La Réserve : Livraison à deux voix
Du commentaire à la méditation, de la méditation au commentaire : le parcours exégétique de Jean de Sponde
Initialement paru dans : Jean de Sponde : un humaniste français dans la tourmente, éd. V. Duché-Gavet, S. Lardon, G. Pineau, Paris, Éditions Classiques Garnier, 2012, p. 95-115
Texte intégral
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1 Homeri quae extant omnia. Ilias, Odyssea, Batrachomyomachia, Hymni, Poemati...
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2 Je n’entre pas ici dans les considérations qu’appelle nécessairement le gen...
1L’œuvre en prose de Sponde, on le sait, présente au moins deux aspects : des commentaires latins de poèmes antiques, l’Iliade et l’Odyssée d’Homère en 1583, Les Travaux et les jours d’Hésiode en 1592, et les Méditations sur les psaumes de 1588, en français, dédiées à Henri de Navarre1. Ces trois œuvres ont pour caractéristique commune d’être des œuvres d’exégèse, des œuvres qui se construisent et se développent à partir d’un texte premier, les poèmes grecs ou les psaumes2.
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3 Dans l’épître dédicatoire de son commentaire du poème d’Hésiode, Les Travau...
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4 C’est l’objet de la deuxième partie des « Prolégomènes à Homère », intitulé...
2Pourquoi ce goût pour l’exégèse, pour l’interprétation, qu’elle s’exprime sous la forme du commentaire ou sous celle de la méditation ? La carrière de Sponde (maître des requêtes puis lieutenant général à La Rochelle) n’est pas celle d’un professeur, ce qu’il a peut-être regretté3. Ses épîtres dédicatoires témoignent de son désir fervent de défendre la littérature antique, ce qu’il fait avec passion dans les « Prolégomènes à Homère » ; et en même temps, de chanter les louanges de Dieu, ce qui est pour lui non seulement la mission du commentateur mais celle du poète4.
3Je voudrais montrer qu’au fond, les commentaires et les méditations poursuivent le même but et qu’une lecture rhétorique des proses de Sponde, latine et française, permet de mettre au jour la parenté entre ces deux types de texte : dans les commentaires comme dans les méditations, Sponde témoigne de la même exigence didactique et du même désir de pourfendre l’impie ou le tiède pour le ramener à Dieu. Ce rapprochement, pour hasardeux qu’il puisse paraître, nous conduira à interroger le parcours « littéraire » de Sponde : Homère, « David », Hésiode. Quelle justification peut-on proposer de ces choix ?
Du commentaire à la méditation
4Dans les « Prolégomènes à Homère », Sponde défend un projet fondamentalement chrétien qu’il étaye à la fois sur une recherche raisonnée de l’origine de la Poésie et sur une série de citations tirées des auteurs antiques. La Poésie naît en effet du culte de la divinité, son premier et unique rôle est de célébration. Bien sûr, les « sources limpides » du culte du vrai Dieu ont été souillées après le déluge : Noé et ses descendants n’ont pu en maintenir l’unicité et la pureté. Mais il en reste des traces, qu’il faut repérer dans les œuvres des poètes antiques. Le travail du commentateur d’Homère sera donc une longue et patiente recherche des vestiges de la vraie connaissance de Dieu chez le poète grec, celui dont l’œuvre s’intéresse à toutes les réalités de la vie humaine et qui propose de magnifiques exemples de vertu. Dans cette tâche hautement difficile qu’il entreprend, le commentateur prend assurance sur une vertu qui paraît inattendue : la piété. Le commentaire d’Homère, poète pieux, est l’œuvre d’un homme pieux, destinée d’abord à de pieux lecteurs, et non à ces juristes ou théologiens impies, qui semblent refuser avec le même mépris Dieu et la Poésie. Car dans l’esprit de Sponde, les deux notions sont indissociables et la deuxième partie des « Prolégomènes à Homère » s’achève sur une curieuse prière au Dieu de la Poésie :
5 « Prolégomènes à Homère », éd. citée, p. 29. Sponde joue ici visiblement su...
Tu uero, Deus Poeticae, Deus Optimus Maximus dum hoc studium cum tanto pietatis studio pro uiribus meis excolo, fauoris tui cornu in meam operam defunde, ut quam apud proteruam istam mortalium turbam, gratiam non consequor, apud te Deus Optimus maximus consequar5.
Et toi, Dieu de la Poésie, Dieu de Grandeur et d’Excellence, pendant que je poursuis cette étude avec autant de piété et de zèle que me le permettent mes propres forces, répands sur mon œuvre l’abondance de ta faveur, afin que j’obtienne auprès de toi, Dieu de Grandeur et d’Excellence, la reconnaissance que je n’obtiens pas auprès de l’impudente foule des mortels.
5À la fin du commentaire à l’Iliade, on trouve une autre prière adressée à Dieu qui procède du même principe :
6 Commentaire à l’Iliade, éd. citée, p. 427.
Interea tu Deus Opt. Max. cuius auspiciis Opus hoc inchoaui, et ad aliquem tandem finem perduxi, sanctae illius tuae benedictionis cornu in has uigilias defunde, sine qua aridum et exangue et, quicquid exarat mortalitas. Et ut passim in illo operam nauaui, quam potui, sedulam, ut sacrosanctum tuum nomen ex antiquis illis tenebris, in quibus tu quoque radiare aliquantulum uoluisti, in apricum eruerem : fac ut imposterum ego a semitis tuis ne transuersum quidem unguem deflectam, ac istis Ethnicorum profanorumque scriptorum maeandris euripisque non abripiar, sed solidam illam pietatem unice prosequar et amplectar. Cum autem ex hac statione, in qua tu me collocasti, decedere iubebis, fac Deus, Deus Opt. Max. ut in eorum asciscar numerum, quibus tu ante iacta mundi fundamenta aeternam felicitatem in coelis adornasti, per eum uerum Deum uerumque hominem, filium tuum unigenitum, redemptorem nostrum Jesum Christum, qui tecum ante secula et in secula uiuit et regnat cum Spiritu sancto ineffabili Trinitate. Amen6.
Toi cependant, Dieu de Grandeur et d’Excellence, c’est sous tes auspices que j’ai commencé cet ouvrage et que je l’ai mené à terme : répands sur le labeur de mes veilles l’abondance de ta sainte bénédiction, sans laquelle est aride et exsangue toute production mortelle. Et de même qu’en tout lieu autant que je l’ai pu, j’ai consacré mon zèle et mon énergie à tirer à la lumière ton sacrosaint nom de ces antiques ténèbres dans lesquels tu as voulu aussi qu’il brille un peu, fais qu’à l’avenir je ne m’écarte pas d’un pouce de tes sentiers, que je n’en sois pas détourné par les méandres et les fossés des écrivains païens et profanes, mais que je poursuive et embrasse tout particulièrement la ferme piété. Et lorsque tu m’ordonneras de quitter ce poste où tu m’as placé, fais, Dieu, Dieu de Grandeur et d’Excellence, que je sois admis au nombre de ceux auxquels tu as préparé dans les cieux, avant de jeter les fondements du monde, une félicité éternelle, par ce vrai Dieu et vrai Homme, ton fils unique, notre rédempteur Jésus-Christ, qui vit avec toi avant les siècles et pour les siècles, et règne avec l’Esprit Saint en l’ineffable Trinité. Amen.
6Ce dernier texte éclaire le double enjeu de l’entreprise exégétique d’un auteur qui a placé sa vie et ses travaux sous le regard divin. En reformulant le propos des « Prolégomènes » – les auteurs antiques, associés aux ténèbres (« ex antiquis illis tenebris »), n’ont pas occulté complètement le vrai nom de Dieu, qu’ils l’aient connu par une révélation incomplète (c’est ce que semble sous-entendre saint Paul dans Actes, 17, 23-26) ou qu’ils en aient eu connaissance par l’entremise des Égyptiens – Sponde donne au commentaire érudit un sens chrétien. Le commentaire est pour lui une entreprise de dévoilement du « sacrosaint nom » de la divinité : il faut mettre au grand jour, faire surgir en pleine lumière, révéler son sacrosaint nom (« sacrosanctum tuum nomen […] in apricum eruere »). Commenter les poètes antiques devient alors une entreprise qui se justifie à la fois par l’obscurité poétique – la fable et les figures – et par l’obscurité théologique dans laquelle est demeurée la figure de Dieu dans l’Antiquité.
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7 Dans son commentaire au chant XVI de l’Odyssée (éd. citée, p. 238), Sponde ...
7Sponde donne donc un nouveau sens à l’un des termes qui désignent au XVIe siècle l’activité du commentateur : illustrare, « donner de l’éclat ». Alors que, dans un commentaire d’auteur antique, il faut donner de l’éclat à l’œuvre commentée (c’est-à-dire à la fois expliciter ses obscurités et montrer son rayonnement culturel), chez Sponde, l’entreprise de l’homme de foi se superpose à celle du commentateur érudit, sans pour autant se confondre avec elle : illustrare, tout en conservant son sens premier, en vient à désigner tout particulièrement le travail du pieux commentateur qui arrache à la gangue païenne, aux ténèbres antiques, la figure de Dieu7.
8Or, faire briller le nom de Dieu ressortit assurément à la louange. Et c’est aussi la fonction assignée aux Méditations dans l’épître adressée à Henri de Navarre : « Quoy que Dieu fasse, il veut estre ou loué, ou invoqué », disait celui qui redoute « d’estouffer la gloire de Dieu par [s]on Silence ». Les Méditations elles-mêmes exaltent le nom du Seigneur :
8 Méditation sur le psaume XLVIII, éd. citée, p. 239-241.
Ton Nom est grand, Seigneur, et en ce Nom tout genouil ploye devant toy. Ton Nom est grand, comme tu es grand toy mesme. Mais quoy ? Tu es encore je ne sçay quoy plus que ce terme de grandeur ne represente. Nous comprenons les grandeurs ordinaires, mais nous ne comprenons point ta grandeur, Seigneur. Telle est ta Loüange, grande et infinie, c’est à dire, le subject de la loüange que ton peuple te chante, voire, qui s’estend jusqu’aux extremitez de la Terre. Celuy qui remplit toutes choses de son Essence, les remplit aussi de ses qualitez, mais en luy ces qualitez ne sont qu’Essence. Il est tout par tout, comme son Nom et sa loüange sont par tout8.
L’œuvre de louange qui s’ouvre avec le commentaire d’Homère va se poursuivre quelques années plus tard avec les Méditations, offertes au même roi.
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9 Meditations sur les Pseaumes, éd. citée, p. 193.
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10 Éd. citée, p. 159. Pour plus de détails, je me permets de renvoyer à mon S...
9Le projet des Méditations pourrait se définir comme celui de l’Homère : montrer l’éclat du nom de Dieu aux insensés qui nient son existence ou aux sceptiques qui la mettent en cause. La première méditation, sur le psaume XIV, est une patiente mise en lumière de la Divinité ; le début de la deuxième, sur le psaume XLVIII, conduit le lecteur/méditant à la prise de conscience de la grandeur de Dieu, une « grandeur incompréhensible » que la foi et la grâce peuvent seules rendre perceptible9. La méthode exégétique (j’entends par là la manière de comprendre et de faire comprendre le texte source) laisse même apparaître, sans surprise, quelques points communs : le recours à la Bible comme l’étalon à l’aune duquel juger des rapports entre les hommes et la divinité par exemple. Le commentaire au chant IV de l’Odyssée, évoquant le ravissement futur de Ménélas aux Champs Élysées, rappelle que dans la sacra pagina Hénoch et Élie ont pareillement été emportés au ciel. Et ce même exemple est repris par Sponde dans la Méditation sur le psaume XIV : « Ton Henoch, et ton Elie eurent bien plus de privilege. Que ne nous enleves tu dans ton sein, si tu ne nous veux perdre avec ces perdus ? »10
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11 Rappelons l’incipit de la Méditation sur le psaume L : « Ou suis-je, mon D...
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12 Éd. citée, p. 129.
10S’il n’est pas douteux que Sponde a trouvé dans la Bible une nourriture spirituelle plus riche – pour un chrétien, Homère ne peut rivaliser avec les Psaumes – la forme de la méditation, on peut en faire l’hypothèse, lui a surtout permis de donner libre cours à un désir polémique contraint, bridé par les exigences du commentaire. Car la polémique, déjà présente dans les « Prolégomènes à Homère » où Sponde vitupère contre les juristes incapables de voir la richesse de la littérature antique, n’apparaît que de façon sporadique dans le commentaire mais s’épanouit dans les méditations où elle constitue un palier important pour la louange de Dieu. Autrement dit, le commentaire et la méditation pourraient se lire, indépendamment des textes sources, comme deux manières de traiter un même sujet : qui est Dieu, où est Dieu et comment l’homme doit-il se conduire à l’égard de la divinité11. Et de le traiter pour un public non gagné d’avance, qu’il faut convaincre, stimuler, exhorter : « Il faut que je t’arrache la vérité à vive force », dit la méditation sur le psaume XIV12.
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13 Voir Philippe Chareyre, « Le Béarn, un état protestant au temps des Sponde...
11L’origine de ce désir de convaincre, qui se lit chez Sponde dans ses sonnets aussi bien que dans ses œuvres en prose et se traduit souvent par l’usage d’un style véhément, tient probablement à une formation initiale de pasteur que le jeune Sponde serait allé suivre à Genève sous la férule de Théodore de Bèze13. Sans qu’on sache encore pourquoi, Sponde a quitté Genève pour Bâle et la prédication pour le commentaire, recevant d’Henri de Navarre une charge de maître des requêtes pour son Homère au lieu de venir renforcer l’équipe pastorale de Jeanne d’Albret. Mais le jeune homme a sans doute pratiqué deux textes fondamentaux pour la pratique conjointe de l’exégèse et de la prédication chez les protestants, le De doctrina christiana de saint Augustin et les Elementa Rhetorices de Melanchthon. À côté des trois genres traditionnels, le délibératif, le judiciaire et le démonstratif, Melanchthon en théorise un quatrième, le « didascalique », qui s’appuie sur la méthode dialectique.
14 Mélanchthon, Elementa rhetorices (1532), Corpus Reformatorum XIII, col. 42...
Maxima autem uis, maxima utilitas est huius generis. Saepe enim homines de religione, de iure, de omni officio docendi sunt, ubi sine hac ratione patefieri res non queunt. Ac ne discere quidem ipsi, et recte complecti animo res difficiles et intricatas possumus, nisi hanc methodum sequamur, quae perfacilis est, si quis mediocrem exercitationem addiderit14.
Très grande est l’efficacité de ce genre, très grande est son utilité. Car les hommes doivent souvent être instruits de la religion, du droit, de tous leurs devoirs et, sans cette méthode, les notions ne peuvent être mises en lumière. Et nous ne pouvons assurément pas nous-mêmes apprendre des notions difficiles et complexes et les comprendre correctement, si nous ne suivons cette méthode qui est très facile si l’on y ajoute une pratique régulière.
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15 Si quis hoc modo animaduerterit Psalmum esse descriptionem Christi, et sin...
12Cette méthode doit donc servir principalement aux prédicateurs, pour enseigner la parole de Dieu. Mais elle peut aussi être utile pour expliquer et comprendre des textes qui relèvent du genre « didascalique » : ainsi le psaume 109, Dixit dominus, ne peut être réellement compris qu’en référant chacune de ses parties aux définitions dialectiques15.
