La Réserve : Livraison du 15 septembre 2017
L’écriture de l’archive dans Les Faux Saulniers de Gérard de Nerval
À paraître dans: Les archives au XIXe siècle. Définitions et usages, textes réunis et présentés par Claude Millet (site du Centre de Ressources J. Seebacher, Paris 7)
Texte intégral
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1 D’autres extraits en seront distribués ailleurs (dans La Bohème galante et ...
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2 On pourrait d’ailleurs en ajouter d’autres, comme « La Main de gloire », qu...
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3 C’est à partir de 1841 que se constituent les « fonds d’archives », établis...
1Le recours aux archives est un phénomène récurrent, dans l’écriture nervalienne, et il mériterait une étude de synthèse. Il se manifeste, notamment, dans un ensemble de textes dont le premier en date est Les Faux Saulniers, récit paru en plusieurs livraisons, d’octobre à décembre 1850, dans le quotidien Le National. Le récit final de ce feuilleton, l’« Histoire de l’abbé de Bucquoy », détaché de son contexte initial et remanié, prendra place, en 1852, dans Les Illuminés. Des Faux Saulniers1 – dont sera, dès lors, retranchée cette même histoire – naîtra également la nouvelle « Angélique », intégrée aux Filles du feu en 1854. Il n’est toutefois guère envisageable, dans le cadre limité de cette contribution, de traiter simultanément de ces trois textes2, qui posent et reposent, au fil des recompositions de Nerval, la question de l’écriture de l’archive – question à inscrire dans le contexte d’une époque qui vient de voir, tout à la fois, s’instaurer la pratique de l’archivage moderne3 et se développer l’histoire comme discipline savante. C’est donc à l’œuvre qui inaugure la série et génère cet ensemble que nous nous proposons de prêter attention.
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4 Depuis le succès des Mystères de Paris d’E. Sue, ces publications étaient j...
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5 Décrets des 9 et 11 août 1848.
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6 Les Faux Saulniers. Histoire de l’Abbé de Bucquoy, texte établi et annoté p...
2Ce long récit excentrique, on le sait, est une réponse ironique de Nerval à l’amendement Riancey à la loi du 16 juillet 1850, qui taxait lourdement, jusqu’à menacer leur survie, les journaux publiant des romans-feuilletons4. Cette loi, qui limitait la liberté de la presse (mise en cause depuis Cavaignac5) afin d’étouffer la propagande républicaine, s’inscrivait dans un ensemble de mesures prises par l’Assemblée législative, dominée par le parti de l’Ordre, et destinées à réduire les acquis démocratiques de la Révolution de février 1848. Le rapport au pouvoir politique est donc ce qui détermine, clairement, les enjeux du récit. De retour de Francfort, où se situe la première scène du feuilleton, le narrateur trouve la littérature dans « un état de terreur inexprimable6 » : l’interdiction de faire du roman, qui frappe les écrivains « dans leurs moyens d’existence » (p. 5), est une entrave à leur liberté. Le feuilleton que Nerval a promis au directeur du National va alors s’écrire contre cet « abus de l’autorité » (p. 88).
3Sur plus des deux tiers de sa longueur, le récit, qui, dans ce contexte, entend être historique (et non romanesque…), relate la recherche d’un livre introuvable – son acquisition, dans une vente aux enchères, le 30 novembre (p. 115), permettra, mettant fin à cet « avant-propos » (ibid.) démesuré, de livrer enfin l’histoire, si longtemps différée, du personnage qui donne son sous-titre au récit, l’abbé de Bucquoy (p. 120-163). La disparition de ce livre de référence – qui doit garantir la vérité historique de l’histoire annoncée – est prétexte au déploiement d’une écriture de l’archive dont nous allons tenter de dégager quelques aspects.
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7 « Événement des plus rares, ou histoire du sieur abbé comte de Bucquoy, sin...
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8 Les faux saulniers se livraient, contre cet impôt haï qu’était la gabelle, ...
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9 Ce manque de persévérance dans la quête a été remarqué, entre autres, par M...
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10 Voir J. Derrida, Mal d’Archive, Paris, Galilée, 1995, p. 11.
4Tout donne, en effet, à cette étrange volatilisation l’apparence d’un prétexte. Rappelons la situation : Gérard s’était engagé, « depuis longtemps déjà » (p. 5), à écrire, pour Le National, sur « un personnage curieux qui vivait dans les dernières années du règne de Louis XIV » (p. 3). De passage à Francfort, il parcourt, chez un bouquiniste ̶ sans l’acheter, pensant le trouver facilement en France ̶ un ouvrage de 1719, dont il relève le titre7, sur le personnage en question : le fameux abbé de Bucquoy, opposant déterminé au pouvoir royal, plusieurs fois emprisonné, et dont la route croise à deux reprises celle des Faux Saulniers8, ces résistants obscurs qui contribuèrent à la chute de la monarchie absolutiste. En France, toutefois, le livre se dérobe désespérément – mais la quête du narrateur, s’il est vrai qu’il semble souvent jouer de malchance, paraît au fond conduite de manière à ne pas le trouver9 : des craintes déraisonnables le poussent à éviter les bibliothèques qui possèdent l’ouvrage (la Mazarine, l’Arsenal, p. 18, 19), il renonce par paresse à « courir les quais » (p. 20), dédaigne l’aide des bibliophiles (p. 113) – bref, ne mène pas l’investigation avec la rigueur annoncée à la fin de sa lettre Au Directeur du National (p. 10). Ses pérégrinations à la recherche du livre qu’il laisse complaisamment lui échapper sont alors pour lui l’occasion d’un périple qui le conduit – l’ordre de ses étapes n’étant pas indifférent – en divers lieux de conservation : d’abord le cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale, qui détient certaines pièces d’archives de la police (p. 11) ; puis les Archives nationales (p. 39), où il découvre l’histoire d’Angélique de Longueval, grand-tante de l’abbé de Bucquoy ; de là, il est renvoyé aux archives de la bibliothèque de Compiègne (p. 41), puis à celles de Soissons (p. 117). Les documents ainsi recherchés sont, certes, les garants de cette écriture historique que Nerval feint d’opposer – pour mieux brouiller, en réalité, leurs frontières – à l’écriture romanesque, mais les enjeux de cette écriture de l’archive entreprise à la faveur de la disparition du livre vont, de fait, au-delà du simple souci de donner à l’abbé comte de Bucquoy « une existence historique certaine » (p. 12) : le voyage qu’entreprend Nerval à la recherche de son fugitif personnage est, au fond, une quête de l’arkhè, dans son double sens de commencement et de commandement10.
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11 Ce serait, si l’on en croit Derrida, le sens premier d’« archive » (celui ...
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12 Le nom lui-même de l’abbé est alors matière à interrogation (p. 11 et 12).
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13 Ce document, identifié par Nicolas Popa, était bien conservé à la Biblioth...
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14 J. Derrida, op. cit., p. 11 (relatif au droit, à la loi).
5L’archive, c’est tout d’abord11, dans Les Faux Saulniers, le lieu où s’exerce l’autorité – l’arkheîon. C’est ce que nous enseigne la toute première étape du parcours, à la Bibliothèque nationale. Le narrateur se trouve conduit, par un bibliothécaire, aux Manuscrits, afin d’y consulter le catalogue des archives de la police. Un « comte du Buquoy12 », évadé de la Bastille, fait bien l’objet d’un rapport de l’année 170913. Signé d’Argenson, ce rapport est destiné à M. de Pontchartrain. Le ministre de Louis XIV a annoté les pages du lieutenant général de police, et Gérard, dans son examen « scientifique » (p. 12) du document, prête une attention toute particulière à ces commentaires tracés « au crayon » dans les marges. Commentaires lapidaires, relayés par des ordres (« À la maison de Force. Bon pour six mois », p. 14) « terribles » parfois par leur charge implicite (on imagine avec Gérard le type d’entretien destiné à un particulier, arrêté pour assassinat – un abbé, anonyme, qu’il est question de relâcher faute de preuves – par cette injonction laconique : « Qu’il luy parle auparavant », p. 13)… À mesure que le narrateur déroule ces « pages terribles » (il répète l’adjectif à quelques lignes d’intervalle), elles le retiennent moins pour leur intérêt informatif (elles ne font qu’épaissir le mystère de celui que d’Argenson nomme le « prétendu comte du Buquoy », p. 12) que parce que s’y révèle, dans sa brutalité, le pouvoir des archontes (« j’ai frémi en tournant les pages de ces rapports impitoyables qui avaient passé sous la main de ces deux hommes, – d’Argenson et Pontchartrain », p. 14), parce qu’elles sont le lieu où s’énonce l’ordre jussique14.
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15 Ibid., p. 13.
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16 Ibid., p. 14.
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17 Plus loin, on relèvera des interventions de cet ordre : « Ceci explique ju...
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18 Plus haut : « Je me suis interrompu dans la lecture de la vie d’Angélique ...
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19 Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre article sur « La fi...
6Sitôt introduit dans ce lieu et admis à compulser les dossiers qu’il recèle, le narrateur se trouve participer lui-même de ce pouvoir archontique, comme le signale une formule qui ne saurait être anodine : « Je me suis vu bientôt maître de feuilleter un gros in-folio relié en maroquin rouge […] » (p. 11, nous soulignons). Son passage quasi initiatique par ce lieu de domiciliation de l’archive va lui conférer, en effet, deux des droits et pouvoirs de l’archonte, tels que les définit Derrida : celui d’interpréter les archives (qui repose sur la compétence herméneutique15) ; et le pouvoir de consignation, en lequel s’expriment les fonctions d’unification, d’identification, de classification – « consigner » étant à entendre comme l’acte de « rassembl[er] les signes » (« Le principe archontique de l’archive est aussi un principe de consignation, c’est-à-dire de rassemblement16 »). Telles sont en effet les fonctions que le narrateur entreprend d’assurer dans son parcours des lieux d’archives – la fonction herméneutique s’exerçant dès cette lecture de ces rapports de police de 1709, passés au crible de ses supputations (identification de l’écriture de Pontchartrain, décryptage de ses commentaires, hypothèses sur l’identité des personnages désignés par le rapport de d’Argenson, interrogation sur ses formules17…), le pouvoir de consignation se manifestant notamment par la collecte de documents qui conduit Gérard d’un lieu d’archives à l’autre : « je vous adresse tout ce que j’ai recueilli sur elle aux Archives et à Compiègne […]18 » (p. 43), et par leur ordonnancement. Ces deux pouvoirs exercés conjointement permettent de produire le récit (qui trouve là son moteur initial) et de l’autoriser19.
7L’accès à l’arkheîon est donc ce qui permet d’esquisser une scénographie pour le discours de l’œuvre. Il s’agit de construire une scène d’énonciation légitimée par ce lieu d’origine (l’archive, nous rappelle Derrida, « dit la loi 20 », et elle est « le lieu depuis lequel l’ordre est donné21. ») De cette scène de parole ancrée dans le lieu principiel de l’arkhè pourra s’énoncer l’illégitimité du pouvoir politique, dont la scénographie propre est discréditée : cette Scène instituée par le pouvoir, c’est celle du tribunal, sous l’instance imaginaire duquel s’écrit le récit, l’écrivain y endossant le rôle du prévenu, contraint de fournir des preuves, des pièces à conviction, pour justifier de la conformité de ses dires à la Vérité exigée par la « loi nouvelle » (p. 6). La suite du récit nous enseignera que la Vérité, au nom de laquelle siègent les tribunaux et sévit le pouvoir est une « Déesse absente » (p. 104), et s’attachera – bien des études l’ont montré – à pulvériser ce principe sur lequel le pouvoir fonde sa légitimité, le réduisant ainsi à son arbitraire et à sa violence.
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22 « On ne déterminera jamais cette question comme une question politique par...
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23 Ibid.
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24 Dans le récit, la formule s’applique à Sparte (p. 49), mais désigne obliqu...
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25 « Étranger toujours aux luttes des partis […] » ; « Je n’ai jamais fait de...
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26 Le National est, sous la IIe République, l’organe de presse de la majorité...
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27 Telle la barbe suspecte que son compagnon de voyage et lui-même arborent l...
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28 Voir K. Pomian, « Les archives », dans Les Lieux de mémoire, sous la dir. ...
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29 S. Combe, Archives interdites, Albin Michel, 1994, p. 80.
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30 Jusqu’à la Révolution, les archives étaient propriété du roi (voir S. Comb...
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31 S. Combe, ibid., p. 79.
8À la loi du régime en place est donc opposée celle de l’archive. Choix qui n’est pas anodin, puisque la question de l’archive est, en elle-même, des plus politiques22 : elle « détermine de part en part le politique », dit Derrida, « comme res publica. Nul pouvoir politique sans contrôle de l’archive, sinon de la mémoire. La démocratisation effective se mesure toujours à ce critère essentiel : la participation et l’accès à l’archive, à sa constitution et à son interprétation23. » Nous touchons là à un enjeu essentiel de l’écriture de l’archive dans Les Faux Saulniers : il a trait au politique bien plus qu’à la politique. L’investigation, par le narrateur, des lieux d’archives se laisse lire comme une entreprise de réappropriation de la res publica, dont l’évolution du régime en place (« une république gouvernée par des princes24 !... ») dessaisit les citoyens. Sans revendiquer d’appartenance à aucun parti25, Gérard prend soin d’affirmer, contre certaines allégations du quotidien Le Corsaire (p. 28), son attachement au libéralisme (p. 3026). Il exhibe assez volontiers des signes de républicanisme27. Aux différentes formes d’arbitraire qu’il évoque, il se plaît à opposer l’esprit, voire les principes républicains : les habitants de Senlis, qui aiment peu les Bourbons, sont soupçonnés d’être « un peu […] républicains sans le savoir » (p. 73), l’abbé de Bucquoy, ce personnage insubordonné, se signale en ceci qu’il a « tracé déjà », sous le régime autoritaire de Louis XIV, « tout un plan de république applicable à la France » (p. 165)… C’est, par ailleurs, en citoyen de la « République des lettres » (p. 9) que Gérard entreprend de résister à la terreur qui règne sur la littérature depuis la promulgation de l’amendement Riancey (p. 5). Ses pérégrinations vont rapidement nous mener en un second lieu d’archives, différent, par ses caractéristiques, du premier : les Archives nationales. Celles de la police, où s’était révélée la nature de l’arkhéîon, portaient, dans leur apparence même (la confidentialité d’une communication entre deux locuteurs, le ministre et son chef de la police, enfouie dans un « gros in-folio » à reliure de « maroquin rouge », p. 11) les marques des pratiques archivales du règne de Louis XIV : archives d’administration, elles étaient28, en leur siècle – elles sont évidemment consultables en 1850 –, entourées par le « secret des princes », fondement, comme le rappelle Sonia Combe, du pouvoir absolu29. Les Archives nationales, quant à elles, sont filles de la Révolution : la loi du 7 messidor an II (24 juin 1794) les a créées en tant qu’archives publiques ; « soustra[yant] aux gouvernants la propriété exclusive des archives de l’État30 », elle fait de celles-ci un « bien commun, sanctionné par le droit pour chaque citoyen d’accéder à ce qui devient ses archives31 ». Leur communicabilité, décrétée au nom du principe d’égalité, aura notamment pour effet de promouvoir une recherche historique émancipée du pouvoir.
9La scénographie esquissée se précise donc lors de cette deuxième étape, l’écriture de l’archive revendiquant désormais son caractère démocratique : aux Archives nationales, on « communiqu[e] » (p. 39) aisément à Gérard des documents sur les Bucquoy. Mais à mesure que celui-ci progresse dans son enquête, provoquée par la lecture de ce dossier, sur les ancêtres de l’abbé, il constate que l’accès au bien commun se fait plus difficile. Alors qu’il se réjouit d’avance du caractère « curieu[x] » des archives de Soissons, il apprend du secrétaire qu’elles se trouvent dans un grenier de la sous-préfecture, et qu’elles ne sont pas classées (« il n’y a pas de fonds attribué à ce travail par la ville », p. 117), ce qu’il dénonce alors, puis déplorera une seconde fois au cours du récit des aventures de l’abbé de Bucquoy (p. 137), avant de constater, quelques pages plus loin, le caractère tout aussi inexploitable des Archives de la Bastille (p. 142)…
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32 La présence « du secret, de l’hétérogène » menacent « la possibilité même ...
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33 «Mémoires, […] récits contemporains ou non des faits » (Jean Favier, Les A...
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34 Il faut bien distinguer ici la manière dont le narrateur relate le process...
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35 J. Rancière, Les Noms de l’histoire. Essai de poétique du savoir, Seuil, 1...
10L’étape soissonnaise est donc celle où se manifeste l’aporie de l’écriture de l’archive, dans le contexte de la IIe République autoritaire, certes, mais aussi dans celui, plus large, de la perturbation du jeu démocratique par un pouvoir qui soustrait aux citoyens leur mémoire commune (les archives de la Bastille, regrette Gérard dans une note, attendent d’être classées « depuis 89 » (ibid.)…), les privant du même coup de la possibilité d’énoncer le récit historique. La fonction de consignation, attachée au pouvoir archontique, se trouve atteinte32. Ainsi, ce n’est pas l’archive qui va permettre au narrateur de livrer in fine l’« Histoire de l’abbé de Bucquoy » (p. 120 et suiv.), mais l’acquisition, lors de la vente Motteley, du fameux livre manquant, feuilleté à Francfort… L’écriture de l’archive se révélant compromise, Nerval ravive donc une autre pratique historiographique, bien antérieure, celle qui, jusqu’au XVIe siècle, se fonde sur des œuvres narratives33. Le récit énoncé se réclame34 dès lors d’un modèle non « historique », se situant en-deçà des révolutions méthodologiques par lesquelles l’activité historienne a revendiqué simultanément, comme l’a souligné, par exemple, Jacques Rancière, son « appartenance à l’âge de la science » et à « celui de la démocratie35 ».
2.
11Concurremment se mène, comme nous l’avons suggéré plus haut, la recherche d’un commencement, l’arkhè étant, sous cet aspect, principe historique et non plus nomologique ; l’ordre qu’elle établit n’est plus jussique mais séquentiel36. C’est à l’originaire – « au premier, au principiel, au primitif37 » – que nous renvoie sa quête. Elle se confond ici avec la poursuite de l’abbé de Bucquoy, incarnation même de la résistance à l’absolutisme. Le récit, on le voit, associe étroitement le principe de rébellion contre l’autoritarisme et l’injustice au principe démocratique.
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38 Ibid., p. 14.
12Sur ce plan encore, l’écriture de l’archive va se trouver perturbée : à la place de la biographie de l’abbé, impossible à reconstituer, les documents compulsés aux Archives nationales et à Compiègne vont permettre d’écrire celle de sa grand-tante, Angélique de Longueval, ce qui a, parmi d’autres effets, celui de placer au lieu du commencement une figure, certes d’opposition (le neveu semble devoir à son ancêtre son « esprit d’indépendance et d’aventure », p. 43), mais féminine, ce qui altère symboliquement la fonction archique (« en vérité, patriarchique38 »). Cette perturbation, dont nous ne pouvons ici analyser toutes les implications, souligne le glissement du modèle de l’archive vers un autre modèle d’organisation de la mémoire : la généalogie, qui surgit de la quête archivale même du narrateur (« On m’a communiqué sa généalogie aux Archives », p. 39), mais convoque, comme on va pouvoir le constater, un autre imaginaire du politique.
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39 Le narrateur se compare lui-même à Ulysse (p. 119).
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40 La distinction établie ici est celle que propose K. Pomian entre histoire ...
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41 Op. cit. p. 26
13À partir de ce moment, le récit des origines entrepris par le narrateur via son investigation de l’arkhè va s’écrire selon d’autres modalités. La reconstitution de la vie d’Angélique conduit rapidement Gérard (p. 41) hors des Archives – à Compiègne. Il s’agit certes d’y prendre connaissance de documents relatifs à ces « Bucquoy » qu’il « poursui[t] sous toutes les formes » (p. 42) et conservés dans les bibliothèques de la ville. Mais à cet instant, Gérard sort du lieu clos de l’arkheîon pour arpenter un territoire. Dès lors, venant se greffer sur les dernières étapes du premier, commence un nouveau périple, et tout le récit est désormais censé s’écrire du Valois. L’on voit alors se superposer, voire s’entremêler, le récit des tribulations de l’héroïne et celui de la déambulation du narrateur (« Je parcours en ce moment le pays où tout cela s’est passé […] », p. 47). La mémoration, au cours de cette Odyssée39, s’effectue selon un processus différent de celui qui s’était jusqu’alors amorcé : à la mémoire « objectivée40 » des archives, support du travail de l’historien, vient se substituer une mémoire « incarnée » – dans des sujets de la mémoire, au premier rang desquels figure le narrateur. Si l’archive, ainsi que l’a souligné Derrida, « a lieu au lieu de défaillance originaire et structurelle » de la mémoire « spontanée, vivante et intérieure41 », le récit des Faux Saulniers se plaît à inverser le processus, convoquant cette mémoire vive au lieu de défaillance de l’archive…
14Sur cette « terre maternelle » (p. 55) c’est par le « souvenir » (p. 52, 55, 57, 82…) que le narrateur s’approprie le passé – le sien, et celui de ses ancêtres. Car la mémoire im-médiate, à échelle humaine, se révèle vite apte à comprendre également les temps anciens : excentrée, coupée, comme on l’a souvent observé, de la modernité, cette province du Valois est, en effet, le lieu de la permanence, de la répétition, du même (p. 57 et suiv .), et ainsi de la continuité, voire de la coprésence des temps.
15Mû par ce processus « mémoriel » et orienté par la recherche généalogique amorcée aux Archives nationales, le second périple du narrateur, dont les étapes (Compiègne, Senlis, Chaâlis, Ermenonville, Soissons, Longueval-en-Soissonnais), ne doivent, de nouveau, rien au hasard de l’écriture, poursuit, d’une autre manière, sa quête du double principe de rébellion contre l’autoritarisme et de démocratie.
16C’est, à présent, au mythe fondateur attribué à cette société ancestrale qu’il revient de révéler le principe démocratique. Ce mythe désigne, comme temps de l’origine de ce monde des pères, le moment où les Francs primitifs, arrivés de Germanie – et provenant, légendairement, d’Asie – viennent peupler des contrées occupées par des peuplades gallo-romaines. Ce sont alors deux « races » qui co-existent, voire entrent, pour des siècles, en « lutte » (p. 74). On reconnaît les éléments du mythe des « deux races » construit au dix-neuvième siècle par l’historiographie libérale qui, après la chute de l’Ancien Régime, a dû former des modèles nouveaux d’intelligibilité de la société révolutionnée : il accompagne l’élaboration d’une histoire nationale en proposant la vision d’une « unité nationale originelle et spécifique42 ». De manière significative, l’anamnèse entreprise à Senlis (« Tout peuple est curieux de remonter, par la pensée, à ses origines et à ses souvenirs », p. 82) commence par une invocation de la figure d’Augustin Thierry (ibid.), à l’œuvre duquel ces pages des Faux Saulniers font bien souvent écho. L’unité de ce « peuple » résulte de l’antagonisme même de ces deux races, celte et franque, de la dynamique de leurs « tensions43 » ; elles ont d’ailleurs, comme le note Gérard à Châalis, étape qui conforte le mythe énoncé à Senlis, des rites funéraires identiques (p. 97).
17Installés en France – « petit pays » jouxtant le Valois – les Francs sont les fondateurs d’une société égalitaire (« […] ces hommes vivaient sur un pied d’égalité, d’après les mœurs patriarcales », p. 74) et libre : la féodalité naissante n’y réduit pas les paysans au servage (p. 74). Ils incarnent une démocratie primitive, comme le rappellera le narrateur lors de son étape à Soissons, en évoquant le fameux épisode du vase brisé : « […] un [des guerriers de Clovis] voulut que ce vase entrât dans le partage, car l’égalité était le principe fondamental de ces tribus franques […] » (p. 116). La vengeance de Clovis, qui brise un peu plus tard de sa francisque « la tête du Franc égalitaire » et rompt avec ce principe originel ne marque alors rien de moins que « l’origine de nos monarchies » (p. 116)…
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44 Régime qu’installent progressivement les Bourbons, d’où, selon Les Faux Sa...
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45 Les communes, par le biais des franchises qui les rendent autonomes, s’éma...
18C’est à cette filiation franque que les contrées parcourues par Gérard doivent, selon celui-ci, leur capacité et leur tradition d’opposition, au féodalisme, à la monarchie absolue44, à toutes les formes d’autoritarisme et d’arbitraire ̶ tradition qu’incarnent tour à tour (la race étant, dans ce contexte, une réalité socioculturelle, et non biologique) ligueurs, protestants, Illuminés, faux saulniers, templiers, Rousseau, et, bien sûr, l’abbé de Bucquoy… Gérard lui-même prend place dans cette filiation, lui qui est « issu, par [sa] mère, de paysans des premières communes franches45, situées au Nord de Paris » (p. 96).
19Le rapport à la démocratie s’est modifié, certes, dans cette partie du récit dominé par l’écriture mémorielle : faute de pouvoir se réapproprier, comme il tentait de le faire par son parcours des lieux d’archives, une res publica confisquée par un pouvoir autoritaire, le narrateur prend maintenant le parti de revenir aux sources de l’État démocratique en activant un mythe fondateur de la nation moderne. Dans cette démarche, le principe de rébellion et le principe démocratique restent néanmoins, comme précédemment, associés.
20Le déroulement du périple valoisien va cependant questionner cette association. Du « pèlerinage » (p. 43, 91), depuis longtemps projeté, à Ermenonville, étape centrale de l’odyssée et moment crucial de la quête démocratique, se dégage une leçon symbolique :
La tombe de Rousseau est restée telle qu’elle était […]. Seulement la barque qui y conduisait les visiteurs est aujourd’hui submergée… (p. 103, nous soulignons)
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46 « Nous allons voir la tombe où manquent les cendres de Rousseau [transféré...
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47 Gabrielle Malandain a commenté, dans une perspective un peu différente, l’...
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48 Ils se trouvent fourvoyés par deux laveuses rencontrées devant le château ...
21L’auteur du Contrat social, objet, pourtant, d’un véritable culte de la part des habitants du pays, s’absente de ce lieu de mémoire qu’est son tombeau : laissé à l’abandon, et d’ailleurs vide46, celui-ci est, comme on le voit, devenu inaccessible47. De manière également symbolique, nos deux voyageurs s’en trouvent un moment déroutés48, avant de retrouver le chemin de l’étape suivante (Soissons, par Dammartin).
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49 C’est dans la seconde moitié du XIXe siècle que s’imposera le sens « biolo...
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50 C. Saminadayar-Perrin, art. cité, p. 406.
22Il est clair alors que seule la race (entendue comme « race-lignée49 ») cimente cette société. Ce monde semble ignorer le pacte conclu entre les citoyens pour faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers. Le récit mémoriel s’en tient, de fait, à une pré-histoire nationale (« La race, écrit Corinne Saminadayar-Perrin, ne peut guère se définir que comme le peuple avant la nation50 »). L’évocation historique, qui fait la part belle au Moyen Âge et à la Renaissance, reste en effet cantonnée à un temps antérieur à la Révolution : l’histoire du Valois semble s’être arrêtée au XVIIIe siècle – au temps de Rousseau. Le monde ressuscité n’occupe en outre qu’un fort petit territoire, réduit aux parages d’une France originaire, et lorsqu’à Soissons, pénultième étape, se trouve évoqué le « sort de la nation française » (p. 115, nous soulignons), au VIe siècle, celle-ci se trouve réduite à une quasi-étymologique et archaïque natio…
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51 On connaît la thèse de Nelly Wolf, selon laquelle le roman moderne, genre ...
23Il est également clair que le propos du récit n’est pas de refonder (fictionnellement) ce contrat social51 disparu. La démocratie, à présent, n’est plus conservée qu’à l’état de trace dans la mémoire individuelle et collective.
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52 La généalogie s’est développée au Moyen Âge (elle appartient à ses pratiqu...
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53 A. Thierry, Dix ans d’études historiques, Paris, éd. J. Tessier, 1835, p. ...
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54 Ibid., p. 329
24Mais le mythe « racial », constructeur du passé national, se trouve lui-même brouillé par la quête généalogique qui motive cette partie du récit, et qui sollicite un modèle ancien, d’origine, une nouvelle fois, médiévale, de reconstitution de la mémoire52 – un modèle familial et aristocratique à la fois. L’ambition revendiquée de Nerval est de ne « peindre », en fait d’« individualité collective », qu’une « famille » (p. 83), ce qui altère la vision démocratique de la race-lignée. Car au lieu de construire, comme le projetaient les historiens libéraux de la première moitié du XIXe siècle, l’image, collective, d’un peuple, cet « être collectif » venant prendre la place de « ce petit nombre de personnages privilégiés qui sont sur la scène historique53 », l’enquête nervalienne – si elle n’ignore pas le peuple – remet ainsi au premier plan les personnages illustres de la chronique. Et alors que l’histoire nationale, en restituant au peuple ses ancêtres, entend montrer qu’« il y a aussi une gloire pour la roture54 », la reconstitution généalogique entreprise par Gérard a pour objet principal (même si l’abbé de Bucquoy fait figure de « précurseur[…] de la première révolution française », p.166) une famille aristocratique.
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55 Introduction aux Faux Saulniers, édition citée, p. 27-28.
25En rétablissant le lignage de cette famille rebelle à l’autorité, Gérard identifie, en outre (ou prétend identifier), son fief d’origine, le château de Longueval en Soissonnais. Sa recherche des origines se confond ainsi, in fine, avec celles de la noblesse elle-même, censée être – au moins, ici, par l’esprit – d’origine franque, selon une idée largement accréditée au XIXe siècle, et dont le rôle, nous le découvrons, est d’opposition : sa fonction première n’est pas, en effet, de servir la monarchie, mais, comme le fait observer Michel Brix, d’en contrebalancer le pouvoir55. Le « grand comte Longueval de Bucquoy », ancêtre le plus ancien de la lignée reconstituée, est fidèle à ce rôle ancestral, lorsqu’il « protèg[e] » le peuple de « Soissons, Arras et Calais contre les armées de Henri IV » (p. 74). Le principe de rébellion n’a plus alors qu’un lien extrêmement ténu avec le principe démocratique…
26La dernière étape du voyage (l’« Ithaque » ̶ p. 119 ̶ de cette Odyssée) sera donc ce « château des pères », vers lequel se dirige, depuis son arrivée dans le Valois, la « course » du narrateur (p. 93). C’est alors seulement ̶ ce « berceau des Bucquoy » (p. 118) une fois contemplé ̶ qu’il livre au lecteur l’« Histoire de l’abbé de Bucquoy », qu’il possède pourtant depuis la fin du feuilleton précédent (p. 115).
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56 Voir, sur ce point également, M. Brix, éd. citée, p. 29.
27Ses déambulations nous ont donc fait passer d’un lieu de mémoire (les archives) à un autre (le château-chef – p. 118 – nobiliaire), modifiant ainsi la scénographie dont se dote l’œuvre : l’écrivain, héritier du rôle d’opposant de la noblesse56, trouve, dans ces dernières lignes de son « avant-propos », le lieu d’énonciation de son discours. La lettre initiale au Directeur du National nous avait laissé entrevoir l’issue de cette longue construction d’une scène de parole : « La République des lettres est la seule qui doive être quelque peu imprégnée d’aristocratie […] » (p. 9).
Conclusion
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57 Cette partie du récit, qui se présente comme issue du livre acheté à la ve...
28Les Faux Saulniers révèle ainsi les ambiguïtés de l’écriture de l’archive chez Nerval : si l’auteur du feuilleton utilise bel et bien, dans son travail d’écrivain, des documents tirés de fonds d’archives, appuyant en partie (lors du récit de la vie d’Angélique, et dans l’« Histoire de l’abbé de Bucquoy57 ») son écriture fictionnelle sur des pratiques d’historien, la représentation qu’il offre de la genèse de son texte a pour effet de disqualifier le recours à cette écriture historienne pour lui préférer un autre type d’historiographie, pré-moderne…Ce sont les ambiguïtés du rapport de Nerval à la démocratie qui se manifestent au cours de ce cheminement – le principe démocratique, sans cesse poursuivi, ne se trouve paradoxalement conservé, selon l’« avant-propos » qui élabore la scénographie de l’œuvre, que dans une mémoire aristocratique à réveiller. Par là, Les Faux Saulniers éclaire également le rapport problématique de Nerval au genre romanesque, s’il est vrai que celui-ci, à l’âge moderne, a pour objet de proposer une refiguration de la démocratie : le contrat par lequel le narrateur s’associe finalement à la société existante est celui qui fonde la légitimité de l’aristocratie… En remaniant, quelques années plus tard, ce texte qui, décidément, se tient en marge du roman, Nerval, accentuant les crises qu’il présente, en fera, d’ailleurs, une nouvelle.
Notes
1 D’autres extraits en seront distribués ailleurs (dans La Bohème galante et dans Lorely, en 1852), mais ils sont sans rapport avec l’écriture de l’archive.
2 On pourrait d’ailleurs en ajouter d’autres, comme « La Main de gloire », qui, en 1832 déjà, témoigne de l’intérêt de Nerval pour le monde des archives. Devenue, en 1852, « La Main enchantée », cette nouvelle des Contes et facéties renvoie son lecteur à sa source (prétendue), les « Arrêts mémorables du Parlement de Paris, qui sont à la bibliothèque des manuscrits […] » (Nerval, Œuvres complètes, éd. publiée sous la dir. de J. Guillaume et de Cl. Pichois, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, vol. III, 1993, p. 388).
3 C’est à partir de 1841 que se constituent les « fonds d’archives », établis en fonction du principe de provenance, qui vient se substituer aux classements thématiques pratiqués depuis la Révolution. Leur respect est l’un des principes fondamentaux de l’archivistique alors naissante.
4 Depuis le succès des Mystères de Paris d’E. Sue, ces publications étaient jugées subversives : elles étaient accusées de répandre dans le peuple des idées socialisantes.
5 Décrets des 9 et 11 août 1848.
6 Les Faux Saulniers. Histoire de l’Abbé de Bucquoy, texte établi et annoté par J. Bony, dans Nerval, Œuvres complètes, éd. citée, vol. II, 1984, p. 5. Ce sera notre édition de référence (les numéros de pages figureront entre parenthèses dans le corps du texte).
7 « Événement des plus rares, ou histoire du sieur abbé comte de Bucquoy, singulièrement son évasion du fort l’Évêque et de la Bastille, avec plusieurs ouvrages vers et prose, et particulièrement la game des femmes, se vend chez Jean de la France, rue de la Réforme, à l’Espérance, à Bonnefoy » (p. 4).
8 Les faux saulniers se livraient, contre cet impôt haï qu’était la gabelle, à la contrebande du sel. Nerval fait d’eux, surtout, des « partisans » (p. 137), rappelant que « la résistance aux gabelles fut l’une des principales causes du mécontentement populaire » (p. 119). Le titre du livre est déceptif : les faux saulniers restent, dans ce récit excentrique, des protagonistes secondaires.
9 Ce manque de persévérance dans la quête a été remarqué, entre autres, par M. Brix (« Le Valois nervalien ou la tentation orientale », dans Voyager en France au temps du romantisme, Grenoble, ELLUG, 2003, p. 310-311).
10 Voir J. Derrida, Mal d’Archive, Paris, Galilée, 1995, p. 11.
11 Ce serait, si l’on en croit Derrida, le sens premier d’« archive » (celui qui renvoie à l’arkhè comme commandement) (ibid., p. 12.
12 Le nom lui-même de l’abbé est alors matière à interrogation (p. 11 et 12).
13 Ce document, identifié par Nicolas Popa, était bien conservé à la Bibliothèque nationale, sous la cote « Suppl. fr. 376 » [actuellement ms. fr. 8121] (voir le « Dossier des Faux Saulniers » constitué par J. Bony, Études nervaliennes et romantiques, n° VII, Presses Universitaires de Namur, 1984, p. 13). Les archives de la lieutenance de police, en effet, ne furent confiées au dépôt de la Bastille qu’à partir de 1717 (Franck Funck-Brentano, Les Archives de la Bastille. La formation du dépôt, Dole, 1890, p.7).
14 J. Derrida, op. cit., p. 11 (relatif au droit, à la loi).
15 Ibid., p. 13.
16 Ibid., p. 14.
17 Plus loin, on relèvera des interventions de cet ordre : « Ceci explique jusqu’à un certain point l’illusion d’Angélique » (p. 44).
18 Plus haut : « Je me suis interrompu dans la lecture de la vie d’Angélique de Longueval, cette belle aventurière, - en m’apercevant qu’une foule de pièces et de renseignements y relatifs étaient indiqués comme existant dans les bibliothèques de Compiègne » (p. 41). Quelques pages plus loin : « Vous me pardonnerez de copier simplement certains passages du manuscrit que j’ai trouvé aux Archives, et que j’ai complétés par d’autres recherches » (p. 61).
19 Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre article sur « La figure du scribe dans “Angélique” de Nerval », Grenoble, Recherches & Travaux n° 64, 2004, p. 79-97.
20 Op. cit., p. 13.
21 Ibid., p. 11.
22 « On ne déterminera jamais cette question comme une question politique parmi d’autres » (Derrida, op. cit., p. 15, note 1).
23 Ibid.
24 Dans le récit, la formule s’applique à Sparte (p. 49), mais désigne obliquement la situation politique de la France en 1850.
25 « Étranger toujours aux luttes des partis […] » ; « Je n’ai jamais fait de politique », p. 29. J. Bony, dans sa Notice de l’édition de la Pléiade, rappelle que nous sommes mal informés des opinions de Nerval (p. 1314).
26 Le National est, sous la IIe République, l’organe de presse de la majorité républicaine modérée, et Nerval, comme le souligne M. Brix, tient à « faire savoir qu’il adhère, politiquement, aux orientations du journal dans lequel il écrit. » (Les Faux Saulniers, éd. du Sandre, 2009, Introduction, p. 15).
27 Telle la barbe suspecte que son compagnon de voyage et lui-même arborent lors de leur voyage à Senlis (p. 53).
28 Voir K. Pomian, « Les archives », dans Les Lieux de mémoire, sous la dir. de P. Nora, III, Les France, 3. « De l’archive à l’emblème », p. 197.
29 S. Combe, Archives interdites, Albin Michel, 1994, p. 80.
30 Jusqu’à la Révolution, les archives étaient propriété du roi (voir S. Combe, ibid., p. 80).
31 S. Combe, ibid., p. 79.
32 La présence « du secret, de l’hétérogène » menacent « la possibilité même de la consignation » (Derrida, op. cit., p. 15).
33 «Mémoires, […] récits contemporains ou non des faits » (Jean Favier, Les Archives, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1991, p. 24).
34 Il faut bien distinguer ici la manière dont le narrateur relate le processus de survenue de ce récit final du travail de reconstitution effectué (en particulier grâce à des fonds d’archives) par Nerval lui-même (c’est pourquoi nous les distinguons l’un de l’autre dans cette étude).
35 J. Rancière, Les Noms de l’histoire. Essai de poétique du savoir, Seuil, 1992, p. 8. « La révolution de la science historique [rompant avec la vieille chronique] a voulu révoquer le primat des événements et des noms propres au profit de la longue durée et de la vie des anonymes », ibid. p. 7).
36 Voir Derrida, op. cit., p. 11.
37 Ibid., p. 12.
38 Ibid., p. 14.
39 Le narrateur se compare lui-même à Ulysse (p. 119).
40 La distinction établie ici est celle que propose K. Pomian entre histoire et mémoire (art. cité, p. 171 et suiv.).
41 Op. cit. p. 26
42 C. Saminadayar-Perrin, « Antiquité des races et naissance des nations », dans L’Idée de « race » dans les sciences humaines et la littérature, textes réunis et présentés par S. Moussa, L’Harmattan, 2003, p. 388.
43 Ibid.
44 Régime qu’installent progressivement les Bourbons, d’où, selon Les Faux Saulniers, l’hostilité séculaire de la population valoisienne envers Henri IV (p. 74, 82). L’affection de cette dernière pour Rousseau tient en revanche au fait que « l’homme sympathique aux races souffrantes » a « ruiné profondément l’édifice royal fondé par Henri » (p. 104).
45 Les communes, par le biais des franchises qui les rendent autonomes, s’émancipent, au Moyen Âge, du cadre féodal ; l’extension de ce processus sera d’ailleurs une cause importante du lent déclin du féodalisme.
46 « Nous allons voir la tombe où manquent les cendres de Rousseau [transférées au Panthéon] » (p. 92, nous soulignons).
47 Gabrielle Malandain a commenté, dans une perspective un peu différente, l’« acte manqué » que constitue « Ermenonville » dans « Angélique » (Nerval ou l’incendie du théâtre, Corti, 1986, p. 77).
48 Ils se trouvent fourvoyés par deux laveuses rencontrées devant le château d’Ermenonville (p. 105 et suiv).
49 C’est dans la seconde moitié du XIXe siècle que s’imposera le sens « biologique » du terme (la race comme subdivision de l’espèce, la race-type).
50 C. Saminadayar-Perrin, art. cité, p. 406.
51 On connaît la thèse de Nelly Wolf, selon laquelle le roman moderne, genre mimétique de la démocratie, « propose l’expérimentation imaginaire du contrat social », le réactivant et le renégociant sans cesse (Le Roman de la démocratie, PUV, 2003, p. 15).
52 La généalogie s’est développée au Moyen Âge (elle appartient à ses pratiques historiographiques), entre autres pour établir les filiations nobles.
53 A. Thierry, Dix ans d’études historiques, Paris, éd. J. Tessier, 1835, p. 324 et 325.
54 Ibid., p. 329
55 Introduction aux Faux Saulniers, édition citée, p. 27-28.
56 Voir, sur ce point également, M. Brix, éd. citée, p. 29.
57 Cette partie du récit, qui se présente comme issue du livre acheté à la vente Motteley, utilise, de fait, des sources plus diversifiées et parfois plus savantes (nous renvoyons sur ce point au « Dossier des Faux Saulniers », op. cit., ainsi qu’aux notes de l’édition de la Pléiade).
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Chantal Massol
Univ. Grenoble Alpes, UMR LITT&ARTS, F-38040 Grenoble