La Réserve : Livraison du 09 janvier 2016

Sabine Luciani

L’art de la parole : pratique et pouvoir du discours. Lucrèce et la voix de la Nature

Initialement paru dans : Vita Latina 183-184, mars 2011, p. 205-217

Abstract

The aim of the following article is to study the relation between Rhetoric, Poetics, and Philosophy in Lucretius De rerum natura. Seeking to convert his Roman reader to Epicureanism, the poet implements propagandistic strategies, which provide an important role to Poetry and Rhetoric, although Epicurus had harshly criticized them. This lucretian didactic method based on dialogue is then explained and analyzed through the study of the Nature’s speech in book III.

Texte intégral

  • 1 Cf. Cic. Fam. XV, 9, 2 ; Acad. Post. 5-6 ; Tusc. I, 6 ; II, 7 ; IV, 6. Sur ...

  • 2 Cf. Cic. de Or. III, 63-64; Leg. I, 39; Sest. 138; Fin. I, 23-24; II, 72-74...

  • 3 Cf. Cic. de Or. III, 135. Sur les réticences romaines à l’égard de la philo...

1En composant son poème De rerum natura, Lucrèce entend faire connaître et diffuser à Rome la doctrine de son maître Épicure, qui a enseigné à Athènes à partir de 306 avant notre ère. Plaçant d’emblée son œuvre sous l’égide de la déesse Vénus, qui incarne le principe de plaisir épicurien, le philosophe veut mettre à profit les ressources de la poésie pour transmettre en latin la philosophie du Jardin. Pour être compréhensibles, les enjeux de ce projet doivent être replacés dans le contexte sociologique et intellectuel de la Rome tardo-républicaine. Dans cette perspective, il convient d’abord de rappeler les reproches d’inculture et d’absence d’élaboration littéraire habituellement adressés aux épicuriens1. Mais, outre le problème lié à la paideia, Lucrèce doit également prendre en compte la mauvaise réputation à laquelle était nécessairement en butte au sein de l’élite politique romaine une philosophie qui prône le plaisir et l’abstention politique2. Si l’on se fie au témoignage de Cicéron, il apparaît que la philosophie en général et l’épicurisme en particulier étaient jugés comme des doctrines adventices, incompatibles avec les valeurs de la cité et le mos maiorum3. Face, au mieux à l’ignorance, au pire à l’hostilité, le philosophe latin doit non seulement exposer les découvertes d’Épicure, mais il doit vaincre les réticences de ses contemporains par le biais de la séduction et de l’émotion. D’où l’élaboration d’un poème didactique en six chants, qui s’apparente peu ou prou à un texte de propagande, voué à la défense et à l’illustration du Jardin.

  • 4 Cf. DRN I, 62-79 ; III, 1-16 ; V, 1-22 ; VI, 1-42.

2Conçu comme une épopée à la gloire d’Épicure4, l’exposé est structuré selon un plan tripartite, qui permet de présenter les principaux aspects de la philosophie épicurienne : principes de physique dans les deux premiers chants ; conception de l’homme et problème de la mort dans les deux suivants ; histoire du monde, de l’homme et explication des phénomènes naturels dans les deux derniers. Lucrèce veut convertir ses contemporains à l’épicurisme, qui constitue selon lui la seule et unique doctrine capable de guérir définitivement tous les maux dont souffrent les hommes et les femmes. Ce prosélytisme, qui s’adresse prioritairement aux lecteurs cultivés, fait fond sur l’association du pathos et du raisonnement : il faut d’abord montrer les misères de la condition humaine en suscitant crainte et pitié afin de déclencher une prise de conscience, puis expliquer à grand renfort d’arguments rationnels en quoi l’épicurisme constitue le remède approprié et enfin provoquer chez le lecteur le désir d’adopter cette doctrine. Pour ce faire, Lucrèce met au service de son projet didactique les ressources de la poésie et de l’éloquence tant dans les procédés stylistiques mis en œuvre que dans le dialogue fictif qu’il engage avec son lecteur. Nous verrons grâce à l’étude d’un extrait du troisième chant que cette recherche d’oralité conduit le poète à multiplier les voix au sein du poème et à donner la parole à la Nature, objet même de son enseignement.

La poésie peut-elle enseigner ?

  • 5 Cf. D. Markovic (2008) : 1-14.

  • 6 Cf. Plut. 163 Us. ; 229 Us. Concernant le jugement d’Épicure sur la poésie,...

  • 7   Cf. D.L. X, 120-121 et Plut. 20 Us.

  • 8 Sur ce poète philosophe épicurien, originaire de Syrie, auteur de poèmes pu...

  • 9 Cf. J. M. André (1977) : 110.

3Selon l’image suggestive élaborée par D. Markovic, le De rerum natura s’apparente à un monstrum ayant pour tête la philosophie, pour membres et cou la poésie épique et pour plumage la rhétorique5. De fait, le De rerum natura constitue bien, au sein de la tradition épicurienne, un monstrum au plan formel puisqu’il met à profit les ressources de la poésie et de la rhétorique, disciplines vivement critiquées par Épicure. On sait en effet qu’Épicure se défiait de la poésie, et notamment de la poésie homérique, et méprisait, du moins en théorie, toute élaboration littéraire6. Compte tenu de ce jugement, le choix opéré par Lucrèce, qui revendique avec force le statut de poète (DRN, I, 921-930), semble hétérodoxe. Il peut néanmoins être en partie justifié par les nuances qui apparaissent dans la position d’Épicure et par l’évolution qui se révèle chez ses disciples. Le fondateur du Jardin admettait en effet que les philosophes pussent apprécier la poésie dans la mesure où le désir d’entendre de beaux vers s’apparente aux désirs naturels et non nécessaires, comme tous les désirs relatifs au plaisir de la beauté (musique, théâtre, danse, chant)7. De plus, la composition de poésie n’était pas en soi interdite par l’école et l’épicurien Philodème de Gadara, contemporain de Lucrèce, est célèbre pour ses épigrammes érotiques8. La poésie pouvait donc être acceptée à titre de divertissement et de plaisir social, dépourvu de toute valeur morale9, mais elle était jugée impropre à transmettre les résultats de la recherche philosophique. Dans ces conditions, pourquoi Lucrèce a-t-il précisément choisi d’exposer la doctrine d’Épicure sous la forme d’un poème épique ?

  • 10 Cf. DRN I, 935-947.

  • 11 Sur la poésie didactique antique, cf. K. Volk (2002) : 25-68.

  • 12 Aratos de Soles est un poète grec du iiie siècle avant J.C., auteur d’un p...

  • 13 Nicandre de Colophon est un médecin et poète grec du iie siècle avant J.C....

  • 14 Cf. Épic. Lettre à Hérodote 35, traduction J.F. Balaudé ; voir aussi Lettr...

4Considérant la poésie comme une voie d’accès à la vérité, Lucrèce justifie lui-même ce choix en se référant à l’analogie entre philosophie et médecine et à l’image du miel poétique10. Cette démarche pédagogique est à mettre en relation avec le développement de la poésie didactique, qui était déjà perçue comme un type littéraire distinct dans la poésie latine du ier siècle avant notre ère11. Le « genre poético-didactique » connut une grande faveur à l’époque hellénistique, comme en témoigne le succès des Phénomènes d’Aratos12 et des Theriaca et Alexipharmaca de Nicandre13. En intégrant son exposé épicurien à une telle tradition, Lucrèce rejoint les méthodes de la paideia antique, fondée sur la lecture et la mémorisation des textes poétiques. Or Épicure lui-même avait souligné l’importance de la mémorisation dans la pratique de la philosophie et composé à l’attention de ses disciples des résumés « destinés à leur faire garder suffisamment en mémoire les opinions les plus générales14 ».

  • 15 Cf. P. H. Schrijvers (2007) : 60 ; 66-67.

  • 16 Cf. DRN I, 729-733. Concernant l’influence d’Empédocle sur le De rerum nat...

  • 17 Cf. Aristt. Poet. 1447b16. Concernant la dimension exemplaire du Sur la na...

  • 18 Cf. Cic. De or. II, 115 : « prouver la vérité de ce que l’on affirme, se c...

  • 19 Sur les liens originels et fonctionnels entre poésie et rhétorique, cf. J....

5Enfin, il convient de mentionner avec P. Schrijvers l’argument de la maiestas : seule la parole poétique aurait le pouvoir d’exprimer la grandeur de la doctrine et la majesté du dieu Épicure15. Dans cette perspective, la poésie épique constitue, du fait de son style élevé, le medium de diffusion idéal pour une doctrine grandiose. Selon une stratégie très étudiée, Lucrèce valorise le philosophe grec et sa doctrine en leur attribuant une dimension cosmique : dès le prologue, le plaisir est ainsi élevé au rang de divinité au moyen d’une identification à Vénus, dont Lucrèce chante le pouvoir sur toutes choses (DRN I, 1-15). Quant à Épicure, il revêt la figure d’un héros épique, qui le premier osa affronter l’infâme religion et parcourir l’univers pour en révéler les lois (DRN I, 62-79). Puisque seule la poésie est en mesure de rendre justice à la grandeur de son sujet, Lucrèce se place sous l’auctoritas d’Empédocle16, dont le poème Sur la nature constitue en quelque sorte un modèle du genre poético-didactique17. Cependant son objectif, qui consiste à la fois à enseigner, à plaire et à émouvoir n’est pas sans évoquer la célèbre définition cicéronienne des trois tâches de l’orateur18. Dans ces conditions, l’étude de la poétique lucrétienne est étroitement liée au statut de la rhétorique au sein du De rerum natura19.

Rhétorique et dialogisme

  • 20 Cf. L. Pernot (2000) : 6-7.

  • 21 Cf. la synthèse de E. J. Kenney (2007) : 92-110.

  • 22 Sur cette question, cf. C. J. Classen (1968) : 111-114 ; E. Asmis (1983) :...

  • 23 Cf. D.L. X, 6, 13 et 118 et Diogène d’Oenoanda, fr. 112 et 127 Etienne & O...

  • 24 Cf. Phil. Rhet. II, Pherc. 1672, col. 22, 7-25 ; Pherc. 1674, col. 38, 2 s...

  • 25 L’expression est empruntée à G. Calboli (2003) : 204.

  • 26 Cf. DRN I, 931-934.

  • 27 Cf. DRN I, 140-145. Les objectifs rhétoriques d’ornementation, de clarté e...

6Une précision préalable s’impose : la rhétorique sera ici entendue au sens large de « technique visant à l’efficacité, de méthode de production du discours persuasif20 ». Selon cette définition, qui permet d’étendre la uis persuadendi à toute forme de discours, l’omniprésence de la rhétorique dans l’ensemble du poème lucrétien est difficilement contestable21. En revanche, son utilisation consciente dans un texte épicurien est, elle aussi, problématique, eu égard aux réticences formulées à son encontre par Épicure22. D’après les témoignages dont nous disposons, il semble en effet qu’Épicure ait mis ses disciples en garde contre les discours des rhéteurs et réduit la rhétorique à l’exigence de clarté23. Cependant, ses successeurs paraissent avoir adopté une position plus favorable à la rhétorique. Dans son traité Sur la rhétorique, Philodème de Gadara défendait la thèse selon laquelle Épicure n’aurait pas condamné la rhétorique dans son ensemble mais seulement la rhétorique politique et judiciaire, considérant que la rhétorique épidictique était, quant à elle, fondée sur une compétence technique susceptible d’être enseignée24. Quoi qu’il en soit, Lucrèce, qui devait avoir reçu une solide formation rhétorique, fait un usage instrumental de ce savoir-faire, qu’il met « sans scrupule doctrinal25 » au service de son projet didactique. Pour ce faire, il prend soin d’insérer sa démarche au cadre épicurien en souscrivant explicitement à l’impératif de clarté, safh&neia, formulé par son maître26 . Le poète veut que, par l’entremise de ses lucida carmina, son disciple contemple de ses propres yeux les secrets de la nature27.

  • 28 Cf. DRN I, 26 ; 42 ; 411 ; 1052 ; II, 143, 182 ; V, 8, 93, 164, 867, 1282....

  • 29 Sur ce personnage et ses rapports avec Lucrèce, cf. G. B. Townend (1978) :...

  • 30 Cf. DRN I, 803-804 et 897-899.

  • 31 Cf. DRN I, 265, 921 ; II, 62 ; 333 etc.

  • 32 Cf. DRN I, 50-53 et 80-83.

  • 33 Sur la notion de « poetic simultaneity », cf. K. Volk (2002) : 40.

  • 34 Cf. A. & Y. Lehmann (2007) : 75-84.

  • 35 Cf. G. Achard (20063) : 110.

7Or cette parole de clarté renvoie au lien fonctionnel qui unit rhétorique et dialogisme au sein du projet lucrétien. Si le lecteur représente effectivement l’enjeu de l’entreprise, il est naturel que le poète-professeur lui accorde toute son attention et cherche à établir avec lui un dialogue permanent, propre à favoriser sa compréhension et son adhésion. D’où l’importance particulière accordée aux rapports maître-élève dans la poésie et la rhétorique lucrétiennes. Mais, selon un procédé usuel dans la poésie didactique, le lecteur qu’il s’agit d’instruire est inséré au discours sous la forme d’un interlocuteur intra-textuel, qui, apostrophé nominativement à onze reprises, est le plus souvent interpellé au moyen d’un simple pronom personnel28. Cet interlocuteur, généralement identifié à C. Memmius, orateur de talent et personnalité politique liée à César29, joue un rôle essentiel dans la structure du texte. Lucrèce ne cesse en effet de l’interroger, d’attirer son attention, de devancer ses objections30, de l’impliquer dans son raisonnement31 et de solliciter sa coopération32 . Grâce à la place qu’il confère au dialogue et à l’oralité, le philosophe crée l’illusion d’une situation d’enseignement : le lecteur, croyant lire le poème en même temps qu’il s’écrit33, se trouve spectateur d’un dialogue fictif entre maître et disciple. Cette mise en scène est à mettre en relation avec l’importance du dialogue à Rome et avec la « croyance aux vertus de l’enseignement oral34 ». Or cette culture du dialogue35 est très prégnante dans le troisième livre, et en particulier dans la célèbre prosopopée de la Nature.

La prosopopée de la Nature : admonitio et obiurgatio

  • 36 Cf. E. Rand (1934) : 243-266 ; B. Wallach (1976) ; C. Rambaux (1980) : 201...

  • 37 Cf. Épic. Maximes Capitales II : « La mort n’a aucun rapport avec nous ; c...

8Si Lucrèce a façonné la doctrine d’Épicure selon un modèle influencé par la théorie rhétorique de son temps, cette influence est particulièrement marquante dans la composition du livre III36, qui occupe une position centrale dans le De rerum natura et un rôle essentiel dans le projet lucrétien. L’objectif de ce chant est de mettre en évidence le principe fondamental de la doctrine épicurienne selon lequel la mort n’est rien pour nous37. Pour ce faire, le chant III, construit selon le modèle d’une thèse rhétorique, fait suivre le prologue (III, 1-93) d’une confirmatio, dans laquelle Lucrèce énumère les arguments à l’appui de sa thèse (III, 94-869), et d’une refutatio, qui vise à répondre aux objections des adversaires (III, 870-1094). Le rapport entre le caractère mortel de l’âme et la proposition à démontrer (III, 830-869) est explicité à la fin de la confirmatio : c’est précisément parce que l’âme humaine est mortelle que la mort n’est pas à craindre puisque la mort, qui correspond à un total néant de sensation, est forcément étrangère à l’être vivant, sensible et pensant que nous sommes. Mais, conscient du fait que, face à la crainte de la mort, l’évidence rationnelle est insuffisante, Lucrèce s’efforce dans un style inspiré de l’éloquence politico-judiciaire de réfuter l’opinion commune selon laquelle la mort est un mal. Malgré un désordre apparent, cette partie contradictoire obéit à une logique sous-jacente fondée sur la succession des objections et des réponses apportées. La première crainte évoquée concerne le devenir du cadavre. Elle est réfutée par la thèse de l’insensibilité (870-893). Cette réponse suscite une deuxième objection liée à l’idée de privation : même si le mort ne souffre pas, il ne peut plus jouir des biens de la vie. Lucrèce rétorque qu’au lieu de s’exhorter à jouir des plaisirs sous prétexte que la vie est brève, les hommes devraient se rappeler que la mort, qui est semblable au sommeil, exclut tout désir et tout regret.

  • 38 Pour un commentaire détaillé du passage, cf. P. Michael Brown (1997) : 202...

  • 39 Cf. Rhét. Her. IV, 53, 66 ; Cic. Or., 138 ; Quint. VI, I, 25 ; IX, 2, 29.

  • 40 Cf. S. Aubert-Baillot (2006) : 79-83.

  • 41 Cf. Plat. Crit. 50a-b

  • 42 Cf. Télès, 6, 8-8, 5 ap. Stob. Flor. 3, 1, 98 = fr. II. 6-8 Fuentes Gonzál...

  • 43 Sur cette (re)définition de la diatribe en contexte d’énonciation pédagogi...

  • 44 Le thème de la plainte et de l’insatisfaction est omniprésent dans le text...

9C’est à ce point de la réfutation que Lucrèce fait entrer en scène un nouveau locuteur. Généralisant son propos, le poète donne la parole à la Nature, qui s’adresse à un mortel quelconque pour lui faire force reproches. Il s’agit de la célèbre prosopopée de la Nature (III, 930-962)38, dont je voudrais commenter les procédés rhétoriques les plus marquants et proposer une interprétation d’ensemble. La figure de pensée qui donne sens et unité au passage est une prosôpopoiia ou, en latin, personae fictio ou conformatio, qui consiste à faire parler un mort ou une abstraction, comme la vertu ou la patrie39. Cette figure, qui fait appel à l’imagination, est particulièrement propre à animer le discours en l’amplifiant et à faciliter la persuasion en suscitant l’émotion40. On trouve un célèbre antécédent de ce procédé dans le Criton, où le Socrate de Platon donne la parole aux lois pour justifier son refus de fuir sa prison41. Mais on peut également rapprocher ces vers de la prosopopée de Pauvreté, qui figure dans un fragment issu d’une diatribe de Télès42. Même s’il est difficile de démontrer que Lucrèce a directement imité ce moraliste, les rapprochements constatés montrent que le poète s’est inspiré des procédés utilisés dans la diatribe, entendue comme « genre littéraire caractérisé par une situation d’énonciation marquée par le schème scolaire maître-disciple43 ». Compte tenu de son objectif pédagogique clairement avoué, il n’est pas surprenant que le poète ait mis ce matériau non-épicurien au service de son réquisitoire contre la memyimoiri&a, c’est-à-dire l’attitude qui consiste à se plaindre de son sort44. Cette démarche « scolaire » apparaît dans la structure et le détail du texte.

10La composition du passage est fondée sur le principe de la diuisio :

1. Prenant une première fois la parole, la Nature établit un dilemme, opposant une bonne et mauvaise attitude morale :
- ou bien le mortel a su jouir des plaisirs de la vie et alors il doit se retirer de l’existence comme un convive rassasié (v. 935-939 : nam si…)
- ou bien la vie lui pèse car il n’a pas su apprécier ses biens ni les conserver en mémoire, et dans ce cas, il est inutile de prolonger son existence car tout est toujours pareil (v. 940-945 : sin…).
- ce dilemme est ensuite précisé par une nouvelle division qui distingue l’homme jeune du vieillard. Face à une mort prématurée, le jeune homme ne doit pas se sentir frustré d’être privé des plaisirs de la vie car il n’a rien de nouveau à attendre (v. 946-949 : si tibi…).

11Notons que, dans ce discours, la Nature adopte un ton ferme, mais conciliant : pour exhorter l’homme à accepter la mort, elle recourt à des interrogations rhétoriques (v. 932-933 ; v. 938 ; v. 941-943) et prend la peine de réitérer l’argument décisif du nihil noui (v. 945 ; v. 947). Après une interruption qui permet à Lucrèce de marquer son approbation (v. 950-954) et d’introduire le cas du vieillard (v. 952 : grandior hic uero si iam seniorque…), la Nature se voit attribuer de nouveau la parole (v. 955-962) :

2. Cette seconde prosopopée donne lieu à une gradation car les plaintes de celui qui a longuement vécu sont encore moins justifiées que celles de l’homme jeune (v. 953 : lamentetur miser amplius aequo). C’est pourquoi le ton de la Nature se durcit (v. 954 : inclamet magis et uoce increpet acri) : les interrogations pédagogiques de la première prosopopée font place à des attaques directes (v. 955 : barathre), à des impératifs (v. 955 ; v. 961 ; v. 962) et à des reproches (v. 957 ; v. 958). Les lamentations du vieillard sont déplacées car, ayant gaspillé sa vie par le désir des biens absents, il est le seul et unique responsable de sa frustration. Le discours de la Nature s’achève par une injonction pressante à laisser la place (v. 961-963).

12La composition du texte ménage donc une progression dans l’argumentation grâce à un changement d’interlocuteur et aux interventions du poète. Ces éléments structurels encadrent et mettent en valeur les figures qui émaillent le texte.

  • 45 Cf. Cic. de Or. II, 349 : Cicéron précise que les lieux relatifs à l’éloge...

  • 46 Cf. Cic. de Or. II, 339.

13Parmi elles, il convient d’accorder une attention particulière à l’analogie juridique qui sous-tend le texte. Il s’agit d’un procès (v. 950 : litem) intenté aux mortels par la Nature, qui plaide sa cause (v. 951 : exponere causam) et exige que l’on accepte la mort. S’érigeant en juge, Lucrèce prononce la sentence et donne raison à la Nature (iustam litem ; ueram causam ; v. 963 : iure…iure). Comme il l’indique un peu plus bas, ce jugement est fondé sur l’idée que la vie n’est pas une propriété mais un usufruit (v. 971 : mancipio nulli / omnibus usu). Le cadre judiciaire de la prosopopée se trouve placé au service de son objet principal, à savoir l’exhortation à accepter sereinement la mort. En ce sens, le discours de la Nature relève de l’éloquence délibérative et met à profit les lieux relatifs au blâme, qui en constitue la tonalité dominante (v. 932 : increpet ; v. 954 : inclamet ; increpet ; 963 : increpet inciletque)45 : c’est en reprochant au mortel ses inconséquences que la Nature entend lui faire prendre conscience de ses erreurs et le convaincre que la mort est une loi générale à laquelle il doit se soumettre sans protester. La structure du texte suggère en outre une nuance entre deux types de blâmes qui se trouvent précisément distingués par Cicéron : l’obiurgatio ou réprimande liée à l’autorité du locuteur et l’admonitio ou remontrance, qui est une réprimande adoucie46. Si la Nature se contente d’une admonitio à l’égard du jeune homme, elle adresse au vieillard une sévère obiurgatio. Lucrèce fait donc fond sur tous les genres de discours pour conférer aux arguments épicuriens toute l’auctoritas nécessaire.

  • 47 Cf. DRN III, 1003-1010. Sur la signification et l’origine de cette image, ...

  • 48 Cf. Plat. Gorg. 493a ; Rep. II, 363.

  • 49 Sur la notion épicurienne de condensation temporelle, cf. Épic. Maximes Ca...

  • 50 Cf. Épic. Maximes Capitales, 18-21 et S. Luciani (2000) : 231-243.

  • 51 Cf. T. Reinhardt (2002) : 303-304.

14Les images qui soutiennent l’argumentation méritent également d’être examinées. La première revêt la forme d’une comparaison entre l’âme de l’insensé et un vase percé : pertusum …quasi in uas (v. 936). Cette image sera reprise un peu plus bas à propos du mythe des Danaïdes, qui symbolisent l’insatiabilité du désir47. Or ce lieu commun qui remonte à Platon48 n’apparaît pas chez les prédécesseurs épicuriens de Lucrèce. Son pouvoir d’évocation est pourtant mis à profit à deux reprises dans le De rerum natura pour illustrer l’importance de la gratitude (v. 935 : grata ; 937 : ingrata ; 940 : profusa ; 942 : ingratum / v. 1003 : animi ingratam naturam ; v. 1004 : satiare numquam). Cette notion renvoie elle-même au processus épicurien de condensation temporelle, qui permet de réactiver le souvenir des plaisirs passés et d’assurer leur perpétuité dans le cours du temps49. Pour les épicuriens en effet, le plaisir n’est pas corrélé à la durée puisque, pour le sage, le temps infini ne comporte pas plus de plaisir que le temps limité50. Cependant, le poète, qui s’adresse à des novices, doit tenir compte des préjugés de son auditoire, qui n’est sans doute pas disposé à accepter cette théorie complexe et paradoxale. C’est pourquoi il substitue à l’exposé théorique l’image topique du vase, précisée par l’affirmation selon laquelle les choses sont toujours semblables. Cette stratégie argumentative lui permet de répondre non seulement aux objections portant sur la privation des plaisirs mais à l’idée selon laquelle une mort prématurée frustre injustement le sujet des promesses de la vie51.

  • 52 Cf. Hor. Serm. I, 1, 118-119 ; Ep. II, 2, 214 ; Sen. Luc. 61, 4 ; 98, 15 ;...

  • 53 Cf. P. Boyancé (1963) : 177.

  • 54 Cf. v. 940-943/957-958 : thème des biens gaspillés ; v. 938/960 : motif du...

15D’où une seconde comparaison, étroitement liée à la première (plenus répond à pertusum), celle du convive rassasié (v. 938 : ut plenus uitae conuiua ; v. 960 : satur ac plenus possis discedere rerum), qui connaîtra un grand succès dans la littérature postérieure52. Cette image a pu paraître inadéquate dans la mesure où elle ne semble pas pouvoir s’appliquer à l’homme jeune, qui, ayant pour ainsi dire tout juste pris l’apéritif, se voit contraint de quitter la table avant d’avoir profité du repas53. En fait, il faut comprendre que chacun, quel que soit son âge, doit se tenir prêt à quitter la vie comme le ferait un convive repu. Puisque tout est toujours pareil et que le plaisir n’est pas lié à la durée, mais à la manière dont le sujet éprouve et retient les biens présents, un instant de plaisir devrait suffire à nous rassasier de la vie. Par conséquent, l’image du convive ne se limite pas à illustrer l’attitude du sage, jeune ou vieux, face à la mort, elle offre à tous les hommes un modèle de conduite pour orienter leur vie. Les parallélismes entre les deux parties de la prosopopée soulignent en effet leur unité thématique : quel que soit l’âge du sujet, le refus de la mort est motivé par une même attitude erronée à l’égard des plaisirs54. L’idée dominante est celle du gaspillage provoqué par l’ingratitude, c’est-à-dire à la fois l’ignorance du véritable plaisir et l’incapacité à en prolonger la jouissance par le souvenir.

Conclusion

  • 55 Sur la dimension totalisante du projet lucrétien, cf. D. Kennedy (2007): 3...

  • 56 Cf. DRN III, 964-965. Voir aussi II, 297-302 ; V, 56-58 ; 832-833.

16Il est désormais temps de conclure sur la théorie et la pratique du discours dans le De rerum natura. L’étude de la uox Naturae nous a permis de résoudre certaines difficultés théoriques rencontrées dans la première partie de l’exposé. Nous avons pu voir que la fin justifie parfois les moyens et que la fidélité de Lucrèce au message épicurien s’accommode paradoxalement de quelques écarts formels vis-à-vis de l’enseignement du maître lui-même. La double prosopopée illustre parfaitement cette démarche audacieuse et créatrice. En faisant brusquement entrer la Nature dans l’arène philosophique, Lucrèce ne se contente pas d’amplifier son propos en conférant un relief dramatique à ses arguments. Il ne fait rien moins que donner la parole à l’univers, à cette rerum natura qu’il prétend expliquer totalement dans son poème55. En personnifiant la somme des choses, qui consiste dans un ensemble d’atomes en mouvement dans le vide illimité, Lucrèce met sous les yeux du lecteur cette loi naturelle immuable, qui se traduit par un équilibre permanent de la vie et de la mort destiné à garantir l’invariance globale : « La vieillesse cède toujours à la nouveauté qui la chasse et il est nécessaire qu’une chose soit restaurée aux dépens des autres56 ». C’est cette loi de stabilité, fondée sur les échanges atomiques, que la voix de la Nature, qui se substitue momentanément à celle du poète, incarne par son discours.

  • 57 Cf. D. Markovic (2008) : 129-136.

17Cependant, pour efficace qu’il soit, le procédé n’en est pas moins dangereux, dans le sens où il pourrait tromper le lecteur. Et on aperçoit ici les possibles dérives liées au pouvoir du discours. Pour les besoins de sa réfutation, Lucrèce prête vie et voix à la Nature, qui se trouve en d’autres passages du poème assimilée à une figure maternelle, professorale ou législatrice. Ce faisant, il guide le lecteur dans sa découverte des phénomènes naturels, mais il tend aussi à attribuer un rôle actif à cette somme de matière en mouvement, qui, dans la physique épicurienne, renvoie précisément à une absence d’agent. En fin de compte, Lucrèce, qui cherche à bannir de son explication du monde toute intervention de la providence divine, retrouve à travers l’usage de certains procédés rhétoriques le langage religieux traditionnel57 : de même que Vénus incarne le plaisir, la Nature représente le caractère inéluctable de la mort. Mais la prosopopée de la Nature, soigneusement maintenue dans un cadre hypothétique, témoigne du contrôle exercé par le poète sur l’usage de la rhétorique.

Notes

1 Cf. Cic. Fam. XV, 9, 2 ; Acad. Post. 5-6 ; Tusc. I, 6 ; II, 7 ; IV, 6. Sur la diffusion de l’épicurisme à Rome avant le De rerum natura, cf. L. Canfora (2003) : 43-50 ; contra C. Lévy (2003) : 51-55.

2 Cf. Cic. de Or. III, 63-64; Leg. I, 39; Sest. 138; Fin. I, 23-24; II, 72-74; 116-117.

3 Cf. Cic. de Or. III, 135. Sur les réticences romaines à l’égard de la philosophie, cf. M. Griffin (1989) : 1-37.

4 Cf. DRN I, 62-79 ; III, 1-16 ; V, 1-22 ; VI, 1-42.

5 Cf. D. Markovic (2008) : 1-14.

6 Cf. Plut. 163 Us. ; 229 Us. Concernant le jugement d’Épicure sur la poésie, nous en sommes réduits à des conjectures car nous ne disposons que de rares témoignages. Sur cette question délicate, cf. C. J. Classen (1968) : 110-111 et G. Arrighetti (2003) : 137-146.

7   Cf. D.L. X, 120-121 et Plut. 20 Us.

8 Sur ce poète philosophe épicurien, originaire de Syrie, auteur de poèmes publiés dans l’Anthologie Palatine et de nombreux traités philosophiques, qui ont été retrouvés sous forme fragmentaire à la fin du xixe siècle dans la villa des Papyrus à Herculanum, cf. A. Monet (2003).

9 Cf. J. M. André (1977) : 110.

10 Cf. DRN I, 935-947.

11 Sur la poésie didactique antique, cf. K. Volk (2002) : 25-68.

12 Aratos de Soles est un poète grec du iiie siècle avant J.C., auteur d’un poème astronomique, aujourd’hui perdu, intitulé les Phénomènes et les Pronostics, commenté par Hipparque et Ératosthène et traduit par Cicéron.

13 Nicandre de Colophon est un médecin et poète grec du iie siècle avant J.C., dont il ne nous reste que deux poèmes en hexamètres : les Theriaca, consacrés aux blessures causées par les animaux venimeux, et les Alexipharmaka, qui évoquent les poisons et leurs antidotes.

14 Cf. Épic. Lettre à Hérodote 35, traduction J.F. Balaudé ; voir aussi Lettre à Pythoclès 85 et 116.

15 Cf. P. H. Schrijvers (2007) : 60 ; 66-67.

16 Cf. DRN I, 729-733. Concernant l’influence d’Empédocle sur le De rerum natura, cf. M. Garani (2007).

17 Cf. Aristt. Poet. 1447b16. Concernant la dimension exemplaire du Sur la nature en tant que poème didactique, cf. K. Volk (2002) : 51-53. Sur ce philosophe sicilien du ve siècle, cf. R. Goulet & A. Martin (2000) : 66-89.

18 Cf. Cic. De or. II, 115 : « prouver la vérité de ce que l’on affirme, se concilier la bienveillance des auditeurs, éveiller en eux toutes les émotions qui sont utiles à la cause », traduction E. Courbaud. Voir aussi Brut. 185, 276 ; Or. 69 ; De optim. gen. or. I, 3.

19 Sur les liens originels et fonctionnels entre poésie et rhétorique, cf. J. Walker (2000) : VIII-IX ; 41.

20 Cf. L. Pernot (2000) : 6-7.

21 Cf. la synthèse de E. J. Kenney (2007) : 92-110.

22 Sur cette question, cf. C. J. Classen (1968) : 111-114 ; E. Asmis (1983) : 38-40 ; G. Calboli, (2003) : 186-206 ; D. Markovic (2008) : 1-14.

23 Cf. D.L. X, 6, 13 et 118 et Diogène d’Oenoanda, fr. 112 et 127 Etienne & O’Meara.

24 Cf. Phil. Rhet. II, Pherc. 1672, col. 22, 7-25 ; Pherc. 1674, col. 38, 2 sqq. Sur la « technicité » de la rhétorique, cf. D. Blank (1995) : 178-188 et Id (2003) : 241-257.

25 L’expression est empruntée à G. Calboli (2003) : 204.

26 Cf. DRN I, 931-934.

27 Cf. DRN I, 140-145. Les objectifs rhétoriques d’ornementation, de clarté et d’évidence expliquent en partie la place accordée au raisonnement analogique dans le De rerum natura, cf. A. Setaioli (2005) : 117-141.

28 Cf. DRN I, 26 ; 42 ; 411 ; 1052 ; II, 143, 182 ; V, 8, 93, 164, 867, 1282. Sur la « constellation » professeur-élève, cf. K. Volk (2002) : 73-79 et A. Schiesaro (2003) : 57-75.

29 Sur ce personnage et ses rapports avec Lucrèce, cf. G. B. Townend (1978) : 267-283 ; R. Keen (1985) : 1-10 et S. Luciani (2005) : 393-400.

30 Cf. DRN I, 803-804 et 897-899.

31 Cf. DRN I, 265, 921 ; II, 62 ; 333 etc.

32 Cf. DRN I, 50-53 et 80-83.

33 Sur la notion de « poetic simultaneity », cf. K. Volk (2002) : 40.

34 Cf. A. & Y. Lehmann (2007) : 75-84.

35 Cf. G. Achard (20063) : 110.

36 Cf. E. Rand (1934) : 243-266 ; B. Wallach (1976) ; C. Rambaux (1980) : 201-219 ; E. Asmis (1983) : 51-55.

37 Cf. Épic. Maximes Capitales II : « La mort n’a aucun rapport avec nous ; car ce qui est dissous est insensible, et ce qui est insensible n’a aucun rapport avec nous », traduction J.F. Balaudé ; Lettre à Ménécée, 124-125. 

38 Pour un commentaire détaillé du passage, cf. P. Michael Brown (1997) : 202-207 ; J. Salem (1990) : 142-149 ; T. Reinhardt (2002) : 291-304.

39 Cf. Rhét. Her. IV, 53, 66 ; Cic. Or., 138 ; Quint. VI, I, 25 ; IX, 2, 29.

40 Cf. S. Aubert-Baillot (2006) : 79-83.

41 Cf. Plat. Crit. 50a-b

42 Cf. Télès, 6, 8-8, 5 ap. Stob. Flor. 3, 1, 98 = fr. II. 6-8 Fuentes González. Sur ce moraliste grec du iiie siècle, qui a longtemps été considéré comme un simple « transcripteur » de Bion de Borysthène, voir la synthèse éclairante de P. P. Fuentes González (1998). L’analogie entre les deux prosopopées a été soulignée de longue date, cf. R. Heinze (1897) : 175 sqq. Cependant, je partage le point de vue de P. P. Fuentes González (p. 185), qui souligne le caractère topique des points de connexion et refuse de conclure à une dépendance de Lucrèce à l’égard de Télès, et encore moins de Bion de Borysthène, hypothèse soutenue par B. Wallach (1976) : 61-83.

43 Sur cette (re)définition de la diatribe en contexte d’énonciation pédagogique, cf. P. P. Fuentes González (1998) : 44-78, citation p. 55.

44 Le thème de la plainte et de l’insatisfaction est omniprésent dans le texte, cf. nimis aegeis luctibus indulges (v. 933-4) ; congemis ac fles (v. 934) ; quaeris (v. 941) ; queratur (v. 952) ; lamentetur (v. 953) ; lacrimas / querelas (v. 955).

45 Cf. Cic. de Or. II, 349 : Cicéron précise que les lieux relatifs à l’éloge et au blâme sont utilisés dans tous les genres de causes.

46 Cf. Cic. de Or. II, 339.

47 Cf. DRN III, 1003-1010. Sur la signification et l’origine de cette image, cf. W. Görler (1997):193-207.

48 Cf. Plat. Gorg. 493a ; Rep. II, 363.

49 Sur la notion épicurienne de condensation temporelle, cf. Épic. Maximes Capitales IX ; Cic. Tusc. V, 96 et le commentaire éclairant de M. Conche (1987) : 232, note 2 : « les plaisirs du corps d’eux-mêmes ne se condensent pas, ils sont éprouvés dans le présent et ensuite s’évanouissent ; l’âme seule par l’attention et la mémoire, peut condenser les plaisirs ».

50 Cf. Épic. Maximes Capitales, 18-21 et S. Luciani (2000) : 231-243.

51 Cf. T. Reinhardt (2002) : 303-304.

52 Cf. Hor. Serm. I, 1, 118-119 ; Ep. II, 2, 214 ; Sen. Luc. 61, 4 ; 98, 15 ; La Fontaine VIII, 1 : « Je voudrais qu’à cet âge, on sortît de la vie ainsi que d’un banquet, remerciant son hôte et faisant son paquet ». Sur la fortune de cette image, qui apparaît aussi chez Télès (5, 67 ap. Stob. Flor.), dans la Genèse (25, 8), cf. E. J. Kenney (1971) : 214.

53 Cf. P. Boyancé (1963) : 177.

54 Cf. v. 940-943/957-958 : thème des biens gaspillés ; v. 938/960 : motif du convive rassasié.

55 Sur la dimension totalisante du projet lucrétien, cf. D. Kennedy (2007): 376-396.

56 Cf. DRN III, 964-965. Voir aussi II, 297-302 ; V, 56-58 ; 832-833.

57 Cf. D. Markovic (2008) : 129-136.

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Pour citer ce document

Sabine Luciani, «L’art de la parole : pratique et pouvoir du discours. Lucrèce et la voix de la Nature», La Réserve [En ligne], La Réserve, Livraison du 09 janvier 2016, mis à jour le : 07/01/2016, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/reserve/307-l-art-de-la-parole-pratique-et-pouvoir-du-discours-lucrece-et-la-voix-de-la-nature.

Quelques mots à propos de :  Sabine  Luciani

Aix-Marseille Université, CNRS, TDMAM UMR 7297
Sabine Luciani est Professeur de langue et littérature latines à l’Université d’Aix-Marseille. Spécialiste d’histoire de la philosophie hellénistique et romaine, elle a publié, en collaboration, une traduction annotée du De opificio Dei de Lactance (Brepols, 2009) ainsi que L’éclair immobile dans la plaine. Philosophie et poétique du temps chez Lucrèce (Louvain/Paris, Peeters, 2000) et Temps et éternité dans l’œuvre philosophique de Cicéron (Paris, PUPS, 2010). Page personnelle : http://www.cpaf.cnrs.fr/spip.php?article243