Epopée, Recueil Ouvert : Section 5. Thèses, travaux en cours
Réinventer les communautés dans le récit de leur crise : Blanche ou l’oubli d’Aragon (1967), Heimatmuseum de Siegfried Lenz (1975) et Horcynus Orca de Stefano d’Arrigo (1978)
Résumé
Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’Europe connaît de grands bouleversements qui impliquent de repenser les modalités d’appartenance à un lieu et à une communauté. Cette crise politique se trouve au cœur de Blanche ou l’oubli d’Aragon (1967), Horcynus Orca de Stefano d’Arrigo (1975) et Heimatmuseum de Siegfried Lenz (1978). Les trois romans peuvent être qualifiés d’épiques en ce que leur narration travaille à l’invention d’une solution. Au fil de leur long récit, ils se libèrent en effet des idées préconçues : dans la confrontation et le maintien de plusieurs points de vue antinomiques s’élabore alors une conception nouvelle de la communauté et de son lien avec le territoire.
Abstract
"Reinventing communities through their crises stories: Blanche ou l’oubli of Aragon (1967), Heimatmuseum of Siegfried Lenz (1975) and Horcynus Orca of Stefano d’Arrigo (1978)"
Disruptions happening in Europe over the second half of the 20th century resulted in a need for rethinking what makes one belong to a place and a community. Blanche ou l’oubli of Aragon (1967), Heimatmuseum of Siegfried Lenz (1975) and Horcynus Orca of Stefano d’Arrigo (1978) are embodying such a political crisis. These three novels can be categorised as ‘epic’, in the sense that their narrative is progressing towards the creation of solutions. Over their narratives, they are getting rid of preconceived ideas. Indeed, they are designing a new concept of what a community is and what its links with territories are through the confrontation and the maintaining of paradoxical perspectives.
Texte intégral
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1 Voir Dubar, Claude, La socialisation : Construction des identités sociales ...
1Religieuse, amoureuse, politique : la communauté se définit par „tout ce qui est confiant, intime, vivant exclusivement ensemble”1. Groupe d’individus formant un ensemble, elle s’organise autour d’un dénominateur commun qui la charpente et motive les rapports de ses membres en son sein.
2Nous nous intéresserons dans cet article à la communauté comme foyer, notamment formée autour du sentiment d’appartenance à une terre natale. Dans la seconde moitié du XXe siècle, la mémoire des dérives du nationalisme, les migrations et l’accélération des moyens de communication avec les médias de masse compliquent la transparence du lien avec son territoire. Le caractère problématique du mythe de l’autochtone en Europe remet en question les „communautés de la terre”. La possibilité d’une communauté transnationale proposée par le modèle communiste est également contestée lors de la révélation des crimes de Staline en 1956.
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2 Goyet, Florence, „L’épopée refondatrice : extension et déplacement du conce...
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3 Vinclair, Pierre, De l'épopée et du roman : Essai d’énergétique comparée, R...
3C’est cette crise européenne que cherchent à traiter Aragon, Stefano d’Arrigo et Siegfried Lenz dans Blanche ou l’oubli (1967), Horcynus Orca (1975) et Heimatmuseum (1978). Les trois romans problématisent les conflits qui menacent la cohésion des communautés : au sein de la narration, la confrontation de nombreuses voix dissonantes constitue un outil avec lequel le texte littéraire travaille à penser la crise. En déplaçant les catégories génériques habituelles, nous mettrons les trois romans à l’épreuve de la catégorie de travail épique développée par Florence Goyet2 pour étudier en quoi ils n’opèrent pas à l’éclatement des consciences individuelles mais à leur réunion au sein d’un nouveau modèle politique créé dans et par le récit3.
I. Le récit de la communauté en crise
4Blanche ou l’oubli, Heimatmuseum et Horcynus Orca racontent le devenir de communautés triplement menacées d’anéantissement par la violence guerrière, le rapport de force entre leur identité particulière et leur intégration dans une structure étatique surplombante, et enfin par les tensions internes qui les traversent.
A) L’invasion et le déracinement
5Les invasions étrangères constituent le premier facteur de crise. Dans les trois romans, la guerre cause la perte violente de la terre natale : cette dépossession se traduit de manière concrète par l’exil ou par le saccage et la perte d’autonomie politique. Arrachées à leur monde quotidien, les communautés se trouvent ainsi confrontées à la destruction de l’ordre qui leur était constitutif.
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4 „Qu’est-ce que c’est que ces gens-là, un collège de vieillards ? Pas tous. ...
6La perte du foyer, l’un des thèmes majeurs de Blanche ou l’oubli, est abordée de biais dans le roman au moyen d’une série d’anecdotes qui fonctionnent sur le plan sémantique comme des métonymies. Le récit de la débandade de 1940 condense par exemple puissamment le motif du déracinement : contraints d’abandonner l’asile pour échapper à l’armée allemande, les anciens internés fuient sur les routes de France en une longue et pathétique file désorganisée4. La description de ce cortège éperdu s’articule avec un savant emboîtement de souvenirs qui évoquent la colonisation de l’Indonésie, la Grèce ottomane et leurs luttes pour l’indépendance. Les remémorations du narrateur joue ainsi le rôle d’un fil rouge autour duquel l’auteur construit un réseau dense de références renvoyant aux conquêtes des empires en extension et à la souffrance des populations qui ne sont plus maîtresses en leur demeure.
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5 Le contrôle de la Sicile, interface d’échange entre le continent africain e...
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6 „Quel pescatore, tanto per dirne uno, che si dichiarò ormai per sempre sces...
7La dépossession du territoire s’effectue au sens figuré dans Horcynus Orca : les habitants du Détroit de Messine ne perdent pas leur village dans sa matérialité mais se voient privés de leur autonomie politique. Les armées de l’Axe et de l’Alliance5, en interdisant de prendre la mer et en réquisitionnant les barques, privent les villageois de leur pouvoir de décision et de leur outil de travail. Ce bouleversement a les mêmes conséquences violentes qu’un déracinement pour la communauté. Le cours du quotidien se trouve soudain bouleversé de telle façon que le cours normal des événements s’inverse6. Le mouvement antithétique du pêcheur descendu de barque pour monter à cheval, rend bien compte de la progressive dénaturation des habitants depuis l’invasion des troupes étrangères.
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7 Conquise aux Polonais au 13ème siècle, la Mazurie fit partie de l’ancienne ...
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8 „Siehst du : was da unterging und starb, war nicht allein die Hälfte unsere...
8En Mazurie, la guerre est une composante du quotidien : région frontalière7, son identité s’est construite dans la succession des invasions. La politique offensive de germanisation menée sous le IIIe Reich est cependant d’une telle ampleur qu’elle rompt l’équilibre culturel du territoire et rend impossible toute cohabitation ultérieure des cultures slaves et germaniques. Lorsque l’armée russe s’empare de la Mazurie en 1945, la population allemande est donc contrainte à l’exil. Le naufrage en mer Baltique d’un navire chargé des objets traditionnels mazures8 symbolise l’aspect grave et irrémédiable de la perte de la terre natale. Les Mazures allemands forment dans l’Allemagne de l’Ouest une communauté sans terre, en exil dans un pays qui les accueille, dont ils parlent la langue et partagent la nationalité mais qui n’est pas leur paysage natal.
B) Tensions et politiques linguistiques
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9 Pour le caractère imaginaire de la nation et la nécessité de symboles pour ...
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10 Sur la politique linguistique d’Hitler, voir la scène de germanisation des...
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11 Franz Rosenzweig, cité par Victor Klemperer en exergue de Lingua Tertii Im...
9Un autre conflit se joue dans l’articulation problématique des identités régionales avec une entité politique surplombante. Nous prendrons pour exemple les politiques linguistiques entreprises au niveau national en Allemagne et en Italie. La formation tardive de ces nations impose un travail d’unification du territoire pour créer au sein de la multitude disparate des régions un sentiment d’appartenance à une même identité nationale9. Les politiques linguistiques jouent un rôle central dans cette entreprise10. „La langue est plus que le sang”11 : elle structure puissamment les imaginaires des communautés, et constitue en cela un enjeu social majeur.
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12 Chez Dante, fiera désigne la bête ; le terme vient du latin ferus, animal ...
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13 Du grec δελφίν, repris en latin par delphin (attesté chez Ovide et Virgile).
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14 Horcynus Orca, p. 182
10Dans Horcynus Orca, la controverse sur la manière de nommer les dauphins illustre l’implication profonde entre la langue et les représentations : les pêcheurs du Détroit, qui considèrent l’animal comme une bête vicieuse, le nomment fera12, tandis que les Italiens continentaux, qui le voient comme un animal joueur, l’appellent delfino13. Les deux imaginaires se confrontent dans tout leur antagonisme dans le dialogue entre le père du héros ‘Ndrja et un général fasciste14 :
„Come avete detto che lo chiamate il delfino ?” aveva ridomandato, giocherellando sempre col moschetto.
„Delfino” dovette dire suo padre, tirandosi il paro e lo sparo.
[…]
„Delfino” andava recitando l’Eccelenza, bordeggiando il moschetto fra le mani.
„Delfino” andava ripetendo dietro a lui, assoggettatamente, Caitanello Cambrì, con la faccia come se le parole lo pungessero peggio che lame di coltelli.
„Comment avez-vous dit que vous l’appelez le dauphin ?” avait redemandé son Excellence, jouant toujours avec son mousquet.
„Dauphin” dut dire son père, pesant le pour et le contre.
[…]
„Dauphin” poursuivait en récitant l’Excellence, son mousquet en cabotage entre ses mains.
„ Dauphin” poursuivait en répétant à sa suite, assujetti, Caitanello Cambrìa, avec la figure comme si ces paroles le poignardaient pire que des lames de couteau.
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15 Le toscan est considéré comme la norme italienne de référence. Il a été pe...
11La politique entreprise par Mussolini pour réduire l’importance des dialectes15 est dénoncée par le contraste entre le ton patelin de l’Excellence et le pistolet qu’il pointe sur Caitanello Cambrìa. L’évident déséquilibre dans le rapport de forces présente l’entreprise d’uniformisation linguistique comme une négation violente de la réalité des habitants du détroit de Messine.
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16 Heimatmusem, p. 507.
12La politique linguistique de la Mazurie est liée aux mêmes enjeux identitaires et politiques. Les langues slaves et germaniques sont si intimement mêlées dans cette région frontalière que des Allemands portent des noms polonais tandis que des Polonais ont des patronymes allemands. Afin de germaniser le territoire, l’administration allemande du IIIe Reich rebaptise ses lieux et ses habitants16 :
Sie tranken sich zu, und danach fragte der Ofensetzer, ob im Bezirk womöglich eine neue Krankheit ausgebrochen sei, die Taufkrankheit, worauf der Gendarm dem Fragensteller empfahl, ihn künftig nicht mehr Iwaschkowski anzureden, sondern mit Hausbruch, Waldemar Hausbruch.
Ils burent à la santé l’un de l’autre, puis le réparateur de poêles demanda s’il se pouvait qu’une nouvelle maladie se soit déclarée dans le canton, la manie de tout rebaptiser, ce sur quoi le gendarme lui demanda de ne plus l’appeler Iwaschkowski mais Hausbruch, Waldemar Hausbruch.
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17 Le nom germanisé du policier signifie „celui qui s’introduit par effractio...
13Le désarroi du réparateur de poêles montre avec humour17 l’ampleur, la violence et l’absurdité de cette campagne linguistique qui, pour expurger la culture slave, impose à un paysage tout entier de changer.
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18 Depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 et l’entreprise littérair...
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19 „Geoffrey Gaiffier est presque tout le temps en route, terriblement excité...
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20 „Ne me bornant pas comme les Malais à changer de pronom pour la politesse,...
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21 „Imaginez-vous que j’avais alors commencé l’étude du malais chez Berlitz :...
14Si les tensions entre l’identité nationale et la diversité linguistique sont beaucoup moins vives en France car l’État est bien plus ancien18, Aragon déplace le problème linguistique aux îles coloniales en se servant d’une mission du narrateur à Java pour évoquer la diversité des dialectes de l’île19 et la complexité des rapports sociaux qui se reflète dans leur syntaxe20. Ses traits d’ironie à l’égard de la méthode Berlitz pour apprendre le malais21 dénoncent la politique coloniale qui ne porte aucun intérêt à la culture insulaire ou aux spécificités de sa langue mais qui se concentre sur l’aspect pratique à des fins commerciales.
C) “La dague qui se retourne contre son fourreau”
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22 Voir Cazalas, Inès, Contre-épopées généalogiques : fictions nationales et ...
15La menace qui pèse sur la cohésion des communautés dans les trois romans n’est pas seulement d’ordre extérieur. Les dissensions familiales en offrent un exemple éclairant en ce qu’elles sont symptomatiques du risque de dissolution de la communauté : le modèle généalogique constitue en effet une analogie éclairante avec le modèle communautaire dans la mesure où le récit de l’un est une part constitutive de l’autre22.
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23 Horcynus Orca, p. 416.
16Écrit sur le modèle de L’Odyssée, Horcynus Orca raconte le retour d’un marin dans son village à la fin de la guerre. Or, quand l’épopée d’Homère détaille comment Ulysse reconquiert son foyer et Ithaque, Stefano d’Arrigo représente au contraire des familles qui ne parviennent pas à se recomposer. Les retrouvailles de ‘Ndrja avec son père se font ainsi sur le mode d’une réécriture parodique de la scène de reconnaissance entre Pénélope et Ulysse. La scène détourne le modèle antique en faisant prendre au père la place de l’épouse23 :
[…] cominciò da lì a tastargli tutto il corpo, ogni parte del corpo, quasi ogni parte del corpo. Come Ciccina Circé, quasi come Ciccina Circé
[…] il commença alors à lui tâter tout le corps, chaque partie du corps, presque chaque partie du corps. Comme Ciccina Circé, presque comme Ciccina Circé
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24 Pour la méthode d’analyse du modèle généalogique, voir Cazalas, Inès, op. ...
17La subversion du modèle homérique et généalogique est soulignée par l’insistance du rythme croissant ternaire („lui tâter tout le corps, chaque partie du corps, presque chaque partie du corps”) suivie d’une répétition de la comparaison avec Ciccina Circé, la passeuse-prostituée qui venait de prendre ‘Ndrja pour amant. Les niveaux de filiation et de sexualité parentale se trouvent ainsi confondus dans cette scène : l’éclatement dans l’arbre généalogique des strates horizontales (mari-épouse) et des lignes verticales (père-fils) symbolise la fin d’un monde ordonné24. La cellule familiale, en tant que système social clos, est une représentation à petite échelle du village ; la dissonance dans la relation de ‘Ndrja avec son père reflète la dysharmonie de ses rapports avec Oriolès, son futur beau-père et chef du village. De modèle admiré, Oriolès devient infantile et mesquin tandis que ‘Ndrja tente de le responsabiliser dans l’achat d’une barque. Le chaos familial reflète ainsi à petite échelle un monde sans dessus ni dessous, où les pêcheurs sont „descendus de barque pour monter à cheval”.
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25 Ceux qui tuent ressemblent à ceux qui sont tués, des hommes de bronze cont...
18Les incompréhensions au sein de la communauté sont également puissamment représentées par de violents désordres familiaux dans Blanche ou l’oubli : le roman culmine avec la strangulation de Marie-Noire par son amant Philippe tandis que leur bébé s’étouffe à côté d’eux. Le cercle le plus restreint de l’intimité partagée éclate ainsi parce que l’un de ses membres dirige sa violence contre l’autre. Des familles qui se déchirent à la guerre civile en Indonésie25, les conflits ont dans le roman une structure invariante. À échelles différentes, c’est une même violence interne qui parcourt les communautés et les menace de l’intérieur : ces discordances, mises en scène dans leurs extrêmes, convergent et se condensent dans l’image de la „dague qui se retourne dans son fourreau”.
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26 Lattard, Alain, Histoire de la société allemande au XXe siècle, t. 2, la R...
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27 Voir Merchiers, Dorle, Le Réalisme de Siegfried Lenz, Bern-Berlin-Bruxelle...
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28 Bausinger, Hermann, „Auf dem Wege zu einem neuen, aktiven Heimatverständni...
19Les dissensions qui existent au sein de la communauté mazure exilée sont moins spectaculaires dans leurs manifestations mais tout aussi profondes. Elle subit tout d’abord un bouleversement structurel : l’américanisation de la société après la guerre, le développement des médias de masse et la vie urbaine réduisent les distances et participent à la relativisation des cultures26. L’appartenance à un groupe est désormais déterminée par l’âge et non plus par la provenance d’un même terroir27. Ce déplacement se manifeste dans la fiction par l’expression de sentiments contraires à l’égard de la terre natale (Heimat) : la jeune génération, née après l’exode, la considère comme une notion désuète et dangereuse tandis que l’ancienne en cultive la nostalgie28. Les tensions ne sont cependant pas uniquement générationnelles : Zygmunt et ses conscrits sont également divisés. Leur querelle porte sur la fonction que doit avoir leur musée régional, simple espace d’exposition pour témoigner du passé mazure ou moyen politique pour revendiquer les droits légitimes de l’Allemagne sur la Mazurie. L’éclatement de la communauté des exilés mazures se matérialise par l’incendie que Zygmunt allume dans le musée pour en empêcher l’instrumentalisation, détruisant aussi dans son geste tous les objets autours desquels lui et ses compatriotes se réunissaient.
20La guerre et l’exil sont le parangon de la violence avec laquelle se brise le lien apparemment fondateur et transparent entre la communauté politique et son territoire. La rupture est d’ordre politique et sociale. Les trois romans, en racontant cette désagrégation, interrogent et placent comme enjeu au centre de leur récit la possibilité d’une autre communauté.
II. La confusion comme refus des certitudes
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29 Girard, René, Le Bouc émissaire, Paris, Grasset, 1982.
21L’ampleur des romans et de leurs nombreux récits, tout en circonscrivant un état de crise, en brouille le système référentiel. Des réseaux de signifiés opposés convergent et se contredisent en certains endroits des ouvrages : la confusion qui en résulte empêche l’assise des certitudes et l’établissement d’une vision manichéenne. La complexité du système narratif déconstruit ainsi les représentations schématiques et empêche de glorifier un temps révolu ou d’identifier un bouc-émissaire contre lequel se tourner pour reformer la communauté éclatée29.
A) La violence de l’Éden perdu
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30 Merchiers, Dorle, Le Réalisme de Siegfried Lenz, op.cit.
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31 „Er herrschte über alles, als gehörte es ihm, und jeder hatte sich damit a...
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32 Adresse de Zygmunt Rogalla à Martin Witt sur la vie en ville : „Und ich se...
22Si la description des paysages mazures et de la vie au rythme des saisons évoquent dans Heimatmuseum un Éden désormais perdu, l’attention portée aux détails de la narration nuance cependant fortement ce tableau idyllique. Comme le relève Dorle Merchiers dans Le Réalisme de Siegfried Lenz30, le domaine que gère Alfons Rogalla, le grand-père du narrateur, est organisé sur le modèle du système féodal avec un fermier possédant en seigneur tous les droits sur les paysans et la main-d’œuvre31. L’emprisonnement du réparateur de poêle Eugen Lawrenz est représentatif de l’impunité dont jouit Alfons Rogalla : après avoir violé et conduit au suicide sa fille, il le fait emprisonner grâce à un faux témoignage. L’incident n’est pas représenté directement dans le récit, il nous parvient par le détour de la narration enchâssée. L’enfance de Zygmunt semble ainsi insouciante mais des épisodes secondaires intégrés dans le récit comme un contrepoint dénoncent un système social fondé sur la loi du plus fort. Les anecdotes nient ainsi de manière discrète la représentation binaire d’un monde ancien paradisiaque opposé à la grisaille urbaine du monde contemporain32.
B) Le soldat qui tend la main
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33 Exemple notable, l’euphémisme d’une mère maquerelle âgée qui assimile la g...
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34 Le père de ‘Ndrja refuse obstinément d’échanger une poignée de main avec l...
23Le même travail de négation des logiques manichéennes est à l’œuvre dans les nombreux récits enchâssés de Horcynus Orca. La mise à mort du soldat allemand dans les rues de Naples en offre un exemple significatif. Le système référentiel du roman33 inscrit les Allemands en tant qu’acteurs au centre d’un réseau de mort et de destruction. L’épisode de Naples constitue cependant une contradiction notable. Elle est intéressante en ce qu’elle croise un autre réseau du roman, celui de la main serrée comme métaphore de l’intégration à la communauté34. Tout comme dans Heimatmuseum, la scène n’est pas représentée au premier niveau de la narration : elle passe par le détour d’un souvenir de ‘Ndrja.
24Ce sont les récits de Caitanello Cambrìa, ceux-là même qui mettent en place le réseau de la main serrée comme preuve d’intégration à la communauté, qui déclenchent en ‘Ndrja le rappel de l’épisode. Le soldat allemand s’était laissé piéger dans un dédale de ruelles après avoir perdu son régiment lors du mouvement de retraite. Sorti de son char, il s’était retrouvé encerclé par les habitants. Alors qu’il était réifié dans son char blindé, assimilé à sa machine de guerre, le renversement du rapport de force fait de lui une proie. La description de sa tête nue et de sa démarche titubante est un premier processus d’humanisation. Lorsque le soldat allemand tend la main à un gamin des rues35 qui semble être le chef de bande, la narration ralentit avec un effet dilatoire sur sa paume grande ouverte ; l’enfant ne la saisit pas, esquisse une grimace sardonique et poignarde le soldat. Le renversement est double à cet endroit de la narration : l’Allemand qui menaçait l’existence de la communauté fait un geste d’intégration sociale tandis que le visage du jeune garçon semble se couvrir de rides au moment où il se fait l’instrument de la mort36.
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37 Sur l’importance du brouillage des référents pour éviter l’idéalisation, v...
25De nombreux réseaux se créent ainsi, denses, dans la multiplication des histoires. Les personnages et les épisodes se font écho dans un système de références contradictoires. L’apparente confusion qui en résulte empêche toute simplification manichéenne ; c’est à cette condition que peut s’élaborer plus en profondeur dans le récit une réflexion sur la crise37.
C) “Ce que nous cherchons est tout”
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38 Blanche ou l’oubli, p. 167-168
26La même stratégie de désorientation du lecteur par brouillage des catégories est mise en œuvre dans Blanche ou l’oubli. Elle opère sur trois plans. À un premier niveau, les personnages remettent en question la frontière entre le bien et le mal38 :
Puis [Philippe] dit : „En 1940, tout de même, si tu m’avais quitté parce que je n’aurais plus eu de bagnole, pour qui ça aurait été ?” Elle le regarde avec pitié : „Dis, pour qui Marina ?” Et elle : „Un S.S., probable …” Ça tue bien la conversation.
[…] Et si Marie-Noire, aujourd’hui, allait se permettre de juger ça selon la morale courante, de juger quelqu’un de son âge, alors, qui aurait couché avec un S.S., pour la voiture ou pas pour la voiture ? Qu’est-ce qu’on en sait ! Est-ce que ce serait mieux d’avoir, en ce temps-là, fait l’amour avec un bon Allemand ? Vous savez, du type qui lisait Rimbaud, et le cas échéant protégeait quelqu’un d’un peu juif, de vaguement mal vu par les autorités …
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39 „Ce que nous sommes n’est rien, ce que nous cherchons est tout”, Blanche o...
27L’exemple, provoquant et non dénué d’ironie, n’a pour pas vocation de prôner le relativisme. Il incite plutôt le lecteur à ne pas adopter de jugements „tranchés comme des têtes” et à toujours interroger les fondements de ses convictions. C’est d’ailleurs sur cette invitation à la recherche perpétuelle que se clôt l’épisode : Was wir sind ist nichts, was wir suchen ist alles…39
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40 Voir notamment la réécriture de L’Éducation sentimentale dans le chapitre ...
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41 Voir p. 491-493 : le narrateur s’adresse à Blanche pour parler de ses rêve...
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42 Notamment par le détour d’une citation de Flaubert en exergue de la deuxiè...
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43 Élisa Schlésinger et Suzette Gontard sont les grands amours Flaubert et Hö...
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44 Voir p. 581 : Aragon instaure un parallèle entre les deux femmes pour la f...
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45 „Je pouvais aussi bien me l’imaginer en Rosanette […]” Blanche ou l’oubli,...
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46 „[…] quand Élisa Schlésinger là-bas achève interminablement d’être, dans l...
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47 Vassevière, Maryse, Aragon romancier intertextuel ou les pas de l'étranger...
28Le deuxième niveau de brouillage intervient sur le plan des références que le lecteur convoque pour comprendre le texte. Le roman est en effet structuré par le topos du grand amour. Des équivalences s’instaurent entre Blanche et Mme Arnoux40, entre Blanche et Diotima41, entre Blanche et Élisa Schlésinger42 et enfin entre Élisa Schlésinger43 et Suzette Gontard44. Maryse, à l’inverse, première amante voluptueuse de Geoffrey Gaiffier, est assimilée à Rosanette, l’amour contingent de L’Éducation sentimentale45. Un solide réseau d’idéalisation de l’unique femme aimée s’étend donc dans Blanche ou l’oubli. Il est cependant invalidé par le récit de la mort de Maryse, tombée sous les balles allemandes alors qu’elle fuyait de son asile. Cette scène introduit la confusion en détruisant de deux manières la ligne de partage entre la femme célébrée et la cocotte fréquentée : Maryse finit sa vie dans un asile d’aliénés, comme Élisa Schlésinger46, et sa mort est une réécriture de celle de Bérénice dans Aurélien47. La conjonction des figures en cet endroit du texte, alors que leurs différences se maintiennent dans le reste du roman, perturbe le schéma de lecture habituel en faisant se rejoindre l’amante passagère et l’unique femme aimée, érigée en absolu dans l’amour courtois.
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48 Blanche ou l’oubli, note de bas de page, p. 244.
29Le dernier niveau de désorientation se joue sur le plan métatextuel. L’auteur insère une note de bas de page à son récit48 :
„Tiens, au fait, qui a été élu président en 1965 ?” se demande Oscar, le fils de Marie-Noire, en 1982, il a seize ans, et ressemble à son père, tiens, au fait, qui c’est son père ? […] Quant à sa mère, pour parler avec elle, Oscar, il lui faudrait un dictionnaire. […]
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49 Aragon, par jeu et provocation, avait pourtant prévenu dès le premier chap...
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50 Goyet, Florence, „L’épopée refondatrice : extension et déplacement du conc...
30L’incise, avec son présent d’actualité, a valeur d’anticipation. Oscar meurt cependant à la naissance dans les dernières pages de l’ouvrage, au moment où Marie-Noire se fait étrangler. L’auteur, en choisissant de changer le cours de son récit au fil du roman, brise le pacte de confiance et le pacte de cohérence narrative implicitement passés avec le lecteur49. En trahissant l’horizon d’attente, le jeu de contradiction des épisodes perturbe les repères de pensée habituels : la posture subversive d’Aragon divertit le lecteur par le plaisir des rebondissements provocateurs tout comme elle le désoriente. Cette double fonction est précisément un mécanisme du travail épique : c’est dans la distraction procurée par la fiction, sans qu’on y prenne garde, que les certitudes se déconstruisent pour laisser le champ libre à l’invention de nouveaux modèles politiques50.
III. Prolégomènes à une nouvelle communauté
31La multiplication des histoires secondaires, en créant de denses réseaux contradictoires, brouille et déplace notre système référentiel. La confrontation des personnages et de leurs nombreuses voix divergentes ouvre alors un nouvel espace où peut s’élaborer se produire le travail épique.
A) Ce que tisse le conteur
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51 Voir Vinclair, Pierre, De l’épopée et du roman. op. cit.
32L’esquisse d’un nouvel espace pour réunir a novo la communauté se fait dans Heimatmuseum autour de la figure du conteur. L’ensemble de la narration est assumée par Zygmunt qui raconte sa vie depuis son lit d’hôpital. Le texte insiste sur le cadre et la dimension orale du récit. L’arrivée et le départ de Martin Witt, l’ami de la fille du malade, rythment à chaque chapitre l’avancée de l’histoire ; le déroulement de la saga mazure est parfois interrompu par les interrogations du jeune homme, l’arrivée d’une infirmière ou la soif du narrateur. En faisant fortement dépendre le récit du moment de sa formulation, l’auteur dépasse l’idée d’une dichotomie fatidique entre la Mazurie perdue et l’Allemagne de l’Ouest : il représente au moment de la narration un maillon entre ces deux mondes. Un deuxième lien se tisse lors des visites quotidiennes de Martin Witt : grâce à l’ampleur de son récit, Zygmunt crée autour de son chevet un nouvel espace de réunion entre les générations. Cette inscription dans le temps d’énonciation réactualise ainsi la figure de l’aède : en réécrivant l’instant où les auditeurs se regroupent autour de lui pour écouter son chant et participer à son élaboration, Zygmunt et Martin reproduisent à petite échelle l’acte de formation des communautés51.
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52 Voir le rapprochement entre „tissu” et de „texte” par l’étymologie depuis ...
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53 Merchiers, Dorle, Le Réalisme de Siegfried Lenz, op.cit.
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54 Ce qu’Inès Cazalas appelle „épopée pétrifiée” dans Contre-épopées généalog...
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55 Inès Cazalas emploie ici le terme d’„épopée complexe” pour l’opposer à l’é...
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56 Voir Schmitt, Evelyne, „Les mues de Zygmunt Rogalla : les mues de la Mazur...
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57 Heimatmuseum, p. 591 dans l’édition de 1978. Notre traduction.
33Il est intéressant de relever à cet égard les liens profonds qui existent entre les trois activités de Zygmunt, la tapisserie, le musée et le récit. Le conteur, comme le maître tapissier, tisse une histoire en organisant les motifs et les événements selon un certain ordre52. Le récit et la tapisserie sont ainsi tous deux un art de l’agencement et de la représentation. La parole de Zygmunt, dans son déploiement, ouvre un espace où conserver les paysages et les coutumes de la Mazurie. La description des forêts, des fêtes, des contes et des objets trouvés lors des fouilles archéologiques fait ainsi du texte un autre musée53. Le roman toutefois ne célèbre pas avec nostalgie l’essence d’une région perdue54 : il contient au contraire sa propre mise en garde contre la récupération idéologique des discours identitaires. Le lieu du récit n’est donc pas celui de la commémoration figée mais d’une description savante qui dit la Mazurie tout en déconstruisant son propre propos pour lui donner une portée critique55. L’ampleur de la narration, qui embrasse cinquante ans de l’histoire mazure, permet en effet d’interroger la pertinence de chaque posture dans le temps grâce à la mise en scène des conséquences qu’elle entraînera. Nous ne reviendrons pas sur les débats autour de l’organisation du musée mais nous évoquerons les premières retrouvailles de Zygmunt et d’Edith, un épisode amoureux particulièrement intéressant si on le transpose sur le plan politique56. Les deux personnages entretenaient une correspondance assidue depuis qu’Edith, son amie d’enfance, avait quitté Lucknow. L’échange de lettres permet à Zygmunt de découvrir sa camarade de jeu sous un nouvel angle et de nouer avec elle des liens plus intimes. Le jour où ils se retrouvent, cependant, il est terriblement déçu et prend conscience que la distance lui avait fait idéaliser Edith. Evelyne Schmitt rapproche cette scène de rencontre manquée de l’aveu que fait Zygmunt à la fin du roman57 :
[Ich] wollte es nicht für möglich halten, was Ferne allein bewirken konnte, Ferne und Unerreichbarkeit, ja. Nie zuvor war Masuren mir so deutlich vorgekommen, so einsehbar, nie zuvor gelang es mir, sein geheimes Wesen […] so gelassen zu entziffern.
[Je] ne voulais pas croire possible ce que l’éloignement peut à lui seul avoir comme effet, l’éloignement et son caractère inaccessible, oui. Jamais jusqu’alors la Mazurie ne m’était apparue de manière si sensible, de manière si ostensible, jamais jusqu’alors je n’avais réussi à décrypter si sereinement […] son essence intime.
34L’épisode de la désillusion éprouvée face à Edith travaille ainsi à déconstruire à l’avance dans la narration l’idéalisation de la région natale qui naît de la distance imposée par l’exil. La fiction présente les êtres et les régions comme des entités aux identités complexes dont on s’éloigne si on les fige dans des représentations monolithiques.
35L’incendie du musée régional permet ainsi le déploiement de la parole de Zygmunt. La solution esquissée ne paraît certes que partiellement satisfaisante dans la mesure où elle ne remplace ni la matérialité des objets brûlés ni la terre perdue. Le récit permet cependant création d’un nouvel espace dans lequel les différentes générations se réunissent ; elles y assistent au spectacle de l’histoire mazure et de ses habitants exposée avec sa complexité et ses zones d’ombre.
B) Le prince javanais et Shakespeare
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58 Blanche ou l’oubli, p. 495-496
36La posture du linguiste Geoffrey Gaiffier, dans Blanche ou l’oubli, travaille aussi à esquisser en profondeur un premier geste de nouvelle formation des communautés. Cette affirmation peut sembler paradoxale en raison de l’extrême solitude du personnage. Son expérience de l’apprentissage des langues comme enrichissement de sa représentation du monde sert toutefois, comme le souhaitait explicitement l’auteur, „à ouvrir une de ces chaînes de pensées”58 :
59 Le bichelamar est un pidgin, une langue véhiculaire qui n’est la langue ma...
60 Blanche ou l’oubli, p. 423-427
Dans mon bichelamar59 à moi, se heurtent plus de langues que des îles Aléoutiennes à la Tasmanie, et si l’on faisait un dictionnaire d’elles, il faudrait à chacun des mots des pages pour en expliquer l’étymologie, la texture, le métissage. […].
Mais le cheminement des mots, leur façon de s’accrocher les uns aux autres, en dehors du vocabulaire d’un langage reconnu, défini, colmaté, pour constituer un individuel parler de Sioux hétérogène, la mythologie rabâchée d’un solitaire qui ne la partage avec personne, c’est après tout une image de comment se constitue un idiome, un menschlicher Sprachbau, comme je parodierais l’expression de Humboldt […].60
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61 Voir la traduction du titre de l’essai d’Humboldt, Über die Verschiedenhei...
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62 Voir le glossaire établi par Denis Thouard dans Humboldt (von) Wilhelm, Su...
37Nous pourrions traduire der menschlicher Sprachbau par „la structure des langues humaines”61. Le concept de structure (Bau) est particulièrement intéressant chez Humboldt car il ne fige pas la langue dans une essence : il permet de la considérer à la fois comme composée d’éléments stables (sa charpente) et traversée par un dynamisme historique qui la transforme62. Le concept humboldtien de structure propose au devenir des communautés un modèle qui dépasse la dichotomie local-étranger.
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63 Les Pays-Bas commencèrent à installer leur pouvoir dans les îles indonésie...
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64 Blanche ou l’oubli, p. 267
38La complexité du prince javanais Alit, personnage qui n’est évoqué que par l’intermédiaire des souvenirs, est en ce sens très intéressante. Membre de l’élite locale, il a fait ses études en Angleterre avant de revenir à Batavia. Son séjour à Oxford l’inscrit dans l’histoire de son île tout comme il l’y rend étranger : étudier l’anglais représente un acte de résistance contre la colonisation néerlandaise63, mais aussi un éloignement de ses compatriotes avec l’adoption de certains traits de culture occidentaux. C’est de ce paradoxe que naît dans le récit une nouvelle exégèse de Shakespeare64 :
„Vous savez, même à vous, même à qui l’on aime, enfants de ce monde à part, nous avons tous envie de dire comme l’autre
This island is mine, by Sycorax my mother,
Which thou tak’st from me …
– il s’interrompt comme s’il entendait autour de lui des voix puis dit : – The Tempest … you know … tout le monde entend Shakespeare à sa manière … quelle est, où est l’île de Prospero ? […] je ne puis entendre [ces vers] autrement que si le drame se passait dans cette île qui est mienne par ma mère Sycorax, de qui le nom se prononce un peu différemment dans nos parages, cette île que vous nous avez prise en nous caressant, nous gâtant, et moi je vous montrais les sources d’eau et les salines, les lieux stériles et fertiles … – il a soudain serré dans sa douce patte d’homme les doigts fins, prêts à fuir, de l’étrangère. – Ne vous fâchez pas, Blanche, ne me fuyez pas … je ne suis pas et je suis Caliban … – Je ne me fâche pas, Alit, – dit-elle, se dégageant, – mais Shakespeare nous empêchera d’arriver à ce point de vue où vous me menez …”
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65 Voir ici même Épopées et guerres coloniales (livraison 4 du Recueil ouvert...
39Alit renverse la perspective de la pièce de théâtre en reprenant à son compte deux vers de Caliban, l’autochtone terrifiant et sauvage tourné en ridicule par le duc Prospero et ses compagnons. Ce personnage-repoussoir, réactualisé par le parallèle d’Alit avec la situation indonésienne, devient l’avatar des indigènes, méprisés pour ne pas vivre selon les mœurs occidentales et spoliés de leurs terres par le riche duc installé en maître sur une île qui n’est pas sienne65.
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66 Aragon portait un fort intérêt à la littérature postcoloniale : Daniel Bou...
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67 Lull, James, „Superkultur”, in Hepp, Andreas und Löffelholz, Martin (éd.),...
40En détournant La Tempête de Shakespeare pour en faire une illustration de la situation indonésienne66, Alit opère un double mouvement de déterritorialisation (il choisit un texte occidental) et de reterritorialisation (il se l’approprie pour l’appliquer au contexte oriental). Il dépasse ainsi la catégorie traditionnelle des cultures nationales tout en maintenant un ancrage géographique fort dans le territoire javanais. Cette dynamique reconfigure l’espace culturel en permettant de dépasser les oppositions culturelles sans toutefois les nier ni les homogénéiser67.
C) L’invention d’une langue et la fin d’un modèle patriarcal
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68 La férocité du dauphin est décrite implicitement dans la dénomination fera...
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69 L’Excellence : „è martire” („C’est un martyre”), Horcynus Orca, p. 182.
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70 Le père de ‘Ndrja : „lo chiamamo pescebestino” („nous l’appelons poissonpu...
41Une synthèse similaire à celle proposée par Alit et Geoffrey Gaiffier s’opère dans Horcynus Orca par le biais d’un récit onirique. Endormi sur la plage dans l’attente de trouver une barque qui puisse lui faire traverser le détroit de Messine, ‘Ndrja rêve à la mort des dauphins. Il imagine les suivre jusqu’au cœur d’un volcan pour les voir se jeter dans un mouvement christique au cœur du brasier, avant que leurs squelettes ne retombent lavés par les flammes. Le néologisme delfifera que ‘Ndrja balbutie dans son rêve combine en lui les termes delfino et fera autour desquels se cristallisent les tensions entre les habitants du village et les étrangers du continent68. Le sacrifice du dauphin dans le volcan opère une synthèse entre deux visions du monde : la figure christique du dauphin69 et son caractère vil et moqueur70. La création du terme permet une nouvelle nomenclature du monde qui affirme son ancrage régional (delfifera) tout en le dépassant et en le problématisant. Ce système linguistique s’étend dans tout le roman. La prose de Horcynus Orca parvient ainsi à articuler la langue nationale et les particularités régionales en les maintenant dans le roman tout en allant au-delà de leur opposition. Les différences ne sont ainsi ni écrasées ni lissées au sein de cette synthèse mais elles se maintiennent et font émerger de cette tension un tiers-espace.
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71 Horcynus Orca, p. 151
42Dans le roman, la révélation des delfifera stigmatise ‘Ndrja toutefois aux yeux de sa communauté. Plongé dans un demi-sommeil, ‘Ndrja imagine son père et les anciens, assis en rang, qui lui peignent les lèvres en rouge71 :
Ora, si figurava di apparire ai pellisquadri qualcosa come un infemminato perché, a senso suo, era come se quel nome che gli sbavava caramelloso sulle labbra, gli pittasse la bocca di rossetto, dandogli un’aria sfacciata, a maschio e femmina.
72 Pellisquadra est un néologisme qui désigner les pêcheurs, par métonymie av...
Maintenant, il s’imaginait apparaître devant les peaux-ravinées72 comme un efféminé parce que, dans son contexte, c’était comme si ce nom qui lui bavait caramelleux sur les lèvres lui peignait la bouche au rouge à lèvres, lui donnant un air effronté, à la mâle et femelle.
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73 L’homosexualité masculine et la subversion des représentations traditionne...
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74 La société mussolinienne s’était construire autour d’un éloge de la force....
43Dans le système de valeurs des villageois, attribuer à un homme des caractéristiques féminines correspond à la plus grande des offenses car cela constitue un dévoiement grave de son identité73. Cette représentation s’inscrit dans une société où l’homme est exalté pour sa virilité74. Deux personnages secondaires déconstruisent cependant en souterrain cette vision du monde.
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75 Horcynus Orca, p. 1002.
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76 Toutes les figures d’étrangères dans le roman (les prostituées – femminott...
44Le premier déplacement s’opère avec Ciccina Circé, magicienne, contrebandière et prostituée qui embarque ‘Ndrja de nuit pour lui faire traverser le détroit de Messine. Elle est construite dans le récit en contrepoint de Marosa, la fiancée de ‘Ndrja qui l’attend au village en brodant. Ce renvoi intertextuel à L’Odyssée inverse cependant la logique d’opposition entre Circé et Pénélope au moment où ‘Ndrja reprend à son compte les termes employés par Ciccina Circé pour vitupérer contre les culiseduti75 (culposés) que sont les femmes du village. Son parti-pris virulent et le ton familier de son néologisme culiseduti renversent les deux grands principes d’organisation de sa communauté : le mariage endogène76 et la division des rôles entre le travail à l’extérieur pour les hommes et le soin de la maison pour les femmes.
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77 Voir l’expression „sceso di barca” utilisée comme métaphore de l’aliénatio...
45Une autre figure de femme indépendante, évoquée de manière plus anecdotique dans le récit, travaille au déplacement du système habituel de représentation. Il s’agit de la femme du fabricant de barques, qui n’est pas désignée autrement que par son statut marital et le métier de son mari. Ce dernier occupe une place majeure dans une société composée de pêcheurs et de marins : c’est grâce à son savoir-faire que peut être produite la barque, un objet qui est à la fois leur outil de travail et le prolongement d’eux-mêmes77. Lorsque ‘Ndrja se rend à son atelier pour lui passer commande, il découvre l’artisan frappé de paraplégie et muet. L’activité ne s’est toutefois pas arrêtée : la femme de l’artisan a repris en charge la construction des barques, seule. Elle se présente comme une seconde main qui reproduit les gestes que faisait son mari. Son travail est rythmé par une pantomime où elle penche son oreille vers la bouche de son marin comme pour en recevoir des instructions. Bien qu’elle feigne de ne faire que ce que lui dicte l’esprit de son mari, le roman montre dans son évidence que c’est elle qui possède les connaissances techniques et manuelles pour construire des embarcations aussi solides et légères que ne l’étaient celles de son mari. ‘Ndrja ne s’y trompe pas et refuse d’acheter un bateau assemblé par une femme. S’il se défend de reconnaître qu’une femme puisse travailler le bois, le texte représente toutefois l’épouse de l’artisan en plein exercice, affairée à produire d’excellentes barques.
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78 „Vogliose, incapricciate del mascolone, gli facevano sentire il verso dell...
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79 La société mussolinienne s’était construire autour d’un éloge de la force....
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80 „E poi cadeva la bomba, senza la minima avvisaglia di aeroplani. […] Un mu...
46Ciccina Circé et la femme du fabricant de barques sont des propositions qui n’aboutissent pas dans la fiction : l’une est poursuivie par les insultes de ‘Ndrja à la fin du roman tandis que l’autre ne convainc pas les pêcheurs malgré la qualité de son travail. Elles ouvrent cependant dans l’imaginaire une nouvelle voie. La description de ces femmes qui rusent pour survivre et travaillent contraste grandement avec la représentation du village frappé de torpeur et d’inaction. Pour les habitants du Détroit, la ruse est une caractéristique féminine, dégradante et mesquine car contraire à la franchise78. Le roman la réhabilite cependant en sourdine comme force inventive et productrice. Elle fait contrepoint au modèle herculéen de la force brute, exalté sous le régime fasciste79 et assimilé dans le roman aux guerres et destructions80.
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81 Nous entendons ici politique au sens large : qui concerne la polis, les ho...
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82 „Li abbiamo, li abbiamo i calli” fecero i sbarbatelli.
„Li hanno, dicono lo...
47Cette oppositions déplace les référentiels de l’ancienne société pour marquer l’émergence d’un nouveau modèle politique81 : celui d’une communauté qui attribue à ceux qui n’avaient jusqu’alors pas de voix une participation active et autonome. C’est ainsi qu’Horcynus Orca se termine par la prochaine arrivée au village de la barque tant espérée, non pas conduite par des marins expérimentés mais par des sbarbarelli qui n’ont pas de cals aux mains82.
Conclusion
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83 Vinclair, Pierre, De l’épopée et du roman. op. cit.
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84 Nous empruntons le terme à la géographie et à la sociologie urbaine ; voir...
48Dans Blanche ou l’oubli, Horcynus Orca et Heimatmuseum, la fiction est le lieu des hypothèses qui sont émises et vérifiées par l’illustration, dans le déroulement du récit. Les nombreuses autres figures qui passent dans la narration sont autant de solutions possibles à la crise traversée par les communautés. Il n’en résulte cependant ni un retour à l’état ancien ni la consécration d’une voix mais l’émergence, entre et avec les dissensions, de nouvelles modalités d’appartenances à un nouveau type de communauté. Les trois œuvres sont en ce sens épiques : là où la narration conduit dans le roman à l’émancipation du lecteur, elle amène dans le cadre du travail épique à la création d’un nouveau espace au sein duquel peut travailler à se former une nouvelle communauté83. Si l’échec des propositions avancées semble dominer les romans, elles ouvrent cependant de facto ce que nous proposons d’appeler tiers-espace84, un espace autre qui se crée dans le maintien des dissonances et qui les articule pour inventer de nouveaux objets, de nouveaux systèmes, autour desquels puisse se penser une autre forme de communauté.
Notes
1 Voir Dubar, Claude, La socialisation : Construction des identités sociales et professionnelles [2000], Paris, Armand Colin, 2010. L’auteur explique l’opposition que fait Ferdinand Tönnies dans Gemeinschaft und Gesellschaft (1887) entre communauté, Gemeinschaft (les individus „restent liés malgré toute séparation”) et société, Gesellschaft (les individus sont „séparés malgré toute liaison”).
2 Goyet, Florence, „L’épopée refondatrice : extension et déplacement du concept d’épopée“, Le Recueil Ouvert [En ligne], voir bibliographie.
3 Vinclair, Pierre, De l'épopée et du roman : Essai d’énergétique comparée, Rennes, Presses Universitaires, 2015.
4 „Qu’est-ce que c’est que ces gens-là, un collège de vieillards ? Pas tous. Il y en a des jeunes. Tout cela soudain se met à courir, puis s’arrête, ou tente de se disperser, alors que les infirmières et quelques gardiens, du type dont le col marque la nuque, se précipitent à droite, à gauche, ramassent leur troupeau. Des avions passent, en haut, qui ne s’occupent pas de nous, ayant probablement mission ailleurs, mais ce bétail humain hurle de terreur, se serre. […] C’est une maison de fous, au sud d’Orléans, qui a été évacuée comme ça, sur les routes de France.” Blanche ou l’oubli, p. 122-123
5 Le contrôle de la Sicile, interface d’échange entre le continent africain et la péninsule italienne, est l’un des enjeux stratégiques majeurs de l’affrontement entre les forces de l’Axe et celles de l’Alliance. L’île est le théâtre d’opérations militaires décisives ; d’abord occupée par les Allemands qui y campent leurs troupes pour défendre leurs positions, elle est ensuite envahie par les Anglais et les Américains en 1943 lors de l’opération Husky de débarquement des Alliés en Sicile le 10 juillet 1943. Celle-ci marque le début du recul des forces de l’Axe en Italie et entraînera la signature de l’armistice le 08 septembre 1943.
6 „Quel pescatore, tanto per dirne uno, che si dichiarò ormai per sempre sceso di barca e salito a cavallo […].”Horcynus Orca, p. 74. „Ce pêcheur, pour lui donner un nom, qui se déclarait désormais pour toujours descendu de barque et monté à cheval […].”. Notre traduction, ici et pour toutes les citations d’Horcynus Orca.
7 Conquise aux Polonais au 13ème siècle, la Mazurie fit partie de l’ancienne Prusse-Orientale avant de devenir en 1945 une région du Nord-Est de la Pologne actuelle.
8 „Siehst du : was da unterging und starb, war nicht allein die Hälfte unseres Lucknower Trecks, es war ein Teil von Lucknow selbst, von seiner Vergangenheit und Eigenart, und in jenem Augenblick wußten wir instinktiv, daß, selbst wenn uns dereinst eine Rückkehr erlaubt werden sollte, Lucknow niemals mehr das für uns werden könnte, was es einmal war.” (Heimatmuseum, p. 692) Traduction : „Vois-tu : ce qui sombra et mourut là n’était pas seulement la moitié de notre convoi de Lucknow, c’était une partie de Lucknow elle-même, de son passé et de sa spécificité, et nous savions instinctivement à ce moment précis que, même s’il nous était un jour permis d’y retourner, Lucknow ne pourrait plus jamais être pour nous ce qu’elle avait alors été.” Notre traduction.
9 Pour le caractère imaginaire de la nation et la nécessité de symboles pour se l’approprier, voir Anderson, Benedict Imagined Communities. Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres, Verso, 1983.
10 Sur la politique linguistique d’Hitler, voir la scène de germanisation des noms propres dans Heimatmuseum ; sur la politique linguistique de Mussolini, voir Ostenc, Michel, „L’éducation en Italie pendant le fascisme. Bilan et perspectives de recherches”, Histoire de l’éducation, Persée, n° 30, 1986, p. 13-27, et le dictionnaire Treccani (www.treccani.it).
11 Franz Rosenzweig, cité par Victor Klemperer en exergue de Lingua Tertii Imperii : Notizbuch eines Philologen [1947], Leipzig, Reclam, 1998.
12 Chez Dante, fiera désigne la bête ; le terme vient du latin ferus, animal (attesté chez Virgile).
13 Du grec δελφίν, repris en latin par delphin (attesté chez Ovide et Virgile).
14 Horcynus Orca, p. 182
15 Le toscan est considéré comme la norme italienne de référence. Il a été peu à peu érigé en langue standard, notamment grâce aux trois grandes œuvres du XIVe siècle écrites dans ce dialecte (La Divine Comédie de Dante, Le Décaméron de Boccace et Les Chansons de Pétrarque).
16 Heimatmusem, p. 507.
17 Le nom germanisé du policier signifie „celui qui s’introduit par effraction dans les maisons”. Voir Gerrer, Jean-Luc, „Langage autoritaire et résistance dans la littérature allemande consacrée aux Provinces de l’est allemandes”, Textes et Contextes, Centre Interlangues, 2011, <halshs-00756502>.
18 Depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 et l’entreprise littéraire des poètes de la Pléiade au XVIe siècle.
19 „Geoffrey Gaiffier est presque tout le temps en route, terriblement excité par la région, moins que de la diversité des paysages […] que du bariolé des hommes et des langages ; car, pas loin d’eux, il y a de la main d’œuvre importée de Madoera, des Dayaks de Bornéo et des Boegis des Célèbes, ce qui lui procure occasion de combler certains manques à son information pour l’ouvrage de grammaire comparée entrepris avant même d’arriver à Java, dans leur court stage à Sumatra.” Blanche ou l’oubli, p. 263.
20 „Ne me bornant pas comme les Malais à changer de pronom pour la politesse, le rang, les différences raciales […]“ Blanche ou l’oubli, p. 28.
21 „Imaginez-vous que j’avais alors commencé l’étude du malais chez Berlitz : vite le professeur en avait eu assez d’un type qui regarde le vocabulaire de cet œil-là, qui espionne le vocabulaire. À l’École des Langues Orientales, c’était autre chose.” (Blanche ou l’oubli, p. 28)
„En attendant, vous pouvez toujours potasser le Berlitz Bahasa Melayu Tinggi, spécialement édité pour le personnel commerçant d’outre-mer de la Standart Vacuum Oil en 1952, et vous le voyez d’ici, le personnel commerçant, quand on lui dit bonnement : Tuan Churchill orang Inggris ? qui apprend à répondre : Ya, Tuan Churchill orang Inggris […].” Blanche ou l’oubli, p. 55.
22 Voir Cazalas, Inès, Contre-épopées généalogiques : fictions nationales et familiales dans les romans de Thomas Bernhard, Claude Simon, Juan Benet et António Lobo Antunes, thèse soutenue à Strasbourg en 2011 sous la direction de Pascal Dethurens.
23 Horcynus Orca, p. 416.
24 Pour la méthode d’analyse du modèle généalogique, voir Cazalas, Inès, op. cit.
25 Ceux qui tuent ressemblent à ceux qui sont tués, des hommes de bronze contre des hommes de bronze.
26 Lattard, Alain, Histoire de la société allemande au XXe siècle, t. 2, la RFA 1949-1989, Paris, PUF, 2011.
27 Voir Merchiers, Dorle, Le Réalisme de Siegfried Lenz, Bern-Berlin-Bruxelles-…, Peter Lang, 2001. Sur la rupture générationnelle qui s’opère dans les années 1960, voir aussi Lattard, Alain, Histoire de la société allemande au XXe siècle …, op.cit..
28 Bausinger, Hermann, „Auf dem Wege zu einem neuen, aktiven Heimatverständnis. Begriffgeschichte als Problemgeschichte”, in Wehling Hans-Georg (dir.), Heimat heute, Stuttgart, Verlag W. Kohlhammer, 1984.
29 Girard, René, Le Bouc émissaire, Paris, Grasset, 1982.
30 Merchiers, Dorle, Le Réalisme de Siegfried Lenz, op.cit.
31 „Er herrschte über alles, als gehörte es ihm, und jeder hatte sich damit abgefunden oder wurde von ihm gezwungen, sich daran zu gewöhnen, von diesem krummwüchsigen, verhetzten Mann, der am liebsten die Sprache abgeschafft hätte, ja …” (Heimatmuseum, p. 50) Traduction : „Il régnait sur tout comme si cela lui appartenait et chacun en avait pris son parti ou bien avait dû s’y habituer sous la contrainte de cet homme contrefait, affairé, qui, s’il avait pu, aurait aboli le langage, oui …”
32 Adresse de Zygmunt Rogalla à Martin Witt sur la vie en ville : „Und ich sehe auch ein, dass [dies Wort Heimat] in einer Landschaft aus Zement nichts gilt, in den Beton-Silos, in den kalten Wohnhölen aus Fertigteilen […].” (Heimatmuseum, p. 144) Notre traduction : „Et je me rends aussi compte que [ce mot, la terre natale] ne compte pour rien dans ce paysage de ciment, dans ces silos de béton, dans les grottes en préfabriqué où vous logez […].”
33 Exemple notable, l’euphémisme d’une mère maquerelle âgée qui assimile la guerre à une affaire d’Allemands : „[…] e ve lo dico per ‘sperienza, senza carabinieri e armamentario … In guerra morirrebbero solo i biondi, nemmeno a pagarlo a peso d’oro lo troverebbe un bruno, quella Nasemangiato.” (Horcynus Orca, p. 19) Traduction : „[…] et je vous le dis par expérience, sans gendarme ni attirail … À la guerre ne mourraient que les blonds, pas même si elle le payait son pesant d’or elle ne le trouverait un brun, la Nezmangé.”
34 Le père de ‘Ndrja refuse obstinément d’échanger une poignée de main avec les villageois pour marquer son désaccord avec eux. De même, un compagnon de ‘Ndrja explique qu’il ne pourra plus prendre part à la vie sociale du village car il est revenu de guerre amputé au poignet.
35 “Lo scugnizzo” – l’équivalent d’un Gavroche napolitain.
36 Horcynus Orca, p. 547.
37 Sur l’importance du brouillage des référents pour éviter l’idéalisation, voir Goyet, Florence, Penser sans concepts. Fonctions de l’épopée guerrière – Iliade, Chanson de Roland et Heiji Monogatari, Paris, Champollion, 2006.
38 Blanche ou l’oubli, p. 167-168
39 „Ce que nous sommes n’est rien, ce que nous cherchons est tout”, Blanche ou l’oubli, p. 169. La formule, en allemand dans le texte, est une citation du Hyperion de Hölderlin.
40 Voir notamment la réécriture de L’Éducation sentimentale dans le chapitre „Une mèche de cheveux”.
41 Voir p. 491-493 : le narrateur s’adresse à Blanche pour parler de ses rêves mis à sac comme le fait Hypérion à Diotima pour évoquer le sac de Mistra.
42 Notamment par le détour d’une citation de Flaubert en exergue de la deuxième partie („On ne saura jamais combien il a fallu être triste pour entreprendre de ressusciter Carthage”), qui peut être lue en écho avec L’Après-dire.
43 Élisa Schlésinger et Suzette Gontard sont les grands amours Flaubert et Hölderlin ; elles servent d’inspiration pour les figures respectives de Mme Arnoux et de Diotima.
44 Voir p. 581 : Aragon instaure un parallèle entre les deux femmes pour la fin malheureuse de leur histoire d’amour avec Flaubert et Hölderlin.
45 „Je pouvais aussi bien me l’imaginer en Rosanette […]” Blanche ou l’oubli, p. 39. Dans la suite du roman, le nom de Rosanette est aussi souvent utilisé que celui de Maryse pour la désigner.
46 „[…] quand Élisa Schlésinger là-bas achève interminablement d’être, dans la maison d’Illenau.” Blanche ou l’oubli, p. 581.
47 Vassevière, Maryse, Aragon romancier intertextuel ou les pas de l'étranger, Paris, L'Harmattan, 1998.
48 Blanche ou l’oubli, note de bas de page, p. 244.
49 Aragon, par jeu et provocation, avait pourtant prévenu dès le premier chapitre que ce n’était pas un roman d’anticipation.
50 Goyet, Florence, „L’épopée refondatrice : extension et déplacement du concept d’épopée», op. cit.
51 Voir Vinclair, Pierre, De l’épopée et du roman. op. cit.
52 Voir le rapprochement entre „tissu” et de „texte” par l’étymologie depuis Roland Barthes (par exemple dans „Texte (théorie du)”, Encyclopédie Universalis, 1973).
53 Merchiers, Dorle, Le Réalisme de Siegfried Lenz, op.cit.
54 Ce qu’Inès Cazalas appelle „épopée pétrifiée” dans Contre-épopées généalogiques : fictions nationales et familiales …, op.cit., Introduction.
55 Inès Cazalas emploie ici le terme d’„épopée complexe” pour l’opposer à l’épopée pétrifiée, op. cit, Introduction.
56 Voir Schmitt, Evelyne, „Les mues de Zygmunt Rogalla : les mues de la Mazurie à travers les personnages féminins de Heimatmuseum”, Orbis Letterarum, 1997.
57 Heimatmuseum, p. 591 dans l’édition de 1978. Notre traduction.
58 Blanche ou l’oubli, p. 495-496
59 Le bichelamar est un pidgin, une langue véhiculaire qui n’est la langue maternelle de personne et qui se constitue dans la relation entre les langues d’Extrême-Orient et celles d’Europe occidentale.
60 Blanche ou l’oubli, p. 423-427
61 Voir la traduction du titre de l’essai d’Humboldt, Über die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues, in Philonenko, Alexis, Humbold. À l’aube de la linguistique, Paris, Les Belles Lettres, 2006.
62 Voir le glossaire établi par Denis Thouard dans Humboldt (von) Wilhelm, Sur le caractère national des langues et autres écrits sur le langage, Thouard, Denis (trad.), Paris, Seuil, 2000
63 Les Pays-Bas commencèrent à installer leur pouvoir dans les îles indonésiennes au XVIIème siècle en y imposant un monopole commercial. Ce sont eux qui fondèrent la capitale Batavia en 1619. Après divers affrontements, les Néerlandais prirent le contrôle total du territoire en 1908 et l’unifièrent sous le nom d’Indes néerlandaises. À la même époque se forme le mouvement Budi Utono, une association de nobles pour l’indépendance et l’éducation moderne. Nous pouvons supposer qu’Alit en est un représentant dans la mesure où le jeune prince a fait ses études à Oxford : sa condition sociale et le parti-pris d’une éducation occidentale correspondent en effet au profil des membres de Bundi Utoro. La culture anglo-saxonne est par ailleurs prisée au sein du mouvement indépendantiste, du fait que les Britanniques sont les grands adversaires des Néerlandais sur la scène maritime et commerciale.
64 Blanche ou l’oubli, p. 267
65 Voir ici même Épopées et guerres coloniales (livraison 4 du Recueil ouvert, 2018) dirigée par Elara Bertho et Aude Plagnard.
66 Aragon portait un fort intérêt à la littérature postcoloniale : Daniel Bougnoux, lors d’une intervention intitulée „L’avenir dans Le Fou d’Elsa de Louis Aragon” donnée le 06 septembre 2013 sur France Culture, précise que l’auteur était un grand lecteur de Kateb Yacine.
67 Lull, James, „Superkultur”, in Hepp, Andreas und Löffelholz, Martin (éd.), Grundlagentexte zur transkulturellen Kommunikation, Konstanz, UVK Verlagsgesellschaft mbH, 2002
68 La férocité du dauphin est décrite implicitement dans la dénomination fera. Le père de ‘Ndrja justifie ainsi l’emploi de ce terme : „Questa, vossia non lo può sapere, noi la chiamiamo fera e fera effettivamente è. E fera vuole dire pescebestino, tutto una fetenzìa d’animale che in quanto carne, non vale un soldo, ma quanto al cervello ce l’ha fino, genialone, non c’è che dire. Fera, basti dire, fera : scellerata e sterminatrice, campa fra ladroneggi e assassinaggi. […]“ (Horcynus Orca, p. 181) Traduction : „Celle-ci, Votre Grâce ne peut pas le savoir, nous l’appelons bête et bête elle est, effectivement. Et bête veut dire poissonpuant, toute une infection d’animal qui, en tant que chair, ne vaut pas un sou, mais quant au cerveau, elle l’a fin, du grand géni, il n’y a pas à dire. Bête, qu’il suffise de dire, bête : scélérate et exterminatrice, elle vit entre vols et assassinats. […]“
Delfino, au contraire, renvoie à une conception opposé, mythifiée et pacifique. L’officier de la marine italienne Monanin glorifie ainsi le dauphin : „Capite ? I delfini portano fortuna, portano bene. Difatti, qualcosa di buono accade sempre a chi va per mare e s’incontra coi delfini.” (Horcynus Orca, p. 207) Traduction : „Vous comprenez ? Les dauphins portent fortune, ils portent bonheur. En effet, quelque chose de bon arrive toujours à qui va par les mers et rencontre les dauphins.”
69 L’Excellence : „è martire” („C’est un martyre”), Horcynus Orca, p. 182.
70 Le père de ‘Ndrja : „lo chiamamo pescebestino” („nous l’appelons poissonpuant”), dans le même dialogue, Horcynus Orca, p. 181, cité ci-haut.
71 Horcynus Orca, p. 151
72 Pellisquadra est un néologisme qui désigner les pêcheurs, par métonymie avec leur peau tannée par le soleil. Nous proposons de le traduire par peaux-ravinées pour le rapprocher de „peaux-rouge” (pellirossa).
73 L’homosexualité masculine et la subversion des représentations traditionnelles du genre sont des motifs récurrents du roman : elles sont présentées chez les villageois comme des indices d’une nature pervertie. L’auteur déconstruit cette perspective en souterrain dans la narration.
74 La société mussolinienne s’était construire autour d’un éloge de la force. Pensons par exemple au „Bisogna essere forti”, extrait d’un discours tenu à Coni le 24 août 1933. L’analyse du dictionnaire de mythologie le plus édité à l’époque fasciste, celui de Giovanni Stano (Dizionario di miti, leggende, costumi greco-romani) est éclairante : très peu de pages sont réservées à Ulysse, le héros de la ruse, tandis que le mythe d’Hercule a droit à un développement conséquent.
75 Horcynus Orca, p. 1002.
76 Toutes les figures d’étrangères dans le roman (les prostituées – femminotte –, Ciccina Circè et l’Américaine) sont présentées comme de dangereuses prédatrices sexuelles en opposition aux femmes du village.
77 Voir l’expression „sceso di barca” utilisée comme métaphore de l’aliénation des pêcheurs.
78 „Vogliose, incapricciate del mascolone, gli facevano sentire il verso della loro vergogna emozionata, la coda girata per sotto, a sventolarsi il nicchiarello infocato. Si udiva quel pititiare, quella schifoseria di pernacchiette, si vedeva quel mare là come infemminito, schiene su schiene, tornotorno, che respiravano gonfie, occhi e occhi che fra le ciglia socchiuse spiavano verso il tubo schiumante dell’orcaferone.“ (Horcynus Orca, p. 670) Traduction : „Avides, entichées du mastodonte, elles lui faisaient sentir le revers de leur honte fiévreuse, la queue tournée vers le bas, en se ventilant leur petite cavité torride. On entendait leurs pipipipiallements, cette saloperie de minauderie, on voyait ce morceau de mer là qui était comme féminisé, elles dos sur dos, tournées et retournées, qui respiraient toute bouffies, des yeux et des yeux qui épiaient entre leurs cils entrouverts le tuyau écumant de l’orque, ce gros animal.”
79 La société mussolinienne s’était construire autour d’un éloge de la force. Voir par exemple le „Bisogna essere forti”, extrait d’un discours tenu à Coni le 24 août 1933. L’analyse du dictionnaire de mythologie (Dizionario di miti, leggende, costumi greco-romani de Giovanni Stano) le plus édité à l’époque fasciste est éclairante : très peu de pages sont réservées à Ulysse, le héros de la ruse, tandis que le mythe d’Hercule a droit à l’un des développements les plus conséquents.
80 „E poi cadeva la bomba, senza la minima avvisaglia di aeroplani. […] Un muccusello di sette anni di nome Nino, una muccusa di sedici anni di nome Ina, un’altra signorina di ventuno di nome Franchina, una madre di famiglia di trentanove anni di nome Marta e un padre di famiglia di nome Paolo Castorina, di punt’in bianco volavano per aria, senza colpa né peccato, volavano a mare ancora caldi caldi […].” (Horcynus Orca, p. 450) Traduction : „Et puis tombait la bombe, sans le moindre signe d’avertissement lancé par les avions. […] Un petit drôle de sept ans du nom de Nino, une drôlesse de seize ans du nom de Ina, un autre demoiselle de vingt-et-un ans du nom de Franchina, une mère de famille de trente-neuf ans du nom de Marta et un père de famille du nom de Paolo Castorina, de but’en blanc volaient par les airs, sans faute ni péchés, ils volaient dans la mer encore tout chauds […].”
81 Nous entendons ici politique au sens large : qui concerne la polis, les hommes organisés en société.
82 „Li abbiamo, li abbiamo i calli” fecero i sbarbatelli.
„Li hanno, dicono loro” fece ‘Ndrja, provocatorio, però bonario provocatorio, rivoloto a Masino. „Capaci che non hanno nemmeno il foglio di pesca. Per qualcuno, anzi, ci scommetto, non solo che non l’ha, ma forse nemmeno non lo sa.” (Horcynus Orca, p. 1037) Traduction : „Nous les avons, nous les avons les cals” firent les blancs-becs.
„Ils les ont, c’est ce qu’ils disent” fit ‘Ndrja, d’un ton provocateur, mais provocateur débonnaire, s’adressant à Masino. „Si doués qu’ils n’ont même pas de tête plombée. Pour certains, même, je parie que non seulement ils ne l’ont pas mais qu’ils ne le savent peut-être même pas.”
83 Vinclair, Pierre, De l’épopée et du roman. op. cit.
84 Nous empruntons le terme à la géographie et à la sociologie urbaine ; voir notamment Vanier, Martin, „Qu'est-ce que le tiers espace ? Territorialités complexes et construction politique”, Revue de géographie alpine, vol. 88, n° 1, Année 2000, p. 105-113 ; et Le Gall, Julie et Rouge, Lionel, „Oser les entre-deux !”, Carnets de géographes, n° 7, 2014.
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Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Mathilde Noëlle Mougin
Université Grenoble Alpes – UMR Litt&Arts
Ancienne étudiante de l’ENS de Lyon et agrégée de lettres classiques, Mathilde Mougin est doctorante en littérature comparée à l’Université Grenoble-Alpes Elle travaille au sein de l’UMR Litt&Arts sous la direction de Florence Goyet. La thèse qu’elle rédige s’intitule : « La réinvention du foyer : polyphonie et travail épique dans Blanche ou l’oubli d’Aragon, Horcynus Orca de Stefano d’Arrigo et Heimatmuseum de Siegfried Lenz ». Elle y met à l’épreuve la catégorie de “travail épique” pour déterminer dans quelle mesure une résolution de la crise politique est en train de s’inventer au sein de la polyphonie narrative des trois romans. Elle a également traduit de l’italien des articles de recherche.