Epopée, Recueil Ouvert : Section 1. Théories générales de l'épopée
L’épopée refondatrice : extension et déplacement du concept d’épopée
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Résumé
Depuis quelques années, des chercheurs de disciplines différentes ont étendu le concept d'épopée, en mettant en évidence à la fois l'existence d'un “épique moderne” et la nécessité de repenser les épopées anciennes hors des catégories léguées par Hegel et Lukács. L'extension du concept permet d'y intégrer des œuvres apparemment aussi éloignées que les épopées post-coloniales ou la chanson de geste médiévale. Ma théorie du “travail épique” (Goyet, 2006) se situe dans la lignée de ces travaux mais propose aussi un déplacement : il ne s'agit plus de chercher à définir l'épopée en général, mais une catégorie particulière et particulièrement intéressante, l'épopée “refondatrice”. Le présent article en dégage les caractéristiques fondamentales. L'épopée refondatrice peut se déployer dans tous les genres, à condition qu'elle soit populaire, politique et polyphonique. L'enjeu est de se donner les moyens de reconnaître dans le monde contemporain les lieux où pourraient émerger le travail épique et la refondation du politique.
Abstract
The epic in the contemporary world : where are the narratives that can help reshape our society?
This article deals with one specific type of epic which I suggest calling the "refounding epic", since it has been the means historically of founding anew communities by inventing new political solutions for major historical crises. The Iliad, the Song of Roland and the Hogen and Heiji monogatari can be shown to have been such refounding epics (Goyet, 2006). In the wake of recent scholarship that considers that the epic does exist in the modern era, the current question is under what conditions can the refounding epic exist in the modern and contemporary world. There seems to be three necessary conditions. The refounding epic must be popular, political and "polyphonic" (Bakhtin) to accomplish what rational thought cannot do.
Texte intégral
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1 Les titres mêmes de deux ouvrages collectifs récents, de “À la recherche de...
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2 À ce sujet, voir ici même l’article de Marguerite Mouton, “L’épopée moderne...
1Depuis que l’on admet que l’épopée n’est pas morte, les nombreux travaux consacrés à l’épopée moderne ont fait voir sa différence avec l’épopée ancienne1. On pourrait presque dire que les critiques en ont donné un tableau différentiel, montrant constamment l’abîme entre ce qu’ils constataient et les descriptions classiques de l’épopée ancienne. L’écart semble tel qu’on renonce même en général au terme d’“épopée” pour l’époque moderne, pour lui préférer le terme d’“épique”, plus vague et qui évite de superposer l’un à l’autre2. C’est que l’épopée ancienne est censée être l’exaltation grandiose et transparente de l’héroïsme simple et des valeurs existantes. L’épique moderne est au contraire du côté des exclus et des humbles – dont il revendique le statut “subalterne” – sans grandiloquence, sans jamais simplifier le trait ; il est résolument politique ; il est à chercher non pas seulement dans les œuvres estampillées “épopées”, mais parfois dans des genres différents.
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3 Sur l’épopée ancienne comme outil intellectuel pour penser la crise politiq...
2Le propos de cet article est de montrer que l’épopée moderne, telle que la montrent ces descriptions récentes, est loin d’être en porte-à-faux avec l’ancienne ; qu’elle a au contraire bien des caractéristiques d’un type central d’épopée ancienne, que je propose d’appeler “refondatrice”, parce qu’elle permet de penser et de dépasser la crise politique3. À partir de là, on peut déplacer le problème de la définition du genre. Tous les textes estampillés “épopée” n’ont pas joué ce rôle refondateur, et plutôt que d’essayer de définir l’épopée en général et sub specie æternitatis, il peut être intéressant de définir ce sous-genre particulier qui permet d’inventer la nouveauté politique. Par là, on se donne les moyens de reconnaître dans le monde contemporain les œuvres qui peuvent aujourd’hui jouer ce rôle, et qui se trouvent le plus souvent au-delà des frontières reconnues du genre. En somme, après la nécessaire extension du concept d’“épopée” par la critique récente, il s’agit d’opérer un déplacement et une nouvelle restriction, pour définir ce type particulier, si important.
3La première partie rappellera que, analysées pour elles-mêmes, les épopées ne montrent pas la clarté, l’univocité et le conservatisme dont le genre a longtemps été l’emblème. Cette partie retracera le mouvement d’extension qui a mené à l’emploi actuel du terme pour des œuvres d’époques et même de genres différents, ce qui revient à sortir le genre de la pétrification opérée par la critique ancienne depuis Hegel et Lukács en particulier. Les deux autres parties s’intéresseront non plus à l’ensemble des textes appelés “épopée”, autrefois ou aujourd’hui, mais à la catégorie restreinte des épopées refondatrices. On tâchera de définir les conditions nécessaires pour qu’une œuvre narrative, ancienne ou moderne, puisse donner à une communauté les moyens de sortir de la crise politique. La première condition est pragmatique, et concerne les conditions matérielles de la communication : il faut à l’épopée refondatrice un rapport particulier avec le public, que j’appellerai la “popularité” (II). Deux autres conditions tiennent à la matière et à la mise en œuvre de la narration. Il faut d’abord que les histoires qu’elle raconte soient une métaphore de la crise : qu’elles soient, derrière les apparences, profondément politiques. Enfin, et surtout, il faut que l’œuvre soit polyphonique au sens le plus profond du terme. Dans le monde ancien comme dans le monde moderne, l’œuvre s’élève parfois jusqu’à accorder la même valeur à chacune des voix qu’elle fait intervenir, jusqu’à faire coexister en tension des voix contradictoires, sans en disqualifier ou privilégier aucune ; c’est ce qui permet de faire émerger la nouveauté politique (III).
4Popularité, politique et polyphonie : à partir de ces critères, on voit se dessiner un ensemble d’œuvres, qui ne sont pas le tout de la production épique, mais qui jouent un rôle irremplaçable, aussi bien dans le monde moderne que dans le monde ancien.
I. Contradiction ou extension ?
1. Épique et épopée : des descriptions antinomiques
5La recherche récente a donc montré la vitalité du genre à l’époque moderne, mais en insistant sur sa différence, voire sa contradiction avec ce que décrivent les théoriciens depuis Aristote et Hegel. Deux domaines de recherche serviront d’exemples de ces travaux.
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4 Boutet, Dominique, Charlemagne et Arthur, ou, Le roi imaginaire, Paris, Cha...
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5 Voir par exemple Ribémont, Bernard (éd.), Crimes et châtiments dans la chan...
6Depuis le fondateur Charlemagne et Arthur de Dominique Boutet4, les médiévistes ont renouvelé la vision de la chanson de geste, qu’ils considèrent comme l’épopée du monde médiéval français et occitan. Ils ont montré que, loin d’être transparente et simplificatrice comme on l’a longtemps affirmé, elle permettait une remise en cause des valeurs de son temps. Les plus tardives en particulier (le cycle des barons révoltés par exemple) donnent une image de Charlemagne non seulement écornée mais déconstruite, une telle déconstruction permettant de poser et de penser les problèmes du présent du XIIIe ou du XIVe siècle5. Confus, mettant en scène les conflits entre pairs plus qu’entre peuples, donnant des personnages et de leurs comportements une image problématique, ces textes leur ont paru aux antipodes de la Chanson de Roland – qui était l’épopée française pour les critiques sur le genre. Pour le dire autrement, les générations précédentes considéraient que l’incarnation française de l’épopée, c’était Roland, dans et par sa simplicité triomphante ; pour les chercheurs contemporains, l’épopée médiévale est déjà “moderne”, en rupture avec ce même Roland, qui du coup ne les intéresse plus guère.
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6 Le texte se présente comme un “Djeli Ya”, récit de la tradition des griots,...
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7 Voir Vettorato, Cyril, “Modèle(s) épique(s) et expérience post-esclavagiste...
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8 Voir Imbert, Christophe, “La gloire de l’empire à l’ère du soupçon : l’aspi...
7L’épopée contemporaine postcoloniale, elle, se crée dans cette tension même : tout en se revendiquant comme épopée, elle prend soin de rompre avec tous les traits tenus pour caractéristiques du genre. Les critiques le soulignent, et les auteurs eux-mêmes ont souvent explicité cette rupture, soulignant les dangers de “sombrer dans le dithyrambique” (Sylvie Kandé). Lorsque Amiri Baraka publie son Wise, un texte qui fait explicitement référence à la tradition épique africaine et occidentale6, il convoque ainsi les traits classiquement associés à l’épopée mais pour les nier, construisant par exemple sa scène inaugurale en contre-pied de la scène d’invocation à la Muse et de l’éloge du héros de la collectivité7. De même, quelques années avant de publier Omeros, Derek Walcott n’hésitait pas à proclamer que l’épopée est un piège, et l’attrait pour elle un signe d’aliénation. “Provincialism loves the pseudo-epic” : il n’y a que les provinciaux pour croire encore à l’épique ; leur amour pour l’épique est le signe même de leur aliénation8.
8Comme le souligne Delphine Rumeau, qui travaille aussi bien sur le monde américain du XIXe siècle que sur les écrivains post-coloniaux, les anciens colonisés sont pris en tenailles entre la nécessité d’écrire des épopées – de s’approprier le genre noble pour parvenir réellement à l’égalité avec l’ancien colonisateur9 – et le danger de reprendre un genre qui a été historiquement un moyen intellectuel de sa domination. Des États-Uniens revendiquant avec Whitman leur propre destin, jusqu’à Césaire, Glissant ou Mudhi s’appropriant leur terre grâce à elle, “l’ancien colonisé doit aspirer au genre noble” qu’est l’épopée (Imbert10). Mais critiques et auteurs soulignent l’ambiguïté de ce qu’on peut appeler le “geste épique” qui, tout en étant un moyen quasi indispensable de l’émancipation totale, risque paradoxalement de renforcer la dépendance vis-à-vis du colonisateur. Invitant à entrer dans ses schémas mentaux, il mènerait à voir le monde depuis son point de vue.
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11 Ainsi Frankétienne ou Kourouma, qui la tiennent délibérément à distance da...
9Le plus intéressant est que justement ces dangers n’ont pas empêché la production épique, mais l’ont poussée à s’élaborer dans le conflit avec ses modèles. D’où les multiples stratégies constatées. Considérant l’épopée comme impossible, certains auteurs refusent le geste épique11, mais beaucoup d’autres affrontent ce qui leur semble un paradoxe ou une aporie pour tâcher de les dépasser. Ils déconstruisent l’épopée, pour créer un sous-genre en tension entre revendication et reniement. En cela, les épopées postcoloniales sont emblématiques de l’épopée moderne, qui revendique non seulement l’épique mais un épique propre, une épopée égale en dignité à l’épopée occidentale, mais libérée de ses oripeaux occidentaux.
2. Extension
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12 L’opposition, là aussi, est presque un jeu de mots. La théorie qui se cons...
10L’épopée moderne semble ainsi exister au prix d’un paradoxe absolu : il s’agit de donner à son peuple et/ou au monde moderne une épopée tout en refusant le Grand Récit ; d’écrire des “épopées” mais qui ne soient surtout pas ce qu’on entend habituellement par là. Pourtant, depuis quelques d’années, on note une évolution, qui pourrait elle aussi se résumer par les titres des collectifs consacrés au genre : après Déclins et confins de l’épopée au XIXe siècle et Désirs & Débris d’épopée au XXe siècle, deux colloques récents s’intitulent respectivement L’épopée hors d’elle-même et Elle s’étend, l’épopée. Relecture et ouverture du corpus épique12. À un modèle qui fait se heurter deux actualisations antinomiques de l’epos, se substitue l’idée d’une extension du genre, auteurs et critiques refusant les frontières impliquées par la tradition.
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13 Goyet, Florence, “L’Épopée”, Bibliothèque en Ligne de la Société Française...
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14 Nagy : “the classical Greek idea of epic, as presupposed by these received...
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15 Aristote définit le genre à partir des seules épopées homériques ; pour He...
11Historiquement, la première extension a été géographique. J’ai décrit ailleurs la démarche, d’un Étiemble en France et d’un Nagy aux Etats-Unis13, et les résultats radicaux qu’elle entraîne. Dès lors qu’on considère que l’épopée existe en-dehors du monde occidental, qu’on admet qu’il faut recontextualiser Homère14 et non le prendre pour l’actualisation parfaite du genre15, en somme dès lors qu’on considère que le Mahabharata, Manas ou Silâmaka et Poullôri sont aussi des épopées dont il faut rendre compte dans la théorie, le discours critique occidental traditionnel sur le genre s’effondre. Les critères définitoires sont mis en défaut, mais aussi bien le regard tout entier sur le genre. Il faut “repartir à zéro” (Étiemble).
12Aux auteurs rassemblés depuis dix ans dans de multiples travaux collectifs par Saulo Neiva, Charlotte Krauss, Nelson Charest, Vincent Dussol ou Inès Cazalas et Delphine Rumeau, cette première extension a permis de penser l’impensable : Nazim Hikmet, Philip Roth ou Louis Fréchette comme appartenant à la même catégorie que l’Iliade et Soundjata. La deuxième extension est ainsi chronologique : à partir du moment où le genre est divers, incluant aussi Beowulf et le Ramayana, on peut imaginer une épopée moderne qui ne soit pas une imitation d’Homère ou de Virgile. Plus important, on peut décrire comme épiques des textes qui refusent la simplicité et la transparence, n’exaltent pas un héroïsme sans ombres et ne confortent pas les valeurs établies.
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16 Voir Valmary, Hélène, Origines et poétique d’un héroïsme intranquille : le...
13La troisième extension du genre est alors... générique. Des romans ou des recueils de poésie sont perçus comme épiques (de Méditation de Juan Benet à La Guerre et la Paix, de Monnè, outrages et défis aux Lais de Beleriand…), mais aussi bien des films : grandes fresques des années 1970 ou films de super héros post-201116. L’étiquette a souvent été imposée par le public, sur le mode de l’évidence, malgré des critères absolument flous. Les chercheurs contemporains ont en général choisi de creuser l’analyse dans cette direction plutôt que de refuser ce jugement du sens commun, comme l’auraient sans doute fait leurs prédécesseurs.
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17 Madelénat, Daniel, “Présence paradoxale de l’épopée : hors d’âge et retour...
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18 Voir Kachler, Olivier (éd.), Voix épiques, Mont-Saint-Aignan, Publications...
14L’hypothèse est fructueuse : les travaux menés sur l’épique moderne ont permis de rendre compte de façon extrêmement intéressante de toute une série de textes. Elle reste cependant sur une contradiction. La modernité aurait défait un à un les traits de l’épopée ancienne, jusqu’à se retrouver aux antipodes, mais il conviendrait toujours de lire l’épopée à la lumière des théories existantes. On admet l’existence d’une espèce nouvelle du genre épique, qui serait un “phénotype nouveau du génotype épopée” (Daniel Madelénat17). Du coup, la critique ne se débarrasse pas d’un malaise, bien visible par exemple dans la série de travaux publiés en France en 2009 à propos du programme d’agrégation sur Césaire, Neruda, Akhmatova et Hikmet18. Le signe le plus clair en est le refus du terme “épopée” au profit de “épique”, qui marque un lien tout en rompant les amarres, et rend bien compte de ce statut ambigu : un phénotype non seulement différent mais opposé aux phénotypes précédents.
3. Permanence
15Mais il n’y a pas besoin de changer de nom et le malaise n’a pas lieu d’être. C’est ce que montrent, je crois, aussi bien les études récentes sur une série d’épopées anciennes que l’analyse comparatiste.
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19 Katz, Marylin A, Penelope’s renown : meaning and indeterminacy in the Ody...
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20 Müller, Jan-Dirk, Spielregeln für den Untergang : die Welt des Nibelungen...
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21 Biardeau, Madeleine (éd.), Le Mahabharata : un récit fondateur du brahman...
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22 MacIntyre, Alasdair, Whose Justice ? Which Rationality ? Londres, Duckwort...
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23 White, James Boyd, When words lose their meaning : constitutions and recon...
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24 Manent, Pierre, Les métamorphoses de la cité : essai sur la dynamique de l...
16Parallèlement aux études sur l’épique moderne et dans les mêmes années, en effet, une série de spécialistes parvenaient aux mêmes conclusions sur des épopées anciennes, étudiées chacune pour elle-même. Lorsque Marilyn Katz montre que Pénélope est un personnage fondamentalement ambigu, qui ne peut être pensé qu’en parallèle avec Clytemnestre – pôle opposé mais aussi possible narratif, qui problématise Pénélope radicalement19 ; lorsque Jan-Dirk Müller refuse de “lisser” les contradictions que présente le Nibelungenlied et met en valeur ses ambiguïtés et oppositions20 ; lorsque Madeleine Biardeau raisonne sur les options politiques présentes dans le Mahabharata21 : dans tous les cas, ce qu’on voit apparaître, ce sont des textes, aussi confus et problématiques que les textes modernes, et bien loin de la théorie de l’épopée comme glorification quasi-sacrée de grandes valeurs simples. De même, le philosophe Alasdair MacIntyre22, le juriste James Boyd White23, ou récemment en France Pierre Manent24 décrivent tous une Iliade et une Odyssée complexes, travaillées de conflits et en mouvement vers une pensée du politique.
17Le problème – la différence entre ancien et moderne – est peut-être dans la description ancienne et non dans les épopées elles-mêmes. Le paradoxe et l’aporie notés plus haut tiennent en grande partie au point de vue adopté par la tradition critique. Changer la procédure d’étude des textes change alors la vision de l’épopée. En travaillant comme le font les chercheurs sur l’épique moderne, on retrouve leurs résultats sur des textes anciens censés être aux antipodes. Confusion et ambiguïtés, contradictions, répétitions, problématisation… l’épopée ancienne peut être décrite avec les mots qui caractérisent l’épopée moderne.
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25 Dumézil, Georges, Mythe et épopée, Paris, Gallimard, 1968-1973 ; Paquette,...
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26 Goyet, Florence, Penser sans concepts : fonction de l’épopée guerrière :...
18L’analyse comparatiste retrouve elle aussi ces conclusions. Une série impressionnante de chercheurs depuis Dumézil et Paquette (Pascal Boyer et Jean Derive à partir de la tradition africaine, Joël Grisward sur le monde médiéval français, John Foley sur la tradition homérique et sur l’épopée serbo-croate...) ont donné eux aussi des descriptions très éloignées de la tradition25. Tout comme les chercheurs sur l’épique moderne, ils ont suivi l’appel d’Étiemble à repartir de zéro, et renoncé de facto à s’appuyer sur la théorie classique pour décrire le fonctionnement du genre. J’ai fait de même dans mon propre travail26. D’un point de vue méthodologique, la décision a consisté à privilégier la contextualisation des textes (pour comprendre ce que les mots voulaient dire dans leur cadre d’énonciation) et à mener une analyse précise et globale (pour construire la théorie par induction plutôt que de façon déductive à partir de la théorie existante). Les textes anciens sur lesquels j’ai travaillé se révélaient alors très proches des textes épiques modernes, menant eux aussi une déconstruction et même allant plus loin : inventant, à même le récit, des solutions politiques radicalement nouvelles, refondant le politique.
4. Travail épique et épopée refondatrice : l’exemple des Dits de Hōgen et de Heiji
19L’outil de cette refondation est ce que j’ai appelé le “travail épique”, qui consiste à mettre en scène un foisonnement de personnages dans des situations critiques, à montrer les innombrables délibérations et conseils qu’ils tiennent et les décisions qu’ils prennent, mais aussi les conséquences, à court et à très long terme, de toutes ces décisions.
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27 Souyri, Pierre-François, Le monde à l’envers : la dynamique de la société ...
20Pour ne prendre qu’un exemple, le diptyque Hōgen-Heiji monogatari est le lieu où se construit peu à peu – lentement, difficilement, mais parfaitement – la nouvelle donne sociale et politique qui permettra au Japon de sortir du “grand bouleversement” (P.-F. Souyri27). C’est là, à même le récit, et uniquement avec ses outils, que va s’inventer une réponse politique radicalement novatrice à l’irruption violente de la féodalité. Le diptyque, jouant sur toutes les ressources de la structure (parallèles, antithèses, juxtaposition signifiante...), met en perspective trois types de solutions, qui relèvent de trois conceptions distinctes de la politique : celles qui auraient fonctionné dans le cadre apaisé de la vie politique d’avant la crise (incarnées par le Ministre de la Gauche ou les conseillers de l’Empereur qui vient de mourir, qui raisonnent dans le cadre de la tradition et prennent les décisions en fonction de “ce qui convient”, a priori) ; celles qu’apportent avec eux les guerriers qui déferlent sur la Ville (les guerriers Tametomo ou Yoshitomo, le conseiller Shinsei, qui prônent le pragmatisme appuyé sur la compétence des guerriers – une notion qui apparaîtra historiquement comme centrale) ; celles enfin qu’aucun raisonnement n’avait été capable d’inventer mais que la narration fait surgir au détour d’un récit secondaire avant de le reprendre et de le mettre à l’épreuve de façon plus centrale (la femme de Masakiyo, Genda le Mauvais, les “petits de la Sixième Avenue”… qui inventent littéralement, dans ce texte, la “voie des guerriers” qui se codifiera bien plus tard).
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28 Voir les historiens sur la conception pour le moins lâche du devoir de vas...
21Chacune de ces options politiques est mise à l’essai par le texte, examinée tout au long dans son déroulement et ses conséquences, et finalement jugée, en fonction de sa valeur non seulement immédiate mais aussi lointaine. Ainsi, la décision de Shinsei de mettre à mort tous les rebelles – décision “pragmatique” par excellence – est parfaitement efficace dans le moment, mais elle condamne à long terme toute possibilité de reconstruction de la société. Les solutions traditionnelles ayant échoué et le pragmatisme reconnu comme étant à courte vue, il faudra au texte explorer d’autres voies, presque par hasard. La femme de Masakiyo se suicidant sur le corps de son mari, c’est une belle histoire ; concernant un personnage secondaire, sans importance réelle, elle peut surgir au détour du texte. Mais c’est aussi, pour la première fois, le moyen de dépasser par le haut le dilemme auquel tous les personnages sont confrontés tour à tour sous une forme ou sous une autre ; dans le cas de la femme de Masakiyo : doit-on trahir son père pour sauver son mari ? dans le cas (central) du capitaine Yoshitomo : quand l’Empereur l’ordonne, doit-on mettre à mort son propre père ? C’est le dilemme qui résume la guerre civile. Jusque-là, le texte n’avait pu que reproduire les argumentations plus ou moins spécieuses que permettaient les conceptions politiques de l’époque, et n’avait pu sortir de l’aporie – et de l’horreur. Le sacrifice de la femme de Masakiyo est une “solution”, nouvelle28, qui dessine les grandes lignes de toute une reconstruction politique et éthique, que rien n’avait permis d’inventer hors de l’épopée. Elle repose sur l’examen et la mise en question, la mise en perspective et la problématisation de chacune des options possibles. On est là aux antipodes de la description Hegel-Lukács de l’épopée, et bien proche de ce que décrivent les critiques récentes sur l’épopée moderne.
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29 Vinclair, Pierre, De l’épopée et du roman : essai d’énergétique comparée, ...
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30 Cazalas, Inès, Contre-épopées généalogiques : fictions nationales et famil...
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31 Voir les études dans Cazalas, Inès et Rumeau, Delphine (éd.), Épopées post...
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32 Voir la thèse d’Elara Bertho : Nehanda, Samori, Sarraounia comme héros cul...
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33 Voir Plagnard, Aude, Une épopée ibérique : Autour des œuvres d’Alonso de E...
22Le monde moderne connaît ce type de “travail épique”. Pour le dire dans les termes de Pierre Vinclair, l’“effort” du dispositif de certains textes qui ressemblent extérieurement à des romans relève en fait du genre épique et non du genre romanesque29. C’est ce qu’a montré Inès Cazalas sur quatre grands romanciers contemporains30, et ce que montrent une série de recherches récentes sur les textes postcoloniaux, de Walcott à Kourouma ou Sembène Ousmane31, aussi bien que sur les acteurs de la lutte contre la colonisation en Afrique32. La thèse d’Aude Plagnard, elle, montre ce travail à l’œuvre là où on l’attendrait le moins : dans l’épopée imitative espagnole et portugaise du XVIe siècle33. Ercilla et Corte-Real reprennent la forme et parfois les vers de Virgile, non pour exalter la puissance ibérique par l’allusion à Rome, mais bien pour remettre en question le bien-fondé et la forme de la colonisation.
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34 Lorsque Warren Brown cherche à résumer la tension entre les deux visions d...
23La chanson de geste telle qu’on la redécouvre depuis Boutet n’est ainsi pas en contradiction avec le Roland, mais bien avec l’image un peu abstraite – simplifiée parce que loin du texte – qu’on en avait construit depuis le XIXe siècle. Contre cette idée simpliste, il est facile de montrer que le Roland est un modèle de problématisation : il ne cesse de réhabiliter le “traître” Ganelon et de remettre en question les actions héroïques de Roland ; il donne pour égal à ce héros un Olivier qui tient compte du nombre des ennemis (contre toutes les règles de la vaillance héroïque) ; et il s’achève sur un procès, le lieu même du problématique – procès, de plus, où les barons décident d’abord d’innocenter Ganelon, désavouant ainsi Charlemagne34. Il me semble que la chanson de geste est problématique et heuristique en tant qu’elle est épique, dans la continuité du travail épique que le Roland met en place, longuement et difficilement.
24On voit qu’il ne s’agit pas de définir l’épopée sub specie æternitatis, mais bien un sous-ensemble, l’épopée “refondatrice”, qui invente un nouveau fonctionnement politique. Le concept de travail épique revient à introduire une autre distinction : en même temps que l’extension, c’est un déplacement du concept d’épopée pour définir une classe particulière, un type ou sous-genre particulièrement efficace.
25On peut alors s’interroger sur les conditions qui permettent à des œuvres de jouer ce rôle irremplaçable pour la communauté, hier, aujourd’hui ou demain. Il me semble qu’elles sont de deux sortes. Nous verrons d’abord le rôle central du public. Il nous restera alors à voir en troisième partie quelle structure permet de “faire du sens” (Foley), et de donner à une société en transformation radicale les moyens d’inventer son avenir : l’épopée refondatrice est politique, et polyphonique.
II. Au-delà du sacré, le rôle du public : Popularité
26Les descriptifs semblent converger et la cause semble entendue : l’épopée ancienne ou traditionnelle aurait partie liée avec le sacré ; l’épopée moderne le refuserait. Mais ce point lui-même est peut-être à remettre en perspective. Les liens de l’épopée avec le sacré – avec le mythe et avec le rituel – sont si puissamment présents à notre esprit que le risque est d’oublier les conditions matérielles de la récitation épique et ses liens avec le plaisir. Or le plaisir est nécessaire au travail intellectuel de l’épopée. Pour être efficace, l’épopée doit être divertissement.
1. Sacré et monument
27Nous vivons sur une conception de l’épopée comme quasi-sacrée.
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35 Hamayon, Roberte, La Chasse à l’âme : esquisse d’une théorie du chamanisme...
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36 En Sibérie, la pratique de l’épopée succède parfois au chamanisme et le re...
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37 Aujourd’hui, dans un milieu converti au protestantisme évangélique, C. Jac...
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38 Dans son introduction, in Vālmīki, Le Rāmāyaṇa, Biardeau, Madeleine et Por...
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39 Voir Plutschow, Herbert E., Chaos and Cosmos : Ritual in Early and Medieva...
28En anthropologie, les descriptions qui associent directement épopée et sacré sont extrêmement nombreuses. Dans le monde sibérien, par exemple, Roberte Hamayon l’a montré tout au long pour les Bouriates des bords du Lac Baïkal : l’épopée ne peut ici se réciter que dans des conditions très précises (pendant trois nuits, le barde ne devant en aucun cas s’arrêter – l’auditoire a la responsabilité de le relancer au besoin), à une époque particulière (quand les Pléiades sont visibles), après qu’un récitant a été choisi suivant une procédure traditionnelle (par des “essais” de plusieurs candidats entre lesquels la communauté choisit), pour un but rituel particulier (obtenir la chance à la chasse). L’interdiction de réciter l’épopée en-dehors de ces circonstances (sauf dans le cas où l’on est perdu seul en forêt) ainsi que le bénéfice pour la communauté qui en est attendu, achèvent de caractériser l’épopée comme élément d’un univers sacré35. Toujours pour le monde sibérien, d’autres études ont montré que l’épopée est même parfois une activité rituelle au même titre que le chamanisme36. Plus étonnant : dans les plateaux de l’Altaï, l’épopée évolue en fonction des croyances religieuses, et les travaux de terrain de Clément Jacquemoud montrent comment aujourd’hui même l’épopée intègre la foi chrétienne et se modifie en fonction des croyances37. On pourrait multiplier les exemples ailleurs dans le monde, depuis les épopées indiennes, Mahabharata et le Ramayana, qui sont « la charte de la religion de la bhakti, où le rite est subordonné à la dévotion au dieu » selon l’expression de Madeleine Biardeau38, jusqu’au Heike monogatari comme moyen d’entrer en communication avec les morts39.
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40 Dans l’Athènes du Ve siècle, Iliade et Odyssée sont récitées intégralement...
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41 Sur son rôle dans le banquet, voir Florence Dupont, ibid., et la thèse sou...
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42 Voir Carruthers, Mary J, The Book of Memory : A Study of Memory in Medieva...
29Dans le monde occidental, même si la dimension rituelle est importante40, l’épopée est peut-être avant tout monument. Elle est vue comme le fondement même de la Cité, le texte par excellence, de même qu’Homère est “le Poète”, le précepteur de la jeunesse grecque et la source de réflexions éthiques et intellectuelles41. Réservoir de tous les thèmes de la Tragédie, modèle indépassable (c’est-à-dire aussi source à laquelle tous s’abreuvent pour pouvoir s’élever au sublime), l’épopée d’Homére est considérée comme le sommet de la hiérarchie des genres et l’âme de la polis. Après lui, Virgile règnera sur le Moyen Âge occidental, sera celui qu’on imite, qu’on parodie, qu’on sait par cœur42. L’épopée semble l’origine, indépassable et indiscutable, et la tradition après Hegel y verra la conception pétrifiée d’un monde hors de l’Histoire. Les rapports entre l’individu et la société sont censés y être aux antipodes de l’interaction douloureuse et conflictuelle entre le moi et le monde – qui semble à un Lukács la marque même de la modernité, et que le roman seul serait capable de décrire.
30Il ne s’agit évidemment pas de nier cette double dimension, essentielle. Mais on peut remarquer qu’ériger l’épopée en phénomène religieux ou en monument oriente le regard et pré-figure (pré-forme) ce que l’on va y trouver. Si l’Iliade est perçue avant tout comme le moyen pour la cité de se célébrer elle-même, l’analyse n’y verra guère qu’ordre et continuité.
31Or ce que les anthropologues ne manquent pas de nous décrire également, et qui vient équilibrer leur présentation de l’épopée, c’est l’auditoire et son rôle central dans le processus tout entier. Le public s’empare du texte : il participe directement et profondément à son élaboration ; et dans le même temps le texte s’empare du public, qui le sait “par cœur” et l’a présent à l’esprit comme une sorte de mémoire vive. Les deux sont essentiels, parce qu’ils permettent le travail intellectuel que le texte va mettre en place, et qu’ils assurent que ce travail se fera au niveau de la communauté tout entière.
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43 L’auralité (du latin auris, l’oreille), c’est la “réception par l’oreille”...
32Dans le monde ancien, ce phénomène s’appelle l’“auralité”43, mais le monde moderne en connaît l’équivalent, et je propose comme terme englobant celui de “popularité”, pour exploiter les deux sens du terme en français. L’épopée jouit d’une immense popularité : tous – humbles et grands confondus – la connaissent par cœur, et des communautés se créent autour d’elle. Elle est aussi “populaire” en ce sens qu’elle est un genre low brow, un divertissement qui donne un plaisir immédiat, qui ne demande pas de tension d’esprit et dont on ne se lasse jamais.
2. Le public s’empare du texte : auralité
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44 Lord, Albert Bates, The Singer of Tales, Mitchell, Stephen et Nagy, Gregor...
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45 Voir Akesson, Ingrid, “Oral/Aural Culture in Late Modern Society ? Traditi...
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46 Bettelheim, Bruno, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Laffont, 1976.
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47 La “composition in performance” est un trait essentiel de l’oralité pour l...
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48 Voir les références que donne Dupont dans L’invention de la littérature, o...
33Sur les champs de foire comme dans les récitations rituelles, l’auditeur est un élément essentiel du processus épique. Présent physiquement, mais gardant à tout instant la possibilité de quitter la récitation et/ou d’exprimer son mécontentement, le public réagit, et il interagit avec le récitant. C’est l’un des aspects du phénomène d’“auralité” dont l’intérêt pour la littérature et les arts en général a été souvent souligné depuis une vingtaine d’années. Par elle, l’œuvre évolue dans le temps : Lord et Parry ont noté (et mesuré) que le texte oral se modifie à la marge à chaque récitation44. Les musiciens, eux, insistent sur la variabilité de ce qui est appris par l’oreille, et ont montré que les attentes du public informent ces changements45. On retrouve ici la démonstration bien connue de Bettelheim : les contes sont cruels parce que les enfants les veulent cruels46. Toutes les études sur ce que Florence Dupont appelle la “culture chaude” le montrent : dans le cadre de l’oralité – de la “composition dans la récitation47” – l’œuvre, évoluant constamment, s’élaborant peu à peu, correspond finalement aux besoins du public48.
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49 Voir Boni, Marta, Romanzo criminale. Transmedia and Beyond, Venise, Ca’Fos...
34Pendant longtemps on a considéré que cette adaptation constante était un apanage de la littérature orale, inaccessible à notre monde de l’écrit. C’est même un des arguments utilisés pour justifier la différence entre une épopée ancienne “évolutive”, et une épopée moderne dépendant d’un auteur, créateur individuel qui ne serait plus tenu par son public. Mais les conditions de production hyper-contemporaines ont montré de nouveau l’importance du public, et qu’il sait imposer aux créateurs ses choix et sa vision d’une œuvre. C’est un cliché de la critique à propos d’œuvres très populaires comme les telenovelas – où les réactions des téléspectateurs à un épisode sont prises en compte pour l’écriture des épisodes suivants. Mais c’est une donnée essentielle du fait artistique en général depuis qu’Internet permet une interaction forte entre les créateurs et leurs fans. Marta Boni l’a montré avec force et dans le détail pour l’ensemble complexe de livres, films et séries autour de Romanzo criminale en Italie49. Le monde contemporain est là bien proche des conditions anciennes. C’est de façon presque littérale que le public actuel s’empare du texte, produisant fanzines et fan fiction.
35Notons au passage que, de nouveau, l’idée d’une opposition avec le monde du XIXe et du XXe siècles est à relativiser, sinon à abandonner. Le succès populaire du Seigneur des anneaux, mais aussi bien de La Guerre et la Paix, ou de la Tétralogie de Wagner, est bien plus qu’un “phénomène de société” : c’est le signe non pas tant qu’une œuvre a trouvé son public – pour reprendre une formule courante – mais bien qu’un public a trouvé son livre, l’œuvre qui correspond à ce dont il a besoin. À l’époque de l’écrit triomphant, et donc de l’auteur au centre de l’attention, on ne peut que constater cette rencontre a posteriori, mais on est en face d’une adéquation du même ordre.
36Il reste aux XIXe et XXe siècles une différence de degré. Lorsqu’on dit que “toute l’Europe” connaît Wagner, ou que toute la Russie lit Tolstoï, c’est une manière de parler, car ce tout ne représente évidemment qu’une partie de la totalité. Le “travail épique” qu’on peut mettre au jour pour certaines œuvres n’engagera donc pas le tout de la société, alors qu’un trait essentiel de l’épopée ancienne est qu’elle soit récitée partout, au coin des rues comme dans les cours des châteaux, rassemblant tout un peuple. Cela n’empêche pas qu’une œuvre puisse jouer – pour toute une communauté, sinon pour toute une société – le rôle profond que j’ai pu dégager pour l’épopée ancienne : l’invention de nouvelles catégories.
37Cette popularité est très importante, parce qu’elle signifie que l’œuvre est finalement une co-création, la co-construction de celui qui l’élabore et de ceux qui la reçoivent. Dans le cas de l’épopée, cette co-construction correspond à un approfondissement : articulant inlassablement les contraires et les homologues, elle ne s’en tient jamais aux simplifications dont elle fait parade en surface. La simplification que l’on a souvent relevée (l’épopée transparente et schématique) se double toujours d’une réintroduction de la complexité et même du chaos. Ils sont nécessaires pour s’obliger à penser de façon réellement novatrice des bouleversements qui ne peuvent pas être simplement gérés par les moyens anciens.
38Le moyen de cet approfondissement est cependant paradoxal. Si l’épopée pense le politique mieux que le raisonnement conceptuel, c’est parce qu’elle s’en remet au plaisir de son public.
3. Le texte s’empare du public : plaisir (mémoire vive et longueur)
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50 Dupont, Florence, L’invention de la littérature, op. cit.
39La description que Florence Dupont donne, dans L’Invention de la littérature, de l’usage des poèmes avant les Pisistratides pourrait presque suffire ici50. Avant d’être – pour Florence Dupont – pétrifiée en un savoir, qui se monnaie en atout social, la poésie est culture “chaude”. Telle une divinité, elle saisit de l’intérieur tous les membres du banquet ; leur implication est personnelle et parfois physique ; ils sont animés par le dieu, parlent en vers, aiment et sont transformés.
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51 Sur la communauté qui se crée autour d’œuvres populaires et permet une éla...
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52 Voir en particulier Foley, John Miles, Homer’s Traditional Art, University...
40Il y a là deux éléments qui sont au cœur de toute la puissance de l’épopée. D’une part, le plaisir du texte assure que le public se l’est incorporé. Les “œuvres-cultes” – pour prendre tout de suite ici un terme contemporain – sont des œuvres qui font partie de nous, qui nous habitent. Toute allusion sera comprise (c’est ce qui assure que la communauté tout entière va pouvoir communiquer et travailler ensemble à travers elle51). Mais aussi tous les éléments sont présents à l’esprit de chacun à chaque instant. L’anecdote rapportée par Foley est parlante : un chercheur de terrain, qui venait d’enregistrer une performance épique, ne comprend pas les motifs d’une action du héros. Le public unanime s’amuse qu’il ait pu ne pas entendre l’épisode qui les explicite ; et ne veut pas admettre son erreur quand, enregistrement à l’appui, on lui montre que ledit épisode ne s’y trouve pas. C’est que, pour le public, il s’y trouve quand même : toutes les aventures du héros – celles qu’on a racontées aujourd’hui mais aussi toutes les autres. L’un des apports de Foley est justement d’avoir montré que la tradition orale est un tout, constamment présente à l’esprit de tous, qui vient nourrir chacune des récitations. Absent ou présent de cette performance-ci, chaque élément de l’épopée est présent en “mémoire vive” à l’esprit de chacun. Foley en a tiré l’idée de la tradition orale comme langage (register), que tous ont en commun ; en entrant dans l’univers de l’épopée, on a autour de soi l’ensemble de la tradition tout entière52.
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53 À propos de la tradition de lecture à haute voix au Moyen Âge, Joyce Colem...
41Cette mémoire vive est ce qui va permettre le travail proprement “structural” de l’épopée – que nous reverrons en IIIe partie. Elle assure que tous les parallèles et toutes les antithèses vont être sentis, que les actions des personnages sont les éléments d’un paradigme constamment présent à l’esprit, tout entier53. Finalement, l’épopée est comme un sonnet pour nous : le sonnet est une des rares formes dont nous soyons capables de percevoir tous les effets de sens dus à la structure, comme les mélomanes le sont encore pour une pièce de musique longue. Tous les membres de la communauté (de fans comme d’auditeurs de l’épopée ou de Wagner) sont capables de cette perception totale, parce que le plaisir du divertissement (récits héroïques, livres de chevet et séries) assure la mémoire vive et donc cette capacité de discours de la structure.
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54 Peter Jackson en disait autant pour justifier son adaptation cinématograph...
42L’efficacité du plaisir, d’autre part, c’est que la longueur n’est jamais un problème. Les fans de séries revoient l’intégrale de la saison précédente, en une ou plusieurs sessions immenses, juste avant le début de la nouvelle saison. Vincent Ferré cite des lecteurs qui relisent les deux mille pages du Seigneur des anneaux tous les ans54. Les wagnériens sourient quand on leur parle de la longueur du Crépuscule des dieux.
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55 Dans les Provinciales, passim.
43Là encore, la chose est importante. Le travail épique a un besoin impératif de la longueur. Ce n’est qu’en multipliant les récits annexes (qui sont autant de “versions” différentes d’une même histoire), en poussant jusqu’au bout la description de chaque décision et de toutes ses conséquences proches et lointaines, qu’il permet de raisonner sur ce que Pascal appelait les “définitions réelles”55. À la différence des “définitions nominales”, qui font surgir dans notre esprit l’image toute faite (prête à penser, pré-fabriquée) que véhicule le concept, les définitions réelles nous obligent à raisonner sur les choses – c’est-à-dire bien sûr ici les comportements politiques, les décisions et les relations entre les membres de la communauté. Seule la longueur permet de renouveler le regard. Quand le Ministre de la Gauche, au début du Dit de Hōgen, demande qu’on prenne la décision “qui convient”, il a à l’esprit des comportements très précis, dictés par les valeurs et les vérités du monde d’avant la crise. Le terme prédétermine le choix en fonction des catégories qui avaient cours jusque-là. Mais la suite du texte va déborder ces catégories pré-jugées, développer toutes les possibilités qui s’offrent réellement – bien au-delà de ce que le Ministre peut imaginer – et va obliger finalement à changer la définition même de “ce qui convient”. De même, qui demanderait à la fin du XIe siècle ce qu’est “un bon baron” obtiendrait une réponse toute faite, mais qui ne répond plus aux nécessités de l’heure. Face à la crise qui prive les acteurs politiques de repères, le récit, lui, pose face à face Roland et Olivier qui “ambedui ont merveilleux vasselage”, et pourtant s’opposent en tout. Il oblige ainsi l’auditeur à suivre jusqu’au bout deux logiques différentes, et l’oblige à renouveler sa vision de ce que doit être un bon baron.
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56 Voir Carlier, Pierre, La royauté en Grèce avant Alexandre, Strasbourg, AEC...
44Qu’elle soit orale ou écrite, l’épopée appartient de fait à cette culture “chaude”, (comme le montre la passion des affrontements autour de la Tétralogie de Wagner). Si elle est érigée en monument, voire en sacré, c’est que nous la percevons a posteriori, depuis la société qu’elle a permis de reconstruire. La Cité grecque révère – et pétrifie, si l’on en croit Florence Dupont – le texte où s’est inventée sa royauté “moderne”, parce qu’elle n’en a plus besoin. Un roi responsable devant son peuple (pour aller vite56) est devenu une évidence. On ne voit plus les difficultés à l’inventer, alors qu’elles étaient presque insurmontables.
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57 Voir par exemple Citton, Yves, Pour une écologie de l’attention, Paris, Se...
45En somme, le plaisir assure la disponibilité du récepteur, son “attention” – dont tous les politiques savent bien l’importance57. C’est même dans le cas de ces œuvres-cultes une attention active, un véritable mouvement vers l’œuvre. Le résultat est la présence en chacun et en tous d’un matériau énorme, prêt à être mobilisé. On ne marchande pas son attention à ces œuvres, on les porte en soi, prêtes à “fonctionner” comme une machine à penser la nouveauté.
III. L’épopée refondatrice, somme de ses excursus : Polyphonie et Politique
46L’épopée refondatrice est donc plus proche du divertissement low brow que de la culture “froide” que fustige Dupont. Mais cela ne suffirait évidemment pas à dépasser la crise en repensant le politique a novo. Si le public influe sur les telenovelas et connaît par cœur les films et séries-cultes, cela ne suffit pas à assurer qu’un travail épique va se mettre en place. Il y faut deux autres éléments : que l’œuvre soit profondément politique (qu’elle parle du vivre-ensemble et de sa crise), et qu’elle soit polyphonique (qu’elle donne leur voix à tous les possibles, aussi absurdes puissent-ils sembler au premier abord – comme, dans le Roland, un héros qui compterait les ennemis).
1. De la crise à la nouveauté : Politique
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58 Le terme est désormais refusé par les historiens, qui préfèrent parler d’“...
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59 Voir Goyet, Florence, Lambert, Jean-Luc, et Stépanoff, Charles, Épopée et ...
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60 Il y faut, là aussi, la longueur... Je me permets de renvoyer à mon livre,...
47L’épopée est politique, parce qu’elle est le produit d’une époque troublée. En ce qui concerne les épopées sur lesquelles j’ai travaillé, il s’agit de rien de moins que de l’effondrement de la civilisation mycénienne (Iliade), de l’“anarchie féodale58” du XIe siècle dans la Francia de l’Ouest (Chanson de Roland), de l’irruption hyper-violente de la féodalité dans un Japon en paix depuis quatre siècles (Dits de Hôgen et de Heiji), enfin de l’implosion de l’Empire germanique au début du XIIIe siècle (Chanson des Nibelungen). Les travaux menés avec des anthropologues ont par ailleurs montré qu’un tel bouleversement est bien le cadre dans lequel naissent les épopées, chez les Bouriates comme pour plusieurs épopées d’Inde ou chez les Samoyèdes59. Dans tous les cas, les historiens nous apprennent qu’au sortir de cette crise le lien social va se refonder sur des bases radicalement différentes. Ce que je crois avoir montré par l’analyse textuelle précise, c’est que la nouvelle donne politique et éthique émerge dans le récit et grâce à lui : l’épopée est le lieu même de l’invention de ce nouveau lien60.
48Tout se passe comme s’il existait, dans cette culture aurale ou populaire, des histoires aux potentialités plus profondes que les autres, dont la reprise inlassable et les modifications constantes vont permettre cette véritable pensée du politique.
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61 La réflexion théorique est vive et forte à l’époque, et les discussions su...
49Lorsque Roland et Olivier s’affrontent pour savoir s’il faut sonner du cor pour rappeler leur suzerain Charlemagne ou bien vaincre et mourir seuls, ils opposent deux visions du baron et de ses devoirs, et deux conceptions de la royauté. Plus important encore, en les opposant ils les développent longuement devant l’auditeur. Pas de concepts ici, pas de théorie complexe (on est bien dans le cadre d’une littérature “populaire”, fondée sur le plaisir d’aventures enthousiasmantes), mais pourtant une réflexion politique profonde, qui articule les termes du problème que l’époque n’arrive pas à penser61. La position d’Olivier (pour faire court : l’armée est au service de Charlemagne) nous semble désormais évidente. Elle n’a pourtant aucune existence en cette fin du XIe siècle qui voit le début de la composition de la Chanson de Roland. Cette position va s’élaborer dans le récit lui-même, dans les affrontements entre Roland et Olivier mais aussi entre Roland et Ganelon, et dans les parallèles, avec Charlemagne ou Thierry d’Anjou lors du procès. De la même façon, lorsque le jeune Siegfried, “vainqueur du dragon”, vient revendiquer la sœur et le royaume des rois Burgondes, incarnation du pouvoir courtois ; ou lorsque le Conseiller Shinsei doit prendre au nom de l’Empereur la décision soit de pardonner aux rebelles soit de les exterminer “pour écraser la rébellion”, ce sont des choix qui dessinent les contours d’un monde politique. Derrière l’agôn des personnages, c’est l’agôn des mondes possibles.
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62 L’abolition du servage par Alexandre II en 1861, revendiquée comme un gran...
50C’est de la même façon que Tolstoï dans La Guerre et la Paix oppose le prince André et Pierre. Ce qui est en jeu n’est pas seulement une façon de se conduire dans la vie ; c’est le choix politique fondamental des années 1860 en Russie, où le débat s’organise autour de l’affrontement entre Slavophiles et Occidentalistes. Les deux personnalités d’André et de Pierre sont antithétiques dans leur rapport au monde, au peuple russe et au progrès à l’occidentale. Certes, les questions posées englobent la vie tout entière, mais elles sont polarisées par ce qui est une question proprement politique, qu’on pourrait résumer par : “faut-il s’améliorer ?” — c’est-à-dire à l’époque “faut-il s’améliorer en imitant l’Occident ?” Dans la vie quotidienne et familiale, c’est le problème de l’individu, de ses droits à la liberté et au bonheur, sous l’influence des écrits et du mode de vie occidentaux. Dans la vie institutionnelle, c’est le problème des zemstva, ces assemblées locales électives, et la discussion va remplir les œuvres russes de toute la fin du siècle. Dans la vie économique, c’est d’abord le problème du servage62. C’est enfin le problème général de l’introduction des méthodes “rationnelles” (occidentales), par exemple dans l’agriculture. De même que l’épopée ancienne est récit d’aventures auxquelles on s’intéresse à chaque instant au premier degré, dans le plaisir des hauts faits héroïques, de même la réflexion politique passe ici par la description des émois de Natacha et des affres d’André. Politique parce que individuelle, l’épopée représente les possibles entre lesquels ses personnages mais aussi ses lecteurs ont à choisir, ici et maintenant.
51Le terme que je viens d’employer, “incarner des options politiques”, est d’ailleurs peut-être gênant. À nous modernes ils évoquent le roman à thèse, où chaque personnage se voit attribuer par l’auteur la mission de représenter une position éthique ou politique. On est pourtant là aux antipodes de l’épopée refondatrice et de sa nouveauté, parce qu’alors la pensée préexiste au texte, qui vient seulement l’illustrer. Malgré toute sa grandeur et son intérêt, La Peste de Camus n’est ainsi en rien une épopée. Camus y développe longuement les attitudes possibles face au fléau politique, il esquisse même des évolutions pour certains de ses personnages – on n’est pas dans le roman à thèse du réalisme socialiste où tout est défini d’avance. Mais, pour le dire de façon outrée, Camus n’apprend rien de son propre texte : il sait d’avance la vérité qu’il cherche à nous faire partager. À l’inverse, l’Iliade ou la Chanson de Roland font émerger ce que personne n’attendait. Le procès final de la Chanson de Roland, évoqué supra, le résume bien : la nouveauté est telle que même au moment de cette scène finale, elle n’est pas encore une évidence.
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63 Voir Derive, Jean, “Le cas de l’épopée africaine”, in Derive, Jean, L’épop...
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64 Dans tout le début de l’Iliade, Zeus n’est pas encore le Zeus auquel nous ...
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65 Cette royauté est très proche d’une démocratie. Voir Carlier, Pierre : La ...
52L’épopée est en général identifiée comme le genre qui met en scène les valeurs de la société, et non comme un texte proprement politique. Assurément, la représentation des valeurs est importante : les épopées louent la vaillance et la loyauté, par exemple63. Mais ce n’est pas une spécificité de ces textes. Pour le dire brutalement de nouveau : on n’a pas besoin d’elles pour cela. On a besoin, au contraire, de toute la longueur de l’Iliade, de tous les conflits qu’elle représente et des innombrables récits secondaires qu’elle met en parallèle, pour voir peu à peu émerger toutes les implications des deux grands types de royauté possibles en cette fin de l’Âge sombre, royauté autocratique “à l’ancienne”, celle d’Agamemnon et de Zeus64 contre royauté “moderne” d’Hector65. De même, il faudra l’ensemble des deux volets du diptyque Hōgen-Heiji monogatari pour définir a novo les devoirs du sujet, mais aussi les devoirs de l’Empereur, et les grandes lignes de la politique nouvelle, aussi loin du pragmatisme proclamé au début du texte que de la politique “par les rites” du monde englouti de Heian.
2. From Structure to Meaning : Polyphonie
53Bakhtine considérait que seul le roman de Dostoievski était véritablement polyphonique, et que l’épopée ancienne était au contraire l’exemple même du monologisme. J’arrive cependant à une thèse directement contraire à propos de l’épopée. Le monologisme n’y est qu’un premier mouvement – une première tentation. La polyphonie est le ressort même du “travail épique”, qui représente toutes les options devant l’auditeur et les confronte, à égalité. L’analyse précise et contextualisée des textes montre en effet que l’épopée refondatrice finit par faire leur place à toutes les voix, et se refuse à en étouffer aucune – se donnant par là-même le moyen de faire surgir la nouveauté politique.
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66 Dans un article célébrissime, écrit en pleine deuxième guerre mondiale, We...
54On peut résumer mon propos par une contradiction de la critique. Pour Simone Weil66, l’Iliade est un texte insurpassable par son “équité” : un texte qui refuse tout parti pris, ne valorisant ni les vainqueurs ni les vaincus, les représentant tous à égalité. Pourtant, bien d’autres critiques ont montré la simplification et un évident parti-pris pro-achéen. Le plus intéressant est que tous ont raison ; c’est une question de temporalité du récit (d’où la nécessité de la longueur). Au début de l’Iliade, les Troyens sont comparés à des “brebis bêlantes”, ils sont une masse informe, incapable même d’obéir à ses chefs ; les Achéens, eux, sont montrés partant au combat en silence, attentifs, et prêts à l’emporter malgré leur petit nombre. Mais cela n’a qu’un temps. Ce qui caractérise en profondeur l’épopée refondatrice, c’est que la construction même du récit, sa progression et sa structure, obligeront finalement à porter à tous les personnages une attention impartiale. Cela prend la forme d’une indistinction de plus en plus grande entre les deux camps. Le texte signale d’abord quelques héros parmi les Troyens, puis met en scène trois duels successifs, où le combattant troyen est de plus en plus admiré. Pour finir, le duel entre Achille et Hector voit s’opposer… le même au même : Hector porte les armes mêmes d’Achille, prises sur Patrocle lors du combat précédent. Cette image souligne l’essentiel : renonçant au parti-pris, le récit construit une vision absolument équilibrée ; il est peu à peu monté jusqu’à l’“équité”.
55C’est essentiel en effet. Les personnages, on l’a vu, incarnent des options politiques. Celles qui paraissent justes, voire évidentes, sont obsolètes ; celles qui pourront surmonter la crise sont véritablement nouvelles, et personne n’a été capable de les penser. Pour que l’épopée puisse les inventer, il faut qu’elle réussisse à faire surgir la nouveauté, et qu’elle ne la condamne pas d’avance comme “inconvenante” (pour reprendre une expression du Ministre de la Gauche). Nous avons vu comment l’épopée, parce qu’elle est récit, et récit populaire, remplit la première de ces conditions. Comme elle semble se contenter de raconter des aventures, on n’attend pas d’elle qu’elle soit logique et cohérente ; elle jouit d’une liberté complète. L’imagination peut vagabonder ; le récit construit des situations concrètes, et montre une multiplicité de personnages qui prennent face à elles des décisions différentes. Parmi celles-ci, il en est de radicalement nouvelles : Olivier imaginant autre chose que la mort glorieuse face à un ennemi infiniment supérieur ; la femme de Masakiyo se refusant à choisir entre son père et son mari ; Hagen réussissant à “convertir” à la courtoisie l’invincible Siegfried – obtenant ainsi qu’il mette sa force insurpassable au service des Burgondes…
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67 Loin de les opposer, le vers fameux “Roland est preux, et Olivier est sage...
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68 Voir par exemple Barthelemy, Dominique, Nouvelle histoire de la France méd...
56Il faut aussi que, une fois suscitée, cette nouveauté ne soit pas condamnée immédiatement. C’est le rôle de la polyphonie. L’essentiel dans le conflit entre Roland et Olivier est qu’il affronte deux personnages que tout rapproche, et que le texte met sur le même plan. Seul le double de Roland pouvait affirmer que les Sarrasins sont trop nombreux (et que donc il faut appeler à l’aide) sans se condamner aussitôt aux yeux du public67. Leur compagnonnage, l’égalité entre eux sont essentiels. Ils permettent que la vision du monde que porte Olivier soit longuement développée devant nous. Au XIe et au début du XIIe siècle, l’héroïsme purement individuel de Roland est une évidence, l’expression de la vision du monde “seigneuriale”68. Olivier va faire exister devant l’auditeur une autre manière de voir, où cet héroïsme s’inféode aux desseins d’un grand roi. Le XIIe siècle construira peu à peu un monde renouvelé suivant ces lignes de force.
57Il est évidemment tout aussi nécessaire que Tolstoï maintienne l’équilibre entre ses héros. Le parallèle qui se construit tout au long du roman entre Pierre et le prince André est le gage du travail profond du texte. Les souffrances du prince André, son honnêteté vis-à-vis des autres et de lui-même, sa noblesse d’âme en font un égal de Pierre. Pendant toute une partie du roman, c’est même lui qui a l’intuition de ce qu’est et de ce que veut le peuple russe, ce qui est un grand critère dans le roman de Tolstoï. Le roman ne cesse d’opposer les deux personnages, tout en affirmant leur égalité et leur respect l’un pour l’autre. Il n’est pas question de refuser simplement la position de l’un ou de l’autre. Il faudra presque toute la longueur du roman pour que ces deux positions politiques soient hiérarchisées, soient “jugées”.
58En somme, le récit de l’épopée refondatrice n’est pas orienté, sinon par sa propre recherche. C’est peut-être la différence essentielle avec La Peste, construction délibérée d’une démonstration, où les divers personnages sont mis en scène pour faire éclater une vérité. On n’a pas alors un foisonnement, mais un propos univoque. Si La Peste ne voit pas émerger, me semble-t-il, du nouveau ou de l’inattendu, c’est justement parce qu’elle n’est pas une confrontation des possibles, mais bien un appel vibrant à la seule attitude qui semble valable à Camus. Encore une fois, il n’est pas question de nier la puissance et la grandeur de ce texte qui a joué, lui aussi, un très grand rôle politique. Mais il s’agit là d’un texte de combat. L’enjeu est de convaincre les autres – voire soi-même – de la nécessité et de la possibilité d’une solution politique difficile, exigeante. Dès lors, les autres options politiques sont décrites pour être repoussées. Camus montre leur attrait puissant mais pervers, la difficulté à leur échapper. Il serait absurde de leur donner une validité qui en fasse les “égales en droit” (Bakhtine) de la Résistance. L’épopée, elle, se laisse “déborder” par son matériau, son foisonnement et sa complexité, qui imposent de repenser toutes ses catégories.
Conclusion
59L’épopée est un moyen de penser dans le noir. Dans le monde ancien comme dans le monde moderne, elle tâtonne et accumule les variantes et les versions du vivre-ensemble. La crise, cela signifie un temps où les anciennes vérités ne sont plus en prise sur le réel, ne suffisent plus à se conduire dans un monde bouleversé. Il n’y a plus d’évidences, plus de guide sûr, ni de hiérarchie des valeurs. L’œuvre-culte prend alors parfois le relais ; elle habite son public et le mène, par les chemins du récit, à reconnaître de nouvelles possibilités, ignorées ou méprisées jusque-là, et qui seront le moyen de faire émerger peu à peu la clarté. La gratuité du récit permet qu’on “essaie” toutes les possibilités, sans aucun préjugé, sans idée a priori de ce que devrait être le monde de demain, de ce que devraient être les formes du pouvoir et les devoirs de chacun. Du coup, logiquement, au centre de l’épopée refondatrice il n’y a pas, il n’y a jamais une vérité opposée à une erreur, mais bien une série d’options possibles.
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69 Cazalas, Inès, Contre-épopées généalogiques, op. cit.
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70 Dans ses premiers romans, par exemple, Lobo Antunes écrit explicitement co...
60Travaillant sur une série de romans contemporains, et confrontée au même besoin d’extension et de déplacement du concept d’épopée, Inès Cazalas avait forgé le terme de contre-épopées pour les définir69. Ces romans s’écrivent en opposition aux épopées nationalistes70, mais dans un rapport complexe et puissant à la tradition épique en général, à la fois contre et tout contre elle. Frappée par la parenté profonde avec les grandes œuvres épiques, mais gênée par les descriptions classiques du genre, Cazalas cherchait à se défaire du regard monumentalisant de la tradition critique comme de la catégorie parodique de l’anti-épique, les deux étant, selon son terme, “pétrifiants” au sens où ils réduisent l’épique à l’héroïque. Au stade actuel de ma propre réflexion, il me semble que c’est à la catégorie centrale de l’épopée refondatrice que se rattachent les textes qu’elle étudie, dans la postérité de l’Iliade ou du Mahabharata. Il reste là encore des différences (ces textes ne sont en aucun cas des romans “populaires”, par exemple) mais les contre-épopées sont aussi le lieu d’une recherche politique qui revendique les traits qui ont d’abord été décrits à propos de l’épique “moderne” : confusion, ambiguïté et polyphonie. Dans ce cas, le roman moderne et contemporain change son rapport de confrontation avec l’épopée, pour reprendre au contraire l’“effort” (Vinclair) de cette dernière, et travailler à élaborer un nouveau vivre-ensemble collectif plutôt qu’à émanciper l’individu.
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71 La “solution” politique qui se dégage du Nibelungenlied est la fraternité ...
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72 Pierre Vinclair utilise le terme dans le même sens à propos du “roman” chi...
61Il reste une différence entre épopées modernes et anciennes. Aucune des œuvres modernes que je connais ne me semble être parvenue, comme l’Iliade ou les Dits de Hōgen et de Heiji, à faire positivement surgir la conception politique de l’avenir. Avec le Nibelungenlied, il m’a semblé voir apparaître un type de textes qui savent déconstruire et problématiser, défaire les évidences et confronter les solutions, mais qui ne parviennent pas à inventer l’équivalent de la royauté de la Cité grecque ou de la voie des guerriers71. L’épopée littéraire moderne me paraît “inachevée” au sens où le travail épique qu’elle mène est “inachevé” : produisant la déconstruction mais non la reconstruction72. Je fais l’hypothèse qu’il manque à ces œuvres (Nibelungenlied, Tolstoï, Wagner ou Thomas Bernhard) l’un ou l’autre des traits que j’ai décrits ici : longueur de la maturation, polyphonie et popularité sont nécessaires à la fois. Dans le monde d’aujourd’hui ou de demain, j’imaginerais volontiers que le salut politique puisse venir d’ailleurs, du monde du divertissement par exemple, qui s’empare du public tout entier et pourrait le mener à concevoir le monde autrement. N’importe quelle narration qui exploite la longueur et la gratuité de récits de divertissement, à condition qu’elle soit “populaire”, politique et polyphonique, est susceptible de fournir le travail épique qui peut changer notre vision du monde : l’épopée a toujours fait feu de tout bois. Peut-être sous nos yeux une nouvelle conception de la politique est-elle en train de s’élaborer, avec ses devoirs et ses équilibres nouveaux. Les séries en particulier ont tout pour en être le lieu dans le monde d’aujourd’hui. Leur popularité est évidente, quasi-globale, et leur longueur, qui se mesure en dizaines, voire en centaines d’heures, permet la lente élaboration du nouveau. Si c’est le cas, si dans cinquante ou cent ans on peut montrer que les rapports absolument renouvelés qui se seront mis en place ont été élaborés en commun par une immense communauté, ce sera que l’œuvre en question – livre, film, série – aura su laisser, dans et par sa longueur, se créer la polyphonie.
Notes
1 Les titres mêmes de deux ouvrages collectifs récents, de “À la recherche de l’épopée perdue” à “L’Épopée retrouvée”, montrent la rupture avec l’idée hégélienne d’une impossibilité de l’épopée dans le monde moderne. Au-delà de ce qui est presque un jeu de mots (ils sont publiés avec deux ans d’écart seulement), ces titres reflètent un consensus de fait sur la permanence de l’épique dans le monde moderne. Voir la bibliographie du Recueil ouvert pour environ trois cents études – articles dans des collectifs ou ouvrages – qui tournent autour de ce problème depuis 1997. Krauss, Charlotte et Mohnike, Thomas (éd.), Auf der Suche nach dem verlorenen Epos : ein populäres Genre des 19. Jahrhunderts / À la recherche de l’épopée perdue : un genre populaire de la littérature européenne du XIXe siècle, Berlin, Lit, 2011 ; Krauss, Charlotte et Urban, Urs (éd.), Das wiedergefundene Epos : Inhalte, Formen und Funktionen epischen Erzählens vom Beginn des 20. Jahrhunderts bis heute / L’Épopée retrouvée, Berlin / Münster, Lit, 2013.
2 À ce sujet, voir ici même l’article de Marguerite Mouton, “L’épopée moderne : épopée ‘symphonique’ – Hugo et Tolkien”. Ce changement d’appellation s’inscrit dans toute une discussion sur le “registre” épique, qui serait la seule actualisation possible de l’épopée depuis sa mort annoncée par Hegel (voir par exemple Chauvin, Cédric, Référence épique et modernité, Paris, Champion, 2012).
3 Sur l’épopée ancienne comme outil intellectuel pour penser la crise politique, je me permets de renvoyer à mon livre : Penser sans concepts : fonction de l’épopée guerrière : Iliade, Chanson de Roland, Hōgen et Heiji monogatari, Paris, Champion, 2006.
4 Boutet, Dominique, Charlemagne et Arthur, ou, Le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992.
5 Voir par exemple Ribémont, Bernard (éd.), Crimes et châtiments dans la chanson de geste, Paris, Klincksieck, 2008 ; Ribémont, Bernard (éd.), La faute dans l’épopée médiévale : ambiguïté du jugement, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012 ; Haugeard, Philippe et Ott, Muriel (éd.), Droit et violence dans la littérature du Moyen Âge, Paris, Garnier, 2013 ; Bonansea, Marion, Le discours de la guerre dans la chanson de geste et le roman arthurien en prose, Paris, Champion, 2016.
6 Le texte se présente comme un “Djeli Ya”, récit de la tradition des griots, et il dialogue avec l’épopée occidentale (voir Schultz, Kathy Lou, “Amiri Baraka’s Wise Why’s Y’s : Lineages of the Afro-Modernist Epic”, Journal of Modern Literature 35 / 3, printemps 2012, p. 25-50 et The Afro-Modernist Epic and Literary History : Tolson, Hughes, Baraka, New York, Palgrave Macmillan, 2013).
7 Voir Vettorato, Cyril, “Modèle(s) épique(s) et expérience post-esclavagiste dans Wise Why’s Y’s d’Amiri Baraka”, in Cazalas, Inès et Rumeau, Delphine (éd.), Épopées postcoloniales, à paraître, 2017 : “Le poème de Baraka commence en signalant la dépossession absolue de son personnage et la perte de la Muse, dans une vision qui prend le contre-pied de tout héroïsme. Cette scène initiale emprunte au genre épique plusieurs de ses éléments distinctifs pour les réagencer à sa façon : le personnage évoqué se trouve dans une terre inconnue et inhospitalière, (…) privé de la possibilité d’un retour parmi les siens, tel Ulysse prisonnier de Calypso. (…) Il n’existe pas en tant que héros épique ayant accompli des exploits fondateurs pour la communauté”.
8 Voir Imbert, Christophe, “La gloire de l’empire à l’ère du soupçon : l’aspiration épique chez Walcott, entre horizon postcolonial et postmoderne”, in Cazalas, Inès et Rumeau, Delphine (éd.), Épopées postcoloniales, op. cit.
9 Voir Rumeau, Delphine, “Postcolonial et transatlantique. De quelques épopées nord-américaines au xixe siècle”, in Cazalas, Inès et Rumeau, Delphine (éd.), Épopées postcoloniales, op. cit. : “Dans un premier temps, l’intention épique, c’est d’abord celle d’affirmer l’égale dignité des anciennes colonies (sinon, dans le cas états-unien leur supériorité), celle d’entrer de plain pied dans le grand canon.”
10 Ibid.
11 Ainsi Frankétienne ou Kourouma, qui la tiennent délibérément à distance dans des textes où on l’attendrait, Spirales et Le Soleil des indépendances. Voir les analyses de Tina Harpin, “Mystères, cri et poésie : l’épopée des sans-voix, Ultravocal et Les Affres d’un défi de Frankétienne” et Soubias, Pierre, “Entre tradition et refondation : le sens des références épiques chez Sembène Ousmane et Ahmadou Kourouma”, in Cazalas, Inès et Rumeau, Delphine (éd.), Épopées postcoloniales, op. cit.
12 L’opposition, là aussi, est presque un jeu de mots. La théorie qui se construit dans les ouvrages de Saulo Neiva rejoint sur le fond celles des ouvrages plus récents. C’est bien probablement de l’évolution d’un sentiment qu’il s’agit, sentiment qui a pris corps dans les premiers et s’exprime dans les derniers dès le titre. Neiva, Saulo (éd.), Désirs & Débris d’épopée au XXème siècle, Bern, Berlin,Peter Lang, 2009 ; Neiva, Saulo (éd.), Déclins et confins de l’épopée au XIXème siècle, Tübingen, Gunter Narr, 2008 ; Dussol, Vincent (éd.) : Elle s’étend, l’épopée. Relecture et ouverture du corpus épique / The Epic expands. Rereading and widening the epic corpus, Bruxelles, Berlin, P.I.E. Peter Lang, 2012 ; Charest, Nelson, et Lambert, Vincent (éd.), Dossier : “L’épopée hors d’elle-même”, Actes du colloque “Voix épiques et fortune de l’épopée québécoise”, 14-15 mai 2009, Ottawa, Université d’Ottawa, revue @nalyses, IX, 3, automne 2014, https ://uottawa.scholarsportal.info/ojs/index.php/revue-analyses/index.
13 Goyet, Florence, “L’Épopée”, Bibliothèque en Ligne de la Société Française de Littérature Générale et Comparée, Vox poetica, 2009, http ://www.vox-poetica.com/sflgc/biblio/goyet.html.
14 Nagy : “the classical Greek idea of epic, as presupposed by these received notions, needs to be situated in its own historical context”, Nagy, Gregory, “Epic as Genre”, in Beissinger, Margaret H., Tylus, Jane et Lindgren Wofford, Susanne (éd.), Epic Traditions in the Contemporary World : The Poetics of Community, University of California Press, 1999, p. 24.
15 Aristote définit le genre à partir des seules épopées homériques ; pour Hegel, seule l’Iliade est véritablement une épopée.
16 Voir Valmary, Hélène, Origines et poétique d’un héroïsme intranquille : les super-héros dans le cinéma américain (2000-2009), Thèse de l’Université Paris I, 2011, [En ligne : http ://www.theses.fr/2011PA010597] et la Journée d’études sur le “film épique” organisée par Saulo Neiva et Benjamin Thomas au CELIS, Université de Clermont-Ferrand, en 2013 (à paraître ici-même, 2017).
17 Madelénat, Daniel, “Présence paradoxale de l’épopée : hors d’âge et retour” in Neiva, Saulo (éd.), Désirs & débris d’épopée au XXème siècle, op. cit., p. 379-391.
18 Voir Kachler, Olivier (éd.), Voix épiques, Mont-Saint-Aignan, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2010 ; Rumeau, Delphine (éd.), Permanence de la poésie épique au XXe siècle (Akhmatova, Hikmet, Neruda, Césaire), Paris, P.U.F., “Cned”, 2009 ; Vion-Dury, Juliette (éd.), Permanence de la poésie épique au XXe siècle : Akhmatova, Hikmet, Neruda, Césaire, Paris, Editions Sedes, 2010.
19 Katz, Marylin A, Penelope’s renown : meaning and indeterminacy in the Odyssey, Princeton, N.J., Princeton University Press, 1991.
20 Müller, Jan-Dirk, Spielregeln für den Untergang : die Welt des Nibelungenliedes, Tübingen, Niemeyer, 1998 [Rules for The Endgame, Baltimore, Johns Hopkins UP, 2007]. Voir aussi, du même, “De l’influence de l’auditoire. Le Nibelungenlied vers l’année 1200”, à paraître dans Changer d’auditoire, changer d’épopée, Goyet, Florence et Lambert, Jean-Luc (éd.), Actes de la Journée d’Études du 28 avril 2016, École Pratique des Hautes Études (Centre d’Études Mongoles et Sibériennes) et Université Grenoble Alpes (UMR Litt&Arts, RARE), à paraître ici-même, 2017.
21 Biardeau, Madeleine (éd.), Le Mahabharata : un récit fondateur du brahmanisme et son interprétation, Paris, Seuil, 2002.
22 MacIntyre, Alasdair, Whose Justice ? Which Rationality ? Londres, Duckworth, 1988.
23 White, James Boyd, When words lose their meaning : constitutions and reconstitutions of language, character, and community, Chicago, University of Chicago Press, 1984.
24 Manent, Pierre, Les métamorphoses de la cité : essai sur la dynamique de l’Occident, Paris, Flammarion, 2010.
25 Dumézil, Georges, Mythe et épopée, Paris, Gallimard, 1968-1973 ; Paquette, Jean-Marcel, “Définition du genre”, L’Épopée. Typologie des sources du Moyen Âge occidental, Turnhout, Brepols, 1988, p. 25‑42 ; Paquette, Jean-Marcel, “Épopée et roman : continuité ou discontinuité ?”, Études littéraires, vol. 4 / 1, 1971, p. 9‑38 ; Boyer, Pascal, “Récit épique et tradition”, L’Homme, vol. 22 / 2, 1982, p. 5‑34 ; Derive, Jean, L’épopée. Unité et diversité d’un genre, Paris, Karthala, 2002 ; Grisward, Joël H, Archéologie de l’épopée médiévale : structures trifonctionnelles et mythes indo-européens dans le cycle des Narbonnais, Paris, Payot, 1981 ; Foley, John Miles, Homer’s Traditional Art, University Park, Pennsylvania State University Press, 1999 ; Foley, John Miles, Immanent Art : From Structure to Meaning in Traditional Oral Epic, Bloomington, Indiana University Press, 1991.
26 Goyet, Florence, Penser sans concepts : fonction de l’épopée guerrière : Iliade, Chanson de Roland, Hôgen et Heiji monogatari, Paris, Champion, 2006. Mes travaux sur le Nibelungenlied sont postérieurs à cet ouvrage et ont fait pour l’instant l’objet de deux publications : “Le Nibelungenlied, épopée inachevée”, Revue de Littérature Comparée, numéro spécial “Littérature comparée et politique”, 1-2009, p. 9-23 ; et”Der Widerspruch im Nibelungenlied : komparatistischer Ansatz und politische Lektüre [La contradiction dans la Chanson des Nibelungen. Étude comparatiste et lecture politique]«, Studi Comparatistici, IV, 2, 2011, p. 415-446.
27 Souyri, Pierre-François, Le monde à l’envers : la dynamique de la société médiévale, Paris, Maisonneuve & Larose, 1998.
28 Voir les historiens sur la conception pour le moins lâche du devoir de vassal à cette époque ; par exemple Souyri, op. cit. ou Tsuda, Shôkichi, An Inquiry into Japanese Mind as Mirrored in Literature : The Flowering Period of Common People Literature, New York, Greenwood, 1970, ou Ikegami, Eiko : The Taming of the Samouraï : Honorific Individualism and the Making of Modern Japan, Harvard University Press, 1995.
29 Vinclair, Pierre, De l’épopée et du roman : essai d’énergétique comparée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
30 Cazalas, Inès, Contre-épopées généalogiques : fictions nationales et familiales dans les romans de Thomas Bernhard, Claude Simon, Juan Benet et António Lobo Antunes, Thèse de doctorat, Université de Strasbourg, 2011.
31 Voir les études dans Cazalas, Inès et Rumeau, Delphine (éd.), Épopées postcoloniales, à paraître, 2017.
32 Voir la thèse d’Elara Bertho : Nehanda, Samori, Sarraounia comme héros culturels. Mémoire postcoloniale et figures de résistants africains dans la littérature et dans les arts, thèse sous la direction de Xavier Garnier, Paris III, 2016 ; et sa présentation ici-même : “Existe-t-il une épopée de la résistance à la colonisation ? De quelques ‘épopées en devenir’ africaines”, Recueil ouvert. Voir aussi Rochat, Anne-Laure, De l’Épopée au roman, Une lecture de Monnè, outrages et défis d’Ahmadou Kourouma, Université de Lausanne, collection “Archipel”, 2011.
33 Voir Plagnard, Aude, Une épopée ibérique : Autour des œuvres d’Alonso de Ercilla et de Jerónimo Corte-Real (1569-1589), Thèse de doctorat, Université Paris-Sorbonne, 2015, et sa présentation ici-même : Plagnard, Aude, “Des épopées imitatives et refondatrices ? Le cas d’Alonso de Ercilla et de Jerónimo Corte-Real”, Recueil ouvert.
34 Lorsque Warren Brown cherche à résumer la tension entre les deux visions de la justice et de l’exercice légal de la violence au Moyen Âge, il cite tout naturellement le Roland et ce procès. Voir Brown, Warren C., Violence in Medieval Europe, Londres, Longman, 2011, p. 11.
35 Hamayon, Roberte, La Chasse à l’âme : esquisse d’une théorie du chamanisme sibérien, Université Paris X Nanterre, Société d’ethnologie, 1990.
36 En Sibérie, la pratique de l’épopée succède parfois au chamanisme et le remplace, ou bien, comme chez les Ougriens de l’Ob, les chamanes eux-mêmes deviennent bardes, agissant alors, selon les circonstances, en chamane ou en barde. Jean-Luc Lambert, à qui je dois cette information, signale également un cas où ses informateurs conçoivent de façon distincte les sociétés à chamanes et les sociétés à bardes (voir Sortir de la nuit, op. cit., p. 283-289). Ses recherches en cours tendraient même à montrer que la pratique de l’épopée peut être perçue comme plus forte que le chamanisme (et du coup les sociétés qui ont un barde disent ne pas craindre les esprits et les chamanes). Comme il me le résume : “l’attente associée à la récitation de l’épopée est tout à fait identique à l’attente que l’on a d’un rituel chamanique”.
37 Aujourd’hui, dans un milieu converti au protestantisme évangélique, C. Jacquemoud a ainsi suivi, un barde qui ne chante plus les chants épiques du XIXe-début XXe siècles. Il les a remplacés par l’histoire biblique (en particulier le Nouveau Testament) et le Christ apparaît comme le nouveau héros épique. Voir Jacquemoud, Clément, “Učar-kaj, Ak-Byrkan et les autres. Les nouvelles formes épiques des mouvements religieux altaïens” in Goyet, Florence et Lambert, Jean-Luc (éd.), Changer d’auditoire, changer d’épopée, op. cit.
38 Dans son introduction, in Vālmīki, Le Rāmāyaṇa, Biardeau, Madeleine et Porcher, Marie-Claude (ed.), Paris, Gallimard (collection “La Pléiade”), 1999, p. xv.
39 Voir Plutschow, Herbert E., Chaos and Cosmos : Ritual in Early and Medieval Japanese Literature, Leyde, Brill, 1990. Sur le lien de l’épopée avec le religieux, voir aussi plusieurs des articles dans Brisset, Claire-Akiko, Brotons, Arnaud et Struve, Daniel (éd.), De l’épopée au Japon : narration épique et théâtralité dans le Dit des Heike, Paris, Riveneuve, 2011. Le prochain congrès de la Société Rencesvals pour l’Étude de l’Épopée romane sera consacrée à “La Chanson de geste et le sacré” (Clermont-Ferrand, septembre 2017).
40 Dans l’Athènes du Ve siècle, Iliade et Odyssée sont récitées intégralement à chacune des Panathénées, la fête religieuse par laquelle Athènes se célèbre elle-même. Voir la présentation très critique qu’en fait Florence Dupont dans L’invention de la littérature : de l’ivresse grecque au livre latin, Paris, La Découverte, 1994.
41 Sur son rôle dans le banquet, voir Florence Dupont, ibid., et la thèse sous sa direction de Tristan Mauffrey : Narration poétique et mémoire héroïque dans la Grèce classique et dans la Chine préimpériale : fabriquer des savoirs traditionnels à partir de l’Iliade, de l’Odyssée et du Livre des Odes (Shijing), Thèse Sorbonne Paris Cité, 2015.
42 Voir Carruthers, Mary J, The Book of Memory : A Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge [Angleterre] ; New York, Cambridge University Press, 1990, p. 21 [Le Livre de la mémoire, Paris, Macula, 1998, p. 33]. Ce qui est étonnant pour les contemporains dans l’anecdote que raconte Carruthers, ce n’est pas que le jeune homme sache l’Énéide par cœur, mais qu’il soit capable de la réciter à l’envers.
43 L’auralité (du latin auris, l’oreille), c’est la “réception par l’oreille” : quand un texte est non pas lu par des individus isolés mais récité en public. Pour une enquête sur le terme, voir ici même mon introduction à Changer d’auditoire, changer d’épopée, livraison du Recueil ouvert mise en ligne 2017. Pour les conséquences du phénomène, essentielles pour la littérature en général et l’épopée en particulier, voir cette livraison dans son entier.
44 Lord, Albert Bates, The Singer of Tales, Mitchell, Stephen et Nagy, Gregory (éd.), Harvard University Press, [1960] 2000.
45 Voir Akesson, Ingrid, “Oral/Aural Culture in Late Modern Society ? Traditional Singing as Professionalized Genre and Oral-Derived Expression”, Oral Tradition, vol. 27 / 1, 2012 [En ligne : http ://muse.jhu.edu/journals/oral_tradition/v027/27.1.akesson.html].
46 Bettelheim, Bruno, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Laffont, 1976.
47 La “composition in performance” est un trait essentiel de l’oralité pour les tenants de la oral-formulaic theory depuis Parry et Lord.
48 Voir les références que donne Dupont dans L’invention de la littérature, op. cit., et ses propres analyses, qui insistent sur la participation active, physique et créatrice dans le banquet anacréontique originel.
49 Voir Boni, Marta, Romanzo criminale. Transmedia and Beyond, Venise, Ca’Foscari, 2013, http ://edizionicf. unive. it/col/exp/26/140/Innesti/2, 2013.
50 Dupont, Florence, L’invention de la littérature, op. cit.
51 Sur la communauté qui se crée autour d’œuvres populaires et permet une élaboration, voir par exemple le travail de Nicolas Rouvière sur Astérix. Rouvière, Nicolas, Astérix, ou les lumières de la civilisation, Paris, PUF, 2006.
52 Voir en particulier Foley, John Miles, Homer’s Traditional Art, University Park, Pennsylvania State University Press, 1999 et Immanent Art : From Structure to Meaning in Traditional Oral Epic, Bloomington, Indiana University Press, 1991.
53 À propos de la tradition de lecture à haute voix au Moyen Âge, Joyce Coleman remarque qu’elle permet une perception bien plus vive du texte dans son ensemble et sa structure – elle donne des exemples tirés de sa propre pratique et les met en rapport avec les témoignages d’époque : Coleman, Joyce, “Aurality” in Strohm, P. (ed.), Middle English. Oxford University Press, 2007, p. 68-85. On retrouve là les analyses de Mary Carruthers, par exemple dans The Book of Memory, op. cit.
54 Peter Jackson en disait autant pour justifier son adaptation cinématographique.
55 Dans les Provinciales, passim.
56 Voir Carlier, Pierre, La royauté en Grèce avant Alexandre, Strasbourg, AECR, 1984.
57 Voir par exemple Citton, Yves, Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil, 2014.
58 Le terme est désormais refusé par les historiens, qui préfèrent parler d’“ordres locaux” (Werner) ou d’“ordre seigneurial” (Barthelemy) ; mais la violence et la “concurrence” de ces ordres locaux ne sont pas niées.
59 Voir Goyet, Florence, Lambert, Jean-Luc, et Stépanoff, Charles, Épopée et millénarisme : transformations et innovations, op. cit. En Sibérie, c’est souvent le passage de la chasse à l’élevage. Chez les Samoyèdes, par exemple, les épopées (plusieurs récits différents fonctionnent ici ensemble pour penser la crise) permettent de penser la civilisation qu’on entrevoit à l’horizon : une civilisation où la possession de troupeaux entraînera, pense-t-on, une surabondance de biens qu’il va falloir gérer, et autour de laquelle il va falloir organiser les relations – de façon radicalement autre qu’aujourd’hui.
60 Il y faut, là aussi, la longueur... Je me permets de renvoyer à mon livre, Goyet, Florence, Penser sans concepts, op. cit.
61 La réflexion théorique est vive et forte à l’époque, et les discussions sur le sujet sont infinies. Mais elle n’a pas réussi à sortir de la crise et en particulier à penser le rôle du roi. Voir Duby dans Les Trois Ordres par exemple (Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Gallimard, Paris, 1978).
62 L’abolition du servage par Alexandre II en 1861, revendiquée comme un grand pas vers la civilisation, est au centre des polémiques, parce qu’en l’absence de réforme agraire elle engendre une misère encore plus effroyable des paysans.
63 Voir Derive, Jean, “Le cas de l’épopée africaine”, in Derive, Jean, L’épopée. Unité et diversité d’un genre., op. cit., p. 75‑93, et Seydou, Christiane, “Comment définir le genre épique ? Un exemple : l’épopée africaine”, JASO (Journal of the Anthropological Society of Oxford), vol. 13 / 1, 1982, p. 84‑98 ou “L’épopée chez les Peuls du Massina (Mali) : une approche ethnopoétique”, Cahiers d’études africaines, vol. 55 / 217, 2015, p. 29‑43.
64 Dans tout le début de l’Iliade, Zeus n’est pas encore le Zeus auquel nous pensons instinctivement : le souverain qui respecte chacun des dieux et fait à chacun sa juste place. C’est au contraire un autocrate qui règne par la force et la crainte qu’il inspire. Je me permets de renvoyer à la Ière partie de mon livre, Penser sans concepts, op. cit.
65 Cette royauté est très proche d’une démocratie. Voir Carlier, Pierre : La Royauté en Grèce avant Alexandre, op. cit., en particulier à propos de Sparte.
66 Dans un article célébrissime, écrit en pleine deuxième guerre mondiale, Weil, Simone, “L’Iliade ou Le poème de la force”, Paris, Gallimard, [1941] 1999, “Quarto”, p. 527‑552.
67 Loin de les opposer, le vers fameux “Roland est preux, et Olivier est sage” est une affirmation forte que chacun possède une des deux qualités du bon chevalier (chacun l’emportant pour l’une d’elles) ; cette affirmation est confirmée par le vers immédiatement suivant : “Ambedui ont merveilleux vasselage” – tous les deux sont des chevaliers exceptionnels.
68 Voir par exemple Barthelemy, Dominique, Nouvelle histoire de la France médiévale, volume 3 : L’Ordre seigneurial, XIe-XIIe siècle, Paris, Le Seuil, 1990.
69 Cazalas, Inès, Contre-épopées généalogiques, op. cit.
70 Dans ses premiers romans, par exemple, Lobo Antunes écrit explicitement contre la propagande salazariste qui célébrait la “croisade” catholique menée par le Portugal et instrumentalisait l’épopée des Lusiades pour justifier sa politique coloniale.
71 La “solution” politique qui se dégage du Nibelungenlied est la fraternité d’armes, qui n’est ni nouvelle (elle est même au sens propre réactionnaire) ni capable d’affronter les difficultés du XIIIe siècle.
72 Pierre Vinclair utilise le terme dans le même sens à propos du “roman” chinois Au Bord de l’eau. Voir Vinclair, Pierre, De l’épopée et du roman, op. cit., p. 93 sq.
Bibliographie
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Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Florence Goyet
Florence Goyet, Professeur à l'Université Grenoble Alpes, est comparatiste (russe, japonais, anglais, italien, allemand et plusieurs langues anciennes). Ses travaux portent sur le rôle intellectuel et politique de la littérature dans ses rapports avec la polyphonie (Bakhtine). Ouvrages :
. La Nouvelle, 1870-1925, Paris, PUF, 1993.
. The Classic Short Story 1870-1925. Theory of a Genre (Cambridge - UK, Open Book Publishers, 2014, téléchargeable sur https://unglue.it/work/136328/)
. Penser sans concepts. Fonction de l'épopée guerrière (Iliade, Chanson de Roland, Hôgen et Heiji monogatari), Paris, Champion, 2006
. En collaboration avec Jean-Luc Lambert et Charles Stépanoff, Epopée et millénarisme : transformations et innovations n° 45, Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 45 | 2014, http://emscat.revues.org/2265
Sélection d'articles :
. "Narrative Structure and Political Construction : The Epic at Work", Oral Tradition (University of Missouri, John Foley ed.), 23/1 (2008), p. 15-27
. “Changing Worlds : Can Fan Culture ‘work’ as Epic ?”, colloque Practices of World Building, Concordia University, Montréal, June 6-7, 2013, vidéo en anglais sur http://arthemis-cinema.ca/fr/content/changing-worlds-can-fan-culture-work-epic
. “Le procès dans la Chanson de Roland, homologue de la démarche épique”, in Haugeard, Philippe et Ott, Muriel (éd.), Droit et violence dans la littérature du Moyen Âge, Paris, Garnier, 2013, p. 21-38.