La Réserve : Archives Bernard Roukhomovsky
La Bruyère, du caractère à l’épigramme (Des biens de fortune, 12)
Initialement paru dans : Studi di Letteratura francese, XXVII, 2002 (Firenze, L. S. Olschki ed., 2003), p. 89-102
Texte intégral
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1 Martial, Epigrammes, III, 99, éd. et trad. H. J. Izaac, Les Belles Lettres,...
Innocuos permitte sales 1.
Je vais Clitiphon à votre porte, le besoin que j’ai de vous me chasse de mon lit et de ma chambre : plût aux Dieux que je ne fusse ni votre client ni votre fâcheux : vos esclaves me disent que vous êtes enfermé, et que vous ne pouvez m’écouter que d’une heure entière : je reviens avant le temps qu’ils m’ont marqué, et ils me disent que vous êtes sorti. Que faites-vous, Clitiphon, dans cet endroit le plus reculé de votre appartement, de si laborieux qui vous empêche de m’entendre ? vous enfilez quelques mémoires, vous collationnez un registre, vous signez, vous parafez : je n’avais qu’une chose à vous demander, et vous n’aviez qu’un mot à me répondre, oui ou non : voulez-vous être rare, rendez service à ceux qui dépendent de vous, vous le serez davantage par cette conduite que par ne vous pas laisser voir : ô homme important et chargé d’affaires, qui à votre tour avez besoin de mes offices, venez dans la solitude de mon cabinet, le philosophe est accessible, je ne vous remettrai point à un autre jour : vous me trouverez sur les livres de Platon qui traitent de la spiritualité de l’âme et de sa distinction d’avec le corps, ou la plume à la main pour calculer les distances de Saturne et de Jupiter, j’admire Dieu dans ses ouvrages, et je cherche par la connaissance de la vérité à régler mon esprit et devenir meilleur ; entrez, toutes les portes vous sont ouvertes, mon antichambre n’est pas faite pour s’y ennuyer en m’attendant, passez jusqu’à moi sans me faire avertir ; vous m’apportez quelque chose de plus précieux que l’argent et l’or, si c’est une occasion de vous obliger ; parlez, que voulez-vous que je fasse pour vous ? faut-il quitter mes livres, mon ouvrage, cette ligne qui est commencée ? quelle interruption heureuse pour moi que celle qui vous est utile ! Le manieur d’argent, l’homme d’affaires est un Ours qu’on ne saurait apprivoiser, on ne le voit dans sa loge qu’avec peine, que dis-je, on ne le voit point, car d’abord on ne le voit pas encore, et bientôt on ne le voit plus : l’homme de lettres au contraire est trivial comme une borne au coin des places, il est vu de tous, et à toute heure, et en tous états, à table, au lit, nu, habillé, sain ou malade ; il ne peut être important, et il ne le veut point être.
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2 K. H. Menhert, « Martial und La Bruyère », in Sal romanus und esprit frança...
1A la suite de K. H. Menhert, mais dans une perspective différente, J. Dagen a fait valoir ce que l’écriture de La Bruyère doit au modèle épigrammatique en général, aux épigrammes de Martial en particulier 2. Le fragment Des biens de fortune, 12 appelle à cet égard un certain nombre de remarques que nous proposons de verser à ce dossier (potentiellement volumineux mais encore embryonnaire).
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3 Martial, ouvr. cité, I, 114 et II, 55, p. 52 et 72.
2Ce n’est pas un hasard, pensons-nous, si ce texte célèbre fait entendre d’emblée, par son attaque en forme d’apostrophe (« Je vais Clitiphon à votre porte… »), cet accent particulier que notre moraliste paraît avoir appris de Martial (« Ce parc, Faustinus, proche… », « Tu veux, Sextus, que je te courtise… » 3) : l’écriture épigrammatique de La Bruyère est l’expression d’une attitude — morale, philosophique et rhétorique — dont le philosophe « trivial » (que ce fragment met en scène) est exactement l’emblème. Cette posture, au reste, n’est pas très éloignée de celle que Chamfort, un siècle plus tard et dans des lignes souvent citées, nomme précisément un « état d’épigramme » :
4 Chamfort, Maximes et Pensées, § 339, éd. J. Dagen, Garnier-Flammarion, 1968...
L’honnête homme, détrompé de toutes les illusions, est l’homme par excellence. Pour peu qu’il ait d’esprit, sa société est très aimable. Il ne saurait être pédant, ne mettant d’importance à rien. Il est indulgent, parce qu’il se souvient qu’il a eu des illusions, comme ceux qui en sont encore occupés. C’est un effet de son insouciance d’être sûr dans le commerce, de ne se permettre ni redites, ni tracasseries. Si on se les permet à son égard, il les oublie ou les dédaigne. Il doit être plus gai qu’un autre, parce qu’il est constamment en état d’épigramme contre son prochain. Il est dans le vrai, et rit des faux-pas de ceux qui marchent à tâtons dans le faux. C’est un homme qui, d’un endroit éclairé, voit dans une chambre obscure les gestes ridicules de ceux qui s’y promènent au hasard. Il brise en riant les faux poids et les fausses mesures qu’on applique aux hommes et aux choses 4.
3Il va de soi que, du Grand Siècle au tournant des Lumières, l’horizon — philosophique, anthropologique, idéologique — du discours moral a changé. Il reste que l’honnête homme de Chamfort rappelle d’assez près, mutatis mutandis, le philosophe-honnête homme dont La Bruyère esquisse en mainte page la figure et dont le philosophe trivial est un avatar exemplaire : c’est le même regard amusé, quoique (parce que) désabusé, que celui-ci promène sur l’aveuglement des hommes, sur leurs erreurs de jugement, sur leur inaptitude à la pesée, à démêler le vrai du faux. Aux prises avec un monde qui fait aussi grand cas de l’or et de l’argent qu’il en fait peu de la philosophie, le philosophe trivial (le philosophe des Caractères) est-il donc, à proprement parler, un philosophe « en état d’épigramme » ? Si la question mérite d’être posée dans ces termes, c’est parce que la formule de Chamfort, justement célèbre, a cet avantage (pour notre propos) qu’elle désigne, en même temps qu’une attitude, sa transposition stylistique.
1. Préalables : La Bruyère et la veine épigrammatique
5 La Bruyère, Discours sur Théophraste, p. 71 (les références renvoient à l’é...
Enfin dans l’esprit de contenter ceux qui reçoivent froidement tout ce qui appartient aux étrangers et aux anciens, et qui n’estiment que leurs mœurs, on les ajoute à cet ouvrage : on a cru pouvoir se dispenser de suivre le projet de ce philosophe [Théophraste], soit parce qu’il est toujours pernicieux de poursuivre le travail d’autrui, surtout si c’est d’un ancien ou d’un auteur d’une grande réputation ; soit encore parce que cette unique figure qu’on appelle description ou énumération, employée avec tant de succès dans ces vingt-huit chapitres des Caractères, pourrait en avoir un beaucoup moindre, si elle était traitée par un génie fort inférieur à celui de Théophraste 5.
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6 P. Quignard, Une gêne technique à l’égard des fragments, Fata Morgana, 1986...
4C’est une évolution décisive que La Bruyère, en plein accord avec le goût de son époque et de son lectorat pour la diversité, fait subir au paradigme théophrastien du caractère — c’est-à-dire à « cette unique figure qu’on appelle description ou énumération » — en lui préférant une forme souple dans laquelle « tous les genres paraissent représentés, tous les tours semblent présents », capable d’accueillir cette « absolue variété » que Pascal Quignard, avec d’autres, a justement louée 6 et que le moraliste, on le sait, revendique dans sa Préface :
7 Préface des Caractères, p. 120-21.
[…] on pense les choses d’une manière différente, et on les explique par un tour aussi tout différent ; par une sentence, par un raisonnement, par une métaphore ou quelque autre figure, par un parallèle, par une simple comparaison, par un fait tout entier, par un seul trait, par une description, par une peinture […] 7.
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8 Guillaume Colletet, Discours de l’épigramme, in L’Art poétique, Paris, A. d...
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9 Selon la formule de P. Laurens : « Du modèle idéal au modèle opératoire : l...
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10 P. Laurens, L’Abeille dans l’ambre. Célébration de l’épigramme, Les Belles...
Il est permis de penser que le modèle épigrammatique entre pour une part essentielle dans le processus de contamination générique qui sous-tend cette évolution. De fait, à raison même de sa souplesse et de son chatoyant polymorphisme, l’épigramme — « capable de tout » selon Colletet, puisqu’elle « reçoit toute sorte de sujets, sérieux et burlesques, gais et mélancoliques, voire même tous les genres d’écrire » 8 — fournit au moraliste un modèle éminemment fécond et pleinement opératoire 9, et précisément un modèle d’absolue variété (et d’absolue brièveté). Ayant recensé les « éléments de variété […] : longueur, ton, et surtout mode de présentation » qui ont fait le succès de Martial, P. Laurens ajoute aussitôt : « seul La Bruyère pourrait sur ce point lui être comparé, et il est étonnant que l’on n’ait jamais tenté d’apprécier sa dette à l’égard du poète latin » 10. Si l’on excepte les deux contributions précédemment citées, particulièrement stimulantes par les pistes qu’elles tracent, force est de constater que la question n’a pas fait couler beaucoup d’encre.
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11 Ouvr. cité, p. 54.
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12 Voir B. Roukhomovsky, Lire les formes brèves, Nathan, 2001, p. 115-132.
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13 Elle pourrait en outre servir de point de départ à une enquête élargie à d...
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14 C’est-à-dire dans le temps même où, notons-le, l’essor de la poésie fugiti...
5Le fait est d’autant plus étonnant que les traces sont nombreuses, dans les Caractères, d’une imprégnation par la manière de Martial : « éclat bouleversant de l’attaque » (pour citer à nouveau P. Quignard 11), art de la pointe (style acutus, affleurements protéiformes d’un conceptisme à la française) et du trait (stylisation et condensation), composition rétrograde (c’est-à-dire à partir de cette pointe finale qui, dans bien des cas, constitue la clé du caractère comme elle constitue celle de l’épigramme et qui en commande l’économie)… Ces marques de parenté mériteraient assurément d’être étudiées en tant que telles et de plus près — entreprise de longue haleine qui n’entre pas ici dans le cadre nécessairement limité de notre propos et dont nous avons tenté par ailleurs de marquer les contours et les enjeux 12. Une telle étude serait d’autant plus pertinente qu’elle permettrait d’asseoir sur des bases nouvelles la réflexion souvent esquissée, mais encore embryonnaire, sur la poéticité du caractère 13. Elle pourrait être utilement complétée sur la base d’un corpus élargi aux innombrables suiveurs qui, à partir des années 1690 et jusqu’au milieu (au moins) du siècle des Lumières 14, se pressent dans le sillage tracé par le succès des Caractères ; c’est, en effet, le tour épigrammatique de La Bruyère que, consciemment ou non, ces minores s’efforcent d’attraper, comme on peut s’en assurer sur maint exemple :
15 Soubeiran de Scopon, Considérations sur le génie et les mœurs de ce siècle...
J’ai pitié des grands, dit Arfure, homme riche & réfléchi ; leur ivresse m’attriste, je voudrois les en guérir : j’ai opéré sur Arsene, favori puissant & dédaigneux ; la cure étoit difficile : je lui ai démontré qu’un homme devroit rougir de prendre avantage sur un autre homme ; & que par-tout où il en trouve, il doit reconnoître son frere. Je lui parlois tête à tête ; il m’a paru timide et ébranlé. Que vous êtes heureux, Arfure ! vous avez opéré sur vous-même ; votre porteur d’eau vous écoutoit 15.
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16 Aussi bien, d’ailleurs, que chez Martial : P. Laurens l’a démontré.
On verrait alors que ce tour tend à se dégrader en automatisme stylistique pour peu qu’il soit coupé du projet philosophique, moral et rhétorique dont il procède organiquement chez La Bruyère 16. Il importe, aussi bien, de ne pas perdre de vue ce projet, que la dense figure du philosophe trivial — honnête homme et tout ensemble philosophe — nous donne à lire exemplairement.
2. Instruire en badinant : urbanitas
6Si la silhouette du philosophe-honnête homme s’esquisse, dès l’attaque, tout au long de la remarque, elle est ingénieusement stylisée dans le troisième et dernier segment, c’est-à-dire dans le parallèle final de l’homme d’affaires tapi dans les ténèbres de sa « loge » et de l’homme de lettres « trivial comme une borne au coin des places ». Au rebours de l’important, le philosophe est « trivial » en ce sens (non péjoratif) qu’il est connu de tous, accessible et familier (« vu de tous, et à toute heure »). Mais la comparaison qui suit réactive le sens étymologique (et littéral) de l’adjectif : « trivial » est celui-là que l’on rencontre aux carrefours, et par extension, dans un lieu public et fréquenté. Cette insertion dans l’espace de la place publique constitue, semble-t-il, un trait fondamental du philosophe trivial : il convient donc d’en préciser la signification — ou plutôt les significations (car elle est fortement surdéterminée).
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17 Voir par exemple : F. Charpentier, La Vie de Socrate, 2nde édition, Paris,...
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18 F. Charpentier, ouvr. cité, p. 37.
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19 E. Bury, « Le sourire de Socrate ou peut-on être à la fois philosophe et h...
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20 Loge : « Espèce de petite cabane ouverte par devant et faite ordinairement...
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21 R. Zuber, « L’Urbanité française », in Les Emerveillements de la raison. C...
7Elle appelle, en première analyse, une assimilation de la posture du philosophe trivial à celle de Socrate philosophant dans l’agora (lieu commun biographique 17) — rapprochement que la référence aux « livres de Platon » dans la partie centrale de la remarque légitime à l’avance. Or Socrate est pour La Bruyère ce qu’il est pour ses contemporains : emblème d’une philosophie qui dialogue et qui badine, à l’opposé de « ces Sages d’escole et de cabinet […] qui sentent la classe et la preparation 18 », il incarne idéalement la rencontre entre le modèle philosophique et les préceptes de la civilité ; il fournit le paradigme d’« un philosophe-honnête homme conforme à la conscience classique 19 ». La figure du philosophe « au coin des places » vaut implicite évocation de ce Socrate au goût du jour. Tandis que la « loge » de l’homme d’affaires circonscrit le territoire de la rusticité 20, l’ancrage urbain de l’homme de lettres scelle son insertion dans un espace d’urbanité, propice à l’exercice du loisir lettré : « directement liée à la Ville par son étymologie, par son histoire et ses présupposés 21 », l’urbanitas est une notion clé, comme on le sait, de l’esthétique et de la civilité classiques. Elle est en outre au cœur des affinités qui se font jour entre Martial et La Bruyère, et plus généralement entre l’écriture épigrammatique et l’esthétique des Caractères.
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22 Pellisson, Discours sur les œuvres de Monsieur Sarasin, in J.-F. Sarasin, ...
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23 Guez de Balzac, De la conversation des Romains, in Œuvres complètes, Paris...
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24 Voir De la société et de la conversation, 4 : « […] pour badiner avec grâc...
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25 Voir l’éloge de La Fontaine dans le Discours prononcé dans l’Académie Fran...
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26 Des ouvrages de l'esprit, 57.
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27 De la chaire, 12.
8De fait, c’est une leçon d’urbanité — en forme d’épigramme en prose — que notre philosophe propose au « manieur d’argent », esquissant par défaut le modèle de l’honnête entretien qu’il n’a pu nouer dans les faits. C’est au premier chef une leçon de civilité — au surplus une leçon par l’exemple — qu’il donne à celui qui lui ferme sa porte : c’est en honnête homme en effet (et dans le seul dessein de l’obliger), non pas en pédant, que « penché sur les livres de Platon » et « dans la solitude de [s]on cabinet », il lui ouvre la sienne. Mais l’urbanité, « que les mots de civilité, de galanterie et de politesse n’expliquent qu’imparfaitement 22 » , se conçoit concurremment comme aptitude au badinage, comme « une adresse à toucher l’esprit par je ne scay quoy de piquant, mais dont la piqueure est agreable à celuy qui la reçoit, parce qu’elle chatouille et n’entame pas, parce qu’elle laisse un aiguillon sans douleur, & resveille la partie que la mesdisance blesse 23 » : en d’autres termes — et c’est ce qui nous intéresse ici plus particulièrement — elle se conçoit comme aptitude à l’enjouement, comme disposition à « badiner avec grâce 24 », à pratiquer cet élégant badinage qui constitue pour les mondains (pour un Méré par exemple) l’apanage de la conversation polie. Les impératifs de l’urbanité rejoignent en l’occurrence les stratégies rhétoriques d’un moraliste soucieux d’« instruire en badinant » (à l’instar d’un La Fontaine 25) parce qu’il sait qu’un ouvrage « sans sel » est « sans utilité 26 », que « la morale douce et relâchée tombe avec celui qui la prêche » car « elle n’a rien qui réveille et qui pique la curiosité d’un homme du monde 27 ».
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28 A rapprocher de la couleur romaine du caractère de Dorus (Des biens de for...
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29 Selon Littré : « Dans les ménageries, petites chambres où l’on enferme les...
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30 Cité par C. Chantalat, A la recherche du goût classique, Klincksieck, 1992...
9C’est, aussi bien, sur ce ton de fine raillerie faite pour réveiller et piquer la curiosité, c’est-à-dire en honnête homme, que le moraliste badine dans son adresse à l’affairé. En témoigne d’emblée la scène romaine 28 qu’il esquisse fugitivement dans les premières lignes : l’antiquité du sobriquet, sur lequel nous reviendrons, et le travestissement des valets en « esclaves » laissent ingénieusement planer le doute sur l’interprétation de « client » — dont les deux acceptions, ancienne et moderne, entrent en concurrence. Quant à l’évocation, dans les dernières lignes, de l’homme d’affaires en « Ours qu’on ne saurait apprivoiser » et que l’on « ne […] voit dans sa loge 29 qu’avec peine », elle tire également sa saveur du télescopage entre deux significations concurrentes — littérale et figurée. Ces deux scènes, en effet, illustrent « la grande règle du dépaysement burlesque » (R. Garapon) qui sous-tend si souvent les créations du moraliste et se situent dans le ton de ce « burlesque agréable » où Mascaron voyait « le raffinement de la véritable galanterie 30 ».
10Leçon de politesse et programme esthétique sont en l’espèce indissociables. En se dérobant à la conversation, Clitiphon se refuse au sourire. Cette inaptitude au sourire est la pierre de touche de son impolitesse. Elle est aussi la marque de sa vanité :
31 Du mérite personnel, 42. Nos italiques.
La fausse grandeur est farouche et inaccessible ; comme elle sent son faible, elle se cache, ou du moins ne se montre pas de front, et ne se fait voir que pour imposer et ne paraître point ce qu’elle est, je veux dire une vraie petitesse. La véritable grandeur est libre, douce, familière, populaire ; elle se laisse toucher et manier, elle ne perd rien à être vue de près […] ; elle rit, joue et badine, mais avec dignité […] 31.
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32 Des grands, 26. A rapprocher de l’eutrapélie : selon Bossuet « le terme d’...
Elle est enfin l’effet de sa raideur. Or, à la rigidité de l’important, figé dans un refus mécaniquement réitéré de se laisser approcher (« vos esclaves me disent que vous êtes enfermé », « ils me disent que vous êtes sorti » ; « on ne le voit qu’avec peine », « on ne le voit point », « d’abord on ne le voit pas encore », « bientôt on ne le voit plus »), le philosophe-honnête homme oppose la variété de ses tours — narration liminaire, prise à partie centrale, parallèle final — et le chatoiement de ses postures — visiteur éconduit dans l’antichambre de l’important, homme de lettres studieux dans la solitude de son cabinet, philosophe trivial comme une borne au coin des places et se donnant à voir, au surplus, « en tous états »). La gracieuse souplesse de ses manières est celle d’un homme d’esprit : présenté, dans les Caractères, comme antithèse de l’automate (voir en particulier De l’homme, 142), l’homme d’esprit se caractérise en effet par son habileté à « se tourner et se plier en mille manières agréables et réjouissantes 32 » (entendons mille manières, agréables et réjouissantes, de faire et de dire). L’aptitude à la varietas est donc avec l’enjouement, dont elle est étroitement solidaire, une caractéristique essentielle du philosophe trivial. Et ces deux qualités se marquent dans la facture épigrammatique de son adresse à l’homme d’affaires.
3. Le tour et le jour : enargeia
11Qu’il y ait mille manières de badiner en philosophe-honnête homme — c’est-à-dire, pour parler comme Chamfort, de briser en riant les faux poids et les fausses mesures qu’on applique aux hommes et aux choses —, c’est ce que montrent bien, dans les Caractères, les nombreuses métamorphoses du philosophe et le tourbillon des masques qu’il arbore (Socrate 33, Antisthène 34, Antisthius 35, Démocrite ou Esope 36…, pour ne citer que les plus notoires) : du sourire de Socrate aux pitreries d’Antisthène (qui tombe en syncope à la vue d’un livre et ne se résout à publier un traité de philosophie qu’en qualité de « vendeur de marée »), c’est tout le nuancier de l’enjouement — tout l’éventail des états d’épigramme — qui se trouve là déployé.
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37 Sur cet aspect, voir en particulier la réflexion de Louis van Delft, « La ...
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38 Des ouvrages de l’esprit, 34.
12Aussi bien la figure du philosophe trivial — figure anamorphique et métamorphique que la variété des tours, des tons et des postures, de remarque en remarque et de chapitre en chapitre, voile et dévoile en même temps — est-elle plus complexe et plus complète que ce premier crayon ne le laisse penser. Si, comme nous l’avons admis par hypothèse, elle préfigure le portrait chamfortien de l’honnête homme en état d’épigramme, c’est aussi dans la mesure où l’attitude du Spectateur 37 se superpose en elle à celle de l’honnête homme ; c’est dans la mesure où l’état d’épigramme — cette gaieté qui se fait style — naît du regard posé sur le spectacle du monde (le motif de la « chambre obscure », véritable dispositif optique, est à cet égard essentiel dans le texte de Chamfort) ; c’est dans la mesure, donc, où l’enjouement naît du discernement. Avant Marivaux (qui du reste lui en est en partie redevable), La Bruyère a tracé le portrait du « philosophe » en Spectateur : « Le philosophe consume sa vie à observer les hommes, et il use ses esprits à en démêler les vices et les ridicules […] 38 ».
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39 Voir à ce sujet cet autre portrait du philosophe en spectateur dans Le Ban...
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40 Cette ambivalence n’est pas faite pour surprendre, en un temps où l’urbani...
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41 E. Méchoulan, Ecrire au dix-septième siècle, Agora Presses Pocket, p. 336.
13Riche des tensions qui la travaillent, la figure du philosophe trivial se complique à ce point d’une dimension nouvelle dont son ancrage « au coin des places » reçoit un supplément de sens : signe de son insertion dans l’espace de l’urbanité, cet ancrage est aussi, concurremment, celui de son immersion dans le tumulte coloré de la place de ville, image en réduction du théâtre du monde 39. Le régime de la curiosité entre donc en concurrence avec celui de la conversation, et le carrefour comique avec l’agora socratique 40 ; semblable à une « représentation muette », à une petite « pièce sans masque et sans théâtre » (selon le mot du P. Le Moyne), le caractère advient dans l’ordre du regard : « l’acuité des Caractères », note E. Méchoulan, procède assez largement du « déplacement effectué entre l’autorité déléguée au langage jusque-là et la nouvelle position de force de la représentation et de la vision 41 ».
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42 Voir, par exemple, Des grands, 45 : « Aristarque se transporte dans la pla...
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43 De la ville, 11.
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44 Nous faisons référence à la typologie de Gracián.
14La place de ville, au reste, est un lieu de parade — espace de l’indiscrétion et de l’ostentation 42 : on y regarde ou l’on s’y donne à voir. Le moraliste-spectateur y fait défiler ses fantoches, à commencer par la cohorte innombrable des « importants », appliqués à parader sur le « théâtre de leur vanité 43 ». Clitiphon est précisément de ceux-là. On objectera que, loin de s’offrir au regard, il est celui qui s’y soustrait : mais ce n’est jamais là qu’une exhibition retournée, une parade en creux, puisqu’il exhibe par ce biais — « par ne [se] pas laisser voir » (le tour, archaïque, est particulièrement suggestif) —, en homme vain qu’il est, les signes de son importance présumée ; il est tout entier dans cette mise en scène. Clitiphon, du reste, est consubstantiel à la scène, comme son nom l’indique — un nom tiré de l’Heautontimoroumenos de Térence où il est celui que l’on expulse et que l’on ne veut pas recevoir (plaisant retournement, bel exemple aussi de « pointe sur le nom 44 ») :
45 Térence, Heautontimoroumenos, Acte IV, sc. VI, trad. P. Grimal, Gallimard,...
CLITIPHON, se croyant seul : Il n’est rien de si facile qui ne devienne difficile, si on le fait contre son gré ; ainsi, ma promenade, aussi peu fatigante qu’elle ait été, m’a épuisé ; et je ne crains rien tant maintenant que d’être à nouveau expulsé d’ici, pauvre de moi, et empêché d’approcher Bacchis 45.
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46 De la ville, 13.
15La parade (en creux) de l’important constitue de facto le philosophe en Spectateur. Mais le regard est bien celui d’un philosophe, non d’un badaud. Au rebours du « spectateur de profession 46 », avatar du Nouvelliste théophrastien — dont le caractère en forme d’inventaire mime le débit de ses nouvelles (menue monnaie d’une société qui s’épuise en de menus vertiges) et l’émiettement de sa conscience —, le philosophe des Caractères pose sur les hommes un regard critique et distancié, qui nourrit en lui le dessein « de les rendre meilleurs » (tout comme il s’applique, dans la solitude de son cabinet, « par la connaissance de la vérité à régler [s]on esprit et devenir meilleur ») ; il nous faut revenir, à cet égard, sur le portrait du Spectateur :
47 Des ouvrages de l’esprit, 34.
Le philosophe consume sa vie à observer les hommes, et il use ses esprits à en démêler les vices et les ridicules ; s’il donne quelque tour à ses pensées, c’est moins par une vanité d’auteur, que pour mettre une vérité qu’il a trouvée dans tout le jour nécessaire pour faire l’impression qui doit servir à son dessein. Quelques lecteurs croient néanmoins le payer avec usure, s’ils disent magistralement qu’ils ont lu son livre, et qu’il y a de l’esprit ; mais il leur renvoie tous leurs éloges […] : il demande des hommes un plus grand et un plus rare succès que les louanges, et même que les récompenses, qui est de les rendre meilleurs 47.
Le philosophe n’est donc pas seulement celui-là qui sait voir (« observer les hommes ») ; il se doit également de faire voir (« mettre une vérité qu’il a trouvée dans tout le jour nécessaire »). Et c’est précisément à cet effet — à cet effet seulement — qu’il lui arrive de donner « quelque tour à ses pensées » : l’élégance et l’acuité de l’expression (le tour) se justifient par cela seul qu’elles confèrent évidence et relief à l’objet, qu’elles constituent le style en instrument d’optique.
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48 Voir B. Roukhomovsky, « Le montreur de caractères : La Bruyère et l’imagin...
16En d’autres termes, le projet moral du philosophe (son dessein) ne va pas sans une stratégie rhétorique (quelque tour) fondée sur les vertus de l’enargeia (le jour) : or il s’agit là d’un autre point de contact, et non moins essentiel, entre l’écriture de La Bruyère et le modèle épigrammatique, dans la mesure où l’épigramme en général et sa pointe en particulier sont marquées au coin d’une esthétique de l’évidence et que leur efficacité relève, pour une part essentielle, de l’enargeia. Sous ce rapport aussi l’adresse à Clitiphon porte exemplairement la trace d’une contamination générique (du caractère par l’épigramme). Elle consiste, globalement, dans le développement d’une antithèse (homme d’affaires vs hommes de lettres), procédé — récurrent dans les Caractères — de mise en évidence, que La Bruyère définit précisément comme tel dans la remarque 55 de son premier chapitre, c’est-à-dire comme « opposition de deux vérités qui se donnent du jour l’une à l’autre » : donner « du jour » — maître mot, décidément, d’une esthétique de l’évidence —, c’est le moyen de donner un supplément de visibilité à ces deux caractères opposés (le philosophe et l’important), de les « mettre dans tout le jour nécessaire ». Il y a là, une fois encore, la transposition stylistique d’une posture que le philosophe au coin des places fait sienne en mainte page : celle du montreur de caractères 48.
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49 P. Laurens, ouvr. cité, p. 26.
17Particulièrement efficace est, de ce point de vue, la concision du parallèle final (dernier segment), qui constitue la pointe ou conclusion de cette épigramme en prose en ce sens que les deux caractères précédemment développés — celui de Clitiphon, d’abord, dans le premier segment, celui du philosophe, ensuite, dans le second — s’y trouvent pour finir vigoureusement condensés, d’un trait de plume, en deux figures stylisées qui se font exactement pendant (l’homme-ours, le philosophe au coin des places) et qu’elles accèdent alors à l’universalité (effacement des première et deuxième personnes). Par son format, mais aussi par sa forme (formulation générale, présent gnomique) et par la rupture qu’il introduit, du coup, dans le dispositif énonciatif (passage à la troisième personne), ce dernier segment constitue de fait l’équivalent d’une inscription : épigramme dans l’épigramme, il est au diptyque qui le précède (les deux premiers segments) ce que la formule inscriptionnelle est au monument ou, dans l’emblème, à la figure ; par sa forme et par son format, il a vocation à se graver « en l’esprit aussi nettement que jadis le message inscrit sur la pierre 49 » et, partant, à permettre au philosophe de « faire l’impression », littéralement, « qui doit servir à son dessein ».
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50 Selon la pertinente formule de J. Lafond.
18Alliance de l’enargeia et de l’energeia, l’acuité de la conclusion doit beaucoup à l’étrange figure de l’homme-ours : cette ingénieuse hybridation, pointe dans la pointe, nous intéresse ici tout spécialement dans la mesure où, stylisation emblématique de l’humanité déshumanisée dont le livre de La Bruyère est presque tout entier peuplé, elle ressortit à cette « écriture de l’absence 50 » qui met à distance cela même qu’elle met en évidence, qui éloigne cela même qu’elle grossit. Qu’est-ce à dire ? sinon que, décidément, l’écriture épigrammatique se constitue, chez La Bruyère, en un dispositif optique, qu’elle est l’organe (stylistique) d’un regard, la transposition (stylistique) d’une vision.
19Il est permis de penser qu’en se peignant en philosophe « trivial », La Bruyère tend à situer le lieu de son propre discours dans un espace esthétique et rhétorique en forme de carrefour, à la jonction des diverses traditions qui se conjoignent dans son œuvre.
20Figure palimpseste et surdéterminée, à la fois Socrate au goût du jour et montreur de phénomènes, le caractère du philosophe au coin des places emblématise une pratique de l’entretien réglée sur les préceptes de l’honnêteté et, concurremment, une pratique de l’observation morale façonnée par le modèle scopique ou théâtral. Le modèle épigrammatique, nous avons tenté de le monter, fournit au moraliste le moyen de concilier ces deux postures et de faire droit aux souples lois de l’urbanitas en même temps qu’aux impérieuses exigences de l’enargeia.
21C’est aussi parce qu’elle subsume en elle ces deux postures que l’attitude du philosophe trivial peut être à bon droit rapprochée, croyons-nous, de cet « état d’épigramme » dont Chamfort proposera l’anatomie, et dont l’histoire mériterait d’être écrite.
Notes
1 Martial, Epigrammes, III, 99, éd. et trad. H. J. Izaac, Les Belles Lettres, 1969, p. 114.
2 K. H. Menhert, « Martial und La Bruyère », in Sal romanus und esprit français : Studien zur Martialsrezeption um Frankreich des XVIten und XVIIten Jahrhunderts, Bonn, Romanisches Seminar des Universität Bonn, 1970, 120-25 ; J. Dagen, « L’écriture épigrammatique des Caractères », in Il Prisma dei moralisti, Roma, Salerno ed., 1997, p. 193-210.
3 Martial, ouvr. cité, I, 114 et II, 55, p. 52 et 72.
4 Chamfort, Maximes et Pensées, § 339, éd. J. Dagen, Garnier-Flammarion, 1968, p. 127.
5 La Bruyère, Discours sur Théophraste, p. 71 (les références renvoient à l’édition procurée par E. Bury, Livre de Poche classique, 1995).
6 P. Quignard, Une gêne technique à l’égard des fragments, Fata Morgana, 1986, p. 155.
7 Préface des Caractères, p. 120-21.
8 Guillaume Colletet, Discours de l’épigramme, in L’Art poétique, Paris, A. de Sammaville, 1658, p. 43.
9 Selon la formule de P. Laurens : « Du modèle idéal au modèle opératoire : la théorie épigrammatique aux XVIème et XVIIème siècles », in J. Lafond (dir.), Le Modèle à la Renaissance, Vrin, 1986, p. 183-208.
10 P. Laurens, L’Abeille dans l’ambre. Célébration de l’épigramme, Les Belles Lettres, 1989, p. 241. L’auteur ne semble pas avoir eu connaissance de l’étude de Menhert.
11 Ouvr. cité, p. 54.
12 Voir B. Roukhomovsky, Lire les formes brèves, Nathan, 2001, p. 115-132.
13 Elle pourrait en outre servir de point de départ à une enquête élargie à d’autres formes de l’écriture morale (fable, maxime, anecdote…) dont on peut penser qu’elles sont redevables, à des degrés divers, au modèle épigrammatique.
14 C’est-à-dire dans le temps même où, notons-le, l’essor de la poésie fugitive ouvre à l’épigramme une carrière nouvelle. Sur ce sujet, voir S. Menant, La Chute d’Icare. La crise de la poésie française (1700-1750), Droz, 1981.
15 Soubeiran de Scopon, Considérations sur le génie et les mœurs de ce siècle, Paris, 1749, chap. XV : « Caractères », p. 79.
16 Aussi bien, d’ailleurs, que chez Martial : P. Laurens l’a démontré.
17 Voir par exemple : F. Charpentier, La Vie de Socrate, 2nde édition, Paris, A. de Sommaville, 1662. Il est de notoriété publique, rappelle par ailleurs Erasme dans Le Banquet religieux, que « le philosophe Socrate […] avait une préférence pour la vie citadine : les villes pouvaient en effet […] satisfaire son désir de connaissance, tandis que la campagne lui offrait sans doute des arbres, des jardins […] agréables à l’œil, mais ne lui disait rien et par conséquent ne lui apprenait rien non plus. » (Colloques, éd. et trad. E. Wolff, Imprimerie Nationale, 1992, t. I, p. 142-43).
18 F. Charpentier, ouvr. cité, p. 37.
19 E. Bury, « Le sourire de Socrate ou peut-on être à la fois philosophe et honnête homme », in Le Loisir lettré à l’âge classique, Droz, 1996, p. 211. Analyse développée dans Littérature et politesse. L’invention de l’honnête homme (1580-1750), PUF, 1996.
20 Loge : « Espèce de petite cabane ouverte par devant et faite ordinairement de branchages, ou de terre avec de la paille. » (Richelet).
21 R. Zuber, « L’Urbanité française », in Les Emerveillements de la raison. Classicismes littéraires du XVIIe siècle français, Klincksieck, 1997, p. 151.
22 Pellisson, Discours sur les œuvres de Monsieur Sarasin, in J.-F. Sarasin, Œuvres, éd. Festuguière, Champion, 1926, t. I, p. 120.
23 Guez de Balzac, De la conversation des Romains, in Œuvres complètes, Paris, L. Billaine, 1665, t. 2, p. 434.
24 Voir De la société et de la conversation, 4 : « […] pour badiner avec grâce, et rencontrer heureusement sur les plus petits sujets, il faut trop de manières, trop de politesse et même trop de fécondité : c’est créer que de railler ainsi, et faire quelque chose de rien ».
25 Voir l’éloge de La Fontaine dans le Discours prononcé dans l’Académie Française : « Un autre, plus égal que Marot et plus poète que Voiture, a le jeu, le tour et la naïveté de tous les deux ; il instruit en badinant […]. »
26 Des ouvrages de l'esprit, 57.
27 De la chaire, 12.
28 A rapprocher de la couleur romaine du caractère de Dorus (Des biens de fortune, 20). La Bruyère se plaît à brouiller réalités antiques et contemporaines.
29 Selon Littré : « Dans les ménageries, petites chambres où l’on enferme les bêtes féroces. La loge du lion. La loge du tigre ».
30 Cité par C. Chantalat, A la recherche du goût classique, Klincksieck, 1992, p. 170.
31 Du mérite personnel, 42. Nos italiques.
32 Des grands, 26. A rapprocher de l’eutrapélie : selon Bossuet « le terme d’eutrapelos signifie un homme qui se tourne aisément de tous côtés […], qui se revêt de toutes sortes de formes pour divertir le monde » (cité par D. Bertrand, Dire le rire à l’âge classique. Représenter pour mieux contrôler, PUP, 1995, p. 111).
33 Des jugements, 66.
34 Des jugements, 21.
35 Des jugements, 67.
36 Des jugements, 119.
37 Sur cet aspect, voir en particulier la réflexion de Louis van Delft, « La Bruyère ou Du Spectateur », texte repris en tête de son édition des Caractères, Imprimerie Nationale, 1998.
38 Des ouvrages de l’esprit, 34.
39 Voir à ce sujet cet autre portrait du philosophe en spectateur dans Le Banquet des conteurs : « Pythagore divisait la foule du marché en trois catégories : les uns étaient venus pour vendre, d’autres pour acheter. Il disait que ceux-ci comme ceux-là étaient inquiets, et donc malheureux ; d’autres ne venaient sur la place que pour regarder ce qui était exposé à l’étalage et ce qui se passait. Eux seuls étaient heureux, parce que, exempts de soucis, ils jouissaient d’un plaisir gratuit. Et le philosophe, disait-il, est dans une quatrième catégorie d’hommes, qui rôdent, sans acheter ni vendre et ne regardent pas en oisifs, mais en observateurs préoccupés de découvrir sur quoi ils pourraient faire main basse. » (Erasme, Colloques, trad. J. Chomarat et D. Ménager, Laffont, 1992).
40 Cette ambivalence n’est pas faite pour surprendre, en un temps où l’urbanité n’est plus liée à la ville que par son nom, c’est-à-dire en un temps où, selon l’heureuse formule de R. Zuber (article cité, p. 156), l’offensive contre les travers de l’homme de ville (offensive dont le chapitre De la ville fournit un bon exemple) tend « à dés-urbaniser les uns pour sur-urbaniser les autres, à imposer l’opinion qu’une langue et qu’un goût régis par les normes de la cour traduisent mieux les valeurs de la ville qu’une langue et qu’un goût créés par ces hommes de la ville que sont les juges et les savants ».
41 E. Méchoulan, Ecrire au dix-septième siècle, Agora Presses Pocket, p. 336.
42 Voir, par exemple, Des grands, 45 : « Aristarque se transporte dans la place avec un héraut et un trompette, celui-ci commence, toute la multitude accourt et se rassemble ; écoutez, peuple, dit le héraut ; soyez attentif ; silence, silence, Aristarque que vous voyez présent doit faire demain une bonne action […]. »
43 De la ville, 11.
44 Nous faisons référence à la typologie de Gracián.
45 Térence, Heautontimoroumenos, Acte IV, sc. VI, trad. P. Grimal, Gallimard, 1990, p. 169.
46 De la ville, 13.
47 Des ouvrages de l’esprit, 34.
48 Voir B. Roukhomovsky, « Le montreur de caractères : La Bruyère et l’imaginaire de la foire », in La Bruyère. Le Métier du moraliste, Champion, 2001, p. 35-48.
49 P. Laurens, ouvr. cité, p. 26.
50 Selon la pertinente formule de J. Lafond.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Bernard Roukhomovsky
Université Grenoble Alpes (2002 : Université Stendhal Grenoble 3)