Dossier Acta Litt&Arts : Relire Villon : Lais, Testament, Poésies diverses
Quid est veritas ? L’écriture et le mouvant dans l’œuvre de François Villon
Texte intégral
1 Pétrarque, Secretum, éd. et trad. Enrico Carrara, Turin, Einaudi, 1977, liv...
In rebus contrariis opinio diversa ; veritas autem una atque eadem semper est. (François Pétrarque1)
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2 Paul Ricœur, « Vérité : Jésus et Ponce Pilate », Le Semeur, 44/4-5, 1945-19...
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3 Carlos Carreto, « Verum/veritas : le vrai à l’épreuve de la fiction chez sa...
1Quid est veritas ? (Jean, 18, 38)… Par sa question, Ponce Pilate, qu’il soit indifférent ou angoissé, fuit « devant la suprême vérité2 » dont Jésus est le témoin dérangeant. Indigne de la charge politique qu’il occupe, il le laissera crucifier. Le gouverneur romain reste prisonnier des vérités humaines, fruits de la raison et de l’expérience, mais sujettes à l’erreur, puisqu’elles sont soumises à l’emprise des sens et des passions. Pour saint Augustin, le vrai (verum), tel que le conçoit l’homme en s’arrêtant aux apparences, se distingue de la vérité. Seule celle-ci accède « à la substance permanente des êtres et des choses, existant (comme l’âme) indépendamment des corps tangibles dans lesquels elle s’incarne3 ».
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4 Geneviève Hasenohr, « “Dire la vérité”, “oïr la vérité” : quelle vérité ? À...
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5 Il va jusqu’à l’identifier à son père : Vérité « qui est Dieu » (Songe du V...
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6 Paul Ricœur, art. cit., p. 385.
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7 Joël Blanchard, « Politique des points de vue et stratégies discursives : P...
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8 Philippe de Mézières, Songe du Viel Pelerin, éd. J. Blanchard, Genève, Droz...
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9 Sur cette figure « souveraine », voir C.-M. Schertz, De l’épée à la plume :...
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10 Sur l’importance de cette notion à l’époque, voir E. Doudet, « Philippe de...
2La pensée augustinienne, héritière de l’aletheia grecque, a marqué de son sceau la notion médiévale de la vérité. À la fin du Moyen Âge, la citation de Pétrarque (en exergue) en offre un témoignage en opposant, par la voix d’Augustinus, la vérité à l’opinion incertaine des hommes. Cette vérité unique, incontestable, ne se conçoit pas en dehors de la foi : telle est aussi la conviction de Jean Gerson4, théologien et recteur de l’Université de Paris, qui considère que la vérité est un attribut divin. Elle l’est encore pour Philippe de Mézières5, son contemporain : à l’instar de saint Jean, qui combat les idoles dans son « Évangile mystique6 », celui-ci accuse les « gestionnaires de la croyance collective » et dénonce les « discours biaisés7 » des avocats, conseillers et astrologues dans le Songe du Viel Pelerin (1389). Au sein du songe allégorique, Philippe soumet au jugement de l’« infaillible » dame Vérité, sans « vilté ne contradiction8 », les égarements de la société contemporaine où le mensonge, la flatterie et l’hypocrisie règnent en maîtres. À la fois instance de sanction et législateur, Vérité répète le geste du Seigneur donnant à Moïse9 les tables de la Loi sur le mont Sinaï : de son doigt, elle trace sur les « .ii. tables » du jeune Cerf Volant, « a present appellé josne Moyses » (p. 807) – c’est-à-dire le futur Charles VI – les « divins enseignemens » qui guideront le roi dans ses décisions. D’origine transcendante, la vérité est réservée à l’élu qui, par son entendement (la première table), est prêt à l’écouter, puis à la conserver dans la mémoire (la seconde table). Philippe de Mézières fait de la vérité révélée la pierre angulaire du Songe ; il se pose ainsi en orateur10 chrétien qui cherche à ramener ses contemporains aux valeurs vraies, en les arrachant aux errances d’une raison obnubilée par le péché et la passion.
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11 N. Pons, « Pour ce que manifestation de Verité. Un thème du débat politiqu...
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12 Voir notre article : « Amour et identité politique : le Champion des Dames...
3Dans le Songe du Viel Pelerin, Vérité est personnifiée, comme elle l’est dans le Iudicium Veritatis (avant 1389), chez Christine de Pizan, Eustache Deschamps ou dans le Songe véritable (1406). L’importance nouvelle accordée à la Vérité s’explique par le contexte historique11 : à l’époque du Schisme et de la guerre de Cent Ans, la conscience des croyants est profondément ébranlée. Qui croire au sein des conflits politiques et des débats théologiques ? La question est encore d’actualité en 1442, quand Martin Le Franc, qui participa au concile de Bâle, met en scène les joutes verbales opposant Franc Vouloir aux détracteurs des femmes dans le Champion des dames. Les enjeux du texte vont bien au-delà de la question de la dignité de la femme et du statut de la courtoisie ; sous le voile du débat allégorique, Martin Le Franc incite les princes laïcs et ecclésiastiques à mettre en œuvre une politique12 qui, placée sous le signe de l’amour (divin), sera le reflet de l’harmonie universelle.
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13 Martin Le Franc, Le Champion des Dames, éd. R. Deschaux, Paris, Honoré Cha...
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14 Champion, vol. 1, p. 105 (rubrique).
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15 Geneviève Hasenohr, art. cit., p. 17.
4À la démultiplication significative des adversaires – de Brief Conseil à Faux Semblant – qui affrontent tour à tour le Champion, répond la seule voix de Franc Vouloir. Défenseur de la juste cause, il fait figure de double de l’auteur qui déclare écrire « par le commandement de Verité13 ». Comme dans le Songe du Viel Pelerin où, ignorée des humains, dame Vérité s’est réfugiée au Paradis terrestre, la vérité est négligée au début du Champion, son « image » (statue) reléguée « dans ung anglet, toute enfumee14 ». C’est seulement vers la fin du débat, au début du livre v, que Verité « a esclaircir / Commença merveilleusement » (v. 20481-82), semant la confusion parmi Malebouche et ses acolytes. Et voilà qu’elle se manifeste dans sa clarté divine, confirme la défaite des médisants et couronne le Champion d’un « chappelet de vert lorier » (v. 24312). Ses adversaires ont beau se prévaloir d’auctoritates et citer des exemples en se pliant à une démarche argumentative qui est apparemment la même que celle observée par Franc Vouloir, rien n’y fait. Leurs arguties, aurait dit le chancelier Gerson, ne sont pas conformes, au « donné révélé15 ». Pris « en mensonge et pechié » (v. 24280), ils ont osé médire de la Vierge, se disqualifiant définitivement, car :
Verité ne se peut celer :
Ou tost ou tart elle est congneue.
Rien n’y vault le dissimuler.
(Champion, v. 24297-99)
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16 Voir C. Casagrande et S. Vecchio, Les Péchés de la langue, trad. Ph. Baill...
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17 Alain Chartier, La Belle Dame sans mercy, v. 299-300, dans Le Cycle de la ...
5Un tel optimisme, telle est notre hypothèse, n’est plus guère de mise dans les années 1460. George Chastelain, grand indiciaire de la cour de Bourgogne, et François Villon, écolier parisien, témoignent chacun à sa manière d’un changement sensible dans la perception de la vérité. Pourtant, les effets néfastes des péchés de la langue16 (mensonge, flatterie, médisance, etc.), qui font obstacle, voire empêchent l’accès à la vérité, n’ont cessé d’être dénoncés par les moralistes depuis le xiie siècle. Du Policraticus de Jean de Salisbury à Philippe de Mézières et au De vita curiali (vers 1425) d’Alain Chartier, ils sont considérés comme le fléau des cours, voire de la société tout entière. Dans le domaine de la courtoisie, le discours amoureux est perçu comme un tissu de « plaisans bourdes / confites en belles paroles17 », auquel la Belle Dame sans mercy d’Alain Chartier n’accorde plus le moindre crédit.
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18 Georges Chastellain, Les Exposicions sur Verité mal prise. Le Dit de Verit...
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19 E. Doudet, Poétique de George Chastelain. Un cristal mucié en un coffre, P...
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20 Hannah Arendt, La Crise de la culture, trad. P. Lévy, Paris, Gallimard, 20...
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21 Christine de Pizan, Le Livre de l’advision Cristine, éd. Ch. Reno et L. Du...
6La méfiance face à des énoncés souvent contradictoires, le sentiment de ne pas pouvoir se fier à la parole humaine remontent donc loin. Ce qui change dans les années 1460, c’est que l’autorité même de l’auteur – son ethos – est mise en question. Sa parole n’a plus le poids de la parole de l’orateur qui, fort de son savoir, est en droit (comme Philippe de Mézières) de juger ses contemporains. Ses dires sont sujets à caution : l’auteur est contraint de défendre son point de vue, qui est considéré comme une opinion personnelle et contestable. Ainsi George Chastelain doit faire face aux accusations des lecteurs liés à la cour de France, hostiles au duc de Bourgogne : pour eux, le Dit de verité est un tissu de mensonges. Ils ne reconnaissent pas l’« intencion bonne » de l’auteur qu’ils taxent d’orgueil et de malveillance à l’égard du roi. Le grand George a beau se poser en « povre homme, profereur de verité sainte18 », il n’y a pas chez lui de révélation d’origine transcendante qui donnerait à ses propos leur légitimité. À la fin des Exposicions sur Verité mal prise, après avoir démontré que la « perversion du sens est dans la lecture, non dans l’écriture19 », le « treshumble orateur » (p. 180) doit soumettre ses arguments à la « correction et chastoy » (p. 181) du roi de France. Un acte d’humilité convenu et attendu de la part de l’écrivain face au prince ? Pas seulement : Chastelain proteste une dernière fois de ses bonnes intentions, de son amour pour le « bien publique » (p. 183), et clame son désir de paix. Mais quoi que dise l’indiciaire bourguignon, la vérité est sa vérité ; il n’y a plus de vérité supérieure, à laquelle tous pourraient adhérer, Français comme Bourguignons. Partielle et partisane, biaisée par les intérêts politiques, la vérité se conjugue au pluriel, sujette à des controverses qu’aucun jugement définitif ne vient trancher dans une situation politique tendue. Loin d’écrire sous l’égide de dame Vérité, Chastelain est pris « dans les rapports et la relativité des affaires humaines20 » : il se bat sur le terrain mouvant de l’opinion, livré à cette puissance qui, avec l’instable Fortune, gouverne « les choses mondaines21 » selon Christine de Pizan.
François Villon : la vérité en éclats
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22 G. Gros, « Le Poète et ses personnages. Étude sur l’art des dédoublements ...
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23 Champion des Dames, vol. 1, p. 4. Lui-même se juge indigne d’une telle con...
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24 François Villon, Testament, v. 1811, 1886, 1997, 2033 (refrain), dans Lais...
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25 B. Sargent-Baur, « Truth-claims as captatio benevolentiæ in Villon’s Testa...
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26 L’association de « la sincérité et [de] l’authenticité personnelle », note...
7Quid est veritas ? La question de Ponce Pilate est au cœur des Exposicions. Elle s’impose aussi au lecteur des deux testaments de Villon. Il se trouve confronté à une œuvre marquée au sceau de l’ironie, ponctuée de mises en scène variées d’un moi dont la sincérité paraît sujette à caution22. De ce point de vue, il est significatif que ni le titre d’« orateur » (que revendique Philippe de Mézières) ni celui de « poete » (dont se sert Martin Le Franc pour qualifier les auteurs antiques23, ses modèles) n’apparaissent sous la plume de maître François. Le « povre24 » Villon suit pourtant les préceptes hérités de la rhétorique antique en multipliant les captationes benevolentiæ pour susciter la pitié de son public. Il se présente à l’article de la mort – « moment of truth25 » – en train de rédiger ses dernières volontés. Selon Barbara Sargent-Baur, la liberté de parole revendiquée aux vers 727-728 du Testament témoigne de la sincérité du poète qui « is saying what is in his heart, as well as on his chest » tout au long de l’œuvre. Mis à part qu’il est difficile de mesurer la sincérité du moi dans une œuvre littéraire, une telle lecture relève d’une vision moderne26, postromantique, du lyrisme, laquelle s’applique difficilement à l’époque médiévale. Reprenons le passage en question :
Et s’aucun me interrogue ou tente
Comment d’Amours j’ose mesdire,
Ceste parole le contente :
« Qui meurt a ses loix de tout dire ».
(Testament, v. 725-728)
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27 C. Casagrande et S. Vecchio, Les Péchés de la langue, p. 241. Sur l’import...
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28 Sur les débats suscités par cette œuvre au fil du xve siècle, voir J. E. M...
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29 Voir K. D. Uitti, « Villon’s Le Grand Testament and the Poetics of Margina...
8À la question, posée par un auditeur apparemment scandalisé, sur le fait qu’il « ose mesdire » (v. 726) d’Amour, le testateur répond avec superbe. Sans même tenter de se justifier, il assume une parole transgressive qui, aux yeux des moralistes, relève des péchés de la langue. Saint Paul (Ad Romanos, 1, 30-31) n’avait-il pas condamné les délateurs et les médisants ingénieux à faire le mal ? Loin d’être un instrument de vérité, la detractio naît d’une « intention diffamatoire27 » qui vise à dénigrer une personne ou, dans notre passage, une personnification – le dieu d’Amour – emblématique des valeurs courtoises. Villon, gouailleur, fait un pied de nez à un idéal largement célébré dans les milieux de cour longtemps après le scandale déclenché par Alain Chartier avec sa Belle Dame sans mercy28. Il adopte ainsi une position marginale au sein du champ littéraire, fait relevé par Sainte-Beuve dès le xixe siècle, sans que cela fasse pour autant de Villon un poète maudit comme certains de ses contemporains et plusieurs critiques dans leur sillage29. La pose provocatrice que le testateur prend dans le passage cité (et qu’on retrouve dans bien des legs) ne témoigne pas nécessairement de l’assurance du moi face à ses détracteurs, bien au contraire : il s’en tire par une sentence d’allure proverbiale (« Qui meurt a ses loix de tout dire »), grâce à laquelle il se soustrait à un débat embarrassant où sa parole serait mise en question.
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30 Sur l’ouverture du Lais, voir E. Baumgartner, Poésies de François Villon, ...
9Dès les premiers vers, le statut du moi vacille dans l’un et l’autre testament. Loin d’adopter une posture auctoriale propre à inspirer la confiance, le poète suscite d’emblée le doute chez le lecteur. Le Lais s’ouvre30 pourtant sur des formules qui respectent les conventions des testaments réels. Le locuteur décline son nom (« Françoys Villon »), précise son statut (« escollier ») et indique la date de rédaction (1456), ancrant le texte dans un vécu. Il cite une auctoritas – « Vegece », le « saige Rommain » (Lais, v. 6-7) – qui, à première vue, vient cautionner ses dires. Le testateur se met à écrire « franc au collier » (v. 4) comme un cheval plein d’ardeur qui serre le mors entre les dents. Mais voilà que le mouvement se brise : le huitain se termine par le verbe mescompter (« se tromper »), suggérant que l’auteur a fait fausse route, qu’il a perdu le contrôle de son écriture. Emblématiquement, le deuxième huitain propose un nouveau départ qui fait fi des conventions testamentaires : « Sur le Noël, morte saison » (v. 10) sert d’ouverture à l’évocation d’une rupture amoureuse. Quel crédit accordera-t-on aux aveux d’un auteur qui hésite, se fourvoie, change de casquette à peine a-t-il commencé à écrire ?
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31 J.-C. Delclos, « L’Entroubli de Villon ou la page que l’on ne peut tourner...
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32 M. Edwards, « Villon et la cloche de la Sorbonne », dans Villon entre myth...
10Le testateur perd définitivement le contrôle de son écriture lors de l’entroubli qui, dans certains manuscrits, clôt le Lais et met fin à la suite des legs (« Ce faisant, je m’entroubliay », v. 281). Nous ne reviendrons pas ici sur les différentes interprétations31 – complémentaires ou contradictoires – que cet épisode a suscitées, si ce n’est pour constater avec Michael Edwards que la fin du Lais fait écho à son début en offrant une « image éloquente de l’impuissance de l’écrivain32 ». L’état de trouble, dans lequel se trouve le moi ne s’ouvre sur aucune vision, sur aucune révélation qui, comme chez Philippe de Mézières, serait porteuse d’une vérité supérieure. L’entroubli de Villon, proche de l’ivresse (v. 282), est une forme de folie (v. 294) où sombrent la mémoire et, par conséquent, la faculté de distinguer le bien du mal (v. 284-288). Ce qui échappe au poète, c’est la qualité, sur laquelle reposent l’ethos et l’autorité de l’orateur !
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33 Le Champion des dames, v. 9-11 : « Dormant, ce premier jour de may, / Advi...
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34 Alain Chartier, Le Livre de l’Espérance, éd. F. Rouy, Paris, Honoré Champi...
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35 Georges Chastellain, Les Exposicions sur Verité mal prise, op.cit., p. 71.
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36 Voir J.-C. Mühlethaler, Poétiques du quinzième siècle. Situation de Franço...
11La fin du Lais prend aussi le contre-pied du sommeil (de l’assoupissement) qui marque l’entrée en fiction dans les textes allégoriques de l’époque, ainsi dans le Champion des dames33 de Martin Le Franc. L’« oppression d’oubliance » (v. 302) qui fait taire la voix de la raison rappelle plus précisément l’état de léthargie dans lequel se trouve – « comme homme esvanouy et pasmé34 » – l’Acteur au début du Livre de l’Espérance (1429) d’Alain Chartier. Chez ce dernier, la profonde mélancolie du moi ouvre les portes aux monstres de la nuit, porteurs de désespoir. Le cauchemar prend fin, quand Entendement réussit à ouvrir « le guichet de ma mémoire » (p. 23), permettant aux lumières de la raison d’éclairer la conscience du malheureux. De même, dans les Exposicions sur Verité mal prise de George Chastelain, Entendement, puis Mémoire viennent soutenir l’Acteur qui, par la suite, saura répondre point par point à la « non saine interpretacion35 » qu’Imagination Française fait du Dit de vérité. Rien de tel chez Villon ! À son réveil, il trouve son « ancre […] gelé » (v. 308) et doit se résoudre à signer son œuvre telle qu’elle est. L’ouverture suggérée vers l’écriture allégorique, porteuse de vérité, se solde par un échec36. Les conventions littéraires n’offrent aucune solution à l’écrivain en manque d’inspiration.
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37 Voir J. T. E. Thomas, Lecture du Testament de Villon, Genève, Droz, 1992, ...
12Dans le Testament, l’auteur ne se drape pas non plus dans la dignité de l’orateur. Dès le début, il revendique sa marginalité en avouant avoir toutes ses « hontes […] beues » (v. 2). Face à ce moi qui se dit « ne du tout fol ne du tout saige » (v. 3), le lecteur pressent un discours au statut ambigu, dont la véracité n’est pas garantie. On n’a pas manqué de relever la syntaxe chahutée du premier huitain37, suivie de la violente attaque contre Thibaut d’Aussigny, l’évêque responsable des souffrances endurées par le poète dans la dure prison de Meung-sur-Loire. Les verbes maudire et mesdire projettent leur ombre sur l’ouverture du Testament :
Et s’aulcun me vouloit reprendre
Et dire que je le mauldiz,
Non feiz, se bien me scet comprendre ;
En riens de luy je ne mesdiz.
(Testament, v. 17-20)
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38 Ibid., p. 31. Le critique résume le mouvement du huitain iii dans une form...
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39 Voir L. Pierdominici, « Villon juge ou jugé ? Les méandres poétiques du Te...
13L’autorité morale (l’ethos) du locuteur est mise en question par un public qui rechigne à le suivre dans sa diatribe. Qu’il maudisse ou qu’il médise, le poète se discrédite : ce qui pourrait (ou devrait) être un blâme – « compatible avec la charité évangélique38 » – est au contraire perçu comme un péché de la langue, fruit d’une colère vengeresse qui ne s’assume pas. Quelle confiance mérite un homme qui, à peine se met-il à rédiger son testament, cède à l’emprise des passions au lieu de procéder, lucide, à un examen de conscience ? De quel droit un prisonnier, condamné par la justice ecclésiastique, s’érige-t-il en juge39 des autres ? Un « vray homme », nous apprend un peu plus tard l’exemple du pirate Diomède, est celui qui ne « mesdit » (T., v. 157-158) de personne.
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40 T. Hunt, Villon’s Last Will. Language and Authority in the Testament, Oxfo...
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41 Ainsi que le définit Vladimir Jankélévitch, L’Ironie, Paris, Flammarion, 1...
14L’ouverture du Testament a de quoi déstabiliser le lecteur. Celui-ci a de bonnes raisons de se méfier des attestations de vérité qui jalonnent l’œuvre : faut-il les prendre au pied de la lettre ou y voir des antiphrases ? Le doute s’amplifie au fil des huitains, car la notion de vérité se révèle malléable sous la plume de Villon. Il l’adapte au contexte respectif, la module en fonction des personnages qui prennent tour à tour la parole. Même les auctoritates sont tributaires d’une lecture personnelle. Quand Villon déclare que le « noble » (T., v. 113) Roman de la Rose « dit voir » (T., v. 118), le constat n’a rien d’objectif, car le moi cherche à créer une connivence avec le public. Il exploite le renom dont jouit cette œuvre à la fin du Moyen Âge, plus connue que le Testament de Jean de Meun40 d’où provient l’affirmation qu’il faut « excuser » (T., v. 118) les erreurs de jeunesse d’un homme désormais âgé. Avec son allure sentencieuse, l’énoncé se présente comme une vérité générale, admise par tous. Villon joue la carte du « conformisme ironique41 », parlant le langage d’un chacun au sein d’un plaidoyer pro domo. La vérité (à mettre entre guillemets ?) se réduit à un argument utile au locuteur.
15Il est plus délicat de s’approprier le discours d’autrui, dès qu’on touche à la théologie. Quand le cœur tâche de consoler le moi en affirmant qu’il vaut mieux vivre pauvre que pourrir « soubz riche tumbeau » (T., v. 288), ce dernier proteste. Que sait-on de la vie des défunts dans l’au-delà ?... Puis il interrompt brusquement l’argumentation à peine amorcée :
Et du seurplus je me desmez.
Il n’appartient a moy, pecheur ;
Aux theologiens le remectz,
Car c’est office de prescheurs.
(Testament, v. 293-296)
Le terme d’office (« fonction, charge ») est significatif. Il faut être investi de l’autorité que seule peut conférer une institution – l’Église en l’occurrence –, quand il s’agit d’aborder les questions de la foi. Or, maître François ne parle pas ex cathedra et la prudence est de mise : la vérité en la matière est l’apanage de personnes, face auxquelles sa voix ne pèse pas lourd. Il ne suivra pas non plus Jean de Meun et Mathéolus dans leur critique des ordres mendiants : « Mais on doit honnorer ce qu’a / Honnoré l’Eglise de Dieu » (T., v. 1180-81). Voilà un mais significatif qui dit combien la prise de distance n’est qu’une attitude de façade ! Le moi avance masqué, convaincu que « Ces gens sont pour eulx revanchier » (T., v. 1189) !
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42 Testament, v. 1461. Cf. Sirach, 8, 1 : « Ne dispute pas avec l’homme puiss...
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43 Pour une analyse du débat, voir : J. H. M. Taylor, The Poetry of François ...
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44 Sur ce mécanisme véridictoire, voir G. Leclerc, « Histoire de la vérité et...
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45 Comme le note P. Paioni dans « I Proverbi di Villon », Studi Urbinati, 45,...
16Le faible a tout intérêt à se taire et cela vaut aussi en politique. Le « povre homme las » (T., v. 1462), qui se souvient de la mise en garde du « Saige42 », sait qu’il ne peut tenir tête au « tirant seant en haut » (T., v 1459) ! Les riches et les puissants sont sourds aux raisons que pourrait avancer le petit écolier. Le débat se fera donc avec Franc Gontier43, le berger que le moi « ne crains » pas (T., v. 1465). À l’idéal d’une vie simple et heureuse, défendue par Franc Gontier, Villon oppose son expérience de citadin. Témoin des ébats entre « dame Sidoine » et un gras chanoine, qu’il observe à travers le trou d’une mortaise, il conclut : « Il n’est tresor que de vivre a son aise » (T., v. 1482). Le proverbe, martelé par le refrain de la ballade, transforme ma vérité (celle, subjective, du locuteur) en la vérité44, celle d’une doxa acceptable pour tout le monde. Seulement, le truth-claim vient de la part d’un exclu, voyeur de surcroît : la vérité, apparemment consensuelle, est d’abord et avant tout l’expression de son propre désir, le rêve d’une vie de plaisirs. La subjectivité met à mal la valeur gnomique du proverbe qui, à la fin de la ballade, n’est plus qu’une vérité qu’on a enseignée, jadis, au « petit enffant » (T., v. 1505). Au fil de la ballade, le proverbe s’applique tour à tour à la vision du monde défendue par le berger et à l’idée que s’en fait le citadin. Les vérités générales sont des sagesses passe-partout que chacun utilise à sa guise. Vérités à la fois éculées et mouvantes, lointains souvenirs de l’enfance : l’autorité du proverbe s’effrite45 sous la plume de Villon.
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46 B. Williams, Vérité et véracité, op.cit., p. 147.
17Il n’y a pas, dans les discours qui jalonnent le Testament, de vérité unique et indiscutable. Pour différentes raisons, aucun locuteur ne parvient à créer « un rapport régi par les attentes normales d’un échange confiant46 ». À tous, il manque le fondement éthique, sur lequel repose traditionnellement la force persuasive de l’orateur, de sorte que le bon fonctionnement de la communication n’est pas assuré. Des voix d’hommes et de femmes s’élèvent, venues des marges de la société, se croisant dans un brouhaha généralisé, au sein duquel chacun croit avoir droit à la parole et espère être entendu sinon écouté.
18« Advis m’est que j’oy regrecter / La belle qui fut hëaulmiere » (T., v. 453-454)… Le moi perçoit la plainte de la prostituée à la beauté fanée au coin d’une rue, par hasard. Il n’est pas vraiment certain (« advis m’est ») d’avoir entendu la voix de la malheureuse qui se confie en pleurant. Dans son affectivité, le discours de la Belle Heaulmière, né d’une expérience douloureuse, paraîtra sincère au lecteur moderne. Pourtant, il ne touche pas les jeunes prostituées, auxquelles la vieille femme destine sa leçon. Comme Villon prodiguant ses conseils aux mauvais garçons, la Belle Heaulmière parle à une catégorie sociale méprisée. L’un et l’autre quémandent l’attention de leur public, conscients de manquer d’autorité et craignant que leur message ne passe pas la rampe. Villon termine sa « Belle leçon aux enfans perduz » (le titre est de Clément Marot) par un appel insistant :
Q’un chascun encores m’escoute !
On dit, et il est verité,
Que charecterie se boit toute,
Au feu l’iver, au boys l’esté.
(Testament, v. 1684-1687)
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47 J. Dufournet, Villon : ambiguïté et carnaval, Genève, Slatkine, 1992, p. 1...
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48 Expression empruntée au titre donné à la ballade (T., v. 533-560) par Clém...
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49 Sur la « mercenary attitude » (p. 93) de la Belle Heaulmière, voir J. H. M...
19Le locuteur souligne la véracité d’un proverbe (« on dit ») qui confirme à première vue l’exhortation à respecter les lois et la morale (T., v. 1668-1683) : « charecterie se boit toute » revient à dire que le malheur se boit, fatalement, jusqu’à la lie. Mais la métaphore se lit aussi comme une invitation à boire et à jouir de la vie, en dépensant, est-il précisé par la suite, son argent47 « tost et vist[e] » (T., v. 1689). Le message est ambigu et le lecteur sera étonné de voir Villon se poser à nouveau en moraliste, pointant du doigt les effets néfastes d’une vie de débauche dans la « Ballade de bonne doctrine ». L’ensemble débouche sur un memento mori, introduit par une nouvelle interpellation du : « A vous parle, compains de galle » (T., v. 1720) ! Pourquoi cette insistance ? Ses auditeurs feraient-ils la sourde oreille face à un enseignement pourtant conforme à la doxa ? Les mauvais garçons n’ont en effet aucune raison de suivre une personne prompte à changer de casquette, au point qu’ils (et nous avec eux) ne savent plus si le poète adhère ou non à ce qu’il dit. Enfin, il s’agit d’une sagesse livresque, peu susceptible de parler à de jeunes gens qui hantent les tavernes et les filles. Comme eux, les prostituées sont peu enclines à écouter les conseils de la Belle Heaulmière qui n’a pourtant rien d’un clerc : « Filles, vueillez vous entremectre / D’escouter pourquoy pleure et crye » (T., v. 557-558). La voix de la malheureuse, brisée par les sanglots, menace à tout instant de sombrer dans le silence, sa leçon d’être négligée ou tournée en dérision. Son discours est pourtant adapté au public, car la Belle Heaulmière ne fait pas la morale aux « filles de joye48 ». Avatar de la Vieille du Roman de la Rose, elle leur conseille de plumer49 les clients et les met en garde contre l’amour qui livre la femme à l’ingratitude de l’homme. Le testateur, lui, garde ses distances face à cette leçon qu’il fait enregistrer « vaille que vaille » par Fremin, son clerc, en se demandant si « bien dit au mal » (T., v. 563). Que ce soit Marion l’Idole et Jeanne de Bretagne, deux autres prostituées, ou la Belle Heaulmière, toutes tiennent une « publique escolle / Ou l’escollier le maistre enseigne » (T., v. 1630-31). C’est un mundus inversus où le bas triomphe du haut, l’envers de l’endroit, au point que les « povres famelectes » (T., v. 445), oubliant toute crainte de Dieu, le jugent responsable des malheurs liés à leur âge. Or, le Seigneur se tait, « car a[u] tancer, il le perdroit » (T., v. 452) On ne saurait mieux suggérer l’absence d’une vérité supérieure, qui donnerait un sens à la vie et à la souffrance. La morale (chrétienne) est aux abonnés absents.
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50 E. Baumgartner, « Théophile Gautier lecteur de Villon », dans Villon et se...
20Dans un tel contexte, le lecteur déstabilisé en vient à se demander s’il peut prendre au sérieux la touchante profession de foi de la « povre mere » (T., v. 865) de Villon. La critique a beau admirer depuis Théophile Gautier le « poète sublime50 » de la « Ballade pour prier Nostre Dame », quelques indices instillent le doute. Pourquoi l’« humble crestïenne » (T., v. 875) clame-t-elle qu’elle n’est pas « jangleresse » (T., v. 881), qu’elle est sincère ? Cette femme, qui ne sait pas lire (T., v. 894), s’en remet aux vérités prêchées du haut de la chaire ; elle dit sa peur et sa joie devant les représentations de l’enfer et du paradis dans son « moustier » (T., v. 895). « En ceste foy, je vueil vivre et mourir », martèle le refrain et le verbe vouloir mérite qu’on s’y arrête : s’y exprime le désir – et non la conviction ! – de respecter la doxa chrétienne. L’incertitude pointe son nez : on n’est pas loin du vers 295 (« Aux theologiens le remectz »), quand le testateur se soustrait à un délicat débat théologique par une pirouette (voir supra).
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51 La question est d’actualité : la fin du Champion des dames célèbre longuem...
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52 Voir M. Lamy, L’Immaculée Conception : étapes et enjeux d’une controverse ...
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53 Voir O. A. Dull, « Tradition et renouveau dans la Ballade pour prier Notre...
21Dans la première strophe, ce souhait est une réponse à la crainte d’être taxée de bavardage (la « jangleresse ») ; dans la deuxième, le verbe traduit le besoin de croire à deux dogmes – l’Immaculée Conception51 et la transsubstantiation – qui, à l’époque, font l’objet de débats entre théologiens52. Quant à la troisième strophe, elle présente le culte de la Vierge comme un devoir qu’il faut faire « sans faincte ne paresse » (T., v. 901) pour être sauvé. Le mouvement de la ballade offre l’image d’une vieille femme peu sûre dans sa foi, craignant qu’on ne la croie pas, qui languit après une vérité incontestable, à laquelle s’accrocher, une vérité qui donnerait un sens à sa vie. Ce n’est qu’à la toute fin de la ballade que la mère peut se fonder dans un « nous53 » (T., v. 906) collectif et adhérer – « tel est, tel le confesse » (T., v. 908) – à une vérité qui la dépasse, généralement admise, celle-ci : l’incarnation du Christ. Si la ballade est poignante, c’est que s’y exprime le besoin vital d’une vérité supérieure, laquelle fait cruellement défaut dans l’univers du Testament.
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54 Ibid., p. 390. Comme le relève O. A. Dull, la ballade est élaborée d’un po...
22La prière de la mère « povrecte et ancïenne » (T., v. 893) est le de profundis d’une femme qui, d’abord saisie de crainte face à la majesté de la « dame du ciel » (T., v. 873), prend son courage à deux mains pour crier sa soif de réconfort et de certitude dans un monde mouvant. Pas plus que la leçon de la Belle Heaulmière, sa profession de foi, profondément subjective, ne fait le poids. Nous ne voyons pas dans la ballade une « confiance dans l’efficacité d’un discours sans artifice54 », mais la mise en scène d’une parole peu sûre d’elle-même dont on se demande comment elle pourrait atteindre la « digne Vierge, princesse » (T., v. 903), si lointaine. Alter ego de Villon, dont le nom figure en acrostiche, la mère tente de se convaincre elle-même, et personne d’autre ; la prostituée, elle, est trop pitoyable pour servir de guide aux filles de joie. Avec les deux vieilles femmes, nous sommes aux antipodes de l’orateur qui se place au-dessus de la mêlée, héraut d’une vérité où ni le doute ni l’indifférence n’ont droit de cité.
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55 Jacques Legrand, Archiloge Sophie, éd. E. Beltran, Paris, Honoré Champion,...
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56 BnF, fr. 24461, fol. 106 (manuscrit consultable sur le site Gallica de la ...
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57 Au sujet de ces confréries citadines, voir G. Gros, « Histoire littéraire ...
23Et pourtant, « il n’est bon bec que de Paris » (refrain) ! Dans la « Ballade des femmes de Paris » (T., v. 1515-1542), le poète demande au prince d’octroyer aux Parisiennes le prix « de beau parler » (T., v. 1540). Que leur bavardage remporte le prix de rhétorique et couronne celles qui servent de « messaigieres » (T., v. 1517), autrement dit d’entremetteuses ! Significativement, il n’est nulle part question du « bien parler » qui, sous la plume de Jacques Legrand55, désigne le fondement éthique indispensable au discours de l’orateur. Il ne s’agit pas non plus du « courtois parler et plaisant entretien56 », par lequel la noble Française se distingue des autres dames européennes dans le Recueil Robertet, célèbre pour ses illustrations et destiné à un public de cour. Ironique, Villon élève au rang d’un art le vain discours des femmes du peuple (les « harengieres », T., v. 1533), se gardant bien d’en préciser le contenu. Il prend le public lettré à témoin en ridiculisant les enseignements des auctoritates : « Tu trouveras la que Macrobes / Oncques ne fist telz jugemens. » (T., v. 1547-1548). Macrobe, auteur d’un commentaire sur le Somnium Scipionis de Cicéron, est une des sources du platonisme médiéval. Le renversement est complet : personne ne songe à la vérité dans ce concours de rhétorique qui, parodiant les concours des puys poétiques57, consacre le triomphe des Parisiennes sur les femmes de France et d’ailleurs. La sagesse des clercs sombre dans le bruissement de la parole féminine, à laquelle le Moyen Âge refuse généralement tout crédit. Sous la plume ironique de Villon, le « beau parler », c’est la parole au quotidien, libre et éphémère. Telle était la parole du « plaisant raillart » (T., v. 425) dont on admirait les traits d’esprit quand il était jeune, mais dont on se moque quand, l’âge venu, il élève la voix. La vérité change avec le temps, comme se perd le crédit dont jouit l’individu en société. « En son prunyer n’a pas creu » (T., v. 436) nie toute valeur à la parole du vieillard. Celui-ci radote aux yeux des jeunes qui le tiennent « pour fol recreu » (T., v. 434) même quand il se tait.
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58 Sur cette affaire, voir P. Champion, François Villon, sa vie et son temps,...
24Tout aussi incertaine, tout aussi évanescente est l’écriture du testateur. Il fait transcrire, nous l’avons vu, la leçon de la Belle Heaulmière sans savoir quel crédit lui accorder. Le Roumant du pet au deable est copié par Guy Tabarie, aussi peu fiable que le clerc Fremin « l’estourdiz » (T., v. 565) qui transcrit les dernières volontés du moi. Même si le lecteur n’apprend rien concernant les faits et gestes de Tabarye – il aurait dénoncé les auteurs du vol du collège de Navarre58 –, le qualificatif de « homs veritable » (T., v. 860) constitue nécessairement une antiphrase. La mise en évidence de « grossa » par le rejet, les cahiers laissés sous la table, le fait enfin que le dernier mot du huitain soit « meffait » (T., v. 864) orientent la lecture dans ce sens : Guy Tabarie a de toute évidence pris ses libertés avec la vérité, c’est un menteur ou un affabulateur.
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59 Voir A. Armstrong, « The Resistance of Contingency : The Particular, the I...
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60 Voir la bibliographie en appendice à la revue Questes, 29, 2015 : Copie, a...
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61 Elle ne l’est pas dans le manuscrit C (BnF, fr. 20041) que nous avons suiv...
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62 Voir l’analyse de la ballade par T. Hunt, « Villon’s Last Erection », in V...
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63 Voir l’étude de J. Dufournet, Villon : ambiguïté et carnaval, op. cit. Mai...
25La parole est volatile, l’écriture peu fiable, la communication tout autre qu’assurée59. Que restera-t-il du Testament du moment que Jean de Calais, « honnorable homme » (v. 1845) – autre antiphrase ! –, a le droit d’« Interpreter et donner sens / A son plaisir, meilleur ou pire ? » (T., v. 1857-1858) Le huitain CLXXIV pointe du doigt la mouvance, bien connue60, du texte médiéval qui, copié, recopié, glosé, se métamorphose au gré des interventions. En fin de compte, la vérité du lecteur se substitue à celle de l’auteur incapable de garantir la stabilité d’une œuvre qui lui échappe. Dans la ballade dite « de conclusion »61 (« Icy se clost le testament », v. 1996), une autre instance, à l’identité incertaine62, intervient pour appeler le public à se rendre à l’enterrement de Villon. Elle évoque les amours du défunt, qui a dû fuir, misérable, à travers la France, déchirant sa blouse aux broussailles « d’icy en Roussillon » (v. 2007). On reconnaîtra dans ces vers un écho de l’ouverture du Lais où le moi, amant martyr, se voit rejeté par une belle dame sans mercy. En même temps, le nom de Roussillon cache, sous l’apparence d’une précision géographique, une équivoque érotique : le roux sillon désigne le sexe féminin et le huitain peut se lire comme une vantardise du défunt, fier de ses multiples conquêtes féminines – les « brosses » et le « brossillon » (v. 2008) évoquant alors les poils pubiens. Et la voix anonyme de commenter : « Ce dit il sans mentir » (v. 2009), instillant par là même le doute quant à la véracité des dires de Villon, trop enclin à jouer sur les mots. La vérité fait décidément mauvais ménage avec l’ambiguïté qui traverse le Testament63.
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64 E. Baumgartner, Poésies de François Villon, op. cit., p. 132.
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65 D. A. Fein, François Villon and His Reader, Detroit, Wayne State Universit...
26La fin du Testament conjure la peur de la mort par « l’insoutenable légèreté de l’être et du dire », note Emmanuèle Baumgartner64. Ce mélange des tons caractérise-t-il les seuls passages réservés (de manière fictive ou non, peu importe) à une « highly restrected audience » (les marginaux) ? Le sérieux serait-il l’apanage des vers qui, visant « the anonymous reader65 », font que chacun peut se sentir concerné ? On pense à la célèbre Ballade des pendus (Poésies diverses I), adressée aux « freres humains » (v. 1), ou à la « Ballade pour prier Notre Dame », susceptible de toucher tout pécheur repentant. Mais la tendance à l’universel ne garantit pas chez Villon un message clair, une vérité stable. La profession de foi de la mère comporte, nous l’avons vu, des failles qui amènent le lecteur à interroger la légitimité des dogmes imposés par l’Église.
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66 Voir G. Pinkernell, François Villon : biographie critique et autres études...
27La vérité n’est pas moins fragile et contestable dans les Poésies diverses que dans le Testament. La liste des « contre-vérités » (Poésies diverses III) propose une suite d’oxymores faisant écho à la sentence qu’il n’y a de « vray rapport que menterie » (v. 15), placée au centre même de la ballade. La question ironique, sur laquelle s’ouvre l’envoi – « Voulez vous que verté vous dye ? » –, témoigne de la désinvolture d’un poète qui joue volontiers avec la langue et les expressions toutes faites. Peu importe la vérité – « tant parl’on qu’on se contredit » (Poésies diverses IV) ! – au sein de ce qui relève du jeu (poétique) ! Mais une fois Villon endosse l’habit de l’orateur quand, dans la Ballade de bon conseil (Poésies diverses XIV), il se réclame de saint Paul et plaide en faveur d’une société où tous vivraient en paix. Que chacun reconnaisse ses fautes et s’amende en renonçant à « mentir, affermer sans fiance, / Farcer, tromper, artifier poison » (v. 21-22) !... La ballade détonne dans l’ensemble de l’œuvre de Villon, au point que la critique y a vu un pensum scolaire sans intérêt66, dans lequel on ne retrouve aucune des qualités du poète. Une telle lecture est à nos yeux trop dépréciative, même si le message est, il est vrai, consensuel : Villon défend ici un idéal politique d’harmonie comparable à celui prôné par Martin Le Franc à la cour de Bourgogne quelques années plus tôt.
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67 Henri Bergson, La Pensée et le Mouvant, éd. C. Zanfi, Paris, Desclée de Br...
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68 Sur l’influence des controverses juridiques, voir K. Becker, « La Mentalit...
28Quoi qu’il en soit de la Ballade de bon conseil, Villon a voulu laisser de lui le souvenir d’un « bon follastre » (T., v. 1883), pas celui d’un orateur. Un tel renom convient bien à un marginal à la parole peu fiable, qui oscille entre folie et sagesse, met en question les leçons des autorités, flirte avec les péchés de la langue et joue sur les mots. Bien avant Henri Bergson, maître François a dévoilé combien la croyance, selon laquelle « toute vérité est éternelle », est une illusion ; bien avant l’éminent philosophe, il a laissé entendre que les idées générales sont une « construction artificielle67 », une commodité à laquelle on recourt à l’occasion. Dans le Testament, œuvre issue d’un milieu juridique68 (la Basoche parisienne) habitué à la controverse, la vérité unique a volé en éclats. Elle est minée par le doute et le débat, car les vérités – ou plutôt les opinions – sont multiples, subjectives et mouvantes. Elles changent au fil des ans, se modulent au gré des émotions, fruit d’une expérience personnelle qu’il est difficile de partager. Emblématiquement, l’épitaphe du poète, qui conserve le souvenir du « bon follastre », est écrite au charbon, donc vouée à disparaître.
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69 Voir J. Koopmans, « Villon et le théâtre », 1993, réimprimé dans Villon, h...
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70 Voir les témoignages réunis par J. Koopmans et P. Verhuyck (éd.), Le Recue...
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71 Sur ce texte, voir N. Labère, « En disant mainte bonne bave, d’avoir du me...
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72 Une liste de marginaux dans l’esprit de Villon, note Madeleine Jeay, Le Co...
29Comment s’étonner dès lors que le xvie siècle ait retenu du poète l’image d’un « escollier » lié au monde de la farce et de la sottie69, virtuose de la dérision et de la parole trompeuse – expert en son art comme le fut maître Pierre Pathelin70 ? La légende se met en place avec les Repues franches71, composées vraisemblablement vers 1480 et imprimées plusieurs fois à la Renaissance. La Repeue de Villon et de ses compaignons (v. 247-486) raconte comment le poète réussit, par la ruse, à se procurer poisson, tripes, pain, vin et rôti, sans débourser un sou. Chaque « nouvelle invencion » (v. 484) suscite l’admiration et le rire (aux dépens des victimes) du public72, ces « farsseurs », « moqueurs » et « macquereaulx » (v. 53-54) qui, tous, sont « subgetz François Villon » (v. 20).
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73 Ch.-A. Chamay, « Bref Retour sur la paternité des Satyres chrestiennes de ...
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74 Sur la polémique qui opposa les deux écrivains, voir P. Debailly, La Muse ...
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75 [Théodore de Bèze], Satyres chrestiennes de la cuisine papale, éd. Ch.-A. ...
30Pendant les guerres de Religion, Villon réapparaît dans une virulente attaque contre l’Église de Rome. À notre connaissance, les Satyres chrestiennes de la cuisine papale (1560), probablement dues à la plume de Théodore de Bèze73 – théologien et polémiste protestant, adversaire du Ronsard des Discours74 – n’ont pas retenu l’attention de la critique villonienne. Or, une scène insérée dans la Satyre VI (« Autre Banquet papal ») s’inspire des Repues franches. Dans une taverne, Villon et ses « ribleurs75 » (débauchés), qui ont bu force vin – et du meilleur ! –, jouent à colin-maillard avec un client. Ils profitent de ce qu’il a les yeux bandés pour s’éclipser sans payer l’aubergiste, qui en sera pour ses frais. Et le narrateur de commenter :
L’hoste est celuy, qui par Villon
(C’est le pape, ou le papillon)
Et par ses gens (sale prestraille,
Gens marchans de nouvelle taille)
Est deceu.
(Satyre VI, v. 536-540)
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76 La taverne est traditionnellement un lieu de perdition, un locus diaboli :...
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77 P. Debailly, La Muse indignée, op. cit., p. 523.
31L’Église, taverne76 où règnent le mensonge et le vol ! Villon, figure du pape qui trompe les fidèles ! Dans la satire politique, le rire des Repues franches est mis au service d’une dénonciation virulente des « abus de ces papelars » (« Au lecteur », p. 5). Tout en s’inspirant du modèle horatien (dire la vérité en riant), Théodore de Bèze suit le précepte de Calvin, convaincu de « la nécessité du combat sans pitié par la plume77 ». Pour lui, la vérité est de nouveau une et éternelle, placée sous l’égide du « Seigneur » (p. 7) : c’est au nom de Dieu que le polémiste part en guerre contre « cest antechrist le Pape » (p. 6). Le renversement est total : le poète comique, lié à la Basoche parisienne, est récupéré à des fins religieuses et politiques étrangères à son œuvre. Aux facéties de Villon, chantre du doute et des vérités incertaines, se substitue la satire d’un auteur qui, sûr d’être dans le vrai, mène un combat légitime contre le mal. Les maîtres à penser n’avaient pas dit leur dernier mot. Le Testament n’en paraît aujourd’hui que plus moderne, étonnamment actuel : bien des vers de Villon sonnent juste à notre ère de la « post-vérité » !
Notes
1 Pétrarque, Secretum, éd. et trad. Enrico Carrara, Turin, Einaudi, 1977, livre iii, p. 114. L’énoncé est attribué à saint Augustin : « L’opinion peut diverger dans les choses contraires, mais la vérité est une et toujours la même. »
2 Paul Ricœur, « Vérité : Jésus et Ponce Pilate », Le Semeur, 44/4-5, 1945-1946, p. 382. L’article propose une analyse détaillée de cette scène capitale.
3 Carlos Carreto, « Verum/veritas : le vrai à l’épreuve de la fiction chez saint Augustin et dans la tradition du Moyen Âge », Sigila, 38/2, 2016, p. 41.
4 Geneviève Hasenohr, « “Dire la vérité”, “oïr la vérité” : quelle vérité ? À propos de quelques occurrences de vérité relevées dans les sermons de Gerson », dans La Transmission des savoirs au Moyen Âge et à la Renaissance, éd. Pierre Nobel, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2005, vol. 1, p. 18-19.
5 Il va jusqu’à l’identifier à son père : Vérité « qui est Dieu » (Songe du Viel Pelerin, éd. Joël Blanchard, Genève, Droz, 2015, p. 168).
6 Paul Ricœur, art. cit., p. 385.
7 Joël Blanchard, « Politique des points de vue et stratégies discursives : Philippe de Mézières et le discours de la réformation morale », dans Actes du xviiie Congrès international de linguistique et de philologie romane, éd. Dieter Kremer, Tübingen, Niemeyer, 1988, vol. 6, p. 496.
8 Philippe de Mézières, Songe du Viel Pelerin, éd. J. Blanchard, Genève, Droz, 2015, respectivement p. 38 et 168.
9 Sur cette figure « souveraine », voir C.-M. Schertz, De l’épée à la plume : la construction de l’auctorialité dans l’œuvre de Philippe de Mézières, thèse soutenue à l’Université de Lausanne (dir. J.-C. Mühlethaler), 2019, p. 183-191.
10 Sur l’importance de cette notion à l’époque, voir E. Doudet, « Philippe de Mézières, orateur : les nouveaux territoires d’une posture d’auteur », dans Philippe de Mézières, rhétorique et politique, éd. J. Blanchard avec la collaboration de R. Blumenfeld-Kosinski et A. Calvet, Genève, Droz, 2019, p. 119-133.
11 N. Pons, « Pour ce que manifestation de Verité. Un thème du débat politique sous Charles VI », dans Penser le pouvoir au Moyen Âge. Études d’histoire et de littérature offertes à Françoise Autrand, éd. D. Boutet et J. Verger, Paris, ENS, 2000, p. 343-363.
12 Voir notre article : « Amour et identité politique : le Champion des Dames de Martin Le Franc », dans Music and Culture in the Age of the Council of Basel, éd. M. Nanni, Turnhout, Brepols, 2013, surtout p. 79-84.
13 Martin Le Franc, Le Champion des Dames, éd. R. Deschaux, Paris, Honoré Champion, 1999, vol. 1, p. 1 (prologue).
14 Champion, vol. 1, p. 105 (rubrique).
15 Geneviève Hasenohr, art. cit., p. 17.
16 Voir C. Casagrande et S. Vecchio, Les Péchés de la langue, trad. Ph. Baillet, Paris, Cerf, 1991.
17 Alain Chartier, La Belle Dame sans mercy, v. 299-300, dans Le Cycle de la Belle Dame sans mercy, éd. et trad. D. F. Hult et J. E. McRae, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 40.
18 Georges Chastellain, Les Exposicions sur Verité mal prise. Le Dit de Verité, éd. J.-C. Delclos, Paris, Honoré Champion, 2005, p. 26.
19 E. Doudet, Poétique de George Chastelain. Un cristal mucié en un coffre, Paris, Honoré Champion, 2005, p. 764.
20 Hannah Arendt, La Crise de la culture, trad. P. Lévy, Paris, Gallimard, 2018, p. 152.
21 Christine de Pizan, Le Livre de l’advision Cristine, éd. Ch. Reno et L. Dulac, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 76.
22 G. Gros, « Le Poète et ses personnages. Étude sur l’art des dédoublements chez Villon », dans L’Écrivain et ses doubles. Le personnage autoréflexif dans la littérature européenne, éd. L. Fraisse et É. Wessler, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 49-51.
23 Champion des Dames, vol. 1, p. 4. Lui-même se juge indigne d’une telle considération, « car poete ne me reputé je » (p. 5).
24 François Villon, Testament, v. 1811, 1886, 1997, 2033 (refrain), dans Lais Testament, Poésies diverses avec Ballades en jargon, éd et trad. J.-C. Mühlethaler et É. Hicks, Paris, Honoré Champion, 2004. Toute citation est tirée de cette édition.
25 B. Sargent-Baur, « Truth-claims as captatio benevolentiæ in Villon’s Testament », dans Conjunctures. Medieval Studies in Honor of Douglas Kelly, éd. K. Busby et N. J. Lacy, Amsterdam / Atlanta, Rodopi, 1994, p. 511 (les deux citations). Sur l’influence de la rhétorique antique, voir p. 505-509.
26 L’association de « la sincérité et [de] l’authenticité personnelle », note Bernard Williams (Vérité et Véracité. Essai de généalogie, trad. J. Lelaidier, Paris, Gallimard, 2006, p. 207), émerge au xviiie siècle seulement.
27 C. Casagrande et S. Vecchio, Les Péchés de la langue, p. 241. Sur l’importance des péchés de la langue dans l’écriture de Villon, voir notre article en ligne : « Écrire à l’ombre des péchés de la langue. Autour de l’amoralité de François Villon », Op. Cit., 21, 2020, premier volet de la réflexion menée ici.
28 Sur les débats suscités par cette œuvre au fil du xve siècle, voir J. E. McRae, « A Community of Readers : The Quarrel of the Belle Dame sans mercy », dans A Companion to Alain Chartier (c. 1385-1430). Father of French Eloquence, éd. D. Delogu, J. E. McRae et E. Cayley, Leiden, Brill, 2015, p. 200-222.
29 Voir K. D. Uitti, « Villon’s Le Grand Testament and the Poetics of Marginality », Modern Philology, 93, 1995/96, p. 140-145.
30 Sur l’ouverture du Lais, voir E. Baumgartner, Poésies de François Villon, Paris, Gallimard, 1998, p. 30-32.
31 J.-C. Delclos, « L’Entroubli de Villon ou la page que l’on ne peut tourner », dans Mélanges de langue et de littérature françaises du Moyen Âge offerts à Pierre Demarolle, éd. Ch. Brucker, Paris, Honoré Champion, 1998, p. 363-374, en offre un aperçu fort utile.
32 M. Edwards, « Villon et la cloche de la Sorbonne », dans Villon entre mythe et poésie, éd. J. Dufournet et M. Faure, Paris, Honoré Champion, 2011, p. 19-29 (citation, p. 28).
33 Le Champion des dames, v. 9-11 : « Dormant, ce premier jour de may, / Advis m’estoit que le chastel / D’Amours veoye […] ».
34 Alain Chartier, Le Livre de l’Espérance, éd. F. Rouy, Paris, Honoré Champion, 1989, p. 3. Sur cette ouverture, voir notre article : « Le Rooil de oubliance : écriture de l’oubli et écriture de la mémoire dans Le Livre de l’Espérance d’Alain Chartier », Études de Lettres, 1-2, 2007 : Figures de l’oubli, IVe-XVIe siècle, éd. P. Romagnoli et B. Wahlen, p. 203-222.
35 Georges Chastellain, Les Exposicions sur Verité mal prise, op.cit., p. 71.
36 Voir J.-C. Mühlethaler, Poétiques du quinzième siècle. Situation de François Villon et de Michault Taillevent, Paris, Nizet, 1983, p. 50-52.
37 Voir J. T. E. Thomas, Lecture du Testament de Villon, Genève, Droz, 1992, p. 9-11.
38 Ibid., p. 31. Le critique résume le mouvement du huitain iii dans une formule bien trouvée : « Thibaut ? Dieu le damne ! Ça ne se dit pas ? Eh bien alors, qu’il crève ! » (p. 31).
39 Voir L. Pierdominici, « Villon juge ou jugé ? Les méandres poétiques du Testament », Quaderni di Filologia e Lingue Romanze, 21, 2006, p. 25-43.
40 T. Hunt, Villon’s Last Will. Language and Authority in the Testament, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 21-22. Dans le chapitre 1 (« Writing and the Fragmentation of Authority »), le critique analyse en détail les détournements des auctoritates chez Villon.
41 Ainsi que le définit Vladimir Jankélévitch, L’Ironie, Paris, Flammarion, 1979, p. 76.
42 Testament, v. 1461. Cf. Sirach, 8, 1 : « Ne dispute pas avec l’homme puissant, de peur de tomber entre ses mains ».
43 Pour une analyse du débat, voir : J. H. M. Taylor, The Poetry of François Villon. Text and Context, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 114-138 ; P. Tucci, « Villon contre Franc Gontier », dans Stromates. Du xive siècle au symbolisme, Padoue, Unipress, 2004, p. 37-63.
44 Sur ce mécanisme véridictoire, voir G. Leclerc, « Histoire de la vérité et généalogie de l’autorité », Cahiers Internationaux de Sociologie, 111, 2001/2, p. 205-231, partie ii « La Visée de vérité ».
45 Comme le note P. Paioni dans « I Proverbi di Villon », Studi Urbinati, 45, 1971, p. 1131-1136, les proverbes sont contaminés par la dérision carnavalesque et les jeux de l’ironie.
46 B. Williams, Vérité et véracité, op.cit., p. 147.
47 J. Dufournet, Villon : ambiguïté et carnaval, Genève, Slatkine, 1992, p. 155-156. Le renversement est à peine atténué si, avec Lucien Foulet (« Pour le commentaire de François Villon : La Belle Leçon aux enfants perdus », Romania, 56, 1930, p. 384), on voit dans « despendez » non pas un impératif, mais un indicatif. Nous proposerions dans ce cas de traduire mais par « à moins que (vous ne le dépensiez sur-le-champ) ».
48 Expression empruntée au titre donné à la ballade (T., v. 533-560) par Clément Marot.
49 Sur la « mercenary attitude » (p. 93) de la Belle Heaulmière, voir J. H. M. Taylor, The Poetry of François Villon, op. cit., le chapitre 4 est consacré à la vieille prostituée.
50 E. Baumgartner, « Théophile Gautier lecteur de Villon », dans Villon et ses lecteurs, éd. J. Dufournet, M. Freeman et J. Dérens, Paris, Honoré Champion, 2005, p. 93.
51 La question est d’actualité : la fin du Champion des dames célèbre longuement la Vierge « exemptee de la commune blasme » (op. cit., vol. 5, p. 125).
52 Voir M. Lamy, L’Immaculée Conception : étapes et enjeux d’une controverse au Moyen Âge, xiie-xve siècles, Paris, Institut d’études Augustiniennes, 2000 ; J. Chiffoleau, La Religion flamboyante, Paris, Éditions Points, 2011, p. 118-124.
53 Voir O. A. Dull, « Tradition et renouveau dans la Ballade pour prier Notre Dame de Villon », Romance Quarterly, 38/4, 1991, p. 388-397, qui analyse le mouvement de la ballade conduisant au « nous » (p. 392).
54 Ibid., p. 390. Comme le relève O. A. Dull, la ballade est élaborée d’un point de vue rhétorique, ponctuée de mots érudits et emprunte des lieux communs à la tradition mariale. Le poème offert par Villon à sa mère a – paradoxalement – un caractère « littéraire ».
55 Jacques Legrand, Archiloge Sophie, éd. E. Beltran, Paris, Honoré Champion, 1986, p. 84 : « Rethorique est une science qui aprent a bien et bel parler. »
56 BnF, fr. 24461, fol. 106 (manuscrit consultable sur le site Gallica de la BnF). Citation et commentaire chez F.-Th. Ziegler, Recueil Robertet. Handzeichnung in Frankreich um 1500, Affalterbach, Didymos-Verlag, 2020, p. 313-314, qui fait le rapprochement avec la ballade de Villon (p. 132-133). Le manuscrit s’est constitué en plusieurs étapes, entre 1480 et 1516, à la cour de Bourbon.
57 Au sujet de ces confréries citadines, voir G. Gros, « Histoire littéraire et puys poétique : la poésie mariale de concours au Moyen Âge », Travaux de Littérature, 19, 2006 : L’Écrivain et ses institutions, éd. R. Marchal, p. 39-57.
58 Sur cette affaire, voir P. Champion, François Villon, sa vie et son temps, Paris, Honoré Champion, 1933, vol. 2, p. 35-50.
59 Voir A. Armstrong, « The Resistance of Contingency : The Particular, the Irretrievable, and the Law in Villon’s Testament », Cahiers de Recherches médiévales et humanistes, 25, 2013 : Le Droit et l’écriture, p. 68-73, sur les « uncertainties of memory and transmission » (nous traduisons : les « incertitudes de la mémoire et de la transmission »).
60 Voir la bibliographie en appendice à la revue Questes, 29, 2015 : Copie, authenticité, originalité, p. 159-168.
61 Elle ne l’est pas dans le manuscrit C (BnF, fr. 20041) que nous avons suivi scrupuleusement en intégrant au Testament l’Epistre a ses amis et le Probleme (Ballade de Fortune). Voir l’introduction à l’édition, op. cit., p. 25-26. Dans d’autres manuscrits, comme celui de Stockholm (ms. F), la « Ballade de conclusion » manque.
62 Voir l’analyse de la ballade par T. Hunt, « Villon’s Last Erection », in Villon at Oxford. The Drama of the Text, éd. M. Freeman et J. H. M. Taylor, Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 1999, p. 150-158 (p. 151-152 au sujet des différentes opinions concernant l’identité du locuteur).
63 Voir l’étude de J. Dufournet, Villon : ambiguïté et carnaval, op. cit. Mais les enjeux de l’ambiguïté vont bien au-delà des ambiguïtés « phoniques » (p. 56), « syntaxiques » (p. 59), « sémantiques » (p. 67) et « symboliques » (p. 87) décrites par le critique.
64 E. Baumgartner, Poésies de François Villon, op. cit., p. 132.
65 D. A. Fein, François Villon and His Reader, Detroit, Wayne State University Press, 1989, p. 99.
66 Voir G. Pinkernell, François Villon : biographie critique et autres études, Heidelberg, Carl Winter, 2002, p. 103-105. Lui-même parle d’un « pseudo-sermon », destiné à convaincre Guillaume de Villon, son protecteur, « de son retour au bien » (p. 114). La lecture en clé biographique nous paraît peu vraisemblable, compte tenu de la teneur politique de la ballade : ce type de discours a en général un prince pour destinataire privilégié.
67 Henri Bergson, La Pensée et le Mouvant, éd. C. Zanfi, Paris, Desclée de Brouwer, 2020, p. 64-65 et 115.
68 Sur l’influence des controverses juridiques, voir K. Becker, « La Mentalité juridique dans la littérature française », Le Moyen Âge, 103, 1997/2, surtout p. 324-327.
69 Voir J. Koopmans, « Villon et le théâtre », 1993, réimprimé dans Villon, hier et à jamais, éd. J. Cerquiglini-Toulet, Paris, Honoré Champion, 2020, p. 153-166.
70 Voir les témoignages réunis par J. Koopmans et P. Verhuyck (éd.), Le Recueil des repues franches de maistre François Villon et de ses compagnons, Genève, Droz, 1995, introduction, p. 53-62. Aux v. 523-524, Villon et Pathelin sont cités en modèles.
71 Sur ce texte, voir N. Labère, « En disant mainte bonne bave, d’avoir du meilleur de la cave : les compagnons des Repues franches (1480-1500) à la table de maistre François Villon », dans Villon entre mythe et poésie, op. cit., p. 251-260.
72 Une liste de marginaux dans l’esprit de Villon, note Madeleine Jeay, Le Commerce des mots. L’usage de la liste dans la littérature médiévale (xiie-xve siècles), Genève, Droz, 2006, p. 474-476.
73 Ch.-A. Chamay, « Bref Retour sur la paternité des Satyres chrestiennes de la cuisine papale (1560). De nouvelles donnes en faveur de l’attribution à Théodore de Bèze », dans Théodore de Bèze (1519-1605). Actes du colloque de Genève (2005), éd. I. Backus, Genève, Droz, 2007, p. 417-428.
74 Sur la polémique qui opposa les deux écrivains, voir P. Debailly, La Muse indignée. Tome I : La satire en France au xvie siècle, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 453-456.
75 [Théodore de Bèze], Satyres chrestiennes de la cuisine papale, éd. Ch.-A. Chamay, Genève, Droz, 2005, p. 136, v. 502. Toute citation est tirée de cette édition.
76 La taverne est traditionnellement un lieu de perdition, un locus diaboli : voir B. Ribémont, « Arras, la taverne et le “capitalisme”. Le théâtre profane du xiiie siècle et la question de l’argent », Le Moyen Âge, 111, 2005/1, p. 59-70.
77 P. Debailly, La Muse indignée, op. cit., p. 523.
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Quelques mots à propos de : Jean-Claude Mühlethaler
Université de Lausanne