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Le verbe de Fléchier, idéal d’un langage total
Initialement paru dans : Littératures classiques. n° 50, Les Langages du XVIIe siècle, printemps 2004, p. 85-97
Texte intégral
1La prédication évangélique, qui s’impose XVIIe siècle sous l’impulsion du Concile de Trente, s’appuie volontiers sur la figure de Chrysostome pour incarner les tensions propres à la parole sacrée :
1 L. Brottier, « Le Prédicateur, émule du prophète ou rival de l’acteur ? Jea...
Si la prédication est une explicitation circonstanciée de la Parole de Dieu révélée par l’Écriture, dans la mesure où cette prédication s’adresse à un public donné, il faut rendre la Parole accessible à ce public et donc chercher à lui plaire en entrant dans ses représentations mentales comme dans ses goûts esthétiques. D’où un perpétuel affrontement entre un idéal d’effacement de l’orateur derrière la Parole [...] et une adaptation nécessaire, ne serait-ce que pour être écouté, à des critères du monde.1
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2 E. Bury, « L’évidence au service de la prédication : réflexions du XVIIe si...
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3 A. Régent, « Mêler mille personnages divers, faire le docteur et le prophèt...
Les théoriciens de la prédication retiennent essentiellement de Chrysostome, comme d’Augustin, la défiance qu’il exprime à l’égard des discours dominés par une rhétorique profane, qui se prend elle-même comme objet, qui se pare d’effets séduisants autant que mensongers. La recherche d’une simplicité de la forme, contre l’affectation rhétorique, est un lieu commun à l’âge classique.2 Le paradoxe d’un discours qui puisse amener l’auditeur à la conversion, sans pour autant l’entraîner par les moyens d’un art rhétorique, ne trouve sa résolution que dans la posture spécifique à la fois de l’orateur en chaire et du pécheur qui l’écoute : seule leur attitude priante pourra conférer toute son efficacité à la parole sacrée.3
2Cette réflexion sur l’efficacité de la prédication croise un autre débat, essentiel dans la seconde moitié du XVIIe siècle – celui du sublime. Le questionnement qu’il soulève concerne la notion même de rhétorique, non pas envisagée comme un ensemble de moyens techniques, mais considérée du point de vue de ses effets. Le traité Du Sublime de Longin souvent cité comme point de référence définit une puissance de ravissement du discours, qui peut être celle du discours le plus simple ; Boileau et ses contemporains reprennent à sa suite le fiat lux biblique pour modèle de sublime, à côté de citations profanes empruntées notamment à la tragédie cornélienne. Or l’alliance entre une extrème simplicité formelle et la force stupéfiante du discours est ressentie comme un paradoxe qui va à l’encontre des conventions rhétoriques, et plus particulièrement de la hiérarchie des styles reposant sur l’adéquation entre sujet, genre et langue. C’est sans doute dans le domaine sacré que ce paradoxe prend toute sa mesure, lorsque la matière la plus élevée qui soit laisserait attendre un discours relevant du « grand style », et effectivement les traités d’éloquence proposent de nombreuses références aux discours de la chaire ; leurs choix cependant peuvent paraître surprenants du point de vue du lecteur moderne pour qui tel ou tel exemple se caractérise plutôt par une prose oratoire jouant sur des figures et des effets de rythme particulièrement travaillés, que par une impression de simplicité. Les exigences posées par les manuels de prédication, comme les théories développées par les défenseurs du sublime longinien, ne sont sans doute pas en parfaite adéquation avec la pratique de la chaire, et cet écart ne peut laisser de poser question. Le cas de Fléchier, évêque de Nîmes, académicien, nous intéresse particulièrement en ce qu’il permet de s’interroger sur ce qui fonde la grandeur du discours pour un auditeur, un lecteur de la seconde moitié du XVIIe siècle.
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4 Sous la direction de J. Mesnard, Paris, Presses Universitaires de France, 1...
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5 A. Fabre, Fléchier orateur (1672-1690), Paris, Librairie Académique Didier,...
3S’il est un nom que la postérité a retenu comme parfait représentant de l’éloquence de la chaire, c’est bien celui de Bossuet laissant dans l’ombre des prédicateurs tels que Fléchier, Bourdaloue, Mascaron. Il n’est pour preuve que d’ouvrir le Précis de littérature française du XVIIe siècle4 qui consacre plus de quatre pages à l’aigle de Meaux et seulement une demi-page à ces trois contemporains, tout juste sauvés de l’oubli. Cet intérêt particulier manifesté pour l’œuvre de Bossuet au détriment de celle de ses contemporains est une constance de la critique littéraire et religieuse qui se manifeste dès le XIXe siècle, et trouve sans doute ses sources dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ; elle ne devrait pas cependant masquer ce que fut la réalité de l’accueil que l’âge classique réserva à ces prédicateurs. Il semble en effet que Fléchier eut alors le premier rang. Les oraisons funèbres que celui-ci prononça à partir de 1672 lui valurent une renommée qui ne se démentit pas pendant plus d’un siècle5. Elles suscitèrent des réactions d’enthousiasme dont témoignent de nombreux écrits, qui ne sont pas toujours, loin s’en faut, de véritables études mais parfois plutôt de simples remarques à la fois dispersées et très partielles conférant à l’évêque de Nîmes le statut d’auteur exceptionnel. Sur quels jugements ces éloges s’appuient-ils ? Les contemporains de Fléchier ne s’expliquent guère sur ce qui fonde à leurs yeux la grandeur de son œuvre, si ce n’est pour mentionner la hauteur morale de la personne ou pour décrire la vive émotion ressentie par l’auditoire – comme si finalement la question du style restait secondaire. Faut-il mettre ce silence au compte d’un défaut de la réflexion théorique ? L’orientation de la critique offre ici un point de vue particulier qui permet de s’interroger quant à la notion de langue idéale pour un public du XVIIe siècle, sans aucun doute irréductible au texte qui s’offre au lecteur moderne ; il en va de l’idée d’un art verbal total, engageant la personne toute entière du prédicateur, sa voix, son ethos.
