La Réserve : Archives I. Krzywkowski, HDR, vol. 1. Du jardin à l'espace littéraire
De l’écriture du paysage au déchiffrement du monde : Art des jardins et création chez Edgar Poe
Indédit. Communication dans le cadre du colloque de Cerisy (1998) Edgar Poe, entre nomadisme et enracinement, qui n’a pas été publié. Une première version a été déposée sur HAL -SHS en 2008.
Texte intégral
À Françoise Graziani, Francine Lenne,
Christiane Sollard et Franck Bauer.
1L’œuvre d’Edgar Poe comporte deux textes que les spécialistes des jardins citent peut-être plus souvent que les spécialistes d’Edgar Poe, car ils concernent une étape essentielle de l’histoire de l’art des jardins et lui sont entièrement consacrés. Il s’agit de The Domain of Arnheim (1847), dont une première version, The Landscape-Garden, paraît dès 1842 ; et de Landor’s Cottage, publié en 1849, et que son sous-titre, A Pendant to « The Domain of Arnheim », nous invite à lire en diptyque avec le précédent. Cette seule présentation nous oblige à nous poser deux questions : pourquoi Poe reprend-il, avec quelques variantes, son Landscape-Garden, texte essentiellement théorique, pour lui ajouter non pas une description exemplaire du domaine, comme on l’a parfois laissé entendre, mais un récit du parcours à faire pour parvenir dans le jardin ? Et comment comprendre, par ailleurs, le terme de « pendant » appliqué au second texte : s’agit-il d’une complémentarité ou, au contraire, d’une opposition ?
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1 Le poème contient déjà plusieurs éléments que l’on retrouvera dans les réci...
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2 Le thème se manifeste déjà, certes, dans The Devil in the Belfry (mai 1839)...
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3 Outre ceux cités dans la note précédente, on pourra se reporter à Silence (...
2Il est par ailleurs intéressant de noter que Poe semble avoir longtemps refusé de considérer les jardins comme un sujet pour la prose. Si le thème intervient en poésie, en particulier dans Al Aaraaf, dès 18291, il n’apparaît que très épisodiquement dans les œuvres en prose avant 1842, et essentiellement sur le mode de la comparaison : il s’agit le plus souvent – et la nuance n’a pas toujours été faite – de descriptions de paysages2. Or, s’il est historiquement intéressant de constater ce rapprochement, et si cela bien sûr nous suggère de lire ces contes en parallèle avec les récits « paysagers »3, ou même avec certains éléments des récits de voyages que sont The Narrative of Arthur Gordon Pym, The Unparalleled Adventure of One Hans Pfaall ou The Journal of Julius Rodman (chose impossible à faire ici, et je n’en évoquerai que quelques aspects en passant, on voudra bien m’en excuser), il me semble important de marquer précisément la différence entre la description de paysages et les réflexions sur la composition paysagiste, car le choix du jardin n’est pas à considérer comme une simple surdétermination du paysage : le jardin, on le sait, dispose de son système symbolique propre, qui peut, certes, être appliqué de manière pertinente au paysage, mais qui nous invite également à nous demander pour quelles raisons Poe s’est soudain intéressé spécifiquement à l’art des jardins.
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4 Edgar Allan Poe, Contes - Essais - Poèmes, commentaires et notes de Claude ...
3Essayer de répondre à ces questions sera, je l’espère, le moyen de mettre en évidence la fonction de ce motif dans l’œuvre de Poe. Pour ce faire, inversant peut-être l’ordre attendu, je ne partirai pas de l’œuvre, mais des spécificités de l’art des jardins : si l’on a pu dire, comme le suggèrent par exemple Claude Richard et, avant lui, Robert Jacobs ou Jeffrey Hess4, comme en témoigne aussi la récurrence, dans les textes théoriques de l’écrivain, des parallèles entre littérature et art des jardins, que Poe, par le biais des jardins, exprime ses pensées esthétiques, ce n’est pas en effet, selon moi, parce qu’il « adapte » le jardin à ses propos, mais bien parce qu’il (re)trouve, illustré dans l’art des jardins, plusieurs de ses principes et jusque sa réflexion cosmogonique (ce que confirmera un rapide parallèle avec Eureka).
Jardin et pittoresque
4J’aimerais, pour commencer, revenir sur les sources possibles de ces nouvelles. Historiquement parlant, il ne fait nul doute que le sujet est au même moment tout particulièrement à la mode aux États-Unis, même si les historiens de l’art des jardins sont d’accord pour considérer que le pays est très en retard en la matière : voilà ce qu’en dit par exemple – si l’on me permet cette rapide « mise en situation » apéritive ! – Arthur Mangin, le grand historien de l’art des jardins français contemporain, en 1867 :
5 Arthur Mangin, Histoire des jardins, Tours, Mame, 1867 (nouvelle édition : ...
Le peuple de l’Amérique du Nord est trop affairé et connaît trop bien le prix du temps pour multiplier ses lieux de promenades. En réalité, on ne connaît pas un seul jardin digne d’être comparé avec ceux de l’Europe, dans la ville la plus riche et la plus commerçante des États-Unis. Les jardins, comme les palais splendides, sont créés par le goût suprême qu’amène avec soi le culte prolongé des arts. Il y a une dizaine d’années, New-York ne possédait pas même une promenade publique. [...] À Boston, à Philadelphie, tout est encore à faire à l’égard des plantations vraiment pittoresques ; [...] Ce ne sont pas certainement les éléments horticoles qui manquent pour que les jardins de ces grandes cités acquièrent un renom qu’ils n’ont pas encore.5
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6 À titre de comparaison, la notion de parc public sera prise en compte par l...
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7 Voir W. Cobbett, The American Gardener, 1821 et The Horticulturalist, VI, p...
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8 La région est à la même époque le lieu de prédilection du groupe de peintre...
5Il s’agit ici de jardins publics6, mais Cobbett, visitant les États-Unis en 1819, constate à Long Island que les fermiers se contentent le plus souvent d’un terrain nu, négligence qui s’explique selon lui à la fois par l’espace, qui fait « mépriser les petits enclos », et par l’absence de modèles. Au milieu du xixe siècle encore, la revue américaine The Horticulturalist, dirigée par Andrew Downing, constate la rareté des jardins d’agrément, même chez les plus riches7. Le même Downing, cependant, dans son Treatise on the Theory and Practice of Landscape Gardening (1841), présente une vingtaine de jardins privés, situés pour la plupart au bord du fleuve Hudson, lieu que l’on trouvera évoqué chez Poe au début de The Sphinx, par exemple8.
6C’est en effet en ce tournant du siècle que les États-Unis découvrent l’art des jardins, c’est-à-dire commencent à l’appliquer. Non que les jardins aient été totalement absents, mais ils étaient rares, et surtout très en retard sur la mode européenne : jusque tard dans le xviiie siècle, les jardins des États du Sud, comme Crowfield, près de Charleston, ou Belmont, en Pennsylvanie (vers 1780) sont encore composés sur le modèle des jardins hollandais du début du xviie ; il faut attendre le milieu du xviiie siècle pour que le nouveau style anglais se manifeste dans les États du Nord. Mais c’est seulement au début du xixe siècle que l’art des jardins commence à se développer, sous l’influence, d’abord, du goût naissant pour la botanique (Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis, réunit, par exemple, une belle collection de plantes dans son jardin de Monticello) et de Washington Irving, qui vit en Angleterre vers 1810 et décrit les nouveaux jardins dans ses lettres ; c’est aussi le moment où apparaissent les premiers vrais paysagistes américains, avec André Parmentier, disciple de Lancelot « Capability » Brown (1716-1783), puis, et surtout, avec Andrew J. Downing (1815-1852), qui publie aux États-Unis les écrits de Repton et reprend dans son Treatise les conseils de Loudon (1783-1843), mettant ainsi l’Amérique du Nord à l’heure de l’Europe : il constatera d’ailleurs, dans la réédition de son traité en 1849, que le style « pittoresque » commence à être préféré aux États-Unis. Nous voilà arrivés à Poe, dont les réflexions font ainsi écho à une mode, et, avec ce terme de « picturesque », au premier enjeu de nos textes.
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9 Roger Forclaz, Le Monde d’Edgar Poe, Berne et Francfort, Lang, 1974, p. 133...
7Je voudrais donc, d’abord, m’arrêter sur la question du type de jardin que privilégie Edgar Poe. Une première remarque : on a, je crois, trop tendance à mêler, dans l’analyse de ces deux contes, l’influence du style « gothique » sur l’architecture de l’époque, qu’on retrouve il est vrai dans les ornements de jardins, mais qui n’apparaissent pas dans Landor’s Cottage et seulement très indirectement dans The Domain of Arnheim (au moment, justement, de l’évocation de la demeure), avec l’art des jardins proprement dit. Ainsi, de manière symptomatique, les parallèles que suggère Roger Forclaz sont-ils essentiellement d’ordre architectural et les exemples réels dans lesquels, à la suite de Van Wyck Brooks, il propose de voir les sources « réalistes » de Landor sont des demeures plus que des jardins9. Or les jardins que décrit ici Poe ne relèvent en rien, ni de ce que les Français ont appelé le style « anglo-chinois », qui prisait fort les fabriques comme on le voit à Kew (dessiné par Chambers) ou à la Folie Monceau (Carmontelle) ; ni du style « brownien » qui, du reste, privilégiait une esthétique « palladienne », donc antique plutôt que gothique ; on n’y trouve pas non plus de ces constructions gothiques que l’allemand Schinkel avait contribué à remettre à la mode, pas plus qu’aucune des ces « fabriques » dont Gabriel Thouin fournit une impressionnante liste dans ses Plans raisonnés de toutes les espèces de jardins, paru en 1820, et inlassablement réédité... Pour tout dire, on ne trouve aucune fabrique dans ces textes, à l’exception de la demeure elle-même à Arnheim, d’un simple pont de bois et d’une cabane à Landor. Laissons donc de côté l’hypothèse de l’influence gothique qui, au mieux, serait donc reflétée par la demeure d’Arnheim – encore est-elle « semi-Gothic, semi-Saracenic » (il est vrai que les termes sont souvent employés l’un pour l’autre à l’époque).
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10 Le narrateur décrit le lieu « as I found it » (L., p. 897), qui s’oppose a...
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11 Remarquons cependant que, le tableau ayant été exposé en 1840 à Boston et ...
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12 Editorial Miscellanies, December 27, 1845 (II, p. 1111-1112).
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13 Andrew J. Downing, A Treatise on the Theory and Practice of Landscape Gard...
8Une autre analyse des sources consiste à opposer Arnheim et Landor en termes de réalisme, ce que peut sembler confirmer l’étrange remarque finale du second texte10 : le premier décrirait un jardin « idéal » et sans référence directe à l’art des jardins, tandis que le second s’appuierait sur des modèles précis, ceux que Poe a pu voir sur les bords de l’Hudson, ainsi que le cottage de Fordham de ses amis Richmond. Jeffrey Hess affine cette hypothèse en suggérant de voir dans Arnheim un modèle pictural, et précisément la transcription d’une série de tableaux de Thomas Cole intitulée The Voyage of Life, réalisée entre 1839 et 1840, alors que Landor s’inspirerait plus généralement des écrits de Downing, en particulier du Treatise de 1841. Je ne reviendrai pas sur la première partie de sa démonstration, tout à fait séduisante11, si l’on veut bien considérer cependant que ceci ne saurait composer la source unique du conte, comme je vais essayer de le montrer, et comme le texte le signale d’ailleurs lui-même, puisqu’il cite le prince Pückler-Muskau, Beckford et Claude Lorrain. Il me semble en revanche nécessaire de nuancer la seconde partie de l’article, où Hess propose de voir dans Landor une réécriture de Downing : certes, les parallèles qu’il propose entre le traité et le récit sont convaincants, mais ils prennent en compte des remarques, une terminologie (« capabilities », par exemple) ou des conseils botaniques suffisamment banals à l’époque pour que cette source semble elle aussi insuffisante. Mais surtout, Downing, qui se situe dans la lignée de Humphrey Repton et de John Claudius Loudon, ne me semble guère en accord avec les principes que défend ici Edgar Poe. Le paysagiste est, dit pudiquement Derek Clifford, « meilleur horticulteur que créateur », et il semble bien que Poe ne soit pas éloigné de partager cet avis : il ne cite, à ma connaissance, qu’une seule fois Downing, dans un éditorial où il mentionne avec ironie la bague et la lettre autographe que celui-ci a reçu d’une « tête couronnée » pour son livre12. Downing cherche essentiellement à expliquer comment l’on peut imiter la nature dans le jardin paysager : « ...landscape gardening is an imitation of nature, yet it is rarely attempted on so large a scale as to be capable of the same extended harmony and variety of expression »13 ; il ne faut pas, finira-t-il par expliquer dans le premier numéro de sa revue The Horticulturist (1849), chercher le modèle idéal, mais copier la nature... – or on sait que Ellison, le créateur d’Arnheim, comme le narrateur, comme Poe lui-même, affirment justement le contraire.
9En fait, Poe affiche ses sources non seulement dans Arnheim, mais plus précisément encore dans Landor : il y nomme de nouveau Beckford, ainsi que Salvator Rosa, mais surtout il répète sept fois le terme « picturesque ». Suivant cette piste de lecture, on obtient une orientation tout à fait intéressante, qui explique peut-être que Poe s’intéresse à un type de jardin dans lequel il trouve reflétées ses propres préoccupations esthétiques.
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14 Voir par exemple Richard Payne Knight, The Landscape, London, Bulmer & Cie...
10On sait combien le terme de « pittoresque » a connu de fluctuations au cours du xviiie et du début du xixe siècle ; en fait, presque autant que la notion de « jardin paysager », qui lui est tellement liée. Une quarantaine d’années avant les écrits de Poe, la querelle s’envenime entre Humphrey Repton, disciple du jardin paysager à la Brown, et le trio Gilpin, Knight et Price, tenant d’un autre type de jardin , qu’ils appellent « pittoresque ». Retour aux sources du jardin paysager, d’une certaine manière, puisque c’est de même au nom de l’inspiration de la peinture de paysages que le jardin dit anglais et « picturesque » avait peu à peu transformé l’esthétique du jardin formel : c’est en prenant pour modèle le traitement de la nature dans la peinture de Claude Lorrain et de Nicolas Poussin qu’un Kent, puis un « Capability » Brown (je laisse ici de côté leurs différences !) décident de ne plus séparer le jardin de la nature ; il s’agit de l’imiter (c’est la célèbre formule de Kent : « toute la nature est un jardin ») mais, comme les peintres, à partir d’un point de vue et, finalement, en l’idéalisant ; l’Antiquité sert de modèle, comme dans la peinture du Lorrain, comme dans l’architecture néo-palladienne contemporaine. Avec Brown, cependant, qui abandonne les « fabriques » et les inscriptions prisées par Kent, les grands espaces sont ressentis comme plus naturels et l’inspiration se fait « arcadienne » ; c’est cette approche que poursuivra d’abord Repton. Contre lui se dressent alors les tenants du second « pittoresque » [picturesque] : si les modèles sont les mêmes, Salvator Rosa est cependant nettement privilégié (et l’on notera qu’il apparaît dans Landor, au détriment du Lorrain, qui disparaît, comme Pückler-Muskau : est-ce à dire que Poe a lu, ou relu, ces textes dans l’intervalle ?), ainsi que les écoles du Nord, en particulier Rembrandt que l’on apprécie pour son clair-obscur14, ce qui pourrait expliquer la récurrence de la « brume » dans Landor’s Cottage.
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15 A., p. 862 : « Cette beauté originale [i.e. ce que revendique le style « n...
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16 A., p. 860 : « Je répète que, seulement dans la composition du paysage, la...
11Surtout, et cela intéresse directement Poe, le rejet de l’idée d’imitation se fait beaucoup plus virulent avec la seconde école pittoresque : Gilpin, par exemple, explique que les paysages se prêtent rarement à être reproduits tels quels et Richard Payne Knight, dans son Analytical Inquiry into the Principes of Taste publié en 1805, considère que seul l’ignorant peut se contenter d’un art imitant la nature. Allison, quant à lui, affirme que « The original beauty is never so great as that which may be introduced »15 et défend l’idée d’une beauté « artificielle » du « jardin paysage ». C’est la position même de Knight et de Gilpin, et celle à laquelle se range le narrateur d’Arnheim : « I repeat that in landscape arrangements alone is the physical nature susceptible of exaltation, … »16
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17 A., p. 858 : « Son instinct lui disait que la plus parfaite sinon la seule...
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18 William Gilpin, « Sur l’art de faire des esquisses en paysage », Trois ess...
12L’homme cultivé, dit encore Knight, recherchera dans les arts d’imitation non pas une copie de la nature, mais quelque chose qui puisse réveiller la sympathie, susciter de nouvelles idées ou accroître celles qui existent déjà. Et le narrateur de The Domaine of Arnheim (comme celui de The Landscape-Garden) de commenter : « The fullest, if not the sole proper satisfaction of this sentiment [the poetic sentiment] he [Ellison] instinctively felt to lie in the creation of novel forms of beauty. »17 Il s’agit donc d’« orienter », de « concentrer », d’« adapter aux yeux » les beautés de la nature – langage pictural appliqué au jardin, qui devient un travail sur la nature, un moyen de donner quelque chose à voir : « La nature, dit Gilpin, présente rarement des compositions parfaites. Ses idées sont trop vastes pour l’usage de l’œil pittoresque, et elles ont besoin d’être restreintes par les règles de l’art »18. C’est aussi la pensée fondamentale de Poe, exprimée dans la nouvelle par Ellison : si la nature semble imparfaite dans sa composition, c’est parce que l’homme n’a pas accès au plan divin ; c’est donc à l’artiste de le rendre perceptible. Nous reviendrons sur cette idée, mais on conçoit déjà combien cette approche du jardin pittoresque a pu sembler familière à Poe.
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19 Uvedale Price, An Essay on the Picturesque as compared with the Sublim and...
13Si Arnheim, on le voit, semble en accord avec les grandes lignes théoriques du renouveau « picturesque », Landor semble s’en inspirer directement. On y retrouve, en effet, jusque dans le détail, non seulement les idées, mais aussi les suggestions de la nouvelle école. Ainsi, l’allée par laquelle on arrive à Landor correspond très précisément – jusqu’à la mention des traces de roues ! – à celle que recommande Uvedale Price dans son Essay on the Picturesque19.
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20 L., p. 891 : une « petite construction pittoresque, ressemblant à une caba...
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21 Alessandra Ponte, « Le Caractère de l’arbre chez Alexander Cozens et Richa...
14Le jardin pittoresque prôné par Knight et Price rejette, par ailleurs, tout ce qui n’est pas élément naturel : les constructions y sont extrêmement rares, comme à Arnheim, où il ne semble y avoir que la demeure, comme à Landor, où l’on ne trouve que « a picturesque little building, seemingly a fowl house » et « an inconceivably light-looking and yet very primitive bridge. »20 Or on connaît, par une gravure de Thomas Hearne, le « Pont Alpin » dessiné par Knight pour le jardin de Downton : une simple passerelle appuyée sur des troncs d’arbres, aujourd’hui bien sûr disparue21. Il découle de cela, même si ce n’est jamais véritablement théorisé dans les traités, un caractère éphémère qui peut avoir séduit Poe, au même titre que le courant primitiviste dans lequel s’inscrit cette esthétique : le choix du pittoresque pouvait ainsi lui apparaître comme une illustration possible de sa propre lutte contre l’utilitarisme.
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22 A., p. 859 : « Dans la multiplicité de formes et de couleurs des fleurs et...
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23 William Gilpin, op. cit., p. 31, et p. 24 : le pittoresque consiste à « un...
15L’intérêt que porte le personnage d’Ellison « in the multiform and multicolor of the flower and the trees », dans lesquels il discerne « the most direct and energetic efforts of Nature at physical loveliness »22, va dans le même sens que cette tentative des théoriciens pittoresques pour ne faire appel qu’aux ressources naturelles. De même, ce qu’Arnheim appelle les « combinaisons infinies » (A., p. 601) que l’on trouve dans la nature est une idée reprise par les théoriciens du pittoresque à Whately, qui la défend déjà dans ses Observations on modern Gardening (1765) : s’il est vrai que ceci pourrait s’appliquer théoriquement à tous les jardins paysagers, pratiquement, pourtant, l’école pittoresque sera la première à décider de s’en contenter et posera comme principe fondamental la notion de « contraste », ainsi que « l’idée combinée de simplicité et de variété », d’« intricacies and varieties »23 que répètent inlassablement les deux textes de Poe.
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24 A., p. 862 : « Que le résultat du style naturel, en matière de jardins » n...
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25 Knight, pour expliquer l’importance de « l’effet » – terme poesque s’il en...
16On retrouve, enfin, chez Gilpin et chez Knight, une relecture du sublime par le pittoresque, dont les propos d’Ellison commentant Addison dans Arnheim se font peut-être l’écho : « the true result of the natural style of gardening » n’est pas dans « the absence of all defects and incongruities », mais « in the creation of any special wonders or miracles »24 : il s’agit bien d’invention et de création. Or on sait que Knight et Price ont commencé par reprocher à Brown et Repton la monotonie de leurs interventions : leur approche serait, selon eux, moins artistique que technique (nuance qui ne pouvait que séduire Poe) ; leurs parcs, disaient-ils, parce qu’ils négligent les leçons de la peinture de paysage, manquent de poésie. Voilà le grand mot lancé : le pittoresque, dans l’esprit de ses théoriciens, est bien une entreprise poétique25.
17Poe semble donc bien se livrer donc à une réécriture des traités théoriques du « picturesque » – parfois jusqu’au plagiat. Mais, on le voit, le jardin pittoresque ne représente pas, pour lui, qu’une source d’inspiration : ce qu’il retrouve dans le pittoresque, on l’aura reconnu à mesure, est en accord avec ses principes, et parmi les plus importants : le rapport à l’imitation, les règles de composition, la fonction du créateur, le caractère global de la poésie. Sans doute le jardin pittoresque a-t-il pu lui apparaître comme une illustration, voire comme une mise en pratique de ses théories – c’est en tout cas ainsi que je me propose de lire ces deux textes.
Art des jardins et art poétique
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26 Au début du xxe siècle encore, Lucien Corpéchot rappellera avec une pointe...
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27 Robert D. Jacobs, « Poe’s Earthly Paradise », op. cit., p. 406.
18La reconnaissance de la composition de jardins comme une forme d’art est aussi un débat d’époque qui, s’il fait l’unanimité parmi les créateurs au-delà des querelles d’écoles, n’est encore admis ni par les historiens de l’art, ni par le grand public26. Le jardinier est-il un technicien ou est-il, comme le suggère le double titre de « jardinier-paysagiste » qui s’impose sous l’influence de Repton, un artiste ? Robert Jacobs a raison de rappeler que la position d’Edgar Poe en la matière ne fait que refléter la position de tous les praticiens et théoriciens de l’art des jardins contemporains27. Pour autant, son point de vue ne manque pas d’originalité, dans la mesure où il l’enrichit de sa propre conception de l’art.
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28 L., p. 887 : « un artiste, doué de l’œil le plus délicat à l’endroit de la...
19Poe ne cesse de le répéter : non seulement le vrai paysagiste doit être, comme le créateur de Landor, « an artist, and one with a most scrupulous eye for form »28 mais même, comme Ellison à Arnheim, un poète, qui explique que :
29 A., p. 859 : « … le domaine le plus riche, le plus vrai et le plus naturel...
... the richest, the truest and most natural, if not altogether the most extensive province [of the poetic sentiment], had been unaccountably neglected. No definition had spoken of the landscape-gardener as of the poet ; yet it seemed to my friend that the creation of the landscape-garden offered to the proper Muse the most magnificent of opportunities.29
20Ce point de vue se retrouve dans les textes théoriques ; ainsi, dans The Poetic Principle, affirme-t-il que :
30 P. P. , II, p. 77 : « Le Sentiment poétique peut bien entendu se manifeste...
The Poetic sentiment, of course, may develope itself in various modes [...] and very peculiarly, and with a wide field, in the composition of the Landscape Garden.30
21Reste à comprendre dans quelle mesure on peut considérer le paysagiste comme un poète.
1.
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31 Thomas Whately, Observations on Modern Gardening, 1770. Pour la traduction...
22Le premier point commun paraît si évident qu’on peut supposer qu’il a joué comme un « élément déclencheur » de l’intérêt de Poe pour les jardins, comme ce qui leur aurait permis de passer du stade de simple « motif » au statut de « modèle » : il s’agit de l’art de la composition. De fait, tous les théoriciens tombent d’accord sur cette définition de l’art des jardins. On lit ainsi chez Whately31 :
L’harmonie d’un ensemble dépend de la tendance de toutes les parties vers une direction particulière, ou de leur réunion, pour donner au terrain un caractère particulier.
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32 René-Louis de Girardin, De la composition des paysages ou des Moyens d’emb...
23Je n’en citerai pas d’autres exemples, sous peine d’avoir à citer tout le monde ! Bornons-nous à remarquer que les principes de composition sont souvent à l’ouverture des traités sur l’art des jardins et que c’est même le titre de certains d’entre eux, comme la célèbre étude de René-Louis de Girardin32.
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33 P.C., II, p. 14-15 : « aucun point de la composition ne peut être attribué...
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34 L., p. 887 : Baudelaire traduit par « œuvre composée » (L., p. 949).
24Or, The Philosophy of Composition, qui date de 1846, un an avant Arnheim, met en évidence ce principe fondamental pour Poe (et qu’il utilise depuis longtemps déjà : The Narrative of Arthur Gordon Pym en est une remarquable illustration), qui consiste à élaborer le texte en fonction du dénouement : « no one point in its composition », dit-il à propos de la rédaction de The Raven, « is referible either to accident or intuition »33. En écho à cette position théorique, Poe ne cesse de mettre en évidence cet aspect du jardin : « combinaisons », « composition », « arrangement » sont des termes qui reviennent de manière entêtante, et le narrateur de Landor comprend au premier regard qu’il est face à « a piece of “composition” »34. C’est de cette composition que la description tentera de rendre compte (ce qui justifie, sans doute, la longueur exceptionnelle des passages descriptifs chez un auteur où, somme toute, la description de paysages est relativement rare, même dans les textes où elle serait la plus attendue, comme les récits de voyage où elle n’intervient quasiment que lorsqu’elle est motivée symboliquement). D’où l’importance des termes d’orientation, des mentions de distance, de taille ou de gradation qui abondent dans Landor ; d’où, aussi, le choix d’une vue panoramique qui permet, mieux que le parcours, de saisir la composition d’ensemble.
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35 Tale Writing - Nathaniel Hawthorne, p. 586 : Baudelaire traduit « subordon...
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36 A. J. Downing : « The development of the Beautiful is the end and the aim ...
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37 A., p. 859 : « … c’est dans la direction ou la concentration de cet effort...
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38 P. P. , II p. 78 : « ... considère la Beauté comme le domaine du poème, po...
25Mais la composition d’une œuvre littéraire doit être pensée, selon Poe, « as may best serve him in establishing [a] preconceived effect », pour répondre à « that vital requisite in all works of Art, Unity »35. Quel serait cet « effet unique » dans le jardin ? La réponse la plus fréquente, qui est celle, par exemple, justement, de Downing, est qu’il s’agit de chercher le Beau – ce qui, il le reconnaît, ne différencie guère l’art des jardins des autres arts36. Ellison propose une formulation plus intéressante de la même idée : l’effet consisterait « ... in the direction or concentration of this effort [« of Nature at physical loveliness »] – or, more proprely, in its adaptation to the eyes which were to behold it on earth »37. Ainsi, de même que The Poetic Principle « make Beauty the province of the poem, simply because it is an obvious rule of Art that effects should be made to spring as directly as possible from their causes »38, la composition d’un jardin procède directement de la mise en forme des éléments naturels qu’il contient. Le principe de composition d’un jardin répond donc à des fins strictement esthétiques qui consistent à donner à voir la beauté de la nature : la composition y a, plus évidemment encore que dans la littérature, une fonction de révélation.
2.
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39 A., p. 859 et 863 : le jardin ouvre « le plus beau champ pour le déploieme...
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40 P. P. , II, p. 77 : « effort éperdu pour atteindre la Beauté supérieure. »...
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41 A., p. 859 : « à l’accomplissement, non seulement de sa propre destinée co...
26L’art des jardins, en raison même de cette faculté révélatrice, possède donc un pouvoir d’évocation qui répond bien à ce que The Poetic Principle pose à plusieurs reprises comme une nécessité : de même que le poème doit élever, stimuler l’âme, le jardin, parce qu’il est « the fairest field for the display of imagination in the endless combining of forms of novel beauty » – on notera que Poe utilise bien ici le terme « imagination », et non pas « fancy » –, donne « the sentiment of spiritual interference »39. Ainsi, cette « soif inextinguible », trace de l’immortalité de l’âme, ce « sens du Beau », ce « wild effort to reach the Beauty above » qu’évoque le Poetic Principle40 sont parachevés dans le jardin par lequel l’homme parvient « in the fulfilment, not only of his own destiny as poet, but of the august purposes for which the Deity had implanted the poetic sentiment in man. »41
3.
27On peut poursuivre ce rapprochement en suggérant un autre parallèle que les textes ne formulent cependant pas de manière explicite : ne pourrait-on pas voir en effet dans l’idée que le paysage naturel est comme trop grand pour l’homme, et qu’en conséquence celui-ci ne parvient pas à en saisir la composition d’ensemble, le reflet de cette idée qui revient de manière entêtante dans The Philosophy of Composition, Tale writing et The Poetic Principle, qu’une œuvre doit être brève pour que l’on puisse la saisir comme un tout ? On peut penser que le jardin, parce qu’il est à taille humaine, permet d’appréhender le dessein et la composition.
42 P.C., II, p. 24 : « Deux choses sont éternellement requises : l’une, une c...
Two things are invariably required – first, some amount of complexity, or more properly, adaptation ; and, secondly, some amount of suggestiveness – some under current, however indefinite of meaning.42
28La règle que pose The Philosophy of Composition est ainsi parfaitement applicable à l’art des jardins ; elle l’est même nécessairement, étant donné la nature de cet art, et l’on peut penser que c’est la raison de l’intérêt que montre Poe à son égard.
4.
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43 Également nommée « effet sharawaggi » par William Temple, qui la décrit co...
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44 Sur l’approche allemande de la question, voir par exemple la préface d’Eri...
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45 Dominique Peyrache-Leborgne, « Le Paysage dans le Romantisme anglo-saxon e...
29Mais cet évident parallèle entre l’art des jardins et l’art de l’écrivain, ou l’art en général, ne se manifeste pas seulement au niveau de la composition. On peut proposer un autre rapprochement, qui touche cette fois à l’écriture, entre le principe esthétique de l’arabesque, fondamental chez Poe, et ce choix du jardin paysager. Ceci suppose la prise en compte de ce qui fut, avec la disparition du mur, l’élément fondateur du renouvellement de l’art des jardins : « l’invention », si l’on peut dire, de la ligne courbe, la célèbre « serpentine », mise à la mode en particulier par William Kent au début du xviiie siècle43. Même en vingt pages, on ne peut pas tout dire, surtout sur une question aussi vaste que celle de l’esthétique arabesque44 : je me bornerai donc à rappeler que le terme de « serpentine » sert à qualifier le chemin qui traverse le parc de Landor et que le récit entier du parcours vers Arnheim est organisé selon le parcours sinueux de la rivière. Dominique Peyrache-Leborgne, qui étudie précisément cet aspect, constate que, dans le paysage de ce dernier conte, « le terrestre, le céleste et l’aquatique fusionnent constamment par un habile principe d’arabesque descriptive » ; elle attribue « l’inflation descriptive, saturée d’hyperboles, de notations merveilleuses » à cette prose de « ratiocination » que décrit Poe et y voit la manifestation de « l’indistinction des arts, l’intégration d’un art par un autre revendiquée par Ellison », ce qu’elle propose de mettre en parallèle avec l’expérience synesthésique que fait naître le jardin45.
30Il faudrait ajouter à cela une analyse précise du style, qui montrerait des rapprochements entre l’esthétique de Poe et ce qui me semble l’écriture appropriée au jardin, qui privilégie l’oxymore, la métaphore et la liste, pour dire le microcosme, la métamorphose et la fusion des contraires, caractéristiques auxquelles Poe a recours ici. La nature de cette intervention m’oblige cependant encore une fois à me borner à suggérer cette piste.
31C’est donc bien en raison de ses principes constitutifs que le jardin, et singulièrement le jardin paysager, invite à un parallèle avec l’art et avec l’écriture : on comprend qu’il ait peut-être pu apparaître à Poe comme un exemple abouti de sa conception de l’art et comme une mise en pratique de ses théories esthétiques.
Art des jardin et création
32Un dernier élément peut avoir retenu Poe dans le thème du jardin, c’est qu’il est intrinsèquement lié à la question de la création et des origines (le jardin étant traditionnellement considéré comme métaphore de la création), ce dont témoigne entre autres le topos paradisiaque auquel tout jardin, même implicitement, réfère.
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46 Leo Marx, The Machine in the Garden. Technology and the pastoral Ideal in ...
33On n’a pas manqué, du reste, de lire ces contes paysagers comme des représentations du Paradis, et l’arrivée à Arnheim dévoile bien, en effet, « tout le Paradis d’Arnheim ». On sait que cette lecture a été d’autant plus volontiers proposée qu’elle permet de lier les deux textes à la veine « édénique » de l’œuvre, et de resituer Poe dans le contexte américain de l’utopie pastorale et du rêve des origines, qu’analyse, par exemple, Leo Marx46.
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47 A., p. 866-868 : « barque fantastique » ou « magique », « cercle enchanté ...
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48 A., p. 866 et 868 : la « mélancolie funèbre », une « mélodie divine » [Bau...
34Arnheim est-il, pour autant, un « earthly paradise », comme le dit (et le nuance) Jacobs ? Rien n’est moins sûr. À l’indétermination géographique, qui suggère qu’il s’agit d’un lieu mythique, et au caractère surnaturel d’un parcours à l’étrange et constante douceur, viennent s’ajouter certains éléments signifiants à l’intérieur de l’ensemble de l’œuvre de Poe : le bateau qui mène à Arnheim et l’expérience d’une cataracte (ici d’abord de pierres précieuses, puis qui devient une vraie chute) sont, on le sait, dans The Narrative of Arthur Gordon Pym, dans le Manuscrit et même dans A Descent into the Maelström, les modes d’accès à l’au-delà. Le lexique est, quant à lui, sans ambiguïté : « phantom bark », « fairy bark », « enchanted circle », « exquisite sense of the strange »47 – c’est bien vers un autre monde que la barque emmène le narrateur. Le soleil caché par les murs de la ravine, « an air of funeral gloom », une « divinest melody », l’obscurité toujours plus grande, les Parques, enfin, qui « auront soin » du voyageur (« the fates will take care of him »)48, ne laissent aucun doute sur le type de voyage accompli ici : un passage vers l’au-delà.
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49 A., p. 870 : « moitié gothique, moitié sarrasine » (A., p. 916).
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50 Sur cette tradition, voir Jean Delumeau, Une histoire du Paradis, Paris, F...
35De même, la vision finale, les murailles de pierres précieuses, la porte d’or, la mélodie ravissante et les parfums qui accueillent le « visiteur », les oiseaux, les prairies et les ruisseaux qui relèvent du locus amœnus, appliqué ici, comme il était de tradition, au Royaume des Morts, et jusqu’aux fleurs de mort (violettes, tulipes, pavots, jacinthes et tubéreuses), tout confirme qu’on est entré dans l’au-delà. Quant au palais qu’on découvre à la fin, il est peut-être inspiré par le tableau de Thomas Cole, comme le suggère Jeffrey Hess ; mais il reprend aussi, par son architecture « semi-Gothic, semi-Saracenic »49, la représentation traditionnelle de la Jérusalem céleste, inspirée des visions d’Ezéchiel50. Arnheim, somme toute, est le seul texte en prose de Poe qui nous donne vraiment à voir l’au-delà : il s’agit bien de ce que Jean-Pierre Picot a nommé une « utopie de la mort ».
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51 Les quatre conditions du contentement sont : le « libre exercice en plein ...
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52 Par exemple Jeffrey Hess, op. cit., p. 187.
36Dans cette optique « édénique », que représenterait Landor ? On a souvent, je l’ai dit, opposé les deux textes en terme de réalisme ; il me semble cependant, si l’on tient à prolonger cette opposition, qu’il faut peut-être plutôt la voir sur un mode symbolique : au Paradis céleste d’Arnheim répondrait le Paradis terrestre de Landor, ce qui justifierait la notion de « pendant » et conviendrait bien au caractère effectivement « réaliste », presque documentaire de ce texte. Pourtant, peut-on envisager que Poe croie en la possibilité d’un paradis terrestre et rejoigne, par ce biais, les théories de la perfectibilité qu’il a toujours combattues ? Ceci semble difficile, même si Ellison (qui est, on le notera, le maître de l’utopie de la mort...) affirme dans Arnheim que l’homme porte en lui les éléments du contentement51. Landor, du reste, est-il un Paradis ? Bien que certains aient voulu voir une figure d’Ève dans la jeune femme que le narrateur découvre à la fin52, on ne relève pas, dans la présentation de Landor, d’éléments proprement paradisiaques, sinon à considérer, bien sûr, que tout jardin renvoie au Paradis.
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53 Poe n’hésite pas à reprendre plusieurs fois un même thème, mais en articul...
37Les deux textes, donc, par le simple fait qu’ils parlent du jardin, prennent place dans une réflexion génétique. Or on n’a pas, à ma connaissance, fait cette remarque toute simple : la parution de The Domain of Arnheim (1847) et de The Landor Cottage (1849) encadre celle de Eureka, publié en 1848. Il est donc bien improbable que la rédaction de cette œuvre maîtresse soit sans rapport avec les textes paysagers. On est même en droit de se demander si ce n’est pas justement la rédaction de Eureka qui amène Poe à reprendre son ancien conte : de fait, le jardin contient, par essence, tous les éléments que l’écrivain tente d’articuler dans Eureka. Il pourrait donc paraître légitime de lire ces trois textes comme un triptyque53.
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54 Richard Payne Knight, The Landscape, op. cit., p. 1 ; William Gilpin, « Su...
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55 L., p. 887 : « Partout, la variété dans l’uniformité. » (L., p. 949).
38Deux arguments vont dans ce sens. D’une part, si, comme ma première partie a tenté de l’établir, Poe a lu les théoriciens du « picturesque », il ne peut qu’avoir été frappé de cette définition de l’art des jardins comme « ...just congruity of parts combined / To please the sense, and satisfy the mind », comme union « dans un tout [d’] une variété de parties », le pittoresque étant justement, selon Gilpin, l’« idée combinée de simplicité et de variété »54. C’est peut-être ce qu’illustre la vision finale d’Arnheim (l’unique vision du jardin), où fusionnent les éléments les plus divers, pour ne pas dire les plus opposés, en un tout harmonieux (ce qui rejoint, du reste, la représentation traditionnelle du jardin comme microcosme) ; c’est aussi le premier effet que perçoit le voyageur à Landor : « Everywhere was variety in uniformity. »55 Ainsi le jardin repose-t-il sur le même paradoxe que celui que Poe met au cœur du principe créateur dans Eureka :
56 E., p. 1278 : « … le dessein de tirer la variété de l’unité, la diversité ...
… the design of multiplicity out of unity – diversity out of sameness – heterogeneity out of homogeneity – complexity out of simplicity – in a word, the utmost possible multiplicity of relation out of the emphatically irrelative One.56
39Mais le processus est inversé dans le jardin, qui tire son unité de la diversité, à l’image, peut-être, de cette « fin » que décrit le chapitre xv de Eureka, où tout revient, pour un temps, à l’Un. Faut-il dès lors lire le jardin comme un moyen de revenir aux origines ? C’est une interprétation que l’on ne peut négliger, même s’il me faudra la nuancer, au moins en ce qui concerne Landor.
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57 Richard Payne Knight, The Landscape : « Its various part in harmony to joi...
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58 Marginalia, nov. 1844, II, p. 1316 et Eureka, p. 1342 : « L’Univers est un...
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59 A., p. 863 : « une nature intermédiaire ou secondaire », « abaissée d’un d...
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60 A., p. 860 : « l’arrangement de ces parties sera toujours susceptible de p...
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61 A., p. 863 : « la roideur et la technicité de l’art vulgaire » (A., p. 911).
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62 E., p. 1342 : « nous devrions nous efforcer d’arranger les incidents de te...
40D’autre part, l’importance accordée à l’idée de composition plaide également en faveur du rapprochement des trois textes : le terme commun, qui apparaît d’ailleurs chez Richard Payne Knight57, et qui, sans cesse, qualifie chez Poe à la fois le créateur de jardin et l’Être divin, est celui de « design », mot qui permet du reste également de mettre en parallèle la démarche de tout artiste avec l’acte de Création (l’univers lui-même n’est-il pas « a plot of God » ?58). Le parallèle est explicite dans Arnheim, où le « dessein » du poète consiste dans le fait de créer « an intermediate or secondary nature » qui correspondrait, mais « one step depressed », au « dessein » divin59 ; et l’on connaît la théorie du narrateur d’Arnheim selon laquelle la nature serait parfaite dans le détail, mais que « the arrangement of these parts will always be susceptible of improvement. »60 On peut donc penser que le paysagiste, parce qu’il est plus que tout autre artiste, étant donné la matière sur laquelle il travaille, susceptible de parvenir à effacer « the harshness or technicality of the wordly art »61, est aussi, de tous, celui qui s’approche le plus de cet idéal décrit dans Eureka : « … we should aim at so arranging the incidents that we shall not be able to determine, of any one of them, whether it depends from any one other or upholds it. »62
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63 A., p. 861 : « les anges terrestres » (A., p. 909).
41Ainsi, les actions de Dieu, de l’écrivain et du paysagiste sont-elles du même ordre : agencer le monde. On sait cependant que le commentaire d’Ellison interdit de voir dans cet arrangement l’affirmation d’une suprématie de l’homme sur Dieu : cette insuffisance de la nature serait la marque d’une dégradation, un « prognostic of death », donc une conséquence de la chute ; si l’homme améliore la nature en ordonnant des jardins paysagers, ce serait en fait parce qu’il n’est pas en état d’accéder à la vision d’ensemble de Dieu ou des « earth-angels »63.
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64 Jeffrey Hess, op. cit. : il rappelle que l’exergue est à lire dans le cont...
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65 A., p. 859 : « … accommodation aux yeux destinés à en contempler le résult...
42Il ne s’agit pas pour autant, comme le pense Jeffrey Hess en se fondant sur l’exergue de Fletcher64, d’affirmer que l’agencement du monde par l’homme serait un leurre, simple témoignage de son insuffisance, mais bien, je crois, de définir la fonction de l’artiste comme révélateur, ou plutôt comme médiateur : il est, de fait, celui qui donne à voir, celui qui permet une « adaptation to the eyes which were to behold it on earth »65. Pour y parvenir, une transition est nécessaire, celle d’un art :
66 A., p. 863-864 : « … art nouveau, dont l’œuvre sera pénétrée, [et qui] lui...
... made to assume the air of an intermediate or secondary nature - a nature which is not God, nor an emanation from God, but which still is nature in the sense of the handiwork of the angels that hover between man and God.66
43Cet art supérieur prend l’apparence d’un :
67 A., p. 863 : « … un paysage où la vastitude et la délimitation habilement ...
… landscape whose combined vastness and definitiveness - whose united beauty, magnificence and strangeness shall convey the idea of care, or culture, or superintendance, on the part of beings superior, yet akin to humanity…67
44Cet art est, à n’en pas douter, celui du paysagiste.
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68 A., p. 864 : « découragé par la difficulté de la description » (A., p. 911).
45Reste alors à comprendre comment les deux textes d’Arnheim et de Landor fonctionnent, non seulement comme « mise en pratique » de Eureka, mais aussi l’un par rapport à l’autre. Il me semble que le prolongement du Landscape Garden par The Domain of Arnheim peut s’expliquer par ce désir de rendre compte de la fonction de l’artiste. Suite paradoxale, puisque Poe se dit d’entrée « disheartened by the difficulty of description »68. Coquetterie ? Pas vraiment, car, de fait, nous n’aurons pratiquement aucune description d’Arnheim, – sauf à considérer que le long parcours qui y mène se passe déjà à l’intérieur du domaine : le texte, cependant, qui multiplie les murs et prend soin d’indiquer le moment précis de l’entrée, nous interdit cette lecture, même si le parcours est à l’évidence le fruit d’une volonté humaine. C’est que le propos est moins, ici, de décrire un jardin, que de décrire un cheminement initiatique, comme en témoignent la durée évidemment symbolique du parcours (du lever au coucher du soleil), les étapes (le passage de l’eau, son caractère labyrinthique, les multiples renversements dus au reflet ou à l’arrivée dans le bassin où la barque semble « tomb[er] du ciel ») et le passage d’obstacles successifs (murs de feuillage, gorge, paysage dénudé, mur de pierre), tous éléments qui relèvent, on l’a vu, d’une catabase. Arnheim est bien le récit d’une initiation, où le narrateur parcourt finalement le même cheminement, catabase et anabase, que Monos : il a fallu qu’il vive l’expérience d’une mort symbolique pour renaître, « purgé par la mort », à la connaissance de l’univers, que symbolise ici la vision du microcosme, du « paradis d’Arnheim ».
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69 Ce parcours vers Arnheim est ainsi moins à lire dans le contexte de l’art ...
46Mais ce parcours vers Arnheim, justement parce qu’il donne accès à la compréhension du « dessein divin », est également un cheminement vers l’art. Arnheim, en effet, est un lieu intermédiaire entre la nature et l’artifice, comme en témoigne la traversée, pour y parvenir, d’un paysage de plus en plus « visiblement artificiel » (p. 915)69 : « By degrees, lit-on au début du trajet, the idea of cultivation subsided into that of merely pastoral care » ; et plus loin :
70 A., p. 865 et 866 : « Par degré, l’impression de culture s’affaissait dans...
The thought of nature still remained, but her character seemed to have undergone modification : there was a wierd symmetry, a thrilling uniformity, a wizard propriety in these her works.70
47Progression que l’on peut lire comme un apprentissage, et qui conduit le narrateur à la vision tout à la fois cosmique et parfaitement esthétique du jardin.
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71 Dominique Peyrache-Leborgne (art. cit.) suggère de lire le parcours comme ...
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72 A., p. 870 : « l’œuvre fantastique des sylphes, des fées, des génies et de...
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73 Landor est non seulement un jardin de peintre, mais il est, beaucoup plus ...
48Le parcours initiatique me semble alors devoir permettre au narrateur d’accéder sinon au rang d’artiste, du moins à la double révélation de la Création et de l’art : la vision finale d’Arnheim, longue d’à peine une quinzaine de lignes, apparaît comme une quintessence du jardin, union de l’Orient et de l’Occident, en même temps qu’éveil de tous les sens71. Mais c’est aussi « the phantom handiwork, conjointly, of the Sylphs, of the Fairies, of the Genii, and of the Gnomes »72. C’est pourquoi, alors que Landor est, à n’en pas douter, d’abord une peinture73, Arnheim m’apparaît plutôt comme le pur produit de la tradition littéraire, succession de topoï, celui du locus amœnus, celui de la Jérusalem céleste, celui des contes de fées et des Mille et une nuits. Arnheim, c’est peut-être d’abord la grande victoire de la littérature, qui se joue du lecteur en réécrivant un texte avec d’infimes nuances, puis en lui promettant une description qui ne viendra jamais. Arnheim, c’est, somme toute, la grande victoire de l’art, et, par là-même, la révélation du mystère de la création.
49Peut-être sommes-nous alors en mesure de relire Landor et de comprendre sa vraie fonction en tant que « pendant » d’Arnheim. Considérer Landor comme un Paradis terrestre me semble, je l’ai dit, peu en accord avec les positions de Poe concernant la perfectibilité de l’homme. En revanche, on peut penser que ce texte constitue la description tant attendue du « jardin paysage » qu’Arnheim ne pouvait nous proposer puisque le jardin y est, de fait, indicible : le recours aux topoï est en quelque sorte le « aussi loin que l’on peut aller » dans la mort, dans la vision de l’au-delà. Landor, nous ramenant sur terre, rend la description possible. Mais le caractère initiatique du premier récit ne serait-il pas de ce fait perdu ?
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74 Le terme « gentle », par exemple, est répété cinq fois.
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75 L., p. 896 : « la perfection de la grâce naturelle, en antithèse avec l’ar...
50Or je me demande s’il ne faut pas justement lire Landor comme un récit d’initiation « ratée » – ce que le ton ironique du texte anglais, avec ses maladresses, ses clichés, la pauvreté d’un vocabulaire descriptif qui frise la niaiserie74, me semble en effet nous inviter à faire. Le narrateur, de bien des points de vue, évoque le personnage de Pym : c’est le même esprit rationnel qui compte, mesure, énumère, fait le scientifique – bref, voit les choses, mais n’y comprend rien. Ainsi, s’il est immédiatement sensible à l’intervention de l’art dans la composition du paysage, il en explique le fonctionnement, mais ne semble à aucun moment pressentir ce que devrait être – et ce qu’était, à Arnheim – la fonction de ce « réaménagement » de la nature : la révélation d’un ordre divin et d’un mystère, du pouvoir de l’artiste et des limites de l’homme. N’est-il pas, d’ailleurs, charmé par la jeune femme justement parce qu’elle représente « the perfection of natural, in contradistinction from artificial grace »75 : c’est assez clairement dire qu’il n’a pas compris la nature même de l’art, et sa nécessité selon Poe.
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76 E., p. 1342 : « intelligence finie » ; « l’absolue réciprocité d’adaptatio...
51On peut dès lors proposer deux interprétations du caractère effectivement plus « réel » de Landor. Il peut, d’une part, s’agir de limiter le pouvoir accordé dans Arnheim au paysagiste : le fait que l’art y soit immédiatement perceptible prouverait que le paysagiste reste aussi limité que tout artiste, ne manifestant qu’une « finite intelligence », incapable de parvenir à cette « absolute reciprocity of adaptation »76 propre à l’œuvre divine selon Eureka. À moins que, et je préfère cette lecture, il ne faille trouver dans Landor une mise en garde du même ordre que celle de The Narrative of Arthur Gordon Pym : le narrateur de Landor, comme Pym, serait l’exemple du mauvais lecteur, celui qui, rationalisant tout, passe à côté du sens. Le triptyque fonctionnerait ainsi à l’inverse de celui des trois récits de voyage : ouvrant sur la révélation (le parcours initiatique et la vision finale d’Arnheim), il s’achève par le rappel des conditions nécessaires à cette révélation, le dépassement de la raison par l’imagination, – ce que le narrateur de Landor, contrairement à celui d’Arnheim, se montre incapable de faire.
52Ainsi, l’art des jardins, et tout particulièrement le jardin pittoresque, fonctionne bien selon les principes fondamentaux de l’esthétique de Poe. Ceci explique l’espèce de reconnaissance émerveillée dont nous fait part le narrateur de ces deux contes, comme le Poe théoricien qui, pour illustrer ses théories, renvoie simplement son lecteur à l’art des jardins où, déjà, est à l’œuvre la « philosophie » qu’il entend appliquer à la littérature. Le jardin me semble ainsi pour Poe une forme de l’espoir, la preuve tangible que ses principes sont réalisables – voilà, peut-être, la vraie définition du Paradis...
53Mais le motif du jardin est à son tour enrichi par les aspirations de Poe : il devient ce lieu intermédiaire où l’artiste, en éveillant l’imagination, peut donner une idée du projet divin, peut dévoiler le monde comme une composition qui reste cependant mystérieuse, aussi mystérieuse que la vision d’Arnheim, – aussi mystérieuse que l’intrigue divine : le jardin ne fait pas autre chose que révéler un dessein et une énigme. L’écriture du jardin est bien, pour Poe, une forme de poétique.
Notes
1 Le poème contient déjà plusieurs éléments que l’on retrouvera dans les récits en prose : le motif édénique y est lié au thème de l’art et du divin. Voir Floyd Stovall : « An Interprétation of Poe’s “Al Aaraaf” », University of Texas Studies in English, 8 juillet 1929.
2 Le thème se manifeste déjà, certes, dans The Devil in the Belfry (mai 1839), mais de manière anecdotique, même si cette première occurrence en prose est justifiée par le mode de vie des habitants de Vondervotteimittiss. On retrouve le terme dans The Island of the Faye (juin 1841), dans Morning on the Wissahicon (automne 1843) et dans The Thousand-and-second Tale of Sheherazade (février 1845). L’index de B.R. Pollin (Word index to Poe’s Fiction, New York, Gordian Press, 1982) fait apparaître que dans les œuvres de fiction, le terme « landscape » apparaît en fait quasiment dans les mêmes textes que ceux où l’on trouve le terme « garden ».
3 Outre ceux cités dans la note précédente, on pourra se reporter à Silence (1838), Eleonora (1841), The Sphinx (1846).
4 Edgar Allan Poe, Contes - Essais - Poèmes, commentaires et notes de Claude Richard, Paris, Laffont, coll. » Bouquins », 1989, en particulier p. 1446 (c’est notre édition de référence en français) ; Robert D. Jacobs, « Poe’s Earthly Paradise », American Quaterly, xii, Fall 1960, n° 3 ; Jeffrey A. Hess, « Sources and Aesthetics of Poe’s Landscape Fiction », in American Quaterly, xxii, Summer 1970, n° 2, Pt. 1.
5 Arthur Mangin, Histoire des jardins, Tours, Mame, 1867 (nouvelle édition : 1874), id., 1883, p. 392-393.
6 À titre de comparaison, la notion de parc public sera prise en compte par les pouvoirs publics anglais dès 1833, entérinant ainsi plusieurs projets plus anciens. Central Park, deuxième jardin public des États-Unis (le premier est Fairmount à Philadelphie) est commencé seulement en 1858. Sur cette question, voir par exemple Alessandra Ponte, « Le Parc public en Grande-Bretagne et aux États-Unis : Du “Genius loci” au Génie de la Civilisation », in : Histoire des Jardins de la Renaissance à nos Jours, M. Mosser et G. Teyssot éd., Paris, Flammarion, 1991.
7 Voir W. Cobbett, The American Gardener, 1821 et The Horticulturalist, VI, p. 223-224, cités par Dereck Clifford, A History of Garden Design, London, Faber & Faber Ltd, 1962, ch. 10.
8 La région est à la même époque le lieu de prédilection du groupe de peintres dits de « Hudson River », dont le chef de file est Thomas Cole (cf. plus loin). Sur cette école, on pourra par exemple consulter Donald A. Ringe, « Painting as Poem in the Hudson River Æsthetic », American Quarterly, xii, Spring 1960, n° 1.
9 Roger Forclaz, Le Monde d’Edgar Poe, Berne et Francfort, Lang, 1974, p. 133 et notes p. 480-481 ; Van Wyck Brooks, America’s Coming-of-Age, New York, 1924, p. 353 et 446.
10 Le narrateur décrit le lieu « as I found it » (L., p. 897), qui s’oppose au « phantom handiwork » final d’Arnheim (A., p. 870). Baudelaire supprime la dernière phrase : « How he [Mr. Landor] made it what it was – and why, with some particulars of Mr. Landor himself – may, possibly form the subject of another article. » (L., p. 898). Ce « pendant » d’Arnheim s’arrête, somme toute, avant le contenu même d’Arnheim...
11 Remarquons cependant que, le tableau ayant été exposé en 1840 à Boston et en 1841 à New York, on peut s’étonner que Poe ne l’ait pas utilisé dès la première version du Landscape Garden en 1842 ; mais il est vrai qu’il était alors à Philadelphie.
12 Editorial Miscellanies, December 27, 1845 (II, p. 1111-1112).
13 Andrew J. Downing, A Treatise on the Theory and Practice of Landscape Gardening, adapted to America, New-York, 1841, New York, Putnam, 1849, 4e éd., p. 71. Notons cependant, p. 47, une phrase dont les termes peuvent en effet rappeler la nouvelle de Poe : « As a pendant to this graceful landscape, there is within the grounds scenery of an opposite charactere, equally wild and picturesque » : il s’agit d’un côté de « gently varied lawn [...] fine forest and ornamental trees », et de l’autre « a fine, bold stream, fringed with woody banks, and dashing over several rocky cascades ». Mais si l’utilisation de plantes naturelles, qui l’écarte définitivement de Loudon dont il s’était d’abord inspiré, semble en effet se retrouver dans Landor, comme le souligne Hess, c’est chez lui pour des raisons de modération et d’économie qui semblent bien étrangères à Poe...
14 Voir par exemple Richard Payne Knight, The Landscape, London, Bulmer & Cie, 1795, p. 6. On trouvera également certainement des sources très précises chez Archibald Alison. Robert D. Jacobs mentionne ce débat dans son article « Poe’s Earthly Paradise », op. cit., p. 406.
15 A., p. 862 : « Cette beauté originale [i.e. ce que revendique le style « naturel », et en cela il s’oppose au moins autant à Addison, qu’il cite, qu’à l’école naturaliste de Brown et Repton, qu’il ne cite jamais] n’est jamais aussi grande que celle que l’homme peut y introduire » (A., p. 910. Comparer à J.P., p. 603). À noter que lorsque Addison, dont Ellison commente les propos dans la nouvelle, parle de style « artificiel », il entend aussi le jardin formel à la française, à l’italienne ou ce que l’on a appelé en Angleterre le « style Tudor ».
16 A., p. 860 : « Je répète que, seulement dans la composition du paysage, la nature physique est susceptible d’ennoblissement, … » (A., p. 908. Comparer à J.P., p. 602).
17 A., p. 858 : « Son instinct lui disait que la plus parfaite sinon la seule satisfaction, propre à ce sentiment, consistait dans la création de formes nouvelles de beauté. » (A., p. 906. Comparer à J.P., p. 600).
18 William Gilpin, « Sur l’art de faire des esquisses en paysage », Trois essais sur le pittoresque, Essai III, Paris, éd. du Moniteur, 1982, p. 58 pour la traduction française.
19 Uvedale Price, An Essay on the Picturesque as compared with the Sublim and the Beautiful ; and on the Use of studying Pictures, for the Purpose of improving real Landscape, nouvelle édition augmentée de An Essay on Picturesque Beauty, Londres, 1794, London, Robson, t. 1, 1796, p. 28-45. On trouve aussi, au chapitre 7 du Livre I, l’évocation d’un paysage de collines boisées que surplombe un soleil nuageux ; de même, le chapitre 2 explique que « near the house, picturesque beauty must often be sacrified to neatness » (p. 37) : ce n’est donc pas forcément Downing qui inspire cette nuance à Poe, comme le suggère J. Hess.
20 L., p. 891 : une « petite construction pittoresque, ressemblant à une cabane destinée aux oiseaux » et « un pont qui, bien que d’une nature très primitive, avait l’air incroyablement léger. » (L., p. 952).
21 Alessandra Ponte, « Le Caractère de l’arbre chez Alexander Cozens et Richard Payne Knight », in : Histoire des Jardins de la Renaissance à nos Jours, op. cit. On y trouve p. 341 une reproduction de la gravure de Hearne. C’est d’elle également que je tire les remarques qui suivent sur le rôle des arbres.
22 A., p. 859 : « Dans la multiplicité de formes et de couleurs des fleurs et des arbres il reconnaissait les efforts les plus directs et les plus énergiques de la Nature vers la beauté physique » (A., p. 907. Comparer à J.P., p. 601).
23 William Gilpin, op. cit., p. 31, et p. 24 : le pittoresque consiste à « unir dans un tout une variété de parties » ; Uvedale Price, op. cit., II, 1, p. 276 (l’idée vient de Hogarth) et II, 2. Voir aussi R. P. Knight, The Landscape, op. cit., p. 21 : le contraste permet d’entretenir la perception. Il explique aussi, en des termes que l’on retrouve chez Poe, que « the picturesque is merely that kind of beauty which belongs exclusively to the sense of vision ; or to the imagination, guided by that sense », mais rappelle que l’œil seul ne perçoit rien : il a besoin de tous les autres sens – voilà qui n’est pas loin des synesthésies que l’on retrouve, par exemple dans The Colloquy of Monos and Una (note des vers 257-270, ajoutée à la seconde édition, p. 17 sq.). De même, Knight rejette tout élément de solennité, en des termes qui font penser à Ellison : « Hence, proud ambition’s vain delusive joys ! / Hence, wordly wisdom’s solemn empty toys ! / [...] Let me, retired from business, toil, and strife, / Close amidst books and solitude my life ». (v. 323-324 et 331-332, p. 26).
24 A., p. 862 : « Que le résultat du style naturel, en matière de jardins » n’est pas « dans l’absence de tout défaut et de toute incongruité », mais bien dans « la création de miracles et de merveilles spéciales » (A., p. 910. Comparer à J.P., p. 604. Baudelaire ajoute les italiques).
25 Knight, pour expliquer l’importance de « l’effet » – terme poesque s’il en est – dans le jardin, prend aussi l’exemple de la poésie et d’Homère (The Landscape, op. cit., p. 14).
26 Au début du xxe siècle encore, Lucien Corpéchot rappellera avec une pointe de nostalgie que le grand Le Nôtre s’enorgueillissait de son simple titre de « jardinier » (Les Jardins de l’intelligence, Paris, Émile-Paul, 1912).
27 Robert D. Jacobs, « Poe’s Earthly Paradise », op. cit., p. 406.
28 L., p. 887 : « un artiste, doué de l’œil le plus délicat à l’endroit de la forme » (L., p. 949).
29 A., p. 859 : « … le domaine le plus riche, le plus vrai et le plus naturel de l’art, sinon absolument le plus vaste, avait été inexplicablement négligé. Aucune définition n’avait été faite du jardinier-paysagiste comme [du : faux sens de Baudelaire] poète ; et cependant il semblait à mon ami que la création du jardin-paysage offrait à une Muse particulière [« authentique », dans J.P., p. 601] la plus magnifique des opportunités. » (A., p. 907. Les italiques sont de Baudelaire).
30 P. P. , II, p. 77 : « Le Sentiment poétique peut bien entendu se manifester dans des modes variés, [...] et très particulièrement dans une activité qui lui offre un vaste champ, la composition d’un jardin paysage. » (P. P. , p. 1023).
31 Thomas Whately, Observations on Modern Gardening, 1770. Pour la traduction française : L’Art de former les jardins modernes ou l’Art des Jardins anglais, Paris, Jombert, 1771, Reprint Genève, Minkoff, 1973, p. 14.
32 René-Louis de Girardin, De la composition des paysages ou des Moyens d’embellir la nature autour des habitations, en joignant l’agréable à l’utile, Genève, 1777.
33 P.C., II, p. 14-15 : « aucun point de la composition ne peut être attribué au hasard ou à l’intuition » (G.P. , p. 1009). C’est une idée qu’il reprendra un an plus tard dans Tale Writing (L’Art du conte), mais qu’il développait déjà dans la première version de cet essai en 1842, donc peu de mois avant d’écrire la première version d’Arnheim, et qu’on retrouve aussi dans un article de l’Evening Mirror en date du 17 janvier 1845, dont le titre, « Nature and Art », est particulièrement pertinent dans notre contexte.
34 L., p. 887 : Baudelaire traduit par « œuvre composée » (L., p. 949).
35 Tale Writing - Nathaniel Hawthorne, p. 586 : Baudelaire traduit « subordonnant tout à la volonté de parvenir à l’effet préconçu » (L’Art du conte, p. 1002) ; P. P. , II, p. 71 : « Cet impératif vital de l’œuvre d’art : l’Unité » (P. P. , p. 1018). Sur cet aspect, voir aussi The Philosophy of Composition, en particulier le second paragraphe : « Nothing is more clear than that every plot, worth the name, must be elaborated to its denouement » et « tend to the development of the intention » (P.C., II, p. 13 [S’il est une chose évidente, c’est qu’un plan [plutôt : une intrigue] quelconque, digne du nom de plan, doit avoir été soigneusement élaboré en vue du dénouement » et tend « vers le développement de l’intention », G.P., p. 1008]).
36 A. J. Downing : « The development of the Beautiful is the end and the aim of Landscape Gardening, as it is of all other fine arts » (op. cit., p. 18).
37 A., p. 859 : « … c’est dans la direction ou la concentration de cet effort [celui de la nature vers la « beauté physique »], ou plutôt dans son accommodation aux yeux destinés à en contempler le résultat… » (A., p. 907).
38 P. P. , II p. 78 : « ... considère la Beauté comme le domaine du poème, pour la simple raison que, selon une règle évidente de l’Art, les effets doivent procéder aussi directement que possible de leurs causes » (P. P. , p. 1023).
39 A., p. 859 et 863 : le jardin ouvre « le plus beau champ pour le déploiement d’une imagination appliquée à l’infinie combinaison des formes nouvelles de beauté » et donne le « sentiment d’une intervention spirituelle. » (A., p. 907 et 911). Sur la différence entre « fancy » et « imagination », voir les nombreux commentaires de Claude Richard.
40 P. P. , II, p. 77 : « effort éperdu pour atteindre la Beauté supérieure. » (P. P. , p. 1022).
41 A., p. 859 : « à l’accomplissement, non seulement de sa propre destinée comme poète, mais aussi des augustes desseins en vue desquels la Divinité a implanté dans l’homme le sentiment poétique. » (A., p. 907).
42 P.C., II, p. 24 : « Deux choses sont éternellement requises : l’une, une certaine somme de complexité, ou, plus proprement, de combinaison ; l’autre, une certaine quantité d’esprit suggestif, quelque chose comme un courant souterrain de pensée, non visible, indéfini. » (G.P. , p. 1016).
43 Également nommée « effet sharawaggi » par William Temple, qui la décrit comme étant le propre du jardin chinois dans Upon the Gardens of Epicurius (1685), la ligne courbe sera longue à être adoptée. L’un des premiers parcs où elle est utilisée est Chiswick (1727-1730), réalisé par William Kent.
44 Sur l’approche allemande de la question, voir par exemple la préface d’Erika Tunner à P. O. Runge, Peintures et Écrits, Klincksieck, 1991. On sait que Poe est influencé par les théories de Friedrich Schlegel.
45 Dominique Peyrache-Leborgne, « Le Paysage dans le Romantisme anglo-saxon et allemand » in : Paysage / Paysages (II), Les Cahiers du S.E.L., n° 2, 1997, p. 79 et 82. Sur ce rapprochement, voir aussi Bernard Marcadé, « Pour une Psychogéographie de l’espace fantastique : les architectures arabesques et grotesques chez E. A. Poe », Revue d’esthétique, 1974, 1.
46 Leo Marx, The Machine in the Garden. Technology and the pastoral Ideal in America, New York, Oxford University Press, 1964.
47 A., p. 866-868 : « barque fantastique » ou « magique », « cercle enchanté », « sentiment exquis d’étrangeté », (A., p. 913 et 915).
48 A., p. 866 et 868 : la « mélancolie funèbre », une « mélodie divine » [Baudelaire traduit par « surnaturelle »] (A., p. 913 et 915).
49 A., p. 870 : « moitié gothique, moitié sarrasine » (A., p. 916).
50 Sur cette tradition, voir Jean Delumeau, Une histoire du Paradis, Paris, Fayard, 1992.
51 Les quatre conditions du contentement sont : le « libre exercice en plein air », « l’amour de la femme », « le mépris de toute ambition » et « l’objet d’une poursuite incessante » (A., p. 904-905). Notons cependant que, même si le narrateur évoque la réussite du projet de vie d’Ellison, la vision qui nous est donnée d’Arnheim ne reprend rien de ces quatre points. Ce décalage pourrait aussi justifier la rédaction de Landor qui, à bien des points de vue, illustre cette théorie d’Ellison. Mais ceci n’explique pas l’apparente incohérence à l’intérieur du premier texte.
52 Par exemple Jeffrey Hess, op. cit., p. 187.
53 Poe n’hésite pas à reprendre plusieurs fois un même thème, mais en articulant les textes les uns aux autres : c’est le cas, par exemple, de la succession des récits de voyage MS found in a Bottle, The Narrative of Arthur Gordon Pym et A Descent into the Maelström qui, par sa structure, semble très proche de celle que composerait, selon moi, le triptyque Arnheim / Eureka / Landor. On peut donc légitimement supposer que Poe écrit Landor après Eureka parce qu’il lui semble qu’il manque quelque chose à Arnheim. Et ce quelque chose est peut-être, comme dans A Descent into the Maelström, une sorte de « solution » et, à coup sûr, une réponse d’ordre esthétique. Notons cependant que, dans le cas de Eureka, d’autres textes seraient à prendre en considération, comme, par exemple, Mellonta Tauta.
54 Richard Payne Knight, The Landscape, op. cit., p. 1 ; William Gilpin, « Sur le Beau pittoresque », op. cit., p. 31 et 24. S’ils ne sont pas les seuls à définir le jardin en ces termes, c’est plus souvent l’idée d’harmonie que les théoriciens soulignent ; l’intérêt tient ici à l’insistance avec laquelle s’exprime la tension entre le tout et les parties.
55 L., p. 887 : « Partout, la variété dans l’uniformité. » (L., p. 949).
56 E., p. 1278 : « … le dessein de tirer la variété de l’unité, la diversité de la similarité, l’hétérogénéité de l’homogénéité, la complexité de la simplicité, en un mot, la plus grande multiplicité possible de rapports de l’Unité expressément absolue. » (E., p. 1126).
57 Richard Payne Knight, The Landscape : « Its various part in harmony to join / With art clandestine, and conceal’d design », op. cit., p. 1.
58 Marginalia, nov. 1844, II, p. 1316 et Eureka, p. 1342 : « L’Univers est un plan [une intrigue] de Dieu. » (M., p. 1066 et E., p. 1179).
59 A., p. 863 : « une nature intermédiaire ou secondaire », « abaissée d’un degré » (A., p. 911) : la traduction de Baudelaire perd malheureusement ce parallèle, car il ne traduit pas de la même manière le terme « design » répété trois fois dans ce seul paragraphe.
60 A., p. 860 : « l’arrangement de ces parties sera toujours susceptible de perfectionnement. » (A., p. 908). Il ajoute : « … in landscape arrangements alone is the physical nature susceptible of exaltation » (A., p. 860 : « seulement dans la composition du paysage, la nature physique est susceptible d’ennoblissement », A., p. 908).
61 A., p. 863 : « la roideur et la technicité de l’art vulgaire » (A., p. 911).
62 E., p. 1342 : « nous devrions nous efforcer d’arranger les incidents de telle façon qu’il fût impossible de déterminer si un quelconque d’entre eux dépend d’un autre quelconque ou lui sert d’appui » (E., p. 1179) : c’est la théorie de la « reciprocity of adaptation » qui est, selon Poe, « the idiosyncrasy of the Divine Art » (E., p. 1354 : « la grande caractéristique de l’Art divin », E., p. 1189).
63 A., p. 861 : « les anges terrestres » (A., p. 909).
64 Jeffrey Hess, op. cit. : il rappelle que l’exergue est à lire dans le contexte d’ensemble du poème de Fletcher, où le jardin est un leurre. Sans aller jusque là, on peut aussi considérer que l’exergue a pour fonction d’installer ces textes dans un contexte utopique. Telle pourrait également être la fonction de l’étonnante remarque sur l’argent dans Arnheim.
65 A., p. 859 : « … accommodation aux yeux destinés à en contempler le résultat sur cette terre » (A., p. 907). Claude Richard signale le parallèle possible, que perd la traduction française, entre Arnheim et Eureka, autour de ce terme d’« adaptation » (note 7, p. 1438).
66 A., p. 863-864 : « … art nouveau, dont l’œuvre sera pénétrée, [et qui] lui donnera l’air d’une nature intermédiaire ou secondaire, une nature qui n’est pas Dieu ni une émanation de Dieu, mais qui est la nature telle qu’elle serait si elle sortait des mains des anges qui planent entre l’homme et Dieu. » (A., p. 911).
67 A., p. 863 : « … un paysage où la vastitude et la délimitation habilement combinées, où la réunion de la beauté, de la magnificence et de l’étrangeté suggéreront l’idée de soins, de culture et de surintendance de la part d’êtres supérieurs mais cependant alliés à l’humanité ; … ». (A., p. 911).
68 A., p. 864 : « découragé par la difficulté de la description » (A., p. 911).
69 Ce parcours vers Arnheim est ainsi moins à lire dans le contexte de l’art des jardins que comme une réflexion très subtile sur la notion de paysage – dont le jardin pourrait alors être considéré comme l’aboutissement.
70 A., p. 865 et 866 : « Par degré, l’impression de culture s’affaissait dans celle d’une vie purement pastorale » ; puis : « L’idée de nature subsistait encore, mais altérée déjà et subissant dans son caractère une curieuse modification ; c’était une symétrie mystérieuse et solennelle, une uniformité émouvante, une correction magique dans [s]es ouvrages… » (A., p. 913).
71 Dominique Peyrache-Leborgne (art. cit.) suggère de lire le parcours comme une initiation esthétique, qui fait passer du pastoral au cosmique sublime et fait jouer les correspondances.
72 A., p. 870 : « l’œuvre fantastique des sylphes, des fées, des génies et des gnomes réunis » (A., p. 916).
73 Landor est non seulement un jardin de peintre, mais il est, beaucoup plus qu’Arnheim, me semble-t-il, une peinture, et l’illustration des thèses de la deuxième génération « pittoresque » : un jardin qui ne cherche pas à imiter la nature. Peinture, donc, que ce jardin où tout parle à la vue, où tout dépend du « point de vue », où la « scène se révèl[e] à la vue comme des tableaux fondants [sic : pour évanescents] » (L., p. 949), où la couleur est si intense qu’elle en devient « monstrueuse », où tout, aussi, est théâtral. Et la description de l’arbre poussant au milieu des rochers et encerclé par l’eau peut renvoyer à des dizaines de tableaux de l’époque. C’est bien, d’ailleurs, un « tableau » que le narrateur veut peindre à son lecteur (L., p. 951).
74 Le terme « gentle », par exemple, est répété cinq fois.
75 L., p. 896 : « la perfection de la grâce naturelle, en antithèse avec l’artificielle. » (L., p. 956).
76 E., p. 1342 : « intelligence finie » ; « l’absolue réciprocité d’adaptation » (E., p. 1179).
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Isabelle Krzywkowski
Université Grenoble Alpes / U.M.R. Litt&Arts – ISA