La Réserve : Livraison du 09 janvier 2016

Julien Piat

Fiction(s) de genèse, l’exemple de Molloy de Samuel Beckett

Initialement paru dans : Stéphane Bikialo et Sabine Pétillon dir., Dans l’atelier du style. Du manuscrit à l’œuvre publiée, La Licorne, n° 98, Presses Universitaires de Rennes, 2012, p. 125-138

Texte intégral

  • 1 On se reportera à la biographie de James Knowlson, Beckett, traduite de l’a...

1En 1951, lorsque Molloy paraît aux Éditions de Minuit, Samuel Beckett n’est pas l’écrivain canonique, parmi les plus commentés, qu’il est devenu aujourd’hui : il n’est alors l’auteur que de quelques essais, dont un sur Proust, de quelques traductions, de quelques poèmes, de quelques récits et romans en anglais1. La parution de Molloy, qui constituerait une trilogie avec Malone meurt (1951) et L’Innommable (1953), allait changer la donne en posant les fondations d’une œuvre de premier plan dans le champ littéraire français. Ces trois romans assurent en effet à l’auteur un nouveau statut, visible, aux avant-postes de la production contemporaine ; Molloy ouvre, de facto, le second volet de la production beckettienne.

  • 2 Les manuscrits de Molloy que nous avons consultés sont conservés au Harry R...

  • 3 A. Herschberg Pierrot, Le Style en mouvement, Belin, 2005, p. 34.

  • 4 Sur ce sujet, voir J. Piat, L’Expérimentation syntaxique dans l’écriture du...

  • 5 A. Grésillon, Éléments de critique génétique. Lire les manuscrits modernes,...

2Mais il ne s’agit pas de construire une téléologie d’ensemble à partir du roman composé entre mai et novembre 19472 : Molloy est d’abord un aboutissement, et peut être lu comme la mise en pratique d’une pensée de la langue et du style formulée dès le début des années 1930, caractérisée par un désir de « mal dire ». L’entreprise fictionnelle de Beckett en français se trouve ainsi modelée par une réflexivité originelle sur le medium langagier au sein de l’entreprise littéraire, et ce n’est sans doute pas forcer le trait que de voir dans les nombreux faits de langue qui, constamment, semblent exhiber la genèse du texte, la trace d’une inquiétude (celle de l’inadéquation des signes à la pensée) muée en projet esthétique. L’œuvre publiée se donne à lire textuellement comme « une genèse continuée3 » à travers l’activation d’un patron génétique : on entend par là l’association à un effet de texte d’une série de marqueurs manifestant un stade premier et incomplet de réalisation, que l’écrit – et a fortiori l’écrit littéraire – aurait vocation à effacer4. Alors que les processus génétiques constituent traditionnellement la face cachée du texte publié, l’écriture de Molloy affiche au contraire la dynamique propre à ces opérations de genèse, où « il y va […] du cheminement complexe qui conduit de l’informe et de l’indistinct à des formes organisées5 ». Or, ce paradoxe inscriptif, qui repose sur de fréquentes structures de dédoublement énonciatif, correspond aussi à des choix effectivement repérables dans le travail des manuscrits. La fiction de genèse constamment représentée rencontre ainsi la genèse véritable de l’œuvre, et ce tourniquet permet de poser (peut-être sans y répondre…) des questions plus larges de poétique et de stylistique romanesques : celle des scènes énonciatives dans la narration à la première personne (qui parle, dans Molloy, quand les deux « scripteurs » fictifs que sont les personnages de Molloy et Moran écrivent comme Beckett et semblent pénétrés des mêmes doutes sur le langage ?) ; celle, aussi, de l’assignation des prédicats stylistiques (dans une telle configuration, qui écrit mal ?).

Le choix d’une langue sans style

  • 6 De premiers éléments de ce développement se trouvent dans J. Piat, « “Dire ...

3Mais avant d’en venir au texte même, le rappel de quelques éléments paragénétiques permet de recontextualiser ces enjeux6. Une lettre de 1937, adressée par Beckett à son ami Axel Kaun, et écrite en allemand – comme si le détour par une autre langue était décidément nécessaire pour aller au fond de sa pensée – formule une forme d’insatisfaction, voire d’impuissance, en anglais :

  • 7 Beckett refuse ici de traduire en anglais des poèmes de Joachim Ringelnatz....

Cela devient de plus en plus difficile pour moi, pour ne pas dire absurde, d’écrire en bon anglais. Et de plus en plus ma propre langue m’apparaît comme un voile qu’il faut déchirer en deux pour parvenir aux choses (ou au néant) qui se cachent derrière. La grammaire et le style. Ils sont devenus, me semble-t-il, aussi incongrus que le costume de bain victorien ou le calme imperturbable d’un vrai gentleman. Un masque7.

  • 8 Ibid. Nous adaptons la traduction donnée dans B. Clément, op. cit.

4À travers l’image du voile et du costume se dit un empêchement stylistique lié à l’idiome : pour faire advenir une transparence rêvée de la langue au réel, l’anglais semble impossible. Mais le constat se double d’un projet : Beckett entend « porter un assaut contre les mots au nom du beau ». Pour ce faire, il commencera par « pécher, volens nolens, contre une langue étrangère, comme [il] aimerai[t] mettre à mal, sciemment et délibérément, la [s]ienne – et comme [il] le fer[a]8 » : cette langue étrangère, c’est, ici, l’allemand de la lettre, mais l’entreprise glissera bientôt, jusqu’à la constitution d’une œuvre entière, vers le français.

  • 9 Voir ces propos dans Dante... Bruno. Vico.. Joyce, cité dans Disjecta, op. ...

  • 10 Qui, pour un Irlandais, est un « substitut de langue maternelle », comme l...

  • 11 Sur ce point, on se reportera à G. Philippe, Le Français, dernière des lan...

5L’attitude de Beckett correspond d’abord à un rejet de l’anglais, langue qu’il considère comme trop sophistiquée et « mortellement abstraite9 », parce qu’intimement poétique : dans l’imaginaire beckettien, s’y exprimer de manière brute est impossible. Le « style », tel qu’on peut le comprendre ici, c’est un registre élevé de la langue, correspondant à une norme fixiste et soutenue (« poétique »). Joyce fait dès lors figure de héros, lui qui réussit, à travers ses expérimentations langagières, à travers ses coups de force essentiellement lexicaux, à passer outre cette rigidité esthétique, ce filtre poétique, et à attaquer directement la langue anglaise10. Mais parce que tout a déjà été fait de ce côté, ce n’est pas la voie que choisit Beckett – à côté de Finnegans Wake, toute prose en anglais paraîtrait bien pâle. Pour se défaire du risque de style, la solution est alors de se tourner vers une langue dont on n’est pas un locuteur natif : le risque d’y commettre des fautes et de s’y exprimer relativement mal se retourne en une véritable chance. Or, si Beckett choisit finalement le français, et non l’allemand ou l’italien, qu’il connaissait aussi, c’est sans doute en raison de l’imaginaire langagier de son temps et d’une doxa alors largement répandue11.

6Dès 1932 et Dream of Fair to Middling Women, son premier essai romanesque, mal dégagé de réflexion discursives et philosophiques, on trouve sous la plume de Beckett quelques notations relatives à la langue française. La langue de Racine et Malherbe serait caractérisée par son absence de style, et dès lors, par sa plus grande adéquation avec la visée du scripteur : pas de parasitage par le risque de l’image ou du cliché poétique, mais, au contraire, l’expression pure et simple :

  • 12 Traduit de Dream of Fair to Middling Women (1932), dans Disjecta, op. cit....

[Racine et Malherbe] n’ont pas de style, ils écrivent sans style, pas vrai ? Ils vous livrent l’expression, l’étincelle, la précieuse perle. Peut-être que seuls les Français peuvent y parvenir. Peut-être que seule la langue française peut vous offrir ce que vous recherchez12.

  • 13 La phrase, passée de critique en critique, est bien connue, mais on ne la ...

  • 14 Voir J. Piat et G. Philippe, « La littérature contre la “belle langue” », ...

  • 15 On trouve ces lignes sous la plume de W. von Wartburg : « Tout le monde sa...

  • 16 Wartburg écrit encore que « l’accentuation normale […] est sans valeur exp...

7On connaît la reformulation la plus définitive de ce propos : « en français, il est plus facile d’écrire sans style », phrase attribuée à Beckett sans que l’on sache précisément où et quand il l’aurait prononcée13 ; mais peu importe : après tout, la tournure essentialiste et gnomique de la phrase rejoint un interdiscours largement partagé au sujet du « génie » de l’idiome français – celui de la clarté et de la raison. Parce qu’il est une langue propre à l’expression des idées, le français a pu être considéré comme inapte à l’expression littéraire14 : s’il repose sur un ordre des mots contraint, destiné à pallier l’absence de déclinaisons15, s’il ne présente pas d’accents de mots16, et souffre, en cela, face, par exemple, à l’anglais, d’un déficit de rythme, il semble incapable sinon de tout lyrisme, du moins de toute expression personnelle. Lorsque Beckett voit dans l’anglais « un masque », il rejoint donc cette conception selon laquelle le français convoque, là où d’autres langues, plus impressives, évoquent et filtrent le discours à travers une subjectivité. En choisissant le français, Beckett fait ainsi d’une pierre deux coups : il retrouve la langue de l’expression neutre et se débarrasse du risque « poétique ».

8Pour autant, la réflexion se situe bien à la croisée des différentes définitions du style, particulièrement superposées dans l’entre-deux-guerres : registre élevé repérable de manière privilégiée en contexte littéraire (sens que la notion revêt chez Beckett), mais aussi dominantes langagières de l’idiome même (révélées, ici, par le rapport à la doxa concernant le français) et style d’auteur. De fait, les propos précédents sont subjectivement assumés et vont, de fait, profondément modeler l’usage de la langue des romans à venir. Par exemple, dans bien des phrases et bien des pages de Molloy, on trouvera de multiples commentaires métalangagiers :

  • 17 Les références se feront toutes, sous cette forme abrégée (M, numéro de pa...

Alors voilà, je suis fixé sur certaines choses, je sais certaines choses sur lui, des choses que j’ignorais, qui me tracassaient, des choses même dont je n’avais pas souffert. Quelle langue. (M, 1517)

Ma vie, ma vie, tantôt j’en parle comme d’une chose finie, tantôt comme d’une plaisanterie qui dure encore, et j’ai tort, car elle est finie et elle dure à la fois, mais par quel temps du verbe exprimer cela ? (M, 47)

Mais je devenais la proie d’autres affections, ce n’est pas le mot, intestinales pour la plupart. (M, 225)

  • 18 À rapprocher du « vieux style » récurrent dans la bouche de Winnie, dans O...

  • 19 Toujours dans la « Lettre allemande ». Voir B. Clément, op. cit., p. 239 e...

9Trois cas de figure apparaissent : le retour se fait soit sur la complexité syntaxique du français – on peut imaginer que, dans le premier exemple, c’est le relatif « dont » qui est commenté –, soit sur la non-coïncidence entre l’expression de la durée et les temps verbaux disponibles, soit sur l’utilisation du « mauvais » mot, entretenant avec le « bon » un lien trop ténu de paronymie, « affections » étant mis ici pour « infections ». Si l’on se rapporte à la double scène d’énonciation modelée par le roman, le texte accrédite la fiction de scripteurs malhabiles (en l’occurrence, Molloy et Moran) ; mais en même temps, et de manière plus large, semble visée une impression de spontanéité langagière à laquelle s’attache une valeur positive : c’est dans l’exacte mesure où elle s’éloigne de ce qui fonde les usages « littéraires » qu’elle se trouve valorisée. Le rejet du « style », imposé par l’idiome et les pratiques surveillées et hypernormées qui le valident (le style, sous la plume de Beckett, c’est le beau style18), équivaut à proposer ce que l’on peut qualifier de style négatif : il s’agit bien de « trouver […] un moyen de représenter [une] attitude de moquerie à l’égard des mots au travers des mots19 ».

Perturbations phrastiques et transphrastiques

10 La syntaxe apparaît comme un lieu privilégié pour faire porter le travail d’expérimentation qu’impliquent de telles visées : c’est en effet l’ordre des mots et son corollaire, la construction de la phrase, qui passent pour les traits les plus contraints du français, et donc, pour ses caractéristiques les plus intangibles. Or, la structure dite « progressive » sujet-verbe-complément(s) non seulement ressortit au mythe de la clarté – si la langue française est inapte à la littérature, c’est parce qu’elle ne peut dire que des généralités, l’universel, et non la singularité d’un sujet –, mais elle définit encore une unité idéale de séquenciation discursive. Bien des phrases de Molloy paraissent alors peu orthodoxes ; mais c’est bien contre une structure matricielle de l’imaginaire langagier – la « phrase française » –, davantage que contre la grammaticalité, que portent les « assauts » de Beckett : dans le roman, une comparaison fait mouche, évoquant une série faite d’« un commencement, un milieu et une fin, comme dans les phrases bien bâties » ; mais, immédiatement reformulée, l’image devient péjorative, à travers « la longue sonate des cadavres » (M, 41).

11On va ainsi trouver chez Beckett une syntaxe de « bribes » : le mot, caractéristique de son univers, dit les coups portés contre une définition de la phrase comme unité syntaxique et prédicative. Si l’écriture de Molloy n’affiche pas la radicalité d’entreprises postérieures, on y rencontre déjà des procédés de déliaison : des séquences a priori dépendantes – marquées notamment comme telles par un outil de subordination – se trouvent fréquemment autonomisées en phrases graphiques :

J’en parlerai sans doute plus tard, quand il s’agira de dresser l’inventaire de mes biens et possessions. À moins que je ne les perde d’ici là. (M, 17)

Ainsi s’écoula cette cinquième journée. Et vers cinq heures je mangeai ma dernière boîte de sardines et quelques biscuits, de bon appétit. De sorte qu’il ne me restait plus que quelques pommes et quelques biscuits. (M, 210)

12Le fonctionnement du subordonnant se trouve contredit par le statut phrastique de la séquence, inscrite entre une majuscule et un point. Le travail à l’œuvre ici tend à mettre sur un même plan – celui d’une prédication principale – des éléments qui devraient a priori se voir hiérarchisés au sein d’une même phrase. À l’émiettement de la syntaxe correspond alors un émiettement de la signification et de l’énonciation : si les procès seront lus comme informationnellement équivalents, le passage d’une phrase à l’autre suppose une nouvelle énonciation. La tendance est confirmée par l’étude des avant-textes : la plupart de ces phrases autonomisées sont certes repérables dès le manuscrit, mais il est de nombreux cas où la version publiée témoigne d’une retouche, comme le fait ressortir une comparaison entre l’avant-texte (a) et le texte (b) dans les couples suivants :

(a) Et ils m’auraient enlevé quelques testicules à la même occasion que je ne leur aurais rien dit car mes testicules à moi, ballottant à mi-cuisse au bout d’un maigre cordon, il n’y avait plus rien à en tirer […] (mss, cahier 2, p. 30)
(b) Et ils m’auraient enlevé quelques testicules à la même occasion que je ne leur aurais rien dit. Car mes testicules à moi, ballottant à mi-cuisse au bout d’un maigre cordon, il n’y avait plus rien à en tirer […] (M, 46)

(a) Maintenant, vous dire pourquoi je restais avec Lousse, pendant un bon moment, cela m’est impossible, c’est-à-dire que j’y arriverais sans doute, en me donnant de la peine, mais pourquoi m’en donnerais-je ? (mss, cahier 2, p. 92)
(b) Maintenant, vous dire pourquoi je restais avec Lousse, pendant un bon moment, cela m’est impossible. C’est-à-dire que j’y arriverais sans doute, en me donnant de la peine. Mais pourquoi m’en donnerais-je ? (M, 67)

(a) Mais comment faire, étant donné l’état de mes jambes, et de mon tronc ? Mais avant d’aller plus loin, un mot sur les murmures de la forêt. (mss, cahier 2, p. 242)
(b) Mais comment faire, étant donné l’état de mes jambes, et de mon tronc ? Et de ma tête. Mais avant d’aller plus loin, un mot sur les murmures de la forêt. (M, 120)

  • 20 On peut se reporter à H. Vassiliadou, « De id est à c’est à dire (que) : l...

  • 21 En adoptant les conclusions du Groupe -l (« Car, parce que, puisque », Re...

  • 22 Voir, sur les emplois énonciatifs de et, la mise au point de C. Badiou-Mon...

13La tendance, constante tout au long de l’écriture du roman, manifeste l’importance de la genèse dans la dynamique du style coupé ici mis en place – et cela d’autant mieux qu’on ne trouve pas (ou alors de manière extrêmement marginale), la tendance inverse, qui consisterait à rassembler deux phrases autonomes en une seule. Or, si l’on s’intéresse aux mots qui se retrouvent, après le geste de segmentation, à l’ouverture des phrases, force est de constater qu’ils soulignent un nouvel acte énonciatif. C’est très net pour « c’est-à-dire », l’un des marqueurs de glose les plus explicites20 ; c’est aussi le cas de « car », dont on se souvient qu’il se distingue de « parce que » en ce qu’il lance un autre mouvement énonciatif21. Quant à « et », qui se retrouve aussi fréquemment placé en tête de phrase, sa valeur de « relance22 » va dans le même sens. Le travail de la langue, en tant que processus dynamique, apparaît donc étroitement lié à l’investissement du sujet dans l’écrit : les manipulations repérables dans la genèse semblent aller dans le sens d’une multiplication des traces de l’énonciation dans le roman.

Un patron génétique

  • 23 Dans le massif de publications à ce sujet, on renvoie aux travaux fondateu...

  • 24 Voir, pour plus de détails, J. Piat, « Dire je », art. cit.

14Le cas le plus sensible de ce paradoxal devenir genétique de l’écriture réside dans une série de configurations particulièrement fréquentes dans la prose de Molloy : les commentaires à valeur métadiscursive et méta-énonciative, qui exhibent, en autant de « boucles réflexives23 », le rapport de l’énonciateur à ce qu’il dit et à la manière dont il le dit – on glisse donc à un niveau moins général que celui de l’idiome utilisé, où l’on a précédemment repéré des phénomènes de non-coïncidence du discours à lui-même. On pourrait multiplier les exemples24, mais on s’arrêtera seulement sur quelques cas :

Et si je n’ai pas toujours l’air de me conformer à ce principe, c’est qu’il m’échappe, de temps en temps, et disparaît, au même titre que si je ne l’avais jamais dégagé. (mss, cahier 1, p. 70)

Et si je n’ai pas toujours l’air de me conformer à ce principe, c’est qu’il m’échappe, de temps en temps, et disparaît, au même titre que si je ne l’avais jamais dégagé. Phrase démente, peu importe. (M, 60)

  • 25 Manière de valider, par l’étude du détail textuel, le rôle de l’épanorthos...

15Le détour par l’avant-texte permet de constater qu’une phrase entière a été insérée avec pour valeur un détour commentatif sur l’énoncé qui la précède – et notamment sur sa valeur logique. C’est souligner que la phrase commentée aurait pu (dû) être effacée ; ainsi maintenue, elle vaut alors moins pour son contenu que pour son effet de « démence ». Le geste génétique aurait pu consister à effacer la phrase ; on aboutit au contraire à un grossissement textuel reposant sur le défaut même de l’expression. À cet égard, « peu importe », qui ouvre une nouvelle strate méta-énonciative portant sur le premier commentaire, valide la fiction de genèse, tout en la minant : au geste de retouche que la temporalité génétique laisse possible et qui se traduirait par un effacement – et donc une absence dans le texte lu – se substitue l’affichage de la scription même, dans sa durée et dans ses étapes : le retour réflexif transcrit l’opération de relecture, mais sans déboucher sur la retouche attendue. La tendance se répète dans le roman ; on la remarque aussi chez Moran, le scripteur de la seconde partie : « Et à ce point de vue j’étais très nettement en état d’infériorité vis-à-vis de mes autres connaissances. Je regrette que cette dernière phrase ne soit pas mieux venue. Elle méritait, qui sait, d’être sans ambiguïté. » (M, 231) Or, par la présence même d’une incidente à valeur métadiscursive (« qui sait »), l’énoncé dément dans sa forme même la valeur pragmatique à laquelle il prétend : ce « qui sait » insinue un doute… une ambiguïté. Là encore, le texte semble construit sur une dynamique où la textualisation naît du retour de l’énonciation sur elle-même25. À cet égard, les modalisations sont nombreuses, et parfois questionnées par le texte même :

Et alors, quelquefois, il naissait confusément en moi une sorte de conscience […] que j’exprime sans tomber aussi bas que dans l’oratio recta, mais au moyen d’autres figures, tout aussi mensongères, comme par exemple, Il me semblait que, etc., ou, J’avais l’impression que, etc., car il ne me semblait rien du tout et je n’avais aucune impression d’aucune sorte […] (M, 119)

16Double fiction, donc, dans la mesure où ce retour sur le dire prend la forme d’une autodénégation : tout se passe comme si les mots étaient par eux-mêmes mensongers, et que l’énonciation, en tant que processus d’adoption et d’adaptation de ces mots à une visée discursive, ne pouvait que souffrir, elle aussi, d’un défaut de pertinence. Dans ce mouvement, le détour par l’avant-texte peut être riche d’enseignement : parfois, une insertion ou un ajout, fait à un moment postérieur de la genèse, revient sur ce qui précède, mais feint d’avoir été introduit dans l’immédiate linéarité de la composition ; ainsi dans l’exemple suivant : « Je jetai un dernier regard autour de moi, remarquai que j’avais négligé certaines précautions, y remédiai, pris ma gibecière, j’ai failli écrire ma guitare » (M, 171). Dans le manuscrit, dont la dernière proposition est absente, nulle hésitation n’est repérable. L’ajout, tout en proposant un nouvel exemple de retour métadiscursif, accentue la dimension dynamique de la textualisation, en feignant une opération génétique.

17Le marquage d’un stade de pré-organisation textuelle ne tient pas qu’aux boucles discursives précédemment évoquées. Entrent également dans cette écriture de nombreuses formes d’inachèvement : elles aussi composent une fiction a posteriori, selon laquelle le texte effectivement lu aurait dû être retravaillé. Des phrases sont parfois laissées en suspens, à la suite desquelles on trouve un commentaire :

J’ajoute, avant d’en venir aux faits, car on dirait vraiment des faits, de ce distant après-midi d’été, qu’avec cette vieille femme sourde, aveugle, impotente et folle, qui m’appelait Dan et que j’appelais Mag, et avec elle seule, je – non, je ne peux pas le dire. (M, 23)

Je n’aurais jamais cru que – si, je le crois volontiers. (M, 187)

18Ailleurs, la rupture peut être laissée dans toute sa brutalité :

Mais un homme, à plus forte raison moi, ça ne fait pas exactement partie des caractéristiques d’un chemin, car. (M, 12)

  • 26 Voir, ci-dessus, la note 6.

  • 27 Voir à ce sujet le livre de M. Arabyan, Le Paragraphe narratif, L’Harmatta...

19L’interruption est une forme particulière de commentaire métadiscursif, parce qu’elle exhibe les défaillances du dire. Et il est jusqu’à la gestion du paragraphe qui, dans le roman de 1947, représente un stade de préstructuration : la première partie n’est composée que de deux paragraphes, dont on sait que le premier (à peu près une page) a été écrit à la fin de la première campagne d’écriture, comme en témoigne le cahier 1 conservé à Austin26. Ainsi, dans Molloy, cette unité idéale, typographique mais encore thématique ou énonciative27, semble souvent en équilibre instable. Le défaut apparaît nettement lorsque le texte présente les configurations dialogales en bloc – là où l’on s’attendrait précisément à trouver un alinéa pour chaque tour de parole :

As-tu chié, mon enfant ? dis-je tendrement. J’ai essayé, dit-il. Tu as envie ? dis-je. Oui, dit-il. Mais rien ne sort, dis-je. Non, dit-il. Un peu de vent, dis-je ? Oui, dit-il. (M, 161)

20La dimension parodique de l’ensemble se trouve soulignée par la systématicité et la lourdeur que crée la répétition de l’incise, mais aussi par la trivialité thématique.

  • 28 A. Grésillon, Éléments de critique génétique, op. cit., p. 7.

21Un patron génétique se trouve ainsi actualisé, articulant de manière quasi sémiotique des formes langagières repérables (décrochements énonciatifs de toutes sortes, interruptions, usage de la phrase et du paragraphe) et un effet général de textualisation en cours. La dimension génétique s’attache aux marqueurs d’une dynamique ; ses « préférences » sont « celles de la production sur le produit, de l’écriture sur l’écrit, de la textualisation sur le texte, du multiple sur l’unique28 ». À ce titre, l’écriture de Molloy semble bien convoquer une fiction de genèse : le texte « fini » s’affiche sur fond d’incertitudes, à travers un travail tantôt véridique tantôt fictif de constitution. Mais cette caractéristique est encore heuristique : si le patron génétique accrédite la fiction d’une écriture en perpétuelle recherche, il renvoie, ce faisant, à une problématique générale : celle des liens entre poétique romanesque et style.

Une leçon de genèse ?

  • 29 M. Dereu, « Le texte en quête d’auteur », dans M. Dereu dir., Vous avez di...

  • 30 Voir D. Maingueneau, « Retour sur une catégorie : le genre », dans J.-M. A...

  • 31 Tout texte a « du » style, mais pas ce « style positivement valorisé » qui...

  • 32 L’expression, rapportée à Beckett, est forgée par D. Rabaté, Vers une litt...

22En exhibant le commentaire d’un locuteur-scripteur sur ses énoncés ou son énonciation, les structures relevées plus haut interrogent l’inscription même du sujet dans le texte. Or, les choses sont assez complexes dans Molloy : l’ensemble (moins une phrase, et l’on y reviendra) est écrit à la première personne, mais par deux scripteurs, répartis suivant la division en deux parties : Molloy, qui raconte son errance, puis Moran, censé composer un rapport sur les activités de Molloy… Si, indéniablement, les boucles réflexives doivent en priorité être analysées à ce niveau, il n’en saurait aller de même de l’étude du style. Il faut là quitter l’espace de la fiction et remonter à l’énonciation encadrante. Les prédicats stylistiques, qu’il s’agisse de l’assignation de valeurs ou de l’évaluation d’effets, ne sont en effet jamais rapportés à des sources d’énonciation fictives – en l’occurrence, donc, Molloy et Moran : « Tout ce qui se dit du style se dit aussi de l’auteur, instance à la fois transcendante et, par le style, immanente29 ». Et c’est bien ce que Molloy représente, ne serait-ce qu’à travers le rapport censément rédigé par Moran : il s’agit là d’un de ces genres de discours non auctoriaux, décrits par D. Maingueneau comme de type (2), soumis à un cahier des charges, supposant peu d’invention et, de ce fait, peu susceptibles d’ouvrir à une interprétation littéraire30 – et donc stylistique31. Le cas de Molloy est un peu plus complexe : il écrit des feuilles récupérées « chaque semaine » par un individu (M, 7-8) ; mais on ne sait jamais quel statut accorder à ce travail, et le scripteur qu’est Molloy apparaît comme un énonciateur faible, placé d’emblée sous le motif de la correction inutile : les pages qu’il écrit lui reviennent « marquées de signes qu[’il] ne compren[d] pas » (M, 7). L’ensemble du roman souligne la ressemblance entre ces deux « auteurs parodiques32 », et surinvestit l’inscription textuelle de ces énonciations. L’activation d’un patron génétique permet ainsi le réglage du vraisemblable fictionnel : tel est donc l’effet de texte immanent, au contact duquel se trouve n’importe quel lecteur. C’est de lui que dépendent les jugements rhématiques, portant sur les contenus construits par les mouvements prédicatifs mis en jeu : l’errance de Molloy, et à travers elle, le monde (bien singulier) construit à travers son point de vue ; la situation de Moran, sa mission, ses rapports avec son fils, et pour finir, son errance. Que ces deux personnages soient de piètres narrateurs de leur propre histoire explique les multiples boucles métadiscursives, et est en retour expliqué par la prégnance du phénomène.

  • 33 Voir A. Compagnon, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Le ...

  • 34 R. Barthes, « La mort de l’auteur » (1968), dans Œuvres complètes, t. iii,...

  • 35 Parmi les innombrables études sur la voix chez S. Beckett, on peut citer, ...

  • 36 G. Molinié, « Le style et la voix », dans M. Dereu dir., Vous avez dit « s...

23Mais il est un pacte de lecture irréfragable, qui veut que, quelles que soient les ruses discursives avancées, c’est bien toujours un auteur qui est ultimement responsable du texte. La notion, comme l’a montré A. Compagnon, fait partie du « sens commun33 ». Toute préthéorique qu’elle est – et sans doute en raison de ce caractère même –, elle n’a cessé de modeler l’imaginaire de la fiction, alors même que les coups furent rudes : l’approche structuraliste, hégémonique au moment où la narratologie s’est développée, était allée jusqu’à proclamer sa mort. Or, la réflexion d’un Barthes finit par rencontrer la question de la voix, car « l’écriture est destruction de toute voix, de toute origine. L’écriture, c’est ce neutre, ce composite, cet oblique où fuit notre sujet, le noir-et-blanc où vient se perdre toute identité, à commencer par celle-là même du corps qui écrit34 » : l’écriture contre la voix, donc. Et pourtant, la scénographie « vocalisante35 » est toujours sensible dans le texte beckettien, où un destinataire se trouve parfois convoqué : « […] aurais-je pu me refuser au plaisir de – vous m’avez compris. » (M, 146) L’écriture y est en équilibre, entre l’écrit et l’oral, comme le montrent les structures « génétiques » qui, tout en étant de l’écrit, ne sont pas attendues en un tel contexte. Bref, on glisse de l’effet génétique à un effet de voix, et l’on retrouve l’auteur que Barthes avait assassiné, par exemple lorsque G. Molinié substitue cet « effet de voix » à la notion même d’auteur36.

  • 37 A. Grésillon, Éléments de critique génétique, op. cit., p. 23.

  • 38 Ibid., p. 22 et suiv.

  • 39 G. Molinié, « Le style et la voix », art. cit., p. 12.

  • 40 A. Herschberg Pierrot, Le Style en mouvement, op. cit., p. 69.

  • 41 G. Molinié, « Le style et la voix », art. cit., p. 15.

24Dès lors, quand on relève dans les manuscrits de Beckett une nette tendance à radicaliser les décrochements énonciatifs, la vraisemblance intradiégétique se double d’une revendication stylistique : l’effet de gauchissement construit le personnage locuteur, mais par-delà, implique un positionnement de l’auteur, question que l’on trouve au cœur de l’analyse génétique, en tant que « lieu de conflits énonciatifs37 ». En définissant le style comme une pratique continuée, des premiers avant-textes au texte publié, A. Herschberg Pierrot souligne le travail de cette « instance écrivant », encore précautionneusement évoquée par A. Grésillon38. Dans Molloy, le récit à la première personne ne se contente pas de convoquer immédiatement une (des) figures de l’énonciation : la fiction génétique, accentuée par l’effet d’immédiateté qu’une telle énonciation propose, apporte un éclairage sur le travail littéraire : si ce que l’on peut appeler auteur est « ce qui subsiste à travers divers avatars discursifs39 », la fiction génétique permet de faire se rencontrer le niveau empirique (le texte qu’on lit) et le processus caché qui y a abouti, « le façonnement de l’œuvre40 ». L’auteur, « responsable du programme structural comme du programme anecdotique du niveau empirique », est à la fois présent et absent – il correspond bien à une évocation : « quelqu’un qui n’est pas là (qui n’est plus là)41 ».

  • 42 D. Rabaté, Vers une littérature de l’épuisement, op. cit., p. 75.

  • 43 A. Herschberg Pierrot, Le Style en mouvement, op. cit., p. 104.

25Un autre indice de ce travail éminemment réflexif, c’est l’hapax que constitue, à la charnière des deux parties de Molloy, c’est-à-dire au moment où l’énonciation va changer, le passage à la troisième personne : « Molloy pouvait rester, là où il était » (M, 124). Si l’énonciation à la première personne a tendance à gommer l’instance encadrante, dans des textes qui « ne sont pour ainsi dire écrits par personne et pourtant transmis jusqu’aux lecteurs42 », cette phrase semble souligner le caractère fictif des deux je, et en même temps, leur dépendance vis-à-vis d’un niveau énonciatif supérieur, qui ajoute ainsi une couche au palimpseste des voix. Or, si l’on définit l’énonciation littéraire comme le processus où « le sujet d’énonciation se divise en plusieurs figures hétérogènes : celles de l’écrivain-scripteur, et du lecteur-correcteur, celle de l’auteur comme instance officielle, productrice du texte, mais aussi une figure biographique43 », tout semble bien fait, dans le roman, pour montrer la production du texte : les scripteurs fictifs se font correcteurs, comme l’auteur ; chacun parle pour l’autre, etc.

26Texte, péritexte et avant-texte manifestent ainsi les pouvoirs de la fiction : le premier roman de Beckett à avoir été écrit et publié d’abord en français est riche d’enseignements. La situation paratopique de l’auteur changeant de langue y implique une autre paratopie linguistique : celle de scripteurs faisant comme s’ils ne produisaient pas de l’écrit. Une troisième paratopie surgit même : à travers l’activation d’un patron génétique, le travail de textualisation se mêle au texte censément achevé. Autant dire, donc, que Molloy est un objet éminemment littéraire : il exhibe à travers ses formes mêmes le travail dynamique de l’écriture, et problématise ce faisant les rapports entre narrateur(s), scripteur(s), auteur. La « leçon » à tirer du roman, c’est peut-être alors celle de l’œuvre comme devenir, mais – en quelque sorte – à l’envers : aucune retouche, ici, pour aller vers le beau style, mais au contraire, un texte destiné à cadrer avec un imaginaire du brouillon. Telle est finalement la caractéristique de ce style bien singulier à Beckett, qui tente de défiger l’écrit en le modelant sur l’infixe des tâtonnements génétiques.

Notes

1 On se reportera à la biographie de James Knowlson, Beckett, traduite de l’anglais par Oristelle Bonis, Arles, Solin-Actes Sud, 1999. Il conviendrait d’ajouter à cette liste, pour être plus précis, la traduction de Murphy en collaboration avec Alfred Péron, parue chez Pierre Bordas en 1947. Mercier et Camier, rédigé en français en 1946, ne sera publié que bien plus tard, en 1970.

2 Les manuscrits de Molloy que nous avons consultés sont conservés au Harry Ransom Humanities Research Center de l’Université du Texas à Austin : il s’agit de quatre cahiers autographes, constituant sans doute, comme en témoigne la présence de dates, le premier jet. La rédaction s’est ainsi étendue du « 2.5.47 » (cahier 1, p. 2) au « 1.11.47 » (cahier 4, p. 148 et cahier 1, p. 1 : le début de Molloy, correspondant au premier paragraphe de la première partie du roman publié, a manifestement été rédigé en dernier lieu).

3 A. Herschberg Pierrot, Le Style en mouvement, Belin, 2005, p. 34.

4 Sur ce sujet, voir J. Piat, L’Expérimentation syntaxique dans l’écriture du Nouveau Roman (Beckett, Pinget, Simon). Contribution à une histoire de la langue littéraire dans les années 1950, Honoré Champion, 2011, p. 232 et suiv.

5 A. Grésillon, Éléments de critique génétique. Lire les manuscrits modernes, PUF, 1994, p. 1.

6 De premiers éléments de ce développement se trouvent dans J. Piat, « “Dire je”. Enjeux stylistiques d’une énonciation à la première personne dans la trilogie de Samuel Beckett », C. Lignereux et J. Piat dir., Une langue à soi, Presses universitaires de Bordeaux, 2009, p. 255-280.

7 Beckett refuse ici de traduire en anglais des poèmes de Joachim Ringelnatz. La lettre est citée en partie et traduite dans B. Clément, L’Œuvre sans qualités. Rhétorique de Samuel Beckett, Le Seuil, « Poétique », 1994, p. 238-239. On en trouve la version originale dans Disjecta. Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment by Samuel Beckett, edited with a foreword by Ruby Cohn, New York, Grove Press, 1984, p. 51-54.

8 Ibid. Nous adaptons la traduction donnée dans B. Clément, op. cit.

9 Voir ces propos dans Dante... Bruno. Vico.. Joyce, cité dans Disjecta, op. cit., p. 28.

10 Qui, pour un Irlandais, est un « substitut de langue maternelle », comme le remarque A. Banfield (« Beckett’s Tattered Syntax », Representations, n° 84, 2004, p. 9).

11 Sur ce point, on se reportera à G. Philippe, Le Français, dernière des langues. Histoire d’un procès littéraire, PUF, 2010.

12 Traduit de Dream of Fair to Middling Women (1932), dans Disjecta, op. cit., p. 47.

13 La phrase, passée de critique en critique, est bien connue, mais on ne la trouve jamais sous la plume de Beckett. Voir l’attribution qu’en donne N. Gessner dans Die Unzulänglichkeit der Sprache, Zurich, Juris, 1957, p. 32n. Qu’elle soit apocryphe ou non ne remet cependant pas en cause sa grande pertinence pour la poétique ici mise en place.

14 Voir J. Piat et G. Philippe, « La littérature contre la “belle langue” », Le Monde des livres, 17 février 2006, p. 2.

15 On trouve ces lignes sous la plume de W. von Wartburg : « Tout le monde sait que la structure de la phrase française, en particulier l’ordre des mots, est d’une rigidité absolue », Évolution et structure de la langue française, Leipzig et Berlin, Teubner, 1934, p. 221.

16 Wartburg écrit encore que « l’accentuation normale […] est sans valeur expressive […] ; elle n’exprime rien, elle ne révèle rien de l’individu qui parle », ibid., p. 215.

17 Les références se feront toutes, sous cette forme abrégée (M, numéro de page), à S. Beckett, Molloy [1951], Minuit, « Double », 1999. Les italiques sont de notre fait.

18 À rapprocher du « vieux style » récurrent dans la bouche de Winnie, dans Oh ! les beaux jours, Minuit, 1963, p. 19, 23, 27, 28, 31, 38, 40, 50, 52, 60, ou 64.

19 Toujours dans la « Lettre allemande ». Voir B. Clément, op. cit., p. 239 et Disjecta, op. cit., p. 53 et 172.

20 On peut se reporter à H. Vassiliadou, « De id est à c’est à dire (que) : le cheminement diachronique d’un “gloseur” », dans A. Steuckardt et A. Niklaus-Salminen dir., Les Marqueurs de glose, Publications de l’Université de Provence, p. 67-85 ; et à « C’est-à-dire », ibid., p. 251-261. Plus généralement, sur la reformulation comme « changement de perspective énonciative », voir E. Roulet, « Complétude interactive et connecteurs reformulatifs », Cahiers de linguistique française, n° 8 (« Nouvelles approches des connecteurs argumentatifs, temporels et reformulatifs »), p. 111-140.

21 En adoptant les conclusions du Groupe -l (« Car, parce que, puisque », Revue romane, x-2, 1975, p. 248-280), C. Badiou-Monferran écrit : « [C]ar se contente, selon un processus de simple coordination, de présenter un second acte de langage chargé de venir à l’appui du premier » (Les Conjonctions de coordination ou l’« art de lier ses pensées » chez La Bruyère, Champion, 2000, p. 201). La conjonction de coordination a aussi fait l’objet d’analyses au sein des recherches sur la polyphonie menées par O. Ducrot et al., Les Mots du discours, Minuit, 1981.

22 Voir, sur les emplois énonciatifs de et, la mise au point de C. Badiou-Monferran, Les Conjonctions de coordination, op. cit., p. 79-82.

23 Dans le massif de publications à ce sujet, on renvoie aux travaux fondateurs de J. Authier-Revuz, Ces mots qui ne vont pas de soi. Boucles réflexives et non-coïncidences du dire, Larousse, 1995.

24 Voir, pour plus de détails, J. Piat, « Dire je », art. cit.

25 Manière de valider, par l’étude du détail textuel, le rôle de l’épanorthose dans la « rhétorique » beckettienne, tel que l’a repéré B. Clément, op. cit.

26 Voir, ci-dessus, la note 6.

27 Voir à ce sujet le livre de M. Arabyan, Le Paragraphe narratif, L’Harmattan, 1994.

28 A. Grésillon, Éléments de critique génétique, op. cit., p. 7.

29 M. Dereu, « Le texte en quête d’auteur », dans M. Dereu dir., Vous avez dit « style d’auteur » ?, Presses universitaires de Nancy, 1999, p. 55.

30 Voir D. Maingueneau, « Retour sur une catégorie : le genre », dans J.-M. Adam, J.-B. Grize et M. Ali Bouacha dir., Textes et discours. Catégories pour l’analyse, Éd. universitaires de Dijon, p. 107-118. D. Maingueneau précise cependant que ces genres de discours peuvent bénéficier, à l’intérieur de ces cadres, d’une certaine liberté concernant leur scénographie (Le Discours littéraire, Armand Colin, 2004, p. 183). Reste que le rapport de Moran… ne ressemble pas à un rapport.

31 Tout texte a « du » style, mais pas ce « style positivement valorisé » qui fonde la valeur littéraire (voir G. Genette, Figures IV, cité par A. Herschberg Pierrot, Le Style en mouvement, op. cit., p. 59).

32 L’expression, rapportée à Beckett, est forgée par D. Rabaté, Vers une littérature de l’épuisement, Corti, 1991, p. 105.

33 Voir A. Compagnon, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Le Seuil, « Points », 1998, p. 61-110.

34 R. Barthes, « La mort de l’auteur » (1968), dans Œuvres complètes, t. iii, Le Seuil, 2002, p. 40.

35 Parmi les innombrables études sur la voix chez S. Beckett, on peut citer, parmi les premières, celle de M. Blanchot, « Où maintenant ? Qui maintenant ? », NRF, 1er octobre 1953 ; parmi les dernières, celles de D. Rabaté, notamment dans Vers une littérature de l’épuisement, op. cit.

36 G. Molinié, « Le style et la voix », dans M. Dereu dir., Vous avez dit « style d’auteur » ?, op. cit., p. 12.

37 A. Grésillon, Éléments de critique génétique, op. cit., p. 23.

38 Ibid., p. 22 et suiv.

39 G. Molinié, « Le style et la voix », art. cit., p. 12.

40 A. Herschberg Pierrot, Le Style en mouvement, op. cit., p. 69.

41 G. Molinié, « Le style et la voix », art. cit., p. 15.

42 D. Rabaté, Vers une littérature de l’épuisement, op. cit., p. 75.

43 A. Herschberg Pierrot, Le Style en mouvement, op. cit., p. 104.

Pour citer ce document

Julien Piat, «Fiction(s) de genèse, l’exemple de Molloy de Samuel Beckett», La Réserve [En ligne], La Réserve, Livraison du 09 janvier 2016, Archives Julien PIAT, mis à jour le : 07/01/2016, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/reserve/313-fiction-s-de-genese-l-exemple-de-molloy-de-samuel-beckett.

Quelques mots à propos de :  Julien  Piat

Université Grenoble Alpes / U.M.R. Litt&Arts – ÉCRIRE