La Réserve : Archives Barbara Michel (I)
Paroles, cultures et mouvements étudiants
Initialement paru dans : Echidistante, N° 55-56, Études et vies des étudiants européens, Institutul European, Iasi, Roumanie, 2009, pp. 305-331 ; Yvonne Neyrat dir., Les cultures étudiantes. Socio-anthropologie de l’univers étudiant, L’Harmattan, 2010
Texte intégral
« L’on ne parle pas tout seul, (les autres même absents étant impliqués dans l’acte de parler puisque c’est leurs mots qu’on emploie) et que dès l’instant que l’on parle, on admet qu‘en dehors de soi il existe un autrui, de sorte qu’il serait absurde de récuser, si l’on parle, les nœuds qui vous attachent au cercle infini d’humanité que par-delà les temps et les lieux votre interlocuteur sans visage représente. » M. Leiris
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1 L’explosion spontanée de la parole, la « parole libérée »,… pose la questio...
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2 Les configurations du mécontentement estudiantin changent selon les époques...
1La question de la parole1, de son efflorescence, de sa libre circulation dans le corps social semble un élément essentiel dans les mouvements étudiants2 car il permet un début de formation doublée d’une prise de conscience. C’est un moyen d’élaborer, puis de déployer des vérités partielles et contradictoires, la parole se nourrit de conversation, d’AG, … En elle se disent les rapports de forces, se miment les conflits, en elle s’insinue « la ruse du faible » et se gagne un espace de liberté et parfois une prise de conscience des différences. La force d’invention et la vitalité des mouvements étudiants sont repérables dans les formes d’expressions qu’ils se donnent.
2La prise de parole, action symbolique, survient, elle se fait refus ou protestation et s’exprime en contestant, elle témoigne du négatif, source de sa fragilité. Mais elle consiste à dire « j’existe » et par là même elle est affirmation. C’est un premier acte d’autonomie. La parole ne se donne pas, elle se prend. Il y a toujours de la surprise, elle ouvre une brèche, elle peut devenir contagieuse. Chacun se met à discuter enfin « des choses sérieuses de la société » du bonheur, du savoir, de l’art, de la politique et aussi de l’éducation, de l’habitation, du travail… Palabre contagieuse, thérapie sans ordonnance, la prise de parole est une expérience qui engage l’existence de celui que la prend. Elle change le spectateur en acteur, elle change le face à face en dialogue et parfois provoque le brassage des milieux sociaux faisant tomber la barrière des spécialités en transformant l’apprentissage de connaissances en discussions passionnées. Or la jeunesse bavarde de 68 semble avoir cédé la place à une jeunesse plus muette. Que s’est-il passé ?
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3 A plus d’un titre les mouvements étudiants ne sont pas traités comme d’autr...
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4 De plus quelque soit le mouvement il est frappé d’un double caractère tradi...
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5 D’ailleurs les révoltes étudiantes sont souvent décrites comme « sans but »...
3Loin d’une histoire politique des contestations étudiantes, il s’agit dans cette communication de s’interroger sur les différentes formes d’expression à l’œuvre dans les mouvements étudiants et les conséquences de leur médiatisation3, fort différentes selon les mouvements étudiants et leurs époques. En effet, il semble important de mener une analyse comparative des formes d’expressions des mouvements étudiants des années 1960 à aujourd’hui et de leur manière respective de refuser, de coller ou de jouer avec les représentations médiatiques4. De la prise de parole à la reprise médiatique5 quelles sont les conséquences sur les mouvements étudiants ?
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6 Selon la belle formule de G. Gusdorf, « le souvenir n’est que l’envers de l...
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7 Très schématiquement, en mai 68 « la parole est libérée » et la représentat...
4Or depuis une quarantaine d’années une mutation fondamentale s’est accomplie dans nos manières de nous inscrire dans la chaîne verticale des générations et des traditions (cf. J.-P. Le Goff, « Mais 68, l’héritage impossible »). D’ailleurs, l’effacement des images d’avenir6 coïncide avec la crainte nouvelle par rapport « aux Trente Glorieuses » que l’avenir de nos enfants soit pire que notre présent. Les étudiants de 68 voulaient « changer de système », ceux d’aujourd’hui craignent avant tout d’en être exclus, se situant loin du principe d’espérance d’E. Bloch, plus proche de celui de responsabilité d’Hans Jonas. La faillite du progrès, l’éclipse de l’avenir, entrevue par E. Morin ou K. Pomian, « la crise de l’avenir » n’a fait que s’approfondir. « La fonte des espérances révolutionnaires emporte dans son sillage, une part importante de la dimension utopique de la vie sociale. » (P. Zawadzki, p. 37). Pendant que nombre d’auteurs s’inquiètent de l’effondrement des visées utopiques, d’autres déplorent une perte de mémoire collective causée entre autre par l’embaumement commémoratif et le devoir de mémoire. Du coup, les mouvements étudiants depuis 86 ont tendance à se vivre comme prisonnier de l’illusion de l’immédiat sans passé, ni avenir, dans un « présentéisme », victime des tyrannies de l’éphémère. Ainsi, si tous s’entendent pour déclarer qu’en mai 68 « la parole se libère » qu’en est-il des mouvements qui ont succédés… Que dire des événements de 2007 qui ont secoués les campus français : étudiants muets ou muselés7 ?
5Certes les configurations du mécontentement changent selon les époques, les raisons varient et mêlent des aspects politiques, culturels, sociaux, économiques à des luttes contre les réformes universitaires. Pourtant les mouvements étudiants qui secouent l’Université française, depuis la Libération sont caractéristiques d’une dynamique culturelle.
6Nous autres enseignants, nous sommes, bien souvent, les témoins silencieux de cultures, issus de mouvements étudiants.
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8 En effet, deux approches intéressantes coexistent sans se recouper quand on...
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9 L’un d’entre eux est la référence au passé comme solution du présent… D’ail...
7Pourquoi est-ce toujours aussi délicat de réfléchir sur les révoltes étudiantes aussi bien pendant un mouvement qu’après coup ? Pourtant ma carrière universitaire a été scandée à la fois de réformes universitaires abouties et avortées, et à la fois de mouvements étudiants. Faire un travail d’élucidation des transformations culturelles et des répétitions à l’œuvre dans les contestations semble difficile à plus d’un titre : D’une part délicat par l’ampleur de la tâche8, et d’autre part cela semble très vite exposé, car la neutralité est impossible, on a forcément une idéologie à propos des événements. Mais surtout, il y a nombre de travers dans lequel le travail risque à tout moment de s’enliser9.
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10 Le Goff Jean-Pierre, « Mai 68, l’héritage impossible », Paris, la Découver...
8Souvent « Mai 68 » est la référence obligée, le modèle qui traverse les différentes analyses dès que l’on cherche à réfléchir aux mouvements étudiants. Car, « le fantôme de 68 hante l’imaginaire », même quarante ans après, il joue le rôle d’événement iconoclaste, dont on n’a pas fini d’interroger les significations. Dès que des conflits prennent de l’ampleur, la référence revient aussitôt : « n’allons-nous pas connaître un nouveau mai 68 ? » J.P. Legoff signale : « L’événement « Mai 68 » s’est éloigné de nous, mais l’héritage culturelle qu’il nous a laissé imprègne le présent sous des formes auxquelles on ne s’attend pas forcément. »10
9A chaque décennie, Mai 68 est devenu de plus en plus embaumer et a suscité une étrange histoire mythique, perpétuellement révisée en fonction du présent. Là encore, je n’éviterais pas l’écueil puisque la question que je me pose est la suivante : Comment la culture étudiante de 68 plutôt bavarde a fait place à une culture plutôt silencieuse, qui se laisse mal appréhender ?
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11 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1...
10Le diagnostic d’H. Lefebvre semble des plus pertinents, quand il déclare que Mai 68 est « l’apologie de l’expression débridée et du refus de toute médiation »11. Seules les déformations de la mémoire émoussent le caractère subversif et souvent irrationnel de cette époque, le gomme.
12 De Certeau Michel, « La prise de parole et autres écrits politiques », Par...
« Il y a eu massive, irrésistible, émouvante, poétique, confuse, la prise de parole, elle a mis en scène partout l’acte de dire plus qu’elle n’a articulé un dit. »12
11Souvent ce qui complique la tâche d’analyse c’est l’impossibilité d’identifier un mouvement à des revendications déterminées, de l’assigner à des lieux sociaux, de connaître ses auteurs anonymes. On est, nous autres sociologues, dans une situation de non savoir, ce qui n’empêche pas une envie de clarification. Il y a à l’œuvre une association du dire avec le comprendre et du comprendre avec l’agir.
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13 Namer Gérard, « Mémoire et projet du mouvement lycéen-étudiant de 1986-198...
12Autre écueil, mes sources sont hétérogènes. Depuis une quarantaine d’années, trois types de sources correspondent aux évolutions des différentes époques : Mes sources, pour Mai 68, sont des livres de grands auteurs qui réagissent à chaud ou reviennent sur l’événement. Ils sont sociologues, historiens, philosophes, psychologues ou politistes ; Pour la période du mouvement de 86 (loi Devaquet), je n’ai qu’un livre de sociologue, celui de Gérard Namer13, quelques articles de-ci, de-là, mais j’ai moi-même collectionnés à chaud, beaucoup d’archives médiatiques (émissions télévisuelles et articles de presse) ; Depuis 1995, outre mes souvenirs d’un passé proche (1994, mouvement contre le C.I.P. ; 2003, mouvement contre la mise en place du LMD ; 2006, mouvement contre le C.P.E. et 2007, mouvement contre la loi LRU), l’essentiel de mes sources, alors que la période est récente, proviennent du Web. Elles se composent essentiellement de textes d’étudiants internautes et de critiques partisanes des médias, ainsi que de quelques textes d’enseignants se positionnant comme « pour » ou « anti » mouvement.
1. Les trois figures de l’éternel étudiant
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14 Dans Les Misérables de V. Hugo, l’étudiant Marius participe aux barricades...
13Mais avant tout il faut s’interroger sur la figure de l’étudiant et sa construction dans la représentation sociale. Dans la littérature14, tout comme dans les médias, la figure de l’étudiant oscille entre deux poncifs : « le fils à papa » et « l’étudiant pauvre » ou l’étudiant futile et l’étudiant sérieux, auxquelles s’ajoute une représentation construite par le syndicat étudiant, le jeune travailleur intellectuel.
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15 Il est décrit comme élégant, il porte chapeau melon et arbore une canne.
14Au début du XXème siècle, l’étudiant est plutôt décrit comme « insouciant »15 car il se rend coupable de chahut, de monômes et de charivaris. Tout de suite après la première guerre mondiale, c’est la figure de l’étudiant pauvre qu’il faut aider qui réapparaît, tout comme après la seconde guerre. Par exemple la presse va, photo à l’appui, montrer des amphis non chauffés avec des étudiants emmitouflés. A l’époque la tuberculose, signe des conditions précaires, frappe aussi dans les universités et les sanatoriums étudiants sont surpeuplés.
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16 Dès 1907, une première représentation de l’étudiant mêle un début de statu...
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17 N’oublions pas les CSP en 9 catégories avec sa fameuse catégorie fourre to...
15En 1946 avec la Charte de Grenoble, moment structurant dans l’histoire du syndicat étudiant, ce dernier va être défini par un statut de « jeune travailleur intellectuel » (article premier de la Charte). Et en 1947, l’UNEF, qui date de 190716, va obtenir un seul régime de sécurité sociale pour les étudiants. La définition de l’étudiant comme « jeune travailleur intellectuel » va du coup donner consistance à la condition étudiante et créer une image homogène17.
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18 Cf. Bourdieu Pierre, « La jeunesse n’est qu’un mot » in « Questions de soc...
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19 Morder Robi, « Naissance d’un syndicalisme étudiant ; 1946 : La charte de ...
16Les étudiants sont tout d’abord jeunes18. La position qui prévaut dans le syndicat, c’est « qu’il n’y a pas de problème spécifiquement jeunes ou étudiants, il n’y a que des aspects jeunes ou étudiants dans les problèmes nationaux »19. L’UNEF a une place à part dans les organisation de jeunes à double titre : comme syndicat et comme aile éclairée de la jeunesse. Elle se présente alors comme « l’avant-garde de la jeunesse française » d’où l’image des jeunes étudiants « comme à l’avant-garde » de tous les mouvements.
17L’étudiant est un travailleur sans salaire, il est donc pauvre, méritant, mais il est aussi boursier car jeune cadre en formation, il a un rôle à jouer qui dépasse le seul temps des études. Mais un problème se pose : les étudiants ne sont ni un groupe social ni une classe sociale (à l’instar de la classe ouvrière), de plus ce n’est qu’un état transitoire. Comment un syndicat peut-il représenter un statut social en devenir, et qui plus est qui concerne une population aussi variée ? L’UNEF défend la position qu’il « s’agit d’une communauté de situation et d’idée avant d’être une communauté d’intérêt ». Autrement dit, la situation commune des étudiants (outre leur jeunesse) est la qualité d’intellectuels qui les unis par des références et des normes partagées.
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20 Morder Robi, « Naissance d’un syndicalisme étudiant ; 1946 : La charte de ...
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21 Morder Robi, « Naissance d’un syndicalisme étudiant ; 1946 : La charte de ...
18L’étudiant est donc un intellectuel, il a « le droit à la recherche de la vérité » dont la liberté est la condition première. Dire « jeune en formation » aurait été une insulte à l’époque, car intellectuellement, « le cerveau des étudiants est prêt à servir à la reconstruction de la France »20. Du coup le syndicat étudiant se dote de la mission multidimensionnelle de défendre et « d’améliorer les conditions de vie et de travail de tous les étudiants » et aussi de « permettre à tout jeune dont les capacités sont suffisantes d’accéder à l’Université en promouvant sa démocratisation »21. Il a donc le double rôle de défendre les intérêts d’un groupe et de démocratiser l’enseignement. L’étudiant considéré comme jeune travailleur intellectuel est, avant tout, un citoyen. Il évolue dans l’ensemble de la sphère sociale et cela pose les bases d’une identité collective qui dépasse le cadre de quatre ou cinq années d’études universitaires.
19Malgré cette nouvelle image de la condition étudiante, Mai 68 voit réapparaître à la fois la figure du « fils à papa », bohème, gauchiste dont le monde ouvrier se méfie car c’est un futur patron qui cherche à donner des leçons. Pourtant c’est encore en 1968 qu’apparaît clairement le profil de « l’étudiant salarié », obligé d’occuper un travail pour pouvoir étudier.
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22 Ces différentes représentations de l’étudiant sont battues en brèche car, ...
20Ces trois figures de l’éternel étudiant oscillent d’une image futile à une image sérieuse de l’étudiant. Elles vacillent22 mais laissent des traces même aujourd’hui, à la fois dans les discours des médias, à la fois dans nos représentations collectives.
2. Les mouvements étudiants organisés, manipulés ou spontanés ?
21A plus d’un titre les mouvements étudiants ne sont pas traités comme les autres mouvements sociaux : S’ils contestent l’ordre symbolique, ils ne pénalisent pas ou très peu la nation sur le plan économique. Ils sont censés incarner un malaise symptomatique de l’ensemble de la société. Plus que d’autres mouvements sociaux, ils sont interprétés comme s’il s’agissait de faire parler la jeunesse qui aurait alors le privilège d’exprimer les malaises mieux que d’autres. C’est-à-dire que les mouvements étudiants catalysent l’ensemble des mécontentements qui nous traversent nous, adultes. Car la jeunesse, réduite aux seuls étudiants, serait censée ouvrir les portes du futur et montrer la société de demain. Car, ils symbolisent aussi bien nos attentes que nos désespoirs. Mieux, parfois, nous attendons de cette jeunesse-là, qu’elle nous montre le chemin. Tout cela est bien évidemment fantasmatique, d’où des réactions vives faces aux mouvements étudiants d’espoir comme de colère. Mais c’est tout le jeunisme de nos sociétés.
22Du coup, ils sont toujours taxés d’un double caractère à la fois traditionnel et novateur. Et l’on glose alors sur les résurgences archaïques, la résistance au changement de ces mouvements étudiants ou sur le fait qu’ils sont les prémisses d’une évolution de société. L’événement répète-t-il ou inaugure-t-il ? Telle est l’une des questions que les adultes font peser sur ces mouvements.
« Le corpolitisme »
23Les ambiguïtés du ou des syndicats étudiants se retrouveront dans leur double manière de porter les revendications et cela de la guerre d’Algérie jusqu’en 2007. En tant que syndicat, l’UNEF exprime une défense d’intérêt plutôt corporatiste. Ainsi pendant la guerre d’Algérie, ils vont négocier un sursis militaire pour les étudiants alors que les autres jeunes partiront à l’armée faire trois ans, dès dix huit ans. Mais en tant qu’aile éclairée de la jeunesse, ils militeront activement pour la décolonisation. Par exemple, Frantz Fanon sera l’un de ces militants du syndicat étudiant.
24De même en 2007, l’UNEF négociera, dès le mois d’août, une non augmentation des droits d’inscription et une non sélection en première année dans les filières universitaires alors que les Grandes Écoles, les IUT ou les écoles professionnelles sélectionnent dès l’entrée. Cela ne les empêchera pas de se mêler aux mouvements étudiants de novembre-décembre 2007 de façon plutôt radical, puisque leur premier mot d’ordre sera : anticapitalisme et retrait de la loi LRU.
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23 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1...
« Chez les étudiants toutes les tendances se font jour23. »
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24 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vi...
25Les étudiants sont hétérogènes dans leurs positions politiques, il y a toujours une part d’étudiant qui se positionne contre le mouvement en cours, d’autres qui se situent en dehors, et même à l’intérieur d’un mouvement, c’est toujours des individus pluriels : les uns engagés dans le ou les syndicats, les autres peu politisés, les troisièmes politisés… Or , ce qui fait l’ampleur d’un mouvement, c’est la pluralité de position et la masse d’étudiants impliqués. Même en 1968, Claude Lefort signale : « Des étudiants ne sauraient faire une révolution ; tout au plus la susciter. En l’occurrence, une toute petite fraction d’entre eux caressait ce projet ; dans leur masse ils n’y songeaient pas. »24
26Toute analyse à froid d’un mouvement risque de gommer les aspirations multiples et protéiformes qui s’y expriment. Les médias réduisent à quelques leaders, ou meneurs, le mouvement, car ils ne savent pas rendre compte d’une pluralité de position. La TV isole ainsi des têtes qui, bien souvent, ne sont en rien significatives. L’exemple de 1986 éclaire cette position puisque les médias ont mis en avant Chantal Thomas (« enfin une fille comme leader ! » titre « Libération) » alors qu’elle se verra retirer toute responsabilité dans la coordination.
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25 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1...
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26 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1...
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27 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, ...
27Pour Henri Lefebvre, c’est la spontanéité des étudiants qui déclenche un mouvement, mais cette même spontanéité a aussi ses limites. Dans les mouvements étudiants, il manque toujours une alternative à la hauteur des attentes. Prendre en compte l’expérience pratique des étudiants qui s’engagent dans un mouvement est alors nécessaire pour saisir les aspirations qui surgissent. Souvent en début de cursus d’étude, certains ne se sentent pas assez forts pour avoir une activité politique, de même qu’ils ont du mal à avoir des lectures hors du programme. « Ils interrogent l’horizon ; ce qu’ils aperçoivent les trouble. Que leur apporte la société ? D’une société qui ne leur donne ni la sécurité, ni l’aventure, ni rien d’assuré, ni rien de séduisant, ils ne veulent rien savoir sinon que l’horizon se bouche. »25 Que ce soit en 1968 ou en 2007, « la quotidienneté des étudiants n’a rien d’exaltant. »26 La spontanéité des mouvements étudiants est toujours une « surprise » (bonne ou mauvaise selon les interprétations). C’est par des confrontations, des affrontements, donc en l’absence de dogme et de loi préétablie que les mouvements étudiants surgissent et surprennent y compris les étudiants eux-mêmes. « L’Université, destinée à transmettre un savoir, trop souvent ne répond ni aux promesses ni aux exigences, elle devient alors un « condensateur social » qui rassemblent des interrogations et des problématiques dispersées par ailleurs. »27 On a alors beau jeu dans les analyses des mouvements étudiants d’insister sur leurs défaillances et leurs faiblesses. Manque de projet global, de pensée théorique, etc. sont précisément ce qui permet à un mouvement d’apparaître. Il cristallise souvent une multiplicité d’aspirations et de malaises.
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28 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1...
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29 La théorie de l’étincelle me semble plus juste que des minorités agissante...
28A froid donc, les mouvements étudiants peuvent être décrétés des échecs mais on oublie alors qu’il s’agit des limites de la spontanéité, « d’une spontanéité nécessaire plus que d’un échec. »28 Il est donc ridicule d’attaquer un mouvement étudiant après coup en disant « ce n’était qu’agitation dérisoire ».29
3. Les enjeux des mouvements et leurs évolutions
29Les enjeux des mouvements ont tous peu ou prou des bases communes avec 68, mais il y a quand même un déplacement des enjeux. EN 68, il y avait du rêve, des utopies, de l’imaginaire à profusion… 1986 marque une première tendance vers des visées plus matérialistes car outre le retrait de la loi Devaquet, il y a une demande qui surgit de plus de professeurs, plus de moyens financiers… et vers les années 1995, les enjeux se déplacent encore une fois vers l’univers de l’emploi.
30En 1968, il y a déjà une première massification (500 000 étudiants) mais on est passé ces dernières années à 2,5 millions. Même si la massification des étudiants n’équivaut toujours pas à sa démocratisation, depuis 40 ans de nombreuses couches sociales accèdent à l’Université. Si 30 à 40 % des étudiants aujourd’hui comme hier travaillent pour financer leurs études (soit 600 000 étudiants à être salariés), les jobs étudiants sont devenus un modèle de travail précaire par rapport au statut de « pion » d’antan. Plusieurs mouvements ont jalonnés ces dernières années montrant que tout ce qui touche au contrat de travail fait réagir un certain nombre d’étudiants. Proche du mouvement de 1994 contre le CIP, le mouvement anti-CPE de 2006 est une protestation étudiante contre la situation professionnelle faite à la jeunesse. Le mouvement a transformé un contrat d’embauche (mesures techniques) en enjeu symbolique. La pratique des emplois précaires et des stages non rémunérés pour un grand nombre d’étudiants a accentué le malaise face à un contrat de première embauche. Il semble alors que le mouvement de 2006 exprime une culture de l’incertitude.
31La scène sociale est dominée par un mouvement qui fait état d’inquiétude face à un avenir proche. Les étudiants craignent par des mesures comme le CPE d’être en dehors de l’employabilité et se sentent traiter comme une simple variable d’ajustement. De plus la distorsion entre les promesses de scolarisation (rappelons que 70 % d’une classe d’âge à son BAC et peut entrer à l’Université) et la réalité du monde du travail fait naître un sentiment d’injustice sociale et une perte de confiance dans l’avenir proche.
32Il y a un déplacement de calendrier considérable par rapport aux années 1970. A 25 ans, l’emploi stable, la vie conjugale, la parentalité semblent encore loin. Être adulte, c’est être auto-suffisant et nombres d’étudiants ne parviennent pas à être adultes car leur banquier ne leur fait pas confiance ou parce que leur propriétaire leur demande 6 mois de caution. Même si les solidarités familiales sont fortes et que les transferts financiers entre générations sont importants, ces amortisseurs empêchent les jeunes de grandir et d’entrer dans la vie d’adulte. Ce bouleversement de calendrier est une révolution lente qui amène une culture de l’incertitude chez les étudiants et aussi une impression que hier c’était mieux, plus facile et surtout, que demain, ce sera pire. La culture de l’incertitude renforce une vision pessimiste déjà fortement présente dans les médias qui annoncent la pénurie de pétrole, d’aliments, etc. Le climat ressemble plus à la crise de 1929 qu’à autre chose : plein de catastrophes à l’horizon, le surendettement de la France et le crash boursier, les problèmes écologiques de toutes sortes plus apocalyptiques les uns que les autres…
33A Grenoble en 2006, il y a malgré tout de l’humour face à la précarité de l’emploi. Des étudiants, ceux-là même qui seront décrit comme « les casseurs de la galerie des Amphi », vont faire un potager sur les pelouses du campus. Petit potager symbolique et dérisoire, il perdure un certain temps et semble indiquer une réponse du type : si nous travaillons c’est avant tout pour nous-mêmes et reprenant Voltaire dans Candide : « Face à la misère, cultivons notre jardin. »
4. Les moyens d’actions des mouvement étudiants
34Si les moyens d’actions des mouvements étudiants n’ont guère changé, il y a deux tendances qui s’affirment de plus en plus depuis 1986 : les coordinations nationales d’étudiants, qui révèlent une grande méfiance de la masse vis à vis des représentants syndicaux, et les blocages qui ont lieu en début de mouvement et non plus en cours de mouvement. Oubliés les très nombreux Comités d’action de 1968 qui faisaient un véritable travail critique et produisaient de non moins nombreux textes. Ce qui été une innovation à savoir l’auto-organisation sous la forme de coordinations de délégués élus dans les AG est devenu une forme traditionnelle surtout depuis 1986 et n’a fait que s’amplifier ces dernières années. Cette auto-organisation indique une méfiance d’une part grandissante d’étudiant pour les syndicats. En 1986 le mouvement étudiant est suffisamment fort pour que la coordination en tant que telle assure à la fois le rôle d’organisation de la lutte et de représentations auprès des pouvoirs publics. Les syndicats s’y plient… officiellement.
35Le blocage de l’Université n’est pas nouveau non plus, tout comme les coordinations, mais il est plus systématiquement utilisé comme tactique car la vie étudiante a changé : Toujours plus de contrôle, d’examens et de partiels, plus de présences obligatoires, la semestrialisation (il n’y a plus de moments propices pour une mobilisation). Le blocage est censé mettre les étudiants sur un pied d’égalité et il est employé quand le collectif ne se sent pas suffisamment fort. Dans un passé pas si lointain, la décision de bloquer les universités n’intervenait qu’après d’autres moyens d’actions : distribution de tracts, passage des étudiants engagés pour faire d’abord débrayer des cours, manifestation de rue). En 2006 puis en 2007 le blocage est devenu le moyen central d’action des étudiants contestataires. Tout se passe comme si l’économie interne d’un répertoire d’actions collectives classiques se trouvait durablement inversé au profit de l’action radicale : bloquer l’Université.
36Rappelons que le blocage est malgré tout, une décision collective prise en AG par des étudiants engagés. Alors que les mouvements étudiants bénéficient généralement d’un courant de sympathie de la part des personnels enseignants et administratifs des universités, et ainsi du grand public, le blocage est mal perçu et mal vécu y compris par ceux qui partagent les revendications. Cela est plus particulièrement vrai pour les administratifs dont les conditions de travail sont aggravées par la nécessité d’éviter les débordements et de protéger les locaux universitaires. La présence de piquets de grève à l’entrée des bâtiments universitaires (que ce soit en 2006 ou en 2007) semble entraîner de l’intérieur des réactions « pro » et « anti-mouvement » plus prononcées d’année en année. Il semble que les mouvements étudiants ont de plus en plus de mal à sortir des campus. C’est donc plus in situ que se déploie la contestation étudiante.
37A cela plusieurs raisons, qui ont à voir avec la peur, peur des casseurs, des jeunes des banlieues… On n’est plus à l’époque des « Katangais » de 1968 qui viennent à la Fac donner un coup de mains aux étudiants. Il semble au contraire qu’il y ait une fracture entre 2 jeunesses : celle des quartiers et les étudiants. Il semble aussi que les manifestations (peur des provocations, peur des répressions) soient plus tendues qu’autrefois (de plus les parcours des manifestations sont détournés des centres villes commerçants). La question pratique qui se pose est alors de savoir comment se faire entendre sur un campus ? Les affiches, les tracts à l’heure d’Internet semblent passé de mode et ne sont guère opérationnels, car ils se heurtent à une passivité de la masse des étudiants. La grève des cours semble difficile à réaliser peut-être parce qu’au fond, elle ne pénalise que les étudiants. Dès lors le blocage s’impose et ce qui fait débat tourne surtout sur sa légitimité. Du côté des étudiants engagés, il correspond à un désir paradoxal d’agir et de gagner vite pour ne pas compromettre une année universitaire. Ils espèrent ainsi renforcer la mobilisation. Pourtant cette modalité d’action collective ne favorise pas le dialogue. La masse des étudiants se retrouvent devant des locaux fermés et repartent vaquer à leurs occupations hors des universités. Ceux qui veulent continuer à travailler, le peuvent grâce aux mails directs avec les enseignants. Le blocage ne favorise pas non plus l’action commune. Mais plus grave, au lieu de discuter des enjeux, le conflit s’enlise dans une espèce de rhétorique « pro » ou « anti » blocage, surexploitée par les médias. Tout cela, vide de sens et de contenu politique, entraîne l’impression d’un non débat d’une vacuité où la prise de parole ne se fait plus que chez soi sur les blogs de convaincus d’un côté et leur opposant de l’autre. Bref, il y a une diminution des échanges au profit d’un débat caricaturale « pro » et « anti » bloqueurs comme si le monde universitaire n’était plus pluriel mais juste divisé en deux.
5. La question de la parole
38 Question bête, qu’est-ce que parler et pourquoi parler ? Aux deux bornes extrêmes de la parole il y a « parler pour parler » et « se taire parce qu’il n’y a plus rien à dire ». Tous nous connaissons dans nos vies des moments où nous sommes enclins aux babillages, aux bavardages, à l’échange d’anecdotes, au jeu de mots et d’esprit, au joute oratoire, au dialogue et à l’autre pôle des moments où nous restons muets, sans voix, bref où nous nous taisons. Parfois nous parlons, le plus souvent nous sommes parlés par d’autres, nous sommes racontés en permanence par les politiques et les médias, par ceux qui ont autorité à dire. « Les petits et les grands récits marchent devant nous et nous font faire » comme le remarque justement De Certeau . Politiciens, experts de toutes sortes, journalistes… sont accrédités pour cela, ils parlent de façon autorisée. Il y a bien évidemment derrière tout cela une institutionnalisation de la parole qui prive tout un chacun mais cela ne se remarque qu’au moment où nous reprenons la parole.
39La prise de parole est importante, me semble-t-il, mais avant tout elle est prise de risque. Risque de dire des bêtises, risque de se tromper, risque de répéter d’autres paroles. Et pourtant, elle semble essentielle pour découvrir ce que l’on pense, pour se révéler à soi comme aux autres, pour connaître, pour partager et aussi pour se convaincre et convaincre. Elle devient engagement. Prendre la parole, c’est courir le risque de se découvrir et de s’engager. Pour Aristote, le lieu de la parole, c’est la cité et parler est équivalent à une véritable instruction civique à la citoyenneté. La prise de parole est formatrice pour la démocratie. Sur ses traces, on pourrait penser que la formation à la parole est d’une importance capitale durant ses années d’études. L’une des occasions véritable de parler et de se parler pour les étudiants (et ainsi de se former à la parole) se réalise lors des mouvements étudiants. C’est alors une expérience riche de conséquences, non seulement pour les étudiants mais pour tous.
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30 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1...
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31 De Certeau Michel, « La prise de parole et autres écrits politiques », Par...
40Aux antipodes de la parole instituée, de l’autorisation de parole – « la parole ne se donne pas elle se prend » - il y a là déjà de la liberté. De Certeau ne s’y trompe pas, il écrit à chaud en 1968 : « On a pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789 »30. Henri Lefebvre parle « d’explosion de la parole » car en 1968 c’est toute une génération d’étudiants et de lycéens qui va prendre la parole suivie par bien d’autres. « A juste titre, prendre la parole, c’est déjà prétendre à une modeste prise de pouvoir. »31 C’est aussi se libérer d’un immense mutisme mais c’est encore faire circuler la parole et alors attaquer une des « places fortes » de l’arbitraire des conventions quotidiennes et des formes établies, du caractère fictif des justifications officielles. L’enjeu symbolique de la parole spontanée, non organisée, soulève une chape de plomb : la situation « inter-dite ». La parole de chacun fait apparaître les normes les plus admises et intériorisées comme « formatées » et non plus comme normales.
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32 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1...
41Lefebvre décrit dans l’irruption de Nanterre ainsi ce à quoi il assiste : « Tous les discours rentrés (…) commencent à sortir dans les amphis bondés, dans la cour, sur la place… Qui parle ? Tous les présents. (…) Il suffit d’écouter pour découvrir ce qui traînait dans la tête des gens : le meilleur et le pire, un amas de questions sans réponse, d’arguments profonds ou dérisoires, d’audaces apparentes ou réelles, de bonne et de mauvaise conscience. Dans le délire verbal, un vaste psychodrame se déroule ou plutôt une vaste thérapeutique sociale, une cure idéologique ou intellectuels et non intellectuels enfin se rencontrent. Tous ces discours doivent sortir pour qu’il y ait l’événement et qu’il ait des traces. »32
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33 De Certeau Michel, « La prise de parole et autres écrits politiques », Par...
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34 De Certeau Michel, « La prise de parole et autres écrits politiques », Par...
42L’analyse à chaud de De Certeau, celle d’Henri Lefebvre, de Morin, Castoriadis, Vidal-Naquet, Claude Lefort ou encore Deleuze et Guattari ou de Didier Anzieu, fort diverses les unes des autres, insistent toutes sur la prise de parole de tout un chacun. L’expansion soudaine du mouvement étudiant de 1968 provient de cette expansion de la parole. Elle circule et devient remise en cause de ce qui auparavant était tenu comme allant de soi. La rupture avec les évidences les plus instituées, routinisées, manifeste alors une crise du consentement (car qui ne dit mot consent !). Par la parole, l’esprit critique se met en route. D’ailleurs : « La circulation de la parole porte en germe le renversement des pouvoirs établis, d’où l’attention extrême des régimes autoritaires à contrôler l’échange des paroles, des informations et des idées… »33 De Certeau montre comment la parole devient en 1968 « le lieu d’une double insurrection » contre les divisions sociales verticales (les hiérarchies) et horizontales qui assignent l’Individu à des places, dans des rôles fixes (qu’ils soient privés, professionnels ou publics). En cela la prise de parole affirme un droit nouveau, identique au droit d’être un homme, et non plus une étiquette ou juste un instrument utile à l’organisation anonyme d’une société. Ce qui vole en éclat c’est le mode traditionnel d’autorité et une certaine accoutumance à l’obéissance (une note sur /1 et des étudiants qui demandent la permission de sortir). C’est une lutte contre la division sociale du travail qui est à l’œuvre dans les AG et les comités d’action. La formule « d’où tu parles toi ? » exprime comment le droit à la parole n’est reconnu qu’à celui qui parle en son propre nom, car les AG refuse d’entendre ceux qui s’identifient à une fonction. « En tant qu’étudiant, en tant que professeur ou en tant que banquier » est une manière bien connue de signaler dans le discours, un lien qui généralise et dévient une abstraction qui dénote toujours un discours officiel. Parler, ce n’est pas non plus être le speaker d’une force de pression ou d’un groupe caché ou d’une « vérité objective » ou d’une conviction tenue ailleurs rappelle De Certeau. « La libération de la parole permet de surmonter les barrières des spécialistes et celles des milieux sociaux et change les spectateurs en acteurs. »34
43Mai 1968 est une fuite par rapport aux déterminations imposées par la société, c’est un mouvement de critique de toute spécialisation de l’être, dû à la division du travail social. C’est en quelque sorte, une dénonciation du fonctionnalisme : l’étudiant cesse de fonctionner comme un étudiant, les travailleurs cessent de fonctionner comme des travailleurs et les artistes comme des artistes. Parler permet alors de franchir les frontières sociales et de s’affranchir du poids des divisions. En cela le mouvement de mai 1968 est « une ouverture politique à l’altérité » et non pas un « moi-je ». D’ailleurs on ne lutte pas pour ses propres intérêts ou ceux associés à sa position dans l’espace social mais au contraire, on lutte contre la finitude et l’objectivité d’un monde social qui rive à des intérêts catégoriels, à des rôles prescrits, à des appartenances figées, étroites, trop étanches, enfin, on lutte contre des destins trop probables. Cette ouverture à l’altérité témoigne aussi que la prise de parole ne vise pas seulement à « être soi » mais à accueillir en soi la présence et les vérités découvertes par l’autre. La prise de parole est encore symptôme, nous dit De Certeau, d’un divorce entre « subjectivité, politique et groupe social ». C’est une manière pratique de refuser la ségrégation et le compartimentage social. Pour Pierre Bourdieu, il s’agit d’une rupture avec l’ordre, d’une « épochè », mise en suspend de l’adhésion premier à l’ordre établi. Ce qui frappe un certain nombre de témoins des AG ou des comités d’action, c’est l’égalité concrète de droit à la parole quand on sape l’autorité des paroles autorisées.
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35 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vi...
44Ainsi Claude Lefort raconte : « Il arrivait souvent, par exemple, qu’un professeur fût interpellé dans un amphithéâtre par ses étudiants. Il se voyait sommé de rendre raison de son enseignement, de justifier les règles en vigueur, le protocole des cours et des examens ; ou bien c’était un inconnu qui lui coupait la parole pour presser l’assistance de rejoindre une assemblée ou une manifestation improvisée… ; l’assurance de son autorité lui était retirée et il devait contre son gré, abandonner son rôle pour devenir, soit comme complice, soit comme adversaire, l’acteur d’une aventure imprévisible. »35 Ce sont ces petits faits multipliés qui indiquent le premier caractère de Mai et que risque de faire oublier à présent, le souvenir des grandes discussions d’ordre expressément idéologique ou des combats de rue.
45Épisode bref, mai 1968 est un moment de pause dans le train-train quotidien, où l’expression et la circulation de la Parole donne consistance au « vivre ensemble ». Ce que Claude Lefort appelle « la démocratie sauvage ». Besoin primordial d’exister, de se sentir libre face aux contraintes de toutes sortes. Bien évidemment, il y a alors un sentiment que la quotidienneté se transfigure. « Changer la vie « devient un vécu intense dans le présent.
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36 NORA P., » L’événement monstre », revue Communication n° 18, p. 104.
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37 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vi...
46« L’étincelle », « l’inouï », « la brèche », la « divine surprise » c’est la prise de parole multiformes, débridée et sauvage venue d’en bas. « Festival de la parole agissante », P. Nora explique, « toutes les formes cohabitèrent pour constituer l’événement lui-même : paroles des leaders et paroles anonymes, parole murale et parole verbalisée, parole étudiante et parole de travailleur, parole inventive, citatrice, politique, poétique, pédagogique ou messianique, parole et bruit. »36 Tolérance, bienveillance et libéralisme du public étudiant qui vient aux AG écouter et parler ; où plus les discours sont incohérents, absurdes, vertigineux et plus le plaisir augmente. Des applaudissements aux discours les plus déraisonnables, inconséquents ou les moins « maître d’eux ». Raymond Aron y voit un défoulement. « Tout cela ouvre un nouvel espace, un nouveau champ de débat, où des individus, qui n’ont ni compétences ni autorité pour parler ou agir s’improvisent alors une existence publique. »37 L’enthousiasme l’emporte, la démesure aussi, la conversion d’individus la veille encore muets, se transmue en actes.
47La vérité d’un mouvement, où ce qu’il faut penser n’appartient à personne, elle est dite à plusieurs voix et l’ensemble des paroles ne dit pas la même chose. Le pluriel est maintenu, préservé contre la réduction, il s’agit même d’une articulation, d’une coordination d’opposés, « tout peut se dire » ! Le tutoiement se fait facile entre générations, entre professeurs et étudiants, entre inconnus… et témoigne d’une expérience de fraternité, du goût d’une mise en commun et cela crée un collectif original qui ne nie pas les différences. Tout cela entraîne le goût de la réflexion sur la chose publique, loin, très loin, de la politique, du pouvoir ou du savoir. Le politique devient l’affaire de tous, c’est-à-dire chacun dans sa diversité à son mot à dire.
48« J’ai quelque chose à dire mais je ne sais pas quoi ! » Outre l’aspect drolatique de la phrase, elle semble révélatrice du fait qu’il faut d’abord commencer à parler pour avoir quelque chose à dire. Quand la parole est brimée, elle a du mal à se dérouiller de but en blanc. Il faut un certain laps de temps.
49Quand on parle beaucoup cela n’empêche pas d’écouter l’autre, au contraire… Car celui qui écoute et se tait poliment, prends le temps de la distance et de la non-fusion avec la chose dite. Trop souvent, la parole est piégée dans le jeu des questions-réponses de l’information médiatique. Nous autre, les anonymes, nous sommes censés poser des questions et rien d’autre. Que ce soit au Téléphone Sonne de France Inter ou dans des émissions spéciales de TV en duplex sur les mouvements étudiants, on demande à « l’étudiant de service », non pas d’exprimer ce qu’il a à dire, mais juste de poser sa question en direct aux gouvernants, seuls dépositaires du dire. Nombreux sont les passages d’émission (1986, 1995,…), où l’on voit le présentateur soudain furieux parce que les étudiants cherchent à parler et non pas à poser une question ou à se plaindre. C’est que la maîtrise du jeu de la parole échappe au présentateur, il faut entendre le dernier mot c’est-à-dire ce que le téléspectateur devrait penser. Il me semble que le dispositif médiatique, direct ou indirect, nous rend de plus en plus muet. Juste la parole gouvernante ou experte est autorisée, l’étudiant lambda n’a rien à dire et la cause est entendue d’avance. Tout le reste n’est que rébellion insupportable taxée d’impolitesse.
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38 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vi...
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39 DELEUZE G., GUATTARI F., « Mai 68 n’a pas eu lieu », Paris, Seuil, 1984, p...
50Pourtant le sens de l’indépendance de la parole n’est pas en contradiction avec le sens de la communauté. « Plus il se répand parmi les Hommes, plus la société devient active, plus riche le débat public, plus vivant le tissu de relations entre les Individus et les groupes. Bref, libertés individuelles et libertés politiques se soutiennent les unes les autres. »38 Pourtant après 1968, tout ce qui est nouveau, devient marginal. Tout agencement d’une nouvelle existence, d’une nouvelle subjectivité collective a été écrasé d’avance par la réaction contre 1968 « à gauche presque autant qu’à droite », nous disent Deleuze et Guattari en 198439.
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40 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de V...
51La Parole aiguise le désir de penser. « Le mouvement de mai ne s’attaque pas à l’ordre établi pour lui substituer un autre ordre meilleur – lequel ne s’impose que par la terreur et une idéologie de fer – mais il revendique un désordre à l’intérieur de la société, la permanence d’une contestation des pouvoirs en place, et il se soucie d’affirmer. »40 La pratique de l’interpellation, de la provocation qui démarre chez les étudiants et se propagent a pour objectif de faire surgir ce que dissimulent les discours convenus. En 1968, on ne recherche pas le consensus. A l’extérieur du mouvement, cela ressemble à de la cacophonie puisque tout et son contraire se dit mais ce sont les paroles de 1968 qui remettent en cause la légitimité et l’illégitimité, le normal et la pathologique, le possible et l’impossible. C’est la « chienlit », la pagaille et le désordre, oui ! Il semble pourtant que dans les outrances de 1968 gît l’élan vitaliste, ce « goût enragé de vivre ». A Nanterre, sur les mûrs : « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend ! ».
6. « Exagérez, voilà l’arme ! » (à Censier)
52A) Il faut d’abord exagérez dans l’irrespect. Les étudiants dénoncent l’Université comme « usine à savoir », comme « distributeur de diplôme » et les étudiants se traitent « d’oies gavées », « Professeurs, vous nous faites vieillir » scandent-ils. Leurs slogans : « On ne dit plus bonjour monsieur le professeur mais crève salope ! » ou encore « Althusser à rien » et sur l’air révolutionnaire, ils chantent à Nanterre :
« Ah ça ira, ça ira, ça ira,
Morin, Lefebvre on les emmerde
Ah ça ira, ça ira, ça ira
Et le Touraine on se le paiera
Et si on ne se le paie pas
On lui cassera la gueule
Et si on ne se le paie pas
Sa gueule on lui cassera. »
53Plus tard (1986), on lira sur un mur du lycée Stendhal à Grenoble : « Il est interdit de jeter des cacahuètes à vos enseignants, ils sont déjà nourrit par l’État. »
54A l’époque l’irrespect ne porte pas à conséquence, c’est juste de l’humour joyeux, on est loin de notre époque où chacun se plaint d’un manque de respect.
55B) Puis exagérer dans l’irresponsabilité. Ils scandent : « Participation ! Piège à cons ! » Loin d’une envie de s’intégrer à quoi que ce soit, ils refusent toute délégation de pouvoir et même le pouvoir tout court. A Nanterre : « L’alcool tue, prenez du LSD », au lycée Buffon « Récréation permanente ».
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41 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vi...
56Mais n’est-ce pas la condition étudiante qui impose disponibilité et irresponsabilité ? « Tous ont des droits formels et vides, mais aucun pouvoir réel, écrit Morin dans La Brèche, tous ont un travail dérisoire, la vie de tous est remplie de faux objets, tous se trouvent dans une relative « sécurité matérielle » doublée d’une angoisse sans objet. »41 Être étudiant aujourd’hui, est-ce une situation si différente ?
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42 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1...
57C) Exagérer dans l’acte de grève aussi, dans la génialité et le crétinisme : « On n’est pas amoureux à 2 %, ni même à 4 % », « Je suis marxiste, tendance Groucho ». En 1968, il ne s’agit pas de démocratiser la culture, ni de l’amener à qui que ce soit ; il s’agit de « libérer les forces créatrices de tout un chacun ». La culture est dénoncée comme logique de consommation et de spectacle qui conduit à « une destruction dévorante des œuvres, des styles, de l’art et de la culture »42 Il faut rompre avec la culture devenue musée et créer pour ré-enchanter le monde culturel vide de sens. « Créer ou mourir » lit-on sur les mûrs et à Censier
58D) « Exagérer c’est commencer d’inventer ! » peut-on lire encore sur les mûrs du conservatoire de musique : « Nous voulons une musique sauvage et éphémère, nous proposons une régénération fondamentale. Grève des concerts, des meetings sonores : séances d’investigations collectives, suppression du droit d’auteur, les structures sonores appartiennent à chacun. »
59E) Exagérer, enfin de façon prémonitoire, peut-être… : « Millionnaire de tous les pays unissez-vous, le vent tourne » (Censier). Bref le scandale, l’insulte, la dérision pratiquée contre l’institution trahissent une manière de dire une culture nihiliste. Quand le présent désenchanté étouffe, « on ne compose pas avec une société en décomposition » (Sorbonne, 1968). Tout cela ressemble fort aux provocations des surréalistes dans l’entre-deux guerre, qui ne s’y trompera pas, et se dissoudra en 1969 car ses thèses sont dans de nombreuses têtes. A la Sorbonne encore : « La vie c’est une antilope mauve sur un champ de thons » (reprise de Tzara).
60Les étudiants en 40 ans ont-ils tellement changé ? Leur culture s’est faite plus muette certes, mais la culture nihiliste ne rôde-t-elle pas de-ci, de-là, dans des pratiques nouvelles peut connues ? En 2008, quid des cultures étudiantes ? Pourtant, celles des étudiants que je côtoie, m’est une énigme. Peut-être avec l’âge suis-je devenue sourde ? J’ai l’impression de me retrouver face à une génération qui récite la culture médiatique d’une part et d’autre part, pour les cultures qu’elles inventent, elles m’apparaissent plutôt silencieuses, moi qui appartient à une génération plutôt bavarde, bruyante et rock and roll. D’ailleurs, pour terminer encore une inscription murale de la Sorbonne : « Espérance, ne désespérez pas, faites infuser davantage ! » qui s’affiche comme une réponse à un étudiant de L3 qui m’expliquait, en cours, que sa génération avait connu « le désespoir avant même d’avoir connu ce qu’était l’espérance ».
Notes
1 L’explosion spontanée de la parole, la « parole libérée »,… pose la question du droit à la parole de rendre public ses idées, ses sentiments et ses critiques.
2 Les configurations du mécontentement estudiantin changent selon les époques : charivari folklorique (monômes étudiants), barricades de 68, manifestation et appropriation de la rue, occupation de locaux universitaires ou blocage de l’université. Les raisons de ces mouvements oscillent du corporatisme à la défense d’intérêt plus vaste (cf. les révoltes des années 1960 contre la guerre d’Algérie et pour le sursis militaire des étudiants) et mêlent des aspects politiques, culturels (« révolution culturelle » de 1968), économiques (mouvement anti-CPE 2006), sociales (1995) à des luttes contre les réformes universitaires, (1972, réforme du DEUG ; 1978, loi Bonnet ; 1986, loi Devaquet ; 2007 LRU pour n’en citer que quelques unes).
3 A plus d’un titre les mouvements étudiants ne sont pas traités comme d’autres mouvements sociaux… Car mouvements de jeunesse, ils émeuvent les parents et parfois les enseignants, ils attirent la bienveillance d’un certain nombre d’organisation syndicale voire politique et souvent ils sont sympathiques car ils sont censés incarner un malaise symptomatique de l’ensemble de la société. Plus que d’autres, ces mouvements étudiants sont interprétés comme s’il s’agissait de faire parler la jeunesse qui aurait alors le privilège d’exprimer mieux que d’autres âges de la vie ou d’autres groupes sociaux les malaises de la société.
4 De plus quelque soit le mouvement il est frappé d’un double caractère traditionnel et « avant-gardiste ». L’événement répète-t-il ou inaugure-t-il ? Question lancinante que se pose le monde des « adultes responsables ». Un même mouvement peut-être traité de résurgence archaïque, de résistance à l’évolution ou bien de prémices de changement de société. Souvent le pouvoir en place utilise des conflits historiques pour étouffer le conflit nouveau, souvent les étudiants réutilisent des slogans qui ont une longue histoire (cf. « Plus jamais ça » de décembre 86), souvent les média cherchent à expliquer les mouvements comme résurgences passéistes (cf. « Mai 68, Décembre 86, c’est mieux » de Libération). Mais toujours dans ces occasions-là, la jeunesse étudiante est parlée par d’autres instances qu’elle-même. « La jeunesse est moins amollie qu’on l’a prétendue ». J.-M. Domenach, in Esprit, n° 67, juin-juillet 1968, p. 125.
5 D’ailleurs les révoltes étudiantes sont souvent décrites comme « sans but », car elles n’ont pas des programmes élaborées. Mais n’est-ce pas « la société » qui est sans but autre que le développement sans fin du profit. L’économie politique n’est-elle pas qu’une suite de régime drastique pour l’ensemble de la population ? Dans les révoltes des étudiants, le but est sans cesse présent comme recherche et comme sens. Parler, se libérer d’un immense mutisme, n’est-ce pas l’une des premières vertus de tout mouvement de mai 68 à décembre 2007 ?
6 Selon la belle formule de G. Gusdorf, « le souvenir n’est que l’envers de l’espérance » (in « Mémoire et personne », p. 247)
7 Très schématiquement, en mai 68 « la parole est libérée » et la représentation des étudiants est celle d’une jeunesse irresponsable ; en décembre 86, la parole est maîtrisé (la coordination cherche à utiliser les média et accepte d’y consacrer beaucoup (trop ?) de temps), la représentation devient celle de jeunes gens mâture ; En 2007, la parole est muselée (les médias rendent très mal compte de ce qui secoue les universités) et la représentation de la jeunesse se transforme en « casseurs ».
8 En effet, deux approches intéressantes coexistent sans se recouper quand on étudie les mouvements étudiants : l’histoire politique des mouvements ou les études sur la mémoire des mouvements.
9 L’un d’entre eux est la référence au passé comme solution du présent… D’ailleurs, chacun a quand il pense aux mouvements étudiants, une expérience vécue d’un mouvement (68, 72, 86, 2006, etc.) qui marque profondément son appréhension des mouvements qui succèdent.
10 Le Goff Jean-Pierre, « Mai 68, l’héritage impossible », Paris, la Découverte, 2002, p. 16.
11 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1968, p. 33.
12 De Certeau Michel, « La prise de parole et autres écrits politiques », Paris, Seuil, 1994, p. 28.
13 Namer Gérard, « Mémoire et projet du mouvement lycéen-étudiant de 1986-1988 », Paris, L’Harmattan, 1991.
14 Dans Les Misérables de V. Hugo, l’étudiant Marius participe aux barricades, il est aux côtés du peuple, confortant notre représentation de l’étudiant jeune engagé et pauvre. Par contre Jules Vallès va le stigmatiser comme trop soucieux de son avenir de notable dans son livre Le bachelier et montrer dans le journal Le cri du peuple comment l’étudiant ne prend pas part à la commune. Ainsi l’image dominante de l’étudiant alterne selon les moments et les interprétations entre ces deux extrêmes.
15 Il est décrit comme élégant, il porte chapeau melon et arbore une canne.
16 Dès 1907, une première représentation de l’étudiant mêle un début de statut à des figures contradictoires. Le statut étudiant est construit par la volonté de l’État et des autorités académiques. Ainsi, E. Durkheim, Lavisse et autres, cherchent à créer par la constitution de « collectivités intermédiaires » un cadre entre l’individu et l’État. La constitution des AGE locale (Association Générale des Étudiants) date d’une loi de 1884 avec l’appui des autorités universitaires. « Il faut que l’étudiant (…) ne se sente pas perdu dans la foule anonyme (…) de multiples groupes se sont créés pour cela. Il y a d’abord l’AGE des étudiants de Paris qui a pour rôle de défendre les intérêts communs » écrit E. Durkheim dans « Histoire de l’Université de Paris », in « La vie Universitaire à Paris », A. Colin, 1918, p. 28. Les associations étudiantes naissent dans le sillage de la création de l’Université moderne. Les AGE privilégient une identité générale au détriment des particularités d’origines et d’opinions. Il s’agit de regrouper les étudiants en une « famille unie » (Congrès de Strasbourg de l’UNEF, 1919). Les AGE rompent avec le modèle médiéval de « communauté maîtres et élèves ». Elles se fédèrent à partir de 1907 en une organisation nationale : l’UNEF. Cela aura pour conséquence d’affirmer les étudiants comme groupe national.
17 N’oublions pas les CSP en 9 catégories avec sa fameuse catégorie fourre tout (armée, clergé, police, étudiant).
18 Cf. Bourdieu Pierre, « La jeunesse n’est qu’un mot » in « Questions de sociologue », Paris, Minuit, 1980, p. 143-154.
19 Morder Robi, « Naissance d’un syndicalisme étudiant ; 1946 : La charte de Grenoble, » Paris, Syllepse, 2006, p. 74.
20 Morder Robi, « Naissance d’un syndicalisme étudiant ; 1946 : La charte de Grenoble, » Paris, Syllepse, 2006, p. 108.
21 Morder Robi, « Naissance d’un syndicalisme étudiant ; 1946 : La charte de Grenoble, » Paris, Syllepse, 2006, p. 81.
22 Ces différentes représentations de l’étudiant sont battues en brèche car, bien souvent à l’intérieur d’une même famille, il peut y avoir un étudiant et un chômeur. De plus, si traditionnellement « l’étudiante » est la compagne de l’étudiant, de nos jours l’étudiant est très souvent de sexe féminin. Enfin, avec la concurrence des universités, il n’y a rien de commun entre un « sorbonnard, intellectuel », et un étudiant non héritier de Villetaneuse ou plus simplement entre les étudiants des Grandes Écoles et ceux des facultés de Lettres de province.
23 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1968, p. 100.
24 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vingt ans après, » Paris, Fayard, 2008, p. 275.
25 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1968, p. 98.
26 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1968, p. 98.
27 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1968, p. 100.
28 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1968, p. 104.
29 La théorie de l’étincelle me semble plus juste que des minorités agissantes bien paranoïaque, et cela, quelque soit l’issue des mouvements étudiants.
30 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1968, p. 89.
31 De Certeau Michel, « La prise de parole et autres écrits politiques », Paris, Seuil, 1994.
32 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1968, p. 108.
33 De Certeau Michel, « La prise de parole et autres écrits politiques », Paris, Seuil, 1994,
34 De Certeau Michel, « La prise de parole et autres écrits politiques », Paris, Seuil, 1994, p. 16.
35 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vingt ans après, » Paris, Fayard, 2008, p. 273.
36 NORA P., » L’événement monstre », revue Communication n° 18, p. 104.
37 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vingt ans après, » Paris, Fayard, 2008, p. 275.
38 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vingt ans après, » Paris, Fayard, 2008, p. 282.
39 DELEUZE G., GUATTARI F., « Mai 68 n’a pas eu lieu », Paris, Seuil, 1984, p. 29.
40 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vingt ans après, » Paris, Fayard, 2008, p. 283.
41 Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vingt ans après, » Paris, Fayard, 2008, p. 188.
42 Lefebvre Henri, « L’irruption de Nanterre au sommet », Paris, Anthropos, 1968, p. 91.
Bibliographie
Armanet François, « Enragé », Paris, Denoël, 2003.
Castoriadis Cornélius, Lefort Claude, Morin Edgar, « La Brèche suivi de Vingt ans après, » Paris, Fayard, 2008.
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Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Barbara Michel
Université Grenoble Alpes / U.M.R. Litt&Arts – ISA
En 2010, Barbara Michel était membre du Laboratoire de sociologie CSRPC-ROMA (ex EMC2).