La Réserve : Livraison du 15 septembre 2017

Sophie Hache

Bossuet, Bourdaloue et Fléchier, vers une expression claire dans le sermon de la seconde moitié du XVIIe siècle

Initialement paru dans : « Bossuet, Bourdaloue et Fléchier, vers une expression claire dans le sermon de la seconde moitié du XVIIe siècle », Les Amis de Bossuet, n° 34, 2007

Texte intégral

1La réflexion sur la légitimité de la rhétorique dans l’éloquence de la chaire prend, à la toute fin du XVIIe siècle, une forme polémique qui s’exprime à travers quelques ouvrages. Dans la préface de son recueil de sermons, le père d’Orléans se fait ainsi l’écho d’une controverse :

  • 1 Pierre-Joseph d’Orléans, s.j., Sermons et instructions chrétiennes sur dive...

Un auteur de ce temps a écrit que les Prédicateurs d’aujourd’hui mettaient trop d’art dans leurs discours et a prétendu même que l’art ne convenait pas à la chaire chrétienne. Il a paru d’autres écrits, qui ont fait voir si clairement que Saint Augustin admet l’art dans les discours chrétiens comme dans les autres, qu’on ne peut douter du sentiment de ce grand Docteur sur ce point1

  • 2 Voir Gérard Ferreyrolles, « Prédication et imagination au temps de Bossuet ...

  • 3 Paris, Villery, 1684.

  • 4 Voir Emmanuel Bury, « L’évidence au service de la prédication : réflexions ...

2Il évoque dans ces lignes le refus total de rhétorique affirmé par Goibaut du Bois dans sa préface à la traduction des sermons de saint Augustin en 1694, réfuté l’année suivante par le grand Arnauld2. On pourrait encore mentionner l’ouvrage de Jean Richard, Méthode enseignée par S. Augustin pour faire de bons prônes et des sermons de mission3, qui quelques années auparavant prétend de la même façon que les vérités divines se passent de tout art rhétorique pour éclairer le pécheur4. Des propos aussi radicaux restent cependant exceptionnels dans la réflexion sur l’éloquence chrétienne, qui est le plus souvent définie comme un outil de conversion, acceptable et même souhaitable lorsqu’il s’allie à une éthique du prédicateur inspiré dans la prière, qui trouve son prolongement du côté de l’auditeur avec l’image augustinienne du prédicateur intérieur. Cette légitimation de la rhétorique se fonde essentiellement sur une anthropologie négative – l’homme, par nature passionné, ne peut être touché autrement que par les passions :

La Prédication est si nécessaire, que le Fils de Dieu ayant établi l’Eglise par sa parole, la veut conserver par cette même parole, et dans cette vue il se sert de ses Ministres pour l’annoncer à tous les hommes. […] La nécessité de la Prédication se prouve encore, parce que les hommes ne peuvent croire en Dieu ni être instruits des vérités de la Foi que par son moyen.

  • 5 Gilles Du Port, L’Art de prêcher, Paris, Robert de Ninville, 1682, p. 3 et ...

Encore que la parole de Dieu ait d’elle-même assez de force et de vertu pour convertir les pécheurs sans le secours de l’éloquence, on voit néanmoins qu’étant annoncée aux hommes d’une manière polie, aisée, grave, dévote et pathétique, elle excite de plus puissants mouvements dans leurs cœurs et de plus grandes impressions sur leur esprit, que quand on la prêche d’une manière grossière et barbare5.

  • 6 Pour des éléments de réflexion concernant la prédication évangélique pour l...

Il s’agit donc d’atteindre les pécheurs en excitant des « mouvements dans leurs cœurs », mais cette injonction au pathétique, qui est souvent présentée comme la première justification d’un art de la parole chrétienne, ne peut se comprendre qu’assortie de certaines réserves. Bien que les détracteurs d’une rhétorique sacrée soient peu nombreux, l’influence de leurs arguments est en revanche déterminante, bien visible dans le topos anti-rhétorique qui parcourt les traités pour condamner en premier lieu la catégorie de l’inventio et dans certaines précautions oratoires au sujet de l’elocutio, réclamant l’apparence du plus grand naturel possible pour les artifices du langage. C’est ici que prend tout son sens la notion de « prédication évangélique » pour l’âge classique6 : elle représente l’idéal d’une parole qui remonterait aux sources christique et apostolique d’un discours de conversion caractérisé par sa simplicité et son efficacité.

  • 7 Orléans, Sermons et instructions chrétiennes, op. cit, n. p.

3Les critiques sont nombreuses à l’égard de la prédication des décennies précédentes, accusées d’avoir sacrifié la simplicité au profit des belles expressions considérées comme excentricités et galimatias, et les auteurs se félicitent d’une évolution de la pratique sermonnaire vers plus de clarté et de simplicité : « Jamais les Sermons n’ont été meilleurs ni à entendre ni à lire, qu’ils le sont devenus de nos jours », affirme le père d’Orléans7. Se fait jour également le sentiment d’une nécessaire diversité des styles, avec la revendication d’une adaptation du discours à son public. Les traités d’éloquence sacrée définissent en particulier deux grandes catégories de sermons, celle qui est destinée au peuple des petites villes et des campagnes, surtout dans la prédication de mission, et celle qui est destinée aux grands, à un public parisien, à la cour, avec en particulier les stations de Carême et d’Avent. Les Lazaristes ou les Oratoriens se sont fait une spécialité de la prédication de mission, soutenue par le principe de la simplicité évangélique. Le père Loriot, en introduction à son recueil des Sermons sur les plus importantes matieres de la morale chrétienne, à l’usage de ceux qui s’appliquent aux Missions, & de ceux qui travaillent dans les paroisses, définit ce que l’on peut entendre par là :

  • 8 Paris, Charles Robustel, 1697 (Avertissement, n. p.).

Comme les Sermons qu’on publie dans cet Ouvrage, n’ont ni la politesse, ni l’élévation qu’on donne ordinairement à ceux qu’on prêche devant le grand monde, aussi on déclare d’abord qu’ils n’ont pas été faits pour les grandes Villes. Il y en a assez de publics qui sont de ce caractère ; mais comme les petites Villes et les Paroisses de campagne ont besoin d’instructions plus populaires et plus familières, on a cru que ces Sermons ayant ce caractère de simplicité, et contentant d’ailleurs les principes plus solides de la Morale chrétienne, ils pourraient être d’autant plus utiles pour les petits lieux, qu’il y a moins de ces sortes d’Ouvrages donnez au public8.

  • 9 Jean Richesource, Regles de la bonne et solide prédication, Paris, Osmont e...

4Les sermons destinés au peuple doivent être tout de « simplicité », ce qu’explique encore Richesource lorsqu’il s’intéresse aux « dominicales », c’est-à-dire aux sermons ordinaires de la messe du dimanche matin, par opposition aux « sermons reglés » de l’avent ou du carême : » ces sortes de sermons se font d’une manière populaire, familière, fort propre à instruire les Chrétiens »9. Si, en vertu d’un principe d’aptum, la clarté, la solidité, la familiarité sont les principes qui gouvernent les sermons destinés à un public populaire, l’on peut s’interroger en ce qui concerne la prédication de cour : qu’en est-il alors de cette simplicité évangélique ? Il nous semble précisément que les grands prédicateurs s’adressant à la cour manifestent un grand souci de clarté, particulièrement apparent dans l’attention accordée à la dispositio avec l’exorde et la division en points et dans le choix d’une elocutio adaptée.

5Dans son chapitre consacré à la chaire, La Bruyère critique les prédicateurs de son temps pour lesquels il invente le nom d’« énumérateurs » :

  • 10 Jean de La Bruyère, Les Caractères, chapitre « De la chaire », Paris, Garn...

Depuis trente années on prête l’oreille aux rhéteurs, aux déclamateurs, aux énumérateurs […] Ils ont toujours, d’une nécessité indispensable et géométrique, trois sujets admirables de vos attentions : ils prouveront une telle chose dans la première partie de leur discours, cette autre dans la seconde partie, et cette autre encore dans la troisième. Ainsi vous serez convaincu d’abord d’une certaine vérité, et c’est leur premier point ; d’une autre vérité, et c’est leur second point ; et puis d’une troisième vérité et c’est leur troisième point. […] Enfin, pour reprendre et abréger cette division et former un plan… - Encore, dites-vous, et quelles préparations pour un discours de trois quarts d’heure qui leur reste à faire ! Plus ils cherchent à le digérer et à l’éclaircir, plus ils m’embrouillent10

  • 11 Voir Jacques Truchet, « La division en points dans les sermons de Bossuet ...

6La conscience rhétorique du discours n’est pas nouvelle, contrairement à ce que laisse entendre La Bruyère. La division en points et son annonce dans l’exorde ne sont certes pas des inventions de la génération de Bossuet, et l’on en trouve des formes variées au début du siècle. Il est indéniable cependant que la forme du sermon long structuré par une argumentation aux articulations apparentes se généralise au point de devenir quasiment une norme. Le modèle linéaire de la paraphrase caractéristique de l’homélie, ou bien l’enchaînement des idées comme au fil de la pensée, laissant libre cours aux digressions, disparaissent pour faire place au plan logique, dont le modèle le plus simple et le plus courant est sans doute le plan binaire. Dans la préface de son recueil de sermons en 1696, le père d’Orléans précise en quoi consiste cette division du sermon selon les différentes parties d’un plan, l’idée de « division » s’effaçant devant le principe de l’unité ; son insistance sur la notion de « preuve générale » conduisant le discours doit écarter le soupçon d’artifice qui apparaît dans les propos de La Bruyère11 :

  • 12 Orléans, Sermons et instructions chrétiennes, op. cit, n. p.

Après qu’on a choisi le sujet ; l’art veut qu’on y mette l’unité, et que dans la division qu’on en fait en plusieurs parties qui le renferment, aucune de ces parties ne s’en écarte. Rarement verrez-vous, nos Prédicateurs, partager l’attention de l’auditeur par des propositions sans rapport, & sans liaison les unes aux autres, comme on le pratiquait autrefois. Tout va dans leurs discours à un même but ; toutes les propositions particulières concourent à la preuve générale, qui ne la laissant point perdre de vue, y attachent l’esprit sans aucune distraction, l’en remplissent tout entier, et lui en font sentir toute la force. Ces instructions qu’on nomme Homélies, où d’un chapitre de l’écriture, qu’on expliquait selon l’ordre des passages, on tirait des moralités à mesure que le texte les faisait naître, étaient utiles, j’en conviens ; on y apprenait l’Ecriture, et l’on n’en sortait pas sans de bonnes réflexions : mais peut-on disconvenir aussi, qu’on en sortait moins bien instruit de chaque vérité particulière, qu’on ne sort aujourd’hui d’un sermon, où un Prédicateur habile ramasse soigneusement et avec choix tout ce que l’Ecriture et les Pères ont dit sur une vérité, pour en convaincre, et pour l’imprimer profondément dans les esprits12.

Alors que La Bruyère regrette le genre de l’homélie, le P. d’Orléans considère que le renouvellement de la dispositio va de pair avec un recentrement des visées du sermon sur la morale, qui l’emporte sur une pastorale catéchétique sans doute utile mais moins efficace.

  • 13 Voir par exemple Richesource, Regles de la bonne et solide prédication, op...

  • 14 L’ordre de ces éléments n’est pas complètement fixé : l’invocation à Marie...