13Le De doctrina christiana de saint Augustin reprend, au livre IV, la typologie antique en s’intéressant davantage aux moyens d’instruire ou de stimuler son auditoire.
Si docendi sunt qui audiunt, narratione faciendum est, si tamen indigeat, ut res de qua agitur innotescat. Vt autem quae dubia sunt certa fiant, documentis adhibitis ratiocinandum est. Si uero qui audiunt mouendi sunt potius quam docendi, ut in eo quod iam sciunt, agendo non torpeant, et rebus assenssum, quas ueras esse fatentur, accomodent, maioribus dicendi uiribus opus est. Ibi obsecrationes et increpationes, concitationes et coercitiones, et quaecumque alia ualent ad commouendos animos, sunt necessaria.
16 Augustin, De Doctrina christiana, IV, iv, 6 (Œuvres de saint Augustin, 11/...
S’il s’agit d’instruire les auditeurs, il faudra le faire à l’aide d’un récit, si toutefois il en est besoin pour rendre clair le sujet traité. Mais pour rendre certain ce qui est douteux, il lui faut procéder par des raisonnements appuyés sur des preuves. Si, en revanche, il s’agit plutôt d’émouvoir les auditeurs que de les instruire, pour les empêcher de s’endormir en traitant de ce qu’ils savent déjà, et pour les amener à conformer leur comportement aux idées qu’ils reconnaissent comme vraies, sa parole a besoin de plus grandes forces. Ici sont nécessaires supplications, invectives, mouvements passionnés, reproches, et tous autres procédés capables de remuer les cœurs.16
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17 De doctrina christiana, IV, iv, 38 : « At si non colatur, aut cum illo uel...
Augustin adopte ici la distinction cicéronienne entre docere et movere, deux fonctions qui se complètent dans la recherche d’un même but : défendre la vraie foi et enseigner le bien. Dans la suite de son ouvrage, tout en reprenant la distinction des trois styles, simple, modéré, élevé, Augustin souligne à plusieurs reprises que le style élevé doit être employé lorsqu’on incite quelqu’un de réticent à faire quelque chose. S’il s’agit d’enseigner, il faut utiliser le style simple (submisse) ; s’il s’agit de louer, le style tempéré (temperate) convient ; « mais si [Dieu] n’est pas honoré, ou si l’on honore avec lui, ou même plutôt que lui, des idoles ou des démons ou une créature quelconque, pour montrer quel grand mal c’est là, et pour détourner les hommes de ce mal, c’est bien évidemment en style sublime qu’il faut parler »17.
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18 Voir par exemple dans l’Iliade, le commentaire au chant X, p. 195 (« Haec ...
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19 Parmi de nombreux exemples, voir l’annotation au vers du chant XVI de l’Il...
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20 Éd. citée, respectivement p. 187 ("Mais pourquoy, mon Ame, pourquoy mesure...
14Or la parole de Sponde, dans le commentaire comme dans la méditation, est toujours une parole adressée : pour affirmer son interprétation, ses inquiétudes, sa foi, Sponde a besoin d’un interlocuteur, même fictif. Dans l’Homère, c’est le lecteur qui est constamment sollicité, invité à approuver telle interprétation, à récuser telle autre donnée par un commentateur mal informé, ou à juger par lui-même, lorsque le cas est douteux18. Parfois c’est Homère qui est pris à partie19. Les méditations poussent à l’extrême cette présence d’un destinataire dans le discours : Sponde s’adresse à son âme, à Dieu, mais surtout aux mortels, aux impies, à l’« effronté Diagore »20. Dans l’Hésiode, on la trouvera aussi, d’autant qu’elle fait écho à celle du destinataire des Travaux et les jours.
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21 Par exemple, dans le commentaire au chant XIII de l’Iliade, p. 242 : « Sed...
15De fait le lecteur de Sponde est double : d’une part c’est le pieux lecteur, prêt à suivre Sponde dans des comparaisons, parfois soulignées comme hasardeuses, entre textes profanes et textes sacrés21 ; d’autre part, c’est l’impie, ou du moins le débauché qu’on attaque, contre lequel on s’indigne, et cette cible est largement privilégiée dans les « Prolégomènes à Homère » et les Méditations. Enseigner aux hommes pieux (ou dont il faut raffermir la piété), attaquer les impies (pour les convaincre d’impiété, et peut-être les ramener à Dieu ou à la poésie), ce sont les deux buts que se donne Sponde pour lesquels il faut tout ensemble enseigner et stimuler, docere et mouere. Conformément aux préceptes d’Augustin, les deux styles (et les deux buts) se conjoignent bien souvent.
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22 Voir Josiane Rieu, ouvr. cité, p. 123 et suiv. ; et Sabine Lardon, L’Écrit...
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23 Éd. citée, p. 5.
16On a déjà montré la dimension didactique des méditations de Sponde, dans lesquelles domine cependant le style véhément ou sublime22. Je prendrai donc un exemple dans le commentaire d’Homère : l’annotation au v. 36 du chant I de l’Odyssée évoque le problème du mal que Sponde effleure aussi dans la première méditation. Lors du conseil des dieux, Zeus évoque Égisthe qui est mort, tué par Oreste, pour ne pas avoir suivi les avertissements divins23.
Historia Aegisthi tertio libro a Nestore exponitur. Nunc uero notandum est, quod Jupiter dicit, monitum a se fuisse Aegisthum per Mercurium, ne uel uxorem Agamemnonis duceret, uel eum interficeret, quia illi periculum idcirco ab Oreste impendebat. Vnde constat, existimasse illos ueteres hominibus actiones esse liberas tam bonas quam malas, adeo ut cum oblatam bonam non amplectantur, propria eorum culpa id contingat, quasi in eorum fuerit potestate, et per se illud amplecti ualuerint. Itaque cum malis conflictantur, nihil est, quae Iouis est sententia, quod nos Deos accusent, cum ipsi illa sibi soli creent. Annon enim possunt a flagitiis abstinere, cum a nobis moneantur ut abstineant ? Agnoscite, mortales, quanta sit uestra imbecillitas ad probitatem, quanta contra ad uitium procliuitas, ut uestris uiribus diffisi in Deo solo nitamini, monentemque attente audiatis : non quod in uobis facultas sit boni ulla, sed quia sine uobis in uobis gratia Dei ad bonum operari non potest, sine qua neque uos quicquam efficere potestis, quod uirtutem et probitatem sapiat. Cum ergo uos Deus ad uitam rectam exhortatur, et a praua deterret, cauete ne Aegisthi exemplum insequamini, sed Mercurium, hoc est diuinam uocem placidis excipite auribus, alioqui culpa tota uestra est, cum uos ita refractarios Numini exhibetis.
L’histoire d’Egisthe est exposée par Nestor au chant III. Mais il faut ici prêter attention à ce que dit Jupiter, qu’Egisthe a été averti par Mercure de ne pas épouser la femme d’Agamemnon ni de tuer ce dernier, parce qu’alors, Oreste serait pour lui une menace. Il est donc évident que ces anciens pensaient que les hommes avaient toute liberté d’agir en bien ou en mal de telle sorte que, s’ils ne choisissaient pas le bien offert, cela relevât de leur responsabilité, puisqu’ils auraient eu pouvoir et force de le choisir. C’est pourquoi, lorsqu’ils subissent des maux, ils n’ont aucune raison, c’est la sentence de Jupiter, de nous accuser, nous les Dieux, puisqu’ils sont eux-mêmes cause de leur apparition. Car ne peuvent-ils s’abstenir d’actions scandaleuses, puisque nous leur conseillons de s’en abstenir ? Reconnaissez, mortels, comme est grande votre incapacité à la vertu, comme est grande au contraire votre inclination au vice, pour que, vous défiant de vos propres forces, vous vous appuyiez sur Dieu seul, et l’écoutiez attentivement vous donner un avertissement : non qu’il n’y ait en vous aucune faculté de faire le bien, mais parce que sans vous, la grâce de Dieu ne peut en vous travailler au bien, grâce sans laquelle vous ne pouvez rien faire qui ait le goût de la vertu et de la probité. Donc puisque Dieu vous exhorte à une vie conforme au bien, et vous détourne d’une mauvaise, veillez à ne pas suivre l’exemple d’Egisthe, mais d’une oreille sereine, écoutez Mercure, c’est-à-dire la parole divine ; la responsabilité est vôtre tout entière, quand vous querellez ainsi la divinité.
17L’annotation commence par mettre l’accent sur un point important du texte homérique : Dieu n’est pas responsable du mal. L’argumentation se déploie logiquement : notandum est, quia, unde constat, itaque… Et soudain, une rupture, non dans l’argumentation (enim), mais dans le style, indiquée par la question oratoire, suivie de l’apostrophe aux mortels, dans une ample période bien balancée. Notons aussi le changement d’énonciateur : la formulation impersonnelle du commentaire cède la place à un dialogue fictif entre un nous (a nobis) qui détient la vérité (dont le référent est à la fois les dieux et Sponde), et un vous, celui des mortels revendicatifs qu’il faut sans cesse stimuler et ramener à la juste perception de la parole divine. L’annotation a donc une double fonction : didactique d’abord, elle se fait véhémente en prenant à partie le lecteur qu’elle cherche à émouvoir. En termes rhétoriques, on a ici affaire à une amplification où le commentateur-prédicateur souligne l’importance d’une question cruciale pour le christianisme.
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24 C’est peut-être là encore une trace de l’influence de saint Augustin qui m...
18Du commentaire d’Homère à la méditation sur le psaume, Sponde dénonce l’impiété, ou du moins l’ignorance et la négligence qui persistent chez ceux qui méprisent les avertissements de la Poésie ou de Dieu. Étudiant les poètes antiques et les dieux d’Homère, il reste un combattant de la foi, dont tous les actes, tous les mots servent à la gloire du Dieu chrétien24. Il ne semble pas qu’après 1588, le désir d’enseigner et de convaincre se soit apaisé chez Sponde. En témoignent les écrits apologétiques et polémiques qui marqueront la fin de sa vie, au service de la foi protestante puis de la foi catholique certes, mais toujours avec la même quête enfièvrée de la réponse à la question primordiale : « Où est Dieu ? ».
De la méditation au commentaire
19En 1592, Sponde est à La Rochelle, comme lieutenant général. Il a connu nombre de vicissitudes, sans doute fait quelque prison, mais il s’est marié et fréquente un milieu de juristes. Quatre ans après les méditations, Sponde renoue alors avec le commentaire, un commentaire qui n’est pas dédié, comme les œuvres précédentes, à Henri de Navarre, mais à Achille de Harlay. Lorsqu’il publie son commentaire des Travaux et les Jours d’Hésiode, quelle justification donne-t-il à son projet, commenter en humaniste un poème didactique ?
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25 Advertissement au roy, ou sont deduictes les raisons d’Estat pour lesquell...
20La dédicace à Achille de Harlay oppose la paix et la simplicité de la campagne aux tracas des affaires urbaines. Sponde proclame son désir de retraite et exprime le souhait de revenir à l’Antiquité que le service du roi l’a obligé à délaisser. Les arguments sont topiques mais ils trouvent un accent de vérité dans le fait que Sponde ne dédie pas son œuvre au roi : le commentateur semble abandonner le rôle de conseiller du prince qu’il s’était plu à jouer tant dans les préfaces au commentaire des poèmes homériques que dans celle des Méditations ou dans l’Advertissement25.
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26 « Ces paroles d’or vraiment, nous devons avec zèle les extraire de la piét...
21Dans le corps du commentaire, se lit cependant la poursuite du projet initial : chercher les traces du vrai Dieu dans les poèmes antiques, extraire les paroles d’or de la piété de plomb qui est celle des anciens (« quae plane aurea uerba ex plumbea illa alioqui pietate studiose a nobis eruenda sunt »)26. Les métaphores sont analogues, les problèmes évoqués se ressemblent. La question du mal, par exemple, est évoquée dans le commentaire au v. 15, avec le même souci d’exhorter le lecteur à la poursuite du bien :
Omnia praeuidet Deus, omnia praeordinat : mala quidem, non ut malorum author, sed quia et in malis nostris feracissima laudum eius seges quodammodo luxuriat, cum ea in nobis damnant, ὅτι αὐτὸς ἔφα (ultra quid quaeris homuncio, et abyssos Numinis quid concutis ?) in suum tamen decus utique detorquet. Vt delinqueres ergo praestituit Deus, quia in tui poena, imo et absoluta οὐθενώσει, purum illud gloriae illius iubar emicat. Caute dubitare desine. Tu porro in his rationibus pie et sancte ἔπεχε, interea tamen a sceleribus ἄπεχε. Quae enim uetat Deus, si tu in illa offenderis, peccas : nec te illa Dei προόρισις excusat, quam tu ignorabas, antequam offenderes. Tum te porro deploratae salutis sentiam, cum tu culpae tuae reum facies Deum, nec tibi soli potius insultabis, in quo et a quo tota mali labes, quam si non eluis, uae tibi cui poenitudinis fores occlusae sunt. Hae ἐν παρόδω.
Dieu a prévu toutes choses, il a tout fixé par avance : le mal certes, non parce qu’il serait auteur du mal, mais parce que, même dans le mal que nous commettons, ce sont pour ainsi dire ses louanges qui se moissonnent avec abondance, quand il le condamne en nous, parce qu’il l’a dit lui-même (que vas-tu chercher plus loin, misérable petit homme, que troubles-tu les abîmes de la Divinité ?), et en même temps surtout le tourne à son honneur. Dieu a donc fixé d’avance que tu commettrais une faute parce que dans ton châtiment, qui est néant absolu, resplendit le pur éclat de sa gloire. Cesse de douter par prudence. Prends appui pieusement et saintement sur ces raisons, tiens-toi éloigné du crime. Si tu manques à ce que Dieu interdit, c’est un péché que tu commets. Je te considérerai comme responsable de la perte de ton salut quand tu rendras Dieu responsable de ta faute, et que tu ne te couvriras pas d’insultes, toi seul, source et lieu de toute chute et de tout mal, plutôt que de te purifier : malheur à toi pour qui les portes du repentir sont fermées. Cela dit en passant.
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27 « Tu cours, et tu ne sens point que les jugemens de Dieu courent apres toy...
L’enseignement laisse place à l’exhortation, voire à l’indignation : du style simple, le commentateur passe au style « emporté », véhément, qui n’est pas sans rappeler le début de la dernière méditation27. Dès qu’il s’agit de la gloire de Dieu, Sponde se fait prédicateur.
22Moins ample que celui d’Homère, le commentaire d’Hésiode use des mêmes pratiques : la Bible est toujours un texte à l’aune duquel se juge la piété d’Hésiode, confronté aux psaumes ou à « Moïse ». L’épisode de Prométhée donne ainsi lieu à l’annotation suivante :
28 Annotation au vers 48.
Fieri hoc potuit ut Numen ab homine deciperetur ? […] Ista sunt ἀνθρωποπαθήματα, uel in Sacris paginis familiaria. Decipitur Deus fraudibus hominum, eorum instituti habita ratione, quibus hoc in animo est, Deo ueluti oculos configere, quasi non uideat lumen illud ἄσβεστον, quod nos fraudum nostrarum tenebris obruimus. Quodnam uero est istud Promethei ἐξαμάρτημα ; Ridiculum omnino, et piis auribus indignum, sed de quo tamen aniles garriunt fabulae, quibus adumbratum est quadamtenus primum humani generis πρωτόπλασμα28.
A-t-il pu se faire que la Divinité soit trompée par un homme ? Ce sont sentiments humains (anthrôpopathèmata), courants même dans la Sainte Écriture. Dieu est trompé par les fraudes des hommes, selon le raisonnement que tiennent ceux qui croient pour ainsi dire crever les yeux à Dieu, comme si cette lumière éternelle (asbeston) ne voyait pas ce que nous étouffons sous les ténèbres de nos fraudes. Qu’est-ce donc cette faute de Prométhée ? Un objet de risée, indigne des oreilles pieuses, mais de cette sorte dont le bavardage des vieilles femmes tire des fables où le premier créateur (prôtoplasma) du genre humain est grossièrement dépeint.
Mais lorsqu’Hésiode proclame « qu’il n’est nul moyen d’échapper aux dessins de Zeus » (commentaire au v. 105), Sponde applaudit à ce mot digne d’un pius Vates.
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29 Éd. citée, p. 159.
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30 Cicéron utilise le terme de commentatio pour désigner l’activité préparato...
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31 Voir par exemple le Dictionarium latinogallicum d’Estienne (1552) qui donn...
23Le commentaire d’Homère est au reste mentionné à plusieurs reprises, comme un travail de référence. Et c’est là que, dans le texte de Sponde, semble apparaître un glissement. Ces commentaires d’Homère sont d’abord nommés commentarii, selon l’usage et la dénomination qu’ils avaient sur la page de titre de l’édition d’Homère. Mais vers la fin du commentaire des Travaux et les jours, c’est le terme de commentatio que Sponde emploie29. Or commentatio désigne plutôt ce que nous appellerions un essai, qu’un commentaire continu qui suit l’ordre du texte commenté30. Commentatio était par exemple le terme utilisé pour désigner les « Prolégomènes à Homère ». Il est tentant de voir dans ce changement de terme, un autre point de vue du commentateur sur son œuvre, qui souligne l’importance de son propre texte, au détriment du texte source qu’est celui d’Homère, d’autant que les dictionnaires du temps soulignent la proximité de sens avec meditatio31.
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32 Trad. Paul Mazon, Paris, CUF, 1979, p. 87.
24Autre transformation perceptible dans la prose du commentateur Sponde : on remarque parfois dans l’Hésiode comme une identification de la voix du poète grec et de celle du commentateur. Le texte des Travaux et les jours s’y prête, puisqu’il s’agit d’un poème didactique où le poète délivre ses conseils à un interlocuteur souvent pris à partie, son frère Persès. Ainsi, lorsqu’il commente le v. 41 (« [ils ne savent pas] quelle richesse il y a dans la mauve et l’asphodèle »32) :
Malim, inquam, his sponte nascentibus herbulis, et manu mea excerptis, uitam quantumuis languescentem trahere, quam per iniustas illas δωροφαγίας, splendidioris uitae luxuria et fastu intumescere.
Je préfèrerais, dis-je, traîner une vie languissante, soutenue par ces plantes qui poussent d’elles-mêmes et que j’aurais cueillies de ma main, plutôt que de devoir à ces injustes « orgies de présents » (dôrophagias) de m’élever dans la luxure et le faste d’une vie splendide.
Le changement de personne et surtout la présence d’un je semblent illustrer l’appropriation du texte par le commentateur. La voix de Sponde se superpose alors à celle du poète (auquel on peut aussi indirectement attribuer une telle déclaration), dans un procédé qui n’est pas sans rappeler l’effet de multiplication des voix dans la méditation où le je du psalmiste s’enrichit de ceux du méditant et du lecteur.
25Plus fréquents cependant sont les exemples d’énoncés proches de la prédication. Dans l’annotation au v. 283, à propos du respect des serments (« celui qui de propos délibéré, appuie d’un serment des déclarations mensongères et, par là, blessant la justice, comme le crime inexpiable […] »), le commentateur prend appui sur le texte d’Hésiode pour inviter son lecteur à fuir le mensonge :
Apage ergo uocem illam Hippolyti apud Euripidem Ἠ γλῶσσ’ ὁμώμοχ’, Ἠ δὲ φρὴν ἀνώμοτος. Frustra enim ueritatem animi mendacio tegis, et te ipsum tibi statuis hostem, ac linguae officio, quae animi index est, ad uanitatem abuteris. Apage rursum impium illum Dionysium profitentem, talis pueros, periuriis decipiendos esse homines. Nos Hesiodo auscultemus.
33 Ouvr. cité, p. 101. La citation d’Euripide est tirée d’Hippolyte porte-cou...
Fuis donc ce mot de l’Hippolyte d’Euripide : « Ma langue l’a juré, mais non ma conscience ». Car c’est en vain que tu couvres du mensonge la vérité de ta conscience, que tu te fais ennemi de toi-même, et que tu fais servir ta langue, qui est le révélateur de ta conscience, à la vanité. Fuis encore ce Denys impie qui déclare que, comme les enfants, il faut tromper les hommes par des serments. Nous, écoutons Hésiode33.
Nous retrouvons l’amplification déjà mentionnée dans l’Homère. Le recours à l’anaphore (apage) fait tendre à nouveau le commentaire vers le sermon. Le glissement semble même plus facile pour le commentateur des Travaux et les jours, où la structure énonciative favorise, comme d’ailleurs chez le psalmiste, l’interpellation du destinataire.
26Au terme de ce rapide tour d’horizon, deux conclusions :
1) il n’y a pas chez Sponde de frontière nette entre le genre de la méditation et le genre du commentaire, alors même que l’objet de la méditation est un texte sacré quand celui des commentaires est profane. Dans les deux cas, l’auteur explique (commente ou médite) pour convaincre son lecteur du bien-fondé de principes moraux et théologiques. Et cela en latin comme en français, la prose française de Sponde présentant au reste bon nombre de tournures propres à la langue latine dont le méditant cherche à imiter la densité.
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34 Olivier Millet, Calvin et la dynamique de la parole. Étude de rhétorique r...
2) la permanence de procédés stylistiques semblables ne doit pas cependant dissimuler la différence fondamentale des types de discours utilisés, qui se traduit dans chaque œuvre par la présence marquée d’un style dominant. Les méditations, sans laisser de côté le désir d’enseigner, sont écrites, ornées, mais soucieuses principalement d’émouvoir : y domine l’ardor augustinienne que le sujet, sublime, appelle. Le commentaire en revanche, privilégie le style simple (l’enseignement), comme attendu, mais a parfois recours à l’exhortation, donc au style véhément, qui renverrait, comme dans la lecture que Calvin fait de saint Paul, à une « situation », à une « attitude » devant la nonchalance et l’hypocrisie humaines34. Autrement dit, la distinction entre les méditations et les commentaires ne se fait pas tant entre deux types de texte, textes profanes et textes sacrés, ou entre deux langues (latin et français), qu’entre deux styles, style simple et style élevé, entre deux buts, dont l’un, enseigner, domine dans le commentaire, et l’autre, émouvoir, domine dans les Méditations. Le texte homérique ou hésiodique est tout autant prétexte à enseignement que le texte du psalmiste. Mais le genre choisi, commentaire ou méditation, commande le choix du style dominant.
27On soulignera donc, une fois de plus, la cohérence de l’œuvre de Sponde, la constance d’un projet littéraire qui s’exprime certes par un acte de foi, mais surtout contre l’adversaire qu’il faut exhorter ou fléchir. Ce qui conduit le lecteur moderne à s’interroger sur les raisons des choix de Sponde : pourquoi Homère, « David », Hésiode, quand sa formation et le contexte troublé dans lequel il a vécu semblaient le pousser à la méditation des textes saints ? On peut bien sûr évoquer l’ambition de la jeunesse avec l’Homère, la méditation sur la grandeur de Dieu, dans l’air du temps, ou les désillusions de l’âge mûr pour le retour à un poète de la campagne. Mais il faut aller plus loin.
Homère, « David », Hésiode : un parcours poétique
28J’ai éludé jusqu’à présent une question cruciale : celle de la valeur littéraire ou poétique des auteurs que Sponde commente. De fait, c’est une question que Sponde élude aussi. On le comprend dans les méditations : ce n’est pas la préoccupation du genre. Mais la chose est moins évidente lorsqu’il s’agit de commentaire de poètes anciens, tout particulièrement d’Homère, père de l’épopée, le grand genre, s’il en est, au XVIe siècle. Or, nulle part dans le commentaire d’Homère, Sponde ne s’interroge sur ce genre. Ce n’est pas que les considérations stylistiques et rhétoriques soient absentes du commentaire : le début du commentaire au chant I de l’Iliade examine ainsi les diverses modalités de l’incipit et y analyse le choix d’Homère. Bien des annotations soulignent la recherche de telle ou telle image, dans un repérage des elegantia homériques. Mais ce n’est visiblement pas le plus important pour le commentateur. De même, chez Hésiode : le corps du commentaire contient peu de remarques stylistiques, au regard des remarques à caractère moral ou religieux. Le choix des Travaux et les Jours y invite : poème didactique, il suggère le commentaire éthique.
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35 Du reste, Sponde les associe dans les « Prolégomènes à Homère », éd. citée...
29On peut donc proposer une première justification du choix des trois auteurs qui va dans le sens de cette cohérence que nous avons soulignée : tous trois invitent à la réflexion morale et religieuse. C’est à ce type de poésie que s’intéresse Sponde qui limite cependant son corpus à ce qu’on pourrait appeler des « poètes de l’origine ». Les « Prolégomènes à Homère » soulignaient que les vestiges de l’antique et véridique culte de Dieu pouvaient encore se lire dans les premières œuvres poétiques. Le lien étroit entre la poésie et le culte de la divinité qui lui a donné naissance justifie que l’on cherche Dieu chez les poètes des premiers temps, qu’il s’agisse des poètes bibliques (David, Moïse) ou de ceux de l’Antiquité païenne (Homère, Hésiode)35. L’analyse stylistique est donc subordonnée à la lecture éthique, puisqu’elle n’est pour le poète que le moyen de mettre en valeur la portée morale de son propos.
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36 Voir sur ce point Kees Meerhoff, Entre logique et littérature. Autour de P...
30Il est probable cependant que le choix des poètes de l’origine soit aussi à rattacher à l’idéal réformé de retour à la pureté et la simplicité de l’Église primitive. Chercher Dieu dans les textes qui l’ont chanté à l’aube de la poésie, redonner de l’éclat à des œuvres qui relèvent aussi bien de la poésie que de la théologie, montrer la permanence d’un culte à travers les siècles et les œuvres, conjoindre ainsi littérature profane et littérature sacrée, sans jamais les confondre, c’est un projet qui inscrit Sponde dans la lignée d’un Melanchthon36. La nostalgie des origines est une forme de la nostalgie de l’âge d’or, où les hommes étaient meilleurs et honoraient les dieux. De fait, c’est aussi la simplicité de mœurs des Anciens que vante constamment Sponde au travers des poèmes d’Homère et d’Hésiode.
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37 Pour des exemples nombreux de ce travail d’exégèse, je me permets de renvo...
31Que la poésie ait été à l’origine destinée à chanter les louanges de Dieu est un topos des arts poétiques, dira-t-on : Sébillet, Ronsard, pour ne citer qu’eux, ont eux aussi soutenu que la poésie avait une origine divine, voire théologique. Mais la différence est que Sponde met à l’épreuve le topos. Il va voir ce qu’il en est dans les textes eux-mêmes, et bien souvent il trouve Dieu, là où il le cherche37.
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38 « Le Saint Esprit a dicté ses oracles d’une manière sublime » dira N. Coqu...
32Il n’est pas interdit de formuler une autre hypothèse plus hasardeuse, mais qu’autorise la valeur exceptionnelle de l’œuvre poétique de Sponde. Les trois œuvres exégétiques de Sponde s’intéressent à trois auteurs qui, dans l’esprit des hommes de l’Antiquité comme chez ses contemporains, illustrent chacun un style dominant. Homère, on l’a vu, n’est pas tant pour Sponde l’auteur d’une épopée ou poème héroïque que le maître à penser qui propose règles et exemples de vertu. S’il fallait relever un terme qui chez Sponde représenterait ce que fait le poète, ce serait le verbe docere : Poeta docet est une formule récurrente des commentaires des poèmes homériques et le commentateur souligne sans cesse qu’Homère parle simpliciter, avec simplicité, sans chercher à recourir aux nombreuses allégories dont les commentateurs anciens l’ont affublé. Les Psaumes, eux, relèvent du style élevé ou sublime. Dictés à David par le Saint Esprit, ce sont les « oracles sacrés » de Dieu38. Quant à Hésiode, Denys d’Halicarnasse et Quintilien en font le poète du style tempéré. Sponde, qui cite d’ailleurs Denys, fait, dans les « Prolégomènes » à son commentaire des Travaux et les jours, l’apologie de sa douceur.
Grauissimus est hic author, et sua lenitudine mihi gratissimus. Neque quicquam tersius unquam uidit Graecia hoc Musarum discipulo, cui fontes illi poetici sic leniter, sic aequabiliter, sic limpide fluunt, ut uoluptatem ipsam et gratias in huius Vatis ornamenta conspirasse facile credas. Eius characterem dicendi hinc laudat Dionysius, Ἡσίοδος, inquit, ἐφρόντισεν ἡδονῆς, καὶ ὀνομάτων λειότητο, καὶ συνθέσεως ἐμμελοῦς. In hac seculi et morum asperitate iuvat ad has delicias divertere. Vos, placida ingenia, et uere Gallica, sequimini.
C’est un auteur de grand poids, et sa douceur est pour moi pleine de charmes. La Grèce n’a jamais vu quelqu’un de plus châtié que ce disciple des Muses, pour qui les sources de la poésie coulent avec tant de douceur, d’égalité, de clarté que tu croiras aisément que la volupté et les grâces ont elles-mêmes prêté la main aux ornements du Poète. Denys loue ainsi son style : « Hésiode a cherché l’agrément, le fondu des mots, une composition harmonieuse » [De l’Imitation, 2, 2]. Dans la dureté du temps et des mœurs, il est plaisant de se tourner vers ses charmes. Vous qui aimez la paix, esprits vraiment français, suivez-le.
C’est le style tempéré, tel que le décrit Augustin dans le De doctrina christiana. La douceur du style fait d’Hésiode un refuge pour ceux qui désirent la paix.
33Sponde semble ainsi avoir été guidé dans ses choix par un souci rhétorique, adaptant l’auteur commenté ou médité aux exigences morales et stylistiques demandées par l’époque. En 1583, profondément marqué par l’éducation reçue, il commente Homère. Homère donne la leçon première, il expose, simplement, les vertus nécessaires à l’homme pour vivre devant Dieu et avec ses semblables. Poète du docere, c’est lui qui permet au commentateur de montrer dans l’Antiquité l’importance de la Piété, et d’exhorter ses contemporains à l’imiter, en particulier Henri de Navarre, qu’il faut éduquer aux vertus royales, la Prudence et la Justice. En 1583, Sponde est à Bâle, un peu à l’écart des conflits, moins marqués au reste durant les années 1580-1583.
34Il n’en est pas de même en 1588, date de la publication des Méditations sur les Psaumes. Les tensions religieuses, politiques et militaires sont à leur comble durant les années 1584-1589. Dans cette époque de « misères publiques », il ne suffit plus d’instruire, il faut émouvoir, conformément aux préceptes augustiniens, et tenter de ramener à Dieu ceux qui semblent l’avoir abandonné. Le recours aux Psaumes se justifie en ce sens, comme la véhémence qui domine dans les Méditations où Sponde imite l’ardeur du psalmiste inspiré.
35En 1592, si les tensions persistent, le désir de paix domine et ne semble plus utopique sous la poigne ferme mais conciliatrice d’Henri IV. Le choix d’Hésiode dit explicitement cet espoir d’apaisement, de retour aux travaux de la paix après les années de guerre civile. À l’exemple de son modèle, le message du commentateur s’adoucit et rappelle son lecteur à la vertu laborieuse des hommes de l’Antiquité.
36Il est évident qu’une telle reconstruction du parcours exégétique de Sponde relève, pour une part, de l’illusion rétrospective. Dans son ample commentaire d’Homère, Sponde annonçait d’autres projets : une édition d’Athénée, une autre de Quintus de Smyrne, un Lexique homérique complet où il aurait développé bien des annotations de son premier travail. La carrière politique l’en a-t-elle détourné ? En l’état actuel de nos connaissances, on ne peut l’affirmer. Demeure la présence indubitable d’une parole en situation, qui sait prendre appui sur les textes d’autrui pour affirmer la permanence d’un projet chrétien, révéler et faire connaître le nom de Dieu. Le goût de Sponde pour la prédication, goût qui ne s’est pas épanoui dans le sermon, on peut le regretter, confère à l’ensemble de son œuvre son unité et sa véhémence, des commentaires aux traités d’apologétique.
37On peut cependant, à l’inverse, souligner que Sponde a commenté trois poètes de l’origine qui illustraient chacun un style dominant : Homère et la simplicité, « David » et l’ardeur, Hésiode et la douceur. Si les choix de Sponde sont certes ceux d’un protestant amoureux de l’Antiquité, ce sont aussi les choix d’un poète, rompu à l’analyse rhétorique des Anciens. Sponde commente en chrétien, mais cherche Dieu en poète.
Notes
1 Homeri quae extant omnia. Ilias, Odyssea, Batrachomyomachia, Hymni, Poematia aliquot… Perpetuis item iustisque in Iliada simul et Odysseam Io. Spondani Mauleonensis Commentariis… Basileae, Eusebii Episcopii opera ac impensa, 1583 ; Hesiodi Ascraei Opera et dies, J. Spondanus Rupellae prouinciae Praefectus recensuit, et commentariis illustrauit. Rupellae, apud Hieronymum Haultinum, 1592 ; Les Meditations sur les Pseaumes, suivies d’un Essay de Quelques Poesmes chrestiens, s.l., 1588. Pour les citations tirées de ce dernier ouvrage, j’utiliserai l’édition de Sabine Lardon (Paris, Champion, 1996). Je ne prendrai pas ici en considération les œuvres de polémique religieuse qui obéissent à d’autres impératifs, même si la problématique de l’interprétation y joue encore un grand rôle.
2 Je n’entre pas ici dans les considérations qu’appelle nécessairement le genre de la méditation : mon propos est d’étudier simplement comment et dans quel but l’écriture de Sponde prend appui sur des textes premiers. Christophe Bourgeois vient d’analyser, dans un ouvrage récent, tout ce que la méditation doit à une réflexion à la fois théologique et poétique sur la Bible (Théologies poétiques de l’âge baroque. La Muse chrétienne (1570-1630), Paris, Champion, 2006). Pour une étude du genre de la méditation chez Sponde, voir S. Lardon, L’Écriture de la méditation chez Jean de Sponde, Paris, Champion, 1998.
3 Dans l’épître dédicatoire de son commentaire du poème d’Hésiode, Les Travaux et les jours, adressée à Achille de Harlay, il déplore, mais c’est la loi du genre, le peu de loisir dont il dispose.
4 C’est l’objet de la deuxième partie des « Prolégomènes à Homère », intitulée « De origine et dignitate poeticae » (pour une traduction récente en français de l’ensemble, voir Jean de Sponde, Commentaires au poèmes homériques, trad. et éd. critique par Ch. Deloince-Louette avec la collaboration de M. Furno, Paris, Classiques Garnier, 2018). L’épître dédicatoire des Méditations, adressée à Henri de Navarre, rappelle que le « Silence » risque « d’estouffer la gloire de Dieu » : « Quoy que Dieu fasse, il veut estre ou loué, ou invoqué » (éd. Lardon, p. 89).
5 « Prolégomènes à Homère », éd. citée, p. 29. Sponde joue ici visiblement sur le sens du mot gratia : à la fois grâce divine et reconnaissance humaine pour l’œuvre accomplie.
6 Commentaire à l’Iliade, éd. citée, p. 427.
7 Dans son commentaire au chant XVI de l’Odyssée (éd. citée, p. 238), Sponde reprend le sujet avec prudence : « Non quaero tam preciosas gemmas in his stercoribus ueterum, ex purioribus Spiritus sancti fontibus hauriri uolo : sed iuuat etiam intelligere, in tenebris etiam illis uerum Numen radiasse » (« Je ne cherche pas de si précieux joyaux dans ces ordures antiques, je veux les tirer des sources plus pures de l’Esprit saint ; mais il me plaît de comprendre que même dans ces ténèbres, le vrai Dieu a brillé »). Sur illustrare, voir par exemple Latomus, Summa totius rationis disserendi (Coloniae, P. Quentell, 1527), « De enarratorio genere », qui indique que le commentaire doit « souligner l’importance du sujet traité et le rendre remarquable en l’illustrant » (« rem augere et illustratione interposita conspicuam reddere »). Illustrare semble désigner à la fois ce qui relève de l’interprétation et les témoignagnes d’imitation qui disent la grandeur et l’éclat du texte imité.
8 Méditation sur le psaume XLVIII, éd. citée, p. 239-241.
9 Meditations sur les Pseaumes, éd. citée, p. 193.
10 Éd. citée, p. 159. Pour plus de détails, je me permets de renvoyer à mon Sponde commentateur d’Homère, Paris, Champion, 2001, p. 330 et suiv.
11 Rappelons l’incipit de la Méditation sur le psaume L : « Ou suis-je, mon Dieu, mais, ô mon Dieu, ou es tu toymesme ? » (éd. citée, p. 261), qui n’est pas sans évoquer le mot de saint Augustin dans ses Soliloques (2, 1, 1) : « Deus semper idem, nouerim me, nouerim te » (O Dieu toujours le même, puissé-je me connaître, puissé-je te connaître !).
12 Éd. citée, p. 129.
13 Voir Philippe Chareyre, « Le Béarn, un état protestant au temps des Sponde », Jean de Sponde (1557-1595). Un humaniste français dans la tourmente, éd. V. Duché-Gavet, S. Lardon, G. Pineau, Paris, Garnier, 2012, p. 19-49. Josiane Rieu soulignait déjà la spécificité des méditations de Sponde qui « [infléchit] la paraphrase vers le sermon » (Jean de Sponde ou la cohérence intérieure, Champion-Slatkine, Paris-Genève, 1988, p. 107). Voir aussi l’article très éclairant de P. Blum-Cuny, « Les Méditations sur les pseaumes de Sponde. De David à Job, la transgression d’un modèle », Nouvelle Revue du Seizième Siècle, n°10, 1992, pp. 69-80.
14 Mélanchthon, Elementa rhetorices (1532), Corpus Reformatorum XIII, col. 421. Ce "genre didascalique", explique Mélanchthon, est d’un grand usage dans les Églises, lorsqu’il faut enseigner aux hommes les dogmes de la religion.
15 Si quis hoc modo animaduerterit Psalmum esse descriptionem Christi, et singulas partes ad definitiones Dialecticas sciet referendas esse, is plane intelliget Psalmum, et cum erit opus, ex definitionibus partium facile illustrabit omnia, et amplificabit. "Si l’on a remarqué que le Psaume est une description du Christ, et qu’on sait que chaque partie doit être rapportée aux définitions Dialectiques, on comprendra complètement le Psaume, et quand il sera nécessaire, on donnera de l’éclat facilement à toutes choses selon la définition des parties, et on l’amplifiera". (Ibid.)
16 Augustin, De Doctrina christiana, IV, iv, 6 (Œuvres de saint Augustin, 11/2, Institut d’Études augustiniennes, Paris, 1997, p. 326-329). On connaît le début du paragraphe qui concerne les devoirs de l’orateur chrétien (officia oratoris christiani) : « Celui qui commente et enseigne les divines Ecritures doit, en défenseur de la vraie foi (defensor rectae fidei) et en adversaire de l’erreur (debellator erroris), à la fois faire apprendre le bien (bona docere) et détourner du mal (mala dedocere) et dans ce travail oratoire, se concilier les ennemis (conciliare aduersos), stimuler les nonchalants (remissos erigere), faire connaître à ceux qui ignorent ce dont il s’agit, ce qu’ils doivent espérer (nescientibus quid agatur, quid exspectare debeant intimare) ».
17 De doctrina christiana, IV, iv, 38 : « At si non colatur, aut cum illo uel etiam prae illo colantur idola siue daemonia siue quaecumque creatura, quantum hoc malum sit, atque ut ab hoc malo avertantur homines, debet utique granditer dici ». On pense à la Fortune, telle qu’elle est évoquée par Sponde dans la méditation sur le psaume XIV. Rappelons cependant que, pour Augustin, il faut user tour à tour de tous les styles dans le discours afin de soutenir par la variété l’attention du public (ibid., IV, 51).
18 Voir par exemple dans l’Iliade, le commentaire au chant X, p. 195 (« Haec diligenter inspiciat lector et temere non praeteruolet ») ou dans l’Odyssée, le commentaire au chant XV, p. 221 (« Quid ergo censeas de calamitoso peregrino? Quid, inquam, de Ulysse Homerico censeas ? quid pronuncies ? »).
19 Parmi de nombreux exemples, voir l’annotation au vers du chant XVI de l’Iliade : Sed, Homere, ubi est tuus nunc Jupiter, cuius auxilio freti Troiani paulo ante triumphabant ? An idem quoque cum Troianis aufugit ? aut eius potentia infirmata est ? (éd. citée, p. 302) ; ou l’annotation au vers 367 du chant VIII de l’Odyssée : Desine canticum, ô Homere, non est pulchrum, docet adulterium (éd. citée, p. 107).
20 Éd. citée, respectivement p. 187 ("Mais pourquoy, mon Ame, pourquoy mesures tu ces grandeurs du monde?"), p. 419 ("Qu’est-ce helas! que de l’homme? qu’est-ce, mon Dieu?"), p. 131 ("Je ne te puis abandonner, Prophane. Respon moy. Qui est plus excellent, la mort, ou la Vie?").
21 Par exemple, dans le commentaire au chant XIII de l’Iliade, p. 242 : « Sed hoc in sacrosancta Theologorum stoa diligentius et accuratius excutiantur ac expendantur, satis sit sacri et profani scriptoris loca inter se contulisse : quod non erit, ut opinor, piis lectoribus ingratum, a quibus et fidem et modestiam in his rebus postulo. »
22 Voir Josiane Rieu, ouvr. cité, p. 123 et suiv. ; et Sabine Lardon, L’Écriture de la méditation chez Jean de Sponde, ouvr. cité, p. 167 et suiv.
23 Éd. citée, p. 5.
24 C’est peut-être là encore une trace de l’influence de saint Augustin qui met l’accent, comme Érasme, sur la notion de militia. Cette notion, d’origine biblique, se trouve dans le Livre de Job, VII, 1 : « Militia est vita hominis super terram, et sicut dies mercenarii dies eius » (« C’est un temps de service qu’accomplit l’homme sur terre, il y mène comme la vie d’un mercenaire »). Voir Christian Belin, La Conversation intérieure. La Méditation en France au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2002, p. 86.
25 Advertissement au roy, ou sont deduictes les raisons d’Estat pour lesquelles il ne luy est pas bien seant de changer de Religion, 1989.
26 « Ces paroles d’or vraiment, nous devons avec zèle les extraire de la piété de plomb », Les Travaux et les jours, commentaire au v. 5, éd. citée p. 11.
27 « Tu cours, et tu ne sens point que les jugemens de Dieu courent apres toy. Apres toy, certes, car tu n’as point Dieu devant les yeux, et ta propre outrecuidance est le Dieu que tu idolatres : tu mignardes tes propres fantasies, tu adores tes adresses, tu ne sers que les honneurs que tu veux maistriser […] » (éd. citée, p. 367).
28 Annotation au vers 48.
29 Éd. citée, p. 159.
30 Cicéron utilise le terme de commentatio pour désigner l’activité préparatoire au discours, il l’associe au terme de cogitatio (De Or., 2, 118 et 1, 150) qui est, lui, utilisé au Moyen Âge pour désigner la méditation spirituelle. Voir Bernard de Clairvaux et Guillaume de Saint-Thierry, cités par Ch. Belin, ouvr. cité, p. 70.
31 Voir par exemple le Dictionarium latinogallicum d’Estienne (1552) qui donne mortis commentatio, méditation de la mort : le sens cicéronien (qui associe donc la commentatio à l’inventio, la recherche des arguments) incite d’ailleurs à considérer les méditations de Sponde comme des discours adressés à un lecteur qu’il faut convaincre.
32 Trad. Paul Mazon, Paris, CUF, 1979, p. 87.
33 Ouvr. cité, p. 101. La citation d’Euripide est tirée d’Hippolyte porte-couronne, v. 612.
34 Olivier Millet, Calvin et la dynamique de la parole. Étude de rhétorique réformée, Paris, Champion, 1992, p. 349.
35 Du reste, Sponde les associe dans les « Prolégomènes à Homère », éd. citée, p. 26-27. Et tout au début de son commentaire à Hésiode, Sponde souligne encore que Dieu est à l’origine de la poésie : Jupiter est père des Muses !
36 Voir sur ce point Kees Meerhoff, Entre logique et littérature. Autour de Philippe Melanchthon, Orléans, Paradigme, 2001, surtout le premier chapitre.
37 Pour des exemples nombreux de ce travail d’exégèse, je me permets de renvoyer à mon Sponde commentateur d’Homère, ouvr. cité, p. 305-374.
38 « Le Saint Esprit a dicté ses oracles d’une manière sublime » dira N. Coquelin, dans son Interpretation des Psaumes de David (1686). Voir l’article de Claire Fourquet, « Elucider l’obscurité des Psaumes », dans L’obscurité. Langage et herméneutique sous l’Ancien Régime, éd. Delphine Denis, Louvain-La-Neuve, Bruylant-Academia, 2007. Mais Calvin, reprenant saint Augustin disait déjà dans sa préface au psautier hugenot de Marot et de Bèze : « Or ce que dit sainct Augustin est vray, que nul ne peut chanter choses dignes de Dieu, sinon qu’il l’ait receu d’iceluy. Parquoy quand nous aurons bien circui par tout pour cercher çà et là, nous ne trouverons meilleures chansons ne plus propres pour ce faire, que les Pseaumes de David, lesquels le sainct Esprit luy a dictez et faicts. » (Les Psaumes en vers français avec leurs mélodies, fac-similé de l’édition genevoise de Michel Blanchier, 1562, avec une introduction de Pierre Pidoux, Genève, Droz, 1986).
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Christiane Deloince-Louette
Université Grenoble Alpes - UMR 5316 Litt&Arts / RARE Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution