Epopée, Recueil Ouvert : Section 2. L'épopée, problèmes de définition I - Traits et caractéristiques

Catherine Servan-Schreiber

Adaptabilité de l’épopée en fonction du public : le cas de Lorik (Inde du Nord)

Résumé

Comment le dénouement d'une épopée peut-il varier en fonction de son public ? L'épopée indienne de Lorik fait partie du répertoire de la caste pastorale et martiale des Ahirs, dont les chanteurs sont réputés pour leurs joutes poétiques. A partir d'une trame relativement constante, il n'y a pas "une" fin de l'épopée de Lorik, mais une multitude de fins. Cet article décrit alors la façon dont les fins de Lorik changent selon que l'on se trouve dans une société de caste villageoise, en milieu tribal, dans une assemblée politique, ou même dans le contexte de l'islam soufi médiéval indien.

Abstract

"Aurality, or how the epic adapts to its public : the case of Lorik"
How can the end of an epic change according to its audience ? The indian epic of Lorik belongs to the repertoire of the Ahirs, a martial and pastoral caste whose singers are famous for their poetic joustes. Starting for a relatively constant plot, there is not one end to the epic of Lorik, but plenty of endings. This article describes the way the ends of Lorik change whether we are in a traditional village caste society, a tribal background, a political meeting, or even a medieval indian sufi audience.

Texte intégral

  • 1 Le Blanc, Claudine, “Temps de malheurs et destins désastrés. Échos de la co...



“Fleet ne semble guère conscient, ici, de l’influence non négligeable que l’auditoire exerce sur une récitation.”
(Claudine Le Blanc1)


  • 2 Flueckiger, Joyce, “He should have wore a sari, a Failed performance” in Fr...

  • 3 Prénom du héros de la geste éponyme. On retrouve également cette geste sous...

  • 4 Flueckiger, Joyce B., “Caste and Regional Variants in an Oral Epic Traditio...

1J’ai choisi, pour m’interroger sur l’influence du public dans le déroulement de la trame épique, de partir de la pensée de Joyce Fluekiger qui considère que l’épopée est “adaptable à toutes sortes de transformations et supports”2. Elle-même a déjà bien réfléchi aux notions de performance et de “clientèle, ou de public” à propos de ses études de l’épopée de Lorik3. Elle montre que ni les standards de performance ni les attentes ne sont les mêmes selon qu’il s’agit de marchands prospères urbains, ou de personnes issues des castes pastorales des Ahirs. Elle oppose l’environnement rural, campagnard (dehati) à l’environnement urbain. Dans son analyse des variantes de Lorik, Joyce Flueckiger établit ainsi deux grandes distinctions, en fonction des régions où le texte est chanté. Là où l’épopée est fortement associée à une caste spécifique – celle des Ahirs, en l’occurrence –, l'accent est mis sur l’honneur de la caste, et l’identité de caste. Ceux-ci sont maintenus de deux façons : en protégeant les femmes des alliances externes à la caste, et en gagnant des batailles au nom de la caste. Le héros épique est alors un Ahir idéal, un héros martial, proche de la déification. En revanche, là où l’épopée est investie d’une signification sociale plus large, le rapport à l’honneur est minimisé. En ce cas, le héros est davantage décrit en amant qu’en guerrier. Et dans ce contexte où les femmes ont plus de mobilité et plus de liberté économique, c’est l’héroïne qui devient initiatrice de l’action épique4.

  • 5 Flueckiger, Joyce, ibidem.

  • 6 Flueckiger, Joyce, “He should have wore a sari…”, op. cit.

2Dans l’ouvrage édité par Frank Korom, Anthropology of Performance. A Reader, paru chez Blackwell5, Joyce Flueckiger fait part de son expérience personnelle. Elle a eu l’occasion de commanditer une épopée, et tandis qu’elle patronnait ce travail, le chanteur lui a demandé de choisir la façon dont elle voulait entendre son épisode favori. Elle a compris qu’elle avait le pouvoir d’orienter l’intrigue, puisqu’elle “commanditait”. Dans son article intitulé “He should have wore a sariA Failed performance”, elle rend compte de la façon dont les auditeurs mécontents ont quitté un à un la scène de cette performance de Lorik, ne trouvant pas dans la mise en scène épique les ingrédients qu’ils attendaient : un homme travesti, qui porte un sari, et surtout, des danseurs. De plus, le public s’est plaint que la fin n’était pas assez festive. Il a aussi déploré qu’il n’y ait ni humour ni dérision dans la version qu’on leur avait proposée6.

  • 7 Schomer, Karine, “The Audience as Patron : Dramatisation and Texture of a H...

  • 8 Ibid, p. 87, je traduis.

3Dans une démarche semblable à celle de Joyce Flueckiger, mais en tant que spécialiste de l’épopée indienne d’Alha-Udal, Karine Schomer détaille elle aussi des situations de patronage. Son titre est explicite, The audience as patron”, et son constat sans appel : l’identité et la personnalité des “patrons” ou mécènes, agissent sur la forme épique. Il y a des constantes (par exemple, l’assistance reste exclusivement masculine), mais entre l’audience rurale et l’audience urbaine, les pratiques d’écoute diffèrent (par exemple, les urbains se lassent très vite, et houspillent le chanteur dès que le texte épique s’étire en longueur). Les chanteurs en tiennent compte. Schomer analyse les caractéristiques d’une épopée commanditée par des élites urbaines et celles d’une autre version, cette fois commanditée par un groupe d’un milieu populaire. Elle a isolé deux performances, l’une sponsorisée par un professeur et un médecin, élite locale d’un bourg situé dans la région de Kanauj, et l’autre, à des centaines de kilomètres de là, organisée par un groupe de disciples d’un ancien chanteur7. Comme dans le cas du chanteur désavoué, souligné par Joyce Fluckiger, Karine Schomer nous dévoile que l’audience d’Alha mécontente a fait remplacer un interprète, ce qui fait dire à l’ethnologue que “le public a exercé avec succès son pouvoir de censure dans son rôle de patron”8.

  • 9 Ainsi, par exemple, que ce soit pour assister à la performance, ou acheter ...

4En Inde, pour aborder la façon dont le contenu, mais surtout le dénouement d’une épopée peut varier, divers critères sont généralement pris en compte : caste, région, classe, religion et genre du public9. À ces paramètres, il faut ajouter le critère de la place occupée par les chanteurs et récitants dans l’espace de performance : si un barde arrive – comme sur le grand maidan de Calcutta – sur un espace public où d’anciens soldats indiens et gurkhas népalais se rassemblent, on lui demandera des batailles d’Alha-Udal, des passages guerriers ; et à l’inverse, s’il chante des exploits guerriers, sur ce maidan, il attirera tel public plutôt qu’un autre.

  • 10 Les passages souvent demandés par tous les publics sont ceux qui comporten...

5La question est de savoir si on peut aller plus loin que l'affirmation classique selon laquelle, en Inde du Nord, il s’agit surtout pour le barde de chanter les passages préférés que chaque audience lui demande.10 L'épopée de Lorik fournit pour cela un matériau intéressant. Ce texte célèbre est issu de la caste à la fois pastorale et martiale des Ahirs. Répandu dans toute l’Inde du Nord en diverses langues et variantes – hindi, avadhi, bhojpuri, bengali, maithili, magahi, chhattisgarhi, avec même une version attestée dans le Deccan, et une dans les plaines du Teraï népalais, il donne le reflet de la réputation d’art de la poésie et de la musique dont jouit cette communauté.

I. Éléments de contextualisation

6Dans la tradition orale indienne, on oppose les chants (git), qui sont souvent le fait de groupes collectifs féminins, anonymes, et non professionnels, et l’épopée (gatha), long récit chanté versifié, exécuté par un homme, en solo, en vedette, et le plus souvent, professionnel. Les épopées relèvent de plusieurs registres. On peut les appréhender par la caste du chanteur, par la thématique traitée, par le mécénat qui les commandite, ou encore, par le système de versification adopté. Parmi les cycles épiques, on remarque ceux qui dépendent de gestes pastorales et martiales, des répertoires des marchands et caravaniers, ou des textes mystiques de renoncement. L’épopée de Lorik appartient au fond pastoral et martial.

7Quatre épisodes en constituent la trame.

-La conquête du fort de Suhaval, par Lorik, qui aboutit au mariage de Sanvaru, son frère aîné, avec une fille Ahir, Satiya

-La conquête du fort d’Agori, par Lorik, qui aboutit au mariage de Lorik avec une fille Ahir, Maina-Manjari

-La conquête du fort de Haldi, par Lorik, qui suit l’enlèvement de Canda, une fille noble, et aboutit au mariage de Lorik et Canda

-Suit un épisode plus obscur, où Lorik s’éprend d’une tenancière de cabaret nommée Jamuni, avant de conquérir un dernier fort.

8On voit ici, à l’exception du dernier épisode – qui “fait honte” –, que cette trame d’une épopée des castes pastorales suit les codes des récits rajputs (donc des castes guerrières de haut statut en Inde), dans lesquels la prise d’un fort se solde par un mariage. La prise du fort doit assurer aux vainqueurs, qui sont de statut plus modeste, une alliance avec une famille de plus haut rang.

9Mais ces innombrables combats sont enchâssés dans des histoires d’amour qui font intervenir plusieurs personnages principaux :

-Lorik, le héros, un bouvier de la caste des Ahirs, “un guerrier dont la bravoure rayonne dans les trois mondes”. Il met son épée au service des Rajputs, mais souhaite échapper à sa condition modeste, et rêve d’évincer ses nobles patrons et de s’approprier leurs forteresses et leurs richesses.

-Maina-Manjari, l’épouse de Lorik, de caste Ahir, qui s’occupe de la belle-mère, du beau-frère plus âgé et des enfants, gère les soins à donner au bétail, s’occupe de la vente du lait, et dirige la maison en l’absence de son mari.

-Canda, la fille de noble naissance, fantasque et cruelle, qui va s’éprendre de Lorik et l’entraîner dans une dimension amoureuse et guerrière qui dépasse parfois la capacité de ce héros à la satisfaire.

10Il existe aussi des personnages secondaires tels qu’un chanteur itinérant, divers roitelets, ou encore l’époux de Canda, la mère de Lorik, son frère ainé et ses enfants, et cette tenancière de cabaret, Jamuni.

  • 11 Avoir une servante a failli perdre Canda, par exemple, car la déloyale dom...

11On voit aussi émerger des portraits de femmes, dont les caractères et les statuts s’opposent et se répondent, dans une polyphonie de voix. Satiya, dont le nom même signifie “vertu”, et la sati Maina-Manjari (la vertueuse Maina-Manjari) sont le modèle de l’épouse indienne ou “pativrata” (celle qui a fait le vœu d’être fidèle à son mari), tandis que Canda (“la lune”, la face nocturne sombre de l’amour) et Jamuni (“celle dont la peau est couleur prune”, la couleur de la beauté), – les filles désirables – incarnent la séduction, voire la méchanceté. On remarque que Satiya et Maina-Manjari défendent la culture pastorale Ahir, tandis que Canda défend la culture des Rajputs. Leur rapport à la terre et au travail diffère. Maina-Manjari travaille dur et Canda, qui paresse, se fait servir par une servante. À chaque public sa perdante ou sa gagnante, comme nous le verrons par la suite11.

12Comme c’est l’usage dans l’épopée médiévale, et selon une formule constante des romans sociaux indiens de la fin du XIXe ou des films Bollywood, l’épopée de Lorik comporte trois motifs de transgression caractéristiques :

- Tomber amoureux entre “frère” et “sœur de village”. Le mariage est interdit entre jeunes gens habitant un même village. Or Lorik et Canda viennent tous deux du même bourg, celui qui renferme le fort de Gaura. Et même si Canda a été mariée loin de son village natal, elle y est revenue pour se soustraire à sa vie conjugale.

- Tomber amoureux entre personnes de statut inégal : Canda est d’un statut bien supérieur à celui de Lorik. Le mariage est interdit entre eux. Le mariage d’un homme de haut rang avec une fille de bas statut est lui possible, surtout pour un second mariage, mais non l’inverse.

- Et enfin, pour une femme mariée, de s’éprendre d’un autre homme que son époux. L’homme peut sans problème engager un second mariage, ou envisager une affaire extraconjugale ; la femme ne le peut. Or Canda est mariée, ce qui constitue un cas de figure exceptionnel et rarissime dans les corpus indiens épiques recensés.

  • 12 Narayan, Badri, Documenting Dissent. Contesting fables. Contested Memories...

13Je mentionne ces transgressions au dharma (c’est-à-dire au devoir qu’impose la religiosité hindoue) car elles ne sont pas sans lien avec certains des nombreux dénouements. Je les indique aussi car, dans certaines régions de l’Inde, comme le Bihar, où ce répertoire est apprécié, la performativité des genres épiques n’est jamais prise à la légère. Ainsi, dans les années 1990, une pièce de théâtre populaire inspirée d’une épopée appelée Cuharmal s’est jouée, dans la région de Mokama, au Bihar. L’acteur qui tenait le rôle de l’éleveur de bétail amoureux de la fille du noble zamindâr de statut supérieur, s’est fait tirer dessus en pleine représentation par un Rajput conservateur, et il en est mort12.

  • 13 Mac Gregor, Ronald Stuart, “The Lorik and Cândâ Tales”, dans Hindi Literat...

14Lorik est avant toute chose assimilé au répertoire des Ahirs. Les bardes de l’épopée sont des Ahirs qui chantent très bien, mais non des interprètes professionnels. En tant qu’épopée indienne, le texte du Lorik a connu un destin exceptionnel, puisqu’il a fait l’objet de deux adaptations de poètes musulmans de la période médiévale qui l’ont rendu encore plus célèbre, la Candayan de Mulla Daud (1379), et le Sati Mayna o Lor Candrani de Daulat Qazi. On sait donc que ce texte est antérieur au XIVe siècle, et Ronald Mac Gregor, dans son histoire de la littérature hindi, signale que sa récitation était chose courante au XVIe siècle, depuis le Bengale jusqu’au Rajasthan13.

  • 14 À savoir, la période de collecte des linguistes et administrateurs colonia...

15On possède maintes versions différentes du Lorik, que l’on retrouve à tous les stades spécifiques et bien répertoriés de collecte des répertoires épiques14 :

- Une version en bhojpuri recueillie par les linguistes britanniques (comme celle de George Grierson), en 1880, et éditée en 1929.

- Une version en anglais établie par Verrier Elwin, anthropologue des tribus indiennes, en 1940, et éditée en 1947.

- Une version en bhojpuri établie par le folkloriste indien Satyavrata Sinha au moment du renouveau des langues régionales des années 1960,

- Une version en bhojpuri établie par Shyam Manohar Pandey dans les années 1980

- Ma propre version, traduite du bhojpuri, et publiée en 1999, lors de mon travail sur les chanteurs itinérants.

16Mon hypothèse ici sera que le public joue un rôle fondamental : il modifie en particulier la fin de l'épopée et oriente globalement la perception du texte. Pour caractériser plus précisément ce rôle, je vais caractériser les situations de performance et des publics au regard des versions dont nous disponsons, pour les confronter aux dénouements qui leur correspondent, cas par cas.

II. À chaque public, sa fin du Lorik

17L'analyse de l'ensemble des différentes versions montre d'abord que l'épopée de Lorik est chantée et appréciée en milieu de caste hindou – plus conventionnel, et régi par un ensemble de règles très codifiées – aussi bien qu'en milieu tribal, correspondant à une société plus libre, sinon plus égalitaire. De grandes distinctions émergent immédiatement. Ainsi, par rapport à l’intrusion du personnage fantasque de Canda dans la vie du couple Maina-Manjari/Lorik, on peut d'ores et déjà distinguer deux modèles de fin :

-La société de caste, plus puritaine, met en scène la revanche de l’épouse légitime, en exaltant ses qualités de chef, venues de la responsabilité exercée en l’absence de son mari. Lequel mari, ému de sa bravoure, revient vers elle.

-À l’inverse, la société tribale, plus détachée des contraintes de caste, et plus empathique envers les sentiments passionnés, s’attache à l’émoi érotique du personnage de l’amante.

18Mais cette opposition est un peu sommaire, et l'on peut trouver aussi des images disruptives dans les versions étudiées. Il faut donc considérer une à une les différentes versions, en rapport avec le public spécifique de la performance.

  • 15 Sinha, Satyavrata, Bhojpuri Lokgatha, Allahabad, Hindustani Akademi, 1957.

191° Examinons le cas le plus simple et le plus minimaliste : l’entre-soi genré – soit un milieu d’hommes, entre eux. Lorik est chanté chaque année par les vachers qui partent pour la transhumance. Ils passent de longs mois loin de leur village. Il n’y a alors aucun public amateur ou professionnel, uniquement les vachers entre eux. Peut-être une projection de l’absence se dégage-t-elle, et l’aspiration à retrouver le foyer domestique l’emporte-t-elle sur la description des exploits guerriers  ? Quelle est la fin des versions chantées lors de ces assemblées masculines restreintes du sud Bihar, à des centaines de kilomètres des villages ? Après avoir enlevé Canda, et conquis des terres et des palais, Lorik s’en retourne chez lui en compagnie de la jeune femme, domptée. Il retrouve Maina-Manjari, et profite du retour au pays, dans la société de ces deux femmes, de ses enfants, de sa mère et de son frère15.

  • 16 Pandey, Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki, Allahabad, Sahitya Bhav...

202° Au village même, l’environnement de caste strictement Ahir s’élargit, et cette fois, nous sommes dans un contexte mixte de performance, avec d’une part, des femmes dans l’auditoire, et d’autre part, de nombreuses autres castes d’auditeurs. Des Telis (huiliers), des Dhobis (blanchisseurs), des Noniyas (maçons et vendeurs de salpêtre et de ciment), des Camars (travailleurs du cuir), soit des castes de milieu assez modeste. Des auditeurs Brahmanes ou Rajput, incarnant les classes supérieures, peuvent également se joindre au public16. Les représentations de l’épopée débouchent sur une fin bien différente.

  • 17 Pandey, Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki, Allahabad, Sahitya Bhav...

  • 18 Coccari, Diane, “The Bir babas of Banaras and the Deified Dead”, in Alf Hi...

21De retour au village, avec Canda, Lorik retrouve Maina-Manjari et ses enfants. Toutefois, voyant que son bras ne répond plus au combat comme par le passé, il prend la décision de se rendre à Bénarès. Son bras ne lui répond plus, d’une part, parce qu'il prend de l’âge, mais d’autre part, parce qu'il a transgressé des règles du dharma. Tandis qu’il se met en posture de méditation, il est transformé en pierre dans cette ville sacrée de Bénarès, au bord du Gange17. Mais cette punition comporte une dimension gratifiante, car cette transformation fait de lui un “vîr bâbâ”, un héros déifié (du sanskrit vîr, héros), un statut qui a été bien analysé par Diane Coccari dans son travail sur l’importance de ces divinités populaires de villages au Bihar et dans la région de Bénarès18.

22De telles divinités portent aussi le nom de “dih” (gardiens de village), et des autels leur sont érigés. Ce qui est mis en avant, pour cette audience mixte, c’est ainsi la cohésion du village autour de son héros-phare. La transgression est certes condamnable, mais Lorik, qui a souvent défilé à cheval dans le village (honneur réservé aux Rajputs), à la suite des batailles qu’il a menées pour protéger la population des assauts des roitelets voisins, est perçu et honoré comme un véritable protecteur.

  • 19 Voir George Grierson, “The Birth of Lorik (magahi)”, Bulletin of the Schoo...

233° Dans les foires au bétail, et également dans les akhara, “petite école d’art martial”, comme il en existe particulièrement à Bénarès, l’épopée de Lorik bénéficie de l’audience de lutteurs. L’épopée est chantée la nuit, lors des festivités qui encadrent le rituel des combats. L’organisation de la performance est le plus souvent patronnée par des mécènes qui habitent non des loin des écoles de lutte. Le public est alors principalement masculin, en liaison avec l’idée des ascètes combattants entraînés dans des akhara, et de qui on exige un certain temps le célibat. Dans ces contextes, le public s’attache à l’idée d’absolu, de puissance surhumaine, et la fin annonce la disparition glorieuse, mystérieuse et définitive du héros, dont le barde dit “qu’il disparaît à jamais du monde des vivants”. Lorik a consacré un an de sa vie au célibat en se faisant ascète shiväite pour conquérir Canda. Cette fin l’assimile aux grands saints de la bhakti hindoue dont la vie se termine par une disparition mystérieuse suivant un envol vers les cieux ou une disparition inattendue dans une rivière sous les yeux de la foule des dévots19.

244° Un autre a contribué à rendre célèbre l’épopée : celui des membres des confréries mystiques soufies qui aiment à l’entendre, et à qui les prédicateurs le lisaient, au XIVe siècle, dans l’enceinte des mosquées. Ici, c’est toute une transposition religieuse qui s’est opérée, l’amour passionnel de Lorik et Canda symbolisant, pour l’auditeur soufi, la relation entre Dieu et son dévot. Canda, fantasque et cruelle, s’y taille la part belle, au détriment de Maina-Manjari, décrite comme une non-initiée, incapable de comprendre les chemins complexes de la voie mystique, et qui fait obstacle à la quête religieuse de Lorik. Cette fois-ci, c’est Maina-Manjari, enjointe de “tenir sa langue”, qui doit se soumettre, pour avoir la garantie de demeurer dans la même maisonnée que Lorik et Canda.

  • 20 Mulla Daud, La Candayan, Mataprasad Gupta (éd.), Agra, Pramanik Prakashan ...

  • 21 Sreenivasan, Ramya, “Warriors-Tales at Hinterlands Courts in North India, ...

25Cette version soufie de Lorik, nommée La Candayan20, a circulé également dans les cours musulmanes ou hindoues de l’Inde médiévale, et même dans des lieux de pouvoir plus modestes et reculés (ne méritant peut-être pas le nom de “cours”), pour le compte de petits dirigeants locaux (noblesse rurale et chefs de guerres) de l’intérieur des terres, désireux d’affirmer leur appartenance à l’élite, en patronnant ainsi des artistes, poètes et chanteurs21.

  • 22 Elwin, Verrier, The Muria and their ghotul, Delhi, Oxford University Press...

  • 23Happy was Chandeni by his side
    She had got him, got the man of her dreams
    N...

265° Dans le contexte tribal de la région de Chhattisgarh, nous avons la chance d’avoir la recension de Lorik faite par Verrier Elwin, en 1947. Les différences entre la société tribale indienne et la société de castes ont été brièvement énoncées plus haut, mais disons qu’en milieu tribal il s’agit d’un public qui vit davantage dans un environnement naturel, dont les ressources économiques sont faibles, et qui est étranger à certaines codifications en vigueur dans la société de castes. Les travaux de Verrier Elwin sur les Muria, et ceux de Marine Carrin sur les Santals ont mis en lumière l’usage et le sens des métaphores dans le contexte littéraire tribal22. Le public tribal de Chhattisgarh veut avant tout, on l’a dit, partager l’émoi de la jeune Canda, en associant la nature au désir. Ici l’épopée se nomme “Chandeni”, en hommage à la seule Canda – point de Lorik dans le titre. L’épopée prend fin dans la forêt où Canda, la “mal mariée”, se fait sexuellement initier par Lorik. Il s’agit de réinjecter dans l’épopée un élément d’érotisme, et un niveau de poésie dans lequel les règles de versification et de métrique diffèrent complètement des schémas épiques et des formules des bardes Ahirs23 :

Heureuse était Chanda, à ses côtés
Elle l’avait, Lorik, l’homme de ses rêves
Plus de pleurs à verser
Plus de chagrin dans lequel se consumer
Plus de nuit sans sommeil
Enfin, sa passion était récompensée
Elle avait Lorik à ses côtés
Ce feu ne la brûlerait plus
Le désir ardent de la jeunesse ne pèserait plus sur elle
Heureuse était Chanda
Elle l’avait, Lorik, l’homme de ses rêves.

27La répétition de : “Elle l’avait, Lorik, l’homme de ses rêves” exprime bien l’emphase mise (et autorisée) sur la beauté de cette liaison, illicite pour Canda qui est mariée.

  • 24 Flueckiger, Joyce Burkhalter, Gender and Genre in the Folklore of Middle I...

28Au Chhattisgarh, où elle enquête sur les traces de Verrier Elwin, Joyce Flueckiger recueille une version plus récente encore de ce texte (version qui porte le nom de Canaini ou Candaini, ou encore s’intitule Canda-Haran – L’enlèvement de Canda), mais qui est chantée et dansée pour un public appartenant à la communauté des Rauts, nom local pour la communauté qui s’occupe de la vente du lait. Cette communauté est plutôt dans l'affrontement avec les Rajputs (elle tente de se soustraire à ce rôle de pourvoyeurs de lait imposé à ses membres par les hautes castes), et s’identifie peu à eux, à la différence des Ahirs de l’Uttar Pradesh. Joyce Fluekiger résume alors ainsi les projections différentes du public sur l’histoire de Lorik : “la société de caste, en Uttar Pradesh, érige des modèles, des héros à qui, dans le futur, on voudrait ressembler. Au Chhattisgarh, en contraste, les héros reflètent le public dans ce qu’il est”24.

  • 25 Pandey Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki Allahabad, Sahitya Bhavan...

296° La fin de Lorik adoptera le ton de la prudence dans un de ses contextes les plus prestigieux : celui où le barde est convié par le noble rajput à réciter, et rétribué par lui, et où l’auditoire est composé de Rajputs qui siègent en assemblée dans un palais. Dans ce contexte, les hommes sont présents dans la salle, tandis que les femmes écoutent à l’étage, regardant la performance à travers des moucharabiés25.

  • 26 Pandey, Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki, op. cit., p. 24. Tradui...

30Lorik est un grand héros. Mais cela n'autorise pas la transgression des frontières des castes. Il n'est qu'un membre de la caste des Ahirs – “caste de service” de paysans sans terre, au service des Rajputs. La fin souligne l'humilité de sa position. À son retour au village avec Canda, Lorik fait subir un test de fidélité à son épouse Maina-Manjari, et le test étant concluant, il la garde à ses côtés. Mais on insiste sur le fait que Lorik n’est pas destiné à jouir d’un bonheur domestique. Le père de Canda, qui n’accepte pas que sa fille ait conclu un second mariage, et de plus, avec un simple bouvier – même s’il s’agit d’un guerrier connu pour sa bravoure – vient enlever le bétail de Lorik en représailles. Celui-ci tente de remettre la main sur ses troupeaux, mais s’aperçoit qu’il n’a plus la force de sa jeunesse, et que son bras ne lui répond plus. Il perd alors toute sa fortune. Le barde conclut par ces stances26 :

Un hindou retourne au Gange après sa mort, un musulman est voué à la tombe
O Bonne déesse, tu m’as abandonné
Quel épisode chanter maintenant ? Je suis perdu !
En ce jour, pourquoi m’as-tu oublié
.

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31Cependant, il faut voir ici un langage à double sens, où le barde déplore à mots couverts, sans pouvoir exprimer davantage de révolte, le statut subalterne de l’Ahir, qui peine à arracher aux castes supérieures la possession du bétail et de la terre.

  • 27 Pandey, Shyam Manohar, Bhojpuri Lorikî, Naples et Allahabad, Instituto Uni...

327°. Longtemps récitée par les castes de service, au profit de patrons rajputs, l’épopée de Lorik est passée dans le répertoire d’organisations politiques et culturelles. Elle est également récitée lors de grands rassemblements de caste, tels que la Benaras Yadava Sangha, ou les branches locales de la All India Yadava Mahasabha27. Il s’agit le plus souvent pour le public militant et désireux de hausser le statut des Ahirs dans la hiérarchie des castes, en appelant un barde pour donner à entendre et exalter l’héroïsme de toute une caste.

  • 28 Pandey, Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki, op. cit., p. 377-378. T...

33Dans ces instances de caste, deux fins sont proposées. Selon la première, le bras de Lorik ne lui répondant plus, il se rend au bord de la rivière, où il commandite des sessions de chants religieux pendant six mois. Au bout des six mois, il commande à ses deux fils d’installer un bûcher. Puis, il s’immole lui-même sur ce bûcher28 :

Ici même, Lorik laissa derrière lui toute la fortune conquise à Gaura
Et fit transporter des feuillages et des herbes kus
Que l’on trouve au bord de la rivière Bevara
Avec l’aide de ses fils
Il en porta lui-même sur son dos
Une hutte fut fabriquée. Les enfants partirent
Et Lorik entama une série de bhajans, matin et soir
Au bord de la rivière,
Qui dura une période de six mois
Alors Lorik appela ses enfants, les faisant revenir de Gaura
Ils allèrent couper des branches d’arbres dans un verger
Ils en rassemblèrent pour faire un bûcher
Sur ce bûcher, je serai réduit en cendres
Et j’obtiendrai ma libération
Ses fils installèrent un bûcher au bord de la rivière
Ils jetèrent aussi du bois de santal dans le bûcher
Les fils préparèrent le bûcher
Et on y mit le feu
Il périt dans les flammes, au bord de la Bevara.
.

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  • 29 On demandait aux sati royales et nobles de traverser la ville à cheval en ...

  • 30 Voir à cet égard le chapitre de Kabir intitulé “De la bravoure” où il exho...

34La motivation pour chanter le Lorik dans les assemblées de caste vient du fait que le héros a su s’élever dans la société, accéder à un statut qui égale celui des Rajputs – ou du moins, s’en qu'il rapproche, par le nombre de terres et de forts qu’il a conquis –, et s’octroyer une épouse rajput. Par conséquent, son héroïsme doit égaler, voire surpasser celui des Rajputs (qui sont à la fois les patrons des bardes Ahirs et les employeurs de main d’œuvre agricole Ahir). Parmi ces assemblées de castes, certaines – années 1930 – permettent de porter les revendication des Ahirs, rendant compte du contexte de rivalité qui régit la relation Subalterne Ahir / Patron Rajput dans la société indienne. Dans ce contexte, le public a besoin de figures phares pour asseoir une identité de caste héroïque incontestable. C'est le rôle de cette fin, qui convoque deux modèles connus et importants. Le premier est celui du rajput qui accomplit un suicide rituel au combat, habillé de blanc. Le deuxième est encore plus puissant : c'estl’image de la sati, la femme héroïque qui s’immole par le feu, et à qui on demande de montrer qu’elle est volontaire29. C'est là l’emblème le plus fort de la bravoure dans toute la société hindoue30. Cette fin tragique de Lorik ne peut que susciter l’admiration des autres castes en général, et des castes de grands propriétaires terriens en particulier.

  • 31 Ici, il l’appelle simplement Manjari.

  • 32 Pandey, Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki, op. cit., p. 377-378. T...

35Mais cette fin montre aussi qu’au soir de sa vie, Lorik confie à Maina-Manjari31 la mission de gérer les terres qu’il a réussi à s’approprier32 :

Alors le héros Lorik appela Manjari à ses côtés
Il appela ses trois fils
Il appela aussi sa famille et son clan à ses côtés et dit à Manjari
Emporte ces grains et ces richesses au bazar de Kanauj
Emporte aussi les vaches de ces pâturages ; ne compte plus sur moi
Sous le coup de la douleur, Manjari, chavirée, pleura
Mais quel destin ainsi m’attend, ô mon époux ? De qui tirerai-je ma force ?
Tu coules mon navire à cette étape de ma vie
Alors Lorik prit du temps pour lui parler :
Manjari, mes trois fils sont nés à Gaura
Et je les ai vus combattre sous mes yeux à Pipari
Eux qui sont nés dans cette lignée, ces chers enfants,
Sauront la faire croître et resplendir, matin et soir
Emmène nos trois fils à Gaura
Rassemble la ville et gouverne-la
Les trois fils s’en retournèrent à Gaura
Manjari passait beaucoup de temps à pleurer
Les vaches furent ramenées du village de Pipari
Nanhu les fit paître dans les champs
Manjari la vachère réunit les habitants et gouverna
Ainsi les choses prirent fin
Des chevaux furent installés dans les écuries
Manjari ne connut plus l’adversité, matin et soir
Avec ce passage que vous avez entendu,
Mes amis, ainsi prend fin l’histoire de Lorik.

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36Cette fin aussi montre plus de subtilité qu'il n'y paraît.

  • 33 Jaoul, Nicolas, Chapitre 8, Le militantisme dalit dans la région de Kanpur...

  • 34 Vaudeville, Charlotte, Cours sur la Candayan de Mulla Daud, Paris, La Sorb...

37Il faut revenir d'abord sur la composition du public des assemblées de caste pour le comprendre. Certes, ces assemblées sont majoritairement masculines. Nicolas Jaoul explique ce trait par le fait qu’elles font appel à l’élite, et ont un caractère professionnel accentué33 Le peu de femmes qui s'y trouvent doivent être issues de hautes sphères de l’administration indienne (Indian Administrative Service) pour être cooptées et pour siéger. Mais cela signifie aussi que l’accès au public féminin n’est pas interdit, et de fait on voit toujours des saris colorés dans les premiers rangs contraster avec les vêtements masculins noirs et blancs de l’ensemble des membres. C'est sans doute important. Cette fin en effet donne le pouvoir à Manjari. Tout d’abord, elle la montre en gagnante sur Canda : de Canda et du fils qu’elle a eu après son séjour en forêt avec Lorik, il ne sera plus question ; ne demeurent en scène que Manjari et ses trois fils, conçus à Gaura. Ensuite, on voit que dans cette société où l’homme est souvent absent, parti se louer dans un service (naukri), et où la gestion des affaires courantes repose sur les femmes, un hommage est rendu à la femme Ahir. Comme l’avait souligné Charlotte Vaudeville, la femme Ahir, dans son rôle de responsable de la production et de la vente du lait, jouit en Inde d’une relative liberté de mouvement et de déplacement par rapport à d’autres castes34

  • 35 Roy Chaudhury, P.C., Folk Tales of Bihar, New Delhi, Sahitya Akademi, 1968...

38Mais une autre fin est parfois audible. Selon une seconde variante, Lorik, à son retour chez lui, s’engage un peu hâtivement dans une politique de valorisation intensive des terres arides, pour laquelle il déloge et extermine un grand nombre d’insectes, d’oiseaux, et d’animaux des champs et forêts. Les animaux se plaignent au dieu Indra, qui ne parvient pas à les venger, car il ne parvient pas à prendre Lorik sur le fait. Les animaux cherchent alors à assurer eux-mêmes leur revanche, et une fois les champs fertilisés, ils se rassemblent pour détruire toutes les récoltes obtenues. Lorik se voit ruiné. Après cette infortune, il se rend à Bénarès avec sa famille et ses amis, et là, dans la ville sainte, tous sont transformés en pierres35. Le barde (qui est issu de la caste des Ahirs, très respectueuse du bétail et de l’environnement naturel) se livre alors à un discours sur le bon usage des terres, servant de pédagogie, et de mise en garde sur les équilibres à maintenir et les écosystèmes à respecter. Il en va de la survie de la communauté des Ahirs qui non seulement ne sont pas propriétaires de terres, mais – dans cette version – ne savent pas non plus les exploiter.

39Je laisse de côté ici la version Sati Maina Manjari qui prend pour principale héroïne Maina-Manjari en faisant référence au caractère exemplaire de cette épouse. Dans cette trame, c’est elle qui sert d’exemple et de modèle. En effet, son public reste à établir.

40Les fins données à l’ensemble des quatre épisodes d’une geste assez stable par ailleurs sont donc très nombreuses, et on aura vu à quel point elles sont éloignées les unes des autres, allant de la plus heureuse (Lorik ayant guerroyé et fait fortune rentre avec son amante au village, où il retrouve son épouse délaissée), à la plus tragique (Lorik s’immole sur le bûcher).

Conclusion

  • 36 Delvoye, Françoise Nalini, “Poésie lyrique en performance dans les assembl...

  • 37 Le Gargasson, Ingrid et Shara, Sudanshu, “Chant et émotion : le concept de...

  • 38 Novetzke, Christian Lee, “Note to Self : What Marathi Kirtankars’ Notebook...

41Dans la tradition indienne, on peut considérer qu’il est d’autres cas où le public influe sur la performance. C’est le cas, notamment, dans le domaine musical. Françoise Nalini Delvoye, qui étudie les performances de chants soufis du sanctuaire de Nizamuddin Auliya à Delhi, montre bien que le concert soufi se construit dans l’interaction interprètes/public. Les musiciens anticipent sur le goût du public : le chanteur observe à quel moment l’émotion se fait dans le public ; en sens inverse, l’audience corrige les paroles des chants si elle considère qu’il y a un mot de travers36. De même pour le style de musique dit “khyal”, Ingrid Le Gargasson37 note bien que “c’est l’interaction entre l’auditeur et l’artiste qui participe au développement d’une belle performance”. Christian Novetzke, lui, décrit des séances de chants kirtans pendant lesquelles un “performer”, ou kirtankar, chante, debout, tandis que le public, assis, “participe de plusieurs façons, chantant avec le performer, finissant les vers bien connus en même temps que lui, et parfois, interagissant avec lui”38. C'est que la dimension chantée de la tradition orale – mais aussi de l’épopée – facilite la participation et l’intervention du public.

42Comme le chant, l'épopée permet en effet la transformation en fonction de l'auditoire. Les sept versions que nous avons vues montrent une adaptation au public. La spécificité de l'épopée, cependant, c'est peut-être de poser à partir de là trois questions : celle de la Kshatriyasation ou Rajputisation, celle de la transgression et celle de la construction d'un “nous”.

  • 39 Processus d’ascension sociale qui s’appuie sur l’imitation des hautes cast...

  • 40 Srinivas, M. N., Religion and Society amongst the Coorgs of South India, O...

  • 41 Kulke, Hermann, “Convergence of Kshatriyazation and Tribalization : Countr...

  • 42 Sinha, Surajit, “State Formation and Rajput Myth in Tribal Central India”,...

  • 43 Hens, Sander, “Deluded by lust : challenging the experience of sexual and ...

  • 44 Kumar, Ashwani, Community Warriers : State, Peasants and Caste Armies in B...

43Cette épopée émanant des Ahirs pose en effet la question de la Kshatriyasation. Le concept de Kshatriyasation ou Rajputisation, fait pendant au concept de Sanskritisation39 proposé par Srinivas40. Selon Herman Kulke41, le concept de Rajputisation ne se confine pas à l’imitation, mais se réfère à un processus de changement social. On utilise un statut de Kshatriya pour légitimer un pouvoir42 Or la construction de l’image du roi, figure qui relève de la caste kshatriya par excellence, telle qu’elle est définie par Sander Hens43, irradie la structure du Lorik. Après avoir formé ses alliances matrimoniales, il se doit d’entretenir des courtisanes et on voit ainsi l’évolution de l’entrée en scène des personnages féminins dans l’épopée. Mais comme nous l'avons vu à plusieurs reprises, le travail sur l'épopée permet plus de subtilité. Le statut de Kshatriya n’est pas pleinement assumé, des ambiguïtés demeurent, et en fait de courtisane lettrée, c’est une tenancière de cabaret qui paraît. L'important pour nous est que, selon les publics, la Kshatriyasation de la figure de Lorik est valorisée ou censurée. Comme l’a montré l’étude d’Ashwani Kumar sur les milices de l’Inde du Nord (sena), et surtout du Bihar, ces forces armées recrutées par les propriétaires terriens agissent encore en toute impunité. La nouveauté est que les milices des Ahirs, soutenus par les Dalits et les Naxalites, ripostent. Une milice armée, la Lorik Sena existe d’ailleurs chez les Ahirs, depuis 1983, et elle ne se fixe pas seulement des buts chevaleresques, alors même qu’elle porte le nom de Lorik44. Plus que jamais, avec les avancées sociales dont ont bénéficié les Ahirs depuis l’accession au pouvoir de leur leader Lalu Prasad Yadav, comme Premier Ministre du Bihar, et depuis la nomination de ministres Ahirs comme Mulayam Prasad Yadav en Uttar Pradesh, l’épopée garde son caractère provocateur, en permettant à certains publics d'exprimer leur revendication.

  • 45 Voir sur ce sujet, à paraître, les Actes du Congrès du Réseau Européen Afr...

  • 46 Encore que, dans les années 1930, on peut lire, dans les mémoires d’un Bra...

44Au-delà de notre description, se pose alors, au centre des possibles variations de fins d’épopée, la question de la transgression. L’épopée présente souvent une contradiction. Elle déroule sa trame autour de transgressions commises, et invite à voir (ou plutôt à entendre) comment on va s’en sortir45. Or certaines transgressions apparaissent possibles, et d’autres, non. Dans certaines versions, le héros ne paie pas ses transgressions. Une comparaison avec les pratiques matrimoniales d’Alha et Udal, héros du cycle de légende des 52 batailles, montre qu’ils ne subissent aucun revers de fortune après avoir réussi l’alliance avec les clans de rajputs de Kanauj dont ils ont épousé les filles. Et pourtant, ce sont d’obscurs Banaphar (un clan rajput un peu clandestin de la forêt). Donc l’alliance avec une fille de plus haut statut reste possible. Le mariage de la femme également, s’il n’est pas consommé, ne formera pas d’obstacle. En revanche, l’interdit de frère et sœur de village reste incontournable46. Le public n’est pas censé le tolérer.

  • 47 Baumgardt, Ursula, 2000, Une conteuse peule et son répertoire, Paris, Kart...

  • 48 Jean Derive se demande comment peut s’envisager la question du sujet de l’...

45La dernière question est celle de la“culture du nous”. Est-ce que l’épopée, comme le fait par exemple le conte peul étudié par Ursula Baumgardt, fabrique une “culture du nous, en mêlant les deux voix, celle du barde, et celle du public”47, ou au contraire ne voyons-nous pas dans ces initiatives et prérogatives du public une aggravation des limites de l'individualité propre et de l'innovation de l’énonciateur, bien décrites par Jean Derive48 ? N’enlevons-nous pas alors à l’énonciateur sa “créativité”, la direction du scénario, la direction de la trame romanesque, autant d’éléments qui font tout le sel et toute la popularité de l’épopée ? Réintroduire l’influence de l’auditoire permet cependant de revenir aux fondements du travail épique et au régime de l’oralité/auralité, dans lequel “ce qui est énoncé apparaît comme l’expression d’une propriété verbale collective à l’occasion d’une performance donnée”.

  • 49 Kalinowski, Isabelle, “Hans-Robert Jauss et l’esthétique de la réception. ...

  • 50 Le questionnement sur la réception littéraire dans lequel s’inscrit Jauss ...

46Bien évidemment, on ne peut “réduire” le contenu d’une fin d’épopée à son public. Il est difficile, aussi, de bien identifier les raisons des choix et orientations du public, car on ne fait sans doute pas assez intervenir cette dimension lors de nos enquêtes anthropologiques. Mais de même que dans sa vision de l’esthétique de la réception, Hans-Robert Jauss place le lecteur au centre de la théorie littéraire49, placer l’auditoire au cœur du travail épique ouvre un autre volet de la dynamique réception/création 50.

Notes

1 Le Blanc, Claudine, “Temps de malheurs et destins désastrés. Échos de la colonisation britannique dans les ballades collectées par John Fleet”, in Anne Castaing, Lise Guilhamon, Laetitia Zecchini, (eds.), La modernité littéraire indienne. Perspectives postcoloniales, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, p. 101.

2 Flueckiger, Joyce, “He should have wore a sari, a Failed performance” in Frank Korom, ed. Anthropology of Performance, a Reader, Blackwell, 2013, au chapitre 10.

3 Prénom du héros de la geste éponyme. On retrouve également cette geste sous le nom de Lorik Chanda, Lor Chanda, Chandaini ou Mainasat.

4 Flueckiger, Joyce B., “Caste and Regional Variants in an Oral Epic Tradition”, in Stuart Blackburn et al, Oral Epics in India, Berkeley, University of California Press, 1989, p. 54.

5 Flueckiger, Joyce, ibidem.

6 Flueckiger, Joyce, “He should have wore a sari…”, op. cit.

7 Schomer, Karine, “The Audience as Patron : Dramatisation and Texture of a Hindi Oral Epic Performance”, in Joan Erdman, (ed.), Arts Patronage in India : Methods, Motives and Markets, New Delhi, Manohar, 1992, p. 47-88.

8 Ibid, p. 87, je traduis.

9 Ainsi, par exemple, que ce soit pour assister à la performance, ou acheter le contenu imprimé de l’épopée, le public indien du nord est le plus souvent essentiellement masculin, mais il arrive aussi, surtout dans le cadre des villages, que les femmes participent au public.

10 Les passages souvent demandés par tous les publics sont ceux qui comportent une dimension émouvante, voire déchirante, et une action difficile à accomplir, comme le moment solennel du renoncement à la vie ordinaire par le mystique, ou celui de prendre les armes et de partir au combat. Les passages dramatiques, comme le combat fratricide dans le mariage d’Alha, ou la déchéance de caste du lutteur Posan Singh, dans l’épopée d’Hirni-Birni, sont plus demandés par le public masculin des castes pastorales et martiales. Moi-même, en tant qu’auditrice étrangère, et travaillant sur l’oralité, j’ai eu la possibilité de participer à tous les publics, même strictement masculins, malgré la déception souvent énoncée venant du fait que j’étais universitaire et non journaliste. J’ai pu accéder également aux petites voitures de quatre saisons de vente des contenus imprimés des épopées, dont les femmes ne s’approchent pas, car on y propose également de petits traités d’érotisme.

11 Avoir une servante a failli perdre Canda, par exemple, car la déloyale domestique l’a dénoncée à ses parents lorsqu’elle a compris que Lorik s’était introduit de nuit dans sa chambre.

12 Narayan, Badri, Documenting Dissent. Contesting fables. Contested Memories and Dalit Political Discourse, Simla, Institute of Advanced Studies, 2001.

13 Mac Gregor, Ronald Stuart, “The Lorik and Cândâ Tales”, dans Hindi Literature from its beginning to the 19th century, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, (A History of Indian Literature, vol. VIII, fasc. 6), 1984, p. 14-15.

14 À savoir, la période de collecte des linguistes et administrateurs coloniaux britanniques, la période de collecte des folkloristes indiens qui suit l’indépendance, et enfin, le renouveau des langues régionales dans un mouvement d’opposition à l’impérialisme de l’hindi, cf. Servan-Schreiber, Catherine, “Folklore/Littérature/orature. Frontières et cloisonnements dans l’histoire littéraire indienne”, in Claire Joubert et Laetitia Zecchini, (éds.), Problèmes d’histoire littéraire indienne, Revue de littérature comparée, octobre-décembre, 2015, p. 447-459.

15 Sinha, Satyavrata, Bhojpuri Lokgatha, Allahabad, Hindustani Akademi, 1957.

16 Pandey, Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki, Allahabad, Sahitya Bhavan, 1979, p. 20.

17 Pandey, Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki, Allahabad, Sahitya Bhavan, 1979

18 Coccari, Diane, “The Bir babas of Banaras and the Deified Dead”, in Alf Hiltebeitel (eds.), Criminal Gods and Demon devotees. Essays on the Guardians of Popular Hinduism, New York, state University of New York, 1989, p. 251-269.

19 Voir George Grierson, “The Birth of Lorik (magahi)”, Bulletin of the School of Oriental Studies of London, vol. 5, n° 2, 1929, p. 591-599.

20 Mulla Daud, La Candayan, Mataprasad Gupta (éd.), Agra, Pramanik Prakashan , 1967 [1379].

21 Sreenivasan, Ramya, “Warriors-Tales at Hinterlands Courts in North India, c. 1370-1550”, in Francesca Orsini and Samira Sheikh, eds., After Timur left. Culture and Circulation in Fifteenth Century India, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 242-272.

22 Elwin, Verrier, The Muria and their ghotul, Delhi, Oxford University Press, 1947, Carrin, Marine, La fleur et l’os. Symbolisme rituel chez les Santals, Cahiers de l’Homme, 1986, et Le parler des Dieux. Le discours rituel santal entre l’oral et l’écrit (Inde), Nanterre, Société d’Ethnologie, 2016.

23Happy was Chandeni by his side
She had got him, got the man of her dreams
No more tears will she have
And no more of sorrowful brooding
She will not have restless nights.
Her passions have got their reward.
That fire will burn her no more.
She has got her Lorik by her side
The craving of youth will burden her no more
Happy indeed is she,
She has got her Lorik, the man of her dreams!

(Extrait de Verrier Elwin, “Chandeni”, dans S.C. Dube, Field Songs of Chhattisgarh, Lucknow, The Universal Publishers, 1947, Folk Culture Series, p. 48, je traduis de l’anglais.)

24 Flueckiger, Joyce Burkhalter, Gender and Genre in the Folklore of Middle India, Cornell University Press, Cornell Paperbacks, Ithaca and London, 1996, p. 136.

25 Pandey Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki Allahabad, Sahitya Bhavan, 1995.

26 Pandey, Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki, op. cit., p. 24. Traduit du bhojpuri par C.Servan-Schreiber.

27 Pandey, Shyam Manohar, Bhojpuri Lorikî, Naples et Allahabad, Instituto Universitario Orientale et Sahitya Bhavan, 1995b, et Servan-Schreiber, Catherine, Chanteurs itinérants en Inde du Nord. La tradition orale bhojpuri, Paris, L’Harmattan, 1999.

28 Pandey, Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki, op. cit., p. 377-378. Traduit du bhojpuri par C.Servan-Schreiber.

29 On demandait aux sati royales et nobles de traverser la ville à cheval en se regardant dans un miroir pour faire preuve de maîtrise et de bonne contenance (cf. Weinberger-Thomas, Catherine, Cendres d’immortalité. La crémation des veuves en Inde, Paris, Le Seuil, 1996.) ; sur la sati voir aussi Fourcade, Marie, “Compte-rendu de Catherine Weinberger-Thomas, Cendres d’immortalité. La crémation des veuves en Inde”, Annales, vol. 54, n° 3, 1999, p. 795-797.

30 Voir à cet égard le chapitre de Kabir intitulé “De la bravoure” où il exhorte les dévots à suivre l’exemple de la sati, dans le Kabir Granthavali Doha (Vaudeville 1957).

31 Ici, il l’appelle simplement Manjari.

32 Pandey, Shyam Manohar, The Hindi Oral Epic Loriki, op. cit., p. 377-378. Traduit du bhojpuri par C.Servan-Schreiber.

33 Jaoul, Nicolas, Chapitre 8, Le militantisme dalit dans la région de Kanpur (U.P.), Thèse de 3ème cycle de l’Ehess, Paris, 2004.

34 Vaudeville, Charlotte, Cours sur la Candayan de Mulla Daud, Paris, La Sorbonne, EPHE IVe section, Annuaire des Cours 1970-1971.

35 Roy Chaudhury, P.C., Folk Tales of Bihar, New Delhi, Sahitya Akademi, 1968, p. 97.

36 Delvoye, Françoise Nalini, “Poésie lyrique en performance dans les assemblées poétiques et musicales soufies : l’exemple du sanctuaire de Nizamuddin à New Delhi”, Communication à la Journée d’Étude Performances de la littérature en Asie du Sud. Théorie et usages des émotions, DELI, Paris, 8 juin 2017.

37 Le Gargasson, Ingrid et Shara, Sudanshu, “Chant et émotion : le concept de rasa chez les musiciens hindoustanis contemporains”, Communication à la Journée d’Étude Performances de la littérature en Asie du Sud. Théorie et usages des émotions, DELI, Paris, 8 juin 2017.

38 Novetzke, Christian Lee, “Note to Self : What Marathi Kirtankars’ Notebook suggest about Literacy, Performance and the Travelling Performance in Pre-Colonial Maharashtra”, in Francesca Orsini and Katherine Butler Schofield, eds., Tellings and Texts. Music Literature and Performance in North India, Cambridge, Open Book Publishers, 2015, p. 172. On peut également penser aux travaux de Daud Ali qui analyse le contenu d’inscriptions royales tamoules gravées sur les murs des temples à la période médiévale. Il explique que leur contenu varie selon qu’elles sont destinées à un public restreint de cour, à des notables locaux, à des témoins de cérémonies, voire même, à de futurs publics, offrant ainsi une technologie qui permet de recenser autant de messages royaux, et procure alors “une autre voix” aux écrits du souverain. Ali, Daud, “The Spread and Appropriation of Courtly Technologies in Medieval India”, Journée d’Étude Raja-mandala. In the King’s Circle, CEIAS, Musée du Quai Branly, 9 juin 2017.

39 Processus d’ascension sociale qui s’appuie sur l’imitation des hautes castes, et notamment, de la caste des Brahmanes.

40 Srinivas, M. N., Religion and Society amongst the Coorgs of South India, Oxford, Clarendon Press, 1952.

41 Kulke, Hermann, “Convergence of Kshatriyazation and Tribalization : Country Rituals in Odisha », Journée d’Étude Raja-mandala. In the King’s Circle, CEIAS, Musée du Quai Branly, 9 juin 2017, voir aussi

42 Sinha, Surajit, “State Formation and Rajput Myth in Tribal Central India”, Man in India, 42-1, 1962, p. 35-80.

43 Hens, Sander, “Deluded by lust : challenging the experience of sexual and martial pleasure in the performance of Rajput poetry in Tomara Gwalior”, Communication à la Journée d’Étude Performances de la littérature en Asie du Sud. Théorie et usages des émotions, DELI, Paris, 8 juin 2017.

44 Kumar, Ashwani, Community Warriers : State, Peasants and Caste Armies in Bihar, Anthem Press, 2008a et Kumar, Ashwani, “No gentlemen in this army”, The Hindu, 6th june 2008b.

45 Voir sur ce sujet, à paraître, les Actes du Congrès du Réseau Européen Africain d'Études sur les Épopées (REARE), 2018 : L'Épopée et la transgression.

46 Encore que, dans les années 1930, on peut lire, dans les mémoires d’un Brahmane, le portrait de deux jeunes gens du même village, de statut différent, qui se sont enfuis à la ville pour pouvoir se marier, et n’ont pas été inquiétés (Upadhaya, Krishna Dev, Mémoires du Gange 1930, Paris, Riveneuve éditions, 2012). De tels cas existent, mais ils ne connaissent pas toujours une issue aussi pacifique.

47 Baumgardt, Ursula, 2000, Une conteuse peule et son répertoire, Paris, Karthala.

48 Jean Derive se demande comment peut s’envisager la question du sujet de l’énonciation dans le cas de la production de littérature orale où l’interprète n’est pas nécessairement considéré comme l’auteur du discours qu’il profère (Derive, Jean, Du sujet de l'énonciation dans la littérature orale africaine”, in D. Delas et P. Soubias, (eds) Le sujet de l'écriture africaine, Univ. Toulouse Le Mirail, 2001, p. 44-53). Voir le résumé qu’en donne Caroline Déodat (Déodat, Caroline, Troubler le genre du “séga typique”. Imaginaire et performativité poétique de la créolité mauricienne, Thèse EHESS, Paris, 21 juin 2016, p. 47-49).

49 Kalinowski, Isabelle, “Hans-Robert Jauss et l’esthétique de la réception. De l’histoire de la littérature comme provocation pour la science de la littérature (1967) à l’Expérience esthétique et herméneutique littéraire (1982)”, Théorie de la littérature, 8, 1997, p. 151-172.

50 Le questionnement sur la réception littéraire dans lequel s’inscrit Jauss trouve ses débuts dans les années 1940, Kalinowski, ibid.

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Pour citer ce document

Catherine Servan-Schreiber, «Adaptabilité de l’épopée en fonction du public : le cas de Lorik (Inde du Nord)», Le Recueil Ouvert [En ligne], mis à jour le : 09/11/2023, URL : http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/279-adaptabilite-de-l-epopee-en-fonction-du-public-le-cas-de-lorik-inde-du-nord

Quelques mots à propos de :  Catherine  Servan-Schreiber

Après une spécialisation en littératures médiévales indiennes (EPHE IVe section), Catherine Servan-Schreiber, chercheur au CEIAS (CNRS/EHESS), s’est consacrée à l’étude de la transmission des épopées bhojpuri sous leur forme orale et de livret de colportage. Elle a édité le volume collectif Traditions orales dans le monde indien, Purusartha (1995), et elle est l’auteur de l’ouvrage Chanteurs itinérants en Inde du Nord. La tradition orale bhojpuri, Paris, L’Harmattan (1999). S'intéressant au statut de l'oralité en Inde, elle a publié l'article "Folklore/littérature/oratureFrontières et cloisonnements dans l’histoire littéraire indienne" dans le numéro de la Revue de Littérature Comparée consacré aux Problèmes d'Histoire littéraire indienne, édité par Claire Joubert et Laetitia Zecchini en 2015. Elle enseigne les gatha et premakhyan, textes mystiques Nath et soufis de l’Inde (XII°-XVI° siècles) et les répertoires épiques bhojpuri dans le cadre du master Oralité de l’INALCO.