7La nouveauté ne réside pas dans le recours à un plan, mais dans l’importance qui lui est alors accordée avec sa simplification (par la réduction du nombre de parties à deux ou trois), son renforcement grâce à une articulation argumentative plus nette et enfin la mise en évidence de ses articulations logiques avec le soulignement de la dispositio à la fois dans l’exorde et dans le corps du discours. Le caractère très formel de l’exorde, dont la fonction première est celle d’une clarification du sermon, est dans l’ensemble remarquable13. Il possède un canevas récurrent avec un commentaire de la citation en exergue tirée de l’évangile du jour, une invocation à Marie et l’annonce du plan14, mais aussi une syntaxe spécifique. Sur ce point, la critique de La Bruyère repose bien sur une réalité de la prédication : sa parodie de l’exorde du sermon classique sonne juste, avec la récurrence de la formule « c’est » qui apparaît comme le corollaire syntaxique de la division en points, portées par une même prétention à la clarté – que le moraliste juge précisément manquée. Malgré de sensibles différences dans la composition d’un auteur à l’autre, la prégnance d’une structure type dans les sermons de la génération de Bossuet, Fléchier et Bourdaloue est indéniable. La lecture d’un exorde emprunté à ce dernier peut donner une juste idée d’une tendance générale ; il s’agit de l’introduction du « Sermon sur l’Evangile de l’aveugle-né » :

Praeteriens Jesus vidit hominem caecum a nativitate

Jésus passant vit un homme qui était aveugle depuis sa naissance. En saint Jean, chap. 9.

  • 15 Louis Bourdaloue, Sermons pour les dimanches, Paris, Rigaud, 1726, p. 470-...

De tous les faits qu’ont rapportés les Historiens sacrés et dont ils ont composé leurs saints Evangiles, nous pouvons dire, Chrétiens, qu’il n’en est point où ils se soient étendus dans un plus long détail, ni qu’ils aient représenté avec des traits plus vifs, que la guérison miraculeuse de cet Aveugle-né, à qui le Sauveur du monde ouvrit les yeux, et en qui il voulut faire éclater sa gloire. Il semble que le fidèle Evangéliste qui nous en fait aujourd’hui le récit, ait pris à tâche de n’en pas omettre une circonstance ; et la peinture qu’il nous en trace, est si naturelle et si sensible, que nous croyons en lisant ce miracle, y être présents nous-mêmes et voir tout ce qui s’y passe. Je ne puis donc, ce me semble, mes chers Auditeurs, mieux contenter votre piété, qu’en suivant de point en point dans ce discours tout l’Evangile de ce jour, pour en tirer, comme dans une simple Homélie, les instructions salutaires qui se présenteront et qui serviront à l’édification de vos âmes. Or dans toute la suite de cet Evangile je remarque surtout deux sortes de personnes qui s’y distinguent, et qui doivent particulièrement occuper notre attention. Nous les entendrons parler, mais du reste tenir deux langages bien différents. Nous les verrons agir, mais avec des sentiments bien opposés. D’une part, c’est l’aveugle même guéri par Jésus-Christ, et bénissant à haute voix son bienfaiteur : mais d’autre part, ce sont les Pharisiens ennemis de Jésus-Christ, et piqués d’une mortelle envie contre ce Dieu Sauveur. […] De là nous comprendrons d’abord en quel aveuglement l’intérêt propre est capable de nous plonger et nous plonge tous les jours comme les Pharisiens, ce sera la première partie. Et nous apprendrons ensuite du témoignage de l’Aveugle, à dissiper par les lumières de la foi les ténèbres de l’erreur, et à confondre le mensonge par une sainte confession de la vérité, ce sera la seconde partie. Pour vous faire bien entendre l’un et l’autre, j’ai besoin des grâces du ciel, et je les demande par l’intercession de Marie. Ave Maria15.

  • 16 Dans sa réflexion sur la division en points du sermon, J. Truchet exprime ...

L’introduction du sermon, suivant pas à pas les étapes attendues, depuis la citation latine avec sa traduction jusqu’à l’invocation mariale, s’attache essentiellement à proposer un plan qui paraisse une pure émanation de l’évangile lui-même. En affirmant se contenter du mouvement linéaire de l’homélie, le prédicateur souligne sa simplicité et se défend de toute prétention à la rhétorique dans l’explication d’un texte analysé comme une hypotypose : le récit d’un miracle qui se donne comme une « peinture » qualifiée de « naturelle et sensible » n’a nul besoin des artifices d’un plan afin de s’imposer aux yeux du fidèle pour son édification. L’idée d’un agencement argumenté du sermon apparaît progressivement, presque incidemment d’abord, au détour d’une conjonction « or », comme le reflet d’une organisation du récit évangélique selon un principe d’opposition bipolaire : deux sortes personnes, deux langages, deux sentiments. Le plan adopté par le prédicateur n’est donc pas le fruit de son travail rhétorique mais un mouvement « naturel », c’est-à-dire en exacte conformité avec son objet. Ainsi justifié, ce plan peut être annoncé avec une certaine lourdeur de style : balancement des formules marquées par l’opposition entre « d’abord » et « ensuite », emploi du pronom « nous » quand le reste du discours est pris en charge à la première personne du singulier, notification très explicite des parties. Le soupçon anti-rhétorique aurait pu conduire à l’estompage des articulations argumentatives du sermon ; il n’en est rien. Bourdaloue se dégage certes de l’accusation d’artifice, mais le souci de la clarté du discours est premier16.

  • 17 Voir par exemple l’exorde du « Sermon pour le jour de la Toussaint », Pané...

8Ces observations concernant un sermon de Bourdaloue pourraient également s’appliquer à la prédication de ses contemporains Bossuet et Fléchier, chez qui la division en points la plus rigoureuse apparaît le plus souvent comme un reflet de la nature du texte évangélique lui-même. Fléchier propose lui aussi des exordes très formels, même s’ils jouent davantage de variations stylistiques, alternant des expressions qui allient élégance et précision17, avec des formules très sèches telles celles que l’on rencontre dans le « Sermon de la Cène », le « Sermon de l’obligation de l’aumône » ou le « Sermon pour le jour de la Pentecôte » prêché en 1681 :

Aussi le S. Esprit nous est-il donné,

1°. Comme un Maître, pour nous donner une entière connaissance des vérités Chrétiennes

2°. Comme un Guide, qui nous conduit à la perfection des vertus Evangéliques.

  • 18 Fléchier, Recueil de sermons choisis, op. cit., t. II, p. 192.

Ces deux réflexions importantes feront tout le partage de ce discours18.

  • 19 Bossuet, Sermons. Le Carême du Louvre (1662), éd. C. Cagnat, Paris, Gallim...

  • 20 Il faudrait évoquer ici les sermonnaires explicitement destinés à être rep...

La mise en page et la numérotation des points d’étude accentuent encore la rigueur de la présentation, rendue très perceptible déjà par le retour d’une même formule pour signifier le balancement des deux parties. Le procédé n’est pas propre à Fléchier et on le retrouve en particulier sous la plume de Bossuet dans l’introduction du « Sermon pour la fête de l’Annonciation » prêché pour le Carême du Louvre en 166219. Ces choix concernant la présentation peuvent être le fait de l’éditeur tout autant qu’une volonté de l’auteur, mais il n’en reste pas moins qu’ils témoignent de l’importance accordée à cette partie de l’exorde dans la réception du discours20.

  • 21 Nous reprenons ici la classification de J. Truchet, art. cit., distinguant...

9Cette clarté de l’expression s’allie à une démonstration du caractère naturel du plan adopté. Ainsi dans le « Sermon pour la fête de l’Annonciation », Bossuet prépare soigneusement la brève annonce d’un plan de type synthétique21. La reprise de la phrase « Il a plu à Dieu de se faire aimer » marque le début de trois paragraphes qui développent chacun l’un des attributs de Jésus, considéré à la fois comme « l’attrait qui nous gagne à l’amour », comme le modèle de l’amour que l’on doit éprouver pour Dieu et enfin comme la voie qui conduit au divin amour. Ces trois points sont ensuite ramassés en une seule expression :

De sorte qu’ayant besoin de trois choses pour être réunis à Dieu : d’un attrait puissant, d’un parfait modèle et d’une voie assurée, Jésus-Christ nous fait trouver tout en sa personne.

Avant d’en déduire une division qui se coulera dans le moule ainsi préparé par le biais d’un simple « c’est-à-dire », Bossuet ajoute encore :

  • 22 Bossuet, Sermons, op. cit., p. 163.

[...] et il nous est lui seul tout ensemble l’attrait qui nous gagne à l’amour de Dieu, le modèle qui nous montre les règles de l’amour de Dieu, la voie pour arriver à l’amour de Dieu22.

Une telle redondance peut se justifier par l’effet de symétrie dans le chiasme qui place le nom de Jésus-Christ, repris par le pronom « il », au cœur du propos, mais elle a surtout une fonction pédagogique en insistant sur l’essentiel du message, tout en soulignant le rythme ternaire qui s’imposera alors comme le plus naturel pour le déroulement du sermon.

  • 23 En 1688, 1691 et 1693, op cit., t. II, p. 236-314.

  • 24 Nous avons déjà très partiellement abordé la question de l’emploi de « c’e...

  • 25 Ce n’est donc pas seulement la forme « c’est » qui est prise en compte dan...

10Ainsi, la présentation rigoureuse de l’exorde, loin de caractériser seulement les discours simples, est-elle une exigence qui s’impose dans les grands « sermons réglés », les Carêmes de Bossuet ou de Bourdaloue, ou bien dans les sermons d’apparat comme ceux qui furent prêchés par Fléchier à « l’Ouverture des Etats de Languedoc »23. La division en points, annoncée dans l’exorde, articulant le développement du discours, s’accompagne alors d’une elocutio adaptée, au service d’un propos bien structuré. Ce style que l’on peut qualifier de didactique est particulièrement apparent dans les sermons de Bourdaloue, qui use de nombreux connecteurs argumentatifs et déploie tout un matériel logique dans des périodes soutenues par des systèmes hypothétiques, par des relations de cause et conséquence, mais il est également présent quoique de façon plus discrète chez Bossuet et Fléchier. Si l’on regarde de plus près ce qu’il en est de la syntaxe, un fait se détache par sa remarquable récurrence : l’emploi du gallicisme « c’est »24, généralement analysé par les grammairiens comme une forme de « présentatif »25, est indéniablement une caractéristique de l’écriture du sermon chez les trois auteurs considérés, que l’on peut sans doute considérer comme partie prenante de leur style explicatif.

  • 26 Il par exemple difficile de comparer des textes de longueurs variées, même...

  • 27 La distinction établie ici entre Bossuet, Fléchier et Bourdaloue et les au...

11Bien qu’il soit difficile d’établir des statistiques significatives en la matière26, on peut cependant noter que l’emploi du présentatif « c’est » est régulier mais peu fréquent dans les sermons du milieu du XVIIe siècle, ceux des Lazaristes ou de l’oratorien Le Jeune par exemple ; il est encore d’un emploi modéré chez des contemporains de Bossuet comme Loriot, Fromentières, La Rue, Orléans ou Mascaron : on en rencontre le plus souvent entre une douzaine et une quinzaine d’occurrences par sermon, et dans quelques cas davantage – une vingtaine au maximum. En revanche, son emploi devient fréquent sous la plume de Bossuet, Fléchier et Bourdaloue, en moyenne deux à trois fois plus présent que dans les sermons des autres prédicateurs pour devenir un fait marquant de leur écriture, avec jusqu’à cinquante ou soixante-dix occurrences dans certains cas27.

  • 28 Voir Ligia-Stela Florea, « Présentatif et “configuration discursive” en fr...

12L’emploi de « c’est » est sans aucun doute ressenti comme un fait d’oralité28 ; il est en effet peu présent dans d’autres types de textes argumentatifs sans lien avec l’oral, qu’il s’agisse de traités de morale, de philosophie ou de littérature, et devient encore plus rare dans les genres non discursifs tel le récit. La transposition à l’écrit de ce marqueur d’oralité produit-elle un effet de simplicité ou même de familiarité ? L’écart entre le sermon et le genre noble de l’oraison funèbre est assez significatif pour inviter à cette interprétation : la fréquence est sensiblement moins élevée dans les oraisons funèbres de Bossuet que dans ses sermons, et même deux fois moins élevée pour Fléchier. Néanmoins, cela ne saurait suffire à expliquer ce fait de syntaxe chez nos trois prédicateurs en particulier : pourquoi le présentatif n’est-il pas employé de semblable manière par des auteurs qui, à la même époque, s’attachent eux aussi à une recherche de simplicité, tels les oratoriens Le Jeune, Fromentières ou Loriot qui pratiquent une prédication de mission s’adressant au plus grand nombre dans les petites villes et campagnes ? Certes caractéristique de l’expression orale, le présentatif l’est tout autant des effets rhétoriques et stylistiques de discours recherchant la plus grande clarté mais aussi la force de persuasion.

13Le présentatif « c’est » est particulièrement présent dans l’exorde du sermon, notamment pour annoncer la division en points, mais aussi pour déployer des énoncés définitoires. Ce même type d’emploi apparaît encore dans le corps du texte en soulignant ses articulations essentielles. Ainsi, la seconde partie du sermon de Bourdaloue sur « Ce que doit être un chrétien » associe ces deux possibilités puisqu’elle reprend la forme canonique de l’exorde pour une introduction partielle comprenant une problématisation de la question de la consécration des hommes à Dieu par « la grâce du christianisme » et l’annonce du plan de cette partie ; le développement s’enchaîne alors avec un premier ensemble de définitions concernant le baptême :

Pour bien concevoir cette vérité, remarquez, je vous prie, trois choses : la première, que c’est au baptême que nous recevons cette consécration ; la seconde, que c’est l’obligation indispensable que nous avons qui est fondée sur cette consécration ; et la troisième, que c’est l’énormité, ou plutôt la tache du péché qui se répand sur cette consécration. Si je pouvais vous faire bien entendre ces trois choses, il n’y aurait rien que je ne pusse espérer de vous.

  • 29 Louis Bourdaloue, Sermons pour tous les jours de Carême (1693), Paris, Blo...

Qu’est-ce que le baptême ? Saint Cyprien dit que c’est une consécration qui a toutes les belles qualités qui la peuvent rendre précieuse et agréable devant Dieu ; car selon l’Ecriture même, c’est une consécration royale et sacerdotale ; c’est une consécration déifique, s’il faut ainsi parler, ou plutôt c’est une consécration déifiante et divinisante29.

  • 30 Joëlle Gardes-Tamine, « Introduction à la syntaxe. Les présentatifs », L’I...

La récurrence de la forme « c’est » produit une impression de rigueur et place le nom au cœur de la phrase, soit par le biais de constructions simples du présentatif suivi d’un simple groupe nominal, soit dans le cadre de phrases clivées : « c’est…que… », « c’est… qui…. », la construction présentant notamment l’avantage de fonctionner en « pivot », à la fois comme anaphorique et comme présentation de ce qui suit30.

  • 31 Art.cit., p. 310-320.

14Stéphane Macé a montré comment l’emploi de « c’est » en phrase clivée chez Bossuet cumule toute une série de fonctions : fonction mélodique et rythmique grâce à son mouvement dynamique qui lance la période ; fonction argumentative d’une forme qui se présente souvent comme un énoncé de vérité générale ; fonction symbolique dans un mode d’écriture qui permet de passer « directement de la vision à l’interprétation »31. Il analyse en particulier le rôle du clivage dans la mise en valeur de la dispositio :

  • 32 Macé, « Sur quelques lignes de Huysmans, et de l’usage des constructions c...

Un rapide parcours apporterait des preuves flagrantes de cette valeur rythmique de la construction clivée : Bossuet l’emploie assez systématiquement en début de sermon, à l’entame des différents « points », en début de paragraphe ou de section rhétorique. Le clivage devient ainsi l’un des principaux moyens de souligner les choix inhérents à la dispositio32.

  • 33 Les emplois de « c’est » en phrase clivée sont fréquents chez Bossuet ; en...

  • 34 Il faut distinguer l’emploi causal de « c’est que » (du type « Et en effet...

15Cet emploi de la phrase clivée s’enrichit en outre, nous semble-t-il, des possibilités de variation syntaxique autour du présentatif33. Les constructions de « c’est » dans une formule exprimant une logique causale sont particulièrement intéressantes : « c’est pourquoi », « c’est à cause que » et « c’est que »34 alternent avec des formes qui se rapprochent des constructions clivées telles « c’est pour cette raison que », « c’est pour cela que ». Elles se rencontrent à l’intérieur des développements en soutien d’une démonstration, mais aussi parfois dans l’exorde et en introduction ou en conclusion des principales parties du sermon, afin de ramasser l’argumentation avec efficacité. On peut en prendre pour exemple le « Sermon pour la fête de la circoncision de notre Seigneur », prêché en 1687, dont l’exorde s’appuie sur une série de relations causales :

  • 35 Sermons de Bossuet, Tours, Cattier, 1874, t. 1, p. 222 et 233.

Ce qui nous trompe, mes frères, ce qui fait que nous avons peine à donner au péché le nom de mal, c’est à cause qu’il est volontaire. […] C’est pourquoi Dieu nous avertit que si aujourd’hui, parmi les douleurs de la Circoncision, il donne à son Fils le nom de Sauveur, et relève par un si grand nom son humiliation, c’est à cause qu’il doit sauver son peuple fidèle de ce grand mal du péché35.

Le début de chacun des trois points du développement comporte également ce type de construction qui marque une insistance sur le fonctionnement logique du propos :

Et d’où vient cette laideur et cette malice qui le rend si digne d’exécration ? Il est aisé de l’entendre. C’est que l’homme est soumis par sa nature […]

Dans toutes les rencontres de la vie, la raison nous conseille mieux, les sens nous pressent davantage ; c’est pourquoi le bien nous plaît, mais cependant le mal prévaut [ …]

  • 36 Ibid., p. 227, p. 235 et p. 241.

On ne vient pas à un si grand bien sans en avoir désiré la jouissance : il faut goûter par avance ses saintes douceurs. C’est pourquoi Dieu nous a donné […] un écoulement de la gloire dans la grâce […]36.

  • 37 Voir par exemple la tournure « c’est que c’est » : « pourquoi avez-vous or...

Une telle mise en valeur de la relation causale par le présentatif, y compris dans des constructions très lourdes37, participe d’une écriture didactique en s’associant encore à d’autres procédés syntaxiques dits de mise en relief (phrases disloquées, tournures impersonnelles, autres présentatifs par exemple). Ce style explicatif est exacerbé dans les discours de Bourdaloue, qui multiplie à l’envi les formules du type « c’est pourquoi », « c’est ainsi que », « c’est par là que », non seulement aux moments clés du discours mais encore dans tout le développement. Fléchier accorde pour sa part plus d’importance à la fonction rythmique du présentatif, instrument efficace dans la construction de périodes fondées sur des principes de répétition, qu’il s’agisse de simples anaphores, ou de figures plus complexes. La récurrence de « c’est » s’appuie souvent chez lui sur un rythme ternaire, mais aussi parfois sur un effet de nombre avec la répétition multiple de la forme, jusqu’à cinq ou six d’affilée ; ainsi dans le « Sermon pour le jour de la Toussaint » prêché devant le roi en 1682 les séries construites sur le présentatif sont particulièrement remarquables :

  • 38 Fléchier, Recueil de sermons choisis, op. cit., p. 9.

Etes-vous riches ? c’est afin que vous vous sanctifiiez par le bon usage des richesses. Etes-vous éclairés ? c’est afin que vos connaissances vous rendent plus exacts dans l’accomplissement de vos devoirs. Etes-vous grands dans le monde ? c’est afin que vous usiez de ce monde comme si vous n’en usiez pas. Tout ce que Dieu a fait pour vous, tout ce que vous devez faire pour Dieu est fait à cette intention ; et c’est la seule chose nécessaire38.

Le martèlement de l’expression produit un puissant effet rythmique qu’affectionne Fléchier, avec la mise en valeur de la relation logique entre une question oratoire et l’expression du but dans la formule « c’est afin que ».

16L’emploi du présentatif croise ainsi la question du style didactique, dans la mesure où il est un outil de mise en valeur des articulations logiques du sermon, à la fois à certains endroits stratégiques comme l’exorde et le début des différentes parties, et dans le détail des développements argumentatifs. Le présentatif offre en effet l’avantage de concilier une impression de simplicité liée à son caractère oral, et des procédés d’emphase lorsqu’il permet de focaliser l’attention de l’auditeur ou du lecteur sur un point en particulier ou bien lorsqu’il devient la base de répétitions dans le cadre d’une prose dite nombreuse. Ces aspects généraux laissent cependant deviner des variations d’un prédicateur à l’autre : le souci explicatif sous la plume de Bourdaloue, la phrase nombreuse chez Fléchier, le style simple, le style de l’évidence chez Bossuet.

  • 39 Art. cit., p. 90-91.

  • 40 Voir Gilles Declercq, « La Rhétorique classique entre évidence et sublime ...

  • 41 Voir Jean-Philippe Grosperrin, « Une autre peinture. Prédication et représ...

  • 42 « Mais encore que les riches marchent à leur aise, et semblent n’avoir rie...

17Si l’éloquence de la chaire accorde une place au sublime, au ravissement du « Fiat lux », ce n’est sans doute pas celle du sermon ; la légitimité d’une parole solaire, brillante est davantage celle de l’oraison funèbre notamment, qui illustre le genre encomiastique et le grand style. Le sermon doit toucher, convaincre, convertir, et non ravir, et cette triple ambition laisse un vaste champ ouvert à la rhétorique. Dans son article « L’évidence au service de la prédication : réflexions du XVIIe siècle sur saint Augustin39 », E. Bury montre comment cette rhétorique est essentiellement considérée pour ses qualités stylistiques, du côté de l’elocutio, par des auteurs comme Fleury ou Fénelon pour qui « il s’agit de toucher en représentant les choses, et non plus de convaincre en emportant l’intellect. » Les traités, préfaces et sermons qui se penchent sur la question de la rhétorique sacrée, affichent effectivement bien souvent une promotion des « preuves subjectives »40 : preuve pathétique et surtout preuve éthique, avec sans cesse la mention de la prière comme condition préalable à la parole et à l’écoute. Mais dans le même temps, on observe dans les sermons un rééquilibrage en faveur de la conviction intellectuelle grâce à une division en points travaillée, à un exorde très construit, à certains faits de syntaxe propres à produire des effets rhétoriques simples et efficaces. Certes Bossuet, convaincu d’une évidence de la foi41, fait une large part à la « peinture » des vérités divines, et l’on remarque chez lui comme chez Fléchier et Bourdaloue un renouveau des moyens employés pour toucher le pécheur, avec le recours à un pathétique plus subtil – l’exclamation dans la bouche du prédicateur cède souvent le pas au dialogisme avec ses jeux de modalité, interrogation et exclamation mêlées. Dans tous les cas cependant, la primauté est accordée à la clarté du discours, et il n’est pas anodin sans doute que la figure du dialogisme prenne régulièrement la forme la plus simple, celle d’une question oratoire et d’une réponse dont l’élément clé est mis en valeur par l’emploi du présentatif42 : l’ornement est au service d’une expression claire.

Notes

1 Pierre-Joseph d’Orléans, s.j., Sermons et instructions chrétiennes sur diverses matieres, Paris, Jean Anisson, 1696 (préface n.p.).

2 Voir Gérard Ferreyrolles, « Prédication et imagination au temps de Bossuet : la controverse entre Arnauld et Goibaut du Bois », Les Amis de Bossuet, n° 31, 2004, p. 52-62.

3 Paris, Villery, 1684.

4 Voir Emmanuel Bury, « L’évidence au service de la prédication : réflexions du XVIIe siècle sur saint Augustin », dans C. Lévy, Dire l’évidence, L’Harmattan, 1997, p. 75-91.

5 Gilles Du Port, L’Art de prêcher, Paris, Robert de Ninville, 1682, p. 3 et p. 229.

6 Pour des éléments de réflexion concernant la prédication évangélique pour la période précédente, voir Peter Bayley, French Pulpit Oratory (1598-1650), Cambridge University Press, 1980. Voir également notre article « Parler pour être entendu : la question de l’obscurité dans le sermon de la première moitié du XVIIe siècle » dans D. Denis (dir.), L’Obscurité. Langage et herméneutique sous l’Ancien Régime, Academia Bruylant, 2007, p. 119-130.

7 Orléans, Sermons et instructions chrétiennes, op. cit, n. p.

8 Paris, Charles Robustel, 1697 (Avertissement, n. p.).

9 Jean Richesource, Regles de la bonne et solide prédication, Paris, Osmont et Hansy, 1701, p. 503.

10 Jean de La Bruyère, Les Caractères, chapitre « De la chaire », Paris, Garnier, 1962, p. 447.

11 Voir Jacques Truchet, « La division en points dans les sermons de Bossuet », Revue d’Histoire Littéraire de la France, juillet-sept. 1952, p. 316-329. Il montre le rejet par La Bruyère du principe de la division en point, qu’il juge artificiel alors même que les traités insistent sur la nécessité de son « naturel ». Voir Thérèse Goyet, « Dans le Carême du Louvre les sermons en deux points », Les Amis de Bossuet, n° 30, 2002, p. 29-37.

12 Orléans, Sermons et instructions chrétiennes, op. cit, n. p.

13 Voir par exemple Richesource, Regles de la bonne et solide prédication, op. cit., p. 401 : « L’Exorde doit être clair, court, propre et simple ; il faut en premier lieu, qu’il soit clair, afin qu’il fasse aisément comprendre aux Auditeurs le sujet sur lequel on va prêcher, & les veritez qu’on se propose de leur enseigner ».

14 L’ordre de ces éléments n’est pas complètement fixé : l’invocation à Marie peut précéder ou bien suivre l’annonce du plan.

15 Louis Bourdaloue, Sermons pour les dimanches, Paris, Rigaud, 1726, p. 470-473.

16 Dans sa réflexion sur la division en points du sermon, J. Truchet exprime son adhésion à un procédé, qui selon le talent du prédicateur sent l’artifice ou au contraire s’efface sous les charmes du « naturel » ; ce faisant, il minimise sans doute l’importance de la recherche de clarté : « la division d’un sermon classique en ses deux ou trois points ne résulte pas d’une simple convention, ni d’une banale exigence de clarté. Une bonne division coïncide avec les vérités que veut exprimer le prédicateur. […] Aussi pensons-nous que les meilleurs plans de sermons utilisés par Bossuet font plus que satisfaire les désirs de logique et les goûts esthétiques de ses auditeurs : leur véritable portée repose sur leur profondeur et sur leur efficacité. Ils répondent à la nature des choses ; ils sont naturels au meilleurs sens du terme », art. cit., p. 328-329.

17 Voir par exemple l’exorde du « Sermon pour le jour de la Toussaint », Panégyriques et autres sermons, Bruxelles, François Floppens, 1696, t. I, p. 4-5 : « Je veux aujourd’hui exciter votre reconnaissance par les grâces que Dieu vous fait ; votre ferveur par les exemples qu’il vous propose ; votre confiance par les récompenses qu’il vous promet. Voilà tout le plan de ce discours, et le sujet de votre attention. »

18 Fléchier, Recueil de sermons choisis, op. cit., t. II, p. 192.

19 Bossuet, Sermons. Le Carême du Louvre (1662), éd. C. Cagnat, Paris, Gallimard, 2001, p. 164 : « […] que nous devons 1° nous donner à Dieu pour l’amour du Verbe incarné, que nous devons 2° nous donner à Dieu à l’exemple du Verbe incarné, que nous devons en troisième lieu nous donner à Dieu par la voie et par l’entremise du Verbe incarné. »

20 Il faudrait évoquer ici les sermonnaires explicitement destinés à être repris par des prédicateurs en manque d’inspiration, comme par exemple le recueil de Loriot, op. cit., qui dans le « dessein du sermon » indique son plan détaillé avec la division en parties, chaque partie étant elle-même subdivisée en différents points.

21 Nous reprenons ici la classification de J. Truchet, art. cit., distinguant plans fragmentés, pédagogiques et synthétiques.

22 Bossuet, Sermons, op. cit., p. 163.

23 En 1688, 1691 et 1693, op cit., t. II, p. 236-314.

24 Nous avons déjà très partiellement abordé la question de l’emploi de « c’est » chez Bossuet dans « Ouvrez donc les yeux, ô mort : l’écriture de l’évidence dans les sermons de Bossuet », dans G. Peureux (dir.), Lectures de Bossuet, Le Carême du Louvres, Rennes, PUR, 2001, p. 75-88. Par ailleurs, un article de Stéphane Macé analyse précisément l’emploi de « c’est » en construction clivée chez Bossuet : « Sur quelques lignes de Huysmans, et de l’usage des constructions clivées dans le Carême du Louvre », dans G. Ferreyrolles (dir.), Bossuet, Le Verbe et l’Histoire (1704-2004), Paris, Champion, 2006.

25 Ce n’est donc pas seulement la forme « c’est » qui est prise en compte dans cette étude, mais tout le paradigme d’un présentatif qui accepte les variations de temps et de mode et qui peut apparaître aux formes interrogative et négative.

26 Il par exemple difficile de comparer des textes de longueurs variées, même si le sermon classique correspond souvent à un discours d’une heure. Nous avons donc corroboré nos premières analyses en calculant la fréquence d’emploi du présentatif rapportée au nombre de caractères dans un sermon, ce qui permet des comparaisons chiffrées plus nettes. Le détail de ces statistiques serait fastidieux à exposer, et c’est seulement leur interprétation que nous proposons ici.

27 La distinction établie ici entre Bossuet, Fléchier et Bourdaloue et les autres prédicateurs quant à l’emploi du présentatif laisse de côté un auteur comme Fénelon, dont le Recueil de sermons choisis sur différents sujets [1706] (Œuvres, t. XVII, Versailles, chez Lebel, 1823) fait apparaître une pratique nuancée : l’emploi de « c’est » y est dans l’ensemble moins fréquent que chez les trois auteurs considérés, mais le « Sermon pour la fête d’un martyr » y recourt davantage, avec de remarquables effet de rythme. Pour une étude de la réflexion rhétorique de Fénelon, voir Emmanuel Bury, « Éloquence et spiritualité dans la pensée fénelonienne : convergences et tension », dans C. Dornier et J. Sien (dir.), Éloquence et vérité intérieure, Paris, Champion, 2002.

28 Voir Ligia-Stela Florea, « Présentatif et “configuration discursive” en français parlé, le cas de c’est », Linx, n° 18, 1988, p. 95-106 ; Jean-Marcel Léard, Les Gallicismes. Étude syntaxique et sémantique, Duculot, 1992 ; Marie-Noëlle Roubaud, « Constructions en c’est : les pseudo-clivées », Cahiers de grammaire, n° 23, décembre 1998, p. 81-94.

29 Louis Bourdaloue, Sermons pour tous les jours de Carême (1693), Paris, Bloud et Gay, 1922, p. 246.

30 Joëlle Gardes-Tamine, « Introduction à la syntaxe. Les présentatifs », L’Information Grammaticale, n° 29, mars 1986, p. 34-36. 

31 Art.cit., p. 310-320.

32 Macé, « Sur quelques lignes de Huysmans, et de l’usage des constructions clivées dans le Carême du Louvre », art. cit., p. 312.

33 Les emplois de « c’est » en phrase clivée sont fréquents chez Bossuet ; en considérant les sermons du Carême du Louvre, on remarque qu’ils sont parfois majoritaires, comme dans le « Sermon du mauvais riche » et le « Sermon sur l’ambition », mais il ne s’agit pas pour autant d’une règle générale, notamment en raison des emplois de « c’est » suivi d’un simple groupe nominal ou bien dans une tournure causale, qui peuvent être aussi nombreux.

34 Il faut distinguer l’emploi causal de « c’est que » (du type « Et en effet, Chrétiens, lorsqu’il frémit, dit saint Augustin, c’est qu’il est indigné contre nos péchés ; lorsqu’il est troublé, dit le même Père, c’est qu’il est ému de nos maux : ainsi lorsqu’il craint et qu’il prend la fuite, c’est qu’il appréhende pour nos périls », Bossuet, « Sermon sur l’Annonciation », Le Carême du Louvre, éd. cit., p. 132), de la construction du présentatif avec une complétive (du type « Mais ce qui m’afflige, Messieurs, c’est que vous vous oubliez de votre obligation à la sainteté », Bourdaloue, « Sermon sur ce que doit être un chrétien », éd. cit., p. 253).

35 Sermons de Bossuet, Tours, Cattier, 1874, t. 1, p. 222 et 233.

36 Ibid., p. 227, p. 235 et p. 241.

37 Voir par exemple la tournure « c’est que c’est » : « pourquoi avez-vous ordonné que la force se perfectionne dans l’infirmité ? Saint Augustin, Messieurs, vous le va dire. C’est que c’est ici un lieu d’orgueil ; c’est que, de toutes les tentations qui nous environnent, la plus dangereuse et la plus pressante, c’est celle qui nous porte à la présomption : c’est pourquoi Dieu, en nous donnant de la force, nous a aussi laissé de la faiblesse », dans le « Sermon pour le jour de Pâques » (1660), Sermons de Bossuet, éd. cit., t. II, p. 404.

38 Fléchier, Recueil de sermons choisis, op. cit., p. 9.

39 Art. cit., p. 90-91.

40 Voir Gilles Declercq, « La Rhétorique classique entre évidence et sublime (1650-1675) », dans Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950), Paris, PUF, 1999, p. 629-706, en particulier le chapitre intitulé « Désespoir de la parole sermonnaire ».

41 Voir Jean-Philippe Grosperrin, « Une autre peinture. Prédication et représentation dans Le Carême du Louvre », Littératures Classiques, n° 46, Paris, Champion, 2002, p. 89-124.

42 « Mais encore que les riches marchent à leur aise, et semblent n’avoir rien qui leur pèse, sachez qu’ils ont aussi leur fardeau. Et quel est ce fardeau des riches ? chrétiens, le pourrez-vous croire ? ce sont leurs propres richesses. Quel est le fardeau des pauvres ? c’est le besoin. Quel est le fardeau des riches ? c’est l’abondance », Bossuet, « Sermon sur l’éminente dignité des pauvres dans l’Eglise » (1659), op. cit., t. I, p. 289.

Pour citer ce document

Sophie Hache, «Bossuet, Bourdaloue et Fléchier, vers une expression claire dans le sermon de la seconde moitié du XVIIe siècle», La Réserve [En ligne], La Réserve, Livraison du 15 septembre 2017, mis à jour le : 07/09/2017, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/reserve/363-bossuet-bourdaloue-et-flechier-vers-une-expression-claire-dans-le-sermon-de-la-seconde-moitie-du-xviie-siecle.

Quelques mots à propos de :  Sophie  Hache

Maître de conférence à l’université de Lille
Membre de l’équipe Alithila (Analyses littéraires et histoire de la langue)
Associée à l’UMR Litt&Arts / RARE – Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution