La Réserve : Livraison du 14 septembre 2016
Les citations bibliques dans la Première Apocalyse Apocryphe de saint Jean. Sa relation avec les Quaestiones ad Antiochum Ducem
Initialement paru dans : « Soyez des changeurs avisés ». Controverses exégétiques dans la littérature apocryphe chrétienne (Cahiers de Biblia Patristica 12), dir. Gabriella Aragione et Rémi Gounelle, Strasbourg, Université de Strasbourg (diff. Brepols), 2012, p. 145-161
Texte intégral
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1 Ed. Tischendorf, Apocalypses Apocryphae, Leipzig, 1866 (réimpr. Hildesheim,...
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2 PG 10, col. 904-952. Le rapprochement a été proposé par M. Erbetta, La prim...
1La Première Apocalypse Apocryphe de saint Jean1 n’est visiblement pas un texte d’une haute antiquité. Elle a certainement été rédigée au-delà du Vème siècle , et on a même proposé de la dater de l’époque iconoclaste. Par ailleurs les caractères les plus saillants de l’apocalyptique, l’imagerie et l’intérêt pour les puissances politiques, lui manquent. Pour l’imagerie, elle se contente d’emprunter à l’Apocalypse canonique la scène du livre scellé et de l’ouverture des sept sceaux. Le reste consiste uniquement en un dialogue avec le Christ lui-même, à qui l’on pose diverses questions concernant les fins dernières. Les questions n’étant ici organisées autour d’aucune vision, il s’agit d’une reformulation en style apocalyptique d’un genre littéraire qui est en fait celui des Erotapokriseis. Pour l’intérêt marqué au devenir historique du monde, le rapprochement qui a été proposé avec le De Consummatione Mundi du Pseudo-Hippolyte2 fait apparaître à mon avis plus de différences que de ressemblances. Le Pseudo-Hippolyte s’intéresse aux désordres sociaux qui précèdent la fin des temps, aux prédictions de Daniel sur les empires, à l’évolution du gouvernement de l’Antéchrist de la démocratie à la tyrannie. En ce qui concerne l’apocalypse apocryphe ces sujets ne sont abordés que dans la version longue représentée par le manuscrit E. La version courte fournit certes une description détaillée de l’aspect physique de l’Antéchrist, mais c’est un emprunt à l’Apocalypse d’Esdras : sur son gouvernement, peu de choses, sinon que le demi-septennat de prédication des deux « témoins » suit celui du règne absolu de l’Antéchrist alors que chez le Pseudo-Hippolyte il le précède. Du reste, l’absence totale de références au livre de Daniel dans l’apocalypse apocryphe est une marque éclatante de son état d’esprit « apolitique » qui la distingue de la plupart des autres textes apocalyptiques.
2Les questions dont s’occupe ce texte sont d’ordre théologique. Il s’agit notamment de savoir quel est le rapport entre le monde de la béatitude finale et le monde matériel tel que nous le connaissons, comme le montre la question initiale (ch. 1) : « Le ciel et la terre, le soleil et la lune, que deviendront-ils ? » La vision des sept sceaux fournira à cela une réponse. On peut aussi connaître les adversaires que vise notre texte en considérant qui il envoie en enfer (ch. 21-23). Ce sont les Juifs, les chrétiens pécheurs et les païens (« Hellènes ») polythéistes. De façon remarquable, les hérésies sont considérées comme des branches de l’idolâtrie hellénique : il y a là un état d’esprit proche de la Thérapeutique des maladies helléniques de Théodoret de Cyr. L’absence parmi les damnés d’autres monothéistes que les Juifs pourrait indiquer que l’auteur ne connaît pas l’islam ou ne le prend pas en compte : la tripartition païens-Juifs-chrétiens, héritée du tout premier christianisme, reste valable pour lui. Finalement, la seule notation un peu précise sur les damnés concerne « ceux qui n’ont pas cru à la sainte résurrection ». L’auteur veut donc sans doute combattre, non pas vraiment l’incroyance à ce sujet, mais certaines conceptions de la résurrection qui à son avis la vident de son sens.
3Le scénario eschatologique se distingue par les traits suivants :
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3 Cela semble aller à l’encontre de I Co 15, 51 dans le texte actuellement re...
41. Après le règne de l’Antéchrist, toute l’humanité meurt : il n’y a pas de petit reste de survivants. Ensuite toute l’humanité ressuscite, puis est enlevée sur les nuées. Certains hommes donc ne meurent que pour ressusciter aussitôt après. Il convient de noter que cette idée, tout en méritant attention, n’est pas rare et ne peut être regardée comme hétérodoxe.3
52. Plus original : cet enlèvement sur les nuées ne signifie pas que la béatitude finale prend place au ciel. C’est une mise en réserve, comme on le voit dans de nombreux textes apocalyptiques notamment juifs. Les hommes doivent être mis à l’abri sur les nuées parce que pendant ce temps, la terre subit des transformations importantes. Mais ensuite, quand le Fils de l’Homme apparaît en gloire sur les nuées, avec lui l’humanité redescend pour le jugement, après quoi les justes prennent possession de la nouvelle terre. L’apocalypse est très nette là-dessus : « on fera descendre sur la terre Jérusalem, vêtue comme une fiancée. (…) Le ciel restera vide, et je descendrai sur la terre, et tout ce qui est dans les airs sera ramené sur la terre » (ch. 17). « A ce moment-là le Paradis sera dévoilé, et le monde entier et le Paradis ne feront plus qu’un, et les justes seront sur la surface de toute la terre avec mes anges, comme l’a prédit le Saint-Esprit par David le prophète : "les justes hériteront la terre, et ils y habiteront pour les siècles des siècles" » (ch. 25). La béatitude finale se situe sur la terre, qui a été aplanie et blanchie comme la neige ou « comme une feuille de papier » (ὡς χαρτίον), et qui est désormais identique au Paradis.
63. Les ressuscités ont des corps tous semblables, qui ne diffèrent pas plus les uns des autres qu’une abeille d’une autre abeille (ch. 11). Cependant les justes ont des moyens, non précisés, de reconnaître ceux qu’ils ont connus au cours de leur vie ; les pécheurs, non (ch. 12).
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4 Whealey Alice, « The Apocryphal Apocalypse of John. A Byzantine Apocalypse ...
74. Les objets sacrés et précieux, c’est-à-dire non seulement la Sainte Croix mais aussi les icônes et tout le mobilier des églises, seront eux aussi mis en réserve sur les nuées en même temps que les hommes, pour qu’ils ne disparaissent pas dans la rénovation de la terre. On leur accorde donc, pratiquement, l’éternité. Ce passage a servi d’argument pour caractériser l’œuvre comme anti-iconoclaste4. La suite de notre article montrera pourquoi une datation si tardive ne convainc pas. En fait le mouvement iconoclaste a été précédé par des décennies pendant lesquelles les icônes ont été de plus en plus sacralisées, et le culte qui leur était rendu a commencé dès lors de recevoir des justifications théoriques. En outre, il faut noter que, si les objets sacrés ainsi mis à l’abri ne servent qu’à solenniser la redescente du Christ sur terre en lui donnant l’allure d’une procession (ch. 17, 6-8), la Sainte Croix, elle, remplit une fonction beaucoup plus essentielle au bon déroulement des événements eschatologiques : elle est « le signe du Fils de l’Homme » qui doit « apparaître depuis le ciel » pour annoncer le Jugement, selon Mt 24, 30 (ch. 16, 3-4), et il est donc important qu’elle soit préservée, intacte, dans le ciel jusqu’à ce moment-là.
8Les versets scripturaires sont nombreux et introduits comme tels, avec souvent la mention du livre dont ils sont tirés : « Comme l’a dit le prophète David » pour les Psaumes, « comme Je l’ai dit » pour les Évangiles, ou simplement « comme l’a prédit le prophète » pour l’Ecclésiaste, Isaïe, etc. Les Psaumes prédominent, avec 13 citations sur les 24 que contient le texte.
9Le but que poursuit l’auteur en émaillant le texte de ces versets scripturaires peut être détaillé en deux aspects. Dans certains cas, comme on peut s’y attendre, l’auteur cherche à démontrer que le scénario eschatologique qu’il promeut s’appuie sur l’Écriture : le verset sert de preuve scripturaire. Dans d’autres cas, il s’agit plutôt, à mon avis, d’une réfutation par avance des objections : il faut se débarrasser des versets gênants, de ceux sur lesquels certaines traditions eschatologiques combattues se sont appuyées, en leur prêtant une interprétation qui les rend compatibles avec le scénario proposé.
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5 Irénée de Lyon, Adversus Haereses V, 33, 3-4.
10Comme exemple du deuxième cas je donnerai le chapitre 5 : la première allusion littéraire n’est pas une citation scripturaire, mais c’est le fameux « logion des presbytres » transmis par Papias à Irénée5, selon lequel chaque cep portera mille grappes etc. La tradition rattache ce logion au royaume des cieux, et ainsi il donne lieu à des conceptions millénaristes. Le texte s’attache à réfuter ces conceptions. Il applique le logion à la période qui précédera l’Antéchrist, tout à la fin du temps historique ordinaire avant qu’il ne soit bousculé par l’intrusion de l’eschaton : il y aura une période de vaches grasses, avant les vaches maigres, puisque le règne de l’Antéchrist sera caractérisé par la sécheresse et la famine. Les possibilités non-orthodoxes qu’offre le logion sont ainsi neutralisées. On en retient que l’auteur de l’apocalypse apocryphe, quoiqu’il place la béatitude finale sur la terre, n’est absolument pas millénariste au sens où l’étaient les premières générations chrétiennes.
11Les citations scripturaires sont souvent utilisées de façon tout à fait étonnante. Ainsi les paroles du Ps 50, 9, « Tu m’aspergeras avec de l’hysope, et je serai purifié ; tu me laveras, et je serai plus blanc que la neige », sont censées être prononcées par la terre une fois qu’elle a été renouvelée et qu’elle est devenue, au sens propre, toute blanche. Certes, situer ces paroles dans le temps eschatologique, aux alentours de la résurrection, peut s’accorder avec le v. 10 du même Psaume : « Exulteront les ossements humiliés » ; on voit mal en revanche comment la terre pourrait être le locuteur des mots qui précèdent : « Dans le péché ma mère m’a conçu », ou de ceux qui suivent : « Crée en moi un cœur pur, ô Dieu. »
12Trois psaumes sont cités par deux fois. Du Ps 9 sont cités les versets 18 (ch. 21) puis 19 (ch. 24) ; du Ps 17, les v. 12 (ch. 21) puis 42 (ch. 22) ; du Ps 50, les v. 21 (ch. 8, 6) puis 9 (ch. 15, 5). Les interprétations données aux deux citations du Ps 9 peuvent s’accorder entre elles : elles concernent le sort des différentes catégories de pécheurs au Jugement dernier. Celles des deux citations du Ps 17 s’accordent aussi entre elles si l’on veut rapporter l’ensemble du Psaume au jugement eschatologique. Ce serait donc à la fin des temps que Dieu « incline les cieux et descend », et non dans l’Incarnation comme le croient plusieurs commentateurs, et ce serait dans le jugement dernier que le psalmiste « poursuit ses ennemis et les atteint, (…) les extermine : ils crient, et pas de sauveur » : l’apocalypse apocryphe y voit les Juifs, qui sont donc désignés comme une catégorie importante d’ennemis et même d’agresseurs, à maîtriser. Considérons en revanche les deux citations qui sont faites du Ps 50. La première dans l’ordre du texte est celle du verset final, « alors on offrira des taureaux sur ton autel » (Ps 50, 21). De façon tout à fait inhabituelle, les taureaux sont interprétés comme Élie et Hénoch, que l’Antéchrist mettra à mort à Jérusalem devant le Temple. Le règne de l’Antéchrist est le premier épisode du scénario eschatologique. Dans un épisode suivant, où la terre est renouvelée après que l’humanité a été ressuscitée et enlevée aux cieux, le texte utilise le v. 9, donc un verset situé plus haut dans le même psaume. Par conséquent, il n’est pas possible de lire dans ce psaume un exposé linéaire des événements eschatologiques. On a le choix entre deux appréciations opposées. Soit l’auteur de l’apocryphe utilise les versets psalmiques de façon isolée, chacun pour ses possibilités propres, sans chercher à suggérer une lecture d’ensemble du psaume concerné. Soit au contraire il a une interprétation d’ensemble pour le psaume, mais une interprétation savante, qui fait sa place à la notion — bien connue pour l’Apocalypse canonique — de récapitulation, de retour en arrière. Cette exégèse savante serait probablement chez lui un emprunt. Car pour sa part, il manifeste une connaissance des Écritures indiscutable mais peu approfondie.
13Un indice peut en être trouvé dans la citation du v. 4, 17 de la Première Épître aux Thessaloniciens : « En même temps, avec eux, nous serons emportés sur les nuées, à la rencontre du Seigneur, dans les airs » (ch. 13, § 7). Cet enlèvement sur les nuées qui suit de près la résurrection générale « au son de la trompette », quoiqu’il se fasse « à la rencontre du Seigneur », est entièrement distinct selon notre apocryphe du moment de la descente du Christ sur la terre. Celui-ci, qui est le moment où « tout œil le verra sur les nuées » est bien postérieur et est décrit de façon grandiose au ch. 17 : entre les deux s’est inséré le renouvellement du monde physique. Si l’apocryphe avait cité l’ensemble des versets 16 et 17 de I Th 4, on aurait bien perçu la contradiction de ce scénario avec les données du Nouveau Testament, puisqu’il ressort de I Th 4, 16 que la descente du Christ coïncide exactement avec la résurrection et en est même la cause : « Car le Seigneur lui-même au signal donné, à la voix de l’archange et au son de la trompette, descendra du ciel, et les morts ressusciteront, après quoi (…) nous serons emportés sur les nuées. » L’auteur de l’Apocalypse Apocryphe, soit a oublié l’existence du verset 16, soit l’omet volontairement dans l’idée que ses lecteurs se laisseront abuser. Malgré l’exactitude littérale de ses citations bibliques, il a une connaissance assez superficielle des Écritures et des discussions théologiques qui s’y rattachent, et il ne s’attend pas à ce que ses lecteurs soient plus savants que lui.
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6 Une recherche faite en ligne au moyen du Thesaurus Linguae Graecae sur la c...
14Au total, sur les 24 lieux bibliques invoqués il n’y a que deux passages de l’Ancien Testament qui ne soient pas tirés des Psaumes : Dt 32, 8 au ch. 26 ; et Qoh 12, 4 au ch. 9, une citation inexacte, puisqu’elle comporte l’ajout de pasa botanè qui dérive d’Isaïe 58, 11 ou 66, 146. Au ch. 15 la citation d’Is 40, 4-5 est faite à travers l’Évangile, Lc 3, 5-6.
15Le texte semble même privilégier les versets des Psaumes sur toutes les autres preuves scripturaires. Par exemple pour prouver que les récompenses eschatologiques sont sur la terre il cite Ps 36, 29 : « Les justes hériteront la terre, et ils habiteront sur elle pour les siècles des siècles. » Il aurait pu trouver simplement dans le Sermon sur la Montagne l’expression « les justes hériteront la terre ». Cette préférence pour les Psaumes permet de faire l’hypothèse que le texte a pour auteur un moine.
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7 Épiphane de Salamine, Ancoratus 99, 3, l. 2 : ces paroles ne tiennent pas c...
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8 John M. Court, cité en note 1. Voir sa recension par Richard Bauckham, Revi...
16La réfutation des arguments scripturaires des adversaires paraît être le principal souci des deux citations faites au ch. 12. La première est tirée du Ps 102, v. 14-16 : « Je me suis souvenu que nous sommes poussière. L’homme, ses jours sont comme l’herbe ; comme la fleur des champs il défleurit. Car l’esprit est passé en lui, et il n’existera plus, et il ne reconnaîtra plus son lieu ». L’autre est celle de Ps 145, 4 : « Son esprit sortira et il retournera à la terre ; en ce jour-là toutes ses pensées périront ». Bien sûr, une compréhension obvie de ces paroles y verrait des déclarations contre la survie de l’âme.7 L’apocalypse apocryphe tire de ces versets la réponse à une question bien déroutante : « gardera-t-on en ce lieu-là la pensée des choses d’ici-bas, des champs, des vignes ou d’autres choses d’ici ? » Certes on ne s’attend guère à ce que les ressuscités en pleine béatitude aient la nostalgie du pauvre monde d’autrefois, surtout sous des aspects si limités : pourquoi cet intérêt particulier pour les vignes et les champs, et faut-il en conclure, comme Court8, que le texte exprime les valeurs d’une société rurale ? On notera plutôt, d’une part, qu’il y a là un nouveau désaveu des conceptions millénaristes représentant un bonheur matériel après la résurrection. D’autre part, la question est modelée exprès pour que les versets psalmiques paraissent lui donner une réponse, puisque le premier parle de « la fleur des champs » et déclare que l’homme « ne reconnaîtra plus son lieu ».
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9 Je n’ai trouvé aucun parallèle convaincant à l’apocalypse apocryphe ni dans...
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10 PG 28, col. 597-699.
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11 Anastasii Sinaitae Quaestiones et responsiones, edd. M. Richard et J.A. Mu...
17Au sujet de ces versets et de leur interprétation, la quête de parallèles s’est révélée fructueuse. En effet, il n’est que peu probable, pour les raisons théoriques qu’on a dites, que l’apocalypse apocryphe s’inspire directement de commentaires patristiques de l’Écriture9 ; en revanche, j’ai trouvé des points de contact avec deux textes non exégétiques postérieurs à l’époque patristique. Il s’agit des Quaestiones ad Antiochum Ducem qui circulent parmi les œuvres attribuées à Athanase10, et des Quaestiones et Responsiones d’Anastase le Sinaïte11, deux œuvres qui ont entre elles des liens depuis longtemps reconnus.
12 ἐπισκέπτονται τὸν βίον. On pourrait aussi comprendre « passent en revue le...
Quaestiones ad Antiochum Ducem, qu. 25 : Est-ce que les âmes qui nous ont précédés surveillent la société (des vivants12) ? — Non. Écoute ce que dit le prophète David de ceux qui meurent : « l’homme, etc. (…) ne reconnaîtra plus son lieu » (Ps 102, 15-16). Mais pour les âmes des justes, il ne faut pas en douter.
Quaestiones et Responsiones d’Anastase, qu. 20 : L’âme séparée du corps ne peut aucunement agir : (…) ni se souvenir (…) ni raisonner, ni éprouver de la colère, ni voir » (ch. 5). Comme preuve que l’âme séparée du corps est privée de la faculté de penser, entends ce que dit le psaume de celui qui meurt : « En ce jour-là toutes ses pensées périront » (Ps 145, 4) (…) Comme preuve qu’elles ne voient pas non plus le monde, entends ce que dit le prophète de l’homme : « Car l’esprit est passé en lui, et il ne sera plus, et il ne reconnaîtra plus son lieu » (Ps 102, 16).
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13 On trouve un bel aperçu de ce débat dans l’article de Gilbert Dagron, « L’...
18Le même verset psalmique (du Ps 102, pour les Quaestiones ad Antiochum Ducem) ou les deux mêmes versets (des Ps 102 et 145, chez Anastase) sont utilisés pour prouver à peu près la même idée que dans la Première Apocalypse Apocryphe de Jean. Cependant pour les deux recueils de Quaestiones il s’agit de l’état interim des âmes entre la mort et la résurrection. Alors que l’apocalypse, qui ne se soucie que des événements de la Fin, applique ces mots au temps qui suit la résurrection, les Quaestiones ont une doctrine un peu plus affinée qui se préoccupe aussi du sort actuel des âmes mortes. Il est d’ailleurs permis de trouver cette doctrine plus pertinente : savoir si les morts ont connaissance ce qui se passe sur terre ne manque pas d’importance. Les Quaestiones ad Antiochum Ducem reprennent ensuite le problème plus à fond en demandant (qu. 32) si les âmes des disparus se souviennent de nous13.
19La parenté de ces trois œuvres se confirme sur d’autres points. Ainsi elles affirment qu’à la résurrection les corps sont tous identiques :
14 οὐκ ἔστιν οὔτε ξανθὸς οὔτε πύρρος οὔτε μέλας, ἀλλ’οὔτε αἰθίοψ ἢ διάφορα πρ...
Première Apocalypse apocryphe de Jean, ch.10 : Et j’entendis une voix qui me disait : Ecoute, juste Jean ! Tout le genre humain ressuscitera âgé de trente ans. De nouveau je dis : Seigneur, les gens meurent mâle et femelle, les uns sont vieux, les autres jeunes, les autres encore nouveau-nés : lors de la résurrection, en quel état ressusciteront-ils ? Et j’entendis une voix qui me disait : Ecoute, juste Jean ! Ainsi que les abeilles, en effet, ne diffèrent pas l’une de l’autre mais sont toutes d’une seule apparence et d’une seule grandeur, de même en sera-t-il lors de la résurrection, pour tout homme. Il n’y aura plus ni blond, ni roux, ni noir, pas non plus de négroïde ni de visages différents.14 (…) Tout le genre humain ressuscitera sans corps, comme je vous l’ai dit : « A la résurrection, nul n’épouse et nulle n’est épousée, mais ils sont comme les anges de Dieu (Mt 22, 30) »
15 οὔτε μέλας καὶ λευκός, οὐδὲ ξανθότης καὶ πυρρότης ἢ σιμότης ἢ γρυπότης.
Quaestiones ad Antiochum Ducem, qu. 23 : Toute image d’homme sera semblable à l’image modelée d’Adam, aussi pour la taille et pour la silhouette. C’est pourquoi il n’y a pas dans la résurrection de mâle ni de femelle, ni grand ni petit, ni noir et blanc, ni blondeur et rousseur, ou nez épaté ou nez aquilin.15 — Et comment le père reconnaîtra-t-il son propre fils mort en bas âge, qui ressuscite en homme parfait âgé de trente ans ? (…) — Si cela te paraît difficile à croire, écoute le Seigneur répondre aux Sadducéens : « A la résurrection des morts on n’épouse pas et on n’est pas épousée, mais on sera comme les anges (Mt 22, 30) »
Quaestiones et Responsiones d’Anastase, qu. 20, ch. 11 : Mais même après la résurrection ce n’est pas à des signes de reconnaissance corporels que nous nous reconnaîtrons les uns les autres. Car il n’y a pas là-bas, non, il n’y a pas la petitesse et la grande taille, la blancheur et la noirceur, l’âge tendre et la vieillesse : au contraire, tel était Adam, tels nous ressuscitons, nous tous qui nous sommes endormis depuis l’éternité.
20L’Apocalypse apocryphe et les Quaestiones ad Antiochum Ducem se rejoignent dans l’utilisation qu’elles font de la phrase évangélique de Mt 22, 30. Leur vocabulaire est largement commun : elles mentionnent les cheveux blonds ou roux (ξανθὸς οὔτε πύρρος / ξανθότης καὶ πυρρότης) et distinguent entre la couleur noire de la peau (μέλας) et les traits négroïdes du visage (αἰθίοψ, « Noir africain » / σιμότης, « épatement du nez »). Les Quaestiones d’Anastase le Sinaïte, tout en soutenant les mêmes conceptions, présentent moins de ressemblances littérales. Les deux recueils de Quaestiones, en revanche, partagent la référence à Adam qui est absente de l’apocalypse apocryphe. L’idée que l’on ressuscite à l’âge de trente ans constitue une banalité qui ne peut servir d’indice.
21L’apocalypse apocryphe compare les ressuscités aux abeilles toutes semblables. Les Quaestiones ad Antiochum Ducem elles aussi recourent à l’image des abeilles, auxquelles elles ajoutent les colombes :
Quaestiones ad Antiochum Ducem, qu. 22 : Les âmes dépourvues de corps se ressemblent en tous points, comme pour une foule de colombes sans défauts ou d’abeilles, qui ne diffèrent pas l’une de l’autre.
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16 Anastase ne mentionne ni abeilles ni colombes.
22Cette fois encore, elles distinguent ce qui concerne les âmes des morts dans la période actuelle de l’interim, et ce qui concerne la résurrection : à la première catégorie appartient la comparaison avec les abeilles, alors que l’apocalypse apocryphe l’applique aux corps de la résurrection.16
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17 Au XIIIe siècle, le Thesaurus de Théognoste note qu’Anastase nie que les â...
23Il résulte de cette ressemblance à la fois des âmes nues entre elles et des corps ressuscités entre eux, que chacun est incapable de reconnaître les autres17. Cependant les justes ont des moyens donnés par Dieu de se reconnaître :
Première Apocalypse apocryphe de Jean, ch. 12 : De nouveau je dis : Seigneur, y aura-t-il dans ce monde-là une reconnaissance mutuelle, entre le frère et le frère, entre l’ami et l’ami, entre le père et ses propres enfants, entre les enfants et leurs propres parents ? Et j’entendis une voix qui me disait : Ecoute, juste Jean ! Pour les justes, il y aura une reconnaissance (γνωρισμὸς), mais aucunement pour les pécheurs : ceux-ci, lors de la résurrection, ne pourront pas se reconnaître les uns les autres
Quaestiones ad Antiochum Ducem, qu. 22 : C’est à propos des âmes des pécheurs qui sont châtiées dans l’au-delà, que j’affirme qu’elles ne se reconnaissent pas elles-mêmes. Car aux âmes des justes Dieu a accordé aussi ce bienfait de pouvoir se reconnaître (τὸν ἐπιγνωρισμόν). » Qu. 23 : — A la résurrection non plus les pécheurs ne se reconnaîtront pas les uns les autres ? Rép. : — A la résurrection non plus.
Quaestiones et Responsiones d’Anastase, qu. 19, ch. 7 : Ce que nous avons dit, nous l’avons dit de ceux qui meurent dans leurs péchés. (…) Ch. 10-11 : Comment du reste les âmes se reconnaîtraient-elles les unes les autres dans l’au-delà, alors qu’elles ne se sont jamais vues nues dans cette vie ? (…) Mais même après la résurrection ce n’est pas à des signes de reconnaissance corporels (φυσικῷ ἐπιγνωρισμῷ) que nous nous reconnaîtrons les uns les autres.
24Le dernier point de contact net entre l’apocalypse apocryphe et les deux autres œuvres (je ne tiens pas compte de leur intérêt commun pour le culte des icônes parce qu’il ne s’exprime pas dans les mêmes termes) se fait sur l’idée que les hommes sont aussi nombreux que les anges, avec pour preuve scripturaire Dt 32, 8. Placée dans l’apocalypse apocryphe juste avant la description de la béatitude finale, la question paraît légèrement hors-sujet :
Première Apocalypse apocryphe de Jean, ch. 26 : De nouveau je dis : Seigneur, de quelle grandeur est la multitude des anges ? Et quelle est la multitude la plus nombreuse, celle des anges ou celle des humains ? Et j’entendis une voix qui me disait : « Telle la grandeur de la multitude des anges, telle est aussi celle de la race des humains, comme l’a dit le prophète : Il a établi les limites des nations selon le nombre des anges de Dieu (Dt 32, 8). »
Quaestiones ad Antiochum Ducem, qu. 6 : Quel est le nombre des anges par rapport à celui des hommes ? — Certains disent, quatre-vingt dix-neuf pour un, d’après la parabole des cent brebis ; d’autres, neuf pour un d’après la parabole des dix drachmes ; d’autres, un pour un, d’après les mots Il a établi les limites des nations selon le nombre des anges de Dieu. (Dt 32, 8)
25C’est en fait Cosmas Indicopleustès qui en livre la clé en signalant les conséquences de ces spéculations pour l’eschatologie :
18 Livre V, ch. 255, in Cosmas Indicopleustès, Topographie chrétienne II, éd....
Quant à la consommation, nul n’en connaît le jour, sinon Dieu seul. A ce qu’on dit, tant que le nombre des hommes n’atteint pas celui des anges, le monde ne s’accomplira pas ; Moïse dit en effet : Il fixa les limites des nations selon le nombre des anges de Dieu (Dt 32,8), ce qui veut dire : Dieu a fixé pour terme aux nations le jour où elles seront devenues égales en nombre aux anges. (…) D’ailleurs le Seigneur Christ semble aussi y faire allusion par les mots : A la résurrection ils seront pareils aux anges (Mt 22, 30).18
26Anastase le Sinaïte reflète une opinion en apparence presque identique, en réalité substantiellement différente :
Quaestiones et Responsiones d’Anastase, qu. 94 : Les saints Pères disent que quand le nombre des hommes justes sera complet, égalant le nombre des anges déchus, de sorte que le monde d’en-haut soit complet, c’est alors que viendra la Fin. Car « il faut que le monde d’en-haut devienne complet », selon le cri de Grégoire.
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19 Cette opinion se rencontre chez Hilaire de Poitiers et Augustin : voir DTh...
27Selon cette opinion ce ne sont pas les naissances humaines qui ont pour limite le nombre des anges créés au commencement — parce que, peut-on présumer, Dieu aurait prévu pour chaque homme un ange gardien — mais il s’agit uniquement de la petite partie de l’humanité que constituent les justes : ils égaleront le nombre des anges déchus, comme s’ils devaient suppléer à leur défection et compléter les cohortes angéliques.19 Selon cette perspective beaucoup plus anti-cosmique, l’humanité semble être envisagée comme palliatif à la trahison des anges. Le verset de Dt 32, 8 n’est pas utilisé en ce sens, et de fait, il ne pourrait pas l’être.
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20 Question 47, PG 28 col. 628.
28A l’issue de cette recherche, il apparaît que les Quaestiones ad Antiochum Ducem ont une profonde affinité avec la Première Apocalypse Apocryphe de Jean. Les ressemblances portent sur quatre points : les deux œuvres tirent les mêmes enseignements des mêmes versets scripturaires à propos du nombre des anges, du souci que l’on a de ce monde dans l’au-delà, de la ressemblance des corps ressuscités entre eux ; enfin elles proposent toutes deux l’exemple des abeilles. Il paraît certain que les Quaestiones ad Antiochum Ducem ont utilisé soit l’apocalypse apocryphe, soit un texte qui en était très proche par la formulation. Cependant elles n’adhèrent pas aux idées les plus saillantes mises en avant par l’apocalypse : pour elles le Paradis n’est qu’une région située loin à l’Est sur la route des aromates20, tandis que les rétributions eschatologiques prennent place « dans le Royaume » qui ne semble pas être considéré comme terrestre. L’auteur des Quaestiones ad Antiochum Ducem, si vraiment il a lu l’apocalypse apocryphe, ne lui a pas reconnu l’autorité apostolique dont elle prétend se parer elle-même, mais a conservé une liberté critique à son égard. En outre, sa théologie plus subtile, qui distingue entre ce qui concerne actuellement les âmes mortes et ce qui concernera dans l’avenir les ressuscités, paraît avoir une origine plus savante que celle de l’apocalypse et donner du Ps 102, 16, une interprétation plus pertinente. Tout cela se comprendrait mieux si les deux textes avaient une source commune, qui opérait cette division entre âmes mortes et corps ressuscités et dont l’apocalypse apocryphe a gauchi la doctrine, soit par incompréhension, soit de parti-pris. Il serait vain d’essayer de tracer avec davantage de précision le portrait-robot de cette « source », à propos de laquelle on pourrait aussi bien supposer que nos deux textes y puisent ou qu’ils réagissent contre elle. Disons que les Quaestiones ad Antiochum Ducem et l’apocalypse apocryphe semblent être les témoins d’un débat dont le premier représentant textuel nous échappe, mais où les mêmes versets scripturaires sont sollicités à propos des mêmes questions pour en tirer des réponses tantôt identiques, tantôt opposées.
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21 Nos observations sur les relations entre ces deux œuvres concordent avec c...
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22 Diadoque de Photicé, Oeuvres spirituelles, éd. É. des Places, « Sources Ch...
29Quant aux Quaestiones et Responsiones d’Anastase le Sinaïte, quoiqu’elles soient largement parallèles aux Quaestiones ad Antiochum Ducem sur les points considérés, elles donnent de la Première Apocalypse Apocryphe de Jean des échos beaucoup plus affaiblis. Elles ne peuvent avoir servi de relais entre cette apocalypse et les Quaestiones ad Antiochum Ducem. L’inverse en revanche est possible : l’ouvrage du Sinaïte pourrait être (toujours sur les points considérés) une récriture de l’ouvrage pseudo-athanasien.21 Seule s’y oppose la citation du Ps 145, 4 qu’il a en commun avec l’apocalypse apocryphe, tandis que les Quaestiones ad Antiochum Ducem l’omettent. Il pourrait la tenir d’une autre source, par exemple la Vision de Diadoque de Photicé22.
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23 Voir Hans Georg Thümmel, Die Frühgeschichte der ostkirchlichen Bilderlehre...
30Il est prudent de ne pas décider, entre l’apocalypse apocryphe et les Quaestiones ad Antiochum Ducem, quel texte a précédé l’autre, mais il est probable qu’ils appartiennent à la même époque au sens large. Comme les Quaestiones sont antérieures à l’iconoclasme23, on peut présumer qu’il en est de même pour l’apocalypse apocryphe.
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24 Outre l’utilisation de Dt 32, 8, Cosmas partage avec les Quaestiones ad An...
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25 Outre le texte d’Eustratios De statu animarum post mortem, cité dans la no...
31En considérant les choses de haut, on peut observer ceci : Cosmas Indicopleustès, nestorien écrivant peu avant 553, consacre douze livres à défendre ses idées sur la forme du monde, avec comme principal point de doctrine le fait que les récompenses eschatologiques prendront place dans le deuxième ciel, c’est-à-dire dans l’espace qu’il situe entre le firmament et le sommet du monde. Le sujet du lieu des récompenses et de leur nature méritait donc un aussi long débat à cette époque. Il y a chez Cosmas plusieurs points d’accord avec les Quaestiones ad Antiochum Ducem et avec la Première Apocalypse Apocryphe de Jean.24 C’est dans la première moitié du VIe siècle que le monophysite Œcuménius, qui correspond avec Sévère d’Antioche, écrit un commentaire de l’Apocalypse (canonique) de Jean, le premier qu’on ait écrit en grec depuis plusieurs siècles. Par conséquent, tout en conservant pour notre apocalypse apocryphe une fourchette de datation assez large, du Ve siècle au premier tiers du VIIe, on conseillera que les recherches ultérieures s’orientent en priorité vers le milieu du VIe siècle25.
Notes
1 Ed. Tischendorf, Apocalypses Apocryphae, Leipzig, 1866 (réimpr. Hildesheim, 20013), p. xviii-xix et p. 70-94. Traduction française et introduction par J.-D. Kaestli et J.-C. Picard, in Écrits Apocryphes Chrétiens t. II, éd. P. Geoltrain et J.-D. Kaestli, Paris, 2005, p. 983-1018. Texte grec de Tischendorf et traduction anglaise sous le titre « The Second Apocalypse of John » par John M. Court, The Book of Revelation and the Johannine Apocalyptic tradition, « Journal for the Study of the New Testament Supplement »190, Sheffield, 2000, p. 71-103 ; autre traduction anglaise dans The Ante-Nicene Christian Library vol. 16, 1870. Pour l’italien, voir note suivante. La Deuxième Apocalypse grecque de saint Jean, aussi dite Apocalypse de Jean Chrysostome, publiée par Nau (Revue Biblique 23, 1914, p. 209-221) et considérée comme liée à la première, partage avec elle le refrain « Écoute, juste Jean » mais s’en distingue par la rédaction à la troisième personne et surtout par l’absence de citations bibliques, ce qui l’exclut de notre champ de recherches.
2 PG 10, col. 904-952. Le rapprochement a été proposé par M. Erbetta, La prima apocalisse apocrifa di Giovanni, in Gli Apocrifi des Nuovo Testamento 3, Turin, 1969, p. 409-414, qui offre une traduction italienne du texte de Tischendorf. Si ce dernier a raison de considérer le manuscrit E comme une recension secondaire, il ne reste pas grand-chose dans le texte original des liens avec le Pseudo-Hippolyte.
3 Cela semble aller à l’encontre de I Co 15, 51 dans le texte actuellement reçu : « Nous ne mourrons pas tous mais tous nous serons transformés », texte qui est en consonance avec le début de I Thess 4, 17 : « nous les vivants, qui seront restés (en vie jusque-là) ». Mais on sait qu’un autre texte avait une grande diffusion, où la négation était reportée sur la deuxième phrase : « nous mourrons tous mais nous ne serons pas tous transformés ». Jérôme dans sa Lettre 119 (éd. J. Labourt, Saint Jérôme, Lettres, t. 6, Paris, Les Belles Lettres, 1958) dit que cette leçon est soutenue par Didyme l’Aveugle et Acace de Césarée. La doctrine selon laquelle il n’y aura plus aucun homme vivant au moment de la résurrection générale est courante dans le Moyen Age latin, professée notamment dans les Sentences de Pierre Lombard : voir DThC article « Résurrection » (A. Michel).
4 Whealey Alice, « The Apocryphal Apocalypse of John. A Byzantine Apocalypse from the Early Islamic Period », JThS ns 53, 2002, p. 533-540.
5 Irénée de Lyon, Adversus Haereses V, 33, 3-4.
6 Une recherche faite en ligne au moyen du Thesaurus Linguae Graecae sur la combinaison στρουθίου + βοτάνη ne m’a livré aucune autre occurrence de cette citation composite dans la littérature grecque. L’idée de plantes s’épanouissant se trouve deux lignes plus loin dans Qohélet : « l’amandier fleurira » (Qoh 12, 5). Cyrille de Jérusalem dans les Catéchèses Baptismales (homélie 15, ch. 20) rapporte tout le passage de Qohélet à la fin des temps, en comprenant « ils ressusciteront à la voix du moineau », et en indiquant que la floraison de l’amandier signifie la résurrection des corps.
7 Épiphane de Salamine, Ancoratus 99, 3, l. 2 : ces paroles ne tiennent pas compte de la résurrection parce que celle-ci n’a pas lieu quotidiennement mais est réservée pour un jour donné. Psellos au XIe siècle (Michaelis Pselli Theologica vol. 1, éd. P. Gautier, Leipzig, Teubner, 1989, question 51) réfute l’opinion selon laquelle l’auteur des Psaumes, David, n’avait pas connaissance de la résurrection future, opinion qui est plus tard soutenue par Néophytos le Reclus (fin XIIe - début XIIIe s. : Comm. in Ps, ad loc. : Θ. Δετορακης ed. in Ν. Ζαχαρόπουλος, Ι. Καραβιδόπουλος, Δ. Τσάμης, Χρ. Οικονόμου edd., Ἁγίου Νεοφύτου τοῦ Ἐγκλείστου Συγγράμματα, vol. 4, Paphos, Ἱερὰ Βασιλικὴ καὶ Σταυροπηγιακὴ Μονὴ Ἁγίου Νεοφύτου, 2001, p. 232-529).
8 John M. Court, cité en note 1. Voir sa recension par Richard Bauckham, Review of Biblical Literature 11/06/2000, www.bookreviews.org. La théorie d’une origine en milieu syriaque se heurte à l’objection du statut mal assuré de l’Apocalypse de Jean dans la tradition syriaque, alors que visiblement l’écrit apocryphe veut attirer à lui quelques miettes de l’autorité de l’Apocalypse que nous appelons canonique et qu’il considère aussi comme telle.
9 Je n’ai trouvé aucun parallèle convaincant à l’apocalypse apocryphe ni dans le Commentaire des Psaumes d’Eusèbe de Césarée, ni dans celui d’Hésychius de Jérusalem, ni dans le Commentaire de l’Apocalypse d’Œcuménius, ni dans le De anima et Resurrectione de Grégoire de Nysse.
10 PG 28, col. 597-699.
11 Anastasii Sinaitae Quaestiones et responsiones, edd. M. Richard et J.A. Munitiz, « Corpus Christianorum Series Graeca » 59, Turnhout, Brepols, 2006.
12 ἐπισκέπτονται τὸν βίον. On pourrait aussi comprendre « passent en revue leur vie (passée) ». Mais le texte parallèle dans les Questions et réponses d’Anastase le Sinaïte (question 20, ch. 9) dit : τὸν κόσμον καθορῶσιν, ce qui invite à traduire comme nous le faisons.
13 On trouve un bel aperçu de ce débat dans l’article de Gilbert Dagron, « L’ombre d’un doute. L’hagiographie en question, VIe-XIe siècle », Dumbarton Oaks Papers, Vol. 46, Homo Byzantinus: Papers in Honor of Alexander Kazhdan, 1992, p. 59-68 (voir aussi, du même, « Holy Images and Likeness », Dumbarton Oaks Papers, Vol. 45, 1991, p. 23-33), après R. Gouillard, « Léthargie des âmes et culte des saints », Hommage à M. Paul Lemerle, 1981, p. 171-186. Ainsi Eustratios, prêtre de Constantinople, « écrit, sans doute après 582, un Discours réfutant ceux qui disent que les âmes humaines, après la séparation d’avec le corps, n’ont plus d’activité et ne retirent aucun profit des prières et des sacrifices offerts à Dieu pour elles » (Dagron p. 64) Ce texte (CPG 7522) publié par Allatius a maintenant reçu une édition moderne par les soins de P. van Deun : Eustratii presbyteri Constantinopolitani De statu animarum post mortem, « Corpus Christianorum Series Graeca » 60, Turnhout - Leuven, Brepols, 2006.
14 οὐκ ἔστιν οὔτε ξανθὸς οὔτε πύρρος οὔτε μέλας, ἀλλ’οὔτε αἰθίοψ ἢ διάφορα πρόσωπα. Nous nous écartons ici un peu de la traduction de Jean-Daniel Kaestli.
15 οὔτε μέλας καὶ λευκός, οὐδὲ ξανθότης καὶ πυρρότης ἢ σιμότης ἢ γρυπότης.
16 Anastase ne mentionne ni abeilles ni colombes.
17 Au XIIIe siècle, le Thesaurus de Théognoste note qu’Anastase nie que les âmes se reconnaissent entre elles mais qu’il est seul de cet avis (Theognosti Thesaurus xx, quaest. 45, l. 664-672, éd. J. Munitiz, « Corpus Christianorum Series Graeca » 5, Turnhout-Leuven, Brepols, 1979, p. 226).
18 Livre V, ch. 255, in Cosmas Indicopleustès, Topographie chrétienne II, éd. et trad. W. Wolska-Conus, « Sources Chrétiennes » 159, Paris, Éditions du Cerf, 1970, p. 370.
19 Cette opinion se rencontre chez Hilaire de Poitiers et Augustin : voir DThC article « Ange », t. I col. 1206.
20 Question 47, PG 28 col. 628.
21 Nos observations sur les relations entre ces deux œuvres concordent avec celles de H.G. Thümmel (voir note 23), y compris sur le fait qu’Anastase semble parfois s’être reporté directement à la source utilisée par les Quaestiones ad Antiochum Ducem — dans le cas étudié par Thümmel, il s’agit de Léontios de Néapolis. Au contraire Marcel Richard pensait qu’Anastase était la source des Quaestiones ad Antiochum Ducem (Le Muséon 79, 1966, p. 61 note 3). J. Munitiz donne des tables de correspondance entre les deux œuvres aux p. lii-lv de son édition citée en n. 11.
22 Diadoque de Photicé, Oeuvres spirituelles, éd. É. des Places, « Sources Chrétiennes » 5 bis, Paris, Éditions du Cerf, 1955, 19973, p. 169-179 : 29ème et dernière question, p. 179.
23 Voir Hans Georg Thümmel, Die Frühgeschichte der ostkirchlichen Bilderlehre. Texte und Untersuchungen zur Zeit vor dem Bilderstreit, TU 139, Berlin, 1992, « Exkurs. I : Die Quaestiones ad Antiochum Ducem » p. 246–252. H.G. Thümmel date ce texte dans les trois décennies qui précèdent la conquête arabe des lieux saints en 638.
24 Outre l’utilisation de Dt 32, 8, Cosmas partage avec les Quaestiones ad Antiochum Ducem sa conception du Paradis : il est terrestre et situé à l’Est du pays d’Evilat ; il est distinct du lieu des récompenses.
25 Outre le texte d’Eustratios De statu animarum post mortem, cité dans la note 13, on peut mentionner comme un écrit du VIe s. traitant en partie des mêmes questions qui intéressent l’apocalypse apocryphe, celui du monophysite « trithéïte » Étienne Gobar, cod. 232 dans la Bibliothèque de Photius (tome V, éd. R. Henry, Paris, Les Belles Lettres, 1959 [20032]), sur lequel G. Dagron attire l’attention. Étienne enregistrait, par la juxtaposition d’opinions d’auteurs anciens et récents, non seulement des débats sur le soulagement que les âmes des morts retirent des prières qu’on fait pour eux (p. 79 [291b]), mais aussi sur l’apparence et la substance du corps de la résurrection (p. 68-69 [288a] ; p. 71 [289a] pour le cas particulier du Christ), la corporéité des anges (p. 69 [288a]) ou la localisation du Paradis (p. 70 [288b]).
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Laurence Vianès
Université de Grenoble / U.M.R. Litt&Arts – TRANSLATIO
En 2012, Laurence Vianès était membre de l’équipe HiSoMA « Sources Chrétiennes »