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L’article que O. Biyidi consacre à Fléchier dans le Dictionnaire des littératures de langue française est bien représentatif du jugement que l’époque moderne porte sur Fléchier :
6 Paris, Bordas, 1994, vol. II, p. 887.
Il avait commencé quelques années avant que Bossuet ne vînt le supplanter, une carrière brillante dans l’éloquence d’apparat [...]. La rhétorique de Fléchier est remarquable par son élégance, mais si on lui applique les trois exigences qui s’attachent à l’éloquence : instruire, plaire, toucher, on constate que s’il instruit toujours, il plaît presque à coup sûr, mais il touche rarement. Son éloquence fait le délice des connaisseurs, mais un excès de goût la retient sur la pente de l’émotion. [...] Son style possède au plus degré ce qu’on appelait le nombre, qui est un composé d’harmonie, de rythme, de cadence. Il le doit parfois à un recours abusif à l’antithèse.6
Elégance mais incapacité à faire naître une véritable émotion, beauté d’une prose cadencée mais qui recourt de façon trop systématique à certaines figures : telles sont les principales objections que l’on oppose habituellement à Fléchier. Elles apparaissent en 1827 dans un commentaire de l’Oraison funèbre de Turenne :
7 J. Sifrein Maury, Essai sur l’éloquence de la chaire, panégyriques, éloges ...
L’élégance et la pompe de son style y brillent dans tout leur éclat. Il y déploie l’élocution, le nombre, le goût, l’harmonie et l’imagination poétique d’un orateur de premier ordre ; mais je ne saurais dire qu’il en montre également la véhémence, la chaleur, la verve et l’invention.7
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8 On peut ainsi citer les commentaires de A. Delacroix : « Il ne procède poin...
Si l’on reprend le détail des commentaires proposés par des auteurs des XVIIIe et XIXe siècles, cette question du nombre s’avère un point central de leur critique parfois virulente à l’encontre de Fléchier. De manière générale, leur avis à ce sujet s’exprime de deux façons différentes, selon le jugement porté sur la prose cadencée, conçue comme une qualité du style ou bien comme un défaut caractéristique de la pire rhétorique. Lorsque la phrase nombreuse est portée au bénéfice de la langue de Fléchier, les auteurs apprécient l’impression de beauté régulière de l’ensemble reposant à la fois sur un art consommé de la liaison tout en souplesse et sur une certaine musique des mots8. Les maîtres mots sont alors ceux d’harmonie et d’élégance qui restent comme la marque du prédicateur, apparaissant même régulièrement sous la plume de ses détracteurs. Cependant, cette qualité du style du prédicateur, conçue comme le fruit d’un art véritable, ne suffit pas à masquer de graves insuffisances, et plus particulièrement une incapacité à s’élever pour toucher véritablement le lecteur :
9 Aubert, Notice sur l’oraison funèbre en France. Cité par Fabre, op. cit., p...
Il lui manque ce que l’art ne donne pas, ce que la nature seule peut accorder, cette vivacité de sentiments, cette puissance d’émotion, qui seules savent soutenir l’éloquence.9
L’art contre la nature : la traditionnelle opposition ressurgit ici pour souligner la grande maîtrise de l’éloquence dont témoigne la prose de Fléchier, mais suggère également le discrédit de la notion de rhétorique. Le nombre peut être ainsi dénoncé comme un défaut de l’écriture, marquée par une rhétorique coupable, comme l’écrivent Feugère ou Boucher :
10 A. Feugère, Bourdaloue, sa prédication et son temps, Paris, Didier, 1874, ...
La cadence de ses phrases, le balancement étudié de ses périodes trahissent le rhéteur.10
11 E. Boucher, L’Éloquence de la chaire. Histoire littéraire de la Prédicatio...
Fléchier se sert trop souvent de la parole pour la parole, et il pense plus à plaire par le bien dire qu’à instruire et à toucher ses auditeurs.11
L’évêque de Nîmes est regardé comme un exemple typique de ce que peut produire une recherche formelle, loin de la spontanéité nécessaire au surgissement de l’émotion. Cette dernière analyse, souvent développée au XIXe siècle, contraste fortement avec les commentaires que l’âge classique propose ordinairement au sujet de la prose nombreuse, considérée avant tout comme une qualité louable du style en général et de l’écriture oratoire en particulier.
5On pourrait légitimement supposer que les lecteurs de Fléchier, reconnaissant en lui de façon générale un spécialiste de la prose nombreuse, sont progressivements passés du XVIIe au XIXe siècle de l’admiration au jugement sévère, au fur et à mesure que déclinait leur goût pour ce type de phrase. Or cette analyse doit être corrigée : rares sont en effet les commentateurs contemporains du prédicateur qui mentionnent cette notion de nombre. A la fin du XVIIe siècle, un seul auteur, Juillard du Jarry, la fait apparaître dans son étude de l’Éloquence évangélique, mais il y associe très clairement le critère de l’émotion. Ainsi écrit-il au sujet d’un passage de l’Oraison funèbre de la duchesse d’Aiguillon :
12 L. Juillard du Jarry, De la parole de Dieu, du stile de l’Ecriture sainte,...
Ne sent-on pas son coeur émû par la triste harmonie de ces paroles nombreuses & touchantes ?12
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13 D’Alembert, Éloge de Fléchier, en introduction aux oraisons funèbres de Fl...
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14 M. Trinquelague, Éloge d’Esprit Fléchier, A Nîmes, chez Pierre Beaume, 177...
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15 Voir en particulier Littératures classiques. Fortunes de Guez de Balzac. A...
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16 On peut renvoyer par exemple aux propos polémiques d’un contemporain de Ba...
Cette liaison entre les qualificatifs nombreux et touchant est décisive en ce qu’elle semble inaugurer un nouveau type de critique s’attachant très exactement au style de Fléchier, jusqu’à une analyse précise de ses effets de rythme, de l’emploi de certaines figures – et notamment l’antithèse –, alors que jusque là, seule prévalait la reconnaissance de l’émotion procurée par le texte. Ainsi, à partir du moment où d’Alembert remarque « la molle cadence des périodes »13, où Trinquelague pointe « les contrastes, qui trop multipliés lassent & refroidissent »14, les lecteurs dans l’ensemble semblent progressivement moins sensibles au charme de la phrase. L’articulation de ces deux aspects – analyse d’une prose particulièrement bien construite et dénigrement des effets produits – n’est pas sans rappeler le fonctionnement de l’argumentation déployée dans les polémiques contre Guez de Balzac15 à partir de la fin du XVIIe siècle : tous ou presque lui reconnaissent le privilège d’avoir renouvelé la langue française en lui ayant apporté le nombre, mais cette remarque, loin de fonder sa gloire, n’est le plus souvent qu’une concession accordée avec réticence dans un ensemble de jugements lui reprochant essentiellement de recourir à un style périodique et figuré (avec en particulier un usage excessif de l’hyperbole) mal accordé au genre épistolaire et au sujet qu’il traite. Son écriture n’est pas seulement très travaillée et élégante, mais trop étudiée, et elle ne saurait alors toucher le lecteur16. Certes, l’argumentation contre Fléchier ne se développe pas dans la même perspective que les critiques mettant en cause Guez de Balzac, dans la mesure notamment où l’on dénigre celui-ci pour son enflure, et celui-là au contraire pour son manque d’élévation :
17 A. Gilly, « Fléchier, évêque de Nîmes », Revue des Sciences Ecclésiastique...
Ce n’est point à dire que Fléchier n’ait bien mérité des lettres françaises : la langue lui doit des services incontestables et incontestés ; mais la facilité avec laquelle il aborda, dès le principe les petits genres, lui forma comme un bien-être au sein duquel il se complut, et qu’il n’osait quitter pour des régions supérieures.17
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18 On citera notamment A. Feugère, Bourdaloue, sa prédication et son temps, P...
Cependant, dans un cas comme dans l’autre, la focalisation de la critique sur leur style est bien le corollaire d’une impossibilité à se laisser émouvoir par leurs textes : la prose nombreuse est ressentie comme le signe d’une recherche rhétorique vaine18. Ces réactions sévères qui s’expriment à l’égard de Guez de Balzac et de Fléchier ne se développent pourtant pas avec la même rapidité : alors que l’épistolier se voit dès ses débuts présenté par ses détracteurs comme un auteur « pitoyable », le prédicateur bénéficie au contraire de son vivant d’une gloire qui ne se dément pas, et il faut attendre la seconde moitié du XVIIIe siècle pour que surviennent les premières attaques sérieuses. Il semble ainsi que, à l’âge classique, Fléchier soit en quelque sorte un Balzac qui aurait réussi. La comparaison entre les deux hommes est d’autant plus intéressante que le prédicateur reconnaît le mérite de son prédesseur :
19 M. Ménard, Oeuvres de Messire Esprit Fléchier. A Paris, chez Christophe Ba...
Balzac fut, de son propre aveu, le modele de son style ; mais il évita soigneusement les pensées fausses. Balzac, disoit-il, a une noblesse et une harmonie dans l’expression qu’on ne sauroit trop admirer, ni trop copier.19
On peut s’interroger sur les raisons d’une telle sévérité pour l’un et d’un tel succès pour l’autre. Pourquoi un sort aussi différent est-il réservé à deux auteurs que la critique réunira sur le tard dans un même type de jugement ? Quelle est donc la spécificité de l’œuvre de Fléchier qui permet, pour un temps du moins, à son travail rhétorique de disparaître sous les apparences d’un charme profond ?
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20 Voir S. Hache, La Langue du ciel. Le sublime en France au XVIIe siècle. Pa...
6Les commentaires produits par les contemporains de Fléchier sont remarquables par leur unanimité : si très peu d’entre eux concernent le style même des textes, la plupart soulignent la sublimité des oraisons funèbres qui fondent depuis lors toute la réputation de l’évêque de Nîmes. Ce que renferme cette notion de sublime20 aux critères de définition parfois délicats à cerner, variant au fil du temps, n’est pas toujours précisé ; le sublime est posé comme un fait avéré, plus qu’expliqué, mais les citations textuelles permettent alors de compenser cette lacune théorique. Les oraisons funèbres, plus particulièrement l’oraison funèbre de Turenne, mais aussi l’oraison funèbre de la duchesse d’Aiguillon ou celle de madame de Montausier sont en effet fréquemment citées, parfois par passages entiers, comme exemples de sublime.
21 J.-B. Morvan de Bellegarde, Réflexions sur l’Elégance et la Politesse du s...
Je veux finir cet article du stile sublime, par un bel endroit tiré des Oraisons funebres de cet illustre Prélat : ceux qui voudront se façonner au stile sublime n’ont qu’à lire ses ouvrages ; ils y trouveront non seulement des expressions, mais des pensées qui leur éleveront l’esprit.21
écrit ainsi Bellegarde en introduction à une citation de l’oraison funèbre de Turenne. Si la théorie du sublime semble parfois échapper aux efforts de définition, l’œuvre de Fléchier met du moins les lecteurs d’accord quant à ce que peut en être la pratique. Grandeur, noblesse, élévation, images vives, énergie : tels sont les termes qui reviennent sous la plume de Bouhours, Juillard du Jarry ou Gisbert, et que l’on retrouve encore tardivement au XVIIIe siècle chez les admirateurs de Fléchier ; ils concernent bien évidemment les textes eux-mêmes, mais aussi la personne du prédicateur, qui semble correspondre en tous points aux principales prescriptions des manuels de rhétorique.
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22 Voir V. Kapp, « Le corps éloquent et ses ambiguïtés : l’action oratoire et...
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23 E. Pavillon, Œuvres de Mr Pavillon, A La Haye, chez Henri du Sauzet, 1715.
7L’action oratoire22 fait sans aucun doute partie intégrante de ce que l’on peut appeler plus largement l’ethos du prédicateur, dans la mesure où, bien au-delà d’éventuels artifices enseignés par la rhétorique, elle est le témoignage évident, la manifestation concrète de sa foi profonde ; le corps prouve aux yeux de tous que le locuteur est fondé à parler au nom de Dieu. L’action de Fléchier fait ainsi l’objet de quelques commentaires chez ses contemporains, repris et amplifiés par la suite. Une lettre de Pavillon23 de 1679, au sujet de l’oraison funèbre de Lamoignon, rend bien compte de l’emprise du prédicateur sur son auditoire à travers une « action » pleine de « feu », et le père de La Rue insiste quant à lui sur la spécificité du ton de voix de Fléchier, caractérisé notamment par une certaine tristesse particulièrement adaptée aux sujets mortuaires, qui peut en partie expliquer le succès éclatant de ses oraisons funèbres alors que ses sermons semblent accueillis avec moins d’enthousiasme :
24 P. de La Rue, en préface aux Sermons du pere de La Ruë pour l’Avent. A Lyo...
La gravité des sujets fut avantageuse à la pesanteur naturelle de sa voix et de son action.24
8L’ethos de l’orateur se trouve encore mis en valeur par des notes concernant son caractère marqué par des vertus à la fois cardinales et théologales – l’humilité, la modestie, la simplicité, mais aussi la piété.
25 P. B. Gisbert, L’Éloquence chrétienne dans l’idée et dans la pratique, A L...
Lorsqu’on le voyoit avec des airs simples & modestes, affables à tout le monde, accessible aux plus petits, sans faste, sans ostentation de grandeur, sans qu’il lui échap[p]ât jamais le moindre retour sur son propre mérite [...] Quelle expression d’un merite si éclatant, soûtenu avec tant de simplicité & de modestie, ne faisoit-elle pas sur le cœur ? Et pouvoit-on se défendre de l’aimer & de le chérir, autant qu’on l’estimoit, & qu’on l’admiroit ?25
Ces vertus sont toujours soulignées pour leur valeur pastorale, bien supérieure à la force de l’éloquence qui est certes reconnue comme une qualité du prédicateur, mais toujours à un rang secondaire :
26 P. E. Mongin, « Réponse de l’abbé Mongin », Discours prononcez dans l’Acad...
J’annonce [...] que cet Orateur [...] fut encore plus admirable par ses mœurs que par son Eloquence ; que son zele & sa pieté furent en lui des dons plus grands que le don de la parole ; que s’il a bien parlé le langage des Saints, il a encore mieux suivi leurs exemples.26
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27 Op. cit., p. 20.
Cet aspect des éloges concernant le prédicateur est essentiel en ce qu’il se situe au cœur de la polémique concernant la place de la rhétorique dans la matière chrétienne. Or, si dans les réflexions théoriques le débat reste ouvert entre défenseurs et opposants de la simplicité évangélique, on constate qu’il est suspendu dès lors qu’il s’applique à Fléchier : celui-ci réunit, sans conteste aucune, les qualités d’éloquence procuréee par un travail rhétorique et par l’effacement personnel de celui qui parle au nom de Dieu. Dans son discours académique, Mongin souligne ainsi la transparence de « l’Orateur qui vous charme » : « C’est Fléchier qui parle, & vous ne voyez que Turenne.27 ». C’est ainsi que l’évêque de Nîmes peut être considéré comme celui en qui la rhétorique se convertit, ouvrant la voie à un renouveau de l’éloquence, légitimée par la posture du prédicateur et propre à toucher les cœurs :
28 Op. cit., p. 18.
on se souviendra que [...] ce fut lui qui porta le premier avec tant d’esclat & de dignité l’éloquence dans les Chaires Évangéliques ; qui apprit aux Graces à parler le langage de la Pieté & de la Religion ; qui rendit les Muses Chrestiennes.28
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29 Cette résolution des tensions inhérentes à l’éloquence de la chaire est ré...
La tension entre un idéal de sincérité du prédicateur et la reconnaissance d’une technique propre à émouvoir les foules pour mieux les convertir se trouve abolie dans l’exemple de Fléchier en chaire, regardé alors comme un nouveau Chrysostome.29
9L’émotion qu’éprouve le public, non seulement convaincu par ce qu’il entend, mais surtout amené comme malgré lui sur le chemin de la conversion, n’est alors jamais que la preuve de cette grandeur de l’orateur, comme en témoigne la lettre de Pavillon :
30 Op. cit., p. 121.
Je vous avoue que je fus surpris du succès de cette action, & que je ne le fus pas moins des effets qu’elle produisit en moi. La réputation du Panégyriste m’avoit attiré à cette cérémonie. Je ne m’étois rien proposé pour mon coeur. Je m’imaginois que mon esprit seul trouveroit de quoi se satisfaire [...] & sa Morale, quoique sévere, fut si insinuante, qu’elle se fit recevoir dans les cœurs les plus endurcis.30
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31 « Mais à peine eut-il prononcé la moitié de son exorde qu’il se forma dans...
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32 « Discours de M. l’archevêque d’Albi », Discours prononcez dans l’Académie...
A ce commentaire, il faut ajouter ceux qui soulignent les manifestations non-verbales que sont murmures, soupirs, sanglots, cris, applaudissements31 ; la réaction de l’auditoire ne souffre dans ce cas d’aucune suspicion : alors que de nombreux ouvrages réfléchissant à la pratique du prédicateur soulignent l’ambivalence des applaudissements, éventuellement soupçonnés de complaisance, ils sont ici reconnus comme la marque d’une émotion véritable, et représentent une première victoire du prédicateur qui se doit d’arracher le pécheur à lui-même. Cette relation particulière entre l’auteur et son public implique nécessairement « la vive voix » du prédicateur, la profération du texte qui le replace dans la lignée du grand discours antique. Le verbe se doit d’être vivant pour toucher celui qui le reçoit. L’éloge académique que prononce l’archevêque d’Albi après la mort de Fléchier suggère déjà un certain déclin du prestige d’oraisons qui ne seront plus écoutées mais seulement lues : le « plaisir » du lecteur va succéder à l’« admiration » de l’auditeur32.
10Les appréciations d’ordre « littéraire » apparaissent presque secondaires par rapport à ces considérations quant à l’ethos du locuteur – ou peut-être relèvent-elles davantage de l’implicite, parce que peut-être trop évidentes. L’analyse du style de Fléchier s’opère souvent de façon négative, par ce qu’il n’est pas, dans la mesure où il est désigné comme celui qui se garde de tous les défauts dont souffrent ses contemporains : il parvient à échapper au piège du panégyrique en produisant des éloges sans enflure, et son écriture ne saurait être outrée par rapport au sujet traité puisque la matière de l’oraison funèbre est la plus élevée qui soit. C’est ainsi que le présente Lamy par exemple, lorsqu’il introduit une citation du prédicateur par cette réflexion :
33 B. Lamy, La Rhétorique ou l’art de parler, éd. Chr. Noille-Clauzade, Paris...
C’est assez parlé des défauts où tombent ceux qui emploient le style sublime mal à propos ; donnons au moins un exemple d’un discours qui en ait les bonnes qualités sans ces défauts.33
Le style sublime, si souvent décrié pour ses excès et son emploi discordant par rapport à la matière, ne souffre plus d’aucun reproche lorsqu’il s’agit des oraisons funèbres de Fléchier ; il est même reconnu comme la caractéristique majeure de l’oraison de Turenne par un très grand nombre de contemporains, jusqu’à devenir un lieu commun de la critique au début du XVIIIe siècle. Ainsi, alors que l’effacement de toute considération quant à l’écriture elle-même semble bien la condition d’une réception du texte sur le mode du saisissement sublime, le développement au fil du temps de remarques sur l’usage de l’antithèse chez Fléchier signifie certainement au contraire la fin de son prestige.
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34 La comparaison apparaît par exemple de manière explicite dans le discours ...
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35 Voir E. Bury, « Situation de l’éloquence sacrée durant les années de forma...
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36 Dès la fin du XVIIe siècle, et bien au-delà, la sévérité est de mise conce...
11Qualités morales, piété et transparence de l’être à son discours fondent le droit de l’orateur à proférer une parole sacrée, qui relève dans son expression de la plus haute éloquence – le style sublime. Ce qui nous frappe dans cet ensemble, c’est la parfaite concordance entre les exigences si souvent rappelées dans les ouvrages théoriques et les observations concernant un auteur en particulier, qui, bien qu’évêque de Nîmes et auteur d’une œuvre assez variée, se voit réduit par la critique à la demi-douzaine d’oraisons funèbres qui l’ont rendu célèbre. Il devient alors la figure archétypale de l’orateur véritable à l’âge classique, justifiant son identification à la figure emblématique Jean Chrysostome34, la « Bouche d’or ». La comparaison est d’autant plus remarquable que dans les deux cas la personne même du prédicateur, ramenée à quelques stéréotypes, semble disparaître derrière sa seule fonction d’orateur ; il s’agit de définir l’homme éloquent – ou même plus exactement l’éloquence telle qu’elle s’incarne dans un individu en particulier –, comme si son rôle d’homme d’Église n’était finalement que le moyen de fonder solidement sa parole. Fléchier, comme Chrysostome, est d’abord et avant tout celui qui donne vie au verbe par sa profération, et ce verbe vivant se réalise comme acte, à travers le saisissement de celui qui le reçoit. Apparenté à l’enthousiasme sublime, ce saisissement évangélique s’identifie à la conversion du pécheur qui tout à coup reçoit la parole sacrée pour qu’elle agisse en lui. La notion d’efficacité du discours est indissociable de sa dimension divine : Dieu est à l’œuvre dans la parole transmise par le prédicateur. Les sermons de Bossuet sont eux aussi soutenus, justifiés par cette certitude que la parole est efficace, lorsqu’elle est prononcée et reçue dans la prière, et c’est encore ce que défend toute la tradition évangélique.35 Certes, dans le cas des oraisons funèbres de Fléchier, le choix du sujet doublement sacré qu’est la mort dans un contexte religieux contribue inévitablement à la sacralisation du texte lui-même, mais il ne saurait être regardé comme le motif premier de l’engouement du public, qui reste par ailleurs très critique à l’égard d’autres auteurs d’oraisons funèbres36. Plus que sa valeur pastorale, moins manifeste dans des oraisons funèbres que dans des sermons, c’est bien la valeur performative du discours qui rend compte de son accomplissement, de telle sorte que l’on peut ici parler d’art verbal total.
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37 Cette logique qui est aussi celle de Bossuet n’exclut pas des versions dif...
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Paradoxalement, une attention trop aiguë portée à l’écriture comporte en elle-même le risque d’aboutir à une condamnation de ce qui apparaît alors comme une langue vaine. Si l’auditeur, ou le lecteur, est en état de fournir une étude détaillée du fonctionnement rhétorique et stylistique de l’œuvre, n’est-ce pas en effet parce que celle-ci a manqué son but, en laissant apparaître sa matérialité au détriment de son contenu, en offrant au récepteur le spectacle de ses rouages et de ses artifices au lieu d’emporter son adhésion dans un ravissement proprement inanalysable. La résistance de la langue aux efforts d’analyse apparaît comme le corollaire d’une logique du saisissement de l’âme qui trouve son aboutissement à la fin du XVIIe siècle dans les réflexions théoriques sur l’effet sublime et qui s’illustre particulièrement dans le prestige considérable dont jouit Fléchier pendant plusieurs décennies. L’effacement des considérations stylistiques trouve alors sa compensation dans l’idée d’un langage total, compris dans sa dimension pragmatique, comme expression d’une relation entre Dieu et sa créature par l’intermédiaire de la parole du prédicateur. Le discours reste intimement lié à sa profération, s’appuyant sur la notion de corps éloquent, élargie à tout ce qui concerne l’ethos du locuteur : son humilité, sa pureté morale, son attitude de prière déterminent la légitimité, et par là-même l’efficacité de sa parole. L’orateur devient tout entier langage au service d’une mission divine ; son attitude en chaire et son âme telle qu’elle se donne à voir à autrui « parlent » tout autant que les mots qu’il prononce, sans aucun doute dans une perspective théologique christique37 : le « Verbe fait chair » est le modèle absolu de toute prédication.
Notes
1 L. Brottier, « Le Prédicateur, émule du prophète ou rival de l’acteur ? Jean Chrysostome : un pasteur déchiré entre ses auditeurs et son Dieu », Connaissance des Pères de l’Église, n° 74, juin 1999, p. 2-19.
2 E. Bury, « L’évidence au service de la prédication : réflexions du XVIIe siècle sur saint Augustin », Dire l’évidence, Cahiers de philosophie de l’Université du Val de Marne, n° 2, textes réunis par C. Lévy, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 75-91.
3 A. Régent, « Mêler mille personnages divers, faire le docteur et le prophète : l’ethos bossuétiste dans Le Carême du Louvre et dans les Oraisons funèbres », Littératures classiques, Bossuet, Le Carême du Louvre (1662), n° 46, automne 2002, p. 55-88.
4 Sous la direction de J. Mesnard, Paris, Presses Universitaires de France, 1990.
5 A. Fabre, Fléchier orateur (1672-1690), Paris, Librairie Académique Didier, 1886, p. 198 : « Pendant tout le cours de sa longue carrière, Fléchier jouit paisiblement de sa gloire, dont il ne vit pas le déclin. Il eut le bonheur incomparable de la voir grandir chaque jour ; et, sur la foi de ses contemporains, trompé par l’unanimité de leurs suffrages, il put, à Nîmes, dans sa lointaine retraite, goûter les douceurs de l’orgueil de se croire égal, supérieur même à Bossuet. Et comment ne pas partager l’illusion universelle ? Presque tous les écrivains du temps, poètes, critiques, beaux esprits, ne cessent de parler des belles oraisons funèbres, et semblent se réunir dans le sentiment d’une commune admiration. »
6 Paris, Bordas, 1994, vol. II, p. 887.
7 J. Sifrein Maury, Essai sur l’éloquence de la chaire, panégyriques, éloges et discours, Paris, Gayet, 1827, p. 180. Un demi-siècle plus tôt, on lit de premières esquisses de cette argumentation sous la plume de M. Trinquelague, Éloge d’Esprit Fléchier, évêque de Nismes, à Nîmes, chez Pierre Beaumes, 1776, p. 28 : « [...] on trouve dans ses écrits de l’élégance, mais trop d’uniformité ; de la majesté, mais peu de sublime ; de l’éclat mais peu de chaleur ; la pompe de l’éloquence mais rarement ses transports & ses désordres. »
8 On peut ainsi citer les commentaires de A. Delacroix : « Il ne procède point par saillies et par exclamations, à l’exemple du grand maître ; mais sa marche a cette éloquence qui vient de la majesté calme et continue de l’enchaînement des périodes. Peu d’écrivains ont possédé à l’égal de celui-ci le bonheur des transitions. C’est merveille de voir comme il soude les phrases, les paragraphes les uns aux autres, et comme la suite du discours a du corps, et pour ainsi dire, du tissu. Fléchier étendait sa science de l’harmonie jusqu’à la liaison des idées elles-mêmes. En le lisant, on croit entendre deux sons : celui des mots, qui se choquent avec le plus doux bruit ; et cette musique plus intime, en quelque sorte immatérielle, que forme le mouvement des pensées et que l’âme seule peut saisir. » (Histoire de Fléchier, évêque de Nîmes, Paris, Louis Giraud, 1865, p. 148).
9 Aubert, Notice sur l’oraison funèbre en France. Cité par Fabre, op. cit., p. 216.
10 A. Feugère, Bourdaloue, sa prédication et son temps, Paris, Didier, 1874, p. 164.
11 E. Boucher, L’Éloquence de la chaire. Histoire littéraire de la Prédication. Lille, Desclée De Brouwer, 1894, p. 329.
12 L. Juillard du Jarry, De la parole de Dieu, du stile de l’Ecriture sainte, et de l’Éloquence évangélique. A Paris, chez Denis Thierry, 1689, p. 418.
13 D’Alembert, Éloge de Fléchier, en introduction aux oraisons funèbres de Fléchier éditées par Villemain, Essai sur l’oraison funèbre, Paris, Didot frères, 1843, p. 278
14 M. Trinquelague, Éloge d’Esprit Fléchier, A Nîmes, chez Pierre Beaume, 1776, p. 27.
15 Voir en particulier Littératures classiques. Fortunes de Guez de Balzac. Actes du colloque de Balzac (16-19 septembre 1997), n° 33, Paris, Champion, 1998.
16 On peut renvoyer par exemple aux propos polémiques d’un contemporain de Balzac, le sieur de Vaux : « Ces paroles majesteuses, & ces façons de s’expliquer figurées, sont esclatantes en la bouche de M. de B. Elles surprennent les sens : mais soyez un peu attentif, considerez leur application, vous les trouverez si peu raisonnables, le fondement qui les appuye, est si foible & peu asseuré que le pauvre homme en est pitoyable : je voudrois, pour l’amour que je luy porte, qu’il mist en œuvre, ces belles pierres precieuses, avec plus d’art & moins d’apparence, mois de grace, & plus de raison. » (A. Montluc, comte de Cramail, dit sieur de Vaux, Tombeau de l’Orateur françois, A Paris, chez Adrian Taupinart, 1628, p. 242).
17 A. Gilly, « Fléchier, évêque de Nîmes », Revue des Sciences Ecclésiastiques, Arras, Typographie Rousseau-Leroy, 1865, p. 5.
18 On citera notamment A. Feugère, Bourdaloue, sa prédication et son temps, Paris, Didier, 1874 : « [Fléchier] cacha sous une forme trop soignée un fond trop pauvre, ne goûta jamais la simplicité ni le naturel, et fut le Balzac de la chaire. La cadence de ses phrases, le balancement de ses périodes trahissent le rhéteur. » (p.164). Voir encore A. Gilly : « Le goût du temps peut aussi avoir beaucoup influé sur la médiocrité constante de sa pensée, au profit de la perfection de la forme. » (op. cit., p. 5).
19 M. Ménard, Oeuvres de Messire Esprit Fléchier. A Paris, chez Christophe Ballard, 1763, p. 24. Voir également Fabre : « Le vrai modèle de Fléchier, celui qu’il étudia avec le soin le plus attentif, celui qu’il avoue réellement pour son maître, c’est Balzac. C’est à son école, bien plus qu’à celle de Voiture qu’il se forma : c’est lui en effet qui apprit au jeune Doctrinaire à revêtir de belles moralités d’une prose harmonieuse et cadencée, à orner sa phrase de toutes les richesses d’une diction nombreuse et choisie [...]. » (La jeunesse de Fléchier, Paris, Didier, 1882, p. 99).
20 Voir S. Hache, La Langue du ciel. Le sublime en France au XVIIe siècle. Paris, Champion, 2000.
21 J.-B. Morvan de Bellegarde, Réflexions sur l’Elégance et la Politesse du stile, A Paris, chez André Pralard, 1695, p. 384.
22 Voir V. Kapp, « Le corps éloquent et ses ambiguïtés : l’action oratoire et le débat sur la communication non verbale à la fin du XVIIe siècle », Le Corps au XVIIe siècle. Actes du colloque du CIR 17, Paris-Seattle-Tübingen, 1995, p. 87-99.
23 E. Pavillon, Œuvres de Mr Pavillon, A La Haye, chez Henri du Sauzet, 1715.
24 P. de La Rue, en préface aux Sermons du pere de La Ruë pour l’Avent. A Lyon, chez Anisson et Posuel, 1719. Sans pagination.
25 P. B. Gisbert, L’Éloquence chrétienne dans l’idée et dans la pratique, A Lyon, chez Antoine Boudet, 1715, p. 239-240.
26 P. E. Mongin, « Réponse de l’abbé Mongin », Discours prononcez dans l’Academie Françoise, le 30 juin 1710, A Paris, chez Jean-Baptise Coignard, 1710, p. 20-21. On peut encore citer, dans le même recueil de discours, l’éloge de Fléchier prononcé par l’archevêque d’Albi : « Tant de vertus estoient encore rehaussées par sa modestie. Nous l’avons veu [...] ramener les brebis égarées de son troupeau, autant par sa douceur & par sa bonté que par l’attrait de son Eloquence. » (p. 6).
27 Op. cit., p. 20.
28 Op. cit., p. 18.
29 Cette résolution des tensions inhérentes à l’éloquence de la chaire est régulièrement présentée par les traités comme un idéal vers lequel doit tendre le prédicateur. C’est encore l’exigence que se fixe Fénelon. Voir M. Haillant, Fénelon et la prédication, Paris, Klincksieck, 1969, en particulier le chapitre « Fénelon théoricien de l’éloquence », p. 31-64.
30 Op. cit., p. 121.
31 « Mais à peine eut-il prononcé la moitié de son exorde qu’il se forma dans l’assemblée un murmure causé par l’admiration & la douleur [...] ; enfin lorsqu’après avoir dit : ne vous attendez pas, Messieurs, que je vous représente ce grand homme étendu sur ses propres trophées [...] &c. il prononça d’un ton lugubre & pénétré, ces mots déchirans, Turenne meurt, tout se confond, &c. les soupirs retenus jusques-là pour ne pas l’interrompre, devinrent des sanglots qui éclatèrent tout à-coup ; il s’éleva un cri dans l’auditoire, comme si la foudre qui avoit renversé Turenne fut [sic] tombée au milieu du temple. » (G.-M. Ducreux, préface des Œuvres completes de Messire Esprit Fléchier, A Nismes, chez Pierre Beaume, 1782, vol. IV, tome II, p. 21).
32 « Discours de M. l’archevêque d’Albi », Discours prononcez dans l’Académie Françoise, le 30 juin 1710, op. cit., p. 5. Nombreux sont les commentaires postérieurs portant sur ce point ; voir par exemple l’abbé A. Delacroix : « C’est dans ses oraisons funèbres surtout que Fléchier provoquait ces murmures d’admiration qu’on ne soupçonnerait pas à le lire. Les auditeurs, paraît-il, n’en jugeaient pas tant à leur aise. Ils s’agitaient vaguement et à leur insu, sous le charme de cette parole morte pour nous ; et l’orateur était obligé quelquefois de s’interrompre dans la chaire, pour laisser libre cours aux applaudissements. [D’Alembert, Eloge de Fléchier] Les pleurs n’étaient pas toujours refusés à une éloquence qui, privée de la vive voix ne nous fait penser qu’à l’esprit. » (op. cit., p. 144).
33 B. Lamy, La Rhétorique ou l’art de parler, éd. Chr. Noille-Clauzade, Paris, Champion, 1998, p. 353.
34 La comparaison apparaît par exemple de manière explicite dans le discours académique de l’abbé E. Mongin, op. cit : « S’il a laissé dans ses Escrits un rival au grand Chrysostome, il a aussi laissé dans sa vie un imitateur de ses vertus, mais principalement de cet amour tendre & pastoral qui le rendit tousjours le pere de son peuple. »,
35 Voir E. Bury, « Situation de l’éloquence sacrée durant les années de formation de Bossuet », Lecture de Bossuet. Le Carême du Louvre, Presses Universitaires de Rennes, 2001, p. 27-39. En particulier p. 38-39 : « Comme nous l’avons vu sous la plume de Bossuet et de saint Vincent de Paul, la cause de l’efficacité est ailleurs, hors du langage naturel. Les mots, comme dirait Augustin, ne touchent que l’oreille du corps ; c’est la parole évangélique, le Verbe divin qui touche l’oreille du cœur. » Voir également J.-P. Landry, « Théorie et pratique de la prédication dans Le Carême du Louvre », Littératures classiques, Bossuet, Le Carême du Louvre (1662), n° 46, automne 2002, p. 17-32.
36 Dès la fin du XVIIe siècle, et bien au-delà, la sévérité est de mise concernant les prédécesseurs et contemporains de Fléchier – Godeau, Lingendes, Mascaron ou Bourdaloue.
37 Cette logique qui est aussi celle de Bossuet n’exclut pas des versions différentes chez d’autres prédicateurs. Ainsi, V. Kapp note l’interprétation mariale que propose Bourdaloue se référant à Saint Bernard : « Le sermon constitue un des « principes » pour prêter une nouvelle incarnation au Verbe. La seconde personne de la Trinité passe par différents états pour se communiquer à l’humanité : La Vierge nous l’a donné revêtuë d’une chair semblable à la nôtre pour nous la faire voir . L’Église nous la donne sous des sons qui frappent nos oreilles, & par le ministère de la voix, pour nous la faire entendre. Le prédicateur prête sa voix au Verbe comme la Vierge avait prêté son corps afin que le fils prenne chair. » (« L’apogée de l’atticisme français ou l’éloquence qui se moque de la rhétorique », Histoire de la Rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950), Paris, PUF, 1999, p. 707-786).
Bibliographie
I. Sources
Oeuvres de E. Fléchier
- Lettres de Mr Fléchier, evêque de Nismes, sur divers sujets. A Lyon, chez Antoine Boudet, 1711.
- Oraisons funebres composées par M. Fléchier, A Paris, chez Sébastien Mabre-Cramoisy, 1680
- J.-J. Dussault, Oraisons funèbres de Fléchier avec les notes de tous les commentateurs, précédées d’un discours sur l’oraison funèbre, Paris, Lequin fils, 1820.
- Panégyriques et autres sermons, Brusselles, François Floppens, 1696
P. B. Gisbert, L’Éloquence chrétienne dans l’idée et dans la pratique, A Lyon, chez Antoine Boudet, 1715
P. E. Mongin, Discours prononcez dans l’Academie Françoise, le 30 juin 1710, A Paris, chez Jean-Baptise Coignard, 1710
P. de La Rue, Sermons du pere de La Ruë pour l’Avent. A Lyon, chez Anisson et Posuel, 1719.
II. Ouvrages et articles critiques
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Ph.-J. Salazar, Le Culte de la voix au XVIIe siècle. Formes esthétiques de la parole à l’âge de l’imprimé, Paris, Champion, 1995.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Sophie Hache
Maître de conférence à l’université de Lille
Membre de l’équipe Alithila (Analyses littéraires et histoire de la langue)
Associée à l’UMR Litt&Arts / RARE – Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution