on en a le témoignage le plus clair dans l’analyse de ce discours par Crousaz en 1725, qui plus est en français. Ce dernier commence tout d’abord par la description des quatre mêmes pathè que chez Junius, au point qu’on peut raisonnablement supposer qu’il a sous les yeux l’analyse de celui-ci pour écrire la sienne (à 9-10 de Junius, Crousaz repère également les trois mêmes pathè). Ensuite, Crousaz considère que le passage de 4 à 5 est le passage à la contentio, à l’exposé des arguments : « il vient (…) à discuter le sujet même de la délibération ». On voit que le disputat que Caussin mettait à III ( = 3 chez Junius) s’est déplacé à V ( = 5). Le début de 5 est pour Crousaz la réponse à une objection (je souligne) :

Après avoir ainsi préparé les esprits des Romains à refuser aux femmes leur demande, en les mettant de mauvaise humeur contre elles, en les leur rendant tout à la fois méprisables, odieuses, et redoutables [ = ira, indignatio, metus, du début à 4]. Il vient plus sûrement à discuter le sujet même de la délibération.

38Les partisans des femmes débutaient par dire qu’elles ne demandaient rien de nouveau, mais seulement d’être rétablies dans leurs anciens droits, ce fait était exactement vrai et la raison qu’on en tirait était très forte, elle était connue. Il ne s’agissait pas de la dissimuler ; aussi Caton prend-il le parti de ne rien dissimuler et d’y répondre avec une parfaite confiance et pour preuve de cette confiance il l’allègue dans les termes les plus forts.

39Il n’y répond pourtant pas directement mais il l’élude avec beaucoup d’adresse ; Il pose différemment l’état de la question et ce qu’il pose en fait est encore vrai et c’est même de quoi il s’agit de délibérer dans cette assemblée, quoi que ce n’en soit pas directement le premier sujet. Il s’agit, dit Caton, de savoir si nous devons casser nos Lois ; Mais quelle Loi ? Il y a encore ici une gradation, vous l’avez agréée, vous l’avez approuvée, vous l’avez ordonnée. L’expérience vous en a fait voir l’utilité pendant plusieurs années vous ne sauriez la révoquer sans donner atteinte à toutes les autres.

  • 22 Essai de rhétorique…, p. 143-144 – je modernise la graphie mais respecte l...

40Pour donner du poids à son raisonnement il le soutient par deux sentences politiques [ = le lieu commun selon Junius, en italiques à 5] ; La gravité de ces sentences fait voir que s’il s’exprime avec véhémence c’est l’importance du sujet qui le demande ainsi, ce n’est point la Colère qui lui arrache ces expressions si fortes, son esprit se possède, en état de faire les raisonnements les plus sérieux, il ne perd point de vue les maximes du gouvernement22.

41La fin de ce passage dit fort bien qu’en dépit de la véhémence, indéniable, on est pourtant un ton plus bas, donc on reste dans le ton propre à la contentio : « son esprit se possède », il est « en état de faire les raisonnements les plus sérieux ». Dire que son esprit « se possède », c’est bien dire que Caton n’est pas hors de lui, dans ce furor qui caractérise l’invective déchaînée et en général le pathos. Dans la contentio, on fait des « raisonnements », et on reste « sérieux » : c’est bien là décrire le docere. Crousaz un peu plus loin recourt au même couple de termes pour décrire le même passage du pathos à l’ethos (je souligne) :

Caton après avoir mis dans ses intérêts le cœur de ceux qu’il veut se rendre favorables par les agitations [ = les pathè] qu’il y a fait naître, continue à parler comme un homme qui ne veut devoir ce qu’il prétend qu’à la force de ses raisons. Un tumulte honteux aux femmes qui le causent, honteux aux hommes qui le souffrent, honteux à l’État où on le voit, avait excité son indignation, mais après avoir satisfait à ses justes mouvements [ = les pathè, du début à 4], il détourne son attention de ces objets méprisables pour la donner toute entière à la République sur les intérêts et les dangers de laquelle il raisonne très sérieusement. L’inclination des femmes pour le luxe lui donne lieu de réfléchir sur le luxe qui règne à Rome, sur l’avidité pour le bien si nécessaire pour entretenir le luxe, et sur les dangers de ces deux Vices, toujours funestes aux États et contre lesquels il n’y a point de grandeur qui tienne. (ibid., p. 146-147)

  • 23 Comme je cherchais l’ethos chez Caussin, j’avais d’abord cru que son « cha...

42On voit combien le son est distinct par rapport à Caussin. L’attaque contre l’auaritia et le luxe qui règne à Rome (VII) devient chez Crousaz l’objet d’un raisonnement très sérieux. Moins « censure des femmes », invective de procureur, que « réflexion » d’homme d’État, ce qui met en avant, exactement comme chez Junius, la prudentia de Caton. Non plus le censeur des mœurs, mais le consul. Celui-ci doit par excellence montrer un ethos d’homme d’État, « prudenter », en montrant que la passion de l’invective ne lui fait pas « perd(re) de vue les maximes du gouvernement » (fin de la citation précédente). Raisonnement, sérieux, visée de l’État : voilà le ton dominant de l’ensemble qui va de 5 à 8. C’est un ton fondamentalement « éthique », au double sens du terme : de Quintilien, puisqu’il est un cran plus bas que le pathos, mais aussi au sens d’Aristote, puisqu’il est clairement lié aux mœurs oratoires du consul Caton. L’un comme l’autre sont absents de Caussin, lequel renvoie tout l’ethos de Caton à la seule catégorie de la grauitas, tout aussi indifférenciée chez lui que la catégorie de l’indignatio23.

43Tous les autres commentateurs vont dans le même sens que Crousaz. Joachim Perion en 1545 voit dans le début de 5 une praesumptio, ce qui veut dire, comme chez Crousaz, la réponse à une objection : la praesumptio en effet « est dite prolepsis » (Quintilien, I. O., IX, 2, 16) ou encore praeoccupatio. Tesmar, mort en 1637, fait démarrer la contentio comme Junius, au 1 de celui-ci : première partie de 1 à 4, seconde partie de 5 à 8. Le début de 5 est pour lui comme pour Perion et Crousaz la réponse à une objection, au point de considérer que tout l’ensemble 5-8 est la refutatio. Les Exercitationes rhetoricae de 1740 voient aussi en 5 le début de la « seconde partie de la contentio », c’est-à-dire là encore la réfutation : « At hercule) In secundo Contentionis membro legem Oppiam defendit, et incusantibus Mulieribus legis iniquitatem multipliciter respondet. » Le Conciones de 1823 va encore plus loin. Il considère que tout l’ensemble qui va jusqu’à la fin de 4 est un « exorde véhément », et que 5-7 est à proprement parler la discussion : c’est qu’il est sensible à la véhémence qui court jusqu’à 4, et à la rupture de ton à partir du At hercule de 5. Cette vision audacieuse du plan est aussi celle du Conciones de 1898, qui voit le même « exorde véhément » du début jusqu’à 4, puis la « confirmation » de 5 à 10 : confirmation qui est en fait une réfutation, puisqu’elle se subdivise en « examen de leur demande » (les V et VI de Caussin) et « raisons de refuser » (de VII à X). Comme chez Crousaz, la « véhémence » s’oppose au sérieux et de l’examen et des « raisons », dans une rupture nette du ton.

44Ce consensus omnium des commentateurs nous permet de conclure notre tour d’horizon des différences entre Junius et Caussin. Ce n’est pas Junius qui se distingue du jésuite, mais bien celui-ci qui est différent de tous les autres, et vraiment à part. Tel son Caton, Caussin est seul contre tous. Les autres sont sensibles à la valeur de charnière du At hercule de 5, et à juste titre. Après la confirmatio, ils attendent, très classiquement, la refutatio. Car c’est une règle de l’art bien connue que d’introduire tardivement la réponse aux objections. Il faut que l’orateur ait d’abord avancé son point le plus fortement du monde, qu’il l’ait « confirmé » ou rendu ferme par la confirmatio. C’est alors, et alors seulement, qu’il peut s’aventurer à citer la voix de la partie adverse : en la citant trop tôt, il fragiliserait sa propre position. Mais il n’est pas non plus question de ne pas mentionner dans son propre discours la position adverse. Le temps opportun pour le faire relève aussi, du reste, de la prudentia, celle de l’orateur et non du consul. Toutes ces considérations sont souverainement ignorées par Caussin. L’opposition est frontale avec les autres commentateurs. La voix du procureur lancé dans l’invective est fondamentalement monologique : il est installé dans la « vérité », et ses adversaires dans l’erreur. Le procureur ne cite pas les objections, et n’y répond pas. La voix du raisonnement sérieux, elle, est un peu plus dialogique, elle laisse entendre la voix de la partie adverse, même si, bien entendu, elle la déforme pour servir à ses fins propres. Ce n’est pas pleinement dialogique ou plutôt polyphonique au sens où l’est Dostoïevski selon Bakhtine. Mais à tout le moins, raisonner sérieusement revient à intégrer la contradiction dans son dispositif, à prendre acte avec réalisme de la situation de pro et de contra. On est dans le relatif, quoique relativement, quand le furor de l’invective est dans l’absolu absolument, et voit déjà la communauté qui l’entoure revenir, enfin, au mode sublime du fusionnel. Le raisonner est donc une attitude plus « éthique » au sens de Quintilien, plus proche de la caritas, alors que le pathos, lui, est du côté de l’amor ou amour-passion, ou encore de l’odium (I. O., VI, 2, 14). Caussin est en quête de vérité absolue, « sublime », « adulte ». C’est dire que ce professeur sent décidément son prédicateur, passionné et passionnant. Crousaz en est aux antipodes, qui veut raison garder. En homme fin du XVIIIe siècle, il prend d’ailleurs un malin plaisir à montrer ensuite, à propos du discours contra de Valère, que Caton, tout de même, s’est enflammé pour des bagatelles.

Conclusion

45En conclusion, on voit que tout oppose Junius et Caussin. Un coup d’œil à l’ensemble de leurs analyses de discours ne fera que confirmer ce sentiment.

  • 24 Polyhistor, I, 6, 1, « De scriptoribus rhetoricis », § 14.

  • 25 Strasbourg, Lazare Zetzner.

  • 26 Montbéliard, Lazare Zetzner.

  • 27 Strasbourg, Bernard Iobin (Hab, cote Alv : Bb 309).

46Junius est au lycée de Strasbourg, où il a succédé pour l’enseignement de la rhétorique au célèbre Sturm. Dans son Polyhistor, Morhoff fait de Junius un grand éloge, en l’opposant précisément à Sturm, qui n’a pas été assez scolaire : Junius « ad minutias se demittat, ad quas se Sturmius non demittit, il est descendu dans les détails, ce que Sturm n’a pas fait24 ». Morhoff cite alors la Resolutio brevis… et l’Animorum… de Junius, et non le recueil de discours de 1598 où se trouve son analyse du Pro lege Oppia. Mais le recueil de 1598 complète et couronne les deux précédents. La Resolutio brevis orationum Ciceronis de 1594 analyse en 896 pages l’ensemble des discours cicéroniens25 ; elle est suivie du Ex M. Tul. Ciceronis orationibus loci aliquot communes, qui indique comment construire des lieux communs : Junius donne la phrase « nuda » de Cicéron pour l’exorde etc., puis la façon de la « dilater » et enfin une indication sur l’« usus », sur ce qu’on pourrait en faire. De même, l’Animorum conciliandorum et movendorum ratio de 1596 est analytique26 : l’ouvrage donne des exemples in extenso de Démosthène, Cicéron et Tite-Live pour chaque pathos et chaque ethos. Ces éléments épars sont repris de façon synthétique dans le recueil de 1598 d’où nous avons tiré son analyse, l’Orationum ex historicis…, qui ne se limite pas comme Caussin à des discours de l’Antiquité, mais y mêle des analyses de dicours contemporains, forcément moins ancrés dans la « vérité » absolue que les discours antiques. L’étudiant dispose ainsi d’un cours complet de rhétorique, avec la théorie d’un côté et l’application pratique de l’autre, dans un système où les renvois entre théorie et pratique sont soigneusement pensés. La description précise des lieux communs, des pathè et des ethè est ainsi ce que Morhoff désigne par le terme de minutiae. Voilà à ses yeux un enseignant sérieux, qui ne se contente pas de grandioses théorisations, mais se donne la peine d’entrer dans les détails et de fournir aux étudiants des corrigés, pas à pas. Terminons cette présentation de Junius en soulignant le point de départ de son travail. Celui-ci a publié en 1586 des Orationes aliquot ex Herodoti, Thucydidis, Xenophontis : Livii itidem Caesaris, et Salustij historiis27. Ce conciones regroupe soixante-cinq discours, et la préface dit qu’il les a travaillés « cet hiver » avec ses étudiants, et qu’il donnera prochainement un recueil semblable mais de discours d’auteurs modernes. Le conciones de 1598 achève le travail ainsi commencé. En 1586, Junius donne le texte brut, sans aucune annotation ; douze ans plus tard, en 1598, il ajoute non seulement les auteurs modernes annoncés, mais surtout il accompagne chaque discours d’une analyse complète, qui exemplifie les catégories décrites dans les ouvrages de 1594 et 1596. Au début comme à la fin, tout cela est pensé avec et pour les étudiants.

  • 28 L’orateur sans visage, de Florence Dupont, est très instructif sur cette «...

47En comparaison, chez Caussin les analyses du livre XIII correspondent à un projet bien différent. Il faut d’abord les resituer dans leur contexte d’ensemble, à savoir les Parallela, qui forment à eux seuls l’équivalent du cursus des publications de Junius. Là aussi, tous les choix fondamentaux de Caussin confirment notre analyse ponctuelle sur le seul discours de Caton. J’ai signalé la mise en vedette du « lieu commun » selon Aphthonius. À cela s’ajoute la manière très différentielle de commencer la liste canonique des passions non par la colère, comme chez Aristote, mais par l’amour. Cela permet de traiter l’ira comme une passion méprisable (VIII, chap. 29 sq.), de façon typiquement sénéquienne, sauf lorsqu’elle est, par exception, pour le bien public, c’est-à-dire sauf lorsqu’elle se mue en indignatio (VIII, chap. 33 et 37, « Existit et generosa quaedam iracundiae species, quam indignationem appellamus »). Cette présentation théorique permet de supposer que Caussin non seulement ne voit pas mais ne veut pas voir que l’exorde de Caton suscite la colère. Est tout aussi différentiel le choix de traiter l’épidictique avant les genres délibératif et judiciaire, ainsi que de regrouper ces deux derniers dans une seule et même catégorie, l’éloquence civile. L’ordre des derniers livres des Parallela est à lui seul très parlant. Le livre X fait la théorie de l’épidictique, et le livre XI la pratique, par des exemples ; de même, le livre XII donne la théorie de l’« éloquence civile », et notre livre XIII la pratique ; enfin, les livres XIV puis XV sont la théorie puis la pratique de l’éloquence sacrée – avec la fin grandiose, au livre XVI, sur saint Jean Chrysostome, clef de voûte de l’ouvrage. Tout cela revient à traiter l’éloquence civile comme un produit dérivé de la seule vraie grande éloquence, celle qui traite de l’absolu. Cela se tient parfaitement, et est même une vision de l’histoire de la rhétorique tout à fait crédible. L’homonoia, les valeurs fondamentales de la communauté seraient, justement, la fondation de tout le reste. C’est un peu la thèse de Nicole Loraux dans L’invention d’Athènes : le délibératif et le judiciaire suivraient et non pas précèderaient l’éloquence épidictique, y compris historiquement, et celle-ci aurait pour origine, par exemple, l’oraison funèbre des soldats grecs morts contre les Perses à Salamine. De façon très cohérente, cela revient à donner la priorité au monologique sur le dialogique, à l’absolu sur le relatif, au religieux sur le civil. Pour cette perspective, le Dieu de la rhétorique ne saurait être dans les détails ou minutiae, mais dans le sublime et dans Longin28. Et du reste, comme notre colloque l’a montré, le jésuite Caussin est, sans surprise, fort peu « jésuite » au sens familier qu’a pris ce terme, il est tout à fait dépourvu d’habileté quand on le plonge dans la politique réelle.

  • 29 Rhétorique, II, 3, Loeb et Livre de Poche § VI (Paris, Le Livre de Poche, ...

48Pour en venir précisément aux trente-huit analyses du livre XIII, je ne saurais prétendre ici en avoir fait le tour. Marquons simplement à quel point tout cela est bien peu systématique par rapport aux critères du temps, comme le dit assez nettement au début de ce livre XIII le dessein ou « Libri institutum ». Là où d’autres ont analysé la totalité des discours chez Tite-Live, tel Perion, Tesmar ou les Exercitationes de 1740, Caussin ne donne qu’un « fasciculum » ou polycopié, piochant d’ailleurs sans vergogne dans les Conciones d’Estienne, et de plus ne regroupant que des discours brefs. Trente-huit, cela nous paraît beaucoup, mais c’est peu pour un conciones. De même, Caussin ne s’astreint pas à suivre un ordre bien précis ni bien systématique pour les diverses catégories de discours, judiciaires ou délibératifs, avec leurs sous-catégories, monitio, petitio, commendatio, reconciliatio, etc., etc. De même encore, il n’applique pas de grille de lecture uniforme. De même enfin, il ne se soucie pas de faire des renvois explicites qui relieraient ses parties pratiques à ses parties théoriques, ici le livre XIII au livre XII ou, plus généralement, aux livres IV-IX qui décrivent les cinq parties de la rhétorique. Un contre-exemple flagrant est la mention du motto aristotélicien que « les chiens ne mordent pas ceux qui restent assis29 ». Caussin le cite dans son livre VIII sur les passions, à propos de la façon d’apaiser la colère, et aussi, mais de façon déconnectée, dans une manchette à son Œconomia du discours 38. Or l’index reprend la manchette, mais ne renvoie pas au passage théorique : son souci n’est pas le va-et-vient entre théorie et pratique.

49Au total, les trente-huit discours sont, à lire l’index, des emblèmes de tel ou tel grand lieu commun plutôt que lus pour eux-mêmes, dans leur complexité argumentative. Le discours de Caton restera dans la mémoire comme illustrant l’autorité de la Loi, tout comme la pompéienne ou Pro lege Manilia de Cicéron reste dans l’esprit de Caussin le discours exemplaire de l’enumeratio, concept dont il parle si bien, de façon presque mystique, dans sa partie théorique (IV, chap. 27-29). L’étudiant cherchera donc au livre XIII des exemples de discours qui aient de belles « sentences », qui soient « nobiles » et qui soient les plus remarquables ou « illustres ». Bref, c’est une anthologie de belles pages, de discours choisis, qui sont, lors de la classe, des moments d’exaltation. Marc Fumaroli a bien entendu raison. Ce refus du systématique est, et de propos délibéré, un refus du « scolaire », parce que le scolaire, rebaptisé « pédantesque », choquerait par trop les préjugés nobiliaires du public de La Flèche. Caussin s’inscrit par là dans une généalogie bien française de l’explication de texte – on en retrouverait des traces dans la façon dont Rollin propose l’analyse, très intelligente, d’une seule harangue de Tite-Live, dans son Traité des études. Pour autant, au terme de la comparaison, faut-il préférer Caussin aux autres ? Je m’en garderai bien. Caussin et Junius incarnent chacun deux grandes tendances, et il me semble qu’il faut plutôt prendre conscience de leur présence respective à toutes deux, dans la longue durée. Il n’y a pas d’un côté la rhétorique « adulte » et de l’autre la scolaire, ce qui risquerait d’être aussi insultant pour l’une que prétentieux pour l’autre. Il y a deux pôles opposés, entre lesquels est tiraillée toute rhétorique, avec pour chacune un type d’institution scolaire qui aboutit à des réussites « adultes ». Le pôle Caussin est une vision religieuse et absolue du Logos, là où le pôle Junius en a une vision plus politique et plus « civile », à tous les sens de ce dernier terme. Les deux visions ont de très grandes beautés, et chacune ne manque d’ailleurs pas d’emprunter à sa rivale, comme dans tous les pro et contra, surtout ceux qui s’éternisent. Quoi qu’il en soit, le point essentiel est que les deux font le tout de la rhétorique. Non pas Caussin ou Junius, mais Caussin et Junius : voilà à mon sens l’horizon vers lequel il faudrait aller.

Notes

1 L’Âge de l’éloquence, Genève, Droz, 1980, p. 286.

2 En abrégé, Rare : www.u-grenoble3.fr/rare/. Voir sur notre site les comptes rendus du séminaire mensuel et, bientôt, toute une série d’ouvrages numérisés (y compris les Parallela, dont la Bibliothèque de Troyes nous a fait la reproduction).

3 Le latin classique ne semble pas avoir ce sens précis, ni pour resolutio ni pour resolvere. Mais Junius titre Resolutio un ouvrage qui est une analyse des discours de Cicéron, et en cherchant par ce mot au titre, on trouve nombre d’autres ouvrages du même type. Voir aussi Daniel Georg Morhoff, Polyhistor literarius, Lubeck, Bockmann, 1708, sur les Rhetoricarum exercitationum… de Tesmar : leurs cinq premiers livres « sunt analytici, resolventes oratiunculas historicorum, poëtarum, &c. secundum genera causarum » (I, 6, 1, § 25 ; cf. § 16 sur Thilo dont le Curtius orator « tum resolvit Orationes Curtianas, tum, quomodo amplificari possint, ostendit »).

4 Par exemple, gr. ana-gignôskein (tout comme lat. re-cognoscere) c’est ou bien « re-connaître », retrouver de nouveau, ou bien « connaître d’un bout à l’autre », inspecter complètement, cf. fr. « reconnaître les positions ennemies ».

5 Je me permets de renvoyer là-dessus à mon commentaire de la Deffence et illustration… ( = Du Bellay, Œuvres complètes, I, Paris, Champion, 2003).

6 Aristote, Rhétorique, III, 8 sub fine, 1409a21, première attestation : voir la note ad loc. de l’édition Dufour et Wartelle, Paris, Belles Lettres, 1980. La réflexion d’Aristote ici est précisément informée par le distinguo entre découpage arbitraire ou selon les articulations naturelles : « il faut que ce soit le rythme et non le scribe ou le signe de ponctuation (paragraphè) qui marque la fin » d’une unité, autrement dit qui signale la clausule qui clôture un développement. Ce n’est pas un hasard si ce chapitre embraye aussitôt sur la discussion de la période oratoire, laquelle se définit elle aussi comme ayant « un commencement et une fin par elle-même » (III, 9, fin de 1409a), et non arbitraire. Ce n’est pas non plus un hasard si toute cette discussion est reprise dans l’Orator de Cicéron, vibrant plaidoyer en faveur de la compositio.

7 Sug(g)illare est absent tant des traités cicéroniens de rhétorique que de l’Institution oratoire de Quintilien. Pour perstringere ou sa variante praestringere, les deux occurrences cicéroniennes ne sont pas rhétoriques, pas plus que deux des trois occurrences de Quintilien (De Oratore, II, 201 ; Brutus 323 : Kenneth Abbott, Index verborum in Ciceronis Rhetorica, Urbana, Univ. of Illinois Press, 1964 ; I. O. X, 1, 92 et XI, 1, 4).

8 Du Cange, s. v. Suggilatio, rend le mot par « infamia, dedecus ». Tite-Live, IV, xxxv, 10 : « Petisse viros domi militiaeque spectatos ; primis annis suggillatos, repulsos, risui patribus fuisse ; desisse postremo praebere ad contumeliam os, Des hommes qui s’étaient distingués dans l’administration et dans les armes avaient recherché cet honneur [le consulat] ; dès les premières années, tournés en dérision, repoussés, ils avaient servi de jouet aux patriciens ; enfin ils s’étaient découragés d’affronter ces hontes publiques » (trad. Nisard ; je souligne).

9 Cicéron, Verr. 4, 105 : « Rei magnitudo me breuiter praestringere atrocitatem criminis non sinit, L’importance du sujet ne me permet pas de passer légèrement sur un chef d’accusation odieux » ; cf. Phil. 2, 47, « celeriter perstringam », De Oratore II, 201, « breuiter perstrinxi ».

10 Cf. la seule occurrence de Quintilien que l’on puisse à la rigueur qualifier de rhétorique : nous orateurs ne devons pas imiter les poètes, car nous sommes des soldats sur le front de bataille, et nos armes doivent avoir « un éclat qui effraie, tel celui du fer, qui saisit à la fois l’esprit et le regard, quo mens simul uisusque praestringitur » (X, 1, 30, je souligne).

11 Énéide, IX, v. 294 : « Le cœur ému, Percussa mente, les Dardanides pleurèrent et plus que tous le bel Iule : l’image de son père si aimant lui étreignit l’âme, animum patriae strinxit pietatis imago. »

12 Les Exercitationes (…) T. Livii de 1740 ont deux emplois rhétoriques du verbe, l’un très fort et l’autre plus retenu. Fort, et précisé par « acerbissima », à la fin de leur discours 25 : « Desertus sit) Haec est acerbissima omnium Interrogatio, qua perstringit Sempronium, quasi ipse fortissimos milites, et optime de Rep. meritos hostibus prodiderit, nullo misso praesidio » (Tite-Live, IV, xlv, « C. Julii Tribuni ad S. Tempanium », je souligne). Emploi plus retenu, et précisé par modeste, au début du discours 153, où Manlius accuse de malignitas et ses adversaires et les sénateurs : « Nullius) Leniter deinde, et modeste Patres ipsos perstringit » (Tite-Live, XXXVIII, xlvii, « Cn. Manlii pro triumpho in Senatu », je souligne). Manlius accuse les sénateurs avec plus de retenue ou de mesure que ses adversaires directs : il les ménage, tout en leur faisant sentir le poids de son accusation. Même emploi chez Tacite, Annales, II, 59 (« lenibus uerbis perstricto » opposé à « acerrime increpuit ») et IV, 17 : « ils reçurent un blâme modéré, modice perstricti, car la plupart étaient des proches [de Tibère] ou les premiers de la cité ». Les Exercitationes (…) P. Virgilii… de 1735 ont un seul emploi, fort et précisé par acerbe, au discours 69 : « Si les Troyens ont gagné l’Italie sans ton assentiment et malgré ton vouloir » y est commenté par « A causis rei indignitatem ostendit (…). Junonem hic acerbe perstringit » (Énéide, X, v. 31, Vénus à Jupiter au conseil des Dieux) ; à noter la proximité avec la formule de Caussin à VI : « ostendens a rei natura et turpitudine petitionis indignitatem ». Ces deux Exercitationes appliquent exactement la même grille de lecture rhétorique à Tite-Live ou à Virgile, parce qu’elles sont issues de la même « boutique », le séminaire de Padoue, sous l’impulsion du cardinal Gregorio Barbarigo, né en 1625, mort en 1697.

13 Sur ce recours au mos Maiorum par Caton, et, à l’imitation de celui-ci, par ses successeurs dont Cicéron, voir Jean-Michel David, Le patronat judiciaire au dernier siècle de la république romaine, Ecole Française de Rome, 1992, passim et en particulier p. XIX-XX.

14 Je reprends la paraphrase donnée par Michel Patillon, Éléments de rhétorique classique, Paris, Nathan, 1990, p. 146, lequel donne dans son chapitre 5 un précieux descriptif de l’ensemble des Progymnasmata d’Aphthonius.

15 Rhétorique à Herennius, éd. et trad. Guy Achard, Paris, Les Belles Lettres, 1989.

16 Francis Goyet, Le sublime du « lieu commun », Paris, Champion, 1996 ; j’ai donné de ce livre un aperçu synthétique, avec quelques ajouts, dans l’article « Lieu commun » du Vocabulaire européen des philosophies (dir. Barbara Cassin, Paris, Le Seuil, 2004 ; y voir aussi l’article « Pathos »).

17 Comme apparemment toutes celles après 1619 que nous a montrées la Bibliothèque de Troyes lors du colloque (mais pas l’index de la princeps de 1619). Pour le fait étonnant de citer d’abord ce discours, puis des passages antérieurs des Parallela, voir dans l’annexe le descriptif des 38 discours du livre XIII.

18 « R. S. Conway pense (Praefatio, I, p. ix-x) que la distinction en chapitres remonte à 1612 et qu’elle est due à Ianus Gruter (qui s’en vante dans son édition de 1628). C’est sans doute Drakenborch qui, dit-il, a noté des paragraphes (en 1738) : on ne les trouve pas dans l’édition, légèrement antérieure, de Crevier. » (Jean Bayet et Gaston Baillet, introd. à Tite-Live, Histoire romaine, tome I, Paris, Les Belles Lettres, 1965, p. cxxvii). Pour Cicéron, le tome I des Discours aux Belles Lettres donne une précieuse liste des impressions, de 1471 à nos jours, mais ne mentionne pas cette question (éd. H. de La Ville de Mirmont, 1960, p. vii-x).

19 Les unités découpées par nos deux professeurs regroupent en général de deux à trois paragraphes actuels, avec des pointes à quatre et même à cinq (le 9 de Junius), et une pointe inverse dans le III de Junius, qui correspond au seul petit paragraphe 20 de Tite-Live.

20 Molière, Les Femmes savantes, III, 4, v. 972.

21 Pour monere = « prédire », et même « prophétiser », cf. la formule ici du Conciones de Botidoux : « Prédiction des désordres et des vices qui doivent naître de l’abrogation de la loi Oppia ».

22 Essai de rhétorique…, p. 143-144 – je modernise la graphie mais respecte la ponctuation d’origine. Jean-Pierre de Crousaz (Lausanne 1663-1750) est professeur de mathématique à l’Université de Groningue à partir de 1724 et gouverneur du jeune prince Frédéric de Hesse-Cassel ; l’ouvrage le plus important de cet auteur très prolixe est l’Examen du pyrrhonisme ancien et moderne, 1733.

23 Comme je cherchais l’ethos chez Caussin, j’avais d’abord cru que son « character orationis ualde moratus » (à Xa) portait sur l’ensemble du discours, lequel, moratus c’est-à-dire « éthique », décrivait le character de Caton : voir dans l’annexe le discours 18, où « morata oratione » signifie « rendant bien la façon de parler de l’orateur, Agricola ». Crousaz m’a aidé à me détromper : Caussin renvoie ici uniquement à l’éthopée limitée qui imite les paroles que tiendrait une femme riche (pour éthopée = oratio morata : Cicéron, Top. 97 ; Horace, Ars poetica, v. 319).

24 Polyhistor, I, 6, 1, « De scriptoribus rhetoricis », § 14.

25 Strasbourg, Lazare Zetzner.

26 Montbéliard, Lazare Zetzner.

27 Strasbourg, Bernard Iobin (Hab, cote Alv : Bb 309).

28 L’orateur sans visage, de Florence Dupont, est très instructif sur cette « lignée Alain Michel », dans sa façon même d’en forcer outrancièrement tous les traits (Paris, Puf, 2000).

29 Rhétorique, II, 3, Loeb et Livre de Poche § VI (Paris, Le Livre de Poche, 1991, p. 193 = 1380a).

Bibliographie

Liste des divers conciones cités, outre Caussin et Junius

1545 : Joachim Perion, In omnes T. Liuii Conciones, ut breuiusculae, ita cum primis eruditae Annotationes. Vna cum ipsis T. Liuij Concionibus per genera causarum distinctis, ut uix quicquam Rethorices (sic) ac Latinitatis studiosis proponi accommodatius possit, Bâle, Rob. Winter ; 193 discours au total.

1570 : Henri Estienne, Conciones sive orationes ex graecae latinisque historicis excerptae. (…) Argumenta singulis praefixa sunt, lectori adiumenta magno futura. Additus est index artificiosissimus, et utilissimus, quo in rhetorica causarum genera, velut in communes locos, singulae conciones rediguntur, Paris, H. Estienne. Les discours grecs sont suivis d’une trad. latine. Dans une très belle table, ils sont classés par genres, délibératif, judiciaire, démonstratif, puis sous-genre. L’index qui suit reprend les mêmes catégories, par ordre alphabétique. Il y a un index par genre (délibératif, etc.) : les discours sont rangés comme « adhortatio, commendatio », etc. Catégories ajoutées à la liste infra : pour le délibératif, commonitio, consilium, consultatio (très nombreuses), expositio, moderatio mandatorum, etc. Il y a beaucoup plus de discours délibératifs (6 p. d’index) que de judiciaires (2 p.) et de démonstratifs (une demi-page). Auteurs grecs : Hérodote, Thucydide, Xénophon, Polybe, Arrien, Hérodien. Latins : Salluste, Tite-Live, Tacite, Quinte-Curce, Iulius Capitolinus, Ælius Lampridius, Trebellius Pollion, Ammien Marcellin. Les arguments sont des notices sur la situation du discours, avec assez souvent des indications rhétoriques (ethos de l’orateur, quelques arguments).

1657 : Johannes Tesmar, professeur de rhétorique à Brême de 1600 à sa mort en 1637, Rhetoricarum exercitationum libri VIII, Amsterdam, Elzévir ; édités par Daniel de Stephani. Tite-Live occupe tout le livre IV (p. 269-506) : 205 discours au total.

1725 : Jean-Pierre de Crousaz, Essai de rhétorique dans la traduction de quatre harangues de Tite Live, Groningue, Jacques Sipkes ; l’équipe Rare en prépare l’édition.

1740 : anonyme, Exercitationes rhetoricae in orationes T. Livii, Padoue, Presses du Séminaire/Jean Manfrè, 180 discours au total. Cf., attribuées à Charles La Rue, sj, les Exercitationes rhetoricae in praecipuas P. Virgilii Maronis orationes, Münich et Ingolstadt, Crätz, 1760 (1e éd. que nous connaissions : 1735 ; 88 discours). L’équipe Rare prépare l’édition de ces deux ouvrages.

1823 : Jean Le Deist de Botidoux, Conciones et discours choisis dans Salluste, Tite-Live, Tacite et Quinte-Curce, Paris, Libr. classique et d’éducation (Vve Maire-Noyon ; A. Pigoreau, successeur). – Je remercie Anne Vibert pour cet achat.

1898 : l’abbé Antoine-Arthur Vauchelle, dit au titre « supérieur du petit séminaire de Noyon », Conciones latinae e sacris necnon e profanis scriptoribus excerptae. Nouveau recueil, publié avec exposés historiques, plans et notes en français, Paris, Librairie Ch. Poussielgue (3e éd.). Je remercie François Bérier pour l’achat de cet ouvrage, dont l’ex-libris porte « Louis Bouchet, Classe de Rhétorique, 1920-1921 ».

Annexes

DOCUMENTS SUR LE PRO LEGE OPPIA

1. Caussin, Œconomia orationis

[Nous mettons en gras le vocabulaire rhétorique.]

I. Exordium graue nimiam virorum indulgentiam perstringit : quod autem affert de hac mulierum audacia exemplum, in Lemno insula contigit, et narratur ab Apollonio in Argonauticis, Statio in Thebaide, Ouid. etc. Grauitatis fuit Insulam non nominare, ne ista enucleatius disquisiisse videretur.

II. Ex eo statuit in primis periculosa mulierum conciliabulae, et hujus authores licentiae sugillat, addita praeclara, et illustri aduersus absentes mulieres sermocinatione.

III. Contra istam mulierum prehensationem, verecundiae, et pudori sexus inimicam, disputat primum a lege maiorum, qui mulieres intra priuatos parietes sine ullo rerum administrandarum iure incluserat. Hoc ipsum [en manchette : Mulier expers auctoritatis.] Cicer. pro L. Muraena. D. Ambros. in quaest. noui, et veter. test. Mulierem constat subiectam viri dominio esse, et nullam authoritatem habere. Nec docere potest, nec testis esse, nec fidem dare, nec iudicare. At Tullius in republ. non gunaikonomon requirit Graecor. sed censorem, qui doceat viros moderari uxoribus.

IV. Argumentatur a natura mulierum. Mulier indomitum animal, et licentiae appetens, ideo fraeno moderationis coercendum, kratousa men gar oukh homilèton thrasos, inquit Æschylus in Persis [en fait, Sept contre Thèbes, v. 189 : « quand la femme est en position de force, elle n’est plus qu’insolence insociable].

V. Ab authoritate legis, quam minime decet abrogare pro mulierum arbitrio ; quibus si id semel concederetur, latius in dies manaret improbitas. Rem autem tractat salsis et acribus ironiis Stoico ingenio dignissimis, maxime ubi per sustentationem, et hunc mulierum coetum et petitionem exagitat. Quod autem ait de matre Idaea, Cybeles simulachrum Pessinunte aduectum intelligit, quod Claudia celebris illa Vestalis pertraxit, ut habet Plin. libro 7, cap. 35.

VI. Etiamsi nulla lex esset opposita, tamen flagitiosa est haec mulierum importunitas : quod praeclare exaggerat, ostendens a rei natura et turpitudine petitionis indignitatem. Porro contra huiusmodi luxum [en manchette : Mulierum luxus] mulierum praeclara scripserunt Tertullianus et Cyprianus, libro de disciplina, et habitu Virginum, ubi haec inter caetera : Ornamenta, ac vestium insignia, et lenocinia formarum, non nisi prostitutis et impudicis foeminis congruunt ; et nullarum fere pretiosior cultus est, quam quarum pudor vilis est.

VII. Iam plane agit Philosophum Stoicum, contra luxum ciuitatis grauis inuectus. Duo morbi reipubl. curandi sunt (inquit) Auaritia, et Luxuria : qui in hac mulierum petitione se produnt, sed praecipue,

saeuior armis

Luxuria incubuit, victumque ulciscitur orbem.

Et is luxus etiam in statuis auro, argento ; quo fit ut antefixa fictilia Deorum Romanorum rideantur : erant autem antefixa, quae ex opere figlino tectis affigebantur sub stillicidio.

VIII. Huic luxus intemperantiae remedium opponit moderationem antiquarum matronarum, in respuendis donis, quibus nulla lex fuit, cum nulla esset cupiditas. [en manchette : Lex nulla, ubi nulla cupiditas.] Varr. l. 11 devita P. R. de quo mulierum Romanarum veterum victu et moribus, ex Catone, Gell. noct. Attic. lib. X. c. 23.

Postquam obtrita hac moderatione natae sunt cupiditates, tum condi leges coeperunt, ut lex Licinia de moderatione agrorum, Cincia de muneribus : illius meminit Liu. l. 6 et 7, huius Cornel. Tacit. lib. 13. Patres legem Cinciam flagitant, qua cauetur antiquitus, ne quis ob caussam orandam pecuniam donumve accipiat. [en manchette : Lex Cincia. Aduocati prohibentur pecuniam capere.]

IX. Cupiditatem istam non modo ambitiosam ostendit, sed et rationis expertem. Neque enim caussam habet ullam indignationis aut pudoris haec petitio, cum lex aequa sit omnibus. Hinc solertissime cupiditatis istius fontem indagat, dolent scilicet diuites, quod paupertas aliarum sub hac lege lateat ; Atqui hoc vanitatis est non ferendae.

X. Perorat charactere orationis valde morato [oratio morata = qui peint les mores], et ad formam alèthinou logou ubi ostendit, Malum consequens ex ornamentorum concessione viris et mulieribus importunum. Tum grauiter monet, ne luxuriam legis seueritate constrictam, solutis demum vinculis, quasi bestiam e cauea in funus ciuitatis emittant. Eandem comparationem habet Cicero. 4. ad Herenn. sed laxiorem.

2. Melchior Junius, Resolutio

[Les éléments ici omis sont donnés à la fin du tableau.]

[D’abord un rappel de la situation. Puis les argumenta, que voici – le tout est donné sans paragraphes, que j’ajoute pour des raisons de clarté.]

[1.] Quod primo abrogatio huius partim Consulibus, partim Tribunis plebis turpitudinis sit maculam haud exiguam inustura : cum turpe sit, mulierculas aut a Tribunis plebis adhiberi ad seditiones concitandas, aut has consules cogere, ut leges nouas accipiant, vel tollant veteres.

2. Agendi modus parum honestus : mulierculae contra verecundiam ac pudorem in publicum procurrant : occupent vias : alienos maritos appellent : cupiant cogere, ut Oppiam legem tollant.

3. Maiorum longe alia fuerit ratio : qui ne quidem priuatim rem ullam gerere foeminam voluerint sine authore, et parentum, fratrum aut maritorum consensu.

4. Nequaquam consultum videatur, ut abrogata lege Oppia, muliercularum libertas, seu potius licentia confirmetur : cum a natura hae impotentes, et indomitae : vix pluribus legibus constrictae contineri in officio queant : neque tum iniquo animo Oppiam legem ferant, quam rerum omnium libertatem desiderent : iugo excusso, non solum pares, verum etiam superiores maritis suis esse velint.

5. Lex Oppia semel lata et approbata a populo, ideoque non temere inque muliercularum gratiam abroganda : quando quidem nulla lex satis omnibus est commoda, illa probatur, quae maiori parti et in summa prodest.

6. Huius antiquitatis et abrogatio postuletur, non aliqua graui ac iusta de causa, sed meram ob superbiam ac petulantiam muliercularum.

7. Legem ante latam non fuisse propterea, quod maiorum tempore non esset luxuria, qua talem aliquam requireret.

8. Oppia in lege par constituatur et aequalis omnium foeminarum conditio, ac propterea huius gratia, neque pudor neque indignatio in his oriri debeat.

9. Certamina in luxu muliercularum et aemulatione multa magnaque in Republ. incommoda sequantur : pauperes, ut ditioribus esse pares possint, non ab his contemnantur, supra vires et facultates suas sese ornent, parent omnia de suo, quae parari possint : sint molestae maritis suis, ut nummos habeant : si exorare nequeant maritos suos, petant ab alijs, atque ita ad adulteria aliaque flagitia veniant : non modum quisquam faciat sumptibus uxorum, si semel lex illa sublata fuerit, quae earumdem sola coercere superbiam potest.

10. Semper denique maiori cum damno semel lata lex abrogetur, quam non feratur : quemadmodum tutius est, non accusari hominem improbum, quam accusatum semel absolui : et ferae bestiae e vinculis emissae magis nocere solent, quam quae nunquam detentae in vinculis fuerunt.

Atque haec decem argumenta sunt, quibus probare Cato conatur, legem Oppiam de muliercularum luxu, abrogandam minime esse.

Ad èthè, (…) patiantur.

Collocatio et tractatio horum constat. I. Exordio : cuius finis prosokhè attentio, quam excitat Cato instituta querela de corrupto moribus ac superbiae mulierum : deinde rei magnitudine et difficultate proposita. II. Pars confirmatio est ; in qua aliquot argumentis legis Oppianicae abrogatio a Catone dissuadetur. III. Peroratio pia et modesta est facta sententiae expositione.

Loci communes (…).

3. Perion, 1545, p. 405-406

[Nous ne donnons que les notes purement rhétoriques, et nous ajoutons les renvois aux I, II… de l’Œconomia de Caussin.]

I. Si in sua quisque) (…). Exorditur a corrupti moribus seu priuatis seu publicis. (…) Ius et maiestatem) Retinet ius et maiestatem id significat, quod uulgo dicimus seruare suam potestatem et autoritatem. Cuius contrarium est soluere ius et maiestatem, pro quo dicimus sinere perdi autoritatem, seu facere perdi autoritatem, famam, et quod uulgo dicimus, suum audiuit. Hoc Budaeo nostro debemus. (…)

II, b. Haec consternatio) Narratiuncula uidetur. (…)

III. Maiores quidem) Ab hoc maxime loco aduersus luxuriam mulierum dicere incipit. Exemplum est a minori. Nisi uos faciatis) (…).

IV. [C’est ici la moindre des choses…] Minimum hoc) A malis consecuturis. (…)

V. At hercule) Praesumptio [« quae prolepsis dicitur », Quintilien 9.2.16 ; équivalent de praeoccupatio]. (…)

V, 2e phrase. Imo ut quam accepistis) Paradoxum per amplificationem. (…)

VII. Saepe me) Excursio. (…)

VIII. Patrum nostrorum) Exemplo a contrario docet quaenam fuerit causa huius legis ferendae, caeterarumque.

IX, 2e phrase. Nam ut quod) Ab utili. (…)

Tesmar, 1657, p. 440-441 : plan du Pro lege Oppia

I de Caussin = I de Tesmar.

IIa = II.

IIa, fin, Nam utrum, C’est à vous en effet = III de Tesmar, pour qui c’est là la première partie de la contentio, « contentio de exemplo », avec ici son 1e argument.

IIc, fin, Quamquam ne, Et même, si vous vous = pour Tesmar, 2e argument.

IV = 3e argument.

V = début de la seconde partie de la contentio (ou réfutation), « contentio de re seu lege », subdivisée en quatre arguments : « Contentio de re seu lege refutat objectionem mulierum ».

Vb = 3e argument de cette seconde partie, elle même subdivisée en antithesis (= VI de Caussin), et un syllogisme argumentatif qui va de VII à VIIIb chez Caussin.

IX = 4e argument, auquel est raccrochée la réponse à l’objection de la femme riche (= Xa de Caussin).

Xb = IV de Tesmar (la péroraison, dite ici « epilogus »).

4. Botidoux, Conciones, 1823, p. 518-529 : plan du Pro lege Oppia

I-IV de Caussin = « I. Exorde véhément, tiré du sujet »

V-VI = « II. Les lois établies pour l’universalité des citoyens, ne doivent pas être abrogées par le caprice des particuliers qui en souffrent. Explication ironique du motif des réclamations faites par les femmes. »

VII-VIII = « III. Avis sur les dangers du luxe ; application de ces maximes à la question de loi Oppia. »

IX = « IV. Censure de la ridicule vanité qui porte les femmes à demander l’abolition de la loi Oppia. »

X = « V. Prédiction des désordres et des vices qui doivent naître de l’abrogation de la loi Oppia. »

Fin de X (= III de Junius) = « VI. Conclusion. »

5. Abbé Vauchelle, Conciones latinae, 1898, p. 180 : plan du Pro lege Oppia

[Les italiques sont de l’auteur.]

A. Exorde véhément [= I-IV de Caussin] :

Faiblesse des époux. [= I de Caussin]

Audacieuse conduite des femmes. [= II de Caussin, à partir de sa 2e phrase, Atque ego…]

Sagesse des lois passées – Dangers pour l’avenir. [= III de Caussin]

B. Confirmation [=V-X de Caussin] :

I. Examen de leur demande :

Respect dû à la loi. [= V]

Futilité de leurs réclamations. [= Vb]

II. Raisons de refuser :

Dangers croissants du luxe. [= VII]

Contraste avec la simplicité antique. [= VIII, en incluant la phrase d’avant, Ego hos…]

Égalité qu’entraîne pour toutes la loi. [= IX]

Dangers de l’émulation pour la parure. [= X]

C. Péroraison simple et ferme. Maintien de la loi. [= III de Junius]

[Le texte latin seul est donné ensuite, sans traduction française. Il est paragraphé en fonction de ce découpage, avec les seuls A, B et I, II indiqués en tête des paragraphes correspondants.]

Pour citer ce document

Francis Goyet, «Les analyses de discours dans le livre XIII des Eloquentiae sacrae et humanae parallela», La Réserve [En ligne], La Réserve, Livraison juin-juillet 2015, mis à jour le : 12/11/2015, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/reserve/109-les-analyses-de-discours-dans-le-livre-xiii-des-eloquentiae-sacrae-et-humanae-parallela.

Quelques mots à propos de :  Francis  Goyet

Université Grenoble Alpes – U.M.R. Litt&Arts / Rare – Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution

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