Epopée, Recueil Ouvert : Section 5. Thèses, travaux en cours

Dimitri Garncarzyk

“Le plus grand ouvrage dont la nature humaine soit capable”. Qu’est-ce qu’une épopée au 18e siècle ?

Résumé

Le statut de l’épopée dans une partie de l’Europe du 18e siècle (en France, en Angleterre, en Pologne) est largement déterminé par un rapport aux textes qui relève de la poétique classique, laquelle peut être définie comme une prospection des possibles de l’écriture (la planification d’épopées à venir) associée à une intériorisation des textes du passé (la critique des épopées antiques et modernes). Cette étude s’intéresse aux différences méthodologiques qui existent entre différents poéticiens du 18e siècle qui opèrent dans ce cadre théorique : si tous s’accordent à considérer que leur fonction est d’articuler la réception du patrimoine et la création contemporaine, ils s’y prennent de différentes manières pour définir l’épopée qui reste alors “le plus grand ouvrage dont la nature humaine soit capable”.

Abstract

“The greatest work human nature is capable of”. What is a heroic poem in the 18th century ?
The status epic poetry enjoyed in the 18th century in many European countries (notably in France, England or Poland) was largely determined by the poetics of classicism, which in turn can be defined as the combination of a prospective outlook on literature (i.e. the planning of epics yet to be written) and an appropriation of the literary canon (i.e. the reception and criticism of epics from the past). The present study discusses the methodological differences that exist between critics operating within this classicist mindset : although they all consider that the bulk of their task consists in facilitating the transition from the reading of texts past to the writing of texts to come, they differ in the very way they define what is still, in Pope’s words, “the greatest work human nature is capable of.

Texte intégral

1  

Introduction. Où il est question d’une thèse en cours sur l’épopée, du classicisme en Europe et de H. R. Jauss

Une thèse : Théories et pratiques de l’épopée de Boileau à Ignacy Krasicki

2À l’origine de la thèse que nous sommes en passe d’achever, intitulée Théories et pratiques de l’épopée de Boileau à Ignacy Krasicki (inscrite depuis 20121), on trouve une théorie et un événement.

  • 2 Michel Charles, L’Arbre et la Source, Paris, Seuil, “Poétique”,1985 ; Intro...

  • 3 Voir Marc Escola, Sophie Rabau (dir.), Théorie littéraire et textes possibl...

  • 4 Michel Charles, L’Arbre et la Source, op. cit., p. 185.

3La théorie est celle des textes possibles. Initiée par Michel Charles dans L’Arbre et la source et Introduction à l’étude des textes2, poursuivie depuis notamment sous l’impulsion de Marc Escola et de Sophie Rabau, elle consiste à considérer la théorie littéraire comme l’invention de pratiques d’écriture3 : une prospective visant à esquisser des possibilités d’écriture à venir. Dans l’œuvre de Michel Charles, cette attitude n’est pas seulement théorique, mais s’incarne dans l’histoire, étant, selon ce critique, caractéristique du “système classique” (en gros, celui du monde littéraire français du 17e siècle) constitué en “culture rhétorique”, soit “une culture où la lecture est tournée vers une écriture4“.

  • 5 Voir le chapitre qu’il consacre à son incompétence linguistique dans l’apol...

  • 6 Ce sont les titres des premières éditions de ces textes : L'Iliade d'Homère...

4L’événement est la querelle d’Homère qui opposa, à l’occasion de la publication de sa traduction de l’Iliade d’Homère dans les années 1710, l’érudite Anne Dacier à l’académicien Antoine Houdar de La Motte. L’académicien “retraduisit” l’Iliade, non à partir du grec (qu’il admettait volontiers ignorer5), mais à partir du texte français d’Anne Dacier. Là où l’érudite traduisait en prose pour mieux suivre le style d’Homère, La Motte rétablissait l’alexandrin, sans lequel on ne saurait parler de poème épique ; là où Anne Dacier donnait un volumineux ouvrage contenant les vingt-quatre chant de l’Iliade assortis de “Remarques” philologiques, la version de La Motte, dénuée de paratexte, réduisait le poème à douze chants. Bref, là où Anne Dacier traduisait L’Iliade d’Homère, avec des remarques, La Motte composait L’Iliade, poème français6.

  • 7 La Renaissance a, de fait, retiré à la tragédie la prééminence que lui conf...

5Autour de l’héritage homérique s’affrontaient ainsi, au début du second des “siècles classiques”, deux textes possibles, chacun proposant une définition singulière du rapport à l’héritage littéraire antique dans la création littéraire moderne. L’épisode de la querelle d’Homère montre bien à quel point la prospective que constitue la réflexion poétologique de “l’âge rhétorique” est lié à une rétrospective historique et culturelle : l’exploration des possible de l’écriture est évaluation de la valeur d’un héritage. Les passions engagées dans la querelle sont à proportion de l’importance du genre, car l’épopée est le genre suprême (de la poésie narrative chez Aristote et, depuis les poétiques de la Renaissance, de la poésie tout court7).

  • 8 Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne [1935], Paris, Le livre d...

6L’événement de la querelle d’Homère constitue donc une crise dans la théorie des textes possibles – qui coïncide avec ce que Paul Hazard appelait “la crise de la conscience européenne8“. D’où deux questions à laquelle notre thèse entend répondre : d’une part, ce type de débat dépasse-t-il les frontières de la France, et d’autre part, quelles valeurs (littéraires, mais plus largement intellectuelles et sociales) le débat sur le genre épique met-il en jeu au 18e siècle ?

7La réponse (affirmative) à la première question se présente assez facilement, et marque le point de départ de la constitution d’un corpus européen de textes théoriques (de poétiques) sur le genre épique, mais aussi, puisque la poétique est autant prospective des textes à venir qu’appropriation des textes du passé, de poèmes épiques au 18e siècle. On laissera pour l’instant la seconde en suspens – mais on en esquissera, dans la conclusion de la présente étude, un début de réponse.

Un corpus : poètes et poéticiens classiques

8L’idée, présentée comme “classique” par Michel Charles, d’une poétique prospective fondée sur la reprise de l’héritage antique, est encore largement répandue dans l’Europe du 18e siècle – en France évidemment, mais aussi dans l’Angleterre de Pope, Addison et Johnson, ou en Pologne dans la seconde moitié du siècle, où se développe, à partir de la lecture des critiques français et anglais, le classicisme stanislavien (klasycyzm stanisławowski).

  • 9 Alexander Pope, Peri bathous [1728] in The Major Works, éd. Pat Rogers, Oxf...

9En fait d’épopée, le texte fondateur est sans doute le Traité du poème épique (1675) du p. René Le Bossu. L’influence de ce texte était encore sensible en 1728, quand parut en Angleterre un traité de poétique intitulé Peri Bathous, dû à un certain Martin Scriblerus. Le chapitre 15 de ce traité est intitulé “A Receipt to make an Epic Poem [Recette pour composer un poème épique]”, et commence ainsi9 :

An epic poem, the critics agree, is the greatest work human nature is capable of. They have already laid down many mechanical rules for compositions of this sort, but at the same time they cut almost off almost all undertakers from the possibility of ever performing them ; for the first qualification they unanimously require in a poet, is a genius. I shall here endeavour (for the benefit of my countrymen) to make it manifest, that epic poems may be made without a genius, nay without learning or much reading. This must necessarily be of great use to all those who confess they never read, and of whom the world is convinced they never learn.

Le poème épique, les critique s’accordent à le dire, est le plus grand ouvrage dont la nature humaine soit capable. Les critiques ont déjà proposé un grand nombre de règles mécaniques pour ce genre de composition, mais dans le même temps ils ont prévenu les efforts de presque tous ceux qui voudraient l’entreprendre, car la première qualité qu’ils demandent tous à un poète, c’est le génie. J’entreprendrai ici (pour le profit de mes concitoyens) de rendre apparent qu’il est possible de faire des poèmes épiques sans aucun génie, voire même sans beaucoup d’instruction ou de lectures. Cela devrait être de la plus grande utilité à tous ceux qui avouent qu’ils ne lisent jamais, et dont le monde est persuadé qu’ils n’apprennent jamais.

Le chapitre se poursuit en examinant les différentes parties du poème épique : la fable, les épisodes, la morale allégorique, les mœurs, les machines et les descriptions.

10Tel quel, ce chapitre contient une double définition de l’épopée. Elle est d’abord un genre littéraire, identifiable par une série de traits formels et thématiques qui lui sont propres : appelons cela la définition proprement générique de l’épopée, détaillée dans la “recette”. Mais comme le souligne l’exorde du chapitre, ce genre particulier occupe une place éminente dans l’ordre de la création littéraire et, plus généralement, dans celui des entreprises humaines : le consensus critique en fait “le plus grand ouvrage dont la nature humaine soit capable”.

  • 10 Alexander Pope, An Essay on Criticism [1711] in The Major Works, op. cit.,...

11Martin Scriblerus est le double satirique du poète et poéticien Alexander Pope, auteur en 1711 du très sérieux Essay on Criticism, où l’on pouvait notamment lire10 :

Some [critics] dryly plain, without Invention’s aid,
Write dull receipts how poems may be made

Certains critiques, secs et plats, sans le secours de l’Invention,
Écrivent de tristes recettes sur la manière de faire des poèmes…

12Le Peri Bathous (dont le titre parodie celui du traité du sublime de Longin, Περὶ ὕψους, popularisé par la traduction de Boileau à la fin du 17e siècle) exemplifie le travail des mauvais critiques dénoncés dans la poétique sérieuse : c’est une pseudo-poétique sans invention, de même que Scriblerus propose d’écrire sans génie.

  • 11 Michel Charles, L’Arbre et la source, op. cit., p. 186.

13Ce passage du Peri Bathous met en évidence l’une des principales difficultés de la poétique à l’âge classique. D’une part, comme l’explique Michel Charles11,

l’âge rhétorique est par excellence l’âge de l’invention, de la production, dans la mesure où il déculpabilise autant qu’il est possible l’auteur et dédramatise l’écriture, dans la mesure où il va aussi loin qu’il est possible dans l’idée que tout le monde peut pratiquer la littérature.

Si, effectivement, on peut subsumer la lecture des modèles en recettes, chacun peut composer des poèmes épiques ; mais le risque est évidemment de dénaturer l’épopée dans l’opération. D’autre part, les poéticiens classiques, conscients de ce danger, exigent de l’aspirant poète une qualité individuelle irréfléchie : le génie. Cette double exigence aboutit au paradoxe que satirise Pope qui, comme traducteur d’Homère et poète héroïcomique, pense très probablement sincèrement que l’épopée est un ouvrage poétique de grande valeur.

14L’épopée, en ce début de 18e siècle, est donc l’objet d’une admiration (le consensus critique), d’où découle un désir (que la poétique, ou recette, permettrait de satisfaire) ; mais l’enthousiasme de ce rapport pratique (en ce sens que, sans se satisfaire de la lecture, il envisage la composition) est tempéré par une intuition : la poétique peut-elle produire des épopées, ou faut-il quelque chose d’autre ? Si, en somme, la recette de Scriblerus ne suffit pas à rendre compte de ce qu’est une épopée, comment le faire ?

  • 12 Nous nous permettrons de renvoyer sur ce sujet à notre article “Comment pe...

15Il s’agira donc de parcourir un corpus européen de discours sur l’épopée, qui seront tous, à l’exception de celui du père Batteux, l’œuvre de poètes épiques : Voltaire, Pope, le Danois Ludvig Holberg et le Polonais Ignacy Krasicki. On ne reviendra pas sur le choix de ces auteurs et leur incorporation dans un classicisme international, qui se développe dans toute l’Europe à partir de la réception du “moment classique” (Alain Génétiot) de la fin du 17e siècle français, que nous avons déjà traitée ailleurs12.

  • 13 Il le propose en introduction de son ouvrage Before Fiction. The Ancient R...

16On distinguera sur un point important notre approche de celle de Michel Charles. Là où celui-ci parle de “système classique”, on préférera ici parler de technologie classique. Le mot, emprunté à l’historien du roman Nicholas D. Paige13, n’implique ni surdéterminations anthropologiques ou sociales, ni l’idée de cohérence interne que connote le mot système ; il insiste sur la dimension pratique et fonctionnelle de l’approche classique. Pope en est un bon exemple : souligner les paradoxes théoriques de la poétique dans le Peri bathous ne l’empêche pas de travailler avec l’outillage intellectuel qu’elle fournit dans l’Essay on criticism ou de composer The Rape of the Lock. Là où l’idée de système définit des adhérents et des opposants, celle de technologie propose un portrait du poète ou du critique en ingénieur : la pratique de la poésie est un bricolage entre l’héritage culturel antique, l’ambition théorique et les désirs contemporains. Ces différents facteurs se combinent, en fonction des personnalités et des contextes, pour produire des discours différents, dont il semble possible de proposer une typologie.

Un outil : Hans Robert Jauss et la typologie des méthodologies génériques

17On tentera ici de répondre à une question en apparence simple : comment s’y prenait-on, au 18e siècle, pour définir l’épopée ? Comme on vient de le souligner, cependant, l’ampleur du chronotope considéré (l’Europe du 18e siècle) interdit toute définition excessivement unifiante. Si les auteurs du corpus que nous avons constitué ont en partage leur usage de la technologie classique (que rejettent en revanche assez vite les Allemands, ce qui justifie leur absence dans notre étude), leurs approches diffèrent cependant significativement. On voudrait ici rendre compte de la plasticité de la conception classique de la poésie épique.

  • 14 Hans Robert Jauss, “Littérature médiévale et théorie des genres”, trad. Él...

  • 15 Op. cit., p. 43.

18On répartira donc les définitions du poème épique de nos auteurs en trois catégories, dont nous sommes redevables à Hans Robert Jauss. Dans un article intitulé “Littérature médiévale et théorie des genres14“ (qui insiste au moins autant sur la théorie que sur la littérature médiévale), ce critique suggère, sans s’y attarder, une typologie des façons de définit les genres littéraires. Ces définitions peuvent se faire “d’un point de vue normatif (ante rem)”, “classificateur (post rem)” ou “historique (in re), c’est-à-dire “dans une continuité, où tout ce qui est antérieur s’élargit et se complète par ce qui suit””15.

  • 16 Op. cit., p. 42.

  • 17 Op. cit., p. 40.

19Ce dernier type de définition emporte l’adhésion de Jauss ; elles consistent à n’accorder aux genres “aucun autre caractère de généralité que celui qui apparaît dans leur manifestation historique16“, c’est-à-dire à ne considérer que des données empiriques (des textes existants), tout en les organisant dans un réseau intertextuel, ce qui permet d’éviter “l’esthétisme de la critique immanente17“, c’est-à-dire des définitions en vase clos, enfermées dans le cercle herméneutique d’une démarche purement monographique. Elle consiste à considérer comme constitutives du genre non seulement les points communs, mais encore les variations qui existent entre les œuvres qui le définissent ; le genre, en d’autres termes, est ici considéré comme une notion pertinente, mais plastique.

  • 18 Ibid.

20Jauss ne détaille pas précisément les implications des deux autres types de définition. Il semble clair que les définitions ante rem recouvrent grosso modo l’approche classique des catégories génériques, caractérisée par sa confiance dans “l’universalité normative du canon des genres18“. On considérera ici qu’une définition ante rem repose sur une série de critères (d’ordres stylistique, thématique, quantitatif, etc.) a priori que l’œuvre doit satisfaire en totalité ou en grade partie pour justifier son appartenance générique. Cette approche semble caractérisée par une forme de réalisme générique (les catégories génériques existeraient en soi et indépendamment de leur contenu) ; mais cela ne fournit aucune réponse quant aux moyens dont la critique dispose pour identifier ces critères.

21Quant à la définition post rem, elle semble plus floue que les deux précédentes. Toute opération critique ne survient-elle pas après le fait, et tout travail sur les genres n’est-il pas, par définition, classification ? Il faut probablement comprendre ici que les critères du classement ne préexistent pas à l’œuvre classée (ante rem), mais qu’ils n’en sont pas non plus extraits par l’analyse monographique et sérielle de l’œuvre (in re) : la définition post rem se contente d’enregistrer une étiquette générique proposée par la réception de l’œuvre. Une telle définition est construite par la réception plus qu’elle n’a l’ambition de l’orienter, et constitue en somme une solution théoriquement faible de l’approche générique : elle peut être amenée à accueillir dans ses catégories des œuvres disparates, sans pour autant chercher particulièrement à raffiner le classement ou à altérer les critères.

22La typologie de Jauss a bien sûr essentiellement un intérêt heuristique, et il n’est pas certain que les critiques que l’on va lire pratiquent tel ou tel type de définition exactement au sens où Jauss l’aurait entendu. Elle est cependant particulièrement productive, et permettra d’esquisser un panorama des mouvements de la critique épique au 18e siècle.

II. Ante rem : ce que l’épopée doit être

  • 19 “Lettre du père Pons, missionnaire de la Compagnie de Jésus, au p. Du Hald...

23Le 18e siècle, malgré l’esprit de réforme qui semble largement le dominer, reste en fait de réflexion poétique largement classique – ce qui implique qu’en fait de de genres littéraires, il ne se départit ni aussi franchement, ni aussi massivement qu’on pourrait le croire de définitions ante rem. La manière de pratiquer ces définitions n’est pas nécessairement la même que celle de Le Bossu ou de Boileau ; il ne s’agit pas, encore une fois, de s’inscrire dans un système, mais d’opérer au sein de la même technologie, où les définitions normatives font partie de l’outillage standard. À leur manière, ces définitions constituent des instruments intellectuels puissants ; elles permettent par exemple d’esquisser en peu de mots le profil d’un littérature inconnue, comme le fit le père Pons à propos de la poésie indienne19 :

À l’égard de la grande poésie, ou des poèmes de différentes espèces, la nature étant la même partout, les règles sont aussi à peu près les mêmes. L’unité d’action est moins observée dans leurs Pouzânam et autres poèmes, qu’elle ne n’est en particulier dans Homère et Virgile. J’ai pourtant vu quelques poèmes, et entre autres le d’Harmapouranam, où l’on garde plus scrupuleusement l’unité d’action.

Au comparatiste d’aujourd’hui, l’application du critère néo-aristotélicien de l’unité d’action à la poésie indienne peut sembler incongrue ; mais au lecteur curieux du 18e siècle, ce paragraphe apporte des informations précieuses : une catégorisation générique (“la grande poésie”, donc peu ou prou l’épopée), un critère (“l’unité d’action”), une référence canonique (“Homère et Virgile”). La comparaison est justifiée par une fondation en nature de ces règles (à quelques variations près : “à peu près les mêmes”) qui, si elle résonne aujourd’hui comme ethnocentrée, est garante au 18e siècle de l’égale dignité critique d’une littérature nouvellement découverte.

24On examinera ici deux discours constitutifs de la démarche ante rem au 18e siècle : Alexander Pope décrit, dans l’Essay on criticism, la manifestation dans l’histoire de règles fondées en nature ; Charles Batteux, traducteur d’Aristote, propose une rapide épistémologie du travail du poéticien.

Pope : la fable du jeune Virgile

  • 20 L’idée de lire ce passage comme “Pope’s fable of a young Virgil” est propo...

  • 21 Alexander Pope, An Essay on Criticism in The Major Works, op. cit., p. 22 ...

25Dans l’Essay de 1711, Pope justifie de manière sérieuse et particulièrement abstraite le genre de poétique normative dont le Peri bathous est la satire, sous la forme de ce que l’on peut appeler la fable du jeune Virgile20. Comme le titre du poème l’indique, le but n’est pas de donner les règles de l’art, mais celles du discours sur l’art, et il ne faut pas en attendre une définition très précise de ce que l’épopée est concrètement ; elle est revanche on ne peut plus claire sur ce que l’épopée doit être21:

When first young Maro in his boundless mind
A work t’ outlast immortal Rome designed,
Perhaps he seemed above the critic’s law,
And but from Nature’s fountains scorned to draw :
But when t’examine every part he came,
Nature and Homer were, he found, the same :
Convinced, amazed, he checks the bold design,
And rules as strict his laboured work confine,
As if the Stagyrite o’erlooked each line.
Learn hence for ancient rules a just esteem ;
To copy Nature is to copy them
.

Quand le jeune Virgile, dans la liberté de son esprit, conçut une œuvre qui devait survivre à la Rome immortelle, peut-être semblait-il au-dessus des lois de la critique, et ne vouloir puiser qu’aux sources de la Nature : mais quand il eut examiné chaque partie, il se rendit compte que la Nature et Homère n’étaient qu’une et même chose : convaincu, ébloui, il tempère son audace, et fait entrer son ouvrage dans des règles aussi strictes que si le Stagyrite en avait relu chaque vers. Apprenez ainsi à apprécier à leur juste valeur les règles anciennes : imiter la Nature, c’est les reproduire, elles.

26Les v. 130 à 138 contiennent le conte (narration de la carrière de Virgile) ; les v. 139-140 la leçon (à l’impératif), qui invite les poètes à l’imitation des anciens, ces derniers étant des exemples pour la pratique poétique contemporaine (“hence”) parce qu’ils ont agi selon nature ; la répétition de “copy” souligne cette transitivité. L’idée est classique, typique du parti des Anciens, et ne fait guère preuve d’originalité.

  • 22 Charles Batteux, Cours de Belles-lettres, ou principes de la littérature, ...

27L’apport de Pope se situe plutôt dans le conte. Les deux premiers vers insistent sur la grandeur de Virgile, tout en soulignant que celle-ci est à venir : Virgile est encore jeune, et n’a donc pas encore réalisé la prédiction oxymorique (survivre à l’immortelle Cité). Cette gloire future est-elle due à la liberté infinie (“boundless”) de Virgile, qui l’affranchirait dès règles dont le critique (“the critic”), personnage abstrait (pour l’instant), est dépositaire ? La Nature est toujours disponible : il est donc inutile de s’embarrasser de la médiation du métadiscours. Cette audace (“bold design”) est seulement tempérée par la lecture d’Homère ; lecture analytique, où le poète latin divise le poème en parties (“every part”). La lecture d’Homère a sur lui un double effet. L’émerveillement (“amazed”) est l’effet normal de l’épopée (car “l’épopée fait naître l’admiration22“) ; ici la conviction (“convinced”) le précède : l’émotion est d’abord intellectuelle (et l’émerveillement qui suit est probablement autant un eurêka ! poétique qu’un sentiment esthétique). La grandeur de Virgile le rendait capable d’accéder à la Nature : c’est pourquoi il était en mesure de se rendre compte qu’Homère n’est pas un prisme qui s’impose entre la nature et la postérité, mais comme la manifestation de la nature même (lui qui, n’ayant pas de prédécesseur, avait dû puiser “aux sources même de la Nature”). Il n’existe donc plus de conflit entre le génie de Virgile et les lois critiques, qui s’incarnent à la fin du conte en Aristote (“the Stagyrite”). Ce dernier ayant dérivé les règles de la première poétique de la lecture d’Homère a lui aussi opéré selon nature.

  • 23 Alexander Pope, An Essay on Criticism in The Major Works, op. cit., p. 22.

28La Nature, en somme, est le terme commun de tous ces auteurs : Aristote et Virgile auraient pu travailler d’après nature, mais l’œuvre fondatrice d’Homère leur a épargné cette peine. Le collatéral de ce modèle est la secondarité du théoricien : l’imitation d’Homère suffit à Virgile, et Aristote, plus qu’une référence, est une caution que le texte le montre regardant magistralement par-dessus l’épaule (“overlooked”) de Virgile. Les générations suivantes peuvent ainsi faire l’économie de la théorie et considérer l’Énéide comme un commentaire d’Homère23 :

Still with itself compared, his text peruse ;
And let you comment be the Mantuan Muse
.

En le comparant constamment avec lui-même, compulsez son texte ; et prenez pour commentaire la Muse de Mantua.

29En somme, la fable de Virgile ne fait qu’illustrer les débuts d’un processus qui est la manifestation de l’éternel dans l’histoire, et qui n’a pas de raison de cesser de fonctionner. Le coup de génie est ici de s’abstenir de toute notation sur ce qu’est concrètement une épopée conforme à ces règles de nature, et d’éviter du même coup tout risque de recette ; la lecture des textes est la seule prospective recevable, et le lieu, sinon d’une révélation, du moins d’une compréhension inaccessible par d’autres moyens. La connaissance de l’épopée est en ce sens un savoir pratique.

Batteux : le travail d’Aristote

30Si l’on ne veut pas se satisfaire d’une nouvelle lecture d’Homère et que l’on souhaite pouvoir se prévaloir du travail d’Aristote, il faut justifier la démarche poétique. Comment Aristote a-t-il eu accès ces règles a priori ?

  • 24 Charles Batteux, Les Quatre Poëtiques, Paris, Saillant, Nyon, Desaint, “Av...

31Dans l’introduction aux Quatre poëtiques, le père Batteux décrit le fonctionnement de la démarche aristotélicienne. Il s’agit de la justifier contre des attaques, du type de celles des Modernes de la Querelle, qui contesteraient la valeur du corpus même que rationalise la théorie, invalidant par là même la valeur d’un discours fondé sur son analyse24:

Lorsque Aristote entreprit d’écrire une poétique, toutes les idées relatives à la poésie étaient préparées : il y avait des modèles dans tous les genres, en très grand nombre, exécutés par les plus grands maîtres. […] Dans une si grande multitude d’ouvrages, on pouvait trouver toutes les variétés et toutes les beautés possibles du genre. On dira qu’on y trouvait encore plus les défauts. Cela pouvait être. Mais, quand il est question de former un art, c’est-à-dire, d’indiquer à des artistes ce qu’ils doivent faire ou éviter pour avoir du succès, les défauts observés servent autant que les beautés. Ils servent plus, parce qu’ils font sortir plus fortement la règle. La poésie était donc assez avancée du temps d’Aristote, pour qu’il fût en état d’en poser les vrais principes, et d’en développer les détails.

32Le premier point abordé par le père Batteux est bien la justification du corpus. La poétique, en ce sens, est une démarche d’organisation des textes du passé, dont Batteux fait l’éloge des défauts mêmes, prêtant aux imperfections des œuvres une plus grande valeur heuristique qu’à leurs qualités. La critique qui suit la collation du corpus n’est donc pas une apologétique, si elle lit les textes pour en relever les “défauts” aussi bien que les beautés ; elle est l’étape préliminaire de la production de normes qui doivent “former un art”. La rétrospection annonce donc la prospection du champ des possibles, qui prend la forme d’instructions qui prédatent les nouveaux textes poétiques et les orientent en fonction du goût du public (la pertinence de la règle venant du “succès” qu’elle garantit).

33Modèles et contre-modèles servent donc à illustrer des “règles” ; la question demeurant de savoir comment les défauts ressortent, s’ils figurent dans les textes témoins qui servent à former la norme. Deux réponses différentes peuvent être avancées à cette interrogation.

34La première est d’ordre historique. Batteux justifie Aristote par un contexte où l’abondante floraison de la littérature grecque antique constituait déjà un réservoir des “idées relatives à la Poésie”, soit une sorte de préconscience théorique collective qu’Aristote aurait, essentiellement, explicitée. Le corpus était suffisamment vaste pour permettre de dégager comparativement des normes et des écarts ; sans compter que les témoignages antiques des “succès” des auteurs permettent d’identifier qui étaient alors “les plus grands maîtres”, et de les opposer aux auteurs médiocres.

35Une seconde réponse serait que les critères du goût se trouvent inscrits dans la nature même, et que c’est d’intuitions de type platonicien que procèdent les jugements fondateurs d’Aristote. L’imitation de la nature est, pour Batteux, le “même principe” qui fonde tous les arts, mais forme également le goût et le jugement qui permettent, intuitivement puis rationnellement, de les apprécier. Le refus du relativisme sert donc, dans une synthèse paradoxale, à justifier l’autorité du texte antique.

36Ce simple paragraphe du père Batteux est révélateur de la grande tension qui parcourt l’entreprise théorique au 18e siècle. Prospective, elle vise à régler la production contemporaine et à la mettre en adéquation avec le goût du public ; mais dans le même temps, elle procède par application de principes rationnels, dont il faut supposer l’existence intemporelle pour qu’ils préexistent aux textes qu’ils permettent de juger. C’est adopter une posture de Moderne : le goût du jour est le plus rationnel à s’être manifesté dans l’histoire de l’humanité. Dans le même temps, le père Batteux reste un “professeur d’antiquités” mu par l’amour des textes : la poétique ne peut donc être que rétrospective, c’est-à-dire inductive (et non syllogistique). Le problème qu’elle rencontre ici est que si les textes qu’elle étudie comportent des défauts, c’est qu’ils ne se suffisent pas pour se normer eux-mêmes. En résistant à l’apologie systématique de l’antique pratiquée, par exemple, par Anne Dacier (dont il raille par ailleurs les enthousiasmes), le père Batteux hérite des problèmes des Modernes autant que de ceux que des Anciens.

III. In re : tout ce que l’épopée peut être

37Les définitions in re associent le souci monographique à l’approche sérielle : l’œuvre redéfinit le genre, conçu comme catégorie plastique, mais n’est cependant pas sui generis, ce qui reviendrait à nier la pertinence de la notion de genres (c’est à ce genre de conclusion radicale qu’arrive Croce), alors que Jauss maintient que le genre participe autant à la composition qu’à la réception de l’œuvre. Il s’agit sans doute là de la définition la plus dynamique des genres littéraires dans la typologie de Jauss, et aussi celle qui offre le plus de place à la transformation des canons, et partant la plus dangereuse peut-être pour la technologie classique.

  • 25 Étienne Barbazan, Fabliaux et contes des poetes françois des xiii, xiv et ...

38La puissance de ce genre de définitions a été particulièrement bien perçue par l’un des premiers philologues médiévistes du 18e siècle, Étienne Barbazan (1696-1770). Pour légitimer l’épopée médiévale, il propose ainsi de retravailler la définition du genre hors du cadre aristotélicien (mais en notant tout de même un critère classique, l’étendue) 25 :

Nos anciens poètes français ne se bornaient point à un seul genre de poème ; ils en composaient de différentes espèces. Il nous reste encore des poèmes de leur façon, auxquels nous pouvons donner le nom d’épiques, quoiqu’ils ne soient point faits selon les règles prescrites par Aristote, qui paraissent leur avoir été inconnues. Tels sont le poème de la vie d’Alexandre, composé par Lambert li Cors, et par Alexandre de Paris ; celui de la vie du Connétable Duguesclin, fait par Cuvelier ; et celui de la conquête de Jerusalem, dont Renax est Auteur. Chacun de ces poèmes contient environ dix-huit à vingt mille vers.

  • 26 Op. cit., p. xxvii-xxviii.

Le besoin de réformer la catégorie de l’épopée apparaît d’abord au regard de la diversité générique de la poésie médiévale ; le rattachement des différents poèmes (qui tombent aujourd’hui sous les catégories de la chanson de geste ou du roman antique) à la catégorie de l’épopée procède d’un double souci de légitimation d’un corpus nouveau pour le public et d’économie de catégories vis-à-vis de la critique : où l’on voit la dimension sérielle de l’approche. Quant à sa dimension monographique, elle est affirmée quelques pages plus bas26 :

quoique les Auteurs ne paraissent point s’être formés sur les beaux modèles de l’antiquité, on retrouve néanmoins dans quelques-uns de leurs ouvrages, des traces des Anciens ; et dans ce dont ils ne sont redevables qu’à leur propre fond, il y a des traits qui feraient honneur à notre siècle

Si la comparaison avec les Anciens est légitimante, elle n’est plus qu’annexe à l’émergence d’un critère monographique (“leur propre fond”), qui invite à une lecture où le plaisir de la nouveauté prime celui de la reconnaissance.

39On s’attachera ici à examiner deux méthodologies in re : la première est celle mise en œuvre par Voltaire dans l’Essai sur la poésie épique, qui constitue un exemple parfait de la démarche ; le second s’intéresse à la manière dont le poète danois Ludvig Holberg (1684-1754), auteur d’une épopée comique, considère que son œuvre s’inscrit dans le corpus épique du 18e siècle.

Voltaire : de la définition historique à l’apologie de soi

40La structure de l’Essai sur la poésie épique (première version anglaise : 1728, version française autorisée : 1732) de Voltaire est révélatrice de la démarche : un premier chapitre, “Des différents goûts des peuples”, est consacré au genre épique en général (et en particulier à en limiter les critères a priori), quand les suivants sont consacrés à une longue série de poètes épiques ( Homère, Virgile, Lucain, Le Trissin, Le Camoëns, Le Tasse, Don Alonzo de Ercilla et Milton). À partir d’une définition minimale du genre, chaque auteur fait donc l’objet d’une monographie, insérée dans une série qui redéfinit le genre à chaque nouvelle étape (et est bien sûr non-exhaustive). On s’attachera particulièrement ici à la méthodologie développée dans le premier chapitre.

  • 27 Voltaire, Essai sur la poésie épique in The Complete Works of Voltaire, Vo...

41Celui-ci commence par une attaque contre les définitions normatives du classicisme27:

La plupart [des commentateurs] ont discouru avec pesanteur de ce qu’il fallait sentir avec transport ; et quand même leurs règles seraient justes, combien peu seraient-elles utiles! Homère, Virgile, le Tasse, Milton, n’ont guère obéi à d’autres leçons qu’à celles de leur génie. Tant de prétendues règles, tant de liens, ne serviraient qu’à embarrasser les grands hommes dans leur marche, et seraient d’un faible secours à ceux à qui le talent manque. Il faut courir dans la carrière, et non pas s’y traîner avec des béquilles. Presque tous les critiques ont cherché dans Homère des règles qui n’y sont assurément point.

La critique, en somme, est une rationalisation desséchante du corpus antique. Au modèle de la descente de la forme au sens, Voltaire substitue celui de l’élan individuel du génie, et ce faisant met à mal le rapport décomplexé de l’âge rhétorique à la composition en distinguant entre “les grands hommes” et “ceux à qui le talent manque”.

  • 28 Op. cit., p. 398-399.

42Si certains individus valent (poétiquement) mieux que d’autres, leur individualité est cependant composite. Elle comporte une part d’élection (le talent ou le génie individuel), mais tient aussi à des facteurs contextuels : le poète est tributaire des mœurs de son pays, des connaissances de son temps, des contraintes de sa langue… Le poème épique ressortit donc à la fois à l’inspiration individuelle et à des déterminations socio-historiques. La démarche comparatiste, dans cette optique, a pour non d’éprouver l’universalité des règles, mais au contraire de rendre apparent la variété des œuvres28 :

Si un de ceux qu’on nomme savants, et qui se croient tels, venait vous dire : « Le poème épique est une longue fable inventée pour enseigner une vérité morale, et dans laquelle un héros achève quelque grande action, avec le secours des dieux, dans l’espace d’une année” ; il faudrait lui répondre : Votre définition est très fausse, car, sans examiner si l’Iliade d’Homère est d’accord avec votre règle, les Anglais ont un poème épique dont le héros, loin de venir à bout d’une grande entreprise par le secours céleste, en une année, est trompé par le diable et par sa femme en un jour, et est chassé du paradis terrestre pour avoir désobéi à Dieu. Ce poème cependant est mis par les Anglais au niveau de l’Iliade, et beaucoup de personnes le préfèrent à Homère avec quelque apparence de raison.

Avant le génie individuel de Milton, c’est l’approbation générale du public anglais qui donne au Paradis perdu la légitimité nécessaire pour imposer une redéfinition du genre. Toute théorie classique est confrontée au problème du génie, on l’a vu en introduction ; mais Boileau, Pope et les tenants de la poétique normative sont à même de fournir des définitions du génie compatibles avec l’idée de norme. La véritable originalité de Voltaire comme comparatiste est de donner au contexte de l’auteur une légitimité supérieure à la fois au génie de l’individu et à l’abstraction des normes. Cette importance du facteur historique en poétique est héritée des arguments des apologistes d’Homère lors de la querelle. Si Anne Dacier e.g. adhérait à une conception ante rem du poème épique (suivant de près les théories de Le Bossu), leur abstraction ne lui permettait pas d’atténuer ce que Larry Norman appelle “le choc de l’ancien” : la contextualisation a ainsi pris une place croissante et limité de plus en plus la place des discours théoriques abstraits.

  • 29 Op. cit., p. 401-402.

43Voltaire pousse ce mouvement de valorisation du contexte au point de défendre un nominalisme générique : les catégories génériques sont des étiquettes qui conditionnent un certain type de réception davantage qu’un certain type de contenu29 :

Le poème épique, regardé en lui-même, est donc un récit en vers d’aventures héroïques. Que l’action soit simple ou complexe ; qu’elle s’achève dans un mois ou dans une année, ou qu’elle dure plus longtemps ; que la scène soit fixée dans un seul endroit, comme dans l’Iliade ; que le héros voyage de mers en mers, comme dans l’Odyssée ; qu’il soit heureux ou infortuné, furieux comme Achille, ou pieux comme Énée ; qu’il y ait un principal personnage ou plusieurs ; que l’action se passe sur la terre ou sur la mer ; sur le rivage d’Afrique, comme dans la Lusiada ; dans l’Amérique, comme dans l’Araucana ; dans le ciel, dans l’enfer, hors des limites de notre monde, comme dans le Paradis de Milton ; il n’importe : le poème sera toujours un poème épique, un poème héroïque, à moins qu’on ne lui trouve un nouveau titre proportionné à son mérite. Si vous vous faites scrupule, disait le célèbre M. Addison, de donner le titre de poème épique au Paradis perdu de Milton, appelez-le, si vous voulez, un poème divin, donnez-lui tel nom qu’il vous plaira, pourvu que vous confessiez que c’est un ouvrage aussi admirable en son genre que l’Iliade.
Ne disputons jamais sur les noms. Irai-je refuser le nom de comédies aux pièces de M. Congrève ou à celles de Calderon, parce qu’elles ne sont pas dans nos mœurs ?

L’augmentation du corpus (soit de l’extension du terme poème épique) a pour corollaire l’affaiblissement de son intension (le nombre et le degré de précision de ses critères). Cela présente l’avantage non négligeable d’éviter le genre de contorsion interprétatives où sont poussés les tenants de la doctrine normative.

  • 30 Op. cit., p. 402-403.

44Voltaire cependant est sensible au danger que présente son approche : il découpe, dans l’espace et le temps, des sous-ensembles humains qui courent ainsi un risque d’essentialisation auquel il est philosophiquement opposé (ce genre de risque n’existant pas dans le système ante rem qui considère que les règles sont fondées en nature). Il convient donc de substituer aux définitions normatives insatisfaisantes une nouvelle définition, fondée sur la nature humaine : “le point de la question et de la difficulté est de savoir sur quoi les nations polies se réunissent, et sur quoi elles diffèrent”. Voltaire propose ainsi un certain nombre de traits de l’épopée, et retrouve à cette occasion le registre déontique des poétiques normatives30 :

Un poème épique doit partout être fondé sur le jugement, et embelli par l’imagination : ce qui appartient au bon sens appartient également à toutes les nations du monde. Toutes vous diront qu’une action une et simple, qui se développe aisément et par degrés, et qui ne coûte point une attention fatigante, leur plaira davantage qu’un amas confus d’aventures monstrueuses. On souhaite généralement que cette unité si sage soit ornée d’une variété d’épisodes qui soient comme les membres d’un corps robuste et proportionné. Plus l’action sera grande, plus elle plaira à tous les hommes, dont la faiblesse est d’être séduits par tout ce qui est au delà de la vie commune. Il faudra surtout que cette action soit intéressante, car tous les cœurs veulent être remués ; et un poème parfait d’ailleurs, s’il ne touchait point, serait insipide en tout temps et en tout pays. Elle doit être entière, parce qu’il n’y a point d’homme qui puisse être satisfait s’il ne reçoit qu’une partie du tout qu’il s’est promis d’avoir.

  • 31 Op. cit., p. 403.

Rationalité, ornements fictifs, unité d’action, épisodes, noblesse, péripéties, dénouement : Voltaire retrouve, bon gré mal gré, des critères des plus classiques, quoique formulés d’une manière aussi philosophique et générale que possible, pour échapper à la technicité des termes de la poétique aristotélo-horacienne des classiques, qui témoignent d’un ancrage contextuel particulier31 :

Telles sont à peu près les principales règles que la nature dicte à toutes les nations qui cultivent les lettres ; mais la machine du merveilleux, l’intervention d’un pouvoir céleste, la nature des épisodes, tout ce qui dépend de la tyrannie de la coutume, et de cet instinct qu’on nomme goût, voilà sur quoi il y a mille opinions, et point de règles générales.

Voltaire propose donc un définition minimale capable de s’accommoder de l’ensemble des traits contingents des œuvres : elle est suffisamment solide pour résister à l’extrême disparité des documents empiriques, mais suffisamment souple pour intégrer cette disparité dans ses propres critères. Voltaire, en cela, propose une définition in re, et que ses critères soient largement hérités des poétiques normatives ne change rien au désir de plasticité théorique qu’il exprime.

  • 32 Op. cit., p. 409-410.

45Si cette plasticité est le principal avantage de la définition théorique de Voltaire, elle rend aussi compte du principal facteur de plaisir dans la lecture d’épopées : certes, le comparatisme permet de dégager des critères suffisamment généraux pour être universels, mais c’est dans le spectacle de la variété des œuvres et des sociétés humaines que réside son véritable avantage32:

Il n’y a point de monuments en Italie qui méritent plus l’attention d’un voyageur que la Jérusalem du Tasse. Milton fait autant d’honneur à l’Angleterre que le grand Newton. Camoëns est en Portugal ce que Milton est en Angleterre. Ce serait sans doute un grand plaisir, et même un grand avantage pour un homme qui pense, d’examiner tous ces poèmes épiques de différente nature, nés en des siècles et dans des pays éloignés les uns des autres. Il me semble qu’il y a une satisfaction noble à regarder les portraits vivants de ces illustres personnages grecs, romains, italiens, anglais, tous habillés, si je l’ose dire, à la manière de leur pays.

L’épopée, de genre universel dominant l’édifice abstrait de la hiérarchie des genres dans la poétique normative, devient ici l’expression privilégiée du génie singulier des peuples.

  • 33 Op. cit., p. 492-493.

  • 34 Charles Batteux, Parallèle de la Henriade et du Lutrin, Paris, s. n., 1748...

46Cette valorisation du contingent a aussi une fonction apologétique. Si chaque poème est unique et que, par ailleurs, “il est honteux pour nous [Français], à la vérité, que les étrangers se vantent d'avoir des poèmes épiques, et que nous, qui avons réussi en tant de genres, nous soyons forcés d'avouer, sur ce point, notre stérilité et notre faiblesse33“, le poème qui viendra inscrire la France à la suite de la série de poèmes analysés dans l’essai méritera la curiosité comparatiste du public universel, et la gratitude particulière du public français. L’abbé Batteux, considérant que Voltaire, en proposant une définition de ce type, propose de redéfinir le genre en fonction de son poème plutôt que de se plier à des normes dont il n’est pas maître, l’accuse ainsi d’insincérité34 :

Que ne mettait-il de bonne grâce en titre Apologie de ma Henriade. Il a fait ce poème avant de savoir les règles, et ensuite il veut faire des règles sur son Poème, et pour cela renverser toutes les idées communes, par un paralogisme farci d’une érudition étincelante, jetée rapidement pour en dérober le faux.

Holberg : sur le travail individuel

47La définition in re, historique, selon Jauss, est une définition qui accorde à la contingence une large place. Par opposition aux définitions ante rem qui construisent un objet idéal dont les textes singuliers doivent s’approcher, elle s’adapte aux œuvres et, ce faisant, légitime l’individualité poétique. Les réflexions de Ludvig Holberg sur son poème héroïcomique Peder Paars (une Énéide dans un verre d’eau, qui raconte une rocambolesque navigation dans le Kattegat), illustrent bien cette attention nouvelle portée au particulier.

  • 35 Ludvig Holberg, Ludovici Holbergii ad virum perillustrem *** epistola [Før...

48Dans la première de ses lettres autobiographiques à un homme illustre (Epistulæ ad virum perillustrem), Holberg note en 172835 :

Complexus sum non ita pridem quatuor libris historiam Petri Paarsii, satyra poematis in eos dirigitur, qvi operosi sunt in nihilo scribendo, quique famæ ea adsignare conantur, quæ in silentio ac obscuritate reposita esse maxime debent ; vereor, ne tela, quæ in alios torsi, in me eodem jure retorqueantur […].

J’ai réparti en quatre livres il n’y a pas si longtemps l’histoire de Peder Paars ; cette satire de poème est dirigée contre ceux qui s’occupent d’écrire sur rien, et qui veulent promettre à la gloire des choses qui doivent absolument se cantonner au silence et l’obscurité. Je crains qu’on ne me renvoie à bon droit les traits que j’ai dirigés sur d’autres…

Il ne faut voir dans la coïncidence de date avec la publication du Peri Bathous qu’une coïncidence. La même lettre contient la relation du séjour de Holberg à Londres et Oxford en 1706-1708, dans laquelle la littérature tient très peu de place. Quoiqu’il en soit, ce court passage (pris dans l’exorde de la lettre) résume le projet de Peder Paars à une critique de petits-maîtres qui rappellent ceux de Pope. Ils s’efforcent de remplir une forme ; c’est en ce sens qu’ils “sont occupés à écrire sur rien [operosi sunt in nihilo scribendo]”, et le genre de “gloire [fama]” qu’ils en attendent est évidemment proportionnel à la grandeur du genre où ils essaient d’opérer.

49La descente de la forme au sens est critiquée ici dans des termes qui rappellent à la fois Voltaire (le petit maître ploie sous le fardeau du grand genre) et Pope (operosi suggère un travail laborieux et mécanique) : l’entreprise est dans tous les cas vouée à l’obscurité. Si Pope, alias Scriblerus, effectuait la reductio ad absurdum des traités de poétique, Holberg semble considérer Peder Paars comme la reductio ad absurdum des poèmes produits sur le modèle mécaniste de Scriblerus.

  • 36 Ludvig Holberg, “Epistola 447”, Epistler [1754], disponible sur http://hol...

50Dans une lettre autobiographique largement postérieure, Holberg commente aussi la traduction de son ouvrage en allemand (Peter Paars, ein komisches Hedengedicht, Leipzig, Franz Christian Mumme, 1750) 36 :

Jeg kan her ikke forbigå, at melde noget om den tyske oversættelse af Peder Paars. At samme Oversættelse stikker ikke saa meget i øjnene, som den Danske Original, er ingen Under, thi deslige Skrifter tabe all deres dyd udi fremmed klædning. Det vilde gå ligeså til med den engelske Hudibras og andre skrifter af samme natur, hvilke derudover ikke blive oversatte. Jeg laster ikke oversætterens arbejde. Jeg er ej heller beqvem nok til at dømme om det tyske sprog. Jeg vil kun alleene sige, at deslige komiske Poemata ingen anseelse have uden i hjemgjorde klæder, hvorudover jeg stedse haver rådet fra dette skrifts oversættelse.

Je ne peux m’empêcher ici de faire quelques remarques sur la traduction allemande de Peder Paars. Que cette traduction ne captive pas tant les yeux que l’original danois, voilà qui n’est guère étonnant, car les écrits de cette sorte perdent tout leur vertu dans des vêtements étrangers. Il en irait de même avec l’Hudibras anglais et d’autres écrits de la même nature qui, du coup, ne sont pas traduits. Je ne blâme pas le travail du traducteur. Je ne suis moi-même pas du tout compétent pour juger de la langue allemande. Je dirai seulement que les poèmes comiques de ce genre n’ont aucun attrait hors de leurs vêtements domestiques, et c’est pourquoi je me suis toujours prononcé contre la traduction de cet ouvrage.

On retrouve là l’idée du costume, chère à Voltaire, dans un argument relativiste dont la conséquence extrême est le refus de la traduction. Mais Holberg parle-t-il encore d’épopée ? Ce n’est pas au nom des mœurs et de la coutume, mais plutôt en celui de la puissance comique du poème, qu’il refuse la traduction. S’il s’agit, dans la traduction allemande (Heldergedicht) comme dans l’original danois (poema heroico-comicum, heroisk-comisk poema), d’un poème héroïcomique, les deux composante génériques ne semblent pas importer au même degré.

  • 37 Ludvig Holberg, Peder Paars [1721], I, i, v. 163, disponible sur http://ho...

51Cela peut sembler d’autant plus étonnant que le poème est littéralement cousu de citations de l’Énéide et d’autres textes de la tradition épique, coulées dans les alexandrins danois de Holberg, et signalés par l’auteur lui-même (quoique par le biais d’une fiction éditoriale complexe) dans des notes qui accompagnent le texte37 :

Ach, slip en kratig Vind, og havet for mig rør! (b)

(b) Incute vim ventis etc. Virg.

  • 38 Claude Sallier, “Discours sur l’origine et le caractère de la parodie”, Mé...

Le vers danois (“Ah, envoie un vent fort, et soulève pour moi les flots !”) est explicitement associé à l’hypotexte virgilien (“déchaîne la force des vents…”). Ce mécanisme est celui de la parodie au sens d’Asconius, soit, dans les termes de l’abbé Sallier, “l’application toute simple de quelques vers connus, ou d’une partie de ces vers” à une situation nouvelle38, et il ne semble pas qu’il soit incompatible avec la traduction. Il y a donc autre chose, qui tient sans doute à l’idée que se fait Holberg du génie de la langue danoise, qui plaide contre la traduction.

52Quoiqu’il en soit, Holberg considère que la valeur de son épopée dépend de ce qu’elle est, et non de ce qu’elle pourrait ou devrait être : il l’écrit en réaction à un système poétique où la forme précède le sens, et en valorise l’aspect le plus contingent, soit la forme linguistique (ce dont était lors de la querelle d’Homère très éloigné un Moderne comme La Motte). L’association de ces deux critères en feraient un parangon de définition in re, s’il s’agissait d’un poème purement héroïque : mais un poème héroïcomique se définit nécessairement par rapport à un canon qu’il détourne et qui lui fournit sa raison d’être. Peder Paars n’est pas une proposition positive d’épopée, mais plutôt (de manière assez analogue au Peri bathous) un détournement particulièrement puissant de formes et d’idées contemporaines.

IV. Post rem : ceci est une épopée

53La littérature polonaise de la deuxième moitié du 18e siècle est dominée par le classicisme stanislavien (klasycyzm stanisławowski). Boileau et Pope y sont des lectures privilégiées, et leurs idées, combinées à celles d’Aristote et d’Horace, alimente la Sztuka rymotwórcza (Art poétique, 1788) de Franciszek Xawery Dmochowski (1762-1808). L’épopée, comme dans l’Art poétique de Boileau, est traitée au troisième chant de ce poème didactique, et reprend en grande partie le propos du poète français : bref, il semble que ce classicisme fin-de-siècle souscrive à une définition ante rem du genre épique.

54C’est assurément le cas de Dmochowski, mais les choses se compliquent lorsque l’on parcourt O Rymotwórstwie i rymotwórcach [Sur la poésie et les poètes], l’ouvrage théorique posthume du plus important poète épique de la période, Ignacy Krasicki (1735-1801). C’est à une rapide lecture du chapitre que cet héritier des débats esthétiques du 18e siècle consacre à l’épopée que l’on s’attachera ici.

55On voudrait ici avancer que la définition proposée par Krasicki, si elle trahit un attachement profond à l’idée normative (Krasicki est après tout le collègue et l’intime de Dmochowski), et semble à plusieurs égards (notamment la forme du chapitre) s’inspirer de l’Essai de Voltaire, est en dernier ressort un définition post rem, soit une définition où l’investissement théorique (l’intension) est limité au maximum au profit de l’accumulation des éléments.

  • 39 Ignacy Krasicki, O Rymotwórstwie i Rymotwórcach in Dzieła Ignacego Krasick...

56C’est ainsi que le chapitre s’ouvre non par une réflexion théorique générale sur l’épopée, mais sur une archéologie du genre39 :

Rodzaj ten wierszy, ledwo nie spółczesnym pierwszemu nazwać można ; jak bowiem tamten z winnej czci najwyższej Istności, ten z szacunku, zadziwienia i wdzięczności pochodził, i dotùd też ma pobudki. Bohaterskim się nazywa, ponieważ celem jego jest obwieszczać czyny pamięci godne znamienitych mężów. Równie jak w ćwiczonych, i w dzikich narodach pieśni takowe składane bywały. Prostota gminu, która się mało od dziczy różni, zachowała je u siebie, i dotąd zachowuje w każdym prawie kraju : tak dalece, iż gdyby te dumy zebrane i ściśle roztrząśnione były, może stąd dziejopisowie, osobliwie w wydobyciu kraju każdego pierwiastków, wiele korzystać mogli.

Il est difficilement possible de ne pas présenter ce genre poétique comme contemporain du premier ; comme en effet l’autre [l’ode, traitée au chapitre précédent] dérivait du digne honneur rendu à l’Être Suprême, celui-ci a dérivé de l’estime, de l’étonnement et du charme, et c’est à cela qu’il invite aussi. Il s’appelle héroïque car son but est de faire connaître les actions dignes de mémoire d’hommes remarquables. De tels poèmes ont été composés tant parmi les nations policées que parmi les sauvages. La simplicité du peuple, qui se distingue peu de celle des sauvages, les y a préservés, et les préserve toujours en toutes sortes de pays : il est probable que, aussi loin que l’on collecterait et discuterait précisément ces chants, les historiens pourraient en retirer beaucoup, en particulier concernant les origines de chaque pays.

L’épopée forme avec la lyrique religieuse un diptyque qui renvoie à des sentiments primordiaux, et prend en charge la commémoration des hauts faits de l’humanité (quand l’ode se charge, dans des modalités différentes, de communiquer avec la divinité). Plutôt que d’envisager les critères permettant la reconnaissance du genre, Krasicki en affirme d’entrée l’universalité : le genre est ici une donnée au service d’un propos anthropologique plus large plutôt que l’objet de la construction discursive. L’épopée n’est par ailleurs pas limitée, comme c’était encore le cas chez Voltaire, aux “nations polies” : la définition se fait l’écho des réflexions anthropologiques du siècle et accorde à l’épopée avant tout une valeur documentaire dont les premiers bénéficiaires sont les “historiens [dziejopisowie]” et non les critiques ou les poètes.

  • 40 Ibid.

57On ne s’étonnera dès lors guère de voir citer Ossian avant Homère40 :

Na czele takowych pieśni kłaść można dumy Ossjana, ciągłym wieków podaniem zachowane w Szkocji, i które niedawno zebrane i podane do wiadomości powszechnej, rozmaitością, zwięzłością i dzielnością wyrazów swoich, zadziwiają czytelników.

On peut placer à la tête des poèmes de ce genre les chants d’Ossian, conservés en Écosse par le passage constant des siècles jusqu’à nos jours, lesquels, récemment rassemblés et portés à la connaissance de tous, enchantent leurs lecteurs par la variété, la concision et la hardiesse de leurs expressions.

Le genre de charme qu’exercent les chants d’Ossian sur le lecteur contemporain tient à une fascination pour la matière humaine brute dont ils sont censés témoignés : et si le même discours primitiviste a pu être tenu, dès la querelle, au sujet des héros d’Homère, celui-ci souffre des rationalisations rétrospectives dont il a fait l’objet.

  • 41 Op. cit., p. 10-11.

58Le geste critique est ici très différent de ce que l’on a vu jusqu’à présent : l’affirmation de l’existence du genre (dans les temps et les lieux les plus reculés) fait office de preuve, mais ne semble guère avoir besoin d’être prouvée. La notion de règles n’apparaît qu’au troisième paragraphe41 :

Prawidła wiersza bohaterskiego w powszechności te są : naprzód, iżby rzecz obwieszczający wyrażał zadziwienie powieścią swoją ; iżby jedną osobę wziął na cel pierwszy, i nad to najszczególniej się zastawiał, tak jak wystawuje Homer w Iliadzie Achillesa, w Odysei Ulissa. Osoba, która za cel bierze, ma być godna uwielbienia osobliwego, i drugiej znamienitszej nad nią, iżby w dziele nie było.
Nie zdaje się trzymać tego prawidła Wirgiliusz w Eneidzie, Tasso w Jerozolimie, a co najnieprzystojniej, Milton w Raju utraconym, gdzie diabeł pierwsze miejsce trzyma.

Les règles du poèmes épiques sont en général celles-ci : en premier lieu, que qu’en traitant son sujet on fasse par son récit sentir l’émerveillement ; que l’on prenne une seule personne comme matière, et que l’on en parle dans tous les détails, comme Homère fait d’Achille dans l’Iliade, ou d’Ulysse dans l’Odyssée. La personne que l’on prend pour matière doit être digne d’une admiration particulière, et qu’il n’y en ait pas dans l’œuvre de plus notable qu’elle !
Il ne semble pas qu’aient suivi ces règles Virgile dans l’Énéide, le Tasse dans la Jérusalem, et ce qui est particulièrement inacceptable, Milton dans le Paradis perdu, où le Diable occupe la première place.

Le poème héroïque se définit par son héros : cette première règle est cohérente avec la définition anthropologique du poème proposée en ouverture du chapitre. Le traitement du héros fait ensuite l’objet d’une définition a priori : il doit être (a) l’objet unique du poème, (b) traité sous toutes ses facettes et (c) incarner des valeurs positives (au moins, pour tenir compte du premier paragraphe, au regard de sa communauté de référence). Le court paragraphe suivant liste les infractions à la règle de Virgile, du Tasse (qui ne respectent pas (a), et du coup probablement pas (b), quoique à des échelles différentes) et de Milton (qui néglige (c)). Cette dernière infraction est la plus grave, et il est remarquable qu’elle se situe sur le plan anthropologique (elle affecte la valeur commémorative du poème) plus que poétique (le traitement de l’objet).

59Encore plus remarquable est le ton neutre, matter-of-fact, de ce paragraphe, et l’absence de toute notation déontique ou de toute réserve générique : de toute évidence, l’existence d’entorses aussi graves n’affecte pas le statut d’épopée des textes considérés. D’où deux solutions : soit l’entorse à ce critère n’est pas rédhibitoire, soit l’étiquette générique de “poème épique” est acquise à ces textes de manière largement indépendante de leur conformité à une poétique analytique. Étant acquise l’importance du critère dans le propos même de Krasicki (c’est le premier, et il est constitutif de l’intitulé générique), il semble qu’il s’agisse ici tout au plus d’enregistrer des degrés de régularité par rapport à une norme traditionnelle, mais non décisive, au sein d’un corpus constitué sur des critères qui relèvent d’un autre champ que celui de la poétique.

  • 42 Op. cit.,p. 11.

60Pourquoi noter ces écarts, si leurs conséquences sont anecdotiques ? On proposera d’y voir une forme de nostalgie de la poétique normative. le paragraphe suivant en est un exemple42 :

Rytm ma być poważny, żywy, i tak rzecz opiewający, iżby czytający zdawał się patrzeć na na to, co mu się przed oczyma stawia. Przenosi w tej mierze Homer nad następców swoich, i z niego najwłaściwiej wziął pochop Horacjusz do pierwiastkowego sztuki swojej rymotworskiej wyrazu, iż równie malarstwu rymotwórstwo być powinno : ut pictura poesis erit.

Le rythme doit être grave, vif et rendre si flatteusement son sujet, qu’en lisant on doit avoir l’impression de voir ce qui se tient devant nos yeux. Sur ce chef Homère l’emporte sur ses successeurs, et c’est essentiellement lui qui a inspiré à Horace la maxime fondamentale de son art poétique, que la poésie doit être semblable à la peinture : ut pictura Poesis erit.

  • 43 Nicolas Boileau-Despréaux, Épîtres. Art poétique. Lutrin, éd. Charles-Henr...

Il peut sembler contradictoire d’exiger du rythme du poème d’être en même temps grave (poważny) et vif (żywy). La lecture la plus simple consiste à considérer que les deux qualificatifs s’appliquent à des moments différents, et qu’il s’agit là d’une synthèse du conseil de Boileau43 :

Soyez vif et pressé dans vos narrations.
Soyez riche et pompeux dans vos descriptions.

  • 44 “Preface” in Alexander Pope (trad.), The Iliad of Homer [1715], éd. Steven...

Quoiqu’il en soit, Homère domine ici le corpus – où l’on retrouve le jugement de Pope : “Homer is universally allowed to have had the greatest Invention of any writer whatever [Homère, selon un consensus universel, eut plus d’invention qu’aucun autre écrivain]44“, et d’Homère le glissement est rapide vers la tradition poétique occidentale et la topique horacienne. Dans un paragraphe se trouvent ainsi concentrées des références au canon épique (Homère) et à la poétique normative (Horace et Boileau).

61L’idée de technologie classique prend ici tout son sens. Il est évident que Krasicki, comme Dmochowski, est attaché (probablement plus par une réelle conviction que par simple conformisme) aux instruments intellectuels de la poétique normative ; mais son texte (au contraire, cette fois, de celui de Dmochowski), témoigne des difficultés qu’il éprouve à les utiliser sur des objets nouveaux (Ossian e.g.) qui ont réformé en profondeur la manière de définir le genre épique. La poétique krasickienne ne donne plus à voir l’esprit de système qui se dégageait des textes de Pope, mais elle constitue définitivement un “bricolage” théorique à l’aide des mêmes outils.

  • 45 Ignacy Krasicki, O Rymotwórstwie i Rymotwórcach, op. cit., p. 11-12.

62On retrouvera, sur le critère de l’unité de lieu, le même fonctionnement45 :

Jedność miejsca, lubo ściśle zachowana w Iliadze, w Odysei i Eneidzie nie znajduje się : tamta bowiem Ulissesa podróże ta Eneasza z Azji przez Afrikę do Europy przeniesienie obwieszcza. Milton tam stawia osoby i rzeczy, gdzie go tylko rozbujana myśl unosi. Nie traci jednak szacunku swojego, gdy wielokrotne błędy żywością wyrazów i opisań nagradza.

L’unité de lieu, quoique précisément observée dans l’Iliade, ne se trouve pas dans l’Odyssée et l’Énéide : car celle-là traite les voyages d’Ulysse, celle-ci le trajet d’Énée de l’Asie à l’Europe en passant par l’Afrique. Milton place ses personnages et ses objets là où seule le porte sa pensée exaltée. Il ne perd cependant pas sa valeur, quand ses nombreuses erreurs sont compensées par la vivacité de ses tours et de ses descriptions.

  • 46 Op. cit., p. 12.

Le style abordé plus haut sauve ici Milton, qui ne satisfait donc qu’à un seul des trois critères abordés (traitement du héros, style et unité de lieu), dont chacun est apparemment une condition suffisante mais jamais nécessaire à la reconnaissance du genre épique. Krasicki devient de plus en plus critique (c’est-à-dire lecteur informé) et de moins en moins poéticien (soit praticien d’une science de la composition, qui invitait ses lecteur à adopter vis-à-vis des œuvres le point de vue génétique du poète au travail) 46:

Najpierwszy, i co do czasu i co do wytworności, pisarz dzieł bohaterskich jest Homer. Dzieła jego prawidłem się stały dla następców, i mimo ich sławę, wartości i pierwszeństwa swojego ni tracą. Zdaje się, iż wysiliło się przyrodzenie na pierwszym wstępie, gdy tyle wieków następnych, jeszcze przewyższeniem Homera zaszczycić nie mogły.

Le premier auteur d’œuvres héroïques, tant dans le temps que par ses réalisations, est Homère. Ses œuvres sont devenues une règle pour ses successeurs, et malgré la gloire de ces denrières, n’ont perdu ni leur valeur ni leur prépondérance. Il semble que la nature ait donné toute sa force dans le premier pas, quand tant de siècles qui ont suivi n’ont pas su se distinguer en dépassant Homère.

Ici disparaît la nature transcendante de Pope : si Homère a le statut de canon, c’est en somme par défaut. Le primitivisme homérique l’emporte ici sur l’ambition normative.

  • 47 Op. cit., p. 17-18.

63Le chapitre adopte ensuite un format très proche de l’Essai de Voltaire : Krasicki enchaîne les examens de poètes individuels : Homère, Virgile, Silius Italicus, Claudien, le Trissin, Dante, le Tasse, l’Aristoe, Milton, Klopstock, le Camõens et Voltaire. Parmi ceux-ci, certains se situent aux frontières du genre. À propos des Punica de Silius Italicus : “c’est à peine si le souffle poétique se donne parfois à reconnaître et à sentir dans cet ouvrage ; il faudrait ainsi plutôt l’appeler une histoire en vers” – ce qui implique que l’on n’y retrouve aucun des critères sus-cités : il n’y a ainsi aucune raison suffisante de considérer les Punica comme une épopée. Quant à Dante, il fait éclore le critère presque ethnologique qui consacre désormais un texte comme épopée47 :

Ściśle rzecz biorąc, dzieło Danta Aligerjusza do poematów heroicznych nie powinno. Że jednak jemu sława wzniesienia języka należy, a zaś w dziele są takie niektóre opisy, któreby w tym rodzaju pisania mogły mieść miejsce, osadzać go gdzieindziej nie zdaje się.

À considérer la chose de près, l’œuvre de Dante Alighieri ne devrait pas compter au nombre des poèmes épiques. Parce que cependant lui appartient la gloire d’avoir illustré la langue italienne, et que dans son œuvre se trouvent quelques descriptions, qui pourraient avoir leur place dans ce genre d’écrits, il ne semble pas opportun de le classer ailleurs.

(Où l’on relèvera tout de même une notation sur le critère stylistique à côté du critère national).

  • 48 On notera que pour un partisan de la poétique normative comme Batteux, Le ...

64À la fin du chapitre vient un court développement sur le genre héroïcomique (poema krotofilne). Le débat est bien sûr actif depuis Boileau ; mais comme Holberg en témoigne, le classement comme proprement épique des poèmes héroïcomiques est loin d’être réglé encore au milieu du 18e siècle. On notera que les critères affaiblis de Krasicki ne sont pas incompatibles avec l’admission de la Secchia, du Lutrin ou de The Rape of the Lock dans le corpus épique ; et l’on sera autorisé à supposer que l’importance statistique de ce sous-genre au 18e siècle exigeait qu’une théorie post rem en rendît compte, ce qu’elle fait à relativement peu de frais48.

Conclusion

65On tirera de ces rapides lectures de la méthodologie poétique du 18e siècle deux conclusions, qui peuvent paraître opposées, mais qui intéressent au premier chef notre propre façon de théoriser le genre épique et de recevoir le discours critiques d’époques distantes.

66La première est qu’il semble résolument illusoire de résister à l’idée que se joue, au 18e siècle, une forme de transition théorique qui entraîne la masse des critiques de la poétique normative la plus réaliste (où les catégories génériques existent plus ou moins indépendamment de leur contenu) à une critique de plus en plus aposterioriste (où le critique constate le contenu du genre avant de tenter d’en poser les critères). Cette altération du rapport à la catégorisation se double d’un changement de rapport au travail poétique : effort de conformité avec un modèle plus ou moins abstrait et exigeant dont le canon fournit un aperçu dans le premier cas, surgissement d’une individualité exceptionnelle qui se fait le relai de la singularité nationale dans le second. Où l’on voit se dessiner assez nettement la conception nationale et romantique de la poésie narrative, que des critiques allemands comme Herder ont par ailleurs commencé à exprimer avant même que Krasicki ne propose sa révision de la poétique.

67La seconde conclusion est que ce glissement théorique ne constitue pas un radical changement de paradigme. Les définitions ante rem se nourrissent, au 18e siècle, de l’esprit empirique, et une définition in re comme celle de Voltaire reconstruit des critères universels. La plus dangereuse, pour la technologie classique, est finalement la définition post rem de Krasicki, parce qu’elle est la plus faible au niveau poétique (de l’intension) et qu’elle a le plus vaste corpus (la plus grande extension) à rassembler. Il faut bien que les genres correspondent à quelque chose, et s’ils s’apprécient de moins en moins à l’aune de critères poétiques, c’est que d’autre (ethnographiques) s’y sont plus ou moins discrètement substitués (le rôle d’Ossian étant là déterminant). Pourtant, Krasicki tient sans conteste à sauver la notion de régularité, et son œuvre de poéticien (qui ne s’exerce pas que sur l’épopée) en témoigne abondamment, tout comme son œuvre de poète épique. Il serait autant artificiel de tenter de formaliser sa pensée en système que condescendant de considérer son attachement à la technologie classique comme simplement anachronique.

68La discipline poétique, telle que l’âge classique l’a façonnée, se nourrit bien davantage des dysfonctionnements de la pensée que de sa cohérence. La poétique épique de Krasicki est l’exemple d’une tentative sincère de synthèse entre le changement de perspective sur l’antiquité (classique ou nordique), la production épique du 18e siècle et l’évolution du sentiment esthétique en Europe. En s’obstinant, bien que timidement, à relayer des critères abstraits du jugement critique, Krasicki impose au texte un dehors qui est un rempart contre un émerveillement inconditionnel, et possiblement le meilleur moyen de faire de l’épopée un dénominateur commun de l’humanité.

Notes

1 http://www.theses.fr/s79646.

2 Michel Charles, L’Arbre et la Source, Paris, Seuil, “Poétique”,1985 ; Introduction à l’étude des textes, Paris, Seuil, “Poétique”, 1995.

3 Voir Marc Escola, Sophie Rabau (dir.), Théorie littéraire et textes possibles. La Lecture littéraire, Paris, Klincksieck, 2005, notamment p. 9 sqq. : “Inventer la pratique”; et Marc Escola (dir.), Théorie des textes possibles, Amsterdam, Rodopi, 2012.

4 Michel Charles, L’Arbre et la Source, op. cit., p. 185.

5 Voir le chapitre qu’il consacre à son incompétence linguistique dans l’apologie de sa démarche : Antoine Houdar de la Motte, Réflexions sur la critique, Paris, Du Puis, 1715, [1ère partie], “De l’ignorance du grec”, p. 56 sqq.

6 Ce sont les titres des premières éditions de ces textes : L'Iliade d'Homère, traduite en françois, avec des remarques, par Madame Dacier, Paris, Rigaud, 1711, 3 vol. ; L’Iliade. Poëme. Avec un discours sur Homère. Par Monsieur de la Motte, de l’Académie Françoise, Paris, Grégoire Dupuis, 1714, 1 vol.

7 La Renaissance a, de fait, retiré à la tragédie la prééminence que lui conférait Aristote pour mettre l’épopée à sa place. Voir par exemple Julius Cæsar Scaliger, Poetices libri VII, [Genève], apud Petrum Santandreanum, 1594, p. 14 : “Epicum, quod idcirco omnium est princeps, quia continet materias universas”.

8 Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne [1935], Paris, Le livre de Poche,1994.

9 Alexander Pope, Peri bathous [1728] in The Major Works, éd. Pat Rogers, Oxford, OUP, “Oxford World’s Classics”, 2008, p. 233-234 ; notre traduction.

10 Alexander Pope, An Essay on Criticism [1711] in The Major Works, op. cit., p. 21 ; notre traduction.

11 Michel Charles, L’Arbre et la source, op. cit., p. 186.

12 Nous nous permettrons de renvoyer sur ce sujet à notre article “Comment peut-on être classique ? Les classicismes français et stanislavien entre histoire littéraire et poétique”, Annales de l’Académie polonaise de sciences – Centre scientifique à Paris, n°18, Paris, Académie polonaise des sciences, décembre 2016, en ligne : http://paris.pan.pl/fr/images/stories/pliki/PDF/Roczniki/R18/Annales%2018%20cz-2_105-116.pdf.

13 Il le propose en introduction de son ouvrage Before Fiction. The Ancient Regime of the Novel, Pittsburgh, UPP, 2011.

14 Hans Robert Jauss, “Littérature médiévale et théorie des genres”, trad. Éliane Kaufholz, in Gérard Genette et Tzvetan Todorov (éd.), Théorie des genres, Paris, Éditions du Seuil, “Points essais”, 1996, p. 37-71.

15 Op. cit., p. 43.

16 Op. cit., p. 42.

17 Op. cit., p. 40.

18 Ibid.

19 “Lettre du père Pons, missionnaire de la Compagnie de Jésus, au p. Du Halde de la même Compagnie. À Careical, sur la côte de Tanjaour, aux Indes orientales, ce 23 novembre 1740”, Lettres édifiantes et curieuses, écrites des Missions étrangères par quelques missionnaires de la Compagnie de Jésus, Paris, p. G. Le Mercier, t. XXVI, 1743, p. 227-228.

20 L’idée de lire ce passage comme “Pope’s fable of a young Virgil” est proposée dans Hugh B. Nisbet, Claude Rawson (éd.), The Cambridge History of Literary Criticism, t. IV, “Editors’ preface”, p. xvi.

21 Alexander Pope, An Essay on Criticism in The Major Works, op. cit., p. 22 ; notre traduction.

22 Charles Batteux, Cours de Belles-lettres, ou principes de la littérature, nouvelle édition, Paris, Desaint et Saillant, 1753, t. II, p. 11.

23 Alexander Pope, An Essay on Criticism in The Major Works, op. cit., p. 22.

24 Charles Batteux, Les Quatre Poëtiques, Paris, Saillant, Nyon, Desaint, “Avant-propos”, 1771, t. I, p. 2-3.

25 Étienne Barbazan, Fabliaux et contes des poetes françois des xiii, xiv et xves Siécles, Tirés des meilleurs Auteurs, Paris, Vincent, 1761, “Préface”, p. xiii-xiv.

26 Op. cit., p. xxvii-xxviii.

27 Voltaire, Essai sur la poésie épique in The Complete Works of Voltaire, Voltaire Foundation, Oxford, t. 3B, p. 398.

28 Op. cit., p. 398-399.

29 Op. cit., p. 401-402.

30 Op. cit., p. 402-403.

31 Op. cit., p. 403.

32 Op. cit., p. 409-410.

33 Op. cit., p. 492-493.

34 Charles Batteux, Parallèle de la Henriade et du Lutrin, Paris, s. n., 1748, p. 61.

35 Ludvig Holberg, Ludovici Holbergii ad virum perillustrem *** epistola [Første levnedsbrev, 1728] ; notre traduction. Les œuvres intégrales de Ludvig Holberg (latines comme danoises) ont fait l’objet d’une édition critique très complète que l’on retrouvera en ligne à l’adresse suivante : holbergsskrifter.dk.

36 Ludvig Holberg, “Epistola 447”, Epistler [1754], disponible sur http://holbergsskrifter.dk ; notre traduction.

37 Ludvig Holberg, Peder Paars [1721], I, i, v. 163, disponible sur http://holbergsskrifter.dk.

38 Claude Sallier, “Discours sur l’origine et le caractère de la parodie”, Mémoires de littérature tirés des registres de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, Paris, Imprimerie Royale, 1733, t. XVII, p. 400 ; cf. le commentaire d’Asconius à Cicéron, In Verrem actio prima, X.

39 Ignacy Krasicki, O Rymotwórstwie i Rymotwórcach in Dzieła Ignacego Krasickiego. Edycja nowa i zupełna przez Franciszka Dmochowskiego, Warszawa, [Gröll], 1802, t. III, p. 10.

40 Ibid.

41 Op. cit., p. 10-11.

42 Op. cit.,p. 11.

43 Nicolas Boileau-Despréaux, Épîtres. Art poétique. Lutrin, éd. Charles-Henri Boudhors, Paris, Les Belles Lettres, 1967, p. 103.

44 “Preface” in Alexander Pope (trad.), The Iliad of Homer [1715], éd. Steven Shankman, London, Penguin, 1996, p. 3.

45 Ignacy Krasicki, O Rymotwórstwie i Rymotwórcach, op. cit., p. 11-12.

46 Op. cit., p. 12.

47 Op. cit., p. 17-18.

48 On notera que pour un partisan de la poétique normative comme Batteux, Le Lutrin est une véritable épopée et, à ce titre, un comparant parfaitement acceptable pour la Henriade ; cf. Charles Batteux, Parallèle, op. cit.

Bibliographie

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Voltaire, The Complete Works of Voltaire, Voltaire Foundation, Oxford, t. 3B

Pour citer ce document

Dimitri Garncarzyk, «“Le plus grand ouvrage dont la nature humaine soit capable”. Qu’est-ce qu’une épopée au 18e siècle ?», Le Recueil Ouvert [En ligne], mis à jour le : 09/11/2023, URL : http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/277--le-plus-grand-ouvrage-dont-la-nature-humaine-soit-capable-qu-est-ce-qu-une-epopee-au-18e-siecle

Quelques mots à propos de :  Dimitri  Garncarzyk

CERC, Sorbonne Nouvelle
Dimitri Garncarzyk est professeur agrégé de lettres modernes, licencié en anglais et titulaire d’un master recherche en littératures comparées. Lauréat du Prix dix-huitième siècle de la SFEDS (2013) et d’une bourse Thiers (2017-2018), il termine actuellement la rédaction d’une thèse de doctorat en littérature générale et comparée (CERC, Sorbonne Nouvelle) portant sur le genre épique dans l’Europe des Lumières, de l’Angleterre à la Pologne et la Serbie. Ses travaux portent principalement sur la production et la théorie de l’épopée dans l’Europe moderne, notamment en Europe médiane (“Est-il “si aisé” d’améliorer la Henriade ? Petit traité de “misologie””, atelier de théorie littéraire du site Fabula : http://www.fabula.org/atelier.php?Misologie, 2010 ; “Ce feu brûlant de la poésie que le génie seul peut allumer” : sur une traduction de la Myséide aujourd’hui perdue, et une autre par le poète lui-même, mais inachevée”, in Yen-Mai Tran-Gervat (dir.), Traduire en français à l’âge classique, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2013, p. 195-210).