La Réserve : Archives Jean-Yves Vialleton
Écriture épistolaire et rhétorique : Aristote, ancêtre de la marquise de Sévigné
Initialement paru dans Cécile Lignereux dir., Lectures de Mme de Sévigné, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, p. 49-66
Texte intégral
-
1 Les épistres spirituelles de la Mère J.F.F., baronne de Chantal, fondatrice...
-
2 Ibid., non paginé, quarto **2, p. 1
1On peut retrouver, grâce à une inspiration divine, toutes les règles de la rhétorique, sans même jamais les voir apprises dans les livres. C’est en tout cas ce qu’affirme l’avant-propos du recueil de lettres de Jeanne de Chantal1. La sainte femme dictait ses lettres « avec tant de grâce, qu’on eût jugé qu’elle avait présent et comptant tout le trésor de la Rhétorique, et tout l’assemblement des belles Épîtres des Anciens »2. Jeanne de Chantal est la fondatrice avec François de Sales de l’ordre de la Visitation Sainte Marie. Ce sont des Visitandines de la première maison fondée de l’ordre, Annecy, dans le duché de Savoie, qui ont « fidèlement recueilli » ses lettres. C’est dans des couvents de Visitandines, celui de la rue Saint-Antoine où était enterré son mari ou celui du faubourg Saint-Jacques où fut un temps élevée sa fille, que Mme de Sévigné trouve un lieu de retraite (6 févr. 1671, I, 149-150, p. 55 ; Cf. 29 janv. 1672, « jour de saint François de Sales », I, 425). Jeanne de Chantal était la grand-mère maternelle de la comtesse. Elle était deux fois parente au cousin et correspondant de Mme de Sévigné, Bussy-Rabutin : comme baronne de Rabutin et comme grand-mère maternelle de sa femme. Les Visitandines publient ses lettres pour leur caractère édifiant bien sûr : ce sont des « épîtres spirituelles ». Mais elles les publient aussi comme des « reliques » où se montre aussi bien que dans le récit de sa vie la personne même de la défunte. L’avant-propos suggère aussi qu’elles peuvent servir de modèle rhétorique, car
3 Ibid., n. p., quarto **3, p. 3.
la [sic pour le] mode d’écrire des Lettres, est une partie de l’éloquence et du savoir, dans laquelle les Orateurs n’ont pas moins été admirés, que dans leurs Oraisons les mieux tissues, et dans leurs pièces les plus achevées3.
-
4 Pour un rapide panorama, voir par exemple Marie-Claire Grassi, « Lettre », ...
-
5 Bibliographie dans Bernard Beugnot, Les Muses classiques. Essai de bibliogr...
-
6 Marc Fumaroli, « De l’âge de l éloquence à l’âge de la conversation : la co...
-
7 Roger Duchêne, « Une grande dame et la rhétorique : Madame de Sévigné et le...
-
8 Nathalie Freidel, préface à Mme de Sévigné, Lettres de l’année 1671, Paris,...
2Il pourrait sembler erroné pour un amateur d’ancienne rhétorique de choisir la lettre pour objet. Il n’y a rien sur la lettre dans la Rhétorique d’Aristote, et pas grand-chose dans les textes sur la rhétorique de Cicéron (De oratore, II, 12, 49) et dans l’Institution oratoire de Quintilien (IX, 4, 19-20). Mieux vaudrait, et cela a été souvent fait, aller voir du côté de la riche littérature sur l’art épistolaire proprement dit4, particulièrement florissante au XVIIe siècle5. En outre, selon l’opposition cicéronienne (De officiis, I, 37), la lettre relève plutôt du sermo, de la parole ordinaire, que de la contentio, du discours fait en public. Mieux vaudrait alors, et cela aussi a été souvent fait, mettre en rapport la théorie de la lettre avec la théorie de la conversation. N’a-t-on pas montré qu’à l’âge de l’éloquence que fut l’humanisme succède l’âge de la conversation à l’époque classique6 ? Enfin, il peut sembler incongru d’« appliquer la rhétorique » aux lettres de Mme de Sévigné : « il ne convient pas à une femme d’être savante dans ce domaine là »7 et, si les lettres de la marquise relève de la rhétorique, ce ne peut être que d’une « rhétorique personnalisée qui constitue un démenti des vertus de la rhétorique, trop commune, trop visible, trop attendue pour être convaincante »8. Des textes du siècle classique comme l’avant-propos des lettres de Jeanne de Chantal (il est réédité en 1666) ne nie pas la spécificité de la lettre par rapport à l’« oraison », au discours : la lettre s’oppose à l’art oratoire parce qu’elle n’est pas nécessairement « bien tissue », soigneusement structurée (dispositio), ni « bien achevée », parfaitement rédigée (elocutio). Ils n’en affirment pas moins que l’art épistolaire constitue « une partie de l’éloquence et du savoir », et peut-être la meilleure.
3La tradition rhétorique mérite donc d’être mobilisée pour la lecture des lettres. On essaiera ici de montrer que cette tradition disposait d’une théorie antique proprement rhétorique de la lettre, une théorie qu’on peut même aller jusqu’à appeler « aristotélicienne », ensuite que, loin de se séparer de la rhétorique, l’art épistolaire proprement dit a fourni à l’humanisme un enrichissement majeur à la théorie de l’art oratoire héritée de l’Antiquité, et, pour finir, que la rhétorique offre des instruments précieux à la stylistique même de la lettre, instruments qui au XIXe siècle encore étaient bien connus. Autant de réflexion qui peuvent, nous le verrons, éclairer l’art inimitable de Mme de Sévigné.
I. Le premier Démétrios : Aristote et la théorie de l’art épistolaire comme expression de soi
-
9 Nous citons l’édition et la traduction de Pierre Chiron, Paris, Les Belles ...
-
10 P. Chiron, introduction et notes à la trad. et éd. citées, p. XCIV, note 2...
4Le Peri hermeneias (De elocutione, Traité du style), attribué à un Demétrios ou un Démétrios de Phalère, distingue non pas trois registres, trois genera dicendi, comme le fera Cicéron, mais quatre (le grand style, le style élégant, le style simple et le style véhément) et caractérise chacun d’eux (du point de vue du fond, du choix des mots, de la syntaxe et du rythme, des figures…), en illustrant son propos de nombreuses citations9. Le livre a une influence notable dès le XVIe siècle, mais un passage particulier a retenu l’attention, celui qui concerne la lettre : il est plusieurs fois recopié à part aux XVe et XVIe siècles et on en fait plusieurs éditions et traductions séparées, « notamment dans l’Epistolica Institutio de Juste Lipse, Leyde, 1591 - aux très nombreuses réimpressions »10. Le chapitre III (§ 190-239) est consacré au style simple (§ 190-219) et au style vicieux qui lui correspond, le style sec (§ 236-239). Il suit le chapitre sur le style élégant, dont la caricature est le style affecté (ch. II, § 128-189). Le développement sur le style épistolaire (§ 223-235) conclut celui sur le style simple, digression justifiée en ce que la lettre « demande de la simplicité » (ouverture, § 223) ; elle peut être certes d’un « style légèrement relevé » quand « nous écrivons à des cités et à des rois » (§ 234) ; mais elle est essentiellement « un mélange de deux types : le gracieux et le simple » (conclusion, § 235). Ce mélange désirable fait pendant au mélange vicieux décrit dans le dernier paragraphe du chapitre, celui de la sécheresse affectée, caricature à la fois du style simple et du style élégant (§ 239), paragraphe qui conclut donc à la fois les chapitres II et III.
-
11 P. Chiron, introduction citée, p. LXVII-LXVIII.
5Le texte invite à lire cette théorisation de la lettre comme la théorisation « aristotélicienne » de la lettre, propre à compléter la Rhétorique où elle manque. C’est d’abord parce que, malgré les points de vue originaux du De elocutione, l’influence d’Aristote « peut se détecter presque à chaque page »11. Mais c’est surtout qu’Aristote y est cité en exemple et même présenté comme « celui qui passe sûrement pour avoir le mieux réussi dans le genre épistolaire » (§ 230).
