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Car la clef était Fée: la logique de l’argumentation dans les Contes de Perrault
Initialement paru dans : Cl. Badiou-Monferran dir., Il était une fois l’interdisciplinarité : approches discursives des Contes de Perrault, Academia, 2010
Texte intégral
Questions sur une manie du conteur
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1 Voir Noille-Clauzade, 2008 a.
1L’histoire littéraire a retenu que la seconde moitié du XVIIe siècle était marquée par toute une série d’innovations à la fois formelles et thématiques importantes dans l’art de la fiction en prose – nouvelles historiques et/ou galantes, mémoires fictifs, histoires véritables…, autant de dénominations pour le roman et le romanesque, dont l’étude n’a pas encore fini de révéler les ressorts, et que nous avons proposé pour notre part d’aborder d’un point de vue logique1. Un nouveau style de positionnement logique de la fiction s’invente en effet dans et autour de la nouvelle historique : car son univers fictionnel n’est plus dans un rapport de falsification libre ou contrainte (mimétique) par rapport au monde actuel, mais dans un rapport d’autonomisation qui se traduit par l’impossible vérification hic et nunc dans le monde actuel, même si persiste une revendication forte de vérité au nom d’une vérification passée endossée par le narrateur « rapporteur » ou « éditeur ».
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2 Voir Herman, Kozul et Kremer, 2008.
2De façon générale, un topos se met en place, qui circule du paratexte au texte, à savoir le paradoxe qu’opère la voix authentificatrice avec l’opération de vérification – l’idée étant que cette opération est à la fois interdite dans le monde actuel (perte de l’archive, disparition des témoins…) et effectuée dans un monde inactuel (passé), comme s’en porte garante la voix authentificatrice. Sont alors attestées de multiples jeux avec ce paradoxe de la vérification, à la fois opérée et inopérable, fondatrice de ces nouveaux régimes de fictionalité2.
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3 Voir Noille-Clauzade, 2008 b.
3C’est dans une telle perspective que nous situerons ici la mode des contes de fées littéraires à la toute fin du siècle. Nous avons étudié ailleurs3 comment l’écriture classique des contes passe par la mise en texte d’une voix de contage opérant une rupture par rapport à une diction sérieuse constituée en situation pragmatique de référence - en l’occurrence, le conte mondain s’écrivant sur l’arrière-plan explicite ou implicite précisément de la nouvelle historique et galante.
4Comme la nouvelle en effet, le conte persiste dans le rejet de toute évaluation qui mesurerait en termes d’alignement ou d’écartement (de vérité, de vraisemblance ou de fausseté) son rapport au monde actuel, et ce, en reprenant sur le mode ironique le postulat de la vérification confisquée, dans un énoncé désarmant de simplicité, mais logiquement constitutif : à savoir Il était une fois. S’il est vrai que les événements du conte étaient une fois, alors la voix du conte pose dans une assertion non sérieuse, ludique, que la vérification du conte a été opérée (ailleurs, jadis, une seule fois) dans un monde inactuel, alternatif, concurrent du monde actuel. Assertée mais non démontrée, cette vérification dans le conte ne repose pas principalement sur une contrainte logique d’écriture, mais sur la seule vertu de la voix narrative introductrice, avancions-nous un peu hâtivement en la comparant aux modalités logiques de la vérification dans la nouvelle historique et galante.
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4 Voir Perrault, 1981 [1697] ; cette réédition reproduit le texte de la secon...
5En l’analysant ici pour elle-même, et non plus comme variation ludique d’un positionnement « sérieux » propre à la fiction contextuelle, nous voulons reprendre à nouveaux frais cette enquête sur les modalités de la prise en charge de la vérification par la voix narrative du conte littéraire, en nous appuyant sur les Histoires ou Contes du temps passé, avec des moralités4. Notre propos sera donc de construire un projet de travail articulé avec à un mode d’investigation, bien plus que d’avancer des résultats définitifs.
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5 Voir Zuber, 1997.
6Où et comment la voix du conteur (qui se pose bien plus en rapporteur d’une tradition de contage qu’en conteur inventeur) endosse-t-elle un travail qui relève de la vérification des énoncés fictionnels ? Ce travail est-il limité à l’incipit ? ou bien au contraire, marque-t-il et structure-t-il le déroulement de tout le récit du conte ? Une fois ces questions posées, l’intérêt est alors immédiatement attiré, dans les Histoires ou Contes du temps passé, par toutes les stratégies d’explication et de justification plus ou moins fantaisistes que Perrault sème, telle une signature, dans son texte, jusqu’à dédoubler la voix conteuse en deux voix : celle qui, reprenant l’éthos de la « mère-grand » et se destinant à l’esprit d’enfance, relate l’histoire féerique ; et celle qui, affichant un éthos mondain, distant et amusé, s’adresse, par-dessus l’épaule, aux esprits incrédules des adultes5.
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6 Perrault, 1981 : 189-200. Toutes les citations ultérieures renverront à cet...
7Or, quelque soit le régime de diction dominant, nous voudrions mettre en évidence que le texte multiplie les « raisons des effets », expliquant et motivant tout, des actions principales aux détails accessoires. C’est ici qu’il convient de se reporter à une étude de cas, en l’occurrence le conte du Petit Poucet6, de façon à mesurer l’extension du phénomène et à avancer quelques hypothèses sur sa nature.
Les énoncés justificatifs: un fait massif
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7 Voir Annexe 1, Relevé des formes grammaticales de l’explication.
8Une première tâche s’impose, se doter de critères de repérage à la fois simples et systématiques : il nous a semblé que dans le cadre d’une stylistique de l’explication et de la justification, les marqueurs grammaticaux des relations de cause, de conséquence et de but pouvaient ici nous permettre une première sélection des énoncés à valeur explicative. Nous donnons dans l’Annexe 1, sous forme de listes, les résultats de cette enquête7.
9Ce qui apparaît d’emblée, c’est la masse des énoncés que l’on peut ici convoquer : nous avons affaire à un trait de style majeur. L’espace du texte est littéralement envahi et encombré par les explications, lesquelles accompagnent, encadrent, précèdent et suivent la narration des événements. Un autre dédoublement fonctionnel se profile ici dans la voix conteuse, entre un régime narratif et un régime explicatif ; et l’image du texte qui en découle s’élève en faux contre l’illusion de liberté et de fantaisie dans la mobilisation du conte : il y a là au contraire une écriture sous contrainte, un constant souci d’explication et de motivation des faits et gestes des héros – souci et contrainte qui peuvent tout autant être décrits comme une pente de l’écriture, comme un plaisir et une manie de la justification.
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8 Pour des raisons méthodologiques, nous avons préféré en effet resserrer le ...
10Que faire alors de cet ensemble, esquissé, non clos, d’énoncés explicatif - n’oublions pas en particulier que nous avons laissé de côté les relatives, apposées et circonstants à valeur explicative8) ? Comment les qualifier, les ordonner, les évaluer ? ou, autre façon de poser le problème, comment fonctionnent-ils et à quoi servent-ils ? Et, accessoirement, participent-ils d’un positionnement logique, dont la problématique a permis leur émergence infra-théorique ?
11Il n’est pas inutile de commencer par de la paraphrase pour essayer de mettre en place une hypothèse sur leur fonction et leur nature.
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9 Nous utilisons ici volontairement ces termes dans un sens « extensif », en ...
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10 Réponses : « […] car ayant entendu de dedans son lit qu’ils parlaient d’af...
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11 Genette, 1969.
12La préoccupation du « conteur », à travers ces énoncés, semble de persuader le « lecteur9 » que tous les événements sont possibles. Il semble constamment répondre par avance à la question : « Pourquoi ? ». Le Petit Poucet a tout entendu, pourquoi ? L’ogre est fatigué de courir, pourquoi10 ? Et la stratégie de réponse de Perrault n’est pas celle que propose Gérard Genette dans une analyse célèbre de l’aveu dans la Princesse de Clèves11 : il n’y a pas de justification « finale » du type « pour permettre la fin du récit / l’épisode suivant », ni d’ailleurs de justification métacritique du type « pourquoi ? parce que c’est comme cela, c’est l’arbitraire du récit ». Au contraire, le conteur, très scrupuleusement, et nous semble-t-il le plus souvent avec beaucoup de jubilation, s’ingénie à multiplier les « raisons des effets ».
13Il nous dit en quelque sorte : les événements sont là, et en l’état, leur présence est explicable – car si c’est comme ça, c’est qu’il était possible que cela soit comme ça. La voix narrative garantit la possibilité du conte en même temps qu’elle le relate.
14Comme on le voit, une telle énonciation suppose une non-remise en cause fondamentale des événements relatés et construit ce faisant l’auto-référence, l’autonomie du monde fictionnel. Mais surtout, toutes ces explications ont fondamentalement valeur de persuasion : elles sont là pour nous persuader de la possibilité même des événements relatés. Ces énoncés sont donc d’ordre argumentatif : ils visent à construire un effet de possibilité, que Perrault semble assimiler à la crédibilité.
La possibilité comme condition de la crédibilité
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12 Cela se passe encore comme cela dans Perrault, 1981, Le Petit Chaperon Rou...
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13 Voir aussi La Belle au Bois dormant, ibid. , p. 140 : « Mais l’attendre ce...
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14 La Barbe bleue, ibid., p. 154« La curiosité malgré tous ses attraits, / Co...
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15 Même déduction à la fin de Peau d’Âne, ibid., p. 115 : « Le conte de Peau ...
15Dans plusieurs occurrences intra- et para-textuelles en effet, Perrault interroge le conte sur sa crédibilité. Songeons en particulier aux pièces de poésie qui servent de maximes conclusives : elles y interrogent presque systématiquement la valeur de vérité du conte, en l’assimilant à son effectivité : c’est crédible car c’est possible, et la preuve que c’est possible, ce sont les précédents notoires (ce qu’en rhétorique on nomme la preuve par le lieu ab antecedentibus), que ces précédents soient attestés dans le passé ou dans le présent – l’idée étant de prouver que cela se passe encore, parfois, toujours comme cela12, ou en sens inverse, jamais, ce qui a pour effet d’ôter au conte sa crédibilité même13. La Barbe Bleue est à ce titre exemplaire, puisque chacune des moralités successives plaide en sens inverse, la première établissant la vérité du conte sur sa vérification quotidienne14, la seconde déduisant ludiquement son impossibilité de son inactualité15 :
16 La Barbe Bleue, ibid., p. 154.
Pour peu qu’on ait l’esprit sensé,
Et que du Monde on sache le grimoire,
On voit bientôt que cette histoire
Est un conte du temps passé ;
Il n’est plus d’Époux si terrible,
Ni qui demande l’impossible,
Fût-il malcontent et jaloux16. […]
16Une préface est tout à fait décisive sur cette question, celle de la Lettre sur Grisélidis. Faisant référence à une explication un peu déplacée, voici comment Perrault présente la légitimité de cette explication :
17 A Monsieur ***, en lui envoyant Grisélidis, ibid., p. 92-93. Nous soulignons.
Mais d’un autre côté, ceux qui n’aiment que les choses plaisantes n’ont pu souffrir les réflexions chrétiennes de la Princesse, qui dit que c’est Dieu qui la veut éprouver. Ils prétendent que c’est un sermon hors de propos. – Hors de propos ? reprit l’autre ; non seulement ces réflexions conviennent au sujet, mais elles y sont absolument nécessaires. Vous aviez besoin de rendre croyable la Patience de votre Héroïne ; et quel autre moyen aviez-vous que de lui faire regarder les mauvais traitements de son Époux comme venant de la main de Dieu ? Sans cela, on la prendrait pour la plus stupide de toutes les femmes, ce qui ne ferait pas assurément un bon effet17.
17Il y a littéralement, dans la narration, un besoin de rendre croyable : autrement dit, se joue dans la crédibilité quelque chose de fondamental, de « nécessaire » au conte – qui dément ainsi le préjugé selon lequel le conte ne se soumettrait qu’au seul caprice de la fantaisie, dans un empire où l’incroyable serait permis. Pour Perrault au contraire, la pratique du contage est une pratique fondamentalement argumentative, visant à transformer en possible l’incroyable du conte. Et cette crédibilité passant donc dans le texte par la conviction de sa possibilité, Perrault recourt à tout un matériel argumentatif éprouvé – sur lequel nous revenons dans un instant - pour effectuer cette probation un peu particulière.
18Le rapport du narrateur à son récit n’est alors pas celui du témoin et du rapporteur, mais celui du critique et du justificateur. Il introduit un niveau méta-fictionnel et implicitement dialogique avec un destinataire fictif postulé / figuré incrédule. Ce faisant, le texte s’engendre selon la figure de la prolepsis, c’est-à-dire de la réponse anticipée à une objection implicite du type « Pourquoi ? ». Face au défi de l’étonnement, le texte oppose la permanence d’un geste probatoire. Nous dirons, pour renouer avec notre problématique initiale, que la voix du conte est bien une voix authentificatrice des événements fictionnels : et sa vérification s’effectue non pas par attestation et protestation d’une actualité passée (en alléguant ce que la rhétorique nomme des preuves extra-techniques, non fournies par le logos : les témoignages ou les archives auxquels aurait eu accès l’éditeur ou le narrateur), mais par construction de preuves strictement techniques, logologiques, par la mobilisation de raisonnements, autrement dit par la composition d’un argumentum. L’argumentum vient constamment vérifier le bien-fondé du dit : il donne raison au conte en rendant raison du conte.
Les principes de la crédibilité: le recours aux topoï
19Nous pouvons alors nous prononcer sur un certain nombre de questions laissées en suspens.
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18 Voir Annexe 2, Relevé de quelques ressources-type de l’argumentation.
20Concernant la nature de ces énoncés, ce sont des arguments, des preuves. Leur fonction est de persuader de la crédibilité de la fiction, par sa « possibilisation ». Et la persuasion passe ici par toutes les ressources traditionnelles de l’inventio, et en particulier par la mobilisation massive d’arguments tirés de ressources-type, ce qu’on appelle les lieux communs de l’argumentation18.
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19 Voir Annexe 3, Relevé des discours insérés à fonction persuasive.
21Une telle fréquence aboutit à produire un texte bigarré, avec alternance et concurrence du poétique et du démonstratif, du récit et du commentaire, d’un régime narratif et d’un régime discursif (argumentatif). Cet art de la persuasion, Perrault l’exhibe en quelque sorte dans les discours au style direct, qui sont la plupart motivés par une intention de persuasion et sur lesquels il serait facile de mettre en évidence les ressources probatoires19. On peut parler à leur encontre d’un véritable condensé du savoir-faire argumentatif de Perrault. Prenons comme exemple le mensonge du Petit Poucet à la femme de l’Ogre. Il s’agit de la persuader de donner son argent par un ensemble de raisons qui en même temps tissent un récit vraisemblable : argument des circonstances (l’ogre est « pris par une troupe de voleurs »), argument des conséquences (la mort si l’on ne donne pas la rançon : argument répété deux fois), argument des circonstances (« la chose presse »), argument de la cause finale (« pour faire diligence », il a pris les bottes), argument de la preuve matérielle, extra-technique (les bottes comme témoins de l’accréditation du Petit Poucet). Notons cependant une différence essentielle entre l’argumentation du conteur et la rhétorique du Petit Poucet : il s’agit pour le conteur de persuader non pas que le fait existe, mais, en tant qu’il est là, dans le récit, qu’il est justifiable, compréhensible, acceptable – qu’il aurait pu exister. On n’est pas dans le mentir-vrai, mais dans le raccordement des faits narrés à une topique probatoire. Le travail ne porte pas sur l’agencement des faits eux-mêmes, mais sur l’étoilement syllogistique de chacun des faits.
22Quelles sont alors les grandes caractéristiques de cette stratégie argumentative qui accompagne de part en part le déroulement du récit ? Tout d’abord, le réglage de la crédibilité ne porte jamais sur des unités longues ou globales de sens, mais toujours sur une unité minimale. Que l’on soit dans la moralité ou dans le fil de la narration, l’argument probatoire rend possible un des éléments du récit, et jamais le récit en entier. C’est ainsi que la moralité du Petit Poucet prend en charge un élément du début pour l’inverser (la déploration de la faiblesse physique). La moralité du Petit Chaperon Rouge visera à rendre possible (et acceptable) l’élément final du dénouement (le danger du loup). Encore une fois, les énoncés probatoires sont disséminés au fil du texte, et ont une portée syntagmatique locale.
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20 « Comme elles étaient fées… »
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21 Ainsi en est-il, sur le mode burlesque, de l’évanouissement de la bûcheron...
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22 Voir l’argument célèbre à l’incipit du Petit Poucet : « On s’étonnera que ...
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23 « La bonne femme fort effrayée lui donna aussitôt tout ce qu’elle avait : ...
23Autre caractéristique de la probation, Perrault opère par conformation aux ressources probatoires et non par sélection d’univers de raisons cohérents. On assiste au contraire à une multiplication des mondes de validation : certains arguments relèvent de la logique de la féerie20, d’autres du romanesque précieux et galant21, des contes grivois dans le style de Boccace22, ou encore d’une logique du vraisemblable, de l’indexation sur les lois de comportements du monde actuel23. La cohérence des énoncés probatoires n’est donc pas dans la référence à un univers stable de validation, mais dans l’usage d’un mode de validation stable, la validation par mobilisation des ressources argumentatives-types.
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24 L’emboîtement des probations amène le texte à rendre raison des raisons el...
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25 Voir Escola, 2005.
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26 Voir cet exemple de La Belle au bois dormant , où entrent en concurrence u...
24Dernier trait de cet engendrement argumentatif du récit, la démultiplication des raisons, par emboîtement24 et surtout par concurrence. En effet, à côté de la concurrence entre des possibles narratifs25, il existe, thématisée dans le texte même, une concurrence encore plus explicite entre des possibles argumentatifs26 : c’est dans cette perspective que prend tout son sens le double dénouement du Petit Poucet. A première vue en effet, nous avons là clairement deux bifurcations de l’histoire, entre un dénouement bref et féerique (le petit Poucet convainc la femme de lui donner la rançon et ramène l’or de l’Ogre à la maison) et un dénouement long et vraisemblable (le petit Poucet convainc le Roi qu’il lui rapportera des nouvelles de l’Armée le soir même, et trouve ainsi un moyen de gagner beaucoup d’argent - qu’il finira par ramener à la maison). Mais à y regarder de plus près, il s’agit surtout de rendre moral le retour de l’or à la maison : est-il bien ou mal acquis ? Le premier dénouement (le vol) n’est pas possible en ce qu’il n’est pas crédible (il forge un éthos malhonnête et potentiellement effrayant de la victime) ; il faut donc reconstruire un second dénouement, de part en part crédible – d’où l’inflation des raisons rendant compte de sa possibilité. C’est ainsi que par ces effets d’emboîtement et de concurrence, le texte renforce à tous les niveaux l’essaimage des raisons dans le récit : pour Perrault, le plaisir de la reprise du conte passe par l’ingéniosité de l’inventio, par la mobilisation féconde des ressources argumentatives, bref, par l’art de la topique.
La rhétorique ou l'art de conter
25Au bout du compte (du conte), la stratégie argumentative que Perrault met en œuvre autorise, d’un point de vue rhétorique, la crédibilité de la fiction en persuadant de sa possibilité ; ce faisant, elle constitue en outre, d’un point de vue logique, un acte de vérification des éléments fictionnels, générant l’autonomie du monde de la fiction. Nous avons là véritablement une stratégie d’engendrement et de positionnement du récit par la construction des preuves. Perrault est alors ici pour nous exemplaire en ce qu’il nous invite ainsi à penser une rhétorique de la fiction qui soit non seulement un art du style, mais plus fondamentalement une invention argumentative.
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27 Voir Noille-Clauzade, 2007.
26Car il semble bien à l’analyse qu’à l’instar du texte de Perrault, des pans entiers de la littérature classique, du théâtre à la prose, des vers à la fiction, témoignent d’une forte dimension discursive que notre mémoire culturelle a trahie. Cette étude de cas se veut à ce titre un appel à retrouver la technicité argumentative à l’œuvre non seulement dans la réception des textes, comme en témoignent les commentaires rhétoriques dont nous disposons27, mais aussi dans leur production. C’est là notre proposition de travail, laquelle ne doit pas être interprétée comme une lecture formalisatrice : elle invite au contraire à reconnaître dans l’écriture un art et un plaisir de penser, trop souvent encore minorés.
Notes
1 Voir Noille-Clauzade, 2008 a.
2 Voir Herman, Kozul et Kremer, 2008.
3 Voir Noille-Clauzade, 2008 b.
4 Voir Perrault, 1981 [1697] ; cette réédition reproduit le texte de la seconde édition (1697), où apparaissent pour la première fois les trois derniers contes, Cendrillon, Riquet à la Houppe et Le Petit Poucet.
5 Voir Zuber, 1997.
6 Perrault, 1981 : 189-200. Toutes les citations ultérieures renverront à cette référence.
7 Voir Annexe 1, Relevé des formes grammaticales de l’explication.
8 Pour des raisons méthodologiques, nous avons préféré en effet resserrer le relevé sur les énoncés dont le sens littéral donne le sémantisme de l’explication, laissant de côté les phénomènes énonciatifs nombreux qui par interprétation peuvent entrer dans une telle catégorie.
9 Nous utilisons ici volontairement ces termes dans un sens « extensif », en laissant de côté leur spécification narratologique, dans la mesure où la problématique qu’ils mobilisent ne relève pas de la narratologie.
10 Réponses : « […] car ayant entendu de dedans son lit qu’ils parlaient d’affaires, il s’était levé doucement […] » ; « car les bottes de sept lieues fatiguent fort leur homme […]. »
11 Genette, 1969.
12 Cela se passe encore comme cela dans Perrault, 1981, Le Petit Chaperon Rouge, p. 145 : « […] Et que ce n’est pas chose étrange, / S’il en est tant que le loup mange. / Je dis le loup, car tous les loups / Ne sont pas de la même sorte ; / Il en est d’une humeur accorte […]. » Cela se passe souvent comme dans Le Petit Poucet, ibid., p. 200 : « Quelquefois cependant c’est ce petit marmot / Qui fera le bonheur de toute la famille. » Cela se passe toujours comme cela dans Riquet à la Houppe, ibid., p. 188 : « Ce que l’on voit dans cet écrit, / Est moins un conte en l’air que la vérité même ; / Tout est beau dans ce que l’on aime, / Tout ce qu’on aime a de l’esprit. »
13 Voir aussi La Belle au Bois dormant, ibid. , p. 140 : « Mais l’attendre cent ans, et toujours en dormant, / On ne trouve plus de femelle, / Qui dormît si tranquillement. »
14 La Barbe bleue, ibid., p. 154« La curiosité malgré tous ses attraits, / Coûte souvent bien des regrets ; / On en voit tous les jours mille exemples paraître. »
15 Même déduction à la fin de Peau d’Âne, ibid., p. 115 : « Le conte de Peau d’Âne est difficile à croire, / Mais tant que dans le Monde on aura des Enfants, / Des Mères et des Mères-grands, / On en gardera la mémoire. »
16 La Barbe Bleue, ibid., p. 154.
17 A Monsieur ***, en lui envoyant Grisélidis, ibid., p. 92-93. Nous soulignons.
18 Voir Annexe 2, Relevé de quelques ressources-type de l’argumentation.
19 Voir Annexe 3, Relevé des discours insérés à fonction persuasive.
20 « Comme elles étaient fées… »
21 Ainsi en est-il, sur le mode burlesque, de l’évanouissement de la bûcheronne : « car c’est le premier expédient que trouvent presque toutes les femmes en pareilles rencontres ».
22 Voir l’argument célèbre à l’incipit du Petit Poucet : « On s’étonnera que le Bûcheron ait eu tant d’enfants en si peu de temps ; mais c’est que sa femme allait vite en besogne, et n’en faisait pas moins que deux à la fois. »
23 « La bonne femme fort effrayée lui donna aussitôt tout ce qu’elle avait : car cet Ogre ne laissait pas d’être fort bon mari, quoiqu’il mangeât les petits enfants. » La chute de la phrase produit bien évidemment là aussi un effet burlesque.
24 L’emboîtement des probations amène le texte à rendre raison des raisons elles-mêmes. Ainsi Perrault emboîte les raisons de l’impatience du mari (il s’impatience car elle lui « rompait la tête », elle lui « rompt la tête » car il la trouve importune : « Il la menaça de la battre si elle ne se taisait. Ce n’est pas que le Bûcheron ne fût peut-être encore plus fâché que sa femme, mais c’est qu’elle lui rompait la tête, et qu’il était de l’humeur de beaucoup d’autres gens, qui aiment fort les femmes qui disent bien, mais qui trouvent très importunes celles qui ont toujours bien dit »). De même, à la fin du Chat Botté, l’exemple célèbre des raisons de la collation, le texte énonçant à la fois la raison de la présence du repas (les amis) et, emboîtée, la raison de … l’absence des amis (Perrault, op. cit., p. 161) : « ils entrèrent dans une grande Salle où ils trouvèrent une magnifique collation que l’Ogre avait fait préparer pour ses amis qui le devaient venir voir ce même jour-là, mais qui n’avaient pas osé entrer, sachant que le Roi y était. »
25 Voir Escola, 2005.
26 Voir cet exemple de La Belle au bois dormant , où entrent en concurrence un argument tiré des circonstances de la personne et un argument tiré de la cause première, pour rendre possible et donc crédible le fait que la Belle se pique le doigt (Perrault, op. cit., p. 133) : « […] que comme elle était fort vive, un peu étourdie, et que d’ailleurs l’Arrêt des Fées l’ordonnait ainsi, elle s’en perça la main ».
27 Voir Noille-Clauzade, 2007.
Bibliographie
Escola, Marc, 2005, Marc Escola commente Perrault, Paris, Gallimard
Genette, Gérard, 1969, Figures II, Paris, Seuil, « Vraisemblance et motivation », pp. 71-100
Herman, Jan, Kozul, Mladen, et Kremer, Nathalie, 2008. Le Roman véritable : stratégies préfacielles au XVIIIe siècle, S.E.V.C., Londres
Noille-Clauzade, Christine, 2007, « Le commentaire rhétorique classique : un modèle de lecture non herméneutique », dans « Complications de texte : les microlectures » , Fabula LHT (Littérature, histoire, théorie), n° 3, 1 septembre 2007, URL : http://www.fabula.org/lht/3/Noille.html
Noille-Clauzade, Christine, 2008 a, « L’histoire secrète de l’Histoire : l’invention de la feintise fictionnelle dans la nouvelle historique au XVIIe siècle », dans A. Déruelle et A. Tassel éd., Problèmes du roman historique, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 139-159
Noille-Clauzade, Christine, 2008 B, « Considérations logiques sur de nouveaux styles de fictionalité : les mondes de la fiction au XVIIe siècle », dans La Théorie des mondes possibles, un outil pour l’analyse littéraire ?, études réunies par F. Lavocat, à paraître, Paris
Perrault, Charles, 1981, Contes, éd. J.-P. Collinet, Paris, Gallimard, Folio Classique.
Zuber, Roger, 1997, Les Émerveillements de la raison, Paris, Klincksieck, « Les Contes de Perrault et leurs voix merveilleuses », pp. 261-295
Annexes
ANNEXE 1. Relevé des formes grammaticales de l’explication
LA CAUSE (CONJONCTION DE COORDINATION CAR)
-
car tandis qu’ils s’amuseront à fagoter, nous n’avons qu’à nous enfuir sans qu’ils nous voient
-
car ayant entendu de dedans son lit qu’ils parlaient d’affaires, il s’était levé doucement
-
car en marchant il avait laissé tomber le long du chemin les petits cailloux blancs qu’il avait dans ses poches
-
car les pauvres gens mouraient de faim
-
car elle redit plus de vingt fois qu’ils s’en repentiraient et qu’elle l’avait bien dit
-
car il trouva la porte de la maison fermée à double tour
-
car plus ils marchaient, plus ils s’égaraient et s’enfonçaient dans la Forêt
-
car souvent ils la perdaient de vue [la maison à la chandelle]
-
car il y avait un Mouton tout entier à la broche pour le souper de l’Ogre
-
car elles mordaient déjà les petits enfants
-
car l’Ogre s’étant éveillé sur le minuit eut regret d’avoir différé au lendemain ce qu’il pouvait exécuter la veille
-
car c’est le premier expédient que trouvent presque toutes les femmes en pareilles rencontres
-
car les bottes de sept lieues fatiguent fort leur homme
-
car il a été pris par une troupe de Voleurs
-
car cet Ogre ne laissait pas d’être fort bon mari
-
car le Roi le payait parfaitement bien […] et une infinité de Dames lui donnaient tout ce qu’il voulait […]
LA CAUSE (CONJONCTION DE SUBORDINATION PARCE QUE)
-
parce qu’aucun d’eux ne pouvait encore gagner sa vie
-
parce qu’il était un peu rousseau, et qu’elle était un peu rousse
-
parce qu’il croyait retrouver aisément son chemin par le moyen de son pain qu’il avait semé partout où il avait passé
-
parce qu’elles mangeaient de la chair fraîche comme leur père
-
parce qu’autrement ils le tueront sans miséricorde
-
parce qu’il ne s’en servait que pour courir après les petits enfants
LA CAUSE (CONJONCTION DE SUBORDINATION POUR)
-
pour avoir bu et mangé dans la maison du Bûcheron [« pour » explicatif : ici dans le sens de « pour la raison que »]
LA CAUSE (CONJONCTION DE SUBORDINATION COMME)
-
Comme il y avait longtemps qu’elle n’avait mangé
-
Comme il n’en pouvait plus de fatigue
-
comme elles étaient Fées
-
Comme la chose presse beaucoup
LA CAUSE (ELLIPSE DE LA CONJONCTION, PRÉSENCE D’UNE PONCTUATION PRÉSENTATIVE)
-
Ce qui les chagrinait encore, c’est que le plus jeune était fort délicat et ne disait mot : prenant pour bêtise ce qui était une marque de la bonté de son esprit
-
heurter trois ou quatre grands coups à la porte : c’était l’Ogre qui revenait
LA CONSÉQUENCE (CONJONCTION DE SUBORDINATION DE SORTE QUE ET CE QUI)
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de sorte qu’elles se trouvèrent aussi justes à ses pieds et à ses jambes que si elles avaient été faites pour lui
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ce qui lui donna un peu dans la tête, et l’obligea de s’aller coucher
LA CONSÉQUENCE (CONJONCTION DE COORDINATION DONC)
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Il leur dit donc
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il le serra donc dans sa poche
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Les voilà donc bien affligés
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voilà donc comme tu veux me tromper
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il se jeta donc brusquement hors du lit
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Le petit Poucet étant donc chargé de toutes les richesses de l’Ogre s’en revint au logis de son père
LE BUT (CONJONCTION DE SUBORDINATION POUR)
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pour les écouter sans être vu
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pour faire des fagots
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pour écouter ce que disaient leur Père et leur Mère
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pour ne pas manquer leur coup
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pour aller ramasser des petits cailloux
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pour les manger
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pour voir s’il ne découvrirait rien
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pour traiter trois Ogres de mes amis qui doivent me venir voir ces jours ici
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pour en sucer le sang
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pour lui aider
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pour leur couper la gorge
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pour faire diligence
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pour courir après les petits enfants
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pour porter ses ordres à l’Armée
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pour avoir des nouvelles de leurs Amants
LE BUT (CONJONCTION DE SUBORDINATION AFIN QUE)
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afin qu’ils ne maigrissent pas
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afin que l’Ogre les prît pour ses filles, et ses filles pour les garçons qu’il voulait égorger
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afin que j’aille les attraper
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afin que vous ne croyiez pas que je sois un affronteur
LOCUTIONS EXPLICATIVES C’EST QUE / CE QUI FAIT QUE, INTRODUCTRICES D’UN SYSTÈME EXPLICATIF.
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On s’étonnera que le Bûcheron ait eu tant d’enfants en si peu de temps ; mais c’est que sa femme allait vite en besogne, et n’en faisait pas moins que deux à la fois.
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Ce qui les chagrinait encore, c’est que le plus jeune était fort délicat et ne disait mot : prenant pour bêtise ce qui était une marque de la bonté de son esprit. Il était fort petit, et quand il vint au monde, il n’était guère plus gros que le pouce, ce qui fit que l’on l’appela le petit Poucet.
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Ce n’est pas que le Bûcheron ne fût peut-être encore plus fâché que sa femme, mais c’est qu’elle lui rompait la tête, et qu’il était de l’humeur de beaucoup d’autres gens, qui aiment fort les femmes qui disent bien, mais qui trouvent très importunes celles qui ont toujours bien dit.
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Ce Pierrot était son fils aîné qu’elle aimait plus que tous les autres, parce qu’il était un peu rousseau, et qu’elle était un peu rousse.
ANNEXE 2. Relevé de quelques ressources-type de l’argumentation
Vérification de la possibilité par un ARGUMENT tiré de l’ORIGINE (transcendante) du fait (cela est, car à l’origine du fait, il y a la volonté des dieux) = A CAUSA (n° 1)
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comme elles étaient Fées [i.e. les bottes de sept lieues]
Vérification de la possibilité par un ARGUMENT tiré de l’ORIGINE (familiale) d’une personne (une personne est ainsi, car à l’origine, sa lignée est ainsi) = A CAUSA (n° 2)
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son fils aîné qu’elle aimait plus que tous les autres, parce qu’il était un peu rousseau, et qu’elle était un peu rousse [L’argument a causa (la raison de la préférence pour les roux : à savoir la lignée matriarcale) est ici imbriqué avec un argument a persona (le fils aîné est préféré parce qu’il a comme traité éthique/physique la rousseur).]
Vérification de la possibilité par un argument tiré de l’ORIGINE humaine du fait (cela est, car à l’origine du fait, il y a la volonté / la responsabilité / l’intervention d’une personne) = A CAUSA (n° 3)
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car l’Ogre s’étant éveillé sur le minuit eut regret d’avoir différé au lendemain ce qu’il pouvait exécuter la veille ; il se jeta donc brusquement hors du lit
Vérification de la possibilité par un argument tiré de l’origine matérielle du fait (cela est, car à l’origine d’un fait ou d’un événement, il y des matériaux qui l’ont causé) = A CAUSA (n° 4)
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L’Ogre qui se trouvait fort las du long chemin qu’il avait fait inutilement (car les bottes de sept lieues fatiguent fort leur homme) […]
Vérification de la possibilité par un argument tiré du but (cela est, car à l’origine du fait, il y a le but poursuivi) : =A CAUSA FINALE (n° 4)
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Le petit Poucet […] s’était glissé sous l’escabelle de son père pour les écouter sans être vu.
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et prenant les bonnets de ses frères et le sien, il alla tout doucement les mettre sur la tête des sept filles de l’Ogre […] afin que l’Ogre les prît pour ses filles, et ses filles pour les garçons qu’il voulait égorger
Vérification de la possibilité par un argument tiré des effets ou des conséquences (cela est, car les effets naturels ou les conséquences sont là et en attestent) : AB EFFECTIS – A CONSEQUENTIA
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il a voulu que je prisse ses bottes de sept lieues que voilà […] afin que vous ne croyiez pas que je sois un affronteur. [les bottes de sept lieux comme preuve par les effets, de la confiance que l’Ogre a placée dans le petit Poucet]
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[…] de me donner tout ce qu’il a vaillant sans en rien retenir, parce qu’autrement ils le tueront sans miséricorde. [L’assassinat comme probation par les conséquences (à éviter !) d’un souci d’économie.]
Vérification de la possibilité par un argument tiré des précédents notoires (cela est, comme cela a été avant) : AB ANTECEDENTIBUS
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Le petit Poucet ne s’en chagrina pas beaucoup, parce qu’il croyait retrouver aisément son chemin par le moyen de son pain qu’il avait semé partout où il avait passé
Vérification de la possibilité par un argument tiré des circonstances de temps, de lieu, ou des attributs de la personne (cela est en raison de ce qu’il y a autour : circonstances matérielles et éthiques) : AB ADJUNCTIS
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Comme la chose presse beaucoup [preuve par la circonstance du temps]
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pour avoir bu et mangé dans la maison du Bûcheron [preuve par la circonstance du lieu]
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car cet Ogre ne laissait pas d’être fort bon mari [preuve par la circonstance de la personne]
ANNEXE 3. Relevé des discours insérés à fonction persuasive
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« Tu vois bien que nous ne pouvons plus nourrir nos enfants ; je ne saurais les voir mourir de faim devant mes yeux, et je suis résolu de les mener perdre demain au bois, ce qui sera bien aisé, car tandis qu’ils s’amuseront à fagoter, nous n’avons qu’à nous enfuir sans qu’ils nous voient. - Ah ! s’écria la Bûcheronne, pourrais-tu bien toi-même mener perdre tes enfants ? » Son mari avait beau lui représenter leur grande pauvreté, elle ne pouvait y consentir ; elle était pauvre, mais elle était leur mère. Cependant ayant considéré quelle douleur ce lui serait de les voir mourir de faim, elle y consentit, et alla se coucher en pleurant.
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« Hélas ! mes pauvres enfants, où êtes-vous venus ? Savez-vous bien que c’est ici la maison d’un Ogre qui mange les petits enfants ? - Hélas ! Madame, lui répondit le petit Poucet, qui tremblait de toute sa force aussi bien que ses frères, que ferons-nous ? Il est bien sûr que les Loups de la Forêt ne manqueront pas de nous manger cette nuit, si vous ne voulez pas nous retirer chez vous. Et cela étant, nous aimons mieux que ce soit Monsieur qui nous mange ; peut-être qu’il aura pitié de nous, si vous voulez bien l’en prier. »
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« Il faut, lui dit sa femme, que ce soit ce Veau que je viens d’habiller que vous sentez. - Je sens la chair fraîche, te dis-je encore une fois, reprit l’Ogre, en regardant sa femme de travers, et il y a ici quelque chose que je n’entends pas. » En disant ces mots, il se leva de Table, et alla droit au lit. « Ah, dit-il, voilà donc comme tu veux me tromper, maudite femme ! Je ne sais à quoi il tient que je ne te mange aussi ; bien t’en prend d’être une vieille bête. Voilà du Gibier qui me vient bien à propos pour traiter trois Ogres de mes amis qui doivent me venir voir ces jours ici. »
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« Que voulez-vous faire à l’heure qu’il est ? n’aurez-vous pas assez de temps demain matin ? - Tais-toi, reprit l’Ogre, ils en seront plus mortifiés. - Mais vous avez encore là tant de viande, reprit sa femme ; voilà un Veau, deux Moutons et la moitié d’un Cochon ! - Tu as raison, dit l’Ogre ; donne-leur bien à souper, afin qu’ils ne maigrissent pas, et va les mener coucher. »
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« Votre mari, lui dit le petit Poucet, est en grand danger ; car il a été pris par une troupe de Voleurs qui ont juré de le tuer s’il ne leur donne tout son or et tout son argent. Dans le moment qu’ils lui tenaient le poignard sur la gorge, il m’a aperçu et m’a prié de vous venir avertir de l’état où il est, et de vous dire de me donner tout ce qu’il a vaillant sans en rien retenir, parce qu’autrement ils le tueront sans miséricorde. Comme la chose presse beaucoup, il a voulu que je prisse ses bottes de sept lieues que voilà pour faire diligence, et aussi afin que vous ne croyiez pas que je sois un affronteur. » La bonne femme fort effrayée lui donna aussitôt tout ce qu’elle avait […].
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Christine Noille
Université Grenoble Alpes / U.M.R. Litt&Arts – RARE Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution