La Réserve : Archives Cécile Lignereux

Cécile Lignereux

D’un sous-genre épistolaire à sa mise en œuvre en contexte familier : l’exhortation

Initialement paru dans : É Gavoille et Fr. Guillaumont (dir.), Conseiller, diriger par lettre, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, coll. « Perspectives littéraires », 2017, p. 537-552.

Texte intégral

1Tout au long des vingt-cinq années pendant lesquelles elle échange des lettres avec sa fille partie vivre en Provence, Mme de Sévigné ne cesse de prodiguer ses avis, notamment sur trois sujets : les affaires de la comtesse (la maison de Grignan, grevée de dettes et d’emprunts, est au bord de la faillite), ses relations sociales (Mme de Grignan étant réputée froide et hautaine) et sa santé (une santé délicate, que fragilisent encore les lourds devoirs auxquels doit faire face l’épouse du lieutenant général). De nombreuses études ont commenté la propension de la marquise à vouloir influencer, en dépit de la distance qui les sépare, le comportement de sa fille. Alors que les travaux d’inspiration psycho-biographique se focalisent sur les heurts relationnels qui résultent des recommandations maternelles, il n’a pas été suffisamment remarqué combien les séquences textuelles à portée délibérative sont loin de toutes adopter le même fonctionnement rhétorique – les avis maternels prenant la forme soit de conseils argumentés (relevant de la suasio), soit de mises en garde (relevant de la monitio), soit d’encouragements (relevant de l’exhortatio), auxquels nous consacrons cette étude.

  • 1 Le seul manuel épistolographique du XVIIe siècle à inclure la lettre d’exho...

  • 2 Le Secrétaire inconnu de Barthélémy Piélat (Amsterdam, J.-J. Waesberge, 167...

  • 3 L’« instruction à escrire des lettres » de Jean Puget de La Serre (Le Secré...

  • 4 « J’ai choisi les sujets les plus ordinaires, comme Félicitations, Condoléa...

  • 5 Richelet Pierre, Dictionnaire françois, contenant les mots et les choses…, ...

  • 6 Furetière Antoine, Dictionnaire universel…, La Haye-Rotterdam, Arnout et Re...

  • 7 Id.

  • 8 Dictionnaire de l’Académie françoise, Paris, Veuve Jean-Baptiste Coignard, ...

2Face à une enfant qui lui semble manquer de prudence, Mme de Sévigné, dont les inquiétudes sont encore avivées par la séparation, multiplie les exhortations. Pour qui connaît les usages épistolaires contemporains, de telles exhortations n’ont rien d’extraordinaire : loin de constituer le symptôme d’une manière d’aimer exceptionnellement possessive, elles font tout simplement partie des rituels sociodiscursifs de l’époque. Que l’exhortation constitue une pratique épistolaire aussi courante que conventionnelle, c’est ce dont témoignent les manuels épistolographiques. Tantôt l’exhortation y apparaît comme une espèce de lettre autonome, avec ses règles et ses modèles propres : si, au XVIIe siècle, contrairement au siècle précédent, la lettre d’exhortation ne fait plus partie des nomenclatures proposées par les manuels d’art épistolaire1, en revanche, elle donne régulièrement lieu à des exemples de lettres2. Tantôt l’exhortation y est présentée comme l’une des étapes constitutives de différentes sortes de missives : au sein des grilles argumentatives fournies pour chaque espèce de lettre, l’exhortation fonctionne comme une séquence précisément isolable qu’il s’agit d’intégrer, selon les circonstances, à l’intérieur du canevas3. Les exhortations font ainsi partie des « sujets les plus ordinaires4 » des correspondances d’Ancien Régime. Le terme jouit d’ailleurs d’une nette connotation méliorative, comme en témoignent, dans les dictionnaires parus du vivant de Mme de Sévigné, d’une part, les définitions (« Paroles qui portent à embrasser la vertu5 », « Discours qui tend à persuader quelqu’un de faire quelque chose qui est honneste, avantageuse6 ») et d’autre part, les exemples (« Un homme sage doit faire son devoir sans autre exhortation7 », « Je l’ai fort exhorté à mieux vivre. Exhorter à bien faire8 »).

3Dès lors, il n’est guère surprenant que les lettres de Mme de Sévigné soient émaillées d’exhortations, conçues non pas comme d’intempestives intrusions découlant d’une manière d’aimer jalouse et autoritaire mais comme des encouragements dotés d’une authentique dignité morale et prodigués en toute conscience de leur caractère ritualisé. Afin d’étudier le fonctionnement des exhortations de Mme de Sévigné au sein de l’interaction épistolaire, nous procéderons en trois temps. D’abord, dans une perspective pragmatique, nous examinerons quelles sortes de rapports interpersonnels autorisent l’épistolière à exhorter. Ensuite, dans une optique davantage rhétorique, nous définirons la spécificité du but persuasif assigné à l’exhortation. Enfin, dans une approche stylistique, nous analyserons les procédés qui assurent la mise en discours des exhortations maternelles.

1. Les conditions pragmatiques de l’exhortation

  • 9 Papon Jean, Secrets du troisième et dernier notaire, Lyon, J. de Tournes, 1...

4Si l’épistolière se permet d’endosser le rôle des « pedagogues, & personnages mieux nés, & de prudence plus heureuse9 » en exhortant ses interlocuteurs lorsqu’elle sent qu’ils repoussent indéfiniment le moment de mettre en œuvre leurs sages résolutions, c’est parce qu’elle s’adresse à des personnes qui lui sont, à divers titres, inférieures. Afin d’examiner les conditions pragmatiques qui légitiment les exhortations de la marquise, nous classerons les occurrences du verbe exhorter en fonction de leurs diverses modalités énonciatives.

5Premièrement, Mme de Sévigné se sert du verbe exhorter pour faire part à sa fille de ses démarches auprès de tiers qu’il s’agit d’inciter au sérieux dans les tâches qui leur sont confiées. Ainsi relate-t-elle qu’elle a encouragé le jeune homme qui doit servir de répétiteur d’allemand au marquis de Grignan à se rendre digne de cet emploi en s’appliquant dans son perfectionnement linguistique :

  • 10 Données entre parenthèses, les références aux lettres de Mme de Sévigné me...

Votre petit Allemand paraît extrêmement adroit au bon Abbé. […] Il va répéter son allemand chez M. de Strasbourg ; je l’ai fort exhorté à se rendre digne. (7 octobre 1676 : II, 416-417)10

De même, suite à une nouvelle brouille survenue entre Mme de Grignan et Élisabeth de Montgobert, la marquise résume la manière dont elle a invité la dame de compagnie de la comtesse à conserver sa sérénité en dépit du chagrin qu’a pu lui causer la relative disgrâce dans laquelle l’a fait tomber sa maîtresse :

Je viens de faire réponse à Montgobert, je l’exhorte à la joie et à la tranquillité, et à soulager son cœur des chagrins que j’entrevois qu’elle peut avoir, et qu’elle se serve de son esprit et de sa raison pour se donner la paix […]. (21 juillet 1680 : II, 1023-1024)

6En rapportant ainsi les exhortations qu’elle a tenues soit par oral (pour le répétiteur d’allemand) soit par écrit (pour la dame de compagnie), Mme de Sévigné ne manque pas d’apparaître pétrie de bonnes intentions à l’égard de son petit-fils, dont elle entend parfaire l’éducation, et de sa fille, dont elle tente d’adoucir les relations souvent tendues avec sa secrétaire et confidente. C’est aussi dans le cadre de la gestion de ses propriétés que Mme de Sévigné peut exhorter ceux qu’elle emploie, comme l’illustre une lettre écrite à l’homme d’affaires d’Herigoyen, qu’elle enjoint de remplacer le fermier La Jarie, dont elle n’a pas renouvelé le bail :

Je lui ai écrit une lettre, que je vous ai envoyée, où je l’exhorte fort à ne se point laisser consommer en frais et à s’exécuter lui-même de bonne foi. Il est bien mal conseillé ; s’il ne suit pas mon conseil, vous me le manderez. (13 août 1687 : III, 310, à d’Herigoyen)

Quels que soient les enjeux de ces exhortations (éducatifs, relationnels ou financiers), toutes confirment l’image de sagesse, de modération et d’expérience dont bénéficie Mme de Sévigné, à la fois grand-mère attentionnée, mère bienveillante et gestionnaire scrupuleuse.

7Deuxièmement, il arrive que Mme de Sévigné utilise le verbe exhorter pour délivrer des encouragements à bien faire à des personnes qui n’auront accès qu’aux passages de la missive qui les concernent, selon une pratique courante. C’est ainsi que dans une lettre à son cousin Bussy-Rabutin, plutôt que de s’adresser directement à la fille de celui-ci pour l’engager à davantage prendre soin de sa santé, elle écrit :

J’embrasse ma nièce. Je la plains des maux qu’elle a eus et je l’exhorte, autant qu’il est en moi, à se bien porter, car après le salut, je mets la santé au premier rang, et je prie Dieu qu’il vous conserve tous deux. (2 septembre 1687 : III, 313, à Bussy-Rabutin)

La marquise procède de même pour faire pression sur le domestique des Grignan chargé de la surveillance du château afin qu’il redouble de vigilance :

Ah ! ma fille, que vous veut donc ce feu qui tourne autour de vous et qui vous fait des frayeurs à toute heure ? […] J’exhorte Deville, par l’affection qu’il a pour vous, à faire sa ronde plus exactement que jamais. (6 septembre 1671 : I, 337) 

Peut-être ces exhortations à sa nièce et au domestique de la comtesse ne seront-elles pas transmises. Quoi qu’il en soit, elles ne manquent pas de consolider l’image d’une tante et d’une mère emplie de sollicitude et de prévenance.

  • 11 La lettre d’exhortation est celle « dans laquelle un ami est averti et inc...

8Troisièmement, Mme de Sévigné privilégie parfois l’emploi performatif du verbe exhorter. C’est le cas lorsqu’elle s’adresse amicalement11 à Philippe Moulceau, conseiller à la cour des aides de Montpellier, pour l’empêcher de prendre des initiatives qui pourraient se retourner contre lui :

Ce que vous me mandâtes l’autre jour, d’un certain discours qu’il a fait à un certain homme, me fait vous exhorter encore à conserver en vous la noble tranquillité que je vous ai toujours vue sur le succès de cette affaire. (26 novembre 1681 : III, 78, à Moulceau)

L’autorité que manifeste Mme de Sévigné dans cette exhortation s’enracine dans la réputation dont elle sait bénéficier, la marquise ayant constamment fait preuve de prudence et de persévérance, même dans les moments de situation financière critique. De même, si Mme de Sévigné exhorte Moulceau, avec un zèle tout amical, à ne pas se montrer rancunier, c’est parce qu’elle a toujours mis un point d’honneur à se préserver des intrigues et des coteries :

Je vous exhorte à vous réchauffer pour notre ami à l’exemple de l’autre ; c’est trop d’être le seul exilé dans le monde et de perdre un ami comme vous. (28 juillet 1682 : II, 84, à Moulceau) 

  • 12 Les précautions que Paul Jacob recommande de prendre dans la lettre d’exho...

9Sans surprise, c’est surtout Mme de Grignan qu’elle exhorte, poussée peut-être par son instinct maternel, motivée à coup sûr par sa conviction de mieux percevoir que sa fille ce qui est dans son intérêt. Que les exhortations maternelles aient pour but de faire bénéficier Mme de Grignan d’une sagesse dont elle semble dépourvue, c’est-à-dire de l’aider par pure affection12, c’est ce que montrent les deux exemples qui suivent. D’une part, Mme de Sévigné exhorte sa fille à mettre un terme aux dépenses entraînées par la promotion foudroyante du jeune Louis-Provence de Grignan dans la hiérarchie militaire en le soustrayant aux ruineux divertissements du carnaval :

Je vous ai exhortée de faire venir le Marquis droit à Grignan. Que fera-t-il d’un carnaval à Paris et à Versailles, où l’on voudra le mettre de tout ? Vous imaginez-vous qu’il se démêle bien et de sa cour et de tous les devoirs qu’il sera obligé de rendre ? (22 janvier 1690 : III, 817) 

En signifiant régulièrement à la comtesse que les ambitions démesurées qu’elle nourrit pour son fils contribuent à accélérer la banqueroute des Grignan, Mme de Sévigné affiche son intention de lui être utile, quitte à lui déplaire. D’autre part, au sujet de la rivalité entre le comte de Grignan et l’archevêque d’Aix, Mme de Sévigné encourage sa fille à vivre en bonne intelligence avec le prélat :

Je suis persuadée que vous vivrez bien avec l’archevêque, puisque vous faites comme des gens qui se sont vus ailleurs ; c’est cela à quoi je vous exhortais toujours. (29 novembre 1688 : III, 410) 

  • 13 Après avoir souligné le caractère utile et nécessaire des lettres d’exhort...

Si Mme de Sévigné se sent habilitée à délivrer une telle exhortation, c’est non seulement parce qu’elle estime avoir suffisamment d’expérience en matière de conflits et de rivalités – elle qui n’hésite pas à écrire à M. de Grignan : « Je connais les manières des provinces, et je sais le plaisir qu’on y prend à nourrir les divisions » (28 novembre 1670 : I, 135) – mais encore parce qu’elle juge qu’il est de son devoir de faire bénéficier ses proches d’exhortations dictées par sa fidèle amitié13.

  • 14 « On ne sçauroit croire combien l’exhortation est adoucie, si la personne,...

  • 15 « […] si persona, quae hortatur, plurimum habeat auctoritatis, minus pugna...

10Ainsi donc, si Mme de Sévigné exhorte volontiers, c’est parce qu’elle s’y sent autorisée à la fois par sa position hiérarchique (une tante exhortant sa nièce, une mère exhortant sa fille, une marquise exhortant des domestiques, une parisienne exhortant un ami provincial) et par l’autorité que lui confère son image de veuve raisonnable ayant toujours fait preuve de prudence et de sagesse dans l’éducation de ses enfants, dans la gestion de ses affaires et dans la conduite de ses relations mondaines14. L’épistolière bénéficiant d’une évidente supériorité par rapport à ses interlocuteurs, ses exhortations sont relativement lapidaires, l’autorité engageant naturellement à « se montrer moins pugnace dans ses raisonnements, moins échauffé et moins profus en paroles », dans la mesure où « la dignité elle-même est l’aiguillon le plus puissant pour exciter les esprits15 ».

2. La finalité rhétorique de l’exhortation

  • 16 Érasme oppose les critères distinctifs de l’exhortatio et de la suasio en ...

  • 17 Citons par exemple Voellus Joannus, De Ratione conscribendi epistolas util...

  • 18 C’est par cette mise en contraste que commencent tous les descriptifs théo...

11À la suite d’Érasme, tous les ouvrages didactiques s’attachant à répertorier et à définir les différents types de discours reprennent la distinction entre l’exhortatio et la suasio16, qu’il s’agisse de manuels épistolographiques17 ou de traités de rhétorique18. Si toutes deux visent à persuader le destinataire de suivre les recommandations qui sont données, elles n’en diffèrent pas moins par le but qu’elles poursuivent (alors que le conseil suscite la volonté d’agir dans le sens indiqué en s’adressant à la raison, l’exhortation engendre le courage d’agir en s’adressant à l’affectivité) ; par les moyens qu’elles utilisent (alors que le conseil enseigne par des arguments, l’exhortation stimule par des encouragements) ; par les mécanismes psychologiques sur lesquels elles jouent (alors que le conseil guide une prise de décision et met un terme aux hésitations ou aux doutes concernant le bien-fondé du conseil, l’exhortation donne du courage en incitant à agir celui qui tarde à mettre en œuvre une résolution qu’il a pourtant bien le désir d’appliquer dans la mesure où il a dépassé le stade de l’incertitude). Autrement dit, le dessein rhétorique propre à l’exhortation consiste à donner l’impulsion décisive pour que celui que l’on exhorte ait enfin l’énergie et le courage de réaliser l’action vertueuse dont il reconnaît le bien-fondé.

  • 19 « L’exhortation ne differe pas beaucoup de la persuasion, il n’y a que la ...

12C’est notamment pour inciter sa fille à changer d’attitude en société, c’est-à-dire à s’efforcer de ne pas paraître trop froide ou dédaigneuse, que Mme de Sévigné en vient aux exhortations. Mme de Grignan n’a pas besoin d’être convaincue « par des raisons & par des preuves19 » que son caractère peu conciliant non seulement lui attire des ennemis mais encore nuit à ses affaires : elle ne sait que trop bien combien sa « hauteur » (9 septembre 1675 : II, 96) et son « impétuosité » (9 mars 1672 : I, 453) irritent et blessent, au point de rendre difficiles ses relations avec autrui. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’elle constate et subit les dommages qu’occasionne son tempérament altier qu’elle est prête à se montrer affable avec ceux qu’elle méprise. C’est ce qu’illustrent notamment quatre exhortations dans lesquelles Mme de Sévigné invite sa fille à faire preuve de bienveillance à l’égard de personnes qu’elle tient en piètre estime.

13La première exhortation concerne l’abbé Charrier. Alors que la comtesse n’a guère envie de se montrer aimable tant elle le trouve ridicule, elle sait combien son hostilité serait préjudiciable aux affaires de sa mère, qui, habilement, approuve les moqueries de sa fille avant de l’exhorter à se montrer plus accommodante :

Cependant, ma chère bonne, à cause de son père et de moi, je vous exhorte à conserver votre modération et à ravaler le plus que vous pourrez de ce que vous aurez envie de dire en [le] voyant […]. (23 mars 1689 : III, 550)

14La deuxième exhortation intervient lors de la fâcherie entre Mme de Grignan et sa dame de compagnie, Mme de Montgobert. Si Mme de Sévigné recourt à l’exhortation, c’est parce qu’elle devine que d’un côté, sa fille partage son point de vue (à savoir qu’elle devrait éviter de se montrer blessante pour ne pas envenimer la querelle), mais que de l’autre, ce n’est pas pour autant qu’elle modifie son comportement :

L’amour-propre fait quelquefois de plaisants effets. La pensée qu’on préfère quelqu’un, la crainte de n’être pas aimée, l’envie de surmonter, cela fait un mélange de diverses passions qui font grand mal à la pauvre raison. Je […] vous exhorte toujours, tout autant que je puis, à passer et à couler le temps pour ne rien faire d’extraordinaire. (3 juillet 1680 : II, 996)

À lire ces analyses morales, on comprend pourquoi Mme de Sévigné recourt non pas à des arguments (Mme de Grignan ne peut qu’admettre l’engrenage passionnel auquel condamne son inflexibilité) mais seulement à des encouragements destinés à conforter et à soutenir des bonnes résolutions qui tardent à être appliquées.

15La troisième exhortation concerne l’attitude de la comtesse à l’égard du marquis de Vardes, exilé par le Roi dans son gouvernement d’Aigues-Mortes, et dont le goût immodéré pour les intrigues le rend peu sympathique aux yeux de la comtesse. Une fois encore, Mme de Sévigné incite sa fille à renoncer à se montrer sèche et cassante :

[Le pauvre Vardes] croit être assez joliment bien avec vous ; il en est ravi, ma bonne, et je vous exhorte à respecter son malheur. (13 septembre 1677 : II, 545) 

Sans doute Mme de Grignan a-t-elle vaguement l’intention de ne pas se montrer trop dure à l’égard d’un exilé qui apprécie de la fréquenter et dont sa mère goûte l’amitié, mais de là à se montrer aimable à son égard, il y a encore un pas, que la comtesse n’arriverait sans doute pas à franchir sans les exhortations maternelles.

16La quatrième exhortation advient à l’occasion de la rivalité ouverte entre l’Évêque Toussaint de Forbin-Janson et le comte de Grignan. Parlant d’une même voix avec son ami d’Hacqueville, Mme de Sévigné encourage la comtesse à se montrer moins intraitable :

J’ai lu votre lettre avec notre cher d’Hacqueville que vous ne sauriez trop aimer et qui gronde de vous voir si emportée ; il voudrait que vous imitassiez vos ennemis qui disent des douceurs et donnent des coups de poignard, ou que, du moins, si vous ne voulez pas suivre cette parfaite trahison, vous sussiez mesurer vos paroles et vos ressentiments, que vous allassiez votre chemin sans vous consumer ni faire malade, que vous n’eussiez point approuvé la guerre déclarée […] : je vous exhorte à prendre garde à cet article. (13 novembre 1673 : I, 617)

Si Mme de Sévigné « exhorte » sa fille à « prendre garde » à un « article » particulièrement polémique, c’est qu’elle devine qu’alors que l’intelligence de la comtesse ne peut que reconnaître le bien-fondé des objurgations maternelles, il y a fort à parier que dans l’action, la volonté de retenir ses paroles « tranchantes », qui « mettent de l’huile sur le feu » (13 novembre 1673 : I, 618), lui fera défaut.

  • 20 On aura reconnu la distinction que faisaient les Grecs entre deux types de...

17Le fait que Mme de Sévigné tente de rendre Mme de Grignan plus conciliante au moyen non pas de conseils soigneusement argumentés mais de pressantes exhortations prouve bien qu’entre les deux femmes, il y a consensus sur la nécessité que la comtesse se départisse de ses attitudes dédaigneuses à l’égard de ceux qu’elle n’estime pas, même si la comtesse tergiverse, se montre récalcitrante à changer d’attitude et n’a pas encore la volonté suffisante pour s’opposer à ses penchants naturels. Indéniablement, Mme de Grignan a moins besoin d’être convaincue par des arguments (le bon sens des avis maternels ne faisant aucun doute) que d’être incitée à faire preuve de tact et de modération grâce à des émotions propres à ranimer son courage20. Si mère et fille s’accordent sur le fait que Mme de Grignan doit s’efforcer d’aplanir ses difficultés relationnelles, en revanche, pour que la comtesse dépasse le stade de la velléité et mette en application ses intentions, elle a encore besoin d’exhortations propres à renforcer sa disposition à l’acte.

3. Les marqueurs stylistiques de l’exhortation

  • 21 Jacob P., Le Parfait Secrétaire, op. cit., p. 279.

  • 22 Érasme précise que « parmi les nombreuses sortes de styles, le style solen...

  • 23 Érasme souligne qu’aucun procédé n’est plus apte que les tropes à « rendre...

18Manuels épistolographiques et traités de rhétorique insistent sur le fait que l’exhortation doit être « forte » et « animée21 » : dans le sillage d’Érasme, tous soulignent combien l’exhortation, qui repose sur l’excitation des émotions, doit être pleine d’une ardeur propre à enflammer le destinataire, la métaphore du feu y étant omniprésente22. Désireuse de stimuler les bonnes résolutions de sa fille en matière d’affaires et d’économie domestique, Mme de Sévigné ne manque pas de conférer à ses exhortations toute la chaleur nécessaire. À y regarder de près, les exhortations maternelles tirent leur puissance persuasive de l’utilisation conjointe de deux types de procédés. Le premier est d’ordre énonciatif : il s’agit de la modalité déontique, qui permet à l’épistolière de signifier des obligations et des devoirs. Le second est d’ordre sémantique : c’est la métaphore23, qui fournit à Mme de Sévigné le moyen de faire forte impression sur sa destinataire tout en ne paraissant ni froide ni arrogante, dans la mesure où les métaphores qu’elle utilise proviennent de locutions familières.

19D’une part, la modalité déontique peut être assurée par la tournure impersonnelle il faut, qu’il s’agisse pour Mme de Sévigné d’exhorter sa fille à compenser des dépenses déraisonnables,

Il faut songer à réparer ces étranges brèches. Eh, mon Dieu ! ne sauriez-vous faire quelque affaire ? (13 mai 1680 : II, 928)

ou à ne plus repousser sa venue à Paris pour régler ses affaires :

On ne parle point ici de la guerre ; enfin on verra dans peu. Il faut toujours vous tenir en état, ne rien faire qui puisse vous couper la gorge en détournant votre voyage […]. (10 novembre 1673 : I, 615)

  • 24 S’il s’agit d’abord d’exhorter le destinataire « par paroles propres à cel...

Dotées d’une forte densité pathétique, ces métaphores verbales, en soulignant la gravité de la situation, ont pour but de mettre un terme à l’inertie de Mme de Grignan, celle-ci ayant tendance, face au désastre financier qui la guette, de douter de l’utilité de prendre des initiatives. Les métaphores dysphoriques constituent en effet un mécanisme à double détente, qui ne jouent sur la crainte (les maux présents et à venir en cas d’incurie) que pour ensuite susciter l’espoir (la possibilité d’une amélioration à condition de prendre les mesures nécessaires)24.

20D’autre part, la modalité déontique peut avoir pour support le mode impératif – mode que privilégie Mme de Sévigné pour rappeler à la comtesse et au comte la nécessité de diminuer leurs dépenses de prestige :

Rendez-vous la maîtresse de toutes choses ; c’est ce qui vous peut sauver, et mettez au premier rang de vos desseins celui de ne vous point abîmer par une extrême dépense et de vous mettre en état, autant que vous pourrez, de ne pas renoncer à ce pays-ci. (18 mars 1671 : I, 187)

Mettez votre esprit et votre grandeur même, [Monsieur] le Comte, à sauver votre maison, votre femme, vos enfants, et à acquitter vos dettes (voilà les sentiments que vous devez avoir), et non pas à vous laisser sucer par des gens qui vous quitteront quand vous ne leur serez plus bon à rien. (6 avril 1672 : I, 471-472) 

  • 25 Sur la « fonction argumentative » du proverbe, cité « pour renforcer la cr...

Les métaphores sur lesquelles reposent les exhortations maternelles sont d’autant plus efficaces qu’elles proviennent de locutions métaphoriques courantes, dont les connotations négatives sont aussi évidentes qu’indiscutables. Mme de Sévigné va même jusqu’à solliciter des métaphores proverbiales25 :

Au nom de Dieu, sauvez au moins quelque chose de l’excessive dépense. Sans savoir précisément ce que cela fera, ayez une vue générale de ne rien laisser périr et de ne vous relâcher sur rien. Ne jetez point ce qui s’appelle le manche après la cognée. (6 avril 1672 : I, 471)

  • 26 Pour suggérer la violence expressive que doit déployer l’exhortation effic...

  • 27 Le Guern Michel, « Métaphore et argumentation », dans L’Argumentation, Lyo...

21En utilisant systématiquement des locutions verbales métaphoriques pour renforcer la motivation de Mme de Grignan à ne pas capituler devant les déboires financiers qui s’accumulent mais à faire autant d’économies que possible, Mme de Sévigné trouve le moyen de se dispenser de fastidieuses démonstrations au profit d’images qui s’adressent non pas à la raison mais aux affects26. Assurément, « la persuasion [est] d’autant plus efficace que l’intellect dispos[e] de moins de prises logiques pour lui résister », et « rien ne correspond mieux à une telle exigence que la métaphore » : parce qu’elle « échappe à la critique rationnelle », la métaphore « n’en atteint que plus sûrement la sensibilité27 ». Accroître la force persuasive des injonctions maternelles grâce aux émotions sollicitées : tel est l’effet produit par le recours aux locutions verbales métaphoriques, qui constituent la principale source de pathos des exhortations qui visent à renforcer la détermination de Mme de Grignan à mieux gérer ses affaires, c’est-à-dire à ranimer son courage face à une forme d’abattement voire de fatalisme.

Conclusion

22Les exhortations de Mme de Sévigné illustrent donc bien la capacité des épistoliers du Grand Siècle à s’approprier, au gré de leurs besoins pragmatiques, des sous-genres épistolaires qui, pour être codifiés, n’en restent pas moins ouverts aux expérimentations individuelles. Loin de se conformer à un patron rhétorique conçu comme un ensemble de procédures aussi conventionnelles que rigides, Mme de Sévigné, au moment de formuler ses exhortations, sélectionne les options stylistiques qui lui paraissent les plus adaptées. S’il paraît de bonne méthode d’inventorier les procédés préconisés par les manuels et de s’en servir comme point de comparaison pour déceler la portée des choix expressifs de Mme de Sévigné, c’est que cela permet d’attirer le regard autant sur les procédés que l’épistolière sélectionne que sur ceux qu’elle refuse.

  • 28 Tels sont les principaux procédés que préconisent les manuels de rhétoriqu...

  • 29 « […] exhortationis anima est pugnax quidam calor, qui plurimus in figuris...

  • 30 Telle est la condition paradoxale d’une exhortation réussie : « […] & ...

23D’un côté, Mme de Sévigné se préserve des usages conformistes peu adaptés à la relation qu’elle entretient avec sa correspondante (une authentique intimité affective), au genre pratiqué (la lettre familière) et à ses goûts stylistiques (le naturel) : ni elle n’adopte de disposition fixe parachevée par une « conclusion […] remplie des plus beaux mouvemens » ; ni elle ne recourt aux « lieux qui nous fournissent des raisons pour exciter ceux que l’on veut exhorter » ; ni elle n’utilise les « sentences » habituelles en pareille circonstance ; ni elle ne sollicite ostensiblement les passions spécifiques sur lesquelles joue traditionnellement l’exhortation, comme « la crainte des incommoditez & de l’infamie » ; ni elle ne prend la peine d’adoucir son propos par les éloges d’usage en « loüant avec artifice » ; ni elle ne reproduit les précautions oratoires destinées à assurer que « c’est l’amitié qui nous oblige à luy tenir ce langage » afin d’éviter de donner l’impression d’un « commandement » ou d’une « reprimande »28. D’un autre côté, elle ne manque pas de conférer à ses exhortations une puissante charge pathétique propre à jouer sur les émotions de sa destinataire : aussi concises et familières soient-elles, les exhortations maternelles n’en déploient pas moins la véhémence indispensable à leur efficacité au moyen d’une « chaleur combative » qui « se voit surtout dans les figures violentes et denses29 », au premier rang desquelles les métaphores. À l’opposé aussi bien d’un formalisme stéréotypé que d’une créativité débridée, Mme de Sévigné parvient ainsi à relever le défi propre à l’exhortation qui, « si elle doit être fort peu argumentée et fort peu prolixe en raisons », doit pourtant « faire valoir des raisons vives et pressantes30 ».

Notes

1 Le seul manuel épistolographique du XVIIe siècle à inclure la lettre d’exhortation dans sa taxinomie se présente comme un simple prolongement des traités épistolographiques en latin du siècle précédent : Jacob Paul, Le Parfait Secrétaire…, Paris, A. de Sommaville, 1646.

2 Le Secrétaire inconnu de Barthélémy Piélat (Amsterdam, J.-J. Waesberge, 1671) contient trois lettres d’exhortation : « Il exhorte une Dame à établir une Eglise » (lettre XIV, p. 49-52 – en vernaculaire) ; « Il exhorte son Ami a l’estude & l’asseure de son Amitié » (lettre CLXXIV, p. 379-380 – en latin) ; « Il exhorte son frere à l’estude » (lettre CLXXV, p. 381-383 – en latin). Les Lettres sur toutes sortes de sujets de Pierre Ortigue de Vaumorière (Paris, J. Guignard, tome II, 1695) contiennent une lettre d’exhortation : « Lettre d’un nouveau converti pour exhorter son frere à renoncer au Calvinisme », p. 257-260. Le Recueil de lettres sur divers sujets de Charles-Honoré de Grimarest (Paris, J.-L. Nyon, G. Janot et N. Pissot, 1725) contient trois lettres de « Conseils et exhortations » : « A un Secretaire par son Protecteur » (lettre CXIII, p. 206-208) ; « D’un père à son fils sur sa conduite » (lettre CXII, p. 264-267) ; « A un ami sur son mariage » (lettre CXLIV, p. 270-274).

3 L’« instruction à escrire des lettres » de Jean Puget de La Serre (Le Secrétaire à la Mode, Amsterdam, L. Elzevier, 1646) prouve que l’épistolier est souvent amené à exhorter son destinataire – qu’il s’agisse de l’« exhorter à suivre le conseil qu’on lui donne » dans ses lettres de conseil (p. 10), de « l’exhorter à se retirer de ce vice & changer de vie » dans ses lettres de remontrance (p. 10-11), de « l’exhorter qu’il prenne de là occasion, de se surmonter » dans ses lettres de congratulation (p. 28), ou encore de l’« exhorter à ne se point attrister » dans ses lettres de consolation (p. 30).

4 « J’ai choisi les sujets les plus ordinaires, comme Félicitations, Condoléances, Sollicitations, Prieres, Exhortations, Reproches, Complimens, &c. à des égaux & à des Supérieurs » (Grimarest Ch-H., « Préface » au Recueil de lettres sur divers sujets, op. cit., s. p.).

5 Richelet Pierre, Dictionnaire françois, contenant les mots et les choses…, Genève, Jean Herman Widerhold, 1680, s. v.  exhortation.

6 Furetière Antoine, Dictionnaire universel…, La Haye-Rotterdam, Arnout et Reiner Leers, 1690, s. v. exhortation.

7 Id.

8 Dictionnaire de l’Académie françoise, Paris, Veuve Jean-Baptiste Coignard, 1694, s. v. exhorter.

9 Papon Jean, Secrets du troisième et dernier notaire, Lyon, J. de Tournes, 1583, p. 58.

10 Données entre parenthèses, les références aux lettres de Mme de Sévigné mentionnent la date de la lettre et sa pagination (tome et page) dans l’édition de référence : Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 3 volumes, 1972-1978. Nous ne précisons le destinataire que lorsqu’il ne s’agit pas de Mme de Grignan. Dans toutes les citations, les italiques sont nôtres.

11 La lettre d’exhortation est celle « dans laquelle un ami est averti et incité soit à embrasser et à réaliser avec ardeur ce qui lui semble être le meilleur, soit, au contraire, à repousser et à fuir ce qui lui semble honteux ou mauvais » (« in quibus amicus monetur atq ; excitatur, ut vel quod optimum esse factu videtur, cupide amplectatur ac suspiciat : vel contra, quod turpe, aut malum, aversetur ac fugiat »), Junius Melchior, Scholae rhetoricae. De contexendarum epistolarium ratione, Bâle, C. Uvaldkirch, 1608, p. 24.

12 Les précautions que Paul Jacob recommande de prendre dans la lettre d’exhortation montrent que l’efficacité de celle-ci dépend en grande partie de la capacité de l’épistolier à donner de lui une image d’ami fidèle et dévoué, prêt à faire bénéficier généreusement son correspondant de son expérience : « Pour ce qui est de nostre personne, on a égard à l’ancienne amitié, à nos services continuez, ou rendus, à l’utilité de nos conseils, puis qu’ils luy ont esté autrefois profitables, ou qu’il les approuvoit : à l’autorité que nous avons sur son esprit, ou la creance qu’il a en nous ; que nous nous interessons en ce qui le concerne, que nous agissons fidellement, & sans feinte ; qu’il doit cela à nostre amitié ; & que nous sommes asseurez que nos avis seront en quelque consideration aupres de luy. », Le Parfait Secretaire, op. cit., p. 283-284.

13 Après avoir souligné le caractère utile et nécessaire des lettres d’exhortation (« Et sunt espistolae tales cumprimis utiles et necessariae »), M. Junius insiste sur le fait que « nous ne pouvons mériter mieux de nos amis qu’en les exhortant à ce qui est honnête et glorieux » (« Neque melius de amicis mereri nostris possumus, quam si ad illa quae honesta sunt & praeclara eos hortemur »), Scholae rhetoricae, op. cit., p. 24.

14 « On ne sçauroit croire combien l’exhortation est adoucie, si la personne, qui exhorte, est estimée vertueuse », Jacob P., Le Parfait Secrétaire, op. cit., p. 293.

15 « […] si persona, quae hortatur, plurimum habeat auctoritatis, minus pugnax rationibus, minus calens, & profusa verbis videri debet […]. Nam dignitas ipsa potentissimum est ad feriendos animos telum […]. », Caussin Nicolas, Eloquentiae sacrae et humanae parallela. Libri XVI, Paris, S. Chappelet, 1619, p. 514

16 Érasme oppose les critères distinctifs de l’exhortatio et de la suasio en de rigoureuses antithèses, De Conscribendis Epistolis [1522], éd. J.-Cl. Margolin, dans Opera Omnia Desiderii Erasmi Roterodami, Ordinis Primis, Tomus Secundus, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1971, p. 315.

17 Citons par exemple Voellus Joannus, De Ratione conscribendi epistolas utilissimae praeceptiones, Lyon, J. Pillehotte, 1578, p. 19, ainsi que Junius Melchior, Scholae rhetoricae, op. cit., p. 24.

18 C’est par cette mise en contraste que commencent tous les descriptifs théoriques, parmi lesquels ceux de Nicolas Caussin, Eloquentiae sacrae et humanae parallela, op. cit., p. 514 ; de Gerardus Joannes Vossius, Rhetorices Contractae, sive Partitionum oratoriarum. Libri V, Brunswick, C.-F Zilliger, 1647, p. 193 ; de Charles Pajot, Tyrocinium eloquentiae sive Rhetorica nova, et facilior [1647], Venise-Bassano, A. Remondini, 1708, p. 258-259 ; de Gérard Pelletier, Reginae Palatium Eloquentiae, Lyon, J.-A. Candy, 1653, p. 778.

19 « L’exhortation ne differe pas beaucoup de la persuasion, il n’y a que la fin qui les distingue : l’une donne de la hardiesse, & enseigne par des mouvemens puissans, & l’autre par des raisons & par des preuves : nous persuadons à ceux qui chancelent, & nous exhortons ceux qui desistent, ou qui sont refroidis », Jacob P., Le Parfait Secrétaire, op. cit., p. 281.

20 On aura reconnu la distinction que faisaient les Grecs entre deux types de conseils : la sumboulè, qui désigne « le conseil que l’on donne à propos de matières contestables, non encore tranchées », et la parainesis, qui « est un conseil portant sur des matières incontestées, admises par la communauté, mais dont il faut réactiver la présence dans l’esprit de l’auditoire. », Danblon Emmanuelle, « La rationalité épidictique », dans La Mise en scène des valeurs. La rhétorique de l’éloge et du blâme, éd. par M. Dominicy et M. Frédéric, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 2001, p. 38.

21 Jacob P., Le Parfait Secrétaire, op. cit., p. 279.

22 Érasme précise que « parmi les nombreuses sortes de styles, le style solennel (grave), fougueux (acre), enflammé (ardens) et rapide (incitatum) convient particulièrement à l’exhortation ». Pour décrire la véhémence nécessaire, il insiste sur son caractère mâle : « Car si le fleuri, l’élégant et le spirituel ont ailleurs des grâces, ici le style doit être viril (masculus), et, si je puis dire, vigoureux (robustus), ample (amplus) et énergique (nervosus). » De Conscribendis Epistolis, op. cit., p. 341-342.

23 Érasme souligne qu’aucun procédé n’est plus apte que les tropes à « rendre le discours fougueux (acrem) et enflammé (ardens) » - tropes parmi lesquels il mentionne la métaphore, ibid., p. 348.

24 S’il s’agit d’abord d’exhorter le destinataire « par paroles propres à cela d’estre meu de douleur et desplaisir », c’est pour mieux, ensuite, lui « demonstrer, comme il est necessaire se facher et contrister en telles calamitez, afin qu’après la douleur vienne la pensée d’amander et restaurer les affaires perdues », Chappuys Gabriel, Le Secrettaire [1588], éd. V. Mellinghoff-Bourgerie, Genève, Droz, 2014, p. 218 et 263. Sur le passage des « pleurs et larmes », qui ont pour effet d’« inciter et enflammer les cœurs », à l’action d’une « louable entreprinse », ibid., p. 286.

25 Sur la « fonction argumentative » du proverbe, cité « pour renforcer la crédibilité d’une explication ou le bien fondé d’un conseil », voir Tamba Irène, « Le sens métaphorique argumentatif des proverbes », Cahiers de Praxématique, n° 35, 2000, p. 46.

26 Pour suggérer la violence expressive que doit déployer l’exhortation efficace, c’est-à-dire capable de provoquer une réaction affective chez le destinataire, les théoriciens ne sont pas avares d’images spectaculaires – qu’il s’agisse des « torches de l’émotion et des affects (motus & affectuum faces) » ou des « clous (clavi) enfoncés très profondément dans l’âme des auditeurs », Caussin N., Eloquentiae sacrae et humanae parallela, op. cit., p. 514-515.

27 Le Guern Michel, « Métaphore et argumentation », dans L’Argumentation, Lyon, PUL, 1981, p. 75.

28 Tels sont les principaux procédés que préconisent les manuels de rhétorique et d’épistolographie, et dont Paul Jacob fait la synthèse dans son Parfait Secrétaire, op. cit., p. 284, p. 276, p. 271, p. 274, p. 277 et p. 293-294.

29 « […] exhortationis anima est pugnax quidam calor, qui plurimus in figuris acribus, & densis agnoscitur », Caussin N., Eloquentiae sacrae et humanae parallela, op. cit., p. 515.

30 Telle est la condition paradoxale d’une exhortation réussie : « […] & si minime argumentosa debeat esse cohortatio, & prolixis rationibus effluens ; sunt tamen vividae, & pressae rationes afferendae », ibid., p. 515.

Pour citer ce document

Cécile Lignereux, «D’un sous-genre épistolaire à sa mise en œuvre en contexte familier : l’exhortation», La Réserve [En ligne], La Réserve, Archives Cécile Lignereux, mis à jour le : 30/10/2023, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/reserve/399-d-un-sous-genre-epistolaire-a-sa-mise-en-oeuvre-en-contexte-familier-l-exhortation.

Quelques mots à propos de :  Cécile  Lignereux

RARE Rhétorique de l’antiquité à la Révolution / UMR 5316 Litt&Arts (CNRS/UGA)

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