-
12 P. Chiron, notes citées, note 299, p. 126.
6La définition même de la lettre s’appuie sur la discussion d’une définition (§ 223) donnée par l’« éditeur des lettres d’Aristote », un certain Artémon. Ce dernier en fait « en quelque sorte l’une des deux parties du dialogue (dialogos) ». Cette définition permet de rattacher la lettre aux propos de la Rhétorique, où Aristote distingue le style des débats (dialogue et joute oratoire) et le style des discours d’assemblées ou des discours judiciaires, avec chacun leur « élocution » propre (livre III, chap. XII). Démétrios montre que la lettre doit être distinguée du dialogue, en ce qu’elle ne copie pas la parole improvisée ; elle est plus soignée, car elle est une sorte de cadeau. Il s’appuie en cela sur une distinction faite par Aristote penseur de la rhétorique (entre style écrit et style oral) et il illustre son propos par une citation prise à Aristote épistolier dans une lettre à son grand ami Antipater dont on sait qu’il est le seul à avoir conservé son amitié au philosophe à la fin de sa vie12. Cette citation est une longue phrase belle et touchante sur le vieillard forcé à l’exil (par hyperbole, forcé à « parcourir en exilé tous les pays de la terre sans espoir de retour ») pareil à ceux qui préfère mourir (« descendre dans l’Hadès ») que continuer à vivre. La citation est d’autant plus touchante qu’on peut imaginer qu’Aristote parlait de lui-même.
-
13 Ce passage est probablement la source ignorée de la Comédie de proverbes d...
-
14 Ce point a étonné les humanistes au point où Vossius par exemple a pu pens...
7La définition que propose quant à lui Démétrios va continuer cette approche par analogie et contraste. Contraste avec le dialogue : on peut aller jusqu’on donner l’impression de discourir et non seulement de causer (§ 225) ; on ne peut pas utiliser la fréquente fragmentation du dialogue car on serait obscur (§ 226) ; on ne peut imiter l’ancrage dans une énonciation fictive comme on le fait pour imiter la parole orale dans la joute oratoire (exemple tiré d’un dialogue de Platon) et comme on doit le faire au théâtre (§ 226). La lettre relève du style écrit et non du style oral. Un passage plus haut rapprochait déjà style du débat et style de la scène, à propos du style disjoint, style oral (§ 193-195), avec une intéressante notation sur les paroles au théâtre faites pour donner lieu à des mouvements de l’acteur. Aristote lui aussi pour parler du style oral faisait le rapprochement avec la comédie (à partir de 1413 b 16). Analogie avec le dialogue et contraste avec toutes les autres espèces de texte : « La lettre doit faire une large place à l’expression du caractère » (to ethikhon), « c’est presque l’image de son âme que chacun trace dans une lettre » ; « le caractère de son auteur, on le voit nulle part aussi bien que dans la lettre » (§ 227 ; « caractère » rend ethos). La question de ce que c’est que le caractère n’est pas développée, mais l’on sait qu’elle l’est déjà dans le livre II de la Rhétorique d’Aristote. Contraste avec le traité, ou la fausse lettre qui est en réalité un traité (les lettres de Platon et Thucydide) : brièveté (§ 229). Contraste avec la plaidoirie : une composition libre, pas de période oratoire (§ 229), sinon on est ridicule et surtout inamical. Contraste avec le traité philosophique : pas de raisonnements subtils, pas de sujet comme les sciences naturelles, car « la lettre veut un bref témoignage d’amitié et l’exposé d’un sujet simple en termes simples » (§ 230). Ici le traité philosophique n’est pas nommé, mais évident par la mention de sciences naturelles, qu’a illustrées Aristote par sa « physique ». En somme, il y a deux Aristote, l’un que nous connaissons encore aujourd’hui, le philosophe, l’autre, l’épistolier, que connaissait Démétrios, mais que nous ne pouvons que connaître analogiquement, en lisant les lettres de Cicéron à ses amis par exemple. Le paragraphe suivant confirme l’opposition entre écriture épistolière et écriture philosophique : « toute la philosophe » qu’on peut mettre dans une lettre, c’est le proverbe : pas de maximes ni d’exhortation (§ 232) ; « Sa beauté tient à la fois aux marques d’amitié et aux nombreux proverbes qu’on y met ». Comprendre : la lettre n’est pas un traité de moral ; on ne peut donc pas remplacer les lettres perdues d’Aristote par la lecture de celles de Sénèque. Le contraste entre lettre et philosophie est continué (§ 233), mais avec une nuance : la démonstration est tout de même permise si elle est « sur un mode épistolaire ». L’exemple est tiré d’Aristote épistolier qui arrive à donner à un raisonnement moral un tour gracieux. Dans sa rhétorique, Aristote avait réfléchi sur le proverbe. Il le classe dans les preuves non techniques, au même rang que le témoignage (I, 15, 1376 a 3) : le proverbe est un garant. Mais il le considère aussi comme un « raffinement d’expression » (asteion), quelque chose qui fait apprendre naturellement une chose sans effort, comme la métaphore ; le proverbe est même une sorte de métaphore, celle qui se fait de l’espèce à l’espèce (1413 a 14). Est donné en exemple une allusion à une anecdote connue, ce que nous appellerions une locution imagée. Quand Démétrios nous dit que la lettre serait ridicule si elle était trop bien composée, et même, « pour appeler une figue une figue », inamicale (§ 229), il semble donc lui-même employer un « proverbe », donnant à son passage un ton « populaire et commun ». De fait, Démétrios dans le chapitre précédent, sur le style élégant, avait expliqué que « le proverbe est, par nature, une matière gracieuse ». Il avait pour exemple cité un dramaturge aujourd’hui inconnu qui manie ce procédé jusqu’à l’accumulation, Sophron, dont il disait : « On peut recueillir dans ses drames presque tous les proverbes existants » (§ 156)13. Le nom de Sophron était déjà mentionné au début du chapitre, à côté de ceux de Lysias et d’Aristote, chez qui l’on trouve non le premier type de grâces, la grâce noble illustrée par Sappho, mais le second, les grâces « plus triviales et plus comiques [qui] ressemblent à des moqueries », comme de dire à propos d’une vieille femme qu’il est « plus facile de compter ses dents que ses doigts » (§ 128). L’élégance peut donc venir aussi bien du charme poétique que d’un humour familier, et c’est en maître de l’enjouement qu’Aristote apparaît ici14 aux yeux d’un lecteur aussi stupéfait que le narrateur de la Recherche du temps perdu rencontrant Bergotte « en vrai » pour la première fois et s’étonnant de sa barbiche, de son nez en tire-bouchon, de sa conversation brillante mais si différente du style de ses livres. « On est tout étonné et ravi, car on s’attendait à trouver un auteur, et on trouve un homme » : c’est la définition même que donne Pascal du « style naturel ».
-
15 Elle est étudiée dans W. G. Müller, « Der brief als Spigel der Seele », An...
8La définition du style épistolaire par Démétrios peut du coup être lue comme une définition « selon Aristote » et donc un complément à sa Rhétorique. Aristote, non par sa théorie, mais par sa pratique même, illustre un art de la lettre fondée sur la simplicité qui charme et dont la spécificité dernière est d’être le « miroir de l’âme » de l’épistolier, et ce dernier motif a connu une postérité telle15 qu’il mériterait de figurer comme « topos » occidental dans le livre d’Ernst Robert Curtius. Le motif est largement développé par l’auteur de l’avant-propos aux lettres de Jeanne de Chantal :
16 Les épistres spirituelles de la Mère J.F.F., éd. cité, n. p., quarto « **,...
Ces Lettres sont les riches copies de l’excellent original de sa Sainteté, les Images parlantes de sa vie divine, les miroirs ardents de son intérieur tout céleste, les portraits animés de son âme parfaite […] : le fonds enfin, où son grand Génie, et la force de son esprit paraît autant élevé comme en tout le théâtre de sa sainte vie16.
9C’est ce qui fait que les lettres ont été conservées « comme de précieuses reliques » et livrées au public ; grâce aux lettres, Jeanne de Chantal restera comme vivante pour les lecteurs de ses lettres :
17 Ibid., n. p., quarto **2, p. 4.
Ce qu’ont les Lettres de plus essentielles, c’est d’être les lieutenants de la personne, les Ambassadeurs de ses pensées, et le truchement de sa parole. Or, de cela on s’en aperçoit si naïvement dans ses Épitres, qu’il semble qu’on la voit, et qu’on l’entend, qu’elle fasse les reparties et les répliques […]17.
10Retrouver la personne disparue dans le texte qu’elle a laissé et la « voir » de « façon simple, naturelle et ordinaire » : on croirait lire l’avis « Au lecteur » des Essais de Montaigne. Lui-même ne dit-il pas avoir rêvé d’écrire non ses Essais, mais une correspondance à son grand ami La Boétie où son âme aurait été sûrement montrée aussi nue qu’un sauvage du Brésil ?
11On ne croira donc pas ceux qui nous disent que lire les lettres de Mme de Sévigné pour y retrouver sa présence, son ton et son cœur est un contre-sens anachronique, une lecture qui ne peut être faite « avant l’émergence de la notion romantique d’originalité individuelle ». Une des beautés de ses lettres est bien qu’y est peint le caractère de la mère aimante et soucieuse de sa fille. Voilà la première chose que peut nous apprendre la tradition rhétorique.
II. L’autre Démétrios : art de la lettre et théorie des actes de langage
-
18 P. Chiron, introduction citée, p. XCV
-
19 Traduction en français dans Lettres pour toutes circonstances. Les traités...
-
20 Ibid., p. 54-55.
12Comme il y a deux Ménechmes à Épidamne, qu’il ne faut pas confondre, il y a donc comme on l’a vu deux Aristote. Mais il y a aussi deux Démétrios. La tradition a attribué à un Démétrios et même à un Démétrios de Phalère un autre texte, un traité entièrement consacré à la lettre18, Typoi epistolikoi (Les types de lettres). Aucun des deux livres n’est de Démétrios de Phalère qui fut régent d’Athènes puis fondateur de la bibliothèque d’Alexandrie (tournant IVe-IIIe avant J.-C.), mais ce nom prestigieux permet de réunir deux textes dans une même « œuvre » fictive19. Comme son nom l’indique le livre est une typologie : vingt et un types de lettres sont envisagés successivement20. Les types correspondent à différents actes de parole, pour reprendre un terme d’aujourd’hui utilisé en pragmatique. Chaque type est illustré d’un court exemple. Le ton est bien différent du passage sur la lettre du De elocutione : il s’agit d’un traité de correspondance probablement destiné à former des administrateurs. Le premier type est certes la lettre amicale (philikos), mais celle-ci n’a rien à voir avec la lettre à un ami intime, c’est seulement la lettre à laquelle on donne par artifice un ton amical : « La lettre amicale est celle qui semble écrite par un ami pour un ami ». C’est en particulier celle qu’un haut responsable peut écrire à des inférieurs :
Il arrive même qu’ils s’adressent à ceux-ci sans les connaître, car ils n’adoptent pas ce ton parce qu’ils ne forment qu’un et partagent les mêmes goûts, mais dans l’idée que personne ne les rebutera s’ils écrivent amicalement et qu’on acceptera et fera ce pour quoi ils écrivent.
13On ne s’adresse pas à un ami, on fait « comme s’il s’agissait d’écrire à un ami ». L’exemple donné commence ainsi : « Bien que je me trouve séparé de toi par une grande distance, je ne le suis pas physiquement, car, non, il ne sera pas possible que je t’oublie ». Ici le « caractère » (ethos) n’est plus l’âme de l’épistolier mise à nu et offerte au destinataire comme un cadeau, mais seulement un ton.
-
21 Ibid., « une dizaine d’éditions » « en Italie, en France et en Allemagne »...
-
22 Ibid., liste § 4, p. 22-23.
-
23 Les épistres spirituelles de la Mère J.F.F., éd. cité, n. p., quarto « ** ...
-
24 Nicolas Faret, Recueil de lettres nouvelles, Paris, Toussainct Quinet, 163...
-
25 Voir le glossaire de rhétorique du site RARE de l’Université Stendhal-Gren...
-
26 Édition citée : Lettres de s. François de Sales, avec l’abrégé de la vie s...
-
27 Éloge (lettre XXI), narration et consolation (lettre XLII)…
-
28 « On voit dans cette lettre la profonde humilité de saint François de Sale...
14C’est la même « rage taxinomique », selon l’expression de Roland Barthes, qu’on trouve dans d’autres traités épistolaires, par exemple les Epistolemaioi kharactêres, compilation tardive placée pour le prestige sous le nom de Libanios, qui elle aussi connaît un succès certain à la Renaissance et au XVIIe siècle21. On y distingue quarante et un types22, avec des subdivisions : par exemple le premier type, la lettre parénétique, lettre de conseil qui n’admet pas de contradiction (ce qui la distingue de la lettre d’instigation) est divisée en lettre d’incitation et lettre de dissuasion. Le pouvoir utilise des lettrés pour écrire des lettres officielles, ce qui donne lieu à maints artes dictaminis au Moyen Âge et à toute une littérature dans l’Italie de la Renaissance de l’art du parfait segretario, qui poursuivent cette tradition taxinomique. Celle-ci est bien vivante au XVIIe siècle : l’avant-propos des lettres de Jeanne de Chantal donne une liste avec vingt sept types, outre la lettre « familière »23. Elle est présente quoique discrètement même dans les simples recueils, par l’intermédiaire des titres donnés au lettres. Dans le recueil Faret dédié à Richelieu, la lettre de Malherbe à l’évêque de Mende est titrée : « Il le supplie de recommander ses affaires à Monsieur le Cardinal, et lui promet de s’en revancher par des louanges »24 : c’est désigner la lettre comme une petitio, avec ses deux parties attendues, demande et promesse25. Dans des recueils de lettres de François de Sales, les titres désignent aussi clairement l’acte de parole, la suasio (le conseil) et l’exhortatio (l’encouragement) sont bien sûr fréquentes dans ces lettres de direction spirituelles26, mais parmi bien d’autres actes de langage27 ; pour certaines lettres, c’est la peinture du caractère exemplaire de l’auteur qui prévaut sur l’acte de parole28. La tradition taxinomique se prolonge jusqu’à nos jours, mais elle a fleuri avec les livres sur la lettre du XIXe siècle. Beaucoup de ces derniers utilisent comme exemples des lettres des XVIIe et XVIIIe siècles, dont les lettres de Mme de Sévigné. À titre de simple exemple, et parce que leur numérisation est disponible en ligne, on peut citer les Eléments de style épistolaire d’E. Sommer (Paris, Hachette, 1849), les Éléments de style et de composition littéraire de François Degive, (Mons, Manceaux-Hoyois, Anvers / H. Manceaux, Bruxelles, A. Decq, 1856), ou le Dictionnaire pratique et critique de l’art épistolaire français, de Charles Dezobry (Paris, Delagrave et Cie, 1866). Dans ce dernier ouvrage au volume impressionnant (1344 pages), mille lettres sont classées en genres rangés par ordre alphabétique ; chaque genre y fait l’objet de « Préceptes et conseils » et est illustré par l’anthologie, elle-même divisée en « sections ». La « lettres d’amitiés », par exemple, dont Mme de Sévigné est donnée comme le modèle par excellence, se divisent en : conjugale, de femme à homme et réciproquement, de femme à femme, d’homme à homme, maternelle et paternelle. C’est contre ce type d’ouvrages que G. Lanson écrit une préface à un Choix de lettres du XVIIe siècle (Paris, Hachette, 1898) où il affirme qu’il n’y a pas d’art épistolaire, qu’une bonne lettre est d’abord la peinture de l’âme de son auteur. Il le fait dans un contexte où l’histoire littéraire et l’esthétisme essaient de remplacer dans l’institution éducative française la rhétorique, mais en même temps il ne fait que reprendre la tradition du De elocutione.
