La Réserve : Livraison octobre 2015
Historiographie, astrologie, littérature au XVe siècle : le passage des comètes chez les Grands Rhétoriqueurs bourguignons
Initialement paru dans : Ordre et désordre du monde. Enquête sur les météores de la Renaissance à l’âge moderne, dir. Th. Belleguic et A. Vasak, Paris, Hermann, 2013, p. 69-95
Texte intégral
1 Jean Gerson, Œuvres complètes, éd. P. Glorieux, Paris, Tournai, Rome, New Y...
Generatio ista quaerit signum. (Jean Gerson1)
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2 Jean Chartier, Chronique de Charles VII, roi de France, éd. Vallet de Viriv...
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3 Pierre d’Ailly, Vigintiloquium de concordia astronomice veritatis cum theol...
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4 Sur cette nomination, nous nous permettons de renvoyer à notre livre Poétiq...
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5 Ce nom est donné à la fin du XIXe siècle à partir d’une interprétation cava...
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6 De ce point de vue, des différences existent entre Grands Rhétoriqueurs bou...
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7 J. Devaux, Jean Molinet, indiciaire bourguignon, Paris, Champion, 1996, p. ...
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8 L’ouvrage pionnier sur ce point est Fr. Cornilliat, Or-ne-mens, couleurs de...
1En 1437, Charles VII remplace l’office de chroniqueur royal traditionnellement assumé par un bénédictin de l’abbaye de Saint-Denis par la fonction nouvelle d’historiographe de France. Le travail de Jean Chartier2, qui met un point final aux Grandes Chroniques de France rédigées en langue vernaculaire depuis le milieu du siècle précédent, s’inscrit dans une politique de reconquête idéologique, affirmant avec force le prestige royal mis à mal par la guerre civile. En 1451, Charles nomme, sur le même modèle, un astrologue. Il officialise ainsi la présence aux côtés du souverain d’une profession en réalité largement présente à la cour depuis le règne de Charles V, un siècle auparavant. Il est difficile de dire si, dans les intentions du roi, histoire et astrologie fonctionnent de façon véritablement complémentaire ; néanmoins ces deux gestes parallèles frappent les contemporains. Ils relancent le débat sur les relations entre les interprétations des phénomènes célestes et les écritures du temps humain, réflexion inaugurée dès 1414 par la célèbre trilogie de Pierre d’Ailly, dont le volume central dit l’ambition : De concordia astronomice veritatis et narrationis hystorice3. En 1455, le duc Philippe de Bourgogne crée à son tour la fonction de chroniqueur officiel, confiée à George Chastelain4. La concurrence est directe et le message explicite envers le royaume de France. La principauté la plus puissante d’Europe se dote d’une institution historiographique originale qui perdure jusqu’aux premières décennies du 16e siècle et dont les titulaires ont reçu à l’époque moderne le nom de Grands Rhétoriqueurs. Bien que cette appellation soit issue, comme il est fréquent, d’une erreur dépréciative5, la Grande Rhétorique se caractérise en Bourgogne par un statut officiel, lié à une idéologie politique et une pratique littéraire cohérentes6. George Chastelain (1415-1475), Jean Molinet (1435-1507) et Jean Lemaire de Belges (1473-1524), pour les années qu’il passe au service de la principauté, portent tous, à partir de 1470, le titre particulier d’indiciaire. Ce synonyme d’historiographe officiel souligne que ces écrivains sont chargés d’une mission qu’ils prennent fort au sérieux, puisqu’elle met en jeu l’honneur du duché7. Par divers écrits qui partagent la même dimension publique, ils ont pour tâche de « monstrer », ou glorifier, la politique bourguignonne en « demonstrant », en analysant aussi efficacement que possible les événements de l’actualité. Ils souhaitent allier une défense nécessairement partisane de leur camp à une volonté alléguée d’objectivité envers des lecteurs qui peuvent être Français. Peu disposés à l’indulgence, ces derniers doivent être convaincus par la réflexion que la Grande Rhétorique propose sur l’époque contemporaine et fascinés par une écriture dont la magnificence n’est pas mensonge, mais expression du véritable ordre du monde et de Dieu8. Soucieux de mener à bien cette tâche, Chastelain et Molinet se penchent sur le rôle que les prodigia célestes peuvent jouer dans l’écriture de l’histoire. Tous deux témoins du passage d’une comète visible de décembre 1471 à mars 1472, ils prennent cette « merveille » comme un point d’arrivée et de départ : point d’arrivée pour la Chronique et la carrière de George Chastelain, qui cesse peu après d’écrire ; point de départ pour celles de Jean Molinet, cherchant à se placer dans l’héritage du maître tout en affirmant sa propre place. Les lignes qui suivent tenteront de montrer ce que signifie le passage des comètes pour les chroniqueurs bourguignons : l’événement fait naître dans son sillage des discours réflexifs sur le fonctionnement complexe de l’historiographie officielle ; il permet une passation de pouvoir entre deux écrivains, dans une relation dynamique et non sans malice.
La comète aux XIVe et XVe siècles, objet de science ou d’histoire
2Pour comprendre les questions que les deux Bourguignons vont faire surgir dans le sillage de la comète de 1471-1472, il est nécessaire de rappeler brièvement dans quel contexte intellectuel ils ont été formés à la lecture de pareils faits.
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9 Jean Buridan, Quaestiones super tres libros meteorum, éd. S. Bages-Biet, th...
3Qu’est-ce que les meteoroligica ? La question hante les premières lignes des Quaestiones super III libros meteorum9, l’ouvrage que le philosophe Jean Buridan consacre au début du XIVe siècle aux phénomènes atmosphériques. Embrasements de vapeurs chthoniennes et exhalations des zones aériennes humides, les météores, selon la physique aristotélicienne, sont des éléments paradoxaux par nature, entre feu et froid, entre soleil et terre. Malgré les tentatives d’explications rationnelles de leurs causes mécaniques chez quelques érudits scientifiques, de pareils phénomènes ne peuvent manquer d’être entourés d’une aura de mirabilia : « quel ignorant, dit Jean Buridan, ne s’en étonnerait pas ? »
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10 Mahieu le Vilain, Les Météores d’Aristote, éd. R. Edgren à partir du manus...
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11 J-P. Boudet, Entre science et nigromancie. Astrologie, divination et magie...
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12 En 1366, Nicole Oresme réagit vivement à la vogue de l’astrologie à la cou...
4N’en déplaise au professeur parisien, les lecteurs des XIVe et XVe siècles sont particulièrement sensibles à l’évocation des « merveilles » célestes. L’approche météorologique savante, traditionnellement éloignée de la démarche interprétative de l’astrologie, semble s’en rapprocher au 14e siècle, non par ignorance du public, mais paradoxalement à cause d’une information mieux diffusée. L’adaptation française que, vers 1290, Mahieu le Vilain a proposée des Météorologiques d’Aristote est reprise et complétée par le travail d’Evrart de Conty moins d’un siècle plus tard10. La multiplication des traductions vernaculaires va de pair avec l’entrée de l’astrologie comme discipline universitaire à succès dans le prestigieux centre de Bologne11. En France, l’interprétation des signes atmosphériques est accueillie avec une indéniable faveur par le roi de France Charles V. L’intérêt du « roy astrologien » ne manque pas de susciter, au sein de son entourage, de savantes querelles qui cachent parfois d’âpres rivalités entre les intellectuels de la cour12.
5Faut-il recevoir les meteorologica comme des signes susceptibles d’interprétation ? L’hésitation est déjà explicite chez Mahieu le Vilain dont le chapitre sur les comètes alterne à plusieurs reprises la négation d’un symbolisme météorique et l’affirmation d’un lien signifiant entre le passage des comètes et l’histoire humaine. L’argumentation se clôt sur une impasse :
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13 Mahieu le Vilain, Les Météores d’Aristote, éd. cit, p. 41-42.
Ceste comete de la Nativité ne vint pas par naturel disposition de l’air ains vint par miracle et nous ne parlons pas en cest livre de choses qui aviennent par miracle mais de choses qui aviennent par nature13.
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14 Michel Pintouin, Chronique du Religieux de Saint-Denis, trad. M-L. Bellagu...
6Embarrassantes dans le discours scientifique, les mirabilia célestes s’insinuent dans d’autres écritures, traités d’astrologie, ouvrages de théologie et livres d’histoire. Leur apparition y renforce l’efficacité des discours, mais perturbe une écriture historiographique qui se veut parfois en quête de vraisemblable, à l’heure de son officialisation en langue vernaculaire. Michel Pintouin, le plus célèbre rédacteur des Grandes Chroniques de France et prédécesseur de Jean Chartier au début du XVe siècle, ne manque pas de rappeler les passages de comètes, réels ou supposés, dont il a pu être informé. Comme beaucoup d’historiographes de cette période, il utilise cet élément spectaculaire pour ouvrir ou fermer certains chapitres particulièrement importants de sa Chronique. Alors qu’il est un adversaire déclaré de l’astrologie judiciaire, le bénédictin glisse par exemple une comète suspecte qui serait apparue en 1396, peu avant la défaite de Nicopolis14. Il laisse à son lecteur l’interprétation de ce prodigium céleste, tout en établissant une relation implicite entre celui-ci et la responsabilité de Jean sans Peur, alors futur duc de Bourgogne et fauteur de la guerre civile qui fait rage au moment de la rédaction du chapitre.
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15 Le rôle de seuil souvent donné à l’évocation des météores dans les chapitr...
7L’évocation des météores dans le discours historiographique des XIVe-XVIe siècles repose donc sur un double paradoxe, thématique et rhétorique. Paradoxe thématique : étrangers à l’histoire des hommes, comètes ou météores peuvent pourtant porter sur elle un message ; une chronique peut choisir de les mentionner ou non, ce qui offre une grande liberté d’utilisation à l’auteur. Paradoxe rhétorique : le chroniqueur officiel, généralement opposé à l’influence d’astrologues qui sont parfois des concurrents, présente ces mirabilia sans commentaire et à travers une grille d’évocation stéréotypée, sur laquelle nous reviendrons. Pourtant ils sont toujours placés à des endroits stratégiques, précédant un événement sur lequel le narrateur jette ainsi le germe d’une herméneutique que le lecteur est libre de développer. Élément essentiel de la rhétorique du silence dans l’historiographie, le prodigium céleste fonctionne également comme un seuil structurel. Il est le plus souvent le coup de théâtre qui ouvre un chapitre, le point d’orgue qui ferme une évocation, voire une Chronique entière15. Son caractère « merveilleux », propre au movere, impressionne les récepteurs.
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16 R. Veenstra, Magic and divination at the courts of Burgundy and France, Le...
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17 R. Veenstra, ibid, p. 115-136.
8Au moment où les indiciaires reçoivent leur mission, les météores sont déjà fortement lestés de sens dans les discours des astrologues comme des historiographes. La cour de Bourgogne participe à cette double culture et à ses contradictions. Certes, à la différence de Charles VII, Philippe le Bon ne semble pas avoir complété la nomination des chroniqueurs officiels par celle d’astrologues de même rang. La bibliothèque ducale reflète un certain intérêt du prince pour les traités astrologiques du temps, mais leur nombre est quatre fois moins important que dans la librairie du Louvre à la même époque16. Auprès du duc Philippe et de son fils Charles le Téméraire pourtant, George Chastelain puis Jean Molinet ont pu rencontrer plusieurs personnages qui jouissent d’une grande notoriété en tant qu’astrologues : parmi eux, Jean Petit, le célèbre défenseur de Jean sans Peur face aux accusations des partisans de Louis d’Orléans après le meurtre de ce dernier ; Angelo Cato, à qui Commynes dédiera ses Mémoires et qui sert Charles de Bourgogne jusqu’en 1476 ; Jean de Vésale qui interprète pour le même duc les comètes de 1468 et 147217.
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18 Nous nous permettons de renvoyer sur ce point à notre étude : « La condici...
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19 Le lexique utilisé pour la description du phénomène renvoie aux stéréotype...
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20 Nous analysons ici des occurrences à propos d’une comète en 1462 chez Chas...
9S’ils évoluent dans un milieu où le discours astrologique est fortement présent, Chastelain et Molinet sont également empreints de la culture historiographique contemporaine et des ambiguïtés qui y entourent les évocations des prodigia. George est très réticent à l’introduction des météores dans son œuvre historiographique, dont les principes, ce qu’il nomme la « condicion de l’historiographe », reposent sur la revendication d’une forme de vraisemblable et sur une écriture réflexive, appelant à l’analyse raisonnée18. Jean Molinet est plus enthousiaste. Tremblements de terre et merveilles atmosphériques sont fréquents sous sa plume. Une telle différence n’est peut-être pas, on le verra, simple affaire de tempérament. Cependant tous deux, bons connaisseurs de la tradition historiographique latine ou française, construisent l’essentiel de leurs évocations à l’aide de stéréotypes. Dans leurs Chroniques, l’apparition céleste n’a pas d’autre nom savant que celui de « comette », mais celui-ci est souvent glosé par « signe »19. Les descriptions sont uniformes : elle « apparut au ciel »20, en « jettant des rais » de sa « queue », élément qui étonne par sa longueur ou par son absence. Les indiciaires sont soucieux de montrer leurs connaissances astrologiques - ou leur capacité à s’informer auprès de spécialistes : ils indiquent la planète dont la comète semble proche, Vénus (Chastelain), Mercure (Molinet). Après avoir noté la durée du phénomène que des témoins leur ont confirmé, ils proposent sans transition la narration d’événements politiques qui se déroulaient, précisément à cet instant et dans cet espace : projet de mariage entre l’héritier de Bourgogne et Anne de Bretagne chez Molinet, pour une comète de 1491 ; chez Chastelain, mort du chancelier Rolin et maladie de Philippe de Bourgogne en 1462. « Plusieurs gens s’en esmerveillent » (Molinet) ou en tirent de « douteuses significations » (Chastelain), sur lesquelles le chroniqueur se garde de gloser.
10L’originalité de Chastelain et de Molinet n’est pas dans cette présentation dont les effets rhétoriques sont présents chez la plupart des chroniqueurs de l’époque. Elle est plutôt dans l’interrogation littéraire qui accompagne sous leur plume les passages des comètes : faut-il les mentionner dans une chronique officielle ou en faire le matériau d’un autre type d’écriture historiographique ? Au-delà des querelles entre astrologie et historiographie qu’elles engendrent, peuvent-elles être des signes rhétoriques, dévoilant ironiquement le fonctionnement d’une esthétique littéraire ? L’ironie est, par étymologie, questionnement et détournement. Ces deux possibilités sont explorées par Chastelain et Molinet pour interroger chacun leurs propres choix d’écriture et pour mettre en scène ensemble les relations amicales et retorses qui unissent le vieux maître et son ambitieux disciple.
« Deux, trois commettes » ? L’ironie des signes chez George Chastelain
11Aux yeux de George Chastelain, l’indiciaire, témoin de son époque, exerce sans cesse une activité de lecture : lecture des événements, lecture des écrits antérieurs qui lui permettront de mieux accéder à sa propre écriture. Transformer un fait historique en objet d’interprétation et donc d’écriture est le moyen le plus sûr d’accéder au sens que l’on souhaite suggérer au lecteur. Le meilleur signum est doué de stabilité et d’évidence. Aussi le Rhétoriqueur préfère-t-il le contrôler lui-même. Les protestations de vérité qui scandent les livres de Chastelain font attendre une certaine vraisemblance, idée à laquelle cet historien est attaché. L’événement prodigieux, apparitions mal étayées, passages de météores ou phénomènes naturels peu sûrs, est généralement absent de sa Chronique. Chastelain n’en méconnaît pas l’intérêt rhétorique : la description bien placée d’une comète permet de mêler avenir, passé et présent et donne une dimension transcendante à une chronique. Conscient de cette difficulté, George propose deux solutions : dans la Chronique, le passage des météores introduit une réflexion critique sur l’écriture, permettant à l’historiographe de questionner sa méthode ; d’autre part, l’évocation des mirabilia est spécialisée dans un type d’écriture différent, la curieuse annale en première personne qu’est La Recollection des merveilleuses advenues. Les comètes s’y accumulent, suggérant que leur sens est moins eschatologique que littéraire.
12Sensible aux miracula fondés sur l’autorité d’un texte sacré, George est bien sûr prêt à croire inconditionnellement à l’extraordinaire de caractère religieux. Les manifestations de saint Bertulf à Gand sont rapportées par un présent qui ne laisse nulle place au doute :
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21 G. Chastelain, Œuvres, éd. J. Kervyn, t. III, p. 407.
En l’abbaye de Saint-Pierre, saint Bertoul gisant en son fierte estonna tout le couvent par force de buquier, lequel saint quant il ce fait donne signe d’aucun grand avenement futur21.
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22 La première occurrence développée d’une comète dans la Chronique de Chaste...
13Dans la Chronique, ces détails restent rares et sont accompagnés de la voix vive des témoignages pour laisser au lecteur la possibilité d’une vision personnelle des événements. Les mirabilia, en particulier les phénomènes atmosphériques dont l’astrologie est friande, n’apparaissent que rarement dans les centaines de pages de l’historiographe22. Une occurrence met en parallèle l’apparition d’une comète en 1462 et deux événements graves pour le duché, le trépas du chancelier et la grave maladie du duc. Elle est rapide et Chastelain l’encadre d’une dimension intertextuelle qui lui paraît plus importante que l’apparition elle-même :
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23 G. Chastelain, ibid, t. V, p. 215.
Comme à grands hommes il eschiet aucunes fois de grands signes devant leur mort […] par Cesar et par autres est apparu assez23.
14Il est licite d’interpréter le « signe » lorsqu’il s’inscrit dans un souvenir culturel. Le passage de la comète, parce qu’il est déjà écriture (Légende Dorée ou références romaines ici), peut être exploité sans réticence.
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24 G. Chastelain, ibid, livre VII, chapitre LX, t.V, p. 432-434.
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25 Le caractère exceptionnel de ce chapitre est souligné par J-P. Boudet, Ent...
15En 1471-1472, le contexte de rédaction a dramatiquement changé. Ayant achevé l’évocation du règne passé du duc Philippe le Bon, le chroniqueur doit désormais réagir au jour le jour aux événements qu’il décrit. La distance temporelle, socle de l’écriture réflexive qu’il privilégie, est abolie. De plus, l’idéologie politico-rhétorique patiemment élaborée par George depuis le début de sa carrière, démontrant que la concorde est un élément essentiel dans les affaires princières comme littéraires et qu’elle est le maître-mot de la culture bourguignonne, menace ruine. Louis XI et Charles de Bourgogne s’affrontent ouvertement et les protestations de concordia ne sont plus de saison, ni les ouvrages qui célèbrent cette vertu. Amer de cette situation qui le prend au dépourvu à l’issue de deux décennies de bons et loyaux services, Chastelain met un terme à sa chronique, en révolutionnant ses habitudes. Il consacre, dans ses dernières pages, un chapitre entier à la comète de 147224, livrant de ce phénomène l’évocation la plus complexe qui nous soit parvenue sous la plume d’un historiographe du XVe siècle25.
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26 G. Chastelain, Œuvres, éd. J. Kervyn,, op.cit, tome V, p. 432.
16Le texte s’ouvre par le constat pessimiste de l’affrontement du duc et du roi, deux personnages enfermés dans leur antagonisme. Le chroniqueur, qui a déjà exprimé longuement sa détestation du fauteur de trouble qu’est le nouveau roi de France, suggère que son belliqueux maître ne vaut guère mieux : « Et tandis donc que le roy et le duc gisoient ainsi front à front l’un de l’autre, l’un en son parc clos, l’autre à Noyon26... ». La métaphore « front à front » exprime l’opposition des deux figures, définies par des lieux clos, jardin ou forteresse, images de leur commune obstination. Le double thème de la perversion du langage et de la fausse apparence souligne la condamnation qui pèse sur eux : « Chacun bargaignoit son compagnon, en fier semblant... ». De façon inopinée, la comète surgit. Elle est évoquée par des expressions stéréotypées, « s’apparut alors au ciel une comete », et est attestée par des témoignages divers et anonymes. Mais les voix convoquées révèlent surtout l’incertitude du phénomène : « Plusieurs, comme il me fust recordé, l’avoient vu par nuit, comme à deux heures, et aucuns autres apres à trois, et entre trois et quatre. »
17Le témoignage des autres ne suffit plus. George entre en scène, ce qu’il a l’habitude de faire aux heures de grand danger, lorsque sa Chronique risque de sombrer dans le chaos des événements. L’historien devient l’acteur central de son récit. Cela suffisait jusqu’ici à rétablir l’ordre troublé de l’écriture. Or la vision personnelle est, elle aussi, entachée de trouble : bien qu’il fasse l’effort de se lever à quatre heures du matin pour scruter le ciel, nous dit-il, George n’aperçoit pas ce prodige dont tous parlent :
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27 G. Chastelain, ibid, p. 433.
Telle fois le temps estoit couvert, par quoy j’en imputay la faute aux nuees ; et aucunes fois, quand le temps estoit assez clair pour la percevoir, sy faillis à la trouver par mal tourner mon œil peut-estre, ou que maison ou autre entre-deux m’empeschoit27.
18Dubitatif, il abandonne l’enquête. C’est alors que la brusque vision s’accomplit « d’aventure », par hasard. La description de la comète s’échappe des stéréotypes car elle est fondée sur le paradoxal mélange de lumière et d’obscurité d’un phénomène qui se révèle dans une « foible clarté » au spectateur qui le cherche et frappe violemment l’œil de qui l’évite. Le signe est donc à la fois évident et obscur, et son ambiguïté est le reflet de la situation historique troublée où il intervient :
Mais qui baissoit l’œil devant elle son ray luy feroit en l’œil tout clair, et sembloit à l’œil que le ray de la queue fust dedans luy.
19Pour dépeindre la spécificité de cette comète, Chastelain répète la métaphore du paon, « en forme d’une queue de paon », « tout ainsy que un paon dans son orgueil ». Le paon est un témoin des fastes de la Cour. C’est aussi le symbole de l’orgueil du prince. Le trajet de la comète, « d’Orient en Occident », évoque une attirance « sur Orient comme sur Bourgogne ». La référence orientale est porteuse d’une double signification : la gloire rêvée de la croisade pour le duc Philippe, et les fantasmes cultivés par Charles le Téméraire. L’hésitation demeure avec l’évocation des préparatifs guerriers dans la principauté :
Comme ce duc estoit alors en appareil de guerre et de bataille sur la frontiere de France […] plusieurs y mettoient douteuses significations sur luy, et diverses conjectures, comme de confusion et de ruyne.
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28 G. Chastelain, ibid, p. 434.
20Est-ce la gloire ou la défaite qui se préparent ? Chastelain, retrouvant le ton du conseiller ducal qu’il est, évite de donner son opinion. Il laisse entendre que la malédiction probable est détournée sur Liège, coupable d’une guerre civile inique contre son seigneur : « Ce qu’elle tourna en Orient, ligne à ligne, la ou Liege estoit assise, ce fut l’effet de sa triste importance, dont Liege mesme estoit cause28 ». Après avoir étonné son lecteur par un échec de l’enquête, puis par le filage d’une métaphore ambiguë, le narrateur choisit finalement une interprétation rassurante. Le signe céleste est un appel divin au châtiment des bourgeois rebelles et non une menace sur les princes. Les détours de la mise en scène demeurent pourtant significatifs.
21Chastelain conçoit l’historiographie comme un système rhétorique complexe. Elle doit narrer la labilité des actions terrestres mais aussi combattre cette instabilité par une écriture somptueuse, dévouée à la gloire des princes justes (c’est-à-dire bourguignons). L’essentiel est d’assurer au lecteur une interprétation stable des faits de l’actualité, interprétation objective certes, mais aussi discrètement propagandiste. Il n’est pas utile dans ces conditions de mettre en scène comètes et signes prodigieux, qui sont les signes d’un désordre cosmique – alors que le Rhétoriqueur croit fermement à sa propre mission d’ordonnateur universel. L’intervention de la comète de 1472 marque de ce point de vue la fin d’une carrière et, dans une certaine mesure, sa faillite. L’évocation ponctuelle des météores par les historiens de la fin du Moyen Âge, entourée d’un silence évocateur, fait place à une mise en scène de grande ampleur, où l’écrivain réorchestre ironiquement les éléments de sa démarche historique : un événement spectaculaire, mais qu’il n’arrive pas à voir ; un prodigium paré de littérature plus que de sens précis ; une conclusion, « et tout se trouva vray », à l’issue d’un chapitre qui n’a réussi à prouver aucune vérité. Ironie comme questionnement et renversement : le passage de la comète est, dans la Chronique, l’achèvement d’une écriture.
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29 G. Chastelain, Œuvres, op. cit, Recollection, tome VII, p. 187-205.
22Il ne s’agit pourtant pas là du dernier mot d’un historien désabusé. La comète de 1472 resurgit en effet dans une autre œuvre, la Recollection des merveilleuses advenues29 que Chastelain conçoit comme une sorte d’envers de sa Chronique. La réflexion est remplacée, dans ce texte en courtes strophes, par un style annalistique scandé par le témoignage direct, l’anaphore des « j’ay vu ». La matière est formée non d’analyses approfondies et subtiles, mais de brefs prodiges que l’écrivain livre sans commentaire et apparemment dans le plus parfait désordre. À la cathédrale de prose de la Chronique est substitué un bric-à-brac rimé d’événements, visant avant tout à l’extraordinaire. Les « merveilles estranges » annoncées dans les premiers vers confondent d’ailleurs les miracula et les mirabilia que l’écrivain prenait un soin particulier à distinguer dans sa Chronique. Le but avoué est de créer la surprise chez le lecteur.
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30 G. Chastelain, Recollection, ibid, p. 187, strophe 1, v. 1-4.
Qui veult ouyr merveilles
Estranges raconter ?
Je scay les non pareilles
Qu’homme scauroit chanter30.
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31 Claude Thiry, « Le vieux renard et le jeune loup. L’évolution interne de l...
23Comme le note Claude Thiry, « l’idée directrice semble être, plutôt que l’événement en soi, ou son rôle au sein d’un contexte historiographique ou idéologique élargi, l’effet moral ou sentimental que produit la merveille sur un double public »31. La Recollection peut donc être lue comme un texte réactif : réaction du narrateur face à des événements étranges, réactions provoquées et attendues des récepteurs.
24L’approche subjective n’empêche pas en réalité d’établir une certaine organisation de la matière. Si l’on y regarde de près, le texte annonce trois sortes de mirabilia. Les premières, « piteuses », sont des événements passés, mais qui peuvent émouvoir les sens et l’entendement des lecteurs ; les secondes annoncent peut-être le futur, « de meschiefs advenir » ; les dernières « passent sens humain » et suspendent l’interprétation, comme le font les prodigia à proprement parler. Passé, présent et futur s’y trouvent liés dans des relations d’annonces ou de renvois. La Recollection, prévue génériquement pour une synthèse temporelle, évite souvent les exégèses précises. C’est un terrain rhétorique à la fois condensé dans son expression et vague dans sa signification. Les ambiguës comètes s’y trouvent à leur place. Chastelain mentionne ses propres expériences de ce phénomène :
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32 G. Chastelain, Recollection, éd. J. Kervyn, op.cit, tome VII, p. 201.
J’ay vu deux, trois commettes
Manifester au ciel
Et d’estranges planettes
Plus ameres que fiel
Dont les fins non cognues
Sont d’esbahissement
Mais de leur advenues
N’est nul vray jugement32.
25Deux, trois, l’écrivain, sur un mode ironique, synthétise ce qui devrait être unique et en nie la possibilité d’interprétation. La Recollection des merveilleuses advenues, texte inclassable dans l’œuvre de Chastelain comme dans la production de son époque, a en réalité un rôle fondamental, expliquant que le vieil indiciaire en reprenne et achève la rédaction à la fin de sa vie. C’est en effet dans la succession chaotique de ses strophes que se met en scène la passation de pouvoir avec son successeur Jean Molinet. Les comètes semblent moins des apparitions célestes que des signes littéraires, indices d’un passage d’une écriture à une autre.
Des prodigia aux pudenda : les métamorphoses de la comète chez Jean Molinet
26La Recollection des merveilleuses advenues est une œuvre à quatre mains. Chastelain l’achève vers 1472 et laisse place à Jean Molinet, dont il connaît les ambitions à l’égard du poste d’indiciaire. Le caractère annalistique de la pièce, l’énumération des strophes permettent d’élaborer une structure ouverte, propice à une écriture d’héritage. Trois strophes après l’évocation des comètes, George conclut :
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33 Les éditeurs modernes ont souvent trahi le dessein original de ce texte à ...
Se fault que je delaisse
L’escripre et le dicter
En rime telle quelle
Puisque je vois morant
Molinet, mon sequelle
Fera le demourant33.
27Cette retraite modeste et discrète cache un humour moqueur envers l’héritier qui doit reprendre la plume. La « rime telle quelle », pauvreté rhétorique due au peu de talent de George selon l’intéressé et qu’il donne à Molinet pour tâche de continuer, fait place à une explosion rhétorique de la part de ce dernier. Le disciple indocile réussit à remplir le cadre fixe des chatoiements sonores de son écriture, de telle sorte que l’annonce du vieil indiciaire apparaît rétrospectivement comme une ironie discrète sur la révolution stylistique de son « sequelle ».
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34 Ayant dominé la scène littéraire de 1450 à 1475, le « Grand George » appar...
28Jean Molinet a bien compris que Chastelain lui offrait un jeu de dialogue et de passage, où le respect de l’héritage n’exclut pas qu’on le bouscule34. Il reprend chacune des « merveilles » évoquées par son maître, varie l’incipit et les rimes de chaque ensemble et bouleverse le point de vue. Le lecteur redécouvre, dix strophes après le changement d’auteur, la comète de 1471-1472 :
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35 Faictz et Dictz, éd. N. Dupire, op. cit. tome I, p. 302.
J’ay veu comette horrible
Comme verge poindant,
Espentable, terrible,
Grande, felle et ardant ;
Sur le Rin, vers Coulonne
Jettoit son raiant dard
Et le duc de Bourgonne
Y mist son estendard35.
29À la synthèse discrète des « deus, trois commettes » répond la succession des adjectifs persuasifs du movere, « espentable, terrible ». La suspension de jugement est remplacée par une interprétation ouvertement pro-bourguignonne : la comète annonce la victoire du duc Charles à Neuss sur le Rhin, lui ouvrant, sous-entend le Rhétoriqueur, la voie vers la couronne impériale germanique. Le renversement des tons, du sotto voce ironique de Chastelain au fortissimo bravache de Molinet, est volontaire. La complicité des indiciaires, échangeant ici sur l’interprétation des signes, est aussi une compétition de pouvoir. L’intérêt que Jean Molinet montrera dans sa Chronique pour les manifestations paranormales n’est pas sans lien avec le refus que son prédécesseur avait exprimé à leur égard.
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36 Faictz et Dictz, éd. N. Dupire, op. cit. tome I, p. 65-76. Ce texte est de...
30Outre la Recollection, la comète de 1472 est évoquée dans Le Temple de Mars, premier texte d’envergure rédigé par Molinet lorsqu’il accède au poste d’indiciaire de Bourgogne36. En juin 1475, Charles le Téméraire lève le siège de Neuss sans pouvoir assurer la victoire rhénane que promettait le météore. Les Bourguignons doivent faire face à des ligues militaires de mieux en mieux organisées, Lorrains, Allemands, Suisses, qui les obligent à se battre sur plusieurs fronts. La guerre devient le quotidien d’une population inquiète. Le nouveau chroniqueur officiel s’en fait l’écho dans un Temple où Mars représente à la fois le duc Charles et l’action néfaste de Guerre. Pris entre son devoir de glorification d’un maître martial et la mission de la Grande Rhétorique, définie par Chastelain comme la réalisation de la concordia des hommes par l’écriture, Molinet édifie un discours allégorique qui hésite entre dénonciation générale et détails précis. L’argumentation se déroule en trois temps : le poète pense apaiser les désordres du monde en se rendant au Temple de Mars. Fasciné par la figure imposante du dieu nimbé de lumière, il commence par en chanter les louanges. Mais voici qu’il aperçoit « Guerre nuisible, une laide chimere » dont l’action ruine le pays. Le Rhétoriqueur s’indigne alors des blessures que la société civile doit subir et appelle à un retour de Paix, qui permettrait à l’écriture de retrouver son harmonie.
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37 Nous renvoyons sur ce point à la très belle étude de ce texte proposée par...
31Grâce à la richesse et l’inventivité de son style, ce Temple bruissant d’allitérations, de rimes batelées ou couronnées, est un puissant dispositif persuasif, adressé à un lectorat qui peut être princier. Il est aussi, à l’orée d’une carrière, une réflexion sur les déchirements de l’historiographie officielle dont l’objet à décrire contredit les principes idéologiques. Si le vers, instrument idéal de « l’accordance », sert à peindre l’horreur, si le poète hésite devant l’interprétation (glorifier Mars ? blâmer Guerre ?), c’est que le monde est désormais entré dans une époque où les signes sont difficilement interprétables, où le sens bouge et se renverse37. Le texte, fidèle à sa logique interrogative, se clôt sur la comète de 1472. Annonce de la victoire guerrière dans la Recollection, elle se révèle ici un prodigium divin annonçant la punition de ceux qui troublent l’ordre du monde :
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38 Faictz et Dictz, éd. N. Dupire, op. cit, tome I, p. 75.
Dieu qui les grans met en tutelle
Vous a demonstré sa comette
En signe de verge mortelle38…
32Comme l’indiciaire dans ses œuvres, Dieu « demonstre » au moyen d’une écriture céleste, le météore. La description stéréotypée des chroniques est réactivée dans un sens métaphorique : la « verge » ou queue de la comète devient le fouet vengeur du Ciel. La polysémie fait resurgir la dimension eschatologique du signe.
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39 Jean Molinet, Les Pronostications joyeuses, éd. J. Koopmans et P. Verhuyck...
33Instrument d’un discours politique, objet de réflexion sur l’héritage littéraire, métaphore lestée d’émotion, le passage des météores est chez Jean Molinet un carrefour de sens entre histoire, eschatologie et rhétorique, un espace de concordia à l’instar de ce qu’imaginait au début du 15e siècle Pierre d’Ailly. Le thème trouve, une vingtaine d’années plus tard, une autre métamorphose dans le genre des pronostications joyeuses que Molinet est l’un des premiers auteurs à exploiter en français39.
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40 Simon de Phares, Recueil des plus célèbres astrologues, éd. J-P. Boudet, P...
34Comme l’ont montré J. Koopmans et P. Verhuyck, l’écriture des pronostications joyeuses puise à deux sources bien connues de l’indiciaire bourguignon. Elle parodie un discours astrologique sérieux et bien diffusé à la fin du XVe siècle, celui de la prenosticatio astrologique, illustrée dans les pays bourguignons par Jean de Bruges, Jean de Vésale ou Johannes Lichtenberger que Simon de Phares cite dans son Recueil des plus célèbres astrologues40. D’autre part, la pronostication joyeuse s’inscrit dans la vogue des monologues dramatiques parodiques, sermons, mandements ou testaments joyeux, formes que Molinet, amateur de théâtre et dramaturge, a également pratiqués. Le public qui accueillait semblables textes était probablement une assemblée urbaine plutôt que curiale, tel le puy de Valenciennes où l’indiciaire était assidu. La pronostication pouvait être jouée, lue à voix haute ou parcourue sur un imprimé, les jeux graphiques participant de son comique autant que les sous-entendus sonores.
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41 Les Fanfreluches antidotées dans le Gargantua renvoient à ce modèle. Les l...
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42 La principale victime en est Simon de Phares dont l’ascension auprès de Ch...
35Parmi les huit pronostications qui ont permis à l’indiciaire de devenir un maître du genre41 se trouve une prenostication de le comette probablement rédigée vers 1492-1493, à l’heure où l’astrologie judiciaire fait l’objet en France d’un violent scandale42. La « comette » en question n’est plus, sans doute, celle de 1472 ; elle ne semble pas renvoyer à un événement précis, mais, comme tout discours parodique, fonctionner par détournement de stéréotypes. Ceux-ci sont doubles : l’interprétation eschatologique du passage des météores ; la description de ce phénomène dans l’historiographie politique.
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43 La dimension auto-parodique du texte semble claire, puisque l’indiciaire r...
36Le narrateur prend soin d’ancrer son discours dans une auctoritas, celle de l’astrologue Jean de Bruges, auteur d’une fameuse prenosticatio latine datant alors d’une quarantaine d’années. Le sérieux de la pronostication semble donc attesté, élément-clef du fonctionnement parodique. La description du météore est délicieusement topique : l’expression attendue de l’apparition (« s’appera entre les nuees »), les adjectifs stéréotypés et propres au movere (« treshorrible et espentable », les termes mêmes dont usait Molinet dans la Recollection43), les détails de la lumière (« de coulleur rouge tirant sus le bleu ») et de la queue « assez barbue ». À l’instar d’un astrologue, le narrateur enchaîne sur la signification multiple du phénomène : il signifie « commotion de peuple, perdition de corps, sterilité d’argent et insurrection de roix non baptises… ». Toutes conséquences catastrophiques dont l’accumulation désordonnée et le vague référentiel font sourire.
37Ayant ainsi enclenché le mécanisme parodique, Molinet glisse des sous-entendus scabreux, dont la fréquence et l’évidence de plus en plus grande provoquent cette fois le rire. Les « roix » se dressant font surgir des images douteuses, le terme évoquant phonétiquement ce qui est « roide », autrement dit le phallus. La terrible guerre à venir prend une coloration sexuelle savoureuse. « Ceux de Honguerie » (les Hongrois mais aussi les impuissants) n’y participeront naturellement pas, mais les habitants « d’Angoulesme » (« angouler », avaler / forniquer) repousseront les assauts jusqu’en « Surie » (Syrie / endroit où l’on sue, dans des circonstances diverses). Les jeux de mots conduisent à une relecture sexualisée des stéréotypes : comète rouge et recourbée, pourvue d’une « barbe » évoquant une pilosité.
38Le deuxième temps du texte analyse les retombées, si l’on ose dire, du phénomène. La comète est-elle véritablement le signe menaçant de la catastrophe ? Molinet ménage avec humour l’ambiguïté de l’interprétation. Des « vers velus » naîtront, les hommes deviendront des monstres cornus, le temps se dégradera, faisant « plouvoir, venter et tonner sans esclitrer ». Les prêtres seront impuissants à contrôler ces signes de la venue de l’Antéchrist. Le pastiche du discours eschatologique des prenosticationes astrologiques se transforme doublement en parodie. Il semble d’une part que cette interprétation ne soit pas sûre et que les conséquences du prodigium ne seront pas néfastes pour tout le monde. « Les pays d’embas » jouiront en effet d’une « rosee » fertile. Les femmes, principales victimes du « regart de laditte commette, cherront pasmees par derriere, perderont memoire … seront fort tempestees d’horrible tremblements » ; cependant les malheureuses, « passionnees de ceste verge », en redemanderont, croyant voir dans le météore l’instrument de leur punition mais aussi de leur salut, « affin d’avoir moins de peine en l’autre monde ». L’instabilité herméneutique (la comète est-elle dangereuse ou salutaire ?) permet les effets de sous-entendus. Signe astrologique, elle est le traditionnel signe de l’Apocalypse. Métaphore du sexe masculin, elle engendre au contraire plaisir et fécondité. Les vers velus que les prêtres plongent au fond de l’eau sont en réa lité les enfants que l’on baptise et qui grandiront, « destruisant les biens de terre », c’est-à-dire se nourrissant. L’incroyable annoncé par la comète se révèle monde quotidien. Les prodigia extraordinaires que l’on contemple avec effroi ne sont autres que les pudenda dont l’exhibition amuse.
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44 M. Bakhtine, François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sou...
39Du haut céleste au bas corporel, la dégradation burlesque est le principal moteur de La Prenostication de le comette. Jean Molinet y met en scène deux formes de stéréotypes littéraires, le discours astrologique et l’écriture historiographique, dont les relations ambiguës ont fait couler beaucoup d’encre depuis Pierre d’Ailly. Ces deux modèles permettent la présence dans le texte de thèmes chers au Rhétoriqueur : la guerre qui ravage les contrées et symbolise la discorde ; la recherche de signes éclairant le sens de l’histoire que les indiciaires doivent narrer. La réflexion sérieuse que Chastelain puis Molinet ont menée sur le sens d’une écriture de concordia à la fois historique et herméneutique, discours objectif et manipulé, est sous-jacente. Le burlesque ne l’efface pas, mais la renverse, selon la logique carnavalesque qu’a définie M. Bakhtine, cette forme de comique reposant sur une constante ambivalence entre destruction et régénération44. Le discours astrologique et historiographique sur la comète est mis à mal mais aussi mis en scène ; le phénomène reste ambigu, vrai ou faux, fécond ou catastrophique. La labilité du signum et la possibilité d’une interprétation par l’écrivain ne suscite pas l’angoisse comme dans le Temple de Mars, ni l’ironie comme sous la plume de Chastelain dans la Recollection, mais l’éclat de rire.
40Historiographie, astrologie, littérature : au XVe siècle, l’évocation des comètes suscite une conjonction complexe de discours. Dès 1414, Pierre d’Ailly souhaite que le prodige qu’est le phénomène atmosphérique soit l’occasion d’une concordia entre historiens, astrologues et théologiens, tous dévoués à une interprétation des signes qui ne peut être que bénéfique pour les sociétés humaines. Si ce vœu reste pieux, c’est d’abord qu’historiographes et astrologues accèdent au cours du siècle à des positions prestigieuses et souvent concurrentes auprès des princes. C’est ensuite que le déchiffrement du météore engage de la part de l’interprète des réflexions sur le présent, le passé et l’avenir dont le fonctionnement et le but sont profondément différents dans une chronique et dans une prenosticatio.
41Ceux que la postérité a choisis de nommer les Grands Rhétoriqueurs du duché de Bourgogne mais qui portent le titre officiel d’indiciaire à partir de 1470, sont les héritiers lucides de ces tensions. Leur position sociale et culturelle les a chargés d’une mission qui n’est pas sans risque. Organes de leur principauté, en charge de sa renommée, ils doivent en tant que chroniqueurs narrer une actualité souvent trouble et lui donner une profondeur réflexive. Leur écriture a également pour dessein de stabiliser la signification d’événements mouvants, de déchiffrer le monde et le glorifier par une rhétorique encomiastique.
42George Chastelain et Jean Molinet connaissent les détours de l’interrogation sur le signe à la fin du Moyen Âge. Tempus fugit, l’obsession de la labilité est particulièrement forte chez les Rhétoriqueurs dont l’écriture ornée doit fixer in secula seculorum le sens à donner aux actions des gouvernants. Le signe est une trace immuable, reflet d’un sens supérieur s’exprimant dans le monde des hommes. Mais, malgré sa transcendance, le signe est aussi par définition ponctuel, obscur. Il marque de son empreinte le présent, configure un futur, achève un passé. Déchiffré a posteriori, mais essentiellement ouvert vers l’avenir, il porte des paradoxes qui sont aussi ceux de l’écriture de l’histoire, telle que les indiciaires l’envisagent et telle qu’elle a été magnifiquement résumée par Fr. Cornilliat.
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45 Fr. Cornilliat, Or-ne-mens, op.cit, p. 739.
Le texte de rhétoriqueur refuse de choisir entre deux théories de ce signe dont Gerson disait que sa génération déjà l’attendait, avec une impatience suspecte et prometteuse de catastrophe. Signe nécessaire et signe contingent - signe donné par Dieu et signe ouvré par les hommes, signe divin consommé dans son sens et signe humain faisant aussi admirer son artifice - reviendraient au même, en effet, dans une histoire univoque […] et tendant vers l’harmonie. […] Chaque fois que l’histoire donne, au contraire, l’exemple de la discorde et de l’aléatoire, la fiction d’un accord entre ces deux versions inconciliables du signe est davantage menacée. C’est une telle fiction, à la fois rêveuse et retorse, qui fait le charme, mais aussi la fragilité, de ces textes que nous lisons aujourd’hui sous le vocable de « Grande Rhétorique45 ».
43Le passage des comètes est précisément un de ces instants de fragilité rhétorique : « discord » dans l’ordre du monde, le prodigium céleste devrait être pris en charge par un « accord » des écritures pratiquées par le Rhétoriqueur. Mais le phénomène reste périlleux, conduisant George Chastelain à le bannir de sa Chronique, amenant Jean Molinet au comique de la parodie dans les Pronostications joyeuses. Parce que les météores peuvent condenser les dangers et les aspirations de cette esthétique subtile qu’est la Grande Rhétorique, ils deviennent alors - et peut-être surtout - les signes d’une complicité et d’une concurrence littéraires. La Recollection des merveilleuses advenues fait dialoguer malicieusement celui qui y croyait et celui qui n’y croyait pas, le maître et le disciple, l’ancien et le nouvel écrivain officiel. Le passage des comètes accompagne et colore la passation des pouvoirs de l’écriture.
Notes
1 Jean Gerson, Œuvres complètes, éd. P. Glorieux, Paris, Tournai, Rome, New York, Desclée et Cie, 1960-1973, 10 volumes. Epistola ad studientes collegii Navarrae : Quid et qualiter studere debeat novus theologiae auditor, et contra curiositatem studientium, texte de 1402 adressé aux étudiants du collège de Navarre, tome 3, p. 224-249, citation p. 224.
2 Jean Chartier, Chronique de Charles VII, roi de France, éd. Vallet de Viriville, Paris, Jannet, 1858. Le texte, commencé en latin, est repris et poursuivi en français jusqu’à la mort du roi en 1461.
3 Pierre d’Ailly, Vigintiloquium de concordia astronomice veritatis cum theologia ; De concordia astronomice veritatis et narrationis hystorice ; Elucidarium astronomice concordie cum theologia et hystoria veritate. Les trois traités sont imprimés à Ausburg chez Ratdolt en 1490. Ces trois traités sont accessibles en version originale sur le site de l’Institut Warburg de l’université de Londres, dans la Biblioteca Astrologica Numerica dirigée par D. Juste. On peut consulter sur ces textes l’ouvrage de L. A. Smoller, History, prophecy, and the stars : the christian astrology of Pierre d’Ailly, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1994.
4 Sur cette nomination, nous nous permettons de renvoyer à notre livre Poétique de George Chastelain (1415-1475), Paris, Champion, 2005, p. 235-249.
5 Ce nom est donné à la fin du XIXe siècle à partir d’une interprétation cavalière d’un vers moqueur du poète G. Coquillart (Guillaume Coquillart, Œuvres, édition M. Freeman, Genève, Droz, 1975, p. 128).
6 De ce point de vue, des différences existent entre Grands Rhétoriqueurs bourguignons, écrivain officiels, et Grands Rhétoriqueurs français, dont la position sociale est plus hétérogène. Voir à ce sujet C. Thiry, « Rhétoriqueurs de Bourgogne, Rhétoriqueurs de France: convergences, divergences ? » dans Rhetoric - Rhétoriqueurs – Rederijkers, Actes du colloque d’Amsterdam, novembre 1994, édités par J. Koopmans, M. A. Meadow, K. Meerhoff et M. Spies, Amsterdam, Rodopi, 1995, p. 101-116.
7 J. Devaux, Jean Molinet, indiciaire bourguignon, Paris, Champion, 1996, p. 25-46.
8 L’ouvrage pionnier sur ce point est Fr. Cornilliat, Or-ne-mens, couleurs de l’éloge et du blâme chez les Grands Rhétoriqueurs, Paris, Champion, 1994.
9 Jean Buridan, Quaestiones super tres libros meteorum, éd. S. Bages-Biet, thèse de l’Ecole des Chartes, Paris, 1986, 2 volumes, citation t. 2, proemium, p. 1-2.
10 Mahieu le Vilain, Les Météores d’Aristote, éd. R. Edgren à partir du manuscrit de Bruxelles, KBR, ms. 11200, Uppsala, 1945. Les problemes d’Aristote d’Evrart de Conty sont en réalité une traduction d’un texte aristotélicien de Barthélémy de Messine. Le travail d’Evrart est étudié par J. Ducos, La météorologie en français au Moyen Âge (13e–14e siècles), Paris, Champion, 1998, p. 195-204 et celui de Mahieu le Vilain dans « L'œuvre de Mahieu le Vilain. Traduction et commentaire des Météorologiques », Les traducteurs au travail, leurs manuscrits et leurs méthodes, éd. Jacqueline Hamesse, Turnhout, Brepols, 2002, p. 285-309.
11 J-P. Boudet, Entre science et nigromancie. Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval (12e-15e siècles), Paris, PUPS, 2006, p. 28.
12 En 1366, Nicole Oresme réagit vivement à la vogue de l’astrologie à la cour de France dans son célèbre Livre de Divinacion, (éd. S. Lefèvre, Rhétorique et divination chez Nicole Oresme, c. 1322–1382: étude et édition du Livre de divinacions, doctorat inédit de l’université de Paris IV–Sorbonne, 1993). Christine de Pizan qualifie, après d’autres, Charles V de roy astrologien dans son Livre des Fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, établissant ainsi un lien implicite avec le rôle de son père, médecin et astrologue du même roi. Cf. Christine de Pizan, Le livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, éd. Suzanne Solente, Paris, Champion, 1936-1940, 2 vol.; réimpr Genève, Slatkine, 1977, 1 vol.
13 Mahieu le Vilain, Les Météores d’Aristote, éd. cit, p. 41-42.
14 Michel Pintouin, Chronique du Religieux de Saint-Denis, trad. M-L. Bellaguet, 1839-1852, reproduit par B. Guenée, Paris, Editions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1994, 6 tomes en 3 vol., 1994, t. 2, p. 480-482.
15 Le rôle de seuil souvent donné à l’évocation des météores dans les chapitres d’une chronique a été remarqué déjà par J. Céard, La Nature et les prodiges. L’insolite en France au XVIe siècle, Genève, Droz, 1977, p. 57.
16 R. Veenstra, Magic and divination at the courts of Burgundy and France, Leiden, Brill, 1998, p.119-126.
17 R. Veenstra, ibid, p. 115-136.
18 Nous nous permettons de renvoyer sur ce point à notre étude : « La condicion de l'hystoriographe : enquête sur une figure et un statut dans l'oeuvre de G. Chastelain » dans Littérature et histoire à la Cour de Bourgogne, Le Moyen Âge 112, 3-4 (2006), p. 545-556.
19 Le lexique utilisé pour la description du phénomène renvoie aux stéréotypes des chroniques contemporaines. A ce propos, on peut consulter l’étude de J. Ducos, « Entre latin et langues vernaculaires, le lexique météorologique », Lexiques et glossaires philosophiques de la Renaissance, éd. Jacqueline Hamesse et Marta Fattori, Louvain-la-neuve, Fédération internationale des instituts d'études Médiévales, 2003, p. 55-72.
20 Nous analysons ici des occurrences à propos d’une comète en 1462 chez Chastelain et en 1491 chez Molinet. George Chastelain, Œuvres, édition Joseph Kervyn de Lettenhove, Bruxelles, F. Heussner, 1863-1866, 8 volumes; réimpression Slatkine, Genève, 1971, 4 volumes (même pagination), tome IV, p. 215; Jean Molinet, Chroniques, édition par G. Doutrepont et O. Jodogne, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 1935-1937, 2 volumes, t. II, p. 213.
21 G. Chastelain, Œuvres, éd. J. Kervyn, t. III, p. 407.
22 La première occurrence développée d’une comète dans la Chronique de Chastelain est située en 1455-1456, au livre IV (G. Chastelain, Œuvres, éd. J. Kervyn,, op.cit, tome III, p. 116-117). Elle précède celles de 1462 et 1472, mais l’interprétation de ce météore n’affectant pas directement les états bourguignons, nous ne proposerons pas ici son analyse.
23 G. Chastelain, ibid, t. V, p. 215.
24 G. Chastelain, ibid, livre VII, chapitre LX, t.V, p. 432-434.
25 Le caractère exceptionnel de ce chapitre est souligné par J-P. Boudet, Entre science et nigromancie, op.cit, p. 288-289.
26 G. Chastelain, Œuvres, éd. J. Kervyn,, op.cit, tome V, p. 432.
27 G. Chastelain, ibid, p. 433.
28 G. Chastelain, ibid, p. 434.
29 G. Chastelain, Œuvres, op. cit, Recollection, tome VII, p. 187-205.
30 G. Chastelain, Recollection, ibid, p. 187, strophe 1, v. 1-4.
31 Claude Thiry, « Le vieux renard et le jeune loup. L’évolution interne de la Recollection des merveilleuses advenues » dans Le Moyen Âge, 90 (1984), p. 455-485, citation p. 456.
32 G. Chastelain, Recollection, éd. J. Kervyn, op.cit, tome VII, p. 201.
33 Les éditeurs modernes ont souvent trahi le dessein original de ce texte à deux mains, J. Kervyn en ne citant que des fragments de la continuation de Molinet, N.Dupire sans mentionner que les premières strophes sont de George. Jean Molinet, Faictz et Dictz, édition Noël Dupire, Paris, Société des Anciens Textes Français, 1937-1939, 3 volumes, tome I, p. 284-334, la citation de cette strophe est p. 298.
34 Ayant dominé la scène littéraire de 1450 à 1475, le « Grand George » apparaît dès son vivant comme un maître aux nouvelles générations. Mais la notion d’héritage doit, à ses yeux, être dynamique. Cela le conduit à s’engager dans des dialogues moqueurs, voire provocateurs, avec ses successeurs, Jean Molinet, Jean Robertet. Les Douze Dames de Rhétorique est l’oeuvre qui résulte de la correspondance retorse qu’il mène avec ce dernier. De pareils jeux visent toujours à redéfinir ce qu’est la littérature. Cf. E. Doudet, Poétique de George Chastelain, op. cit, p. 724-734.
35 Faictz et Dictz, éd. N. Dupire, op. cit. tome I, p. 302.
36 Faictz et Dictz, éd. N. Dupire, op. cit. tome I, p. 65-76. Ce texte est demeuré l’un des plus diffusés de Jean Molinet tout au long du 16e siècle ; il ouvre fréquemment les anthologies imprimées des Faictz et Dictz.
37 Nous renvoyons sur ce point à la très belle étude de ce texte proposée par F. Cornilliat, Or-ne-mens, op.cit, p. 660-675. On peut remarquer que l’interprétation de la comète de 1471-1472 provoquait quelques remous trois ans après puisque l’astrologue Jean de Vésale, interrogé par un Charles le Téméraire inquiet, aurait falsifié l’interprétation de ce signe dans un sens militaire favorable au duc. Du moins, c’est que ce prudent exégète avouera plus tard, après le désastre de 1477. Cf. J.-P. Boudet, Entre science et nigromancie, op. cit, p. 289.
38 Faictz et Dictz, éd. N. Dupire, op. cit, tome I, p. 75.
39 Jean Molinet, Les Pronostications joyeuses, éd. J. Koopmans et P. Verhuyck, Genève, Droz, 1998 ; le texte de la Prenostication de le commette se trouve p. 143-144 ; nous en analyserons les deux premiers paragraphes, le texte des Nouvelles de Valenciennes (p. 144-145) étant sans lien direct avec le thème météorologique.
40 Simon de Phares, Recueil des plus célèbres astrologues, éd. J-P. Boudet, Paris, Champion, 1997. Les textes de Jean de Bruges et de Johannes Lichtenberger datent respectivement de 1444 et 1488 et Simon de Phares les possédait dans sa bibliothèque.
41 Les Fanfreluches antidotées dans le Gargantua renvoient à ce modèle. Les liens de Rabelais et des Rhétoriqueurs bourguignons, comme Molinet et Lemaire de Belges, ou français, comme Guillaume Crétin, sont largement attestés dans ses œuvres, point qui n’a pas toujours été suffisamment analysé par la critique.
42 La principale victime en est Simon de Phares dont l’ascension auprès de Charles VIII a suscité bien des jalousies. Accusé d’hérésie et condamné au bûcher, il commence à rédiger sa défense en 1492-1493 sous la forme d’un Elucidarium dont la première partie sera le Recueil des plus célèbres astrologues.
43 La dimension auto-parodique du texte semble claire, puisque l’indiciaire réutilise la présentation de la Recollection. Il anticipe également sur les très sérieux Regrets de la mort Philippe, son dernier texte en 1506, où la disparition de Philippe le Beau, roi de Castille, prince Habsbourg de Bourgogne et père de Charles Quint, est annoncée par un signe céleste : « En aoust passé, au ciel s’est apparu / Signe, par ou devons estre esbahis / Car ung comete enflambé et barbu / De nostre herbu champ, de flourons porvu / Nous avons veu menacier le pays. » (éd. N. Dupire, éd. cit, tome I, p. 412).
44 M. Bakhtine, François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance (1940), 1ère éd. URSS 1965, trad. A. Robel, Paris, Gallimard, 1982, p. 30. Cette ambivalence de la parodie qui caractérise le carnavalesque médiéval et renaissant est l’une des idées les plus fécondes de cet ouvrage, une fois débarrassée de la notion très discutable - et aujourd’hui discutée - de « culture populaire » en lutte contre une « culture bourgeoise dominante ».
45 Fr. Cornilliat, Or-ne-mens, op.cit, p. 739.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Estelle Doudet
Université Grenoble Alpes - UMR Litt&Arts / ISA (Imaginaire Sociologie Anthropologie). Institut universitaire de France.
En 2013, Estelle Doudet était membre de l’Institut de recherches historiques du Septentrion (IRhiS, UMR CNRS 8529), Université Lille Nord de France.