Dossier Acta Litt&Arts : Les discours rapportés en contexte épistolaire (XVIe-XVIIIe siècles)

Christine Noille

Rapporter des arguments : formes et enjeux de la prosopopée

Résumé

Pourquoi une argumentation a-t-elle besoin de basculer sous la forme d’un discours rapporté pour énoncer un argument qui pourrait tout aussi bien s’énoncer sans discours rapporté ? Pourquoi ce détour, cette mise en forme ? Le discours rapporté – la forme donnée à la séquence argumentative – occupe alors la fonction d’une figure de pensées et il est habituellement identifié comme figure de la prosopopée. La prosopopée est en contexte discursif un dispositif figural aussi imposant à déployer que délicat à convoquer : c’est là également autant de difficultés qui vont influer sur ses usages en contexte épistolaire.

Texte intégral

L’argumentation « à la 3e personne »

1Le discours rapporté n’est pas un processus homogène : il varie en fonction des statuts du discours encadrant et du discours rapporté lui-même (récit, argumentaire…), en fonction de la spécification de son énonciateur (précisé ou non, fictif ou attesté…) et en fonction de sa mise en discours (du discours narrativisé jusqu’au style direct). L’objet qui nous intéressera ici sera alors très précisément défini par le critère du statut : qu’en est-il des argumentations rapportées dans des énoncés eux-mêmes argumentatifs ?

  • 1 Voir Cicéron, De officiis, I, 132 ; ibid., II, 48 ; id., Tusculanes, 2, 56-57.

  • 2 Sur cette définition syntagmatique de la narratio en rhétorique, voir Ch. N...

  • 3 Voir D. Knop, « Écrire et conduire : maîtrise et fougue du ductus montaigni...

2La question prend tout son sens quand on en revient à la définition rhétorique du discours comme dispositif argumentatif tendu (contentio1), composition probatoire à visée pragmatique. L’on sait que le déploiement argumentatif du discours est centré sur le rail des preuves (affirmatives et réfutatives), amplifié le cas échéant par une narratio (recension des circonstances atténuantes ou aggravantes2) et encadré par des dispositifs ponctuatifs (exorde, péroraison). C’est dire si l’enchaînement des raisons est stratégique, nécessitant une conduite (ductus3) habilement négociée. C’est alors à l’aune de ce modèle tensif qu’il convient d’en revenir à l’hypothèse d’un argumentaire rapporté : que devient le tissu persuasif quand il est marqué par ce double décrochage que semble introduire l’argument rapporté, décrochage de l’énonciation et de l’énoncé, de l’éthos et du logos ?

3De fait, notre hypothèse sera que le décrochage est une perturbation formelle – un artefact de surface – ne mettant pas en péril la progression argumentative : en effet, en laissant de côté la question de savoir qui parle, l’argumentaire rapporté est à tout prendre un bloc argumentatif ; il prend de facto place dans le système démonstratif (dans le rail des éléments probatoires), y occupant une fonction distincte (d’appui ou de repoussoir, de conclusion ou de relance, etc.). Il peut bien être une enclave énonciative : il n’est pas une enclave argumentative, il est une séquence particulière de l’argumentation. Ou pour le dire autrement, dans le contexte particulier du développement argumentatif, il n’y a pas d’argument rapporté, il n’y a que des arguments ajoutés. L’argumentation « à la troisième personne » (endossée par une autre instance) n’est en conséquence qu’une modalité, une des modalités énonciatives possibles pour tout énoncé argumentatif.

  • 4 Voir Cicéron, Orator, 39.136. Sur la définition syntagmatique de la figure,...

  • 5 Voir P. Fontanier, Les Figures du discours [1968], Paris, Flammarion, 1977,...

4D’où la possibilité de formuler autrement la problématique de l’argumentaire rapporté. Pourquoi une argumentation a-t-elle besoin de basculer sous la forme d’un discours rapporté pour énoncer un argument (en pro ou en contra) qui pourrait tout aussi bien s’énoncer sans discours rapporté ? Pourquoi ce détour, cette mise en forme ? Sans doute pour d’excellentes raisons (sur lesquelles nous reviendrons), mais qui suffisent pour nous permettre de dissocier deux choses, l’argumentaire intercalé et sa mise en forme. Il en résulte en effet que le discours rapporté – la forme donnée à la séquence argumentative – occupe la fonction d’une figure de pensées, c’est-à-dire, au sens cicéronien, d’une configuration (conformatio4) particulière donnée aux « pensées » (figura sententiarum : Fontanier dira figure sur « un ensemble de phrases5 »). Et plus précisément, la chose est connue, quand on interroge le panel des figures de pensées, l’argumentation rapportée est l’élément stable, depuis l’Antiquité, de la prosopopée.

Cartographie de la prosopopée

  • 6 Voir Ch. Noille, « Figure – Notes », Poétique, vol. 185, n° 1, 2019, p. 59-72.

  • 7 Voir Fr. Goyet, « Les figures de pensée comme grands blocs, unités minimale...

5En reprenant à Quintilien et à Cicéron les deux définitions possibles des figures de pensées, comme feintise et processus de substitution d’une part, comme configuration syntagmatique particulière et processus d’écart d’autre part, il est heuristiquement plus rentable de convertir ces deux catégories de figures en deux régimes de figuralité, autrement dit de considérer les figuralités par simulation et par stylisation non pas comme des classes hétérogènes, mais comme des régimes de figuration possibles pour toute figure6. La prosopopée a alors ceci en propre qu’elle extrêmise ces deux régimes : figure de la simulation jusqu’à la provocation, elle est en même temps une grande figure pour un grand moment, « le grand moment des grands moyens », pour reprendre l’image de Francis Goyet7.

  • 8 Pour l’extension de la prosopopée à la personnification et à l’apostrophe, ...

6Du côté de la figuralité par simulation en effet, on peut affirmer que la prosopopée est une figure de pensées qui opère une double simulation, mettant en scène un discours imaginé lui-même endossé par une instance imaginaire. Une telle définition pêche cependant par optimisme : la prosopopée a couvert, dans son histoire, un prisme beaucoup plus large de procédés de fiction, en amont (au niveau de la fiction de personne) et en aval (au niveau des pratiques fictives endossées). Il peut y avoir prosopopée dès lors que l’instance imaginée est dotée de sentiments (figure de la personnification), est interpellée (figure de l’apostrophe), ou devient elle-même locutrice (une des figures de la prosopopée, donc, que nous pourrions appeler la prosopopée stricto sensu8). De même, des définitions sont attestées qui ouvrent largement en amont la notion d’instance imaginée, des simples absents aux contradicteurs présents, des personnes attestées à des entités allégoriques, des personnes douées de paroles aux morts et aux êtres inanimés. C’est ici à Quintilien qu’il revient d’avoir opéré l’extension maximale :

  • 9 Quintilien, Institution oratoire, trad. J. Cousin, Paris, Les Belles Lettre...

Grâce à elle [la prosopopée], nous dévoilons les pensées de nos adversaires, comme s’ils s’entretenaient avec eux-mêmes […] ; de plus nous pouvons introduire de manière convaincante des conversations tenues par nous avec d’autres […]. Il y a plus : à l’aide de cette forme de langage, il est permis de faire descendre les dieux du ciel et d’évoquer les morts. Les villes mêmes et les peuples reçoivent le don de la parole.9

  • 10 Voir G. Pelletier, s.j., Reginae Palatium Eloquentiae (1641), Lyon, 1653, ...

Avec Quintilien, la simulation d’un discours étend la prosopopée sur toutes les instances, fictives ou non, lui permettant de recouvrir des procédés qui s’apparentent à la prolepse (imagination des objections de l’adversaire), au dialogisme ou sermocinatio (simulation des conversations), et à un ensemble de fictions verbales (tenues par les dieux, les morts, les allégories) que là aussi nous pourrions nommer prosopopée stricto sensu. Cela étant, on peut plaider pour une focalisation de la prosopopée sur les simulations les plus radicales (celle que nous proposions au départ : faire parler les morts et les allégories) comme le font déjà les rhétoriques jésuites du milieu du XVIIe siècle10.

7Feinte audacieuse s’il en est, la prosopopée constitue alors, dans l’échelle des figures de pensée, une figure extrême, en ce qu’elle dénude le procédé de feintise inhérent aux figuralités par simulation. Et ce n’est pas un hasard si l’exemple canonique est précisément celui qui affiche (avec virtuosité) le procédé du mensonge :

  • 11 E. Fléchier, « Oraison funèbre de M. le duc de Montausier », dans Oraisons...

Oserais-je, dans celui-ci [ce discours], où la franchise et la candeur sont le sujet de nos éloges, employer la fiction et le mensonge ? Ce tombeau s’ouvrirait, ces ossements se rejoindraient et se ranimeraient pour me dire : Pourquoi viens-tu mentir pour moi, qui ne mentis jamais pour personne ?...11

  • 12 R. Barthes, « L’ancienne rhétorique. Aide-mémoire », Communications, 16, 1...

La prosopopée ne cache pas le recours à la simulation, elle en effectue une convocation théâtrale. Roland Barthes dans une remarque mémorable déplorait qu’« aucun livre ne nous permet […] d’aller de la phrase (trouvée dans un texte) au nom de la figure12 ». Souci inutile ici : il n’est pas possible de ne pas voir la prosopopée, de ne pas la comprendre intégralement, comme figure, dans son intension comme dans son extension.

8La prosopopée a en effet ceci de remarquable qu’elle offre également une déclinaison hyperbolique de la figuralité par stylisation. Sa configuration est en effet superlativement marquée, du point de vue sémantique par la caractérisation de son instance d’énonciation, du point de vue syntaxique par le régime énonciatif (la simulation d’un discours rapporté, qui permet de délimiter précisément là où elle commence et où elle finit) et du point de vue lexical par des formules stéréotypées qui ponctuent sa mise en place et fonctionnent comme embrayeurs :

  • 13 Nous traduisons P. H. N. Hurtaut, op. cit., p. 278 : « Quaenam sunt formul...

Quelles sont les formules habituelles de la prosopopée ? Ce sont les suivantes : Il me semble l’entendre parler ainsi… Il m’interpelle par ces mots…, etc.13

9Fiction redoublée et séquence autonomisable, la prosopopée pose alors avec une acuité toute particulière la question de ses usages.

Naturalisations du procédé

  • 14 Voir N. Beauzée, op. cit., p. 263 : « Elle n’est pas une figure de fiction...

  • 15 Voir B. Perona, Prosopopée et persona à la Renaissance, Paris, Classiques ...

10En tant qu’elle est une forme saillante de stylisation et de simulation, la prosopopée constitue une modalité très particulière de figuration d’un argument : quel crédit accorder à partir de là à l’argumentaire qu’elle met en forme ? Pour les rhétoriques, le défi de son interprétation ne se pose pas : les arguments énoncés sous forme de prosopopée sont des énoncés sérieux si le contexte général d’argumentation est sérieux14 (et en sens inverse, s’il y a ambiguïté, elle ne vient pas du montage figural, mais d’un contexte énonciatif par exemple ironique15). Autrement dit, l’usage de la prosopopée reste strictement figural ; sur un argument sérieux, elle opère simplement une mise en forme, mais une mise en forme visible, pour ne pas dire ostentatoire.

  • 16 Voir B. Tomachevski, « Thématique » dans T. Todorov éd., Théorie de la lit...

11L’on se souvient que Tomachevski considérait la motivation et la dénudation comme deux stratégies inverses dans la gestion de la perceptibilité des procédés16. La rhétorique de la prosopopée est clairement du côté de la motivation, par deux ressorts principaux : le pathos (la montée des passions) et l’éthos (l’atténuation prudentielle). On est du côté d’une légitimation par le pathos quand la prosopopée prend place dans un mouvement oratoire marqué par un style véhément et relevant de la grande éloquence. La prosopopée représente alors une des formes possibles de cet acmé qu’est le sublime et est associée en conséquence aux moments de culmination argumentative (argument ultime, péroraison…) :

  • 17 A. Malraux, Discours du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, ...

[…] Comprenons bien que pendant les quelques jours où il pourrait encore parler ou écrire, le destin de la Résistance est suspendu au courage de cet homme. Comme le dit Mademoiselle Moulin, il savait tout ! Georges Bideau prendra sa succession.
Mais voici la victoire de ce silence atrocement payé : le destin bascule. Chef de la Résistance martyrisé dans des caves hideuses, regarde de tes yeux disparus toutes ces femmes noires qui veillent nos compagnons […]. Pauvre roi supplicié des ombres, regarde ton peuple d’ombres se lever dans la nuit […]. Comme Leclerc entra aux Invalides avec son cortège d’exaltation dans le soleil d’Afrique, entre ici Jean Moulin avec ton terrible cortège…17

Du côté de l’éthos prudentiel, l’emploi de la prosopopée joue sur deux ressorts de l’atténuation : les circonlocutions du type « il me semble », « en quelque sorte », ou comme le disait Fléchier dans l’exemple cité un peu plus, « oserais-je… » ; et la thématisation d’une distanciation voire d’une dissimulation dans la mise en place de la persona qui endosse la prosopopée. La prosopopée n’est plus alors la forme ultime du sublime : elle ponctue au contraire les méandres préalables des complications du raisonnement.

  • 18 D’où la liste canonique des genres discursifs qui recourent à la prosopopé...

12Bilan de ces deux ressorts de la motivation du procédé, ils sont passablement incompatibles, comme en témoignent leurs usages et la déclinaison qu’ils autorisent de la figure : aux exhortations solennelles et aux grandes envolées déploratives, la gradation pathétique vers une prosopopée en mode majeur ; aux suasoires et aux objurgations, les stratagèmes pour une prosopopée en mode mineur18.

  • 19 Voir J.-B. Crevier, op. cit., p. 175-176 : « Plus le tour de la prosopopée...

  • 20 Voir P.T.N. Hurtaut, op. cit., p. 278 : « Haec Figura invidiam a se amolit...

  • 21 Voir par exemple ce commentaire de Fontanier sur la célèbre prosopopée de ...

13Comme on le voit aussi, la motivation du procédé est par définition co-textuelle : elle témoigne du degré d’intégration de la prosopopée dans le dispositif général du discours encadrant, et le travail de subordination est d’autant plus lourd qu’il s’agit en l’occurrence d’une figure complètement autonomisable et par conséquent fortement centrifuge19. De fait, par l’éthos ou le pathos qui en amont amènent la figure de la prosopopée, celle-ci devient un événement local préparé, lequel a en retour une incidence sur la visée discursive globale, introduisant une véritable tension herméneutique. Quand elle est motivée par une stratégie prudentielle d’oratio obliqua, la prosopopée promeut une herméneutique de l’insinuation et invite à ne pas interpréter à mal l’argument qu’elle présente20. Quand elle répond à une acmé solennelle, elle relève d’une herméneutique de l’autorité, accordant à l’argument qu’elle met en forme le crédit de la persona fictive qui l’endosse21.

14Conséquence de précautions prudentielles ou d’émotions sublimes, ressource pour l’insinuatio ou pour l’auctoritas, la prosopopée est ainsi un dispositif figural aussi imposant à déployer que délicat à convoquer : c’est là également autant de contraintes qui vont influer sur ses usages en contexte épistolaire.

Usages épistolaires

15En identifiant dans la prosopopée « une figure de la voix », le philosophe Bruno Clément la caractérise ainsi :

  • 22 B. Clément, La Voix verticale, Paris, Belin, 2013, p. 30-41.

La prosopopée est d’abord un discours direct. […]
La prosopopée est ensuite un discours fictif. […]
La prosopopée est aussi un discours inclus. […]
Enfin, la prosopopée est un discours moral.22

Ces quatre items, qui recoupent largement nos analyses, vont alors nous permettre de comprendre comment la prosopopée engage la définition et les formes de l’épistolarité.

16La conjuration de l’absence tout d’abord constitue, on le sait, le principe même de l’illusion épistolaire. Rien d’étonnant alors à ce que la composition des lettres en général ait pu être assimilée à cette figuralité par simulation qui est au fondement de la prosopopée :

  • 23 J. Camerarius, Elementa rhetoricae, Leipzig, 1568, « De epistolis », p. 16...

On voit que les Grecs rattachaient la prosopopée à la méthode des panégyriques et à la composition des lettres, du fait que dans tous les cas on se représente comme si on parlait et que souvent on introduit des instances extérieures.23

  • 24 Sur l’association de la prosopopée et d’une dramatisation solennelle, voir...

Mais le lien est ici trop distant pour nourrir une stylistique précise, quand bien d’autres traits définitoires de la lettre semblent au contraire interdire l’usage de la prosopopée. La lettre ne contrevient-elle pas en effet à la dispositio du discours en forme, à l’éloquence ornée, au registre véhément et à la scénographie d’une voix parlant « ex cathedra24 » ? Ou pour le dire autrement, l’usage apparemment paradoxal de la prosopopée en contexte épistolaire nous permettra de valider une tout autre rhétorique de la lettre, mobilisant les ressorts de la grande éloquence oratoire, que ce soit dans une reprise à l’identique ou distante, dans une relation d’imitation ou de parodie.

  • 25 Voir C. Lignereux, « L’art épistolaire de l’âge classique comme champ d’ap...

  • 26 Pour ce dernier cas, voir C. Lignereux, « La rhétoricité conditionnelle de...

17Nous commencerons ici par ce point essentiel : la lettre ne s’oppose pas au discours, elle en est au contraire le plus souvent, dans ses formes renaissantes et modernes, une réplique mutatis mutandis. Ce qu’il convient d’appeler la rhétoricité de l’écriture épistolaire est au demeurant bien connu aujourd’hui grâce aux travaux fondateurs de Cécile Lignereux25. Nous rappellerons juste qu’elle se décline sous deux variantes sensiblement différentes, soit que la lettre soit intégralement focalisée sur un des desseins persuasifs qui déterminent les genres discursifs (et dans ce cas-là les canevas argumentatifs et les ornements figuraux élaborés pour les discours d’éloge, d’exhortation, d’objurgation ou de reproches sont reportés sur les lettres de même catégorie) ; soit que la lettre cumule plusieurs mouvements argumentatifs divers, ne donnant lieu qu’à une reprise partielle et lacunaire des consignes26. Mais dans tous les cas, la possibilité de l’argumentation rappelle que la lettre d’Ancien Régime relève d’un régime d’abord discursif et accessoirement narratif.

  • 27 Érasme, De conscribendis epistolis, Bâle, Froben, 1522, éd. J.-Cl. Margoli...

18Rien d’étonnant alors à ce que les remarques séminales d’Érasme sur les genres épistolaires fassent écho aux consignes que nous avons rencontrées concernant les usages de la prosopopée dans les genres des discours en forme. Comme pour les discours, il existe des figures aptes à rendre l’énoncé solennel (« …figuris ad gravitatem facientibus27 »), parmi lesquelles la prosopopée :

  • 28 Ibid., p. 150 (notre traduction) : « In hoc genere potissimum consectabimu...

Dans ce genre on utilisera principalement des figures du discours ou tropes qui rendent l’éloquence énergique et ardente. De cette sorte sont [… ] les répétitions, les antithèses, les interrogations, les doutes, les métaphores, les prosopopées, les apostrophes […].28

  • 29 La consolation se différencie de l’éloge funèbre par sa première partie, d...

  • 30 Voir Sénèque, Ad Marciam, 26.1.

  • 31 Voir Érasme, op. cit., ch. 49, Consolation à Antoine Sucquet sur la mort d...

19Nous sommes bien ici sur le versant sublime de la grande éloquence : et si les éloges funèbres n’ont pas d’équivalent dans les lettres, le mouvement exhortatif qui vient les parachever dans une envolée oratoire propice à la prosopopée se retrouve de façon canonique dans un genre épistolaire apparenté, la consolation29. C’est ainsi que le modèle par excellence de la lettre consolatoire, la Lettre à Marcia de Sénèque, donne la parole au défunt lui-même, père de la destinataire30 ; et de même, dans une des deux lettres qu’Érasme propose à titre d’illustration de son cru pour la catégorie de la consolatoria epistola, la prosopopée du fils défunt exhortant son père à reprendre courage constitue le point culminant de l’argumentation et du pathos31.

  • 32 Voir J. Puget de la Serre, Le secrétaire à la mode (1625), Amsterdam, Loui...

20Sur l’autre versant, insinuatif et prudentiel, des usages de la prosopopée, nous allons rencontrer les genres épistolaires moins sévères et nous rapprocher ce faisant des lettres familières. Nous pouvons suivre ici un des manuels épistolographiques les plus répandus, Le Secrétaire à la mode de Jean Puget de la Serre (1625). Les conseils généraux, allant dans le sens d’une rhétorique de la négligence et de l’urbanité, excluent par principe les grands ornements que sont les prosopopées et autre apostrophes32 ; mais les préceptes particuliers concernant le dispositif argumentatif des lettres de remontrances réintègre la prosopopée comme ressource majeure de l’atténuation :

  • 33 Ibid., p. 11-12.

Ces lettres requièrent plus d’artifice quand on veut bien reprendre les vices de son ami, mais en telle sorte qu’on n’encoure point sa disgrâce. [...] Si nous estimons que cela est trop rude, et n’osons pas lui parler si ouvertement, nous pourrons dire que c’est le jugement que ses meilleurs amis font de lui [...]. Après cela nous ajouterons, que si c’était un autre que nous n’aimassions pas tant, nous ne lui en aurions dit mot : mais que l’amitié que nous lui portons nous oblige à ne lui point cacher les mauvais bruits qui courent de lui [...].33

  • 34 Voir Aristote, op. cit., 1418b23, p. 519 : « Ainsi, chez Sophocle [v. 883-...

21Non seulement on reconnaît là un usage qu’Aristote avait déjà répertorié du côté de la rhétorique dramaturgique34, mais les exemples abondent dans les corpus épistolaires du XVIIe siècle, qui établissent ainsi une distance avec l’énoncé d’un reproche, par le biais de sa figuration sous forme de prosopopée. La première Portugaise nous en offrira une actualisation remarquable s’il en est :

  • 35 Lettres portugaises traduites en français, Paris, Claude Barbin, 1669, p. ...

J’envoie mille fois le jour mes soupirs vers vous, ils vous cherchent en tous lieux, et ils ne me rapportent, pour toute récompense de tant d’inquiétudes, qu’un avertissement trop sincère que me donne ma mauvaise fortune, qui a la cruauté de ne souffrir pas que je me flatte, et qui me dit à tous moments : Cesse, cesse, Mariane infortunée, de te consumer vainement, et de chercher un amant que tu ne verras jamais ; qui a passé les mers pour te fuir, qui est en France au milieu des plaisirs, qui ne pense pas un seul moment à tes douleurs, et qui te dispense de tous ces transports, desquels il ne te sait aucun gré. Mais non, je ne puis me résoudre à juger si injurieusement de vous, et je suis trop intéressée à vous justifier : je ne veux point m’imaginer que vous m’avez oubliée…35

22Avec ce dernier exemple, le pas est aisément franchi, qui nous conduit des lettres familières vers les lettres galantes : car l’écriture d’agrément, elle aussi, sait ménager une place à cet artifice en apparence si éloigné de la légèreté mondaine qu’est la figure de la prosopopée.

La prosopopée dans la lettre galante

23Par sa visibilité, la prosopopée est un comble de l’art, une configuration d’exception – quels que soient ses prémunitions préalables et ses effets de sens consécutifs. Elle reste fondamentalement du côté de l’ornement, de la culture rhétorique. Sa présence dans les lettres galantes invite alors non seulement à mettre en perspective les consignes épistolographiques concernant le refus du grand style, mais surtout elle nous offre l’occasion de revenir sur la galanterie épistolaire, qui est souvent (et parfois surtout) un exercice de récriture distancée, de l’ironie discrète à la parodie appuyée.

24Un manuel tardif (du XIXe siècle) enregistre cette inflexion. Dans son passage en revue des figures aptes à l’écriture épistolaire, il n’hésite pas en effet à recommander l’usage de la prosopopée :

  • 36 F. Biscarrat et A. M. de Beaufort d’Hautpoul, Nouveau manuel complet du st...

La passion personnifie et anime tout dans la nature ; elle prête le sentiment et la vie, la parole même aux objets insensibles : cette expression d’un besoin de notre âme est appelée par les rhéteurs prosopopée.
Cette figure est employée dans les usages les plus familiers du discours, toutes les fois qu’on attribue à des êtres inanimés une action qu’ils ne peuvent avoir réellement, et que l’imagination peut seule leur prêter par analogie.36

Que la prosopopée en mode majeur (comme figure du sublime) soit naturalisée au point de relever d’un des « usages les plus familiers du discours » relève ici d’une justification parfaitement sophistique, puisque les trois exemples allégués juste ensuite sont exempts de tout pathos :

  • 37 Madame de Sévigné, à Mme de Grignan, le 13 mai 1671, Correspondance, éd. R...

Je n’ai garde de dire à notre Océan, la préférence que vous lui donnez ; il en serait trop glorieux ; il n’est pas besoin de lui donner plus d’orgueil qu’il n’en a. (Madame de Sévigné)37

  • 38 Ibid., à Mme de Grignan, le 27 mai 1672, p. 518.

Je crois de votre Provence toutes les merveilles que vous m’en dites ; mais vous savez très bien les mettre dans leur jour ; et si le beau pays pouvait vous témoigner toutes les obligations qu’il vous a, je suis assurée qu’il n’y manquerait pas. Je crois qu’il vous dirait aussi l’étonnement où il doit être de votre dégoût pour ces divines senteurs [...]. (Madame de Sévigné)38

  • 39 H. G. Riqueti de Mirabeau, Lettres de Mirabeau à Chamfort, Paris, chez le ...

  • 40 F. Biscarrat et A. M. de Beaufort d’Hautpoul, op. cit., p. 67-68.

C’est de cette ville souveraine, qui, bâtie de briques, sans élégance ni noblesse dans ses édifices, montre la Tamise et son pont superbe, et semble dire : Qu’oseriez-vous me comparer ? que l’Océan, que ces mondes m’apportent ici leur tribut ! [c’est de cette ville que je vous écris à la hâte… ] (Mirabeau39, à Chamfort)40

  • 41 Voir J. L. Borges, Fictions (1956), Paris, Gallimard (1957), « Folio », 19...

La prosopopée de l’Océan mobilise une personnification dans un contexte antiphrastique caractérisé (faire comprendre a contrario le plaisir et la fierté que procure à Mme de Sévigné la préférence de sa fille pour « notre Océan ») ; la prosopopée de la Provence s’inscrit dans une séquence prudentielle (marquer avec courtoisie son « étonnement » devant le « dégoût » de Mme de Grignan pour les odeurs). Quant à la prosopopée de Londres, si elle marque une envolée oratoire, c’est sur le mode artificiel de la périphrase amplificatrice, ce que Borgès nommerait « un pur éloge rhétorique41 ». La motivation pathétique, avancée ici pour justifier de l’emploi de la prosopopée, est donc loin de convaincre ; et en l’occurrence, les auteurs du manuel eussent pu convoquer un autre principe de légitimation, qu’ils utilisent à l’occasion, par exemple ici à propos de la répétition :

  • 42 F. Biscarrat et A. M. de Beaufort d’Hautpoul, op. cit., p. 68.

Quelquefois, pour produire un effet agréable, l’esprit se joue en quelque sorte avec les mots […]42,

ou encore à propos de la citation :

  • 43 Ibid., p. 73.

Les citations faites à propos plaisent […] et ne déparent point une lettre.43

On aura reconnu le principe de l’enjouement – au double sens du jeu littéraire et de la gaîté stylistique. Car l’esprit se jouant avec la figure de la prosopopée offre bien, dans les trois exemples ci-dessus, un tour plaisant qui « ne dépar[e] point une lettre ».

25C’est ainsi que dans un contexte où arguments et narrations sont systématiquement soumis à l’art de faire montre d’esprit, la virtuosité épistolaire éprouve dans la figure de la prosopopée une ressource inattendue, trouvant là l’occasion d’un morceau de bravoure ingénieux qui renouvelle l’exercice attendu des compliments :

  • 44 Madame de Sévigné, op. cit., p. 174 (nous soulignons).

Je vois des harangues, des infinités de compliments, de civilités, des visites ; on vous fait des honneurs extrêmes, il faut répondre à tout cela, vous êtes accablée ; moi-même, sur ma petite boule, je n’y suffirais pas. Que fait votre paresse pendant tout ce tracas ? Elle souffre, elle se retire dans quelque petit cabinet, elle meurt de peur de ne plus retrouver sa place ; elle vous attend dans quelque moment perdu pour vous faire au moins souvenir d’elle, et vous dire un mot en passant. Hélas ! dit-elle, mais vous m’oubliez : songez que je suis votre plus ancienne amie…44

Que la prosopopée, figure de l’extrême qui a sans cesse mobilisé un arsenal rhétorique pour être adoucie, intégrée, naturalisée, donne lieu – au sein des écritures mondaines – à une surenchère sur son artificialité ne fait que rendre justice à sa force de figuration.

26Car avec elle, au fond, nul adoucissement ne tient : par son artifice flamboyant, la prosopopée nous offre ainsi le meilleur angle qui soit pour envisager de quoi il retourne quand les rhétoriques multiplient les consignes d’accommodement et de modération dans l’usage des figures.

Notes

1 Voir Cicéron, De officiis, I, 132 ; ibid., II, 48 ; id., Tusculanes, 2, 56-57.

2 Sur cette définition syntagmatique de la narratio en rhétorique, voir Ch. Noille, « Narratio / Narration ? La rhétorique et la langue française », Littératures classiques 2018/2, n° 96, Les intraduisibles du vocabulaire critique (XVIe-XVIIIe siècles), p. 85-97.

3 Voir D. Knop, « Écrire et conduire : maîtrise et fougue du ductus montaignien », Montaigne Studies, « Montaigne écrivain », XXVII, 2015, p. 73-88.

4 Voir Cicéron, Orator, 39.136. Sur la définition syntagmatique de la figure, voir M. S. Celentano, P. Chiron et M.-P. Noël (dir.), Skhèma/Figura. Formes et figures chez les Anciens. Rhétorique, philosophie, littérature, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2004 ; Fr. Goyet, « Les figures de pensée comme grands blocs, unités minimales pour construire un discours », dans P. Galand, F. Hallyn, C. Lévy et W. Verbaal (dir.), Quintilien ancien et moderne (Actes du colloque de Gand, décembre 2005), Turnhout, Brepols, 2010, p. 527-557.

5 Voir P. Fontanier, Les Figures du discours [1968], Paris, Flammarion, 1977, p. 280 : « Sortez même un peu, s’il le faut, du cercle étroit de la phrase et de la période, et voyez toute une suite, tout un ensemble de phrases, de périodes […] : alors se présenteront des figures d’un ordre nouveau et plus élevé […] : Figures de pensées. »

6 Voir Ch. Noille, « Figure – Notes », Poétique, vol. 185, n° 1, 2019, p. 59-72.

7 Voir Fr. Goyet, « Les figures de pensée comme grands blocs, unités minimales pour construire un discours », art. cit., p. 541.

8 Pour l’extension de la prosopopée à la personnification et à l’apostrophe, voir J.-B. Crevier, Rhétorique française, Paris, Saillant et Desaint, t. II, 1767, p. 166-167 : « La prosopopée […] consiste à métamorphoser les objets insensibles en personnages animés, en leur attribuant le sentiment, en les apostrophant comme s’ils pouvaient entendre, en les faisant même parler, comme s’ils avaient non seulement la faculté de sentir, mais l’usage de la parole ». Voir également (et à sa suite), N. Beauzée, article « Prosopopée », dans l’Encyclopédie méthodique. Grammaire et littérature, t. III, Paris, Panckoucke, Liège, Plomteux, 1786, p. 259-262 ; P. Fontanier, Les Figures du discours, op. cit., p. 404-408.

9 Quintilien, Institution oratoire, trad. J. Cousin, Paris, Les Belles Lettres, t. V, 1978, 9.2.30-31, p. 310-311.

10 Voir G. Pelletier, s.j., Reginae Palatium Eloquentiae (1641), Lyon, 1653, p. 564, notre traduction : « Est autem personae effictio, qua rebus mutis, as sens expertibus sermonem accommodamus, aut vita functos tanquam praesentes, spirantesque inducimus loquentens. » « C’est le portrait d’un caractère, par lequel nous accommodons le discours à des choses muettes et privées des sens ; ou bien nous nous représentons les défunts comme s’ils étaient présents, et les esprits comme s’ils parlaient. » Voir également M. Du Cygne, s.j., Explanatio rhetoricae (1659), Florence, J. Guiduccium, 1715, p. 149 : « Prosopopoeia […] est loquentis personae ficta inductio, hocque genus locutionis mortuis quasi sursum evocatis, et urbibus, formis etiam fictis, ut virtuti, et voluptati, tribui potest. » Nous traduisons : « La prosopopée […] est la représentation fictive d’un caractère doté de parole, et ce genre de parole peut être attribué aux morts comme s’ils étaient revenus sur terre, aux villes et même aux entités fictives, telles que le courage et le plaisir. » Pour sa reprise standardisée dans les manuels pédagogiques, voir J. Jouvancy, Candidatus rhetoricae, Rome, J. N. de Martiis, 1710, p. 107 ; P.T.N. Hurtaut, Manuale rhetorices (1757), Paris, chez l’auteur, 1782, p. 276.

11 E. Fléchier, « Oraison funèbre de M. le duc de Montausier », dans Oraisons funèbres composées par M. Fléchier, Paris, A. Dezallier, 1691, t. II, p. 219. Cet exemple de prosopopée est devenu paradigmatique dans les rhétoriques, précisément en raison de son renchérissement sur la feintise.

12 R. Barthes, « L’ancienne rhétorique. Aide-mémoire », Communications, 16, 1970, p. 219.

13 Nous traduisons P. H. N. Hurtaut, op. cit., p. 278 : « Quaenam sunt formulae vulgares Prosopopoeiae ? Sequentes : Audire mihi videor sic loquentem. His me compellantem vocibus, etc. »

14 Voir N. Beauzée, op. cit., p. 263 : « Elle n’est pas une figure de fiction, parce qu’elle il n’y a rien de feint et de simulé dans le discours qu’elle produit ; elle dit directement et clairement ce qu’on a intention de dire, au lieu que les figures de fiction disent en effet autre chose que ce qu’on a intention de faire entendre. »

15 Voir B. Perona, Prosopopée et persona à la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, 2013.

16 Voir B. Tomachevski, « Thématique » dans T. Todorov éd., Théorie de la littérature. Textes des formalistes russes, Paris, Seuil, « Tel Quel », 1965, p. 300 : « Il existe deux attitudes littéraires différentes en ce qui concerne la perceptibilité des procédés utilisés. La première, qui caractérise les écrivains du XIXe siècle, cherche à dissimuler le procédé. Tout le système de motivation s’efforce de rendre invisibles les procédés littéraires, de développer le matériau littéraire de la manière la plus naturelle, c’est-à-dire imperceptible. Mais c’est une attitude, et non pas une loi esthétique générale. Une autre attitude s’oppose à celle-ci ; elle n’essaye pas de dissimuler le procédé et tend même à le rendre évident. […] Ce n’est pas une motivation réaliste, mais une démonstration du procédé, ou mieux la dénudation du procédé. »

17 A. Malraux, Discours du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, 19 décembre 1964, édité en ligne ( nos italiques) ; URL : https://fr.m.wikisource.org/wiki/Discours_du_transfert_des_cendres_de_Jean_Moulin_au_Panthéon. On aura noté que la prosopopée, venant en conclusion de la partie narrative et juste avant la péroraison, est une apostrophe.

18 D’où la liste canonique des genres discursifs qui recourent à la prosopopée. Voir G. Pelletier, op. cit., p. 564 : « Ut in suadendo, quaerendo, objurgando, laudando, miserando plurimum proficiat » (nous traduisons : « Elle sert surtout à conseiller, demander, objurguer, louer, éveiller la pitié »). Voir également Ch. Pajot, s.j., Tyrocinium Eloquentiae, sive Rhetorica nova, et facilior (1646), s.d., Venise, p. 348 : « Prosopopoeia usurpatur in suasionibus, objurgationius, laudationibus, questionibus et commiserationibus » (nous traduisons : « La prosopopée est utilisée dans les suasoires, les objurgations, les éloges, les plaintes et les appels à la pitié »). Ou encore M. Du Cygne, op. cit., p. 131 : « Haec figura [...] vim habet ad suadendum, objurgandum, laudandum et miserendum » (nous traduisons : « Cette figure est efficace pour conseiller, objurguer, louer et éveiller la pitié »).

19 Voir J.-B. Crevier, op. cit., p. 175-176 : « Plus le tour de la prosopopée est hardie, plus elle a besoin d’être adoucie par des prémunitions qui en aplanissent la voie. »

20 Voir P.T.N. Hurtaut, op. cit., p. 278 : « Haec Figura invidiam a se amolitur in personam quam inducit monentem, objurgantem, etc. » Nous traduisons : « Cette figure éloigne de soi le ressentiment et le reporte sur la personne qu’on représente tenant un discours de mise en garde, d’objurgation, etc. » Cette fonction d’insinuation est la plus ancienne attestée. Voir Aristote, Rhétorique III, éd. P. Chiron, Paris, Flammarion, 2007, ch. 17, 1418 b 23, p. 519 : « En ce qui concerne l’expression du caractère [ethos] puisque […] parler dire du mal d’autrui s’apparente à l’insulte ou à la grossièreté, il faut faire parler quelqu’un d’autre comme le fait Isocrate dans le Philippe [4-7] ou dans <l’opuscule intitulé> Sur l’échange [132-139, 141-149], ou Archiloque dans ses invectives [fr. 122 West]… ».

21 Voir par exemple ce commentaire de Fontanier sur la célèbre prosopopée de Fabricius (J.-J. Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, 1750 : « Ô Fabricius ! qu’eût pensé votre grande âme si… »), Les Figures du discours, op. cit., p. 405 : « Où est donc la prosopopée ? Elle est dans cette fiction par laquelle l’orateur fait intervenir Fabricius, pour appuyer du nom et de l’autorité de ce grand homme l’opinion qu’il a pour objet d’établir. »

22 B. Clément, La Voix verticale, Paris, Belin, 2013, p. 30-41.

23 J. Camerarius, Elementa rhetoricae, Leipzig, 1568, « De epistolis », p. 169-170 (notre traduction) : « Reperio Graecos Prosopopoeis, & totam Panegyricorum rationem, & epistolarum compositionem subiecisse. In quibus quisque primum suam personam veluti producit loquentem, & saepenumero alienae quoque inferendae sunt. »

24 Sur l’association de la prosopopée et d’une dramatisation solennelle, voir Démétrios, Du style, éd. P. Chiron, Paris, Les Belles Lettres, 2002, 265-267, p. 73 : « Le passage paraît beaucoup plus alerte et véhément grâce à la figuration [prosopon : figure, masque] ; il en devient même un véritable drame [drama]. »

25 Voir C. Lignereux, « L’art épistolaire de l’âge classique comme champ d’application du savoir rhétorique », Exercices de rhétorique, 6 | 2016 : URL : http://journals.openedition.org/rhetorique/441.

26 Pour ce dernier cas, voir C. Lignereux, « La rhétoricité conditionnelle des lettres de Mme de Sévigné », Exercices de rhétorique, 6 | 2016 ; URL : http://journals.openedition.org/rhetorique/428.

27 Érasme, De conscribendis epistolis, Bâle, Froben, 1522, éd. J.-Cl. Margolin dans Opera Omnia Desiderii Erasmi Roterodami, Ordinis Primis, Tomus Secundus, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1971, p. 150.

28 Ibid., p. 150 (notre traduction) : « In hoc genere potissimum consectabimur ea sermonis schemata, sive tropos, quae reddunt acrem et ardentem orationem. Huiusmodi sunt […] repetitiones, contentiones, interrogationes, dubitationes, metaphorae, prosopopoeiae, apostrophae […].

29 La consolation se différencie de l’éloge funèbre par sa première partie, dédiée à l’amplification du malheur ; elle s’en rapproche par sa seconde partie, consacrée aux motifs de réconfort et conclue sur une exhortation à prendre courage et à imiter le défunt. Voir G.J. Vossius, « Rhetorices contractae (1621), II, 24. De la consolation », éd. Ch. Noille, Exercices de rhétorique, 9 | 2017 ; URL : http://journals.openedition.org/rhetorique/534.

30 Voir Sénèque, Ad Marciam, 26.1.

31 Voir Érasme, op. cit., ch. 49, Consolation à Antoine Sucquet sur la mort de son fils, p. 250-266.

32 Voir J. Puget de la Serre, Le secrétaire à la mode (1625), Amsterdam, Louis Elzevier, 1646, p. 45-46 : « En second lieu le Style des lettres vient en considération. Il doit sentir sa négligeance, et ne différer guère du langage ordinaire. Les figures des orateurs, surtout les exclamations, apostrophes, prosopopées et semblables n’y conviennent point, non plus que les longues périodes. »

33 Ibid., p. 11-12.

34 Voir Aristote, op. cit., 1418b23, p. 519 : « Ainsi, chez Sophocle [v. 883-709], Hémon défendant Antigone devant son père en faisant comme s’il rapportait les paroles d’autrui. »

35 Lettres portugaises traduites en français, Paris, Claude Barbin, 1669, p. 6-8 (nous soulignons).

36 F. Biscarrat et A. M. de Beaufort d’Hautpoul, Nouveau manuel complet du style épistolaire (1834), Paris, Roret, 1835, p. 67-68.

37 Madame de Sévigné, à Mme de Grignan, le 13 mai 1671, Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, t. I, 1972, p. 252.

38 Ibid., à Mme de Grignan, le 27 mai 1672, p. 518.

39 H. G. Riqueti de Mirabeau, Lettres de Mirabeau à Chamfort, Paris, chez le directeur de la Décade Philosophique, an V [1797], lettre XIII, le 30 août 1784, p. 47-48. Nous rajoutons entre crochets droits la fin de la proposition principale, omise dans le manuel.

40 F. Biscarrat et A. M. de Beaufort d’Hautpoul, op. cit., p. 67-68.

41 Voir J. L. Borges, Fictions (1956), Paris, Gallimard (1957), « Folio », 1981, Pierre Ménard, auteur du Quichotte (1939), p. 71-72 : « Celui-ci [Cervantès], par exemple, écrivit (Don Quichotte, Première Partie, chapitre IX) : … la vérité, dont la mère est l’histoire, émule du temps, dépôt des actions, témoin du passé, exemple et connaissance du présent, avertissement de l’avenir. Rédigée au XVIIe siècle, rédigée par le « génie ignorant » Cervantès, cette énumération est un pur éloge rhétorique de l’histoire. »

42 F. Biscarrat et A. M. de Beaufort d’Hautpoul, op. cit., p. 68.

43 Ibid., p. 73.

44 Madame de Sévigné, op. cit., p. 174 (nous soulignons).

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Pour citer ce document

Christine Noille, «Rapporter des arguments : formes et enjeux de la prosopopée», Acta Litt&Arts [En ligne], Acta Litt&Arts, Les discours rapportés en contexte épistolaire (XVIe-XVIIIe siècles), Préambule théorique : la prosopopée en rhétorique et dans le genre épistolaire, mis à jour le : 06/11/2023, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/actalittarts/556-rapporter-des-arguments-formes-et-enjeux-de-la-prosopopee.

Quelques mots à propos de :  Christine  Noille

Sorbonne Université/ CELLF

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