15Voilà en effet le paradoxe. Sous le même nom de Démétrios et sur le même sujet de la lettre, la tradition a rangé un traité rhétorique qui présente la lettre comme le lieu utopique de l’expression transparente de soi (c’est le modèle qu’illustre dès le Trecento Pétrarque dans ses lettres familières) et un traité proprement épistolaire qui au contraire pense la lettre comme un acte rhétorique dans le sens péjoratif du terme, c’est-à-dire comme un acte d’un rationalisme cynique.
-
29 Érasme, De conscribendis epistolis, 1522. Édition utilisée ici : Liber uti...
-
30 Sur ce point, voir le texte accompagnant la traduction du chapitre d’un li...
16Mais le paradoxe se prolonge en ce que c’est grâce aux traités épistolaires que l’humanisme va enrichir la pensée de l’art oratoire d’une de ces plus puissantes théorisations. Plusieurs humanistes rédigent des traités épistolaires et proposent une taxinomie. C’est le cas de Juste Lipse, qui y insère une traduction du passage sur la lettre du De elocutione. C’est le cas d’Érasme qui cite le classement « des Grecs », c’est-à-dire celui des Types épistolaires, et propose un classement qui range les types dans la tripartition rhétorique des trois genres oratoires (genera causarum), le délibératif, le judiciaire, l’épidictique, en y ajoutant une quatrième classe, le genre familier29. Ces taxinomies seront transposées à l’art oratoire lui-même et donneront des précises descriptions typologiques des discours selon l’acte de langage dont il relève, chez Melchior Junius, chez Vossius30, ce qui permettra la synthèse en particulier de ce qu’on trouvait déjà mais de façon dispersée dans les annotations antiques de Virgile ou de Térence.
-
31 Nous résumons ici la préface des Lettres de François de Sales, éd. citée, ...
17Une lettre de Mme de Sévigné peut être lue comme une mosaïque d’actes de langage, car ses lettres entrent pour la plupart dans ce que les traités appellent le genre « mêlé », qui est le plus souvent celui de la lettre familière. Leur composition joue tantôt sur la régularité (on répond à la lettre « article par article » selon une règle souvent explicitée dans les traités épistolaires) tantôt sur les ruptures entretenant agréablement l’attention (varietas), car « il y a de la grâce aussi dans l’effet de surprise » (De elocutione, § 152). Elles privilégient ce qu’Érasme appelle les sous-genres familiers (genus familiare) : nouvelles (nunciatoria), joie partagée (gratulatoria), plaisanteries (jocosa)… Elles donnent à voir des lieux ou des personnes, ce sont des descriptiones du genus demonstrativum (ou encomiasticon). Elles n’emploient que très peu les sous-genres du judiciaire (judicale genus), ou elles le font avec humour (les remontrances, expostulationes, à M. de Grignan par exemple, ne sont souvent que des astéismes). Le genre délibératif (suasorium genus) est en revanche bien présent si l’on y prend garde. Il y a bien sûr tous les conseils (monitio), mais la déclaration d’amour en tant que demande de marques d’amour (amatoria) est aussi un sous-genre délibératif. La courte lettre de Sévigné à sa fille du 15 mars 1671 (I, 185-186 – p. 101-102) est pour partie une lettre de recommandation. Elle a intéressé à ce titre les traités épistolaires du XIXe siècle, qui la citent souvent en l’arrêtant à « j’aime à vous écrire. », car la suite mêle facéties (facetiae du genre jocosum), nouvelles et surtout « tendresses ». Les « témoignages sensibles de tendresse et d’affection » sont des passages obligés de la lettre d’amitié et d’amour, et même dans les « épitres spirituelles » : François de Sales en accable Jeanne de Chantal, mais saint Paul lui-même dans ses épîtres ne les dédaignait pas31.
-
32 Type 2, trad. citée, p. 56-57
18Cette lettre du 15 mars 1671 a posé un problème philologique. La personne recommandée, « M. de la Brosse », est donnée dans la lettre comme le fils d’un « des plus anciens amis » de Mme de Sévigné, mais aucune trace du père ni du fils n’a été retrouvée dans l’entourage de la marquise. La tradition de l’art de la lettre peut peut-être éclairer ce problème. La lettre de recommandation est définie dans les Types épistolaires du pseudo-Démétrios32. L’exemple contient cette phrase qui définit l’acte de parole : « tu agiras bien si tu le juges digne d’un bon accueil, par égard pour moi, par égard pour lui, et même encore pour toi-même ». La définition est :
La lettre de recommandation, c’est celle que nous écrivons à quelqu’un en faveur d’un autre, à la fois en y tressant des louanges et en parlant de gens jusque là inconnus comme s’ils étaient connus.
-
33 Un « sieur de La Brosse » commandait le château d’Angers au début du siècl...
-
34 Pierre Le Neboux de La Brosse, clerc à Angoulême, puis grand vicaire de Sa...
-
35 Pourquoi pas ce simple notable du Haut-Anjou, dont on trouve le nom dans u...
19Si cette définition convient à la lettre de Mme de Sévigné, il faut imaginer que les La Brosse ne sont pas gens si importants qu’on pourrait le penser pour la marquise et cela pourrait guider l’identification. Celle-ci est difficile : il y a eu autant de « de la Brosse » dans la France du XVIIe siècle qu’il y a eu de Démétrios en Grèce, parlementaires, hommes d’armes33, ecclésiastiques34, etc. Le toponyme n’étant pas rare, bien des gens ont été « sieur de La Brosse ». Peut-être ne s’agit-il que d’un simple bourgeois de la clientèle des Sévigné35 : la lettre ne concerne par Grignan gouverneur de Provence et ne vise qu’à demander un bon accueil par Mme de Grignan (Mme de Sévigné remerciera sa fille de « toutes les honnêtetés qu[’elle a] faits à La Brosse », 6 mai 1671, I, 244 – p. 178).
-
36 Op. cit, p. 187-188.
20Les Éléments de style et de composition littéraire de Degive classe la lettre dans les « lettres qui concernent une tiers personne », section « lettre de recommandation ». Il donne ce commentaire36 :
Mme de Sévigné aborde, sans cérémonie et sans détour, l’objet de la lettre. On pressent qu’il n’y a pas de difficulté à vaincre, que l’introduction de M. de La Brosse est la chose la plus simple du monde : « Monsieur… monde ? » On ne s’exprimerait pas autrement dans une conversation familière. Voyez comme elle groupe habilement ses motifs dans une seule phrase : « Vous savez… vous inspirez. » Ces mots : « Vous savez », trois fois répétés, ne prouvent-ils pas que ce serait se moquer des gens ? Ce qui n’empêche pas l’auteur de donner, en réalité, une lettre de recommandation ; encore qu’elle se termine comme elle a commencé : « Vous voyez… utile ».
Cette dernière phrase amène la seconde partie de la lettre : « c’est à moi qu’elle est très bonne », dans laquelle nous retrouvons le langage affectueux d’une mère : « car, en vérité, j’aime à vous écrire ». C’est une chose plaisante etc. Cette réflexion puisée dans la nature, ne prouve que mieux son affection. « Je me trouve heureuse d’avoir commencé cette journée par vous. » Que de tendresse dans ces quelques mots !
La première phrase de cette lettre nous paraît un modèle de finesse et la seconde un modèle de délicatesse.
21Il s’agit bien là d’une analyse rhétorique. Degive était d’ailleurs « docteur en philosophie et lettres, professeur de rhétorique française à l’Athénée royal de Mons ». Sa belle prose cache son caractère technique, qu’une transposition en termes plus pédants peut mettre au jour. Pour le début par exemple : absence d’exorde, pas de captatio, de préparation, car la cause à défendre est honnête et facile ; style simple du sermo selon l’usitata verborum consuetudo (Cf. Rhétorique à Herennius, I, 11) L’opposition finale est celle de l’esprit qui séduit et de la tendresse qui charme, c’est ce qui correspond dans le De elocutione d’une part à l’enjouement de Sophron auteur comique et d’Aristote épistolier et d’autre part à la grâce plus relevé de Sappho, les deux nuances de l’élégance (chapitre III).
22Le Dictionnaire de Dezobry parle aussi des lettres de recommandation, en en livrant les sous-genres : recommandations directes pour les personnes ; directes ou indirectes pour solliciteurs ; à des souverains ; de souverains (pour les personnes ; pour solliciteurs) ; recommandations pour affaires. Chacune des lettres données en exemple est caractérisée, par exemple : » indirecte et adroite » (c’est l’obliqua des rhétoriques), « grave et respectueuses », etc. Dezobry ne classe pas la lettre du 15 mars 1671 parmi les lettres de recommandation ; c’est selon lui une lettre d’introduction. De fait, Mme de Sévigné utilise le verbe introduire. La lettre d’introduction est « cousine de la lettre de recommandation », mais
on suppose toujours que celui ou celle pour qui on l’a écrite, n’a pas besoin de recommandation et qu’il lui suffira d’être mis en rapport avec la personne à qui on l’adresse pour que son esprit, ses manières ou sa bonne mine le fassent aussitôt accueillir convenablement. Il est de bon goût, de haute convenance, de ne pas prendre le ton de la recommandation, ce qui paraîtrait de votre part un doute sur la personne qui n’a besoin que d’une simple introduction.
23Il donne ce conseil :
37 Op. cit., p. 780.
Énoncez tout cela (nom, titres etc.) aussi brièvement que possible, car une lettre d’introduction est destinée à être lue toute entière par la personne à qui vous l’adressez ; or, comme cette lecture a lieu devant la personne qui la présente et qui en est l’objet, il ne faut pas qu’elle soit exposée à rester plus de quelques instants dans la position embarrassante d’inconnu37.
-
38 Op. cit., p. 781.
24Dix-huit lettres sont données en exemple, la première est le début de celle de Mme de Sévigné38, ainsi caractérisée : « Lettre par prétermission [ = par prétérition] assez agréablement appliquée. La conclusion est tout aimable pour le destinataire, et très propre à bien disposer. » Là encore la pensée est rhétorique : Dezobry lit les tendresses finales de Mme de Sévigné comme une captatio benevolentiae au service d’une demande.
-
39 L’édition M. Monmerqué (nouvelle éd., t. III, Paris, Hachette, 1862, p. 11...
-
40 R. Duchêne, op. cit., p. 285.
25On peut discuter sur ce dernier point l’analyse de Debrozy, elle n’en est pas moins dans son ensemble très intéressante. Elle explique la longueur anormalement courte de la lettre. Elle suggère aussi que la lettre a été livrée par M. de La Brosse lui-même, ce qui doit être vrai39. C’est en effet de cette lettre que parle Mme de Sévigné dans la lettre du 18 mars 1671 (I, 189 – p. 106-107) : « Il y a quelques lettres de travers, comme par exemple par M. de la Brosse, qui partit lundi pour Aix ». La lettre s’ajoute aux deux habituelles lettres de la semaine envoyées par la poste40. Elle est du dimanche, la veille du départ de La Brosse. En fait, Mme de Sévigné n’a peut-être fait cette lettre d’introduction à La Brosse que pour se donner l’occasion d’une lettre supplémentaire à Mme de Grignan. Cette dernière n’a-t-elle pas fait porter une lettre quelque jour plus tôt par un simple « paysan de Sully » (9 févr. 1671, I, 154 ; p. 60) ?
III. Les lettres de Mme de Sévigné, école d’atticisme
26La tradition rhétorique, par la troisième tâche de l’orateur, la mise en mots, l’elocutio, offre aussi une grille d’analyse stylistique.
27On trouvera dans le De elocutione de quoi réfléchir sur l’humour lexical de Mme de Sévigné, sur ses expressions familières et ses néologismes. Démétrios cite trois fois une lettre perdue d’Aristote (Rose, n° 668) qui contient les phrases que le traducteur rend par : « Plus je suis solitaire, plus j’aime les potins » et « Plus je suis réduit à moi-même et solitaire, plus j’aime les potins ». L’exemple illustre une grâce qui concerne le vocabulaire, l’utilisation de mots familiers : monôtès, « solitaire » est un mot familier ; quant à autitès, « réduit à moi-même », c’est un néologisme d’Aristote fait sur autos (§ 144, § 164).
28Les propos sur le style simple sont aussi d’un grand enseignement. Pour la syntaxe par exemple, il faut privilégier les phrases courtes et « ne pas étirer en longueur la courbe des périodes » (§ 202). Exemple, ne pas dire : « Car l’Arcélöos qui descend du massif de Pinde passe près de la ville de Stratos avant de se jeter à la mer », mais : « Car l’Arcélöos descend du massif de Pinde ; puis il se jette à la mer ». C’est souvent le style des nouvelles chez Mme de Sévigné, qui va jusqu’à friser la platitude de la « brève » : « Monsieur le Dauphin était malade ; il se porte mieux » (18 févr. 1671, I, 163 - p. 72). Mais le style simple cherche surtout l’enargaia, l’evidentia, c’est-à-dire l’évocation si vivante qu’on a l’impression de voir la scène. Cette « évidence » naît de la précision des détails (§ 209). La Rhétorique à Herennius montre comment une même historiette de la vie quotidienne (une dispute entre un rustre et un adolescent pudique et sans défense à cause de sa jeunesse et de sa bonne éducation) peut être maigre et sans intérêt (IV, 16) ou au contraire délicieuse de vie et de finesse psychologique (IV, 14).
29Le début célèbre de la lettre du 6 février 1671 (I, 149-151 – p. 55-57) fournit un bel exemple de la beauté de l’« évidence ». On trouve un commentaire de cette lettre dans un Manuel de style épistolaire écrit au début du XIXe siècle conjointement par un professeur et une comtesse. Ce commentaire souligne que l’émotion vient non des grands mots, mais de l’hypotypose, qui fait qu’on croit voire et entendre :
41 Felix Biscarrat, Anne Marie Beaufort d’Hautpoul (comtesse de), Nouveau man...
Le récit de leur séparation arrache des larmes. On sent que les siennes ont coulé quand elle a écrit cette lettre ; que toutes les blessures de ce cœur trop sensible se sont rouvertes à ce funeste souvenir. On voit ses pas, ses démarches, son désespoir ; on entend ses soupirs et ses sanglots41.
30Le Dictionnaire Dezobry commente lui aussi la lettre (« lettre d’amitié » : « amitié maternelle ou paternelle » : « tendres regrets de séparation ») et montre comment la représentation « en action », le « tableau », permet le donner du naturel à une expression pourtant hyperbolique de la douleur :
42 Op. cit., p. 115-116
Nous ferons ici une observation que le lecteur aura souvent l’occasion d’appliquer ; c’est que, dans les lettres de Mme de Sévigné, l’exagération de l’expression, quand son émotion l’y porte, se concilie toujours avec un naturel parfait. Par quel art ? Il n’y a point d’art : c’est qu’elle exprime ce qu’elle sent vraiment, qu’elle est toujours elle, toujours en action et jamais en scène. L’expression en harmonie avec sa sensibilité exaltée lui arrive en courant la plume ; et voilà comment elle sait toujours intéresser, nous entraîner toujours dans le tourbillon de ses émotions gaies, sérieuses, tristes, ou désolées. La première ligne de cette lettre « Ma douleur…dépeindre. » passerait pour une affectation avec toute autre que Sévigné ; mais voyez comme le reste rend ces termes naturels : la visite de retraite au couvent de la Visitation ; ses sanglots dans la solitude ; le grand vide qu’elle trouve en voyant partout chez elle l’absence de sa fille ; les réveils noirs de la nuit, etc. ; en vérité, un tableau composé à plaisirs par un écrivain de profession ne serait ni plus touchant, ni plus naturel42.
31On pourrait ajouter que même l’évocation de la peine procure un certain plaisir quand on aime. Inutile de se référer à Lamartine, Musset ou au Hugo de la « Tristesse d’Olympio » : Aristote l’explique déjà très bien dans sa Rhétorique (I, II, 1370 a 15-29).
-
43 Sur l’hésitation entre le style simple et le style moyen dans les traités ...
32Les louanges faites au style de Mme de Sévigné empruntent à la description du style simple. La négligence étudiée ne peut se réduire au seul goût d’une aristocratie des années 1660 qui aurait été « domestiquée par la monarchie absolue », c’est la negligentia diligens prônée par Cicéron (Orator, 23). La simplicité, mais inimitable, c’est la définition même du style simple, dit encore attique (Orator, 76 et 83), qui paraît facilement imitable sans l’être (76). L’enjouement entre dans le style simple selon la tripartition des styles de Cicéron et de Quintilien, qui incluent dans le style simple l’humour dont Démétrios fait une nuance de l’élégance dans son système quaternaire43. Que le modèle de la pureté de langage et de l’expression « simple, naturelle et sans affectation » doive être cherché plutôt que chez une femme que chez un homme est dans la tradition antique : Crassus admirait déjà pour cela Lélia, sa belle-mère, dans le dialogue du De oratore de Cicéron (III, 12). Celle-ci parlait la langue de Plaute, comme Françoise dans la Recherche la langue de Saint-Simon.
-
44 Leo Spitzer, « Die klassische Dämpfung in Racines Stil », 1928, tr. fr. da...
-
45 Karl Vossler, Jean Racine, Munich, Roland-Verlag, 1926, chapitre V, trad. ...
-
46 Voir le commentaire de P. Chiron, introduction citée, p. XCIII-XCIV.
33Mais le point de vue de la tradition rhétorique sur le style simple porte aussi une leçon méthodologique pour la stylistique d’aujourd’hui. Pour caractériser le style de Racine, Leo Spitzer dégageait des traits stylistiques, illustrant chacun d’eux d’exemples44. C’est encore comme cela, même avec des instruments actualisés, que procède aujourd’hui la stylistique : repérage de « stylèmes », listes d’ « occurrences ». Pour caractériser le style de Racine, Karl Vossler au contraire s’intéressait aux mots et aux procédés auxquels le dramaturge avait choisi de ne pas recourir, le sacrifice qu’il avait fait pour atteindre sa poésie qui rase la prose45. La liste d’occurrences ne pouvait alors venir que d’autres textes, ceux qui n’avaient pas fait ce sacrifice (Cyrano de Bergerac ou Corneille par exemple). L’ancienne rhétorique de même caractérise surtout le style simple négativement, comme le style « sans ornements ». Démétrios le caractérise surtout par ce qu’il y faut « fuir », selon le verbe imagé (pheugein) qu’il reprend plusieurs fois46 : fuir les phrases complexes (§ 198), fuir les figures « voyantes » (§ 208), etc. Il faudrait donc relever chez Mme de Sévigné non ce qui s’y trouve mais ce qui ne s’y trouve pas et qu’on trouve dans d’autres correspondances, du point de vue du lexique, des figures, mais aussi de la syntaxe (il semble par exemple qu’il y ait peu de relatives à valeur circonstancielle ou de subordonnées conjonctives de cause et de conséquence).
-
47 La composition de lettres à la manière de Cicéron était un exercice des co...
34Cette stylistique « à l’antique » de Mme de Sévigné mériterait un long développement qu’il est impossible de faire ici. Il faut conclure, et on le fera en répondant à une objection qui est forcément venue à l’esprit du lecteur. Mme de Sévigné, qui n’a été au collège étant une femme, connaissait-elle la tradition rhétorique47 ? Un prétendu néologisme de la comtesse donne sur ce point une indication précieuse sur la divulgation large de ce savoir. Dans une des ses innombrables variations faites sur le thème de l’amour mutuel de la mère et de la fille, Mme de Sévigné utilise cum grano salis une référence savante :
Vous n’êtes point une diseuse, vous êtes sincère ; et en un mot, sans étendre ce discours, que je rendrais asiatique, si je le voulais, je suis assuré que vous m’aimez tendrement. (19 janv. 1674, I, 672)
-
48 Le fait a été signalé par Roger Duchêne, article cité, note 31, p. 281, et...
-
49 Fritz Nies, Les lettres de Madame de Sévigné. Conventions du genre et soci...
35La valeur péjorative du mot asiatique ne correspond pas simplement à « l’idée que l’on s’était faite de l’Asie et de la partie de l’Asie que l’on a en vue », comme le dit le Grand Robert (éd. 2001, t. 1). Il renvoie à un fameux concept technique de la rhétorique48 : le stylus asiaticus ou asianus, le asiaticum genus dictionis (ce qu’on appelle aujourd’hui en français l’asianisme), l’opposé du style attique (Cicéron, Orator, 27 et Brutus, 51, où est dit que le style asiatique est prisé des gens jeunes qui n’ont pas encore la gravité du vieil orateur). Le mot avec cette acception a pu être relevé parmi les néologismes de Mme de Sévigné, comme un mot que les dictionnaires n’attesteront que plus tard et même qu’à partir de l’emploi qu’en a fait Mme de Sévigné49. Il s’agit d’une erreur. Il n’y a pas d’entrée « Asiatique » dans le Dictionnaire de Furetière, mais l’expression « style diffus, ou asiatique » (« qui est lâche, abondant en parole inutile », et dont l’inverse est le « style coupé, ou Laconique ») est donnée à l’article « Style ». Le mot est attesté bien avant dans les traductions de textes antiques. Un mondain peut le lire en 1663 dans la traduction que l’abbé de Pure donne de Quintilien :
50 Quintilien, XII, V, 1663, p. 395, cité en note dans l’éd. M. Monmerqué (t....
Les anciens ont fait cette différence des Asiatiques et des Attiques, que ceux-ci sont serrés et pleins ; ceux-là enflés et vides ; que dans les derniers il n’est rien de superflu, dans les premiers rien de judicieux ni de modéré… Ils [les premiers] ont fait du circuit pour les choses droites et ont périphrasé ce qui avait son nom propre, et cette manière leur est demeuré50.
36Avant encore, un lecteur qui s’intéresse à Cléopâtre lit la vie d’Antoine dans les Vies parallèles de Plutarque et il y trouve le mot :
Il partit de l’Italie et s’en alla en Grèce, là où il employa le temps partie aux exercices militaires, et partie à l’étude de l’Éloquence. Il usait du style et façon de dire, qu’on appelle Asiatique, laquelle florissait et était en grande vogue en ce temps-là, et si avait grande conformité avec ses mœurs, et sa manière de vivre qui était vanteuse, pleine de braverie vaine, et d’ambition inégale, et qui ne s’entretenait point.
-
51 Les hommes illustres grecs et romains, comparez l’vn à l’autre…, Paris, An...
-
52 Bernard Lamy, La Rhétorique ou l’art de parler, 1675, IV, 6, titre : « La ...
37Dans l’édition revue par Puget de la Serre et publiée en 1645, une manchette souligne la « maxime » qu’on peut en tirer : » Au langage se découvre une grande partie du naturel de celui qui parle »51. Les réflexions sur le style se doublent d’une réflexion sur le goût, d’une analyse psychologique (des « mœurs ») et esquisse même la notion de style propre à son auteur (il ne faut pas attendre le Père Lamy pour cela, comme on l’a prétendu52).
-
53 Les épistres spirituelles de la Mère J.F.F., éd. cité, n. p., quarto **3, ...
-
54 Il y a une rhétorique législatrice, impérieuse, c’est celle des grands thé...
38Mais la connaissance des textes rhétoriques n’est pas tout. Comment en effet Jeanne de Chantal a-t-elle appris à écrire ? L’avant-propos de son recueil de lettres nous donne une explication surnaturelle (la grâce divine), mais aussi une explication rationnelle, l’innutrition : elle a d’abord imité le style de François de Sales, bien qu’elle fût de tempérament bien différent, et peu à peu elle a façonné son style propre, comme elle a fait sa vie, style qui devint « animé d’une grâce cachée, et accompagné de je ne sais quel sucre de charité qui ravit, et réjouit l’âme »53. La rhétorique n’est pas seulement science, elle est aussi longue patience54.
39Dans la lettre affectueuse, comme dans les Essais de Montaigne, se donne l’image d’une âme, mais celle-ci se construit dans un dialogue, qui peut être aussi transmission. Il est faible de dire que la rhétorique peut éclairer les lettres de Mme de Sévigné à sa fille, car celles-ci peuvent être lues dans leur ensemble comme une école de rhétorique. L’art d’écrire, l’art d’aimer et l’art de vivre s’y transmettent de façon matrilinéaire, comme la culture littéraire dans la famille du narrateur de la Recherche du temps perdu, ou comme l’art si complexe de la peinture faciale chez les Indiennes caduevo.
Notes
1 Les épistres spirituelles de la Mère J.F.F., baronne de Chantal, fondatrice et première supérieure de l’ordre de la Visitation Sainte-Marie. Fidèlement recueillies par les religieuses du premier monastère d’Annessy, Lyon, Vincent de Cœursillys, 1644 ; « seconde édition », Lyon, Antoine Cellier, 1666 (en fait texte identique :seconde émission avec changement de la page de titre). Numérisations disponible en ligne.
2 Ibid., non paginé, quarto **2, p. 1
3 Ibid., n. p., quarto **3, p. 3.
4 Pour un rapide panorama, voir par exemple Marie-Claire Grassi, « Lettre », dans Alain Montandon (dir.), Dictionnaire raisonné de la politesse et du savoir vivre, du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 1995, p. 543-566.
5 Bibliographie dans Bernard Beugnot, Les Muses classiques. Essai de bibliographie rhétorique et poétique, Paris, Klincksieck, 1996, p. 114-12. Pour les textes antiques ou néo-latins, voir par exemple Horsius, Epistolographia…, 1633, première partie du premier index, B. Beugnot, op. cit., n° 945.
6 Marc Fumaroli, « De l’âge de l éloquence à l’âge de la conversation : la conversion de la rhétorique humaniste dans la France du XVIIe siècle », dans Bernard Bray et Christoph Strosetzki (dir.), Art de la lettre, art de la conversation à l’époque classique en France, Paris, Klincksieck, 1995, p. 25-45 ; voir aussi Id., La diplomatie de l’esprit de Montaigne à La Fontaine, Paris, Hermann, 1998, chapitre 5, « À l’origine d’un art français : la correspondance familière », où il est dit que ce fut « la lettre familière, rattachée à l’infini liberté du moi chrétien et privé, qui fit contrepoids à l’édifice scolaire de la rhétorique aristotélicienne » (p. 181).
7 Roger Duchêne, « Une grande dame et la rhétorique : Madame de Sévigné et le P. Le Bossu », dans Critique et création littéraires en France au XVIIe siècle, Paris, Éditions du CNRS, 1977, p. 273-285 (citation p. 281) ; article recueilli dans Écrire au temps de Mme de Sévigné : lettres et texte littéraire, Paris, Vrin, éd. augnemntée, 1981, p. 63-75.
8 Nathalie Freidel, préface à Mme de Sévigné, Lettres de l’année 1671, Paris, Gallimard, 2012, coll. « Folio classique », p. 34. L’auteur a développé ce jugement dans son livre La conquête de l’intime : public et privé dans la "Correspondance" de madame de Sévigné, Paris, H. Champion, 2009, p. 668-681, où l’on trouvera un état de la question du rapport de Mme de Sévigné à la rhétorique. Le jugement reprend les conclusions du grand spécialiste de Mme de Sévigné, Roger Duchêne, Madame de Sévigné et la lettre d’amour, Paris, Klincksieck, 1992 (première éd. 1970).
9 Nous citons l’édition et la traduction de Pierre Chiron, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1993 (pour un commentaire développé sur le De Elocutione, voir du même auteur Un rhéteur méconnu : Démétrios…, Paris, Vrin, 2002).
10 P. Chiron, introduction et notes à la trad. et éd. citées, p. XCIV, note 297 p. 63.
11 P. Chiron, introduction citée, p. LXVII-LXVIII.
12 P. Chiron, notes citées, note 299, p. 126.
13 Ce passage est probablement la source ignorée de la Comédie de proverbes d’Adrien de Montluc, comte de Cramail (1634).
14 Ce point a étonné les humanistes au point où Vossius par exemple a pu penser qu’il fallait corriger le nom d’Aristote par celui d’Aristophane (P. Chiron, op. cit., note 172 à la page 39, p. 108). Démétrios distingue cependant bien l’humour de la rigolade (l’hilaros logos et le geloion, § 128, § 163-172).
15 Elle est étudiée dans W. G. Müller, « Der brief als Spigel der Seele », Antike und Abenland, 26, 2, p. 138-157 (référence donnée par P. Chiron, introduction citée, p. XCVII, note 178).
16 Les épistres spirituelles de la Mère J.F.F., éd. cité, n. p., quarto « **, p. 2.
17 Ibid., n. p., quarto **2, p. 4.
18 P. Chiron, introduction citée, p. XCV
19 Traduction en français dans Lettres pour toutes circonstances. Les traités épistolaires du Pseudo-Libanios et du Pseudo-Démétrios de Phalère, introduction, traduction et commentaire par Pierre-Louis Malosse, Paris, Les Belles Lettres, 2004. P.-L Malosse explique l’attribution par un « effet de renommée ou procédé de réclame », p. 53.
20 Ibid., p. 54-55.
21 Ibid., « une dizaine d’éditions » « en Italie, en France et en Allemagne », note 1, p. 86.
22 Ibid., liste § 4, p. 22-23.
23 Les épistres spirituelles de la Mère J.F.F., éd. cité, n. p., quarto « ** 3 », p. 1.
24 Nicolas Faret, Recueil de lettres nouvelles, Paris, Toussainct Quinet, 1634, t. 1, p. 9.
25 Voir le glossaire de rhétorique du site RARE de l’Université Stendhal-Grenoble3.
26 Édition citée : Lettres de s. François de Sales, avec l’abrégé de la vie sainte de Madame de Chantal, Paris, François Fournier, 1746. Exhortation : « Cette lettre est écrite pour animer Madame de Chantal à bien porter sa croix.. » (lettre VII) ; « Cette lettre est pour affermir Madame de Chantal dans le projet… » (XLIV) ; « Cette lettre est une exhortation pathétique à… » (LIV) ; « Cette Lettre de feu pour allumer l’amour de Dieu et exciter à la vertu… » (LXIII)… Les Epistres de Jeanne de Chantal sont aussi titrées.
27 Éloge (lettre XXI), narration et consolation (lettre XLII)…
28 « On voit dans cette lettre la profonde humilité de saint François de Sales, et combien il fuyait l’estime des hommes » (lettre LI).
29 Érasme, De conscribendis epistolis, 1522. Édition utilisée ici : Liber utilissimus de conscribendis epistolis,…, Amsterodami, apud J. Janssonium, 1636.
30 Sur ce point, voir le texte accompagnant la traduction du chapitre d’un livre de Vossius par Francis Goyet et Laurence Vianès, Exercices de rhétorique, n° 2 (à paraître sur le site revue.org).
31 Nous résumons ici la préface des Lettres de François de Sales, éd. citée, p. VI-XIV (avec une petite anthologie des tendresses de saint Paul). La lettre IX donne l’exemple d’après son titre d’une lettre entièrement « remplie de tendresse et des témoignages d’une sainte affection ».
32 Type 2, trad. citée, p. 56-57
33 Un « sieur de La Brosse » commandait le château d’Angers au début du siècle. Le plus connu des « sieur de La Brosse » dans l’armée est celui qui s’illustre à partir de l’année suivante dans la Guerre de Hollande. Il est capitaine du Régiment Dauphin en 1673 lorsqu’il est blessé à Maastricht. « Partisan célèbre » (lettre de Pierre Bayle du 25 août 1676, où il est appelé « M. de La Brosse »), c’est-à-dire chef de commando fameux, il est connu par avoir incendié Hagueneau (février 1677).
34 Pierre Le Neboux de La Brosse, clerc à Angoulême, puis grand vicaire de Saint-Brieuc, puis évêque de Saint-Paul-de-Léon en décembre 1671 (appelé dans une lettre de Colbert datée du 27 octobre 1680 « M. de La Brosse »), a assisté aux États de Bretagne, notamment à ceux de Vitré en 1673.
35 Pourquoi pas ce simple notable du Haut-Anjou, dont on trouve le nom dans une archive (transcrite dans A. de Falloux, « Madame de Sévigné, fondatrice en Anjou », Revue de l’Anjou et de Maine-et-Loire, deuxième partie, vol. 1, 1852, p. 327-332) ? Le 20 février 1680, à Paris, Mme de Sévigné comme procuratrice de membres de sa famille et son fils en son nom propre signent avec un représentant des curés et marguillers de l’église de Grugé un acte permettant à Mme de Lafayette de tirer une rente sur les terres de Champiré destinée à exécuter les dernières volontés d’Élisabeth Pena, sa mère et l’épouse en second mariage de Renaud de Sévigné, l’oncle du mari de Mme de Sévigné, rente permettant l’entretien d’un prêtre à Champiré (Mme de Lafayette a œuvré à récupérer l’héritage maternelle, son beau-père ayant tout légué à Port-Royal : voir Émile Magne, Le cœur et l’esprit de Madame de Lafayette, Paris, Émile-Pail frères, 1927, p. 210-214). À cet acte est joint un acte du 16 juin 1679 où des paroissiens de Grugé donnent procuration pour accepter cet accord. Parmi eux signe « Guy Alaneau, sieur de La Brosse ». La terre de La Brosse avait appartenu aux Baraton, possesseur de la seigneurie et du château de Champiré qui étaient passés par mariage à Renaud de Sévigné et qui fut le lieu d’exil de ce dernier après la Fronde. Alaneau n’est qu’un bourgeois : l’archive fait précéder son nom de la mention « HH », c’est-à-dire « honorable homme » qui signalait un notable, mais roturier. Mais qu’allait-il faire en Provence ?
36 Op. cit, p. 187-188.
37 Op. cit., p. 780.
38 Op. cit., p. 781.
39 L’édition M. Monmerqué (nouvelle éd., t. III, Paris, Hachette, 1862, p. 110, note 4) en fait une lettre envoyée par un ordinaire de Lyon qui aurait été le lundi. On a pu du coup écrire que c’était un lettre envoyée « à l’adresse de Monsieur l’Intendant de Lyon », comme les lettres du 9 et 12-13 févr. 1671 (I, 153 - p. 59 ; I, 158 - p. 66). Mais le 15 mars Mme de Grignan a dépassé Lyon et les lettres sont envoyées en Provence depuis le 18 février (I, 161 - p. 70).
40 R. Duchêne, op. cit., p. 285.
41 Felix Biscarrat, Anne Marie Beaufort d’Hautpoul (comtesse de), Nouveau manuel complet du Style épistolaire ou choix de lettres […] précédé d’instructions sur l’art épistolaire […], nouvelle édition augmentée, Encyclopédie-Roret, Paris, Librairie encyclopédique de Roret, 1841 (première éd. 1835), p. 8.
42 Op. cit., p. 115-116
43 Sur l’hésitation entre le style simple et le style moyen dans les traités épistolaires du XVIIe siècle, voir B. Beugnot, « Style ou styles épistolaires ? », Revue d’histoire littéraire de la France, 1978, n° 6, p. 939-957.
44 Leo Spitzer, « Die klassische Dämpfung in Racines Stil », 1928, tr. fr. dans Leo Spitzer, Études de style, par É. Kaufholz, A. Coulon, M. Foucault, Paris, Gallimard, 1970.
45 Karl Vossler, Jean Racine, Munich, Roland-Verlag, 1926, chapitre V, trad. fr. de l’extrait par Denise Berger, Exercices de rhétorique, n° 1 (en ligne sur le site revues.org)
46 Voir le commentaire de P. Chiron, introduction citée, p. XCIII-XCIV.
47 La composition de lettres à la manière de Cicéron était un exercice des collèges : François de Dainville, L’éducation des Jésuites (XVIe-XVIIe siècles, Paris, Les Éditions de Minuit, 1978, p. 128.
48 Le fait a été signalé par Roger Duchêne, article cité, note 31, p. 281, et par Nathalie Freidel, op. cit., p. 670.
49 Fritz Nies, Les lettres de Madame de Sévigné. Conventions du genre et sociologie des publics, trad. de l’allemand par M. Creff, Paris, H. Champion, 2001, p. 384 (s’appuyant sur le Französisches Etymologisches Wörtebuch).
50 Quintilien, XII, V, 1663, p. 395, cité en note dans l’éd. M. Monmerqué (t. III, p. 375-376).
51 Les hommes illustres grecs et romains, comparez l’vn à l’autre…, Paris, Antoine Robinot, 1645, revu et corrigé par M. de la Serre, t. II, p. 536.
52 Bernard Lamy, La Rhétorique ou l’art de parler, 1675, IV, 6, titre : « La diversité des inclinations et du tempérament diversifie le style. Chaque personne, chaque climat a son style qui lui est particulier. » (éd. Chr. Noille-Clauzade, Paris, H. Champion, 1998).
53 Les épistres spirituelles de la Mère J.F.F., éd. cité, n. p., quarto **3, p. 2. Nous ne citons qu’une petite partie de la phrase.
54 Il y a une rhétorique législatrice, impérieuse, c’est celle des grands théoriciens qui tranchent dans des débats, font événement ; l’autre est pratique, parie sur la répétition patiente, la durée et la maturation. Si l’on suit l’opposition anthropologique formulée par Pierre Bourdieu à propos de la culture kabyle (Le Sens pratique, Paris, Les Éditions de Minuit, 1980), on dira que la première est masculine, la seconde féminine. C’est à cette part féminine (dominée dans le système des valeurs, bien que, ou parce que, essentielle dans la réalité) de la rhétorique que s’intéresse le groupe RARE de Grenoble : le savoir (doctrina) n’est rien sans exercice (usus) et sans don (natura).
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Jean-Yves Vialleton
Université Grenoble Alpes / U.M.R. Litt&Arts – RARE Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution