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Bernard Roukhomovsky

« Comme l’anatomie a trouvé dans le cœur… » : la métaphore anatomique chez les moralistes classiques

Initialement paru dans : Lambertiana. Hommage à Jacques Lambert, études réunies par Pierre-Édouard Bour et Sophie Roux, Recherches sur la Philosophie et le Langage (Paris, Vrin), hors-série, 2010, p. 15-35

Texte intégral

  • 1 Ch. Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes, Paris, J.-B. Coignard,...

[Les Anciens] connaissaient en gros aussi bien que nous les passions de l’âme, mais non pas une infinité de petites affections et de petites circonstances qui les accompagnent […]. En un mot, comme l’Anatomie a trouvé dans le cœur des conduits, des valvules, des fibres, des mouvements et des symptômes qui ont échappé à la connaissance des Anciens, la morale y a aussi trouvé des inclinations, des aversions, des désirs et des dégoûts que les mêmes Anciens n’ont jamais connus1.

  • 2 Jacques Lambert avait été l’un des principaux artisans de ce séminaire, co-...

1Progrès de l’anatomie d’une part, affinement de l’analyse morale de l’autre : dans son plaidoyer pour les Modernes, Charles Perrault rapproche ces deux histoires, dont il pressent qu’elles ne font qu’une avec celle des mutations qui, tout au long du Grand Siècle, marquent le seuil de la modernité. Ces deux histoires, ou ces deux versants de la même histoire, nous avons eu l’occasion, Jacques Lambert et moi-même, de les enseigner en parallèle dans le cadre d’un séminaire interdisciplinaire qui s’était donné pour objet de disséquer « le corps baroque »2. En souvenir de cette collaboration singulièrement féconde – et, pour ce qui me concerne, particulièrement enrichissante –, je voudrais revenir sur ce qui sous-tend l’analogie, devenue lieu commun, entre l’enquête anatomique et l’exploration du cœur humain : analogie dont la banalité n’indique nullement l’insignifiance.

  • 3 Voir R. Mandressi, Le Regard de l’anatomiste. Dissections et invention du c...

  • 4 Ainsi, la page de titre du manuel de dissection de Nicolas Habricot (La Sem...

  • 5 F. Lamy, De la connaissance de soi-même, Paris, Pralard, 1694-98, Traité II...

  • 6 R. Burton, Anatomie de la Mélancolie [1621], trad. G. Venet, Paris, Gallima...

2On l’aura compris, je ne parle ici de l’anatomie que par métaphore ou, plus exactement, de l’anatomie comme métaphore – et du statut de cette métaphore dans le discours moral au XVIIe siècle. Précisons toutefois que les incursions de la littérature morale dans le champ de l’anatomie ne se bornent pas à cet usage métaphorique. Si l’on met de côté les usages édifiants (l’utilisation de motifs anatomiques à des fins apologétiques ou dévotionnelles3), c’est à deux titres distincts que nos moralistes en appellent à l’anatomie, selon qu’ils la comprennent comme opération (à visée cognitive) ou comme contenu (de connaissance) : le rapport de similitude qui appelle la métaphore anatomique (similitude entre le mode opératoire de l’analyse morale et celui de la dissection) se complique en effet d’un rapport de contiguïté, dès lors que la connaissance du cœur (au sens figuré du terme) touche à celle du corps. Les anatomistes eux-mêmes ne font-ils pas valoir que la connaissance de soi-même requiert à titre préalable celle de la fabrique du corps4 ? De nombreux moralistes reprennent à leur compte cette déclaration de principe, et, beaucoup plus rarement, la mettent en pratique. François Lamy, par exemple, s’explique longuement sur la place qu’il fait à la description du corps humain dans son traité De la connaissance de soi-même : selon lui, le défaut « des ouvrages qu’on a donnés sur cette matière » est de ne pas « faire voir les principes naturels et physiques » des maladies de l’âme ; ce qui ne l’empêche pas de concéder, sollicitant au passage l’image anatomique, que quelques-uns de ces ouvrages « percent jusques dans vos intentions, révèlent vos plus secrets motifs, pénètrent dans votre cœur, et en développent les plus fins replis avec une lumière qui donne de l’admiration »5. Plus tôt dans le siècle et dans le domaine anglais, l’Anatomie de la mélancolie de R. Burton illustre la double dimension du rapport anatomie/morale : d’une part, l’analyse de la « sombre humeur » s’y conçoit explicitement sur le modèle de la dissection ; de l’autre, elle requiert la mobilisation de connaissances anatomiques, ce qui rend nécessaire, préalablement, « une brève digression sur l’anatomie du corps »6.

  • 7 La Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et Maximes morales [1664-78], éd....

  • 8 La Bruyère, « Discours sur Théophraste » (Les Caractères ou les mœurs de ce...

3Pour la plupart, cependant, les moralistes du Grand Siècle n’ont pas cru devoir insérer dans leurs ouvrages ces longs préalables anatomiques, et ceci vaut notamment pour les plus importants d’entre eux. La Rochefoucauld, que sa conception de l’honnête homme éloigne de tout discours savant, ne sollicite le domaine médical qu’en profane, et comme en passant, histoire de parachever le portrait peu flatteur de la marionnette humaine : en posant que « la force et la faiblesse de l’esprit […] ne sont en effet que la bonne ou la mauvaise disposition des organes du corps », que « les humeurs du corps […] ont une part considérable à toutes nos actions », le moraliste augustinien ne vise qu’à mettre en évidence un déterminisme physiologique et par là même à réduire l’empire de la volonté7. La Bruyère, quant à lui, prend d’emblée ses distances à l’égard de ceux qui, « contents que l’on réduise les mœurs aux passions et que l’on explique celles-ci par le mouvement du sang, par celui des fibres et des artères, quittent un auteur de tout le reste »8 – allusion aux Caractères des passions de Cureau de La Chambre et, dans une mesure différente, au traité des Passions de l’âme de Descartes.

  • 9 La Rochefoucauld, Lettre au P. Thomas Esprit du 6 février 1664 (Maximes, p....

  • 10 La Bruyère, DT, p. 72.

4En revanche, ces mêmes auteurs ne laissent pas de mettre à contribution l’anatomie – à tout le moins un imaginaire anatomique – lorsqu’il s’agit de s’expliquer sur leur dessein : La Rochefoucauld se donne pour projet de « faire l’anatomie de tous les replis du cœur »9, La Bruyère fait valoir qu’il « s’est plus appliqué […] aux replis du cœur et à tout l’intérieur de l’homme que n’a fait Théophraste »10. Mais que penser de la portée de ces déclarations programmatiques et, plus largement, de la valeur de l’image anatomique dans la théorie du genre moral à l’âge classique ? Ne s’agit-il, précisément, que d’une image, ornement rhétorique qui viendrait habiller après coup la pensée qu’elle « illustre » ? Doit-on supposer au contraire qu’une telle image, pour usée qu’elle soit à la longue, et peut-être à raison même de sa banalité, révèle la prégnance d’un modèle latent ?

  • 11 Voir en particulier Littérature et anthropologie. Nature humaine et caract...

  • 12 Voir L. Van Delft, Les Moralistes. Une apologie, Paris, Gallimard, 2008, p...

5À vrai dire, l’hypothèse d’un modèle anatomique de l’analyse (et de l’écriture) morale n’est pas nouvelle. Elle doit beaucoup aux stimulantes études de L. Van Delft, qui s’attachent à faire valoir l’emprise durable de ce modèle et à en dénombrer, dans une perspective interdisciplinaire et comparatiste, les multiples avatars11. Cependant, cette approche « panoramique » comporte l’inconvénient de faire entrer dans le modèle qu’elle entend mettre au jour des éléments disparates dont l’unité profonde apparaît incertaine. Il importe en effet de prendre en compte la diversité des contextes et des projets, et les ambiguïtés qui affectent à la fois la signification du terme d’anatomie, l’idée que l’on se fait du geste anatomique et, partant, la cohérence du modèle qui leur est associé : on pourra se demander, par exemple, dans quelle mesure un seul et même « modèle anatomique » commande indifféremment la structure fortement articulée de l’Anatomie de la mélancolie et celle, toute en « pièces détachées », des Maximes12.

  • 13 Cette définition de travail est assurément réductrice, mais elle n’est pas...

6Je me propose ici de ressaisir cette hypothèse à l’intérieur d’un cadre plus étroitement circonscrit, limité pour l’essentiel à nos « moralistes classiques » : convenons, pour aller (très) vite, de désigner ainsi les auteurs qui, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, parce qu’ils réinventent le genre des pensées séparées, font entrer la littérature morale… en littérature13. Il s’agira de définir la consistance particulière de l’image anatomique dans ce contexte spécifique. Encore sera-t-il nécessaire, au préalable, de la situer dans le fil d’une histoire où les similitudes apparentes dissimulent de décisifs déplacements.

Des Essais aux Maximes : l’invention d’une métaphore

  • 14 Mandressi, RA, p. 231.

  • 15 Les moralistes n’ayant pas le monopole de cette exploration, la métaphore ...

7Les moralistes n’ont pas inventé la métaphore anatomique. Celle-ci s’impose dès 1552 dans le contexte de la controverse religieuse, avec la publication par Agostino Mainardo d’une Anatomie de la messe et du missel, titre qui reflète le dessein d’appliquer à la critique de la messe le modèle opératoire de la dissection : ainsi, commente R. Mandressi, « neuf ans seulement après la publication de la Fabrica de Vésale, l’anatomie est devenue déjà une métaphore complète pour organiser et encadrer des opérations de connaissance qui ne relèvent pas de la médecine […] ni n’ont de corps véritables à examiner » ; de là, poursuit-il, « l’ubiquité, dès la seconde moitié du XVIe siècle, de l’expression “faire l’anatomie”, couvrant un champ extrêmement vaste d’objets et de domaines »14. Reste que la métaphore trouve logiquement son domaine d’application privilégié dans le champ de l’analyse morale, dans la mesure même où celle-ci se comprend comme exploration de l’intériorité15.

  • 16 Marie Le Jars de Gournay, Préface sur les Essais de Michel Seigneur de Mon...

8Dans son plaidoyer pour les Essais, Marie de Gournay porte au crédit de leur auteur « le très difficile Examen […] de tant de diverses actions des hommes, et l’Anatomie parfaite de leurs passions et mouvements intérieurs »16 : le terme est d’autant mieux venu que Montaigne a contribué, pour une part décisive, à fonder l’usage de l’anatomie comme outil de représentation et de modélisation de l’analyse morale. De fait, c’est pour définir la visée même de son livre, la « description de soi-même », que, dans une addition au chapitre « De l’exercitation », il sollicite expressément la métaphore :

  • 17 Montaigne, Les Essais [1580-88], éd. J. Céard, Paris, L.G.F., 2001, II, 6,...

C’est une épineuse entreprise, et plus qu’il ne semble, de suivre une allure si vagabonde que celle de notre esprit ; de pénétrer les profondeurs opaques de ses replis internes : de choisir et arrêter tant de menus airs de ses agitations […]. Je peins principalement mes cogitations, sujet informe, qui ne peut tomber en production ouvragère. […] Des plus sages hommes, et des plus dévots, ont vécu fuyant tous apparents effets. Les effets diraient plus de la fortune que de moi. Ils témoignent leur rôle, non pas le mien, si ce n’est conjecturalement et incertainement : échantillons d’une montre particulière. Je m’étale entier : c’est un skeletos, où d’une vue les veines, les muscles, les tendons paraissent, chaque pièce en son siège. […] Ce ne sont mes gestes que j’écris, c’est moi, c’est mon essence.17

  • 18 Montaigne, Essais, I, 25, « De l’institution des enfants », p. 24.

9Ces lignes célèbres sont à rapprocher d’un premier emploi de l’image, convoquée à propos de l’histoire (celle dont les Vies parallèles de Plutarque fournissent le modèle), désignée comme « l’anatomie de la Philosophie, par laquelle les plus abstruses parties de notre nature se pénètrent ». En d’autres termes : ce dont la philosophie morale procure la connaissance générale, l’histoire en constitue l’analyse détaillée, pour peu que celui qui l’enseigne « n’imprime pas tant à son disciple la date de la ruine de Carthage, que les mœurs de Hannibal et de Scipion : ni tant où mourut Marcellus, que pourquoi il fut indigne de son devoir […] »18. Aussi les deux occurrences sont-elles étroitement solidaires. Appliquée dans un cas à l’étude de soi-même, dans l’autre à celle de « notre nature », la métaphore renvoie, ici et là, au projet que Montaigne, au début du livre II, esquisse en des termes où se devine à nouveau, en filigrane, un modèle anatomique :

  • 19 Ibid, II, 1, « De l’inconstance de nos actions », p. 544.

ce n’est pas tour de rassis entendement, de nous juger simplement par nos actions de dehors ; il faut sonder jusqu’au-dedans, et voir par quels ressorts se donne le branle19.

  • 20 Ibid, III, 5, « Sur des vers de Virgile », p. 1324.

  • 21 Ibid, II, 1, « De l’inconstance de nos actions », p. 535.

  • 22 Mandressi, RA, p. 233.

  • 23 La Rochefoucauld, Maximes, max. 97 (je souligne).

10D’occurrences explicites en notations disséminées, les inscriptions protéiformes de l’image anatomique dans le texte des Essais disent en effet le double dessein de se « recherche[r] jusques aux entrailles »20 et de se décrire « en détail et distinctement, pièce à pièce »21 : double procès du regard qui tout ensemble pénètre et distingue, approfondit et dissocie. Or, tels sont en règle générale, selon R. Mandressi, « les deux axes principaux sur lesquels s’opèrent le jeu des analogies et le transfert de sens qui fondent la métaphore anatomique et font sa fortune en tant qu’outil de la pensée et clé du discours »22. Et si, bien souvent, le « transfert de sens » s’opère essentiellement sur l’un ou l’autre des deux axes (de là procède en partie l’instabilité sémantique de la métaphore), on observe que chez Montaigne il s’effectue concurremment sur l’un et l’autre : de l’extérieur à l’intérieur, du visible au caché (des actions aux mobiles) ; du global au local, de l’ensemble (« je m’étale entier ») au détail (c’est-à-dire à « chaque pièce »). C’est un modèle complexe et complet qui se trouve ainsi mis à l’essai de l’analyse morale, et dont la structure paraît analogue, en première approximation, à celle qui régit chez nos moralistes, chez La Rochefoucauld par exemple, le double cheminement du regard : de la surface au fond (il « pénètre le fond des choses »), du massif au ténu (il « aperçoit celles qui semblent imperceptibles23 »). Est-ce à dire que, des Essais aux Maximes, alors que la conjoncture épistémologique s’est modifiée, que le soubassement doctrinal est différent, le modèle demeure rigoureusement le même ?

  • 24 J. Céard, « Montaigne anatomiste », Cahiers de l’Association international...

  • 25 G. Canguilhem, L’Homme de Vésale dans le monde de Copernic : 1543, Paris, ...

  • 26 Montaigne, Essais, II, 1, « De l’inconstance de nos actions », p. 543.

11Si l’« épineuse entreprise » engagée par Montaigne ouvre la voie à celle des moralistes, il y a lieu pourtant de se défier des raccourcis. Une indication nous est donnée, dans le passage initialement cité, par le mot de skeletos, qui désigne en cet emploi métonymique une sorte d’écorché (« où d’une vue les veines, les muscles, les tendons paraissent, chaque pièce en son siège ») : J. Céard a souligné l’intérêt d’une image qui traduit non seulement le dessein « de se donner à voir tout entier », mais encore celui de prendre pour modèle de la description de soi-même « une anatomie qui n’enlève pas au corps sa complétude et sa structure, mais lui garde l’unité du vivant24 ». En quoi cette image assure, au sein du texte qu’elle illustre, une fonction comparable à celle qui, selon G. Canguilhem, est dévolue aux planches dans la Fabrica : « si le discours de l’anatomiste démonte la fabrique du corps, l’image du graveur en restitue l’unité dynamique », signe que « Vésale ne peut se représenter le corps humain autrement que comme une totalité organique en action25 ». De la même façon, en effet, Montaigne ne peut ou ne veut se représenter autrement ce « moi » qu’il sait pourtant fait « de lopins26 », écartant tout cela (« gestes », « apparents effets ») qui n’en fait voir que des « échantillons » : le sentiment de l’hétérogénéité du moi, de sa complexité, de son opacité, ne le détourne pas de vouloir en décrire l’« essence ».

  • 27 Canguilhem, HV, p. 6.

  • 28 J’emprunte la formule à H. Birault (« Pascal et le problème du moi introuv...

  • 29 Montaigne, Essais, I, 1, « Par divers moyens on arrive à pareille fin », p...

  • 30 Ibid, III, 2, « Du repentir », p. 1256.

12Aussi la mise au point de G. Canguilhem au sujet de l’anatomie vésalienne me paraît-elle transposable, mutatis mutandis, à l’« anatomie » montaignienne : celle-ci « n’est pas d’abord elle-même l’équivalent de sa postérité27 ». Attentive à discerner sans disloquer, à sonder jusqu’à l’os sans disperser les chairs, elle n’est pas rigoureusement assimilable au procès de dislocation qui, chez nos moralistes, fait voler en éclats, avec les entités de la morale, l’intégrité d’un moi devenu « introuvable »28. Tout du moins convient-il de prendre en compte la redoutable complexité d’une pensée (et d’une écriture) tendue entre la volonté de cerner cette « forme entière de l’humaine condition » que « chaque homme porte » en lui-même29, et le sentiment d’avoir affaire à un sujet « ondoyant et divers »30. On perçoit ici l’ambivalence d’une métaphore dont la valeur et la portée sont sujettes à de notables variations selon que l’anatomie se comprend comme une opération visant à exhumer, sous des dehors changeants et bigarrés, une structure stable et cohérente, ou bien comme un processus aboutissant à mettre à nu, sous les surfaces unies et lisses, la profusion indéfinie, la prolifération vertigineuse du divers. Tels sont précisément les deux pôles entre lesquels la métaphore anatomique déploie l’éventail de ses modulations successives au fil du Grand Siècle.

13C’est peut-être chez Montaigne, dont il fut longtemps le disciple, que Jean-Pierre Camus a trouvé l’image qui vient justifier, dans ce manuel de spiritualité salésienne qu’est le Traité de la Réformation intérieure (1631), la présentation détaillée de « l’économie de l’âme » :

  • 31 J.-P. Camus, Traité de la Réformation intérieure, Paris, Sébastien Huré, 1...

Car tout de même que les médecins avant que d’entreprendre la cure des corps humains, s’étudient fort à l’anatomie, et en examinent par le menu la composition ; si nous voulons réformer l’intérieur et remettre l’âme détraquée de son devoir en sa droite assiette, il est nécessaire que nous voyions bien clair dans tous ses ressorts, et que nous pénétrions dans tous ses replis, ses détours et ses cachettes31.

  • 32 E. de Saint-Paul, Bref traité des puissances et facultés de notre âme, 163...

  • 33 Cité par B. Piqué, « L’anatomie précieuse », Cahiers de l’Association inte...

14La « parfaite connaissance de l’anatomie de l’âme, c’est-à-dire de toutes ses parties et facultés » (comme la nomme à son tour Eustache de Saint-Paul), vise à faire « discerner les mouvements désordonnés qui y surviennent »32 : elle constitue, au point de contact entre réflexion morale et tradition spirituelle, le fondement d’une médecine de l’âme, dont elle entend rendre visible la structure intime. Il est permis de penser que cet emploi de l’image en contexte dévot a favorisé son acclimatation dans le milieu de la préciosité, en neutralisant ce qui pouvait l’y rendre inopportune : la part du corps et du cadavre. Toujours est-il que, lorsque Madeleine de Scudéry loue Sapho, dans Le Grand Cyrus (1649-53), de savoir « si bien faire l’anatomie d’un cœur amoureux »33, l’image est tout sauf une métaphore morte ; elle n’a rien perdu de sa valeur figurative, que suffit encore à souligner, quelque trente ans plus tard, la modalisation dont la romancière devenue moraliste (recyclant dans ses Conversations morales la morale de ses romans) prend soin de l’assortir :

  • 34 M. de Scudéry, Conversations morales, Paris, Quai des Augustins, 1686, vol...

Souffrez donc, ma chère Cylénie […], que nous fassions l’anatomie de l’avarice, si l’on peut parler ainsi, afin que je justifie la crainte que j’ai de trouver un mari avare34.

  • 35 Autre occurrence sous la plume de Mlle de Scudéry, cette fois dans Clélie,...

  • 36 M. de Scudéry, Nouvelles Conversations de Morale, Paris, Vve Mabre-Cramois...

  • 37 La Rochefoucauld, Maximes, maximes 1 et 182.

  • 38 Ibid, maximes 175-181 (la maxime 182, citée à l’instant, vient éclairer gl...

15Si l’on considère, par-delà l’évidente parenté des images, les modèles singuliers qui les habitent, on peut assigner schématiquement à cette « anatomie des cœurs »35 une position médiane entre « l’anatomie de l’âme » étudiée par la littérature spirituelle et « l’anatomie de tous les replis du cœur » telle que l’entendent les moralistes classiques. Un rapprochement s’impose, au premier abord, entre les deux dernières, et l’on a souvent mis l’accent sur la démarche dissociative qui leur est apparemment commune, sur cet art de la nuance subtile et délicate qui sous-tend, dans l’un et l’autre cas, le travail définitionnel et qui consiste, en somme, à faire voir de la différence où l’on ne voit ordinairement que du semblable : entre l’estime et l’admiration (Mlle de Scudéry), entre « ceux qui tendent à nous imiter » et « ceux qui tâchent à nous égaler » (Mme de Sablé), entre les « espèces de courage » ou les « diverses sortes d’hypocrisie » (La Rochefoucauld), entre l’honnête homme, l’habile homme et l’homme de bien (La Bruyère)36… Une lecture attentive des textes conduit cependant à nuancer ce rapprochement. Ce qui, chez les Précieuses, se conçoit comme un exercice de discrimination et de dénombrement se trouve subrepticement infléchi, chez nos moralistes, en un procès de dislocation sans terme ni retour : il ne s’agit pas tant de décomposer des composés que de désagréger des agrégats. Dans la mesure où « ce que nous prenons pour des vertus n’est souvent qu’un assemblage de diverses actions et de divers intérêts », où « les vices entrent dans la composition des vertus comme les poisons entrent dans la composition des remèdes »37, une anatomie de ces vertus a vocation à n’en rien laisser subsister, à les dissoudre en tant que telles : ainsi l’anatomie de la constance38 illustre-t-elle exemplairement, dans les Maximes, cet insensible glissement de l’analyse à la dislocation.

  • 39 J.-P. Camus, TRI, p. 30.

  • 40 M. de Scudéry, NCM, vol. I, p. 408. Sur la modélisation spatiale comme fon...

16Sous ce rapport, l’œuvre taxinomique à laquelle les Précieuses donnent le nom d’anatomie ressortit plus nettement au modèle qui régit l’anatomie de l’âme chez un J.-P. Camus : celle-ci se conçoit en effet comme inventaire achevable – en l’espèce achevé – d’un nombre fini de parties, dont la diversité est in fine recomposable – en l’espèce recomposée – dans l’unité d’un tout, puisque conformément à la conception salésienne de l’« unidivers » (et au modèle monarchique qui la fonde explicitement), il en est de l’âme comme du corps (naturel ou politique) qui, « pour avoir divers sens et membres, ne laisse pas d’être un »39. De l’anatomie spirituelle, l’anatomie précieuse se rapproche également en ceci qu’elle repose, tout comme elle, sur une modélisation spatiale de l’intériorité (« âme » ou « cœur »), que manifestent en particulier, chez Mlle de Scudéry, de récurrentes métaphores cartographiques : faire l’anatomie des cœurs et des passions revient à les cartographier, puisque « les vices et les vertus ont leurs limites et leurs frontières comme des Empires et des Royaumes, avec cette différence que la carte du cœur humain […] est plus difficile à bien savoir que la carte universelle »40. Mais si les deux réseaux d’images (topographiques, anatomiques) sont ici rigoureusement interchangeables, c’est dans la mesure où, dans les deux cas (carte ou corps), le modèle, quant au fond, est un système fini.

17Certes, il est possible de repérer dans les Maximes diverses survivances de cet imaginaire topographique. La maxime 3 fournit l’exemple le plus remarquable ; dans l’édition de 1665, elle était ainsi rédigée :

Quelque découverte que l’on ait faite dans le pays de l’amour-propre, il reste bien encore des terres inconnues.

18Or, La Rochefoucauld la corrige en 1671 :

Quelque découverte que l’on ait faite dans le pays de l’amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues.

  • 41 J’emprunte la formule à L. Van Delft (LA, chap. III, p. 65-86).

  • 42 B. Parmentier, Le Siècle des moralistes. De Montaigne à La Bruyère, Paris,...

19Déplacement significatif : naguère circonscrites à la périphérie de la carte du cœur (de la Carte de Tendre dans la géographie précieuse), les terres inconnues s’y multiplient désormais, elles la saturent, frappant de caducité tout l’édifice de la « cartographie morale »41. La transformation que subit notre maxime reflète un décisif changement de modèle : l’anatomie (ou la cartographie) du cœur ne se conçoit ici ni comme perfectionnement d’un cadastre existant ni comme élaboration d’un cadastre nouveau. De cadastres, du reste, il n’en est plus question : les moralistes classiques, résume B. Parmentier, « voient le monde éclater en une infinité d’atomes isolés, et ce sont les détails singuliers qui accaparent leur attention »42.

Le sens du détail : anatomie morale et réglage perspectif

20Rien de plus trompeur, donc, que ce foisonnement d’images, dont la trop visible redondance à la surface des textes tend à dissimuler les glissements souterrains qui en reconfigurent le socle (épuisement de modèles devenus inadéquats, surgissement de modèles inédits). Il n’en est que plus nécessaire de considérer ces images en contexte. De là aussi la nécessité de prendre en compte, plutôt que l’image artificiellement isolée, le complexe d’images auquel elle se rattache, et les reconfigurations qui, le cas échéant, affectent ce complexe. Il n’est pas indifférent, on l’a vu, que l’image anatomique entretienne, en contexte spirituel ou précieux, des affinités électives avec la métaphore cartographique. Il ne l’est pas non plus que ce rapport privilégié tende à se dénouer chez nos moralistes classiques. Plus significatif encore est le rapport nouveau qui s’instaure, chez ces derniers, entre l’image anatomique et la métaphore de la perspective (ou du tableau perspectif). C’est bien le glissement de l’anatomie-topographie des auteurs spirituels à l’anatomie-dislocation des moralistes qui se donne à voir dans cette configuration singulière.

21À vrai dire, la métaphore du tableau perspectif – dans l’emploi qui m’intéresse ici, c’est-à-dire en concurrence avec l’image anatomique et comme doublon de cette image – apparaît sous la plume de J.-P. Camus, à l’incipit du chapitre sur « l’économie de l’âme » :

  • 43 J.-P. Camus, TRI, p. 22. La métaphore mécanique fait également partie, on ...

Puisque c’est sur le fond de l’âme que nous allons travailler, et ce tableau défiguré que nous désirons remettre en une meilleure forme, il est bien raisonnable […] que je vous en fasse voir le plan et l’assiette, que je vous découvre les ressorts et les rouages de cette horloge, et que je vous en déchiffre l’économie43.

22Mais alors qu’il est ici question de corriger les effets de distorsion, de stabiliser le dispositif perspectif (le plan et l’assiette) pour rendre lisible (déchiffrable) la structure de l’âme, il s’agit tout au contraire, pour nos moralistes, de jouer de tels effets, de mettre en mouvement le point de perspective. C’est ce que montre un fragment bien connu de Pascal – où ni l’anatomie ni la perspective ne sont plus métaphores, mais bien modèles à l’essai :

  • 44 Pascal, Pensées [1670], éd. Ph. Sellier, Paris, Garnier, 1993, fr. 99.

Diversité.
La théologie est une science, mais en même temps combien est-ce de sciences ? Un homme est un suppôt ; mais si on l’anatomise, sera-ce la tête, le cœur, les veines, chaque veine, chaque portion de veine, le sang, chaque humeur du sang ?
Une ville, une campagne, de loin est une ville et une campagne ; mais, à mesure qu’on s’approche, ce sont des maisons, des arbres, des tuiles, des feuilles, des herbes, des fourmis, des jambes de fourmis, à l’infini. Tout cela s’enveloppe sous le nom de campagne44.

  • 45 L. Marin, « La critique pascalienne : le problème du propre », dans La Cri...

  • 46 D. Arasse, Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Paris, ...

23Comme l’a fait voir L. Marin45, trois analyses sont ici successivement esquissées – esquissées, mais non pas achevées, puisque précisément elles sont inachevables, chacune dans son ordre. Celle de la théologie n’est amorcée qu’en creux. Celle de la substance humaine consiste dans un démembrement anatomique. Celle du paysage de campagne repose sur la déconstruction d’une construction perspective par déplacement du point de vue (et réduction de la distance) : le modèle du tableau perspectif, dont on sait l’importance chez Pascal, affleure ici sous l’espèce du paysage (tout particulièrement exposé, comme le montre D. Arasse, au péril de la dislocation lorsqu’on le soumet à l’épreuve de la vision de près46). Il y a donc ici relation d’équivalence (voire de modélisation réciproque) entre le démembrement anatomique et la déconstruction du dispositif perspectif (paysage réel ou peint, cela revient au même). La seconde est susceptible, au reste, d’être reformulée, métaphoriquement, dans les termes de la première : elle passe en effet par l’exercice de la vision rapprochée, c’est-à-dire par cela même dont l’anatomie constitue la figure ; elle affecte à la fois, du côté des choses, la cohérence du tableau (la campagne comme construction perspective) et, du côté des mots, le « nom de campagne » dont la fonction d’enveloppe est analogue, à tout prendre, à celle de la peau, puisqu’à l’instar de l’enveloppe dermique, l’enveloppe verbale a vocation à faire tenir ensemble, dans la provisoire unité d’un signe qui n’a d’équivalent que la provisoire intégrité d’un corps, une série indéfinie d’éléments hétérogènes – dont elle contient pour un temps la désagrégation ; et si le regard perd de vue, paradoxalement, l’objet dont il s’approche à mesure qu’il s’en approche, s’il se perd dans le détail, c’est précisément parce que tout cela qui constituait ledit objet cesse alors, littéralement, de faire corps.

  • 47 B. Lamy, Entretiens sur les sciences [1684], éd. F. Girbal et P. Clair, PU...

  • 48 A. Rousseau, Nouvelles maximes ou réflexions morales, Paris, P. Le Petit, ...

24Pour autant, si quelque « modèle anatomique » est ici sous-jacent, il est très différent de celui que le cartésien Bernard Lamy a dans l’esprit lorsqu’il évoque ces prédicateurs « heureux à trouver des divisions par le moyen desquelles faisant, pour ainsi dire, l’anatomie d’une vérité, ils en font voir toutes les parties »47 : l’ombre portée de l’augustinisme induit nos moralistes classiques, et singulièrement Pascal, à se défier de la raison, de son inaptitude à faire voir distinctement « toutes les parties d’une vérité ». Il est communément admis, en terres augustiniennes, que « rien n’est plus difficile que de connaître le cœur de l’homme [car] il est enveloppé de ténèbres, et la plupart de ses replis sont impénétrables »48. Le modèle, en l’espèce, n’est pas celui d’une anatomie qui viserait à mettre au jour la structure cachée de l’homme et du monde, mais bien plutôt celui d’une anatomie qui les désagrège (qui pressent et fait voir en eux d’instables agrégats). C’est l’arrière-plan épistémologique de ce fragment célèbre (et, plus généralement, du texte pascalien) que l’on devine en filigrane : les progrès conjugués de la microscopie et de l’anatomie micrologique, capables de faire reculer les frontières de l’invisible et de l’indivisible, qui nourriront sous d’autres plumes (celle d’un Perrault par exemple) l’admiration due aux avancées des connaissances humaines, alimentent ici le vertige de la dislocation.

  • 49 Voir ci-dessus note 9.

  • 50 La Rochefoucauld, Maximes, maxime 104.

25Si La Rochefoucauld n’est en rien l’homme de science qu’est l’auteur des Pensées, ces deux modèles (anatomique et perspectif) ne sont pas moins prégnants chez lui, et ne sont pas moins étroitement solidaires : le projet d’une « anatomie de tous les replis du cœur »49 n’est jamais dissocié de la conviction, continûment réaffirmée, que « les hommes et les affaires ont leur point de perspective »50. À preuve, ce texte-clé dans les Réflexions diverses :

  • 51 La Rochefoucauld, Maximes, Réflexions diverses, II, « De la société » (je ...

[…] On doit aller au-devant de ce qui peut plaire à ses amis […]. On peut leur parler des choses qui les regardent, mais ce n’est qu’autant qu’ils le permettent, et on y doit garder beaucoup de mesure ; il y a de la politesse, et quelquefois même de l’humanité, à ne pas entrer trop avant dans les replis de leur cœur ; ils ont souvent de la peine à laisser voir tout ce qu’ils en connaissent, et ils en ont encore davantage quand on pénètre ce qu’ils ne connaissent pas. […]
Comme on doit garder des distances pour voir les objets, il en faut garder aussi pour la société : chacun a son point de vue, d’où il veut être regardé ; on a raison, le plus souvent, de ne vouloir pas être éclairé de trop près, et il n’y a presque point d’homme qui veuille, en toutes choses, se laisser voir tel qu’il est51.

  • 52 J’emprunte la formule à M. Maître (« Une anti-curiosité : la discrétion ch...

  • 53 B. Gracián, L’Art de la prudence, trad. de l’espagnol par N. Amelot de la ...

26Certes, La Rochefoucauld prend apparemment dans ces lignes le contre-pied de sa déclaration programmatique, puisqu’il nous y enjoint, pour tous les cas où nous nous trouvons dans la compagnie de nos amis, de « ne pas entrer trop avant dans les replis de leur cœur ». Il est permis d’imputer à l’influence exercée sur le moraliste par les milieux mondains et précieux cette résistance qu’il paraît opposer, au cœur de son texte, à son propre projet – cette limite qu’il assigne à sa « cruauté scopique »52. Elle marque en tout cas la volonté de préserver les conditions d’une sociabilité harmonieuse ; en quoi elle s’oppose à cette vision foncièrement belliqueuse de la vie de société qui, chez Gracián, requiert de « l’homme judicieux et pénétrant » qu’il soit habile « à faire l’anatomie de la capacité des gens »53. Il n’est pas certain, au demeurant, que la contradiction entre les deux discours ne puisse être résorbée, dès lors qu’ils s’inscrivent sur des plans bien distincts : la Réflexion II (sur « le commerce des honnêtes gens ») engage la gestion des rapports entre des individus (il s’agit de ne pas entrer trop avant dans les replis de leur cœur) quand la formule programmatique de la lettre au P. Esprit intéresse la connaissance de l’homme en général (il s’agit de faire l’anatomie de tous les replis du cœur). Quoi qu’il en soit, il est frappant de constater que les exigences de la sociabilité, tout comme celles de l’anatomie morale dont elles constituent le négatif (et qu’elles font voir en négatif), s’énoncent successivement en deux métaphores concurrentes : celle de l’exploration anatomique (à laquelle il convient de fixer des limites) et celle de la distance (qu’il faut savoir conserver pour ménager la cohésion du corps social). Or, c’est exactement sur le même modèle que se conçoit « l’anatomie de tous les replis du cœur » :

  • 54 Lettre au P. Thomas Esprit, 6 février 1664 (je souligne).

[…] Quand je dis nous, j’entends parler de l’homme qui croit ne devoir qu’à lui seul ce qu’il a de bon, comme faisaient les grands hommes de l’antiquité, et comme cela je crois qu’il y avait de l’orgueil, de l’injustice et mille autres ingrédients dans la magnanimité et la libéralité d’Alexandre et de beaucoup d’autres ; que dans la vertu de Caton, il y avait de la rudesse, et beaucoup d’envie et de haine contre César ; que dans la clémence d’Auguste pour Cinna il y eut un désir d’éprouver un remède nouveau, une lassitude de répandre inutilement tant de sang, et une crainte des événements à quoi on a plutôt fait de donner le nom de vertu que de faire l’anatomie de tous les replis du cœur54.

  • 55 Thème récurrent dans les Maximes que cette vocation des mots à servir d’en...

  • 56 Je résume ici très succinctement une analyse donnée dans une précédente ét...

  • 57 « Tous les tableaux ne sont pas faits pour être vus de près ni pour être t...

27Comme chez Pascal, le processus anatomique affecte concurremment l’ordre des choses et celui des mots : il s’agit de faire l’anatomie de tous les replis du cœur plutôt que de donner le nom de vertu à tout cela qui, vu de loin, s’enveloppe sous ce nom de vertu – tout cela dont l’analyse, comme chez Pascal, est proprement interminable (« il y avait de l’orgueil, de l’injustice et mille autres ingrédients », qu’il faut bien renoncer à compter, « dans la magnanimité et la libéralité d’Alexandre »)55. Et, comme chez Pascal, l’anatomie a partie liée avec la perspective. L’analyse en contexte montre en effet que, nonobstant sa portée générale, ce projet d’une anatomie de tous les replis du cœur est originairement solidaire d’une réflexion critique sur la vertu des grands hommes (réflexion qui amène, dans la lettre au P. Esprit, la célèbre formule). Or, le discours sur la vertu des grands hommes constitue, chez La Rochefoucauld, une zone d’affleurement remarquable du modèle perspectif, comme en témoigne exemplairement la Réflexion XIV (« Des modèles de la nature et de la fortune ») ; on y comprend que les actions moralement exemplaires des grands hommes sont ce que l’on ne peut voir autrement qu’en peinture, parce qu’elles ne sont précisément que peinture : « tableaux parfaits » que le moraliste anatomise en connaisseur, habile à discerner la raison des effets d’une illusion morale (la nature réputée vertueuse des actions des grands hommes) appréhendée sur le modèle de l’illusion picturale (ou perspective)56. Car le connaisseur est en morale ce qu’il est en peinture : celui-là, explique R. de Piles, qui a vocation à regarder de près57, celui-là qui sait entrer dans le détail. C’est assez du moins pour n’être pas dupe de ce qui, à bonne distance, fait son effet. Cela ne suffit pas, pour autant, à atteindre le fond de l’homme ni celui des choses ; au demeurant l’auteur des Maximes n’y prétend pas davantage que celui des Pensées :

  • 58 La Rochefoucauld, Maximes, maxime106 (je souligne).

Pour bien savoir les choses, il en faut savoir le détail ; et comme il est presque infini, nos connaissances sont toujours superficielles et imparfaites58

28La figure du connaisseur se rencontre enfin chez La Bruyère, dans un cadre doctrinal certes moins homogène – avec son augustinisme diffus, mâtiné d’un cartésianisme qui ne l’est guère moins et (d’un peu) de confiance en la raison – mais dans un texte d’autant plus intéressant que s’y dessine une fois encore la conjonction des deux paradigmes – le cœur et le tableau (l’exploration de l’intérieur et l’éducation du regard) :

  • 59 La Bruyère, DT, « Des jugements », 27 (je souligne).

Il ne faut pas juger des hommes comme d’un tableau ou d’une figure, sur une seule et première vue : il y a un intérieur et un cœur qu’il faut approfondir. Le voile de la modestie couvre le mérite, et le masque de l’hypocrisie cache la malignité. Il n’y a qu’un très petit nombre de connaisseurs qui discerne, et qui soit en droit de prononcer ; ce n’est que peu à peu, et forcés même par le temps et les occasions, que la vertu parfaite et le vice consommé viennent enfin à se déclarer59.

  • 60 « Il n’est rien de si délié, de si simple et de si imperceptible où il n’e...

29On doit comprendre ici qu’il ne faut pas juger des hommes comme ceux-ci jugent ordinairement d’un tableau (« sur une seule et première vue », dans la mesure où cette première vue suffit à faire son effet) ; en d’autres termes, la façon dont on regarde ordinairement les tableaux fournit le modèle inversé de la façon dont il convient d’examiner les hommes – en connaisseur, et comme objet de connaissance, avec ce discernement qui n’est pas la chose du monde la mieux partagée, et cette aptitude à remarquer le trait qui, si « délié » et si « imperceptible » soit-il, nous décèle60 : non seulement, donc, le modèle du tableau n’est pas invalidé, mais c’est à partir de lui que se définit un regard, regard de connaisseur ou d’anatomiste, capable d’affronter l’opacité des signes, d’« approfondir » le cœur. Davantage, ce n’est que « peu à peu » que le vrai se déclare, que le regard s’ajuste ; c’est par mises au point et décentrements successifs (avec « le temps », au gré des « occasions ») que ce regard s’invente et, peu à peu, se façonne.

  • 61 Sur « le profond investissement culture » dont ils furent ensemble l’objet...

30Ainsi, de Pascal à La Bruyère, une configuration relativement stable tend à se dessiner, qui associe, à des titres et sous des formes évidemment variables, mais dans une relation de réciproque implication, anatomie morale et réglage perspectif. Il n’y a rien là de surprenant : les moralistes classiques appartiennent encore à cet âge que l’on a pu placer sous le double patronage de Vésale et d’Alberti, et qui a senti la profonde solidarité du scalpel et du tableau61. Or c’est précisément cette solidarité qu’il importe de ne pas perdre de vue : si l’anatomie, à l’instar de la perspective et dans le même temps qu’elle, fournit à nos moralistes un modèle aussi bien qu’une image, c’est à la fois celui d’une exploration des dessous du visible et d’une réflexion sur la façon dont le visible peut mentir.

 

31Sans répondre à toutes les questions, j’ai tenté de faire le point sur la portée de l’image anatomique dans le discours des moralistes : entreprise d’autant plus « épineuse » que cette image est solidaire de tout un réseau de métaphores d’époque, véritables lieux de la culture classique, dont les moralistes sont héritiers et tributaires, après d’autres et parmi d’autres. Il s’agissait – et c’est en quoi malgré tout l’entreprise n’était pas dépourvue de quelque légitimité et de quelque intérêt – de mettre à l’essai l’hypothèse consistant à lire dans cette image la trace d’un modèle susceptible d’informer, dans une mesure variable, la pensée (voire l’écriture) des moralistes. En d’autres termes, il s’agissait de savoir jusqu’à quel point il y a lieu de prendre au pied de la lettre les formules imagées qu’on leur doit en l’espèce. Je me suis efforcé de faire valoir la fécondité de cette hypothèse, mais aussi les précisions qu’elle appelle et les questions qu’elle soulève. Il a fallu croiser deux démarches distinctes, deux mises en perspective complémentaires. La première consistait à considérer diachroniquement les avatars remarquables de la métaphore anatomique dans le champ de l’analyse morale pour tenter de mettre au jour la visée spécifique à laquelle elle s’ordonne sous la plume de nos auteurs. La seconde conduisait à ressaisir la question dans le cadre d’une « anatomie » des modèles qui, parce qu’ils travaillent concurremment dans le discours des moralistes, se déterminent ou se contaminent réciproquement.

32Ce que cette double enquête, me semble-t-il, a permis de faire voir au sujet du « modèle anatomique » en état de fonctionnement latent chez nos auteurs, c’est à la fois ce qui le distingue assez nettement d’une anatomie topographique (la distance qui sépare le monde et le moi désagrégés d’un Pascal de l’âme une et diverse à la fois de la spiritualité salésienne donnant la mesure de cette différence) et ce qui le rattache tout aussi nettement au paradigme perspectif (le subtil écheveau des métaphores anatomique et picturale inscrivant la marque, chez nos auteurs, de cette affinité). J’espère aussi qu’elle aura permis de mettre en évidence, au-delà de la valeur heuristique qui lui est implicitement conférée par les moralistes eux-mêmes, la force critique de la métaphore anatomique, au demeurant presque toujours associée, chez nos auteurs, à une entreprise de démolition des valeurs, et singulièrement de la valeur humaine.

33Cette puissance critique explique probablement les réticences que bien des moralistes du siècle suivant, et dans un climat intellectuel profondément transformé par l’humanisme des Lumières, témoignent à l’égard du modèle anatomique :

  • 62 C. Le Meur, Trésor des moralistes du XVIIIe siècle, Pantin, Le Temps des C...

Que dire, interroge Rivarol, d’un architecte qui, chargé d’élever un édifice, briserait les pierres, pour y trouver des sels, de l’air et une base terreuse, et qui nous offrirait ainsi une analyse au lieu d’une maison ? Le prisme qui dissèque la lumière gâte à nos yeux le spectacle de la nature62.

  • 63 G. Sénac de Meilhan, Considérations sur l’esprit et les mœurs, Londres, [s...

  • 64 J. Joubert, Carnets, éd. A. Beaunier, Paris, Gallimard, 1994, T. I, p. 336...

34Il ne reste à Sénac de Meilhan, à la veille d’un nouveau changement de monde, qu’à lui substituer l’improbable modèle d’une anatomie sans scalpel : ainsi se prend-t-il à rêver d’un temps où « l’on connaîtra les plus petits replis de l’amour-propre », où « l’homme ainsi exposé aux yeux de tous sera comme une pendule à jour dont on voit tous les ressorts, dont l’œil suit tous les mouvements »63. Joubert, en 1800, fait à peu près le même rêve : « Si vous voulez donner de l’homme et du monde une idée exacte et claire, rendez-les transparents, ne les disséquez pas ».64 Il faut peut-être attendre le Valéry de Tel quel pour retrouver, autrement dite et sur d’autres bases, ce que fut la ténébreuse intuition des moralistes français de l’âge classique :

  • 65 Valéry, Tel quel, Cahier B1910.

L’homme n’est l’homme qu’à sa surface.
Lève la peau, dissèque : ici commencent les machines. Puis, tu te perds dans une substance inexplicable, étrangère à tout ce que tu sais et qui est pourtant l’essentielle.
C’est de même pour ton désir, pour ton sentiment et ta pensée. La familiarité et l’apparence humaine de ces choses s’évanouissent à l’examen. Et si, levant le langage, on veut voir sous cette peau, ce qui paraît m’égare65.

Notes

1 Ch. Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes, Paris, J.-B. Coignard, 1688-97, t. II, p. 31.

2 Jacques Lambert avait été l’un des principaux artisans de ce séminaire, co-organisé par le Département de Philosophie de l’Université Pierre Mendès France et l’UFR de Lettres de l’Université Stendhal.

3 Voir R. Mandressi, Le Regard de l’anatomiste. Dissections et invention du corps en Occident, Paris, Seuil, 2003, p. 220-28. Désormais cité RA.

4 Ainsi, la page de titre du manuel de dissection de Nicolas Habricot (La Semaine ou pratique anatomique, 1660) annonce un ouvrage « utile et nécessaire à ceux qui désirent parvenir à la parfaite connaissance d’eux-mêmes ».

5 F. Lamy, De la connaissance de soi-même, Paris, Pralard, 1694-98, Traité II, Préface, p. 257-58. Le dispositif est similaire dans le traité De la connaissance de Dieu et de soi-même de Bossuet, dont le chapitre II est un précis d’anatomie, complété par quelques éléments de physiologie.

6 R. Burton, Anatomie de la Mélancolie [1621], trad. G. Venet, Paris, Gallimard, 2005, p. 134 et 157.

7 La Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et Maximes morales [1664-78], éd. J. Lafond, Paris, Gallimard, 1976, maximes 44 et 297. Désormais cité Maximes.

8 La Bruyère, « Discours sur Théophraste » (Les Caractères ou les mœurs de ce siècle [1688-96], éd. E. Bury, Paris, L.G.F., 1995, p. 61). Désormais cité DT

9 La Rochefoucauld, Lettre au P. Thomas Esprit du 6 février 1664 (Maximes, p. 270).

10 La Bruyère, DT, p. 72.

11 Voir en particulier Littérature et anthropologie. Nature humaine et caractère à l’âge classique, Paris, PUF, 1993, 3e partie (« Littérature et anatomie »). Désormais cité LA.

12 Voir L. Van Delft, Les Moralistes. Une apologie, Paris, Gallimard, 2008, p. 263-93.

13 Cette définition de travail est assurément réductrice, mais elle n’est pas dénuée de pertinence d’un double point de vue historique (c’est bien sur la base de cette parenté formelle, très tôt perçue, entre Pensées, Maximes et Caractères, que l’histoire littéraire a forgé la figure du « moraliste classique ») et méthodologique (elle me permet ici de circonscrire, pour les besoins de l’enquête, un corpus relativement homogène).

14 Mandressi, RA, p. 231.

15 Les moralistes n’ayant pas le monopole de cette exploration, la métaphore anatomique ne leur est pas réservée ; à preuve, les termes dans lesquels Longepierre loue l’habileté de Racine à « peindre au vif tous les mouvements [du cœur] : il en développe tous les replis ; il en sonde toute la profondeur ; il en perce tous les détours ; et ce labyrinthe obscur et impénétrable n’en a aucun qui échappe à sa pénétration. » (Parallèle de Monsieur Corneille et de Monsieur Racine, cité par B. Papasogli, Le Fond du cœur. Figures de l’espace intérieur au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2000, p. 95).

16 Marie Le Jars de Gournay, Préface sur les Essais de Michel Seigneur de Montaigne, par sa Fille d’Alliance [1635], Paris, Augustin Courbé, 1652, n.p. (version remaniée de la Préface de 1595).

17 Montaigne, Les Essais [1580-88], éd. J. Céard, Paris, L.G.F., 2001, II, 6, « De l’exercitation », p. 603. Désormais cité Essais.

18 Montaigne, Essais, I, 25, « De l’institution des enfants », p. 24.

19 Ibid, II, 1, « De l’inconstance de nos actions », p. 544.

20 Ibid, III, 5, « Sur des vers de Virgile », p. 1324.

21 Ibid, II, 1, « De l’inconstance de nos actions », p. 535.

22 Mandressi, RA, p. 233.

23 La Rochefoucauld, Maximes, max. 97 (je souligne).

24 J. Céard, « Montaigne anatomiste », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, n° 55, mai 2003, p. 310-14, p. 313-14. Ajoutons qu’en conservant la forme grecque (savante et technique) du terme, Montaigne met en relief la valeur très concrète de la métaphore dans l’ensemble du passage.

25 G. Canguilhem, L’Homme de Vésale dans le monde de Copernic : 1543, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 1991, p. 15. Désormais cité HV.

26 Montaigne, Essais, II, 1, « De l’inconstance de nos actions », p. 543.

27 Canguilhem, HV, p. 6.

28 J’emprunte la formule à H. Birault (« Pascal et le problème du moi introuvable », dans La Passion de la raison. Hommage à Ferdinand Alquié, Paris, PUF, 1983, p. 161-201).

29 Montaigne, Essais, I, 1, « Par divers moyens on arrive à pareille fin », p. 58.

30 Ibid, III, 2, « Du repentir », p. 1256.

31 J.-P. Camus, Traité de la Réformation intérieure, Paris, Sébastien Huré, 1631, chap. IV, p. 28. Désormais cité TRI. Il n’est pas jusqu’au motif des replis qui ne rappelle ici Montaigne… et qui n’annonce les moralistes.

32 E. de Saint-Paul, Bref traité des puissances et facultés de notre âme, 1634 (je souligne) ; cité par M. Bergamo, L’Anatomie de l’âme. De François de Sales à Fénelon, Grenoble, Jérôme Millon, 1994, p. 6. Désormais cité AA.

33 Cité par B. Piqué, « L’anatomie précieuse », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, n° 55, mai 2003, p. 317-32.

34 M. de Scudéry, Conversations morales, Paris, Quai des Augustins, 1686, vol. II, p. 702.

35 Autre occurrence sous la plume de Mlle de Scudéry, cette fois dans Clélie, histoire romaine (1654-60).

36 M. de Scudéry, Nouvelles Conversations de Morale, Paris, Vve Mabre-Cramoisy, 1688, vol. I, p. 365, désormais cité NCM ; Mme de Sablé, Maximes [1678], n°52, dans La Rochefoucauld, Maximes, p. 240 ; de ce dernier, les maximes 215, et 233 ; enfin La Bruyère, DT, « Des jugements », 56.

37 La Rochefoucauld, Maximes, maximes 1 et 182.

38 Ibid, maximes 175-181 (la maxime 182, citée à l’instant, vient éclairer globalement cette série).

39 J.-P. Camus, TRI, p. 30.

40 M. de Scudéry, NCM, vol. I, p. 408. Sur la modélisation spatiale comme fondement des anatomies de l’âme en contexte spirituel, voir M. Bergamo, AA.

41 J’emprunte la formule à L. Van Delft (LA, chap. III, p. 65-86).

42 B. Parmentier, Le Siècle des moralistes. De Montaigne à La Bruyère, Paris, Seuil, 2000, p. 44.

43 J.-P. Camus, TRI, p. 22. La métaphore mécanique fait également partie, on le voit, de ce complexe d’images : les différentes métaphores s’ajustent idéalement les unes aux autres (on sait que la conception du tableau comme machine sera développée plus tard par R. de Piles).

44 Pascal, Pensées [1670], éd. Ph. Sellier, Paris, Garnier, 1993, fr. 99.

45 L. Marin, « La critique pascalienne : le problème du propre », dans La Critique du discours. Sur la Logique de Port-Royal et les Pensées de Pascal, Paris, Minuit, 1975, p. 113-50 ; du même, « “Une ville, une campagne, de loin…” Paysages pascaliens », dans Pascal et Port-Royal, Paris, PUF, 1997, p. 196-213. Voir aussi J. Mesnard, « Point de vue et perspective dans les Pensées de Pascal », Courrier du Centre International Blaise Pascal, 16, 1994, p. 3-8.

46 D. Arasse, Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Paris, Flammarion, 1996, p. 248 et suiv.

47 B. Lamy, Entretiens sur les sciences [1684], éd. F. Girbal et P. Clair, PUF, 1966, p. 308.

48 A. Rousseau, Nouvelles maximes ou réflexions morales, Paris, P. Le Petit, 1679, maxime 215, p. 77.

49 Voir ci-dessus note 9.

50 La Rochefoucauld, Maximes, maxime 104.

51 La Rochefoucauld, Maximes, Réflexions diverses, II, « De la société » (je souligne).

52 J’emprunte la formule à M. Maître (« Une anti-curiosité : la discrétion chez Mlle de Scudéry et dans la littérature mondaine, 1648-1696 », dans Curiosité et libido sciendi de la Renaissance aux Lumières, éd. par N. Jacque-Chaquin et S. Houdard, Fontenay Saint-Cloud, ENS Éditions, 1998, vol. 2, p. 335-58).

53 B. Gracián, L’Art de la prudence, trad. de l’espagnol par N. Amelot de la Houssaie [1684], Paris, Rivages, 1994, aphorisme 49, p. 62. Voir aussi l’aphorisme 37, p. 54.

54 Lettre au P. Thomas Esprit, 6 février 1664 (je souligne).

55 Thème récurrent dans les Maximes que cette vocation des mots à servir d’enveloppe à des agrégats d’éléments hétérogènes ; par exemple : « L’amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu’on lui attribue, et où il n’a non plus de part que le Doge à ce qui se fait à Venise. » (maxime 77).

56 Je résume ici très succinctement une analyse donnée dans une précédente étude à laquelle je me permets de renvoyer : « L’optique des mœurs : anatomie morale et paradigme perspectif chez La Rochefoucauld », dans Anatomie et Écriture. Médecine, art, littérature, éd. par G. Dotoli, Fasano, Schena ed., 2004, p. 261-83.

57 « Tous les tableaux ne sont pas faits pour être vus de près ni pour être tenus à la main, et il suffit qu’ils fassent leur effet du lieu où on les regarde ordinairement, si ce n’est que les Connaisseurs après les avoir vus d’une distance raisonnable, veuillent s’en approcher pour en voir l’artifice. » (R. de Piles, Conversations sur la connaissance de la Peinture et sur le jugement qu’on doit faire des tableaux, Paris, Langlois, 1677, p. 300).

58 La Rochefoucauld, Maximes, maxime106 (je souligne).

59 La Bruyère, DT, « Des jugements », 27 (je souligne).

60 « Il n’est rien de si délié, de si simple et de si imperceptible où il n’entre des manières qui nous décèlent. » (« Du mérite personnel », 37).

61 Sur « le profond investissement culture » dont ils furent ensemble l’objet, voir C. Havelange, De l’œil et du monde. Une histoire du regard au seuil de la modernité, Paris, Fayard, 1998 (en particulier le chap. IX). Sur la prégnance du modèle du tableau chez les moralistes, je me permets de signaler un précédent article : « Une ombre au tableau : les moralistes et le paradigme pictural », Europe, 933, janv.-févr. 2007, p. 75-90.

62 C. Le Meur, Trésor des moralistes du XVIIIe siècle, Pantin, Le Temps des Cerises, 2005, p. 118.

63 G. Sénac de Meilhan, Considérations sur l’esprit et les mœurs, Londres, [s.n.], 1787, p. 38.

64 J. Joubert, Carnets, éd. A. Beaunier, Paris, Gallimard, 1994, T. I, p. 336-37.

65 Valéry, Tel quel, Cahier B1910.

Bibliographie

 

Bibliographie primaire

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Pour citer ce document

Bernard Roukhomovsky, «« Comme l’anatomie a trouvé dans le cœur… » : la métaphore anatomique chez les moralistes classiques», La Réserve [En ligne], La Réserve, Archives Bernard Roukhomovsky, mis à jour le : 01/11/2017, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/reserve/374--comme-l-anatomie-a-trouve-dans-le-coeur-la-metaphore-anatomique-chez-les-moralistes-classiques.

Quelques mots à propos de :  Bernard  Roukhomovsky

Université Grenoble Alpes (2010 : Université Stendhal Grenoble 3)

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