Epopée, Recueil Ouvert : Section 4. État des lieux de la recherche
Le destan turc est-il une épopée ? Premiers débats et prolongements actuels
Résumé
Cet article s'intéresse aux vifs débats intellectuels qui ont accompagné dans le monde turc la réception des discussions occidentales sur l'épopée, entre le début du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle. Ces débats sont d'abord liés à la notion de littérature nationale en Turquie et au “désir d'épopée” qui caractérise plus largement le tournant du XXe siècle, dans une fascination pour l'épopée occidentale classique, et pour Homère en particulier. Dans la période suivante, l'étude des genres narratifs turcs (destan, hikaye...) passe au premier plan et permet à la réflexion et aux tentatives de définition de la narration épique de prendre leur autonomie par rapport aux textes et aux critiques occidentaux. La fin de l'article trace à grands traits les perspectives critiques depuis 1950.
Abstract
“Is the Turkish destan truly an epic ? The critical debate at the end of XIXth and beginning of XXth century”
This article centers on the lively intellectual debates in Turkey that followed in the wake of discussions of the epic in the West from the beginning of the XIXth to the middle of the XXth century. At first these debates focused on the concept of national literature in Turkey, in the context of “a desire for epic” that more generally characterized the turn of the XXth century, with its fascination with Western classical epic, and Homer in particular. During the following period the study of Turkish narrative genres (destan, hikaye…) takes the forefront and leads to a consideration of and attempts to define epic narrative with more autonomy in respect to Western texts and critiques. The end of the article traces in broad strokes critical perspectives since 1950.
Texte intégral
1Les dictionnaires de langue turque offrent plusieurs équivalents ou synonymes pour traduire le mot français “épopée” : destan (littéralement : “récit” – terme d'origine persane), hikaye (“récit” – terme d'origine arabe), manzum hikaye (“hikaye en vers”), epik şiir (“poème épique”) et epope (“épopée”). Ce flottement dans le vocabulaire témoigne des différences entre les définitions française et turque, mais aussi des hésitations qui ont caractérisé l'histoire de la critique sur le genre – ou plutôt sur les genres apparentés.
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1 Le qaside est une des formes poétiques empruntées aux littératures arabe et...
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2 Sami, Şemseddin, Kamus-i Firansavi, [Dictionnaire turc-français], Istanbul,...
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3 La littérature nationale est le nom d’un courant littéraire d’une vaste por...
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4 Les mêmes attitudes se rencontrent dans les cas de la création du Kalevala,...
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5 Le destan d’Oghuz Kagan et celui d’Ergenekon furent les premiers destan tur...
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6 Publié pour la première fois, en 1914 (Gökalp, Ziya, Kızıl elma, [La pomme ...
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7 Publié pour la première fois, en 1936, il s’agit d’un récit à forte colorat...
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8 Connu aussi sous le nom de Dânişmendnâme, ce destan raconte les exploits et...
2Les tentatives pour définir le genre épique en Turquie ne sont pas très anciennes et n’ont pas véritablement une longue tradition. En 1856, le dictionnaire anglais-turc rédigé par James William Redhouse définit le substantif epic comme “un hikaye en forme de qaside”1, soulignant ainsi sa dimension panégyrique, et dans le dictionnaire turc-français de Şemseddin Sami, publié en 1883, le mot destan (ou dastan) n’a aucune connotation héroïque : “histoire, conte, poème populaire sur un événement ou une personne”2. Le point de départ des spéculations sur le genre épique en Turquie correspond à la réception d’Homère, ou plutôt à la réception des théories françaises de l’épopée, qui prennent l’Iliade comme modèle parfait. Cette réception, qui s’amorce dans les dernières années du XIXe siècle et s’étend jusqu’aux années 1920, coïncide avec le courant de pensée connu sous le nom de littérature nationale3. À cette époque où la Turquie construit un État, le manque d'épopée nationale se fait ressentir ; les Turcs s'efforcent alors d'y remédier4. Deux groupes de destan – récits – turcs, à thème héroïque, vont alors servir de référence : des destan antérieurs à l’époque islamique, dont il ne reste que des vestiges5 : Ergenekon6 et le destan d’Oghuz kagan7, et d'autres de l’époque islamique – le destan de Danishmend Gazi8 par exemple.
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9 Le Livre de Dede Korkut est connu par trois manuscrits : celui de Dresde (1...
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10 Quand Von Diez traduit le texte en allemand, dès 1815, il s'intéresse esse...
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11 Sur ce récit, voir Luffin, Xavier, Le long voyage d'Ashik Garıp, Paris, L'...
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12 Sur ce parallélisme, voir Boratav, Pertev Naili, Halk hikâyeleri ve halk h...
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13 Pour l’application du mot destan à ce récit voir Akkaya, Özcan, “Türk Halk...
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14 Généalogies qui racontent la vie des rois et des héros de la tribu oghuz.
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15 Les spécialistes ne s’accordent pas non plus sur la définition de ces term...
3La découverte du Livre de Dede Korkut et sa première publication en 1914 constitueront un nouveau moteur des études épiques9. Dès sa découverte, le Livre de Dede Korkut a en effet été mis en parallèle avec les épopées homériques10. Mais on retrouve le même problème de la non-concordance du vocabulaire critique : les termes utilisés pour désigner le texte – hikaye et destan – s’appliquent à la fois aux récits héroïques du Livre de Dede Korkut et aux récits amoureux comme Ashik Garib ile Shah Sanam11. Hikaye est un terme arabe correspondant au narrative anglais12, et destan un terme d’origine persane qui signifie lui aussi récit ; il indique en général des œuvres à thème héroïque, mais il peut aussi désigner un récit amoureux comme Asli ile Kerem13. Dans les premières discussions autour du Livre de Dede Korkut, les auteurs se contentent d'ailleurs d’évoquer l’aspect héroïque des destan ou hikaye sans utiliser les termes épique ou épopée. Par ailleurs, le mot destan n’apparaît dans aucun des manuscrits du Livre de Dede Korkut. Les termes oghuzname14, hikaye et les expressions boy boylamak et soy soylamak ou söy söylemek15 sont les seuls indicateurs dont nous pouvons déduire les caractéristiques du genre auquel le Livre de Dede Korkut appartient. À partir de la seconde moitié du XXe siècle, et après quelques hésitations, la majorité des théoriciens se mettent cependant d'accord sur l’appartenance du Livre de Dede Korkut à la catégorie épique ; la plupart des théories sur le genre s’articuleront désormais autour de cette œuvre. Les modifications de la définition de l’épopée chez les Turcs renvoient alors plutôt aux diverses théories sur l’origine du Livre de Dede Korkut, considéré comme l'œuvre canonique du genre. Les autres œuvres épiques sont soit, comme Köroğlu, marginalisées devant l’ancienneté et l’hégémonie de Dede, soit écartées, comme l’épopée kirghize Manas – parce qu'elle appartient à une autre branche des peuples turciques.
4Les dernières années du XXe siècle représentant un nouveau moment dans cette histoire de la recherche : les théoriciens auront désormais plutôt tendance à définir le genre destan de façon inductive, en étudiant divers destan. Ils éviteront de plus en plus de reprendre les définitions abstraites empruntées à l’Occident. Ainsi, en Turquie, le terme destan sera-t-il de plus en plus conçu comme l’équivalent exact d’“épopée”, tandis que dans chez d’autres peuples turcs, comme en Azerbaïdjan ou dans les pays d’Asie Mineure, il conserve toujours son ambivalence.
5Nous nous intéresserons ici avant tout au terme de destan et aux vifs débats qui ont eu lieu en Turquie autour de ce terme, lorsque les Turcs étaient à la recherche d'une épopée nationale. Pour cela, nous aurons bien sûr à considérer les autres termes qui sont en concurrence ou en synonymie avec lui, mais l'essentiel sera de rendre compte de l'intense activité intellectuelle de cette époque.
1. La réception d’Homère et la question de la littérature nationale
6L’introduction des termes epope, epik et epos dans la littérature turque accompagne la réception d’Homère, à travers la littérature française pour les Turcs de Turquie et à travers la littérature russe pour les Azerbaïdjanais. Les tentatives pour remplacer les mots epope et epos par un équivalent turc constituent une histoire riche de traduction et de création de nouveaux termes littéraires, et surtout riche de discussions autour de la notion d’épopée.
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16 Köprülü, Mehmet Fuad, 1911, via Levend, Agâh Sırrı, Edebiyat Tarihi Dersle...
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17 Il est à remarquer que la nouvelle langue est l’une des notions clés du di...
7Depuis 1911 et autour de la notion de littérature nationale, débute une série de discussions qui – étant donné l’association entre l’idée de littérature nationale et la conception qu’on se faisait du genre épique à cette époque (1911-1923) – ont donné naissance aux débats autour du genre épique. Cette année-là, Mehmet Fuad Köprülü, qui aspirait à un humanisme sans frontières, aborde dans un article la question de la littérature nationale. Dans cette première partie de sa carrière, M. F Köprülü refuse la possibilité de la création d’une littérature nationale turque en se référant à Hippolyte Taine : “à l’époque [moderne]” la création d’une “littérature nationale” était impossible ; par le passé, peut-être pouvait-on parler de littérature nationale – les anciennes épopées nationales françaises comme un nombre limité de destan turcs pouvaient peut-être dessiner un portrait de la nation –, mais au XXe siècle les échanges internationaux ne permettaient pas à une telle littérature de voir le jour16. Le lendemain, Ali Canip Yöntem lui répond – en utilisant un pseudonyme – pour s'affirmer résolument en faveur de la nouvelle langue et du nouvel esprit17, qui caractérisent selon lui la nation turque.
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18 Voir Yöntem, Ali Canip (sous le pseudonyme Yekta Bâhir), “Millî Daha Doğru...
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19 Le verbe utilisé (inşad etmek) est un verbe désuet qui connote la traditio...
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20 Yöntem, Ali Canip, “Millî Daha...” op. cit.
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21 La capitale de l’Empire mongol au XIIIe siècle.
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22 Yöntem, Ali Canip, “Millî Daha...” op. cit..
8Pour A. C. Yöntem, un peuple ne se distingue pas par la race, mais par la langue, et le peuple turc a une conscience collective, vivant dans les mythes et les légendes en langue turque, qui sont les vraies sources pour connaître l’esprit national18. Il accuse Köprülü de méconnaître son peuple et d’inviter les gens à “porter des vêtements à l'ancienne mode” et à “chanter19 des destan larmoyants au bord de la rivière20”. Il poursuit en l'assurant que les défenseurs de la nouvelle langue, eux, ne le ramèneront pas à Karakorum21 et ne lui feront pas vivre la vie d’Oghuz Khan22. Comme le fait remarquer Kani İrfan Karakoç dans sa thèse de doctorat, le contraste entre les deux conceptions du peuple et de la littérature nationale peut évoquer deux conceptions du destan : la première renvoyant aux destan archaïques que le nationalisme turc mettait en avant et la deuxième aux destan lyriques profondément marqués par les motifs de la littérature de diwan.
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23 Köprülü. Mehmet Fuad & Şahabeddin. Süleyman, Malumat-ı Edebiyye, [Précis d...
9Trois ans plus tard, en 1914, dans le manuel scolaire rédigé par M. F. Köprülü et Süleyman Şahabeddinle apparaissent de nouvelles références : l'Iliade et l'Odyssée. Les auteurs y présentent “les genres récemment entrés dans la littérature turque comme destan, chanson et théâtre23”. Bien que la partie consacrée à ces nouveaux genres ne soit que la dernière et qu’elle soit l’une des plus courtes, elle pourrait être considérée comme l’une des premières tentatives des Turcs pour réfléchir au genre épique et pour s’approprier les conceptions européennes du genre. Alors que le terme destan, nous l’avons vu, peut renvoyer à des récits amoureux aussi bien qu'héroïques, M. F. Köprülü le présente comme un nouveau genre, tout comme “chanson” et “théâtre” ; il le définit par référence à l’épopée française, le but étant d'en faire l'équivalent incontestable d’“épopée”.
10Existait-il un traité de littérature définissant le destan avant son contact avec l’épopée ? Le public avait-il déjà une définition bien déterminée du genre ? On sait assurément que les Turcs connaissaient le terme et l’utilisaient largement ; mais aucune définition canonique et écrite ne se laisse déduire des textes de l’époque. Il est à noter que Köprülü utilise le terme destan sans dire un mot du passé de celui-ci ni de sa connotation turque, et sans faire allusion au terme “épopée” qu’il traduit. De plus, la définition qu’il donne ne renvoie qu’à l’Iliade et aux épopées indiennes. Quand il s’interroge sur “nos destan”, c'est pour assurer que dans les ouvrages rassemblés sous le nom de Littérature de Diwan, il n’y a pas de genre destan. Il conclut qu’il est normal que dans une littérature saturée de sentiments personnels il n’y ait pas grand-chose qui renvoie à “la vie réelle de la nation”, qui est pour lui le trait définitoire de l’épopée.
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24 Le mot d’origine arabe (عاشق) désigne “celui qui est tombé amoureux” et, d...
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25 L’impact de la récitation du destan sur le quotidien est encore notable en...
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26 Köprülü. Mehmet Fuad & Şahabeddin. Süleyman, Malumat-ı Edebiyye, [Précis d...
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27 op. cit., p. 251-252.
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28 Idem.
11Dans son argumentation, Köprülü revient surtout à l’idée de l’évolution des genres en faisant allusion à Victor Hugo et à Brunetière. La conception du destan est dans ce contexte très éloignée de celle des ashik24 et de leur public, pour qui les destan ne sont pas impersonnels, ni très loin de leur vie quotidienne25. Pour M. F. Köprülü, le destan met en scène les actes héroïques d’une personne ou d’une nation. Ce qu’il faut surtout retenir de sa définition, c’est qu’elle est liée à la vie sociale. L’auteur considère que le destan apparaît chez les peuples vivant une vie collective et sociale absente en Orient26. Pour lui, la littérature orientale se limite à celles des mondes arabe, persan et turc, et se résume à la littérature de diwan. Faisant appel à la théorie de l’évolution de Spencer qui déclare l’appartenance de l’épopée à une époque antérieure par rapport à d’autres genres, le critique turc trouve cependant plus “naturel” que l’épopée vienne après la chanson. Il distingue en effet deux étapes : dans une première étape, la chanson donne à l’homme l’occasion de déclamer “son amour”, “sa passion”, “ses sentiments égoïstes” – et cela dans un cadre mythique, voire religieux ; dans une deuxième étape, l’homme s’occupe des “conflits et des crises”, au moment où se créent les sociétés et les nations ; l’épopée se charge de représenter cet “esprit collectif27”. S’il admet bien qu’il y a eu autrefois chez les Turcs des ouvrages approximativement dignes de ce qualificatif, il ne tarde pas à mettre en évidence le fait qu’il n’en reste rien et qu’aucun de ces ouvrages ne reflétait la vie de la nation. Aucun ne pouvait donc être considéré comme une épopée. C’est pour ces mêmes raisons (lyrisme, subjectivité, sentiments personnels) qu’il exclut le Shâh-Nâme de Ferdowsi et la poésie épique arabe28.
Ashik Dehgan, photographié par Taha Asgharkhani, 2017, Ourmia (Iran).
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29 Yöntem, Ali Canip, “Epope Nedir ?”, [Qu’est-ce que l’épopée ?], Yeni Mecmu...
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30 op. cit. p. 114-117.
12Si M. F. Köprülü malgré ses références constantes aux théories et aux concepts européens, en particulier français, conserve le terme destan, le terme epope (transcription turque d'“épopée”), lui, fait son entrée dans le discours critique et littéraire de l’Empire Ottoman dans ces mêmes années. En 1918, A. C. Yöntem publie un article intitulé “Qu’est-ce que l’épopée ?”, où il pose la question du genre en appuyant ses argumentations sur la théorie de la création collective de l’épopée29. Il soutient l’idée qu’à l’époque moderne la création de nouvelles épopées est impossible. Selon lui, si les Grecs ont pu en écrire, c’était parce que le sujet de l’épopée vivait dans leur conscience bien avant qu’un Homère n’en eût fait le sujet de son poème – tandis que la vie moderne ne produit plus de tels sujets. Il cite les définitions élaborées au XVIIIe et XIXe siècles en France30, et donne donc une définition tout à fait différente de celle que l’on avait alors pour les destan. Convaincu que le mot épopée n’a aucun équivalent en turc et que l’on ne peut donc pas le traduire, A. C. Yöntem introduit le mot epope dans le discours critique et littéraire turc sans l’appliquer aux destan contemporains ou anciens.
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31 op. cit. p. 123.
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32 Yöntem, Ali Canip, “Epope Asrî Bir Nevi Midir ?”, [L’épopée est-elle un ge...
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33 Yöntem, Ali Canip, “Yine Epopeye Dair”, [De nouveau sur l’épopée], Büyük M...
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34 Yöntem, Ali Canip, “Ecnebî Edebiyatı, Homer Kimdir ? İlyada ve Odisse Nası...
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35 Intitulé également Battal Gazi destani, il s’agit du récit épique créé aut...
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36 Epopée née au XVIe siècle et toujours vivante en Turquie, en Azerbaïdjan, ...
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37 Filizok, Rıza, Ali Canip'in hayatı ve eserleri üzerinde bir araştırma, [Ét...
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38 op. cit., p. 117-118.
13R. Filizok, dans un article dédié à la présentation de l’œuvre d’A. C. Yöntem, nous fait remarquer que pour A. C. Yöntem, l’Iliade portait l’empreinte de la société, aussi bien que celle de l’individu, en étant le produit de l’union des valeurs individuelles et collectives. Ainsi, le plan à suivre dans la littérature turque est-il clair pour Filizok : le mariage de la culture populaire et de la création individuelle peut évidemment encore donner naissance à des œuvres à coloration épique originales. Des “œuvres à coloration épique”, mais pas des épopées31. Il poursuit en effet son argumentation dans trois autres articles : “Est-ce que l’épopée est un genre moderne32 ? ”, “De nouveau sur l’épopée33 ”, “De la littérature étrangère, Qui est Homère ? Quel genre d’ouvrages sont l’Iliade et l’Odyssée34 ?. Dans ces articles, il explique les deux étapes nécessaires à la création de l’épopée : 1) la création collective de mythes et de légendes ; 2) la transformation de cette matière brute en épopée par un poète. Ce qui est surtout à souligner à propos de cette observation de Yöntem, c’est que pour lui les deux destan turcs Battalname35 et Köroğlu36 en sont restés à la première étape – aucun poète n’en a fait des épopées. Et désormais on ne peut aller plus loin : l'épopée ne peut pas être créée à une époque où le rationalisme l’emporte sur l’imagination. Comme exemple d'œuvre à coloration épique et originale qui se rapproche de l'épopée, il cite La Henriade de Voltaire, qui est devenue une belle histoire de France, mais pas une épopée37. Il insiste également sur l’origine orale des épopées homériques, citant les théories qui mettent en doute l’existence d’Homère en tant qu’auteur de ces poèmes. Expliquant différents classements de l’épopée en Occident, il fait allusion à l’épopée romantique, mais pour la récuser : le terme, pour lui, doit plutôt être réservé à la forme dont l'Iliade est le modèle38.
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39 Köprülü, Mehmet Fuad,“Epope Meselesi”, [La question de l’épopée], Büyük Me...
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40 Ibidem.
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41 Le philosophe français Théodule Ribot (1839-1916) développe à travers plus...
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42 Cité par Karakoç, Kani İrfan, “Ulus-Devletleşme Süreci ve Türk edebiyati’n...
14En 1919, F. Köprülü dans un article intitulé “La question de l’épopée”39, conteste cette thèse d’A. C. Yöntem. Dans cet article, il utilise le terme français pour argumenter justement que l’épopée est toujours possible. Köprülü soutient que la littérature turque se trouvait à la fin du XIXe et au début du XXe siècle dans une époque romantique ; il était donc tout à fait normal qu’elle se tourne vers le passé et le folklore pour créer l’épopée. Il conseille donc de retourner aux anciens destan, ou plutôt à ce qu’il en reste, et insiste sur le fait que ce retour n’est pas à effectuer pour les reprendre tels qu’ils sont mais pour les adapter à l’époque40. C’est à partir de la critique de Yöntem, et des conclusions que celui-ci a tirées du livre de Ribot41, que Köprülü attaque les théories présentées par le courant de la littérature nationale42. En substance, Köprülü développe l’idée qu’il est possible de collecter ce qui reste des destan nationaux pour constituer un destan qui épouserait les exigences du genre épique. Sa pensée a donc largement évolué depuis ses premiers travaux.
15Cette modification de la conception du genre chez Köprülü est encore plus évidente un an plus tard dans son Histoire de la littérature turque. Là, il reprend le mot destan (devenu milli destan ou épopée nationale), dont la définition s’élargit assez pour inclure le plus grand nombre d’œuvres épiques. Le Shâh-Nâme de Ferdowsi peut cette fois-ci être inclus dans la liste, il est vu comme ayant été “fixé par écrit”, a posteriori, par Ferdowsi. L’auteur consacre ensuite une section aux destan turcs. Il cherche à déterminer le territoire de chacun des destan et dessine ainsi le trajet des migrations turques.
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43 Köprülü, Mehmet Fuad, Türk edebiyatı tarihi, [Histoire de la littérature t...
16Il est difficile de préciser l’élément qui a causé ce changement de point de vue de Köprülü, mais, ce qui est évident, c’est que Le Livre de Dede Korkut est désormais bien connu et que l’auteur le présente (de même que le destan de Köroglu), comme une version écrite de destan pré-islamiques. Il semble bien que la découverte du Livre de Dede Korkut ait poussé le chercheur à développer et corriger sa première conception des destan turcs. Un deuxième élément est la découverte des destan d’autres peuples turciques par les intellectuels qui se mettent à se définir en se référant à ces autres peuples plutôt qu’aux Arabes et aux Persans (et cela bien qu’en matière d’épopée, ils ne puissent toujours pas mettre fin à la prégnance du Shâh-Nâme43). La renommée de Köroğlu est à cette époque trop grande et répandue pour que Köprülü ne puisse pas le connaître ; s’il n’en parle pas auparavant, ne serait-ce pas à cause du statut inférieur qu’il accordait à un destan qui, lui, est toujours récité et chanté ? Ne serait-ce pas là, un signe que le même terme, destan, n’a pas toujours la même connotation voire dénotation pour les critiques et les théoriciens ?
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44 Une forme poétique composée de 2-4 quatrains octosyllabiques ou hendécasyl...
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45 Forme poétique très ancienne en quatrain.
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46 Erol, Ogur, “Ali Canip Yöntem'in Cumhuriyet Döneminde Edebiyat Öğretimi İç...
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47 op. cit.
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48 Karakoç, Kani İrfan, “Ulus-Devletleşme Süreci ve Türk edebiyati’nin İnşasi...
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49 Ibidem.
17Oghur Erol dans sa thèse signale la publication par A. C. Yöntem d’un manuel scolaire de littérature, dans les années 1925-1928, où l’on trouve une catégorie appelée “les formes de la poésie nationale”. À l’intérieur de celle-ci apparaît une entrée destan à côté d'autres, par exemple koşma44 ou tuyug45 ; il n’est donc pas question de genre, mais de forme46. Dans la nouvelle édition du même manuel, en 1929, réédité sous un autre titre (Littérature des ashik et formes de la poésie nationale), le destan, le koşma et le tuyug sont toujours rassemblés dans une même catégorie et les quelques explications (comme les quelques extraits de littérature des ashik que donne le livre) mettent l’accent sur l’appartenance du destan à la tradition orale47. K. İ. Karakoç – auteur d’une thèse dont le but est d’étudier la construction de la littérature lors du processus de construction de l’État-nation en Turquie – signale de son côté l’existence de programmes radiophoniques consacrés au destan. Celui-ci était en ce cas conçu, non pas comme un genre de la littérature écrite, mais comme un long poème en style épique dont le sujet pouvait varier et célébrer aussi bien les succès des dirigeants de la République que des “gazi”48. Ailleurs dans ces mêmes programmes, le destan renvoyait aux poèmes composés et chantés dans la tradition orale par les ashik49. L’épopée, elle, restait toujours admirable et inaccessible avec ses connotations européo-centrées.
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50 Kayabaşi, Onur Alp et Kayabaşi, Rabia Gökcen, “Ali Canip Yöntem ve Batı’da...
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51 Filizok, Rıza, Ali Canip'in hayatı ve eserleri üzerinde bir araştırma, [Un...
18Dans un ouvrage de 2013, O. A. Kayabaşı et R. G Kayabaşı montreront que tous les participants à ces débats, rassemblés autour de la “question de la littérature nationale”, admiraient la littérature ancienne grecque, sans pour autant vouloir y rechercher un modèle, ni une source d’inspiration comme le faisaient les Européens. Pour cela, ils voulaient plutôt se référer à la culture turque et aux anciens destan turcs50. Comment concilier cette constatation avec les propos d’A. C. Yöntem concernant “les vêtements d’anciens modèles” et les “destan larmoyants” ? Pourrions-nous dire qu’ils attribuaient deux significations différentes au terme destan ? L’une, ancienne, renvoyant à une réalité qu’ils admiraient et l’autre, faisant référence à une partie du répertoire méprisé des ashik de l’époque ? Les remarques ne sont pas assez claires à ce sujet mais il n’est pas déraisonnable de penser que si A. C. Yöntem préfère le mot français et ne l’utilise que pour un nombre limité d’œuvres européennes, c’est justement parce qu’il ne peut pas partir d’une définition fixe du destan, qui serai comparable en précision aux définitions construites à partir des épopées homériques. Il conserve ainsi le terme français épopée – en orthographe turque – et n’ajoute le mot destan qu’en sous-titre et accompagné de l’adjectif national51. Supposée avoir une certaine parenté avec le destan turc, l’épopée se démarque dans cette optique par le fait qu’elle est nationale. L’auteur n’aborde pas la question de savoir ce qui rend un destan national mais il nous semble que la réponse est probablement à chercher dans l’étape de la création individuelle, la seule qui, pour lui, manque aux destan turcs.
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52 Ercılasun, Ahmet Bican Bilge, “Meşrutiyet Tenkidinde Batidan Giren Terimle...
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53 Menkıbe : d’après l’Encyclopédie turque de l’islam, le terme s’appliquait ...
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54 Voir Gökalp, Ziya, Türk Töresi [1923], [La tradition turque], İstanbul, K....
19C’est probablement dans la même perspective que Cenap Şahabettin, le critique et journaliste contemporain de Yöntem, utilise le terme de “l’âge de l’épopée-destan52”, sans pour autant admettre que le destan soit l’équivalent de l’épopée, cette dernière étant créditée dans son processus de création d’une étape de plus que le destan. Si la plupart des théoriciens se référaient à cette étape manquante – récupérable ou non – Zia Gökalp choisit un retour en arrière. Bien qu’il ne se réfère pas au terme épopée ou à une conception explicite de celle-ci, Ziya Gökalp donne un classement des destan turcs où il les évoque sous le titre de menkıbe et ustûre53. Ces deux termes arabes existaient déjà chez les Turcs, mais les significations que l’auteur leur confère sont bien différentes de celles des dictionnaires de l’époque ottomane. Vénérant le passé mythique turc et les destan récemment redécouverts, Zia Gökalp a recours à ces termes plus archaïques afin d’éviter la banalité et la non-originalité du jargon de la tradition orale. Il établit ainsi une conception plus originale du genre auquel les fragments de destan qui nous sont parvenus auraient appartenu et il met en avant la portée mythique et également mystique du genre54.
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55 Cette idée est chère aux penseurs et théoriciens des années 1910-1930 et e...
20Ceux qui utilisent le mot épopée, nous l’avons vu, s’efforcent de le distinguer du destan comme forme littéraire appartenant au répertoire des ashik – légendes et mythes dont aucun poète n’a fait une épopée. Ceux qui préfèrent le terme destan l’utilisent pour désigner aussi bien les destan archaïques que les destan plus récents et les épopées homériques, mais ils n’accordent pas la même valeur à ces trois catégories. Pour ces auteurs, les épopées homériques constituent en effet les modèles parfaits du genre et il manque toujours la dernière étape – la composition par un poète – aux destan archaïques, plus proches de l’âge du destan, l’âge qui précède l’islamisation et la sédentarisation des Turcs ainsi que leur division en plusieurs branches55. Les destan non héroïques et les destan plus récents chantés par les ashik sont désormais qualifiés d’hikaye.
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56 Évoquée également sous le nom de “l’époque de la guerre de la libération”,...
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57 Duymaz, Ali, “Ömer Seyfettin'in kaleme aldiği destanlar üzerine bir değerl...
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65 Sehend, B. K. Sazımın Sözü, İntişarat-ı Şems, Tebriz (sans date, publié d’...
21Mais face aux théoriciens réticents à assimiler le destan à l'épopée, de nombreux créateurs sont prêts à sauter le pas. Dans les années de la guerre d’indépendance turque plusieurs tentatives de réécriture de destan turcs ont lieu56, comme le montre la liste donnée par Ali Duymaz dans son examen des destan écrits par Ömer Seyfettin57. Les écrivains des ouvrages dont le terme destan figure dans les titres ou sous-titres ne partageaient certes pas tous la même conception du genre ; ils pouvaient vouloir le ranimer en tant que tel ou créer ce qui leur semblait être de vraies épopées à partir de fragments de destan archaïques. Pour Ziya Gökalp, Altın Destanı est le destan le plus complet des Turcs et il est destiné à égaler le Shâh-Nâme de Ferdowsi58. Basri Gocul, lui, avec son œuvre majeure présentée comme l'“Epopée nationale des Oghuz59”, s’impose comme la figure la plus remarquable de ce courant. De leurs côtés, Nazim Hikmet60 et Fazıl Hüsnü Dağlarca61 consacrent leur destan aux guerres dont ils sont témoins. Si M. N. Sepetçioğlu s’intéresse à la réécriture d’un récit préislamique concernant la création, dont il ne reste qu’un tout petit résumé62, A. Ziya Kozanoğlu63 préfère réécrire le destan de Battal Gazi. Niyazi Yıldırım consacre presque toute sa carrière de 1952 à 1991 à la création de destan de tous genres ; il réécrit des destan archaïques et en crée de nouveaux avec des sujets guerriers, abandonne la versification empruntée à la littérature de diwan au profit de la versification traditionnelle turque et n’hésite pas à introduire dans ses destan des éléments empruntés à la littérature mystique et à la littérature populaire64. Le poète iranien Bulud Qaraçorlu Sehend met pour sa part les récits de Dede Korkut en vers65.
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66 Topçu, Ümmühan, “Hilmi Ziya Ülken’de Türk Rönesansı Arayışı ve Destan”, [L...
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67 Uluç, Lâle, “The Shahanama of Firdausi in the Lands of Rum.”, In : Shahnam...
22Malgré cette diversité qui marque la “renaissance turque” grâce aux destan, pour reprendre l’expression d’Ümmühan Topçu66, le patriotisme et l’idée de revivifier le passé héroïque dans le but de constituer une nouvelle identité constituent le point commun de la plupart de ces visions du genre. Dans la même perspective, deux autres recueils de poèmes héroïques issus de la même mouvance pourraient nous intéresser dans la mesure où ils présentent un Shâh-Nâme turc : celui de Mithat Cemal Kuntay, publié en 1945 qui utilise la même métrique que le Shâh-Nâme original et celui de Basri Gocul, publiés en 1955. Lâle Uluç donne, dans une étude détaillée, une longue liste des Shâh-Nâme écrits en persan à la cour des sultans ottomans et qui leur sont dédiés, ou qui sont des traductions en turc du Shâh-Nâme de Ferdowsi67. Cette heureuse réception du Shâh-Nâme trouverait ainsi sa prolongation dans ces deux travaux où il ne s’agit plus d’imitation ou de traduction, mais plutôt de destan turcs. Tous ces efforts sont révélateurs d’un manque que les destan devraient combler.
23Tout se passe donc comme si un peuple qui ne possédait pas d’épopée nationale ne pouvait se considérer pleinement comme une nation : la période pendant laquelle s’est constitué et construit l’État-Nation turc s’est caractérisée par ce désir d’épopée et par la recherche de textes pour le satisfaire. Pour résumer, on pourrait dire que les critiques ont suivi à peu près toutes les pistes possibles : considérer l'épopée grecque comme un modèle, accessible ou non, se tourner vers la littérature turque – quitte à faire d'une forme (et non d'un genre) l'équivalent du genre “épopée”, malgré la variété des thèmes, héroïques mais parfois aussi amoureux.
2. Aperçu des débats autour des idées d'épopée, de destan et d'hikaye dans le monde turcophone
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68 Destan composé par des ashik anonymes aux XIX-XXe siècles autour des comba...
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69 Les premières publications d’Homère en azéri, et à Bakou, sont effectuées ...
24La littérature nationale est donc la notion-clé du courant qui a introduit les notions d'epope et d'epik en Turquie, et l’équivalence entre destan et épopée ne se concrétise qu’à travers de nombreux débats autour du genre au XIXe et au XXe siècles. Parallèlement, les Turcs iraniens, eux, n’avaient recours qu’au terme arabe emprunté au persan, hamasa, à l’instar des Persans et essentiellement en référence au Shâh-Nâme ; dans ce contexte iranien le mot destan ne s’utilisait – et ne s’utilise toujours – qu’en référence au riche répertoire de la tradition orale ashik. On retrouve là l'ambiguïté du terme que nous avons soulignée : cette tradition ne fait pas la distinction entre œuvres épiques – comme le destan de Köroğlu et Qaçaq Nebi68, et récits amoureux – tels le destan d’Ashik Garib et Shah Sanam ou celui d’Asli et Kerem. Un constat du même ordre peut être dressé en Azerbaïdjan, qui faisait alors partie de l’URSS et où le terme russe d’эпос (epos) fait son apparition au XXe siècle69 ; il ne s’applique, normalement, qu’aux épopées canoniques non turques comme l’Iliade et le Shâh-Nâme, ainsi qu'au Livre de Dede Korkut qui ne fait plus partie du répertoire des ashik. La quasi-totalité des œuvres narratives appartenant à ce répertoire est plutôt appelée destan.
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70 cf. Reichl, Karl, Turkic oral epic poetry. Traditions, Forms, Poetic Struc...
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71 op. cit., p. 130.
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72 op. cit., p. 130.
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73 op. cit., p. 124. En était-il de même pour les performances des ashik, che...
25La confusion qui existe au XXe siècle en Turquie autour du destan se retrouve également chez les Turcs d’Asie Centrale. En effet, Karl Reichl, dans ses différentes études sur les épopées turques, surtout celles des Turcs d’Asie Centrale, admet l’existence d’une confusion profonde, tout en cherchant à distinguer destan “récit épique” et hikaye “récit d’amour” ou “romance”70. Romance se définit, d’après lui, comme “un label général pour désigner une vaste variété des sous-genres épiques où le mode héroïque n’est pas le mode dominant”71. Il constate également que dans les traditions où il y a de pures épopées en vers, les romances se caractérisent par leur forme prosimétrique. Par exemple, chez les Kazakhs où des épopées comme Alpamış et Qoblandi-batır sont intégralement en vers, il y a des “love epics” qui mêlent vers et prose. Il souligne aussi que d’autres traditions (turques, azerbaïdjanaises, turkmènes, ouzbèques et ouïgours), qui n’ont que l’épopée prosimétrique, ont une remarquable prédilection pour les sujets lyriques dans leurs épopées72. Pour lui, dans la tradition orale d’Asie Centrale qu’il a étudiée, un destan se caractérise par des critères formels et par son contexte de communication. Le destan est ainsi : un récit exclusivement en vers ou mélangeant vers et prose, d'une longueur suffisante pour comprendre plus d'un épisode et pour permettre l'élaboration de scènes (avec monologues et dialogues). Plus important que ces critères formels (parmi lesquels ceux concernant la structure narrative et la longueur sont bien sûr relatifs plutôt qu’absolus), le destan se définit par référence au contexte de communication : c'est “un récit qui est exécuté dans un cadre cérémoniel [...], dans un style particulier de chant et de récitation et, en règle générale, accompagné d'un instrument”73.
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74 Reichl, Karl, The oral epic : performance and music, V.W.B, 2000, p. 19-20.
26K. Reichl distingue six groupes d’épopée orale turque, et il admet que dans les épopées du troisième groupe, à savoir celles des Turcs d’Asie Centrale (Kirghizs, Kazakhs, Karakalpaks, Ouïgours et Ouzbek), il y a une très grande variété de destan : des love-romance aussi bien que des épopées au sens des épopées homériques ; tandis que chez les peuples turcs du sud-ouest (Turkmènes, Azéris et Turcs d’Anatolie) il y a une prédilection dans les destan pour les “love and adventure romance”74.
3. La définition du destan dans les études modernes
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75 Yetiş, Kâzım, “Destan”, [Destan], In : Islam ansiklopedisi, Türkiye Diyane...
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76 Luth à trois cordes joué par les ashik.
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77 Nicole Revel, Christiane Seydou, Maria Couroucli, Altan Gokalp, Emmanuèle ...
27De nos jours, la Grande Encyclopédie de l’Islam définit le destan comme un long récit (hikaye) en vers, racontant des événements historiques ou sociaux qui ont profondément marqué la société75. Elle ajoute que c'est également le nom d’une forme littéraire accompagnée au saz76. Cette encyclopédie donne comme synonymes du destan : hikaye, masal (“conte”), biographie, hikaye en vers, kissa (“parabole”), Vakainame (“chronique”), histoire, roman et fable. Voici une définition peu précise dont les éléments ne sont cependant pas tout à fait inconnus du lecteur francophone. En effet, certains des genres voisins qui sont cités ici comme synonymes – pour ne pas dire tous – figurent également dans la définition que l’Encyclopédie Universalis fournie sous l’entrée épopée77.
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78 Il s’agit d’un passage élégiaque sur la mort du grand héros, Alp Er Tunga....
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79 Abdülkadir, İnan, “Türk Destanlarına Genel Bir Bakış”, [Vue d'ensemble sur...
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80 Banarlı, Nihad Sami, Resimli Türk Edebiyatı Tarihi, [Histoire illustrée de...
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81 Ibid, p. 23
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82 Ibid, p. 2.
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83 Boratav, Pertev Naili, Halk hikâyeleri ve halk hikâyeciliği, [Les hikaye p...
28La seconde moitié du XXe siècle voit la poursuite de la quête de l’épique dans la littérature turque et des tentatives de faire du destan son équivalent. Dans les années 1950, B. Ögel développe une étude sur la présence des mythes dans les destan turcs et il y voit aussi des éléments de croyances chamaniques. Après lui, İ. Abdülkadir propose une vision d’ensemble sur les épopées turques. Il ouvre sa longue étude par une citation d’un passage du destan d’Alp Er Tunga78 qui nous est parvenu par le livre de Mahmoud de Kashgar et il soutient l’idée de l’existence d’une vaste tradition épique turque qui ne nous serait parvenue qu’à l’état de traces79. Dans les mêmes années, N. S. Banarli, pour qui “les épopées sont des histoires, en vers, de religion, de vertu et d’aventures héroïques des nations”80, suppose l’existence d’une ancienne tradition épique commune aux Turcs et aux Huns81. Destan est, selon lui, “à la fois l’équivalent d’épopée et de légende”, la légende racontant la préhistoire, tandis que l’épopée parle plutôt des héros qui vivaient dans les périodes historiques82. Boratav publie, en 1959 un article pour distinguer l’épopée des hikaye. L’auteur maîtrise bien la langue française et sa conception du genre reste marquée par les théories françaises83.
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84 Yildirim, Dursun, “Hikâyeciliğimizde Üçüncü Yaratıcılık Ortamı ve Hikâyeci...
29Dans les années 1980, l’étude typologique des personnages domine les recherches sur l’épopée, en particulier avec M. Kaplan, qui s’impose comme la référence la plus importante de ce courant. L’étude du type du héros guerrier et de ses avatars dans les destan est alors essentielle à la définition du genre. Depuis les années 1990, les théories de l’oralité prennent plus d’importance. La figure la plus significative dans cette perspective est sans doute D. Yıldırım qui continue sa carrière au XXIe siècle en recourant à la théorie de la réception84.
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85 Paksoy, Hasan Bülent, “Türk Destanları’nın Önemi”, [Sur l’importance des d...
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86 Il cite, nous l’avons vu, l’exemple de la signification du destan dans les...
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87 Paksoy, Hasan Bülent, Turk Tarihi, Toplumlarin Mayasi ve Uygarlik, [Histoi...
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88 Paksoy, Hasan Bülent, Alpamış, Rus yöntemi altında Orta Asia kimliği, [Alp...
30Par ailleurs, H. B. Paksoy publie alors ses premiers travaux qui contiennent des analyses et des remarques tout à fait originales. Dans les années qui suivent, travaillant par exemple sur le destan d’Alpamiş (destan kazakh), Paksoy85 se distingue de ses collègues par ses remarques d’ordre sociologique et son intérêt pour les destan des Turcs du nord-est. D’après lui, les sociétés pourvues de destan ne se les rappellent et ne les récitent qu’à la suite de la victoire ou de la défaite, dans le désir de transmettre des valeurs à la génération suivante. Dans le cas d’une grande victoire, un nouveau destan se crée et dans le cas de la défaite le destan déjà créé sert à redonner du cœur aux membres de la société. Les destan sont, de ce point de vue, les sagesses et les expériences transmises86 et il y a les destan-sources87, les destan de la libération et de l’indépendance renouvelé à l’occasion de chaque conflit, donnant ainsi naissance à de nouveaux destan88.
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89 Op. Cit., p. 12.
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90 Ibid. p. 13.
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91 L’équivalent turc de ce terme est les paroles des ancêtres, ce qui renvoie...
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92 Indications données par la littérature orale sous forme des conseils expli...
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93 Paksoy, Hasan Bülent, Alpamış, Rus yöntemi altında Orta Asia kimliği, [Alp...
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94 Bilginler benim ferasetime kulak versinler/ Sözüme destan muamelesi yapara...
31Pour Paksoy, l’existence de “tradition de la célébration de l’identité et des aventures des ancêtres” chez les Turcs est attestée depuis le VIIIe siècle89. Et ce serait, probablement, la même tradition qui se trouve évoquée au XIe siècle sous le mot sav ou sab et dans le livre de Mahmud de Kashgar90. Ce genre, si nous pouvons le considérer comme tel, comprend les proverbes91 et les “avertissements92”. Le mot destan apparu au XIIe siècle dans un poème d’Ahmad Yasavi, se laisse, donc, interpréter comme l’équivalent du mot sav et, donc, s’inscrit dans la même tradition littéraire qui vise à donner des conseils et à transmettre l’expérience des sages93. Le caractère sacré du destan est visible dans les vers de ce grand mystique d’Asie Centrale : “Que les sages suivent mes conseils, qu’ils traitent mes propos comme un destan et réalisent leurs vœux94”.
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95 Togan, Zeki Velidi, “Türk Destanlarının Tasnifi”, [La classification des d...
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96 Atsız, Nihal, « Kopuzlama Ve Oğuzlama ”, Orkun, 1951, N° 34. ; Atsız, Niha...
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97 Atsız Nihal, “Türk destanini tasnif etmek tecrübesi” [Sur la classificatio...
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98 Atsız Nihal, “Türk Destanı üzerine incelemeler, Türk Destanı”, [Études sur...
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99 Ibid.
32Il y a de grandes lacunes dans les sources, car les exemples cités ne nous permettent pas de suivre les modifications que la tradition du sav a dû subir pour donner naissance à celle évoquée sous le nom de destan. Toutefois, la recherche enthousiaste de la tradition épique chez les Turcs mène les spécialistes à s’interroger sur d’autres traditions, qui n’avaient jusqu’alors pas vraiment attiré leur attention. La question fondamentale “Pourquoi les Turcs n'ont-ils pas d'épopée ?” permet de relier entre eux les divers destan, provenant de différents endroits du monde turc. Durant les années 1930, quelques articles académiques furent publiés sur ce sujet. L’historien Zeki Velidi Togan95 et Nihal Atsız96 ont été les premiers à s’exprimer à ce propos. Si Zeki Velidi Togan admet avec un grand regret que chez les Turcs, comme en Europe, l’âge du destan a touché à sa fin, il insiste sur le fait que les anciens destan peuvent être d’une grande utilité pour certains peuples, notamment pour les Turcs et les Chinois, et qu’ils peuvent leur servir d’outil pour “l’éducation nationale”97. Si la question de la classification des destan préoccupe ces deux chercheurs, c’est qu’ils s’interrogent toujours sur la définition du destan turc et que, pour ce faire ils trouvent nécessaire d’écarter les destan qu’ils considèrent comme “non originaux”. Plus un destan vient du passé et plus il reflète les éléments de la vie préislamique, plus il leur semble susceptible d’être original, d’être digne de servir de modèle pour la définition du genre. “Quel genre de destan est le destan turc ?” est la question qui entraîne chez Nihal Atsız d’autres interrogations, comme : “Köroğlu est-il l’extrait d’un destan Gök Türk du VIIe siècle ou un destan créé au XVIe siècle en Anatolie ?” ou “Manas est-il un destan karakhanide du Xe siècle ou un destan kirghiz du XVIIe siècle ?”98. L’exemple donné par Nihal Atsız afin d’éclairer la fonction “miraculeuse” du destan dans la vie nationale est le Shâh-Nâme, ce qui peut être révélateur de la conception fonctionnaliste que les théoriciens turcs de l’époque attribuent au destan. Le Shâh-Nâme est en effet le texte qui a revivifié la langue et le peuple persans après la conquête arabe, et son impact va loin : l’épopée persane fait du héros turc Alp Er Tunga un antihéros, et dans les textes de l’époque seldjoukide, les Turcs partagent ce point de vue et s’approprient le ressentiment qui lui est associé99.
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100 Reichl, Karl, The search for origins : Ritual aspects of the performance ...
33C'est dans ce cadre que les premiers ouvrages du turcologue allemand Karl Reichl – auxquels nous avons déjà fait allusion – voient le jour. Son immense travail prend comme point de départ la tradition orale et le destan en Asie Centrale100. L’auteur assiste à des performances et s'entretient avec le public et les récitants, et ses livres sont de riches sources d'informations anthropologiques et sociologiques sur le genre, qui semble se définir selon le contexte plutôt que par le texte. Le fait que cet auteur s’intéresse surtout aux épopées d’Asie centrale ne l’empêche pas de très bien connaître l’épopée turque en général et de penser chaque destan ou hikaye, d’abord dans la perspective de la tradition orale des peuples turciques en général, puis dans le cadre de la branche à laquelle chaque épopée appartient.
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101 Çobanoğlu, Özkul, Âşık tarzı kültür geleneği ve destan türü, [La traditio...
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102 Çobanoğlu, Özkul, Türk dünyası epik destan geleneği, [La tradition épique...
34Les premières années du XXIe siècle voient la parution de deux livres théoriques d’Ö. Çobanoğlu. Dans le premier, l’auteur intègre le destan à la tradition des ashik101 ; le deuxième est consacré à “la tradition du destan épique”102. Ces deux ouvrages, qui font autorité, analysent le destan dans ses rapports avec l’épopée et avec la tradition dont il est issu. Le grand mérite de Çobanoğlu réside surtout dans la définition qu’il donne du destan, considéré comme performance et comme lieu d’interaction du public et du récitant. Cette conception rend compte de toutes les dérivations et des liens d’intertextualité entre les destan issus des diverses branches des peuples turciques ou entre les trois types de destan (archaïque, héroïque et historique). Elle est aussi assez englobante pour rendre compte du long trajet que les destan “archaïques” ou “mythiques” ont effectué pour arriver aux destan des ashik.
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103 Sakaoğlu, Saim et Duymaz, Ali, İslâmiyet öncesi Türk destanları : incelem...
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104 Boratav, Pertev Naili. Contes de Turquie. Maisonneuve & Larose, 2002.
35La publication d’un livre sur les destan turcs préislamiques par deux figures connues des milieux académiques, Sakaoğlu et Duymaz, marque l’année 2002103. La même année paraît en France Contes de Turquie de P. N. Boratav qui définit le conte en le distinguant de l’épopée104.
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105 Oğuz, Öcal, Türk halk edebiyatı : el kitabı, [Guide de la littérature pop...
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106 Ekici, Metin, “Destanlar”, [Les destan], In : Halman, Talat S. (éd.), Tür...
36En 2004, Ocal Oğuz publie ses analyses sur la tradition orale et considère le destan comme une composante de celle-ci105. Les recherches effectuées par Metin Ekici sur les éléments qui participent à la définition du destan turc ouvrent quant à elles la voie à une définition autonome des destan turcs106.
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107 Ercilâsun, Bilge, Makaleler : dil, destan, tarih, edebiyat, éditions Akça...
37En 2007, un recueil d’articles de A. B. Ercilâsun comprend des analyses globales sur le destan, surtout sur ceux de Dede Korkut et d’Oghuz Khagan107.
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108 Arvas, Abdulselam, Dede Korkut Destanı ve Kıpçak Sahası Epik Destan Gelen...
38En 2009, A. Arvas étudie, dans une thèse dirigée par Çobanoğlu, la tradition du destan chez les Kiptchaks à l’aide d’une analyse des motifs108.
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109 Yıldız, Naciye, “Türk Destancılık Geleneği”, [La tradition du destan turc...
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110 Akyüz, Çiğdem, “Dünden Bugüne Türk Dünyası Destan Anlatıcıları”, [Les nar...
39La même année, un article de Naciye Yıldız est consacré à la tradition du destan109 et, en 2011, est publiée une étude détaillée de Ç. Akyüz sur les changements associés au rôle des professionnels dans la performance du destan et donc sur les modifications du genre110.
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111 Çetindaş, Dilek, Yeni Türk Şiirinde Destan, [Le destan dans la poésie mod...
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112 Ibid. p. 54.
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113 Ibid. p.55.
40Le livre de Dilek Çetindaş exige une mention particulière. Avant d’aborder la question du destan dans la poésie moderne turque, l’auteure consacre une soixantaine de pages à la définition du genre et aux convergences et aux divergences entre épopée et destan. Elle distingue le destan par son type de héros, qui se différencie de ceux des autres traditions épiques du monde : pour elle, les héros des destan turcs sont véritablement humains, avec leurs points forts et leurs faiblesses, ils s'inscrivent dans le monde social et sont donc présentés de manière réaliste111. Visant à étudier les traces du destan dans la poésie moderne, l’auteure s’intéresse aux critères thématiques du genre aussi bien qu’aux effets et aux fonctions supposées propres à celui-ci. Cependant, les fonctions qu’elle accorde au destan ne s’écartent pas véritablement de celles des définitions canoniques. Elle considère en effet que les destan assurent la cohésion entre les générations en véhiculant des éléments moralisateurs112. Cela n'empêche pas qu'il y ait pour elle une différence entre destan et épopée : l’épopée raconte « les périodes de la désintégration et de l’intégration », tandis que les destan déclament le récit de fondation des empires ou mettent en scène la période la plus brillante. L’association de cette caractéristique à l’esprit de conquête, au désir et à la prétention des Turcs pour régner sur le monde, nous conduit à la penser comme un avantage accordé aux Turcs et au destan113.
Conclusion
41À la suite des premiers contacts avec les théories du genre épique en Europe, les critiques turcs sont restés embarrassés, mais la voie qui s’ouvre alors donne aux débats et aux analyses sur le destan turc une grande richesse et une grande force. La question de savoir si l’épopée a un équivalent turc est le point de départ ; les auteurs et critiques, avides d’identité nationale, en ressentent le regret et le manque. L’idée est alors soit de chercher dans le passé lointain des œuvres qui méritent d’être qualifiées d’épopée, soit de tenter d’en créer de nouvelles en imitant le modèle d’un Shâh-Nâme qui a si bien réussi. Le point le plus remarquable est peut-être qu'aucun des destan récités par les ashik de l’époque n'était considéré comme un équivalent de l’épopée, et cela malgré le fait que d’habitude on les appelait destan. Le désir d’avoir une épopée nationale, l’adhésion à la théorie de l’origine orale de l’épopée – rédigée ensuite par un poète de génie –, et finalement les grandes guerres se conjuguent pour motiver une renaissance du destan sur la période 1910- 1980.
42La découverte du Livre de Dede Korkut réconforte considérablement les critiques par son caractère archaïque mais également achevé : ce destan à l'origine orale a été ensuite fixé par écrit – c’était ce que l’on attendait d’une épopée. Les traces de l’oralité et surtout le personnage de Dede Korkut, considéré comme un précurseur des ashik contemporains, ont fait de ce livre une articulation entre les destan archaïques (dont la disparition affligeait l’esprit nationaliste de l’époque) et ceux toujours récités par les ashik .
43Désormais, avec l’intérêt croissant porté à la tradition orale sur le plan international, les turcologues s’intéressent de plus en plus aux destan et aux hikaye recueillis dans la vaste étendue où ils sont toujours récités et chantés. Par conséquent, les analyses et les études qui se chargent de définir le destan turc comme un genre ou une tradition littéraire préfèrent induire cette définition des destan plutôt que de l’ajuster aux définitions de l’épopée.
Notes
1 Le qaside est une des formes poétiques empruntées aux littératures arabe et persane au XIVe siècle. Les premiers exemples de qaside en turc sont panégyriques et ne montrent pas une grande différence avec les poèmes panégyriques dédiés aux khans turcs avant la conversion des Turcs à l'islam. Voir Pala, Iskender, “Kaside ”, in Islam Encyclopedisi, 2001, Vol 24, p. 564-566. Cet emprunt et beaucoup d’autres s’effectuent dans le cadre de la littérature de diwan, la littérature officielle, associée à la vie de cour, profondément inspirée par la langue et les littératures arabe et persane et fortement caractérisées par le lyrisme et le symbolisme mystique. Redhouse, James William, An English And Turkish Dictionary, Londres, B. Quartish, 1856.
2 Sami, Şemseddin, Kamus-i Firansavi, [Dictionnaire turc-français], Istanbul, Imprimerie Mihran, 1883.
3 La littérature nationale est le nom d’un courant littéraire d’une vaste portée socio-politique né en 1911 autour de la revue Genç Kalemler Dergisi [La revue des jeunes plumes], publiée en 1910-1912. Comme le nom l'indique, ce courant visait à se retourner vers le peuple (la nation) et s’adresser à lui.
4 Les mêmes attitudes se rencontrent dans les cas de la création du Kalevala, épopée finlandaise, au XIXe siècle (cf. Moreau, Jean-Luc, “De la poésie populaire finnoise à l’épopée finlandaise. Le Kalevala”, in Épopées du monde : pour un panorama (presque) général, Feuillebois-Pierunik, Ève (éd.), Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 425-436.) et de l’épopée grecque, le Digénis Akritas (cf. Palágyi, Tivadar. “La Chanson de Roland et le Digénis Akritas dans l'histoire littéraire : construction du passé national en France et en Grèce au tournant du XIXème et du XXème siècles”, Cahiers de la Nouvelle Europe, Paris, L’Harmattan, 2008/8, p. 35-48.)
5 Le destan d’Oghuz Kagan et celui d’Ergenekon furent les premiers destan turcs qui attirèrent l’attention des chercheurs sur l’épopée turque, dotant d'un passé imaginaire et mythique les Turcs avides d’identité nationale. Le turcologue W. Radloff publia pour la première fois le destan d’Oghuz Kagan en 1891. Une deuxième édition, plus populaire, fut réalisée, en 1936, par W. Bang et G. R. Rahmeti. Quant au destan d’Ergenekon, nous n’avons que la version citée dans Câmi'ü't-Tevarih de Reşididdin au XIIIe siècle. Celle-ci sera reprise quatre siècles plus tard, au XVIIe siècle par un autre historien, Ebulgazi Bahadır Han.
6 Publié pour la première fois, en 1914 (Gökalp, Ziya, Kızıl elma, [La pomme rouge], Istanbul, Ötüken, 2015), ce récit mythique est connu par plusieurs versions. Le débat sur son origine est toujours vivant : certains le considèrent comme un récit turc et d’autres comme un récit mongol. Les seconds argumentent qu’il s’agit d’un récit mongol dont la version turque a été construite à l’apogée du nationalisme turc par Rabia Kadri. Ce dernier a établi des parallélismes entre ce récit (qu'il tient pour mongol) et un récit turc et il en a conclu qu’il s’agissait d’un récit commun. Quoi qu’il en soit, l’envie d’épopée chez les Turcs de l’époque a fait de ce récit l’un des piliers de leur identité. (Özkan, İsa, Ergenekon Destanı Hakkında, [À propos du destan d’Ergenekon], Türk Yurdu dergisi, N° 265 (2009), p. 43-47).
7 Publié pour la première fois, en 1936, il s’agit d’un récit à forte coloration mythique, consacré à la vie de l’ancêtre mythique de la confédération tribale Oghuz, Oghuz khagan (Oğuz Kağan). Le nom d’Oghuz kagan se rencontre sous plusieurs formes en fonction des langues des peuples qui s’approprient ce destan : Oghuz Khagan, Oghuz Khan (dans les textes anglais), Oğuz Han (en Turquie), Oğuz Xan (en Azerbaijan), Oguz Kagan (dans certaines sources françaises). Pour plus d’informations cf. Bang, W., & Arat, R. R. (éd.), Oğuz Kağan Destanı, [Le destan d’oghuz Kagan], Istanbul, Burhaneddin, 1936, vol. 18. ; Gömeç, Saadettin, “The Identity of Oguz Kagan. The Oguz in the History and the Epics of Oguz Kagan”, Oriente Moderno, vol. 89, N° 1 (2009), p. 57-66.
8 Connu aussi sous le nom de Dânişmendnâme, ce destan raconte les exploits et les guerres de Danishmend Gazi, le second chef de la dynastie Danishmendide fondée à la suite de la bataille de Manzikert en Anatolie. Le mot arabe, gazi désigne ceux qui font la guerre sainte. Il s’ajoute comme titre au nom de nombreux héros épiques en Anatolie.
9 Le Livre de Dede Korkut est connu par trois manuscrits : celui de Dresde (135 pages) est le plus complet, il contient douze récits et une introduction ; celui de Berlin (34 pages) en est une copie et a servi de référence pour la publication de Von Diez ; celui du Vatican (109 pages) comporte l’introduction et cinq récits. E. Rossi trouve le manuscrit du Vatican (dont le dialecte est celui de l’ancien anatolien osmanli) plus “authentique” que celui de Dresde dont la langue porte les caractéristiques du dialecte azéri. Ces trois manuscrits sont en alphabet arabe et d’après la plupart des chercheurs ils dateraient du XVIe siècle. Le Livre de Dede korkut est traduit en allemand et publié par Von Diez, en 1815. V. Barthold publie une traduction russe de quatre récits dans les années1894-1904. La première publication en Turquie ne verra le jour qu’en 1914, en caractères arabes et d’après le manuscrit de Berlin, et cela grâce à Kilisli Muallim Rifat Bilge (Rıfat, Kilisli, Kitab-i Dede Korkut ala lisan-i taife-i Oguzan, [Le livre de Dede Korkut dans la langue de la tribu Oghuz] ; müstensihi Kilisli Rıfat, Istanbul, imprimerie Amire, 1914/1332). La première publication intégrale du livre, en alphabet turc moderne et accompagné de commentaires, date de 1938 et a été réalisée par Orhan Şaik Gökyay (Gökyay, Orhan Şaik, Dede Korkut, Ankara, Arkadas, 1938). Pour une synthèse détaillée sur les premiers ouvrages traitant de sujet voir Bekki, Salahaddin, “Dedem Korkut Kitabi araştirmalarinin 100 yillik tarihi ve ‘100 temel eser’ kapsaminda yayimlanan Dede Korkut Hikâyeleri adli kitaplarin niteliği üzerine bir değerlendirme”, [Histoire de cent ans d’études sur le Livre de Dede Korkut et investigation sur les livres ayant pour titres Dede Korkut Hikâyeleri, à partir de cent œuvres principales], In :Symposium international de Düşünce Hayatımızda ve Kültürümüzde Dede Korkut, Baybourt, 2015/21-22 mai. Yalçın-Kürşat Kara(éd.), Les éditions de l’université de Baybourt, 2015, p. 179-198.
10 Quand Von Diez traduit le texte en allemand, dès 1815, il s'intéresse essentiellement aux affinités qui existent entre le Cyclope du Livre de Dede Korkut, Depegöz, et Polyphème dans l’Odyssée. Voir Von Diez, Heinrich Friedrich, ”Denkwürdigkeiten von Asien in Künsten und Wissenschaften, Sitten, Gebräuchen und Alterthümern”, Religion und Regierungsverfassung, Nicolai, 1815. Vol.2.
11 Sur ce récit, voir Luffin, Xavier, Le long voyage d'Ashik Garıp, Paris, L'Harmattan, 2005.
12 Sur ce parallélisme, voir Boratav, Pertev Naili, Halk hikâyeleri ve halk hikâyeciliği, [Les hikaye populaires et la tradition de la Hikaye populaire], Istanbul, Adam, 1946.
13 Pour l’application du mot destan à ce récit voir Akkaya, Özcan, “Türk Halk Hikâyelerinde Hak Âşıklığı”, [Les ashiks de Dieu dans les hikaye populaires], Université de Çankırı Karatekin, Sosyal Bilimler Ens. Dergisi, N 2 (2010), p. 1-10.
14 Généalogies qui racontent la vie des rois et des héros de la tribu oghuz.
15 Les spécialistes ne s’accordent pas non plus sur la définition de ces termes. Muharram Ergin, dans ses analyses du Livre de Dede Korkut, aborde le sujet et soutient que les parties en vers appartiennent à une épopée antérieure et se composent de dialogues et de monologues qui s’appelaient söys (poèmes) ; tandis que boy est synonyme du récit (verbe boylamak : faire un destan) (Muharrem, Ergin, Dede Korkut Kitabı I, [Le Livre de Dede Korkut I], Ankara : Türk Dil Kurumu Yayınları, 1997). Cette considération d’Ergin s’appuie sur le manuscrit de Dresde où les douze récits portent chacun le titre de Boy (par exemple : Dirse Han oğlı Bogaç Han Boyu – le récit de Boghac khan, le fils de Dirse khan). Voir Nebiyeva, Ülker, oğuz epik düşüncesinin kaynaği olarak kitab-i dede korkut’un dresden nüshasi, Atatürk Üniversitesi Türkiyat Araştırmaları Enstitüsü Dergisi, 2008, vol. 14, N° 36.) Notons bien qu’Ergin ne considère pas ces boy comme des destan à cause de leur taille trop réduite mais comme des passages qui faisaient probablement partie d’un destan antérieur. Altan Gökalp, le traducteur français du Livre de Dede Korkut, relie, de son côté, le mot soy à un terme ancien qui désigne l’os – d'où le verbe soylamak signifie “chercher les origines, enquêter, glorifier quelqu'un pour ses origines”. Traduisant le mot boy par clan, il propose “le dit de l'os et du clan” ou “dire le clan et le lignage” comme équivalent de l’expression déjà citée, et part de cette analyse pour étudier l’organisation sociale des Oghuz (Gökalp, Altan, “Le Dit de l'os et du clan : De l'ordre segmentaire oghouz au village anatolien”. L'Homme, 1987, p. 83).
16 Köprülü, Mehmet Fuad, 1911, via Levend, Agâh Sırrı, Edebiyat Tarihi Dersleri : Tanzimat Edebiyatı, [Leçons d’histoire de la littérature : Tanzimat], Istanbul, Marifet, 1934.
17 Il est à remarquer que la nouvelle langue est l’une des notions clés du discours patriotique des années 1911-1923 qui cherche à remplacer l’identité ottomane, axée sur la religion et l’appartenance au territoire de l’empire par l’identité turque, plutôt axée sur la race. (Seyfeddin, Ömer, “Yeni lisan”, [La nouvelle langue], Genç Kalemler, 1911, p. 75-81). Il en va de même pour les notions de race ou de peuple turcs et de celle d’esprit national, qui constituent le pivot des argumentations dans les débats autour du genre. Yöntem, Ali Canip, “Sanat ve Edebiyat-Millî Lisan ve Millî Edebiyat”, [Art national et littérature nationale. La langue et la littérature nationales], Genç Kalemler, vol. 2, N° 3 (1327/1911/ mai), p. 47-52.
18 Voir Yöntem, Ali Canip (sous le pseudonyme Yekta Bâhir), “Millî Daha Doğrusu Kavmî Edebiyat Ne Demektir”, [Qu’entend-on par “littérature nationale” ou, mieux, “populaire” ?], Genç Kalemler, vol. 2 (1911/ Juin), p. 4-13.
19 Le verbe utilisé (inşad etmek) est un verbe désuet qui connote la tradition orale et signifie chanter. cf. Osmanlica Türkçe Sözlük, en ligne : http://www.luggat.com/48592/insad, consulté, 9/13/2016.
20 Yöntem, Ali Canip, “Millî Daha...” op. cit.
21 La capitale de l’Empire mongol au XIIIe siècle.
22 Yöntem, Ali Canip, “Millî Daha...” op. cit..
23 Köprülü. Mehmet Fuad & Şahabeddin. Süleyman, Malumat-ı Edebiyye, [Précis de littérature], Istanbul, Kanaat, 1914.
24 Le mot d’origine arabe (عاشق) désigne “celui qui est tombé amoureux” et, dans certaines traditions (en Anatolie, en Azerbaïdjan et en Iran), il a remplacé des termes plus archaïques comme ozan et bakhshi pour désigner les professionnels qui récitent et chantent des destan qu’ils créent (le cas est rare depuis cinquante ans) ou des destan anonymes. Ils jouent du saz et portent le plus souvent des vêtements traditionnellement réservés à cette profession. Ce changement est à mettre en relation avec deux phénomènes : 1) l’expression ashik de Dieu (hak ashıkları) montre bien que, dès les XIII-XIVe siècles, les récitations de destan sont associées aux cercles de soufis colonisateurs qui participaient aux gazas et s’installaient dans les nouveaux territoires ; 2) l’adoucissement des mœurs résulterait de la sédentarisation et de l’islamisation des Turcs dans leurs nouveaux territoires, et l’impact des littératures lyriques persane et arabe aurait pu changer le statut du ozan ou du bakhshi. Selon Özkül Çobanoğlu la tradition ashik s’est créée au XVIe siècle. cf. Çobanoğlu, Özkul, Âşık tarzı kültür geleneği ve destan türü, [La tradition culturelle du style des ashik et le genre du destan], Ankara, Akçağ, 2000.
25 L’impact de la récitation du destan sur le quotidien est encore notable en Iran. Ainsi un habitant arménien d’Ourmia raconte le changement d’attitude de son voisin musulman en lien avec l’écoute du destan d’Asli et Kerem. Dans les années 1970, la radio locale d’Ourmia avait consacré un programme aux récitations d’Ashik Dehgan. La famille du narrateur avait alors deux poules qui avaient tendance à aller dans le jardin du voisin musulman. Celui-ci écoutait chaque soir ce programme et il s’indignait chaque fois que le père d’Asli, la jeune fille arménienne, l’éloignait de son bien-aimé musulman afin d’empêcher leur mariage. Il laissait alors les poules entrer dans son jardin. Au bout de dizaines de séances, quand dans le destan le père de la bien-aimée se mit à préparer un autre départ, le voisin s’énerva à nouveau contre les poules... (Akbarpouran, Monire, “Ghoft-e gui darbarey-e honar-e dastan sorayi-e ashigi”,(گفتگویی درباره ی هنر دستانسرایی عاشیقی) [Entretien sur la tradition des Ashiks], Elbilimi, N° 82 (2016), p. 131-146).
26 Köprülü. Mehmet Fuad & Şahabeddin. Süleyman, Malumat-ı Edebiyye, [Précis de littérature], Istanbul, Kanaat, 1914.
27 op. cit., p. 251-252.
28 Idem.
29 Yöntem, Ali Canip, “Epope Nedir ?”, [Qu’est-ce que l’épopée ?], Yeni Mecmua, vol. 2, N° 62 (1918/ Juillet), p. 193-195.
30 op. cit. p. 114-117.
31 op. cit. p. 123.
32 Yöntem, Ali Canip, “Epope Asrî Bir Nevi Midir ?”, [L’épopée est-elle un genre contemporain ?] Büyük Mecmua, 1919 / Mars, N° 4, p. 58-59.
33 Yöntem, Ali Canip, “Yine Epopeye Dair”, [De nouveau sur l’épopée], Büyük Mecmua, 1919 (1335) /Avril, N°6, p. 84-85.
34 Yöntem, Ali Canip, “Ecnebî Edebiyatı, Homer Kimdir ? İlyada ve Odisse Nasıl Eserlerdir ?”, [De la littérature étrangère, Qui est Homère ? Quel genre d’ouvrages sont l’Iliade et l’Odyssée ?], Millî Talim ve Terbiye Cemiyeti Mecmuası, 1918 (1334) / Août, N° 5, p. 7-18.
35 Intitulé également Battal Gazi destani, il s’agit du récit épique créé autour de la vie fabuleuse d’un certain Seyed Battal Gazi, commandant arabe dans la guerre entre les Umayyades et Byzance, aux VIIe et VIIIe siècles, et rédigé en prose aux XIIe et XIIIe siècles. Voir Say, Yağmur, Türk İslam tarihinde ve geleneğinde Seyyid Battal Gazi ve Battalname, [Seyyid Battal Gazi et Battalname dans l’histoire et la tradition turc-islam], Ankara, Sistem Ofset Matbaacılık, 2009. En ligne URL : http://www.eskisehir.gov.tr/sarici/battalname-kitap. pdf (Consulté le 15/02/2015).
36 Epopée née au XVIe siècle et toujours vivante en Turquie, en Azerbaïdjan, en Iran et aussi dans les pays d’Asie mineure.
37 Filizok, Rıza, Ali Canip'in hayatı ve eserleri üzerinde bir araştırma, [Étude sur la vie et l’œuvre de Ali Canip], Izmir, éditions de l’université d’Ege, 2001, p. 118.
38 op. cit., p. 117-118.
39 Köprülü, Mehmet Fuad,“Epope Meselesi”, [La question de l’épopée], Büyük Mecmua, N°5, 1919. p. 68-69.
40 Ibidem.
41 Le philosophe français Théodule Ribot (1839-1916) développe à travers plusieurs ouvrages une philosophie des sentiments.
42 Cité par Karakoç, Kani İrfan, “Ulus-Devletleşme Süreci ve Türk edebiyati’nin İnşasi (1923-1950)”, [Le processus de constitution de l'État-Nation et la construction de la littérature turque], Thèse de Doctorat, l’université d’Ankara, 2002.
43 Köprülü, Mehmet Fuad, Türk edebiyatı tarihi, [Histoire de la littérature turque], Istanbul, Imprimerie Amere (en caractères arabes), 1920
44 Une forme poétique composée de 2-4 quatrains octosyllabiques ou hendécasyllabiques.
45 Forme poétique très ancienne en quatrain.
46 Erol, Ogur, “Ali Canip Yöntem'in Cumhuriyet Döneminde Edebiyat Öğretimi İçin Hazırladığı Ders Kitapları”, [Les manuels scolaires préparés par Ali Canip Yöntem pour l’éducation de la littérature à l’époque de la république], Revue de la faculté de l’éducation de l’université d’Uludağ, 2009, vol. 22, N° 2., p. 285.
47 op. cit.
48 Karakoç, Kani İrfan, “Ulus-Devletleşme Süreci ve Türk edebiyati’nin İnşasi (1923-1950)”, [Le processus de constitution de l'État-Nation et la construction de la littérature turque], Thèse de Doctorat, l’université d’Ankara, 2002. p. 154.
49 Ibidem.
50 Kayabaşi, Onur Alp et Kayabaşi, Rabia Gökcen, “Ali Canip Yöntem ve Batı’dan Giren Bir Terim : Epope”, [Ali Canip Yöntem et un terme emprunté à l’Occident (epope)], 21Yüzyılda Eğitim Ve Toplum Eğitim Bilimleri Ve Sosyal Araştırmalar Dergisi, vol. 2, N° 4 (2013), p. 153-160. p. 154.
51 Filizok, Rıza, Ali Canip'in hayatı ve eserleri üzerinde bir araştırma, [Une étude sur la vie et l’œuvre d’Ali Canip], Izmir, éditions de l’université d’Ege, 2001. p. 15.
52 Ercılasun, Ahmet Bican Bilge, “Meşrutiyet Tenkidinde Batidan Giren Terimler”, [Les termes empruntés à l’Occident dans la critique à l’époque de la Constitution], Electronic Turkish Studies, vol. 4, N° 1-I (2009/ hiver), p. 373-408.
53 Menkıbe : d’après l’Encyclopédie turque de l’islam, le terme s’appliquait à l’origine aux récits des vertus des compagnons du Prophète et c’est à partir du XIe siècle que les menkıbe racontent également les prodiges réalisés par des hommes saints et des mystiques soufis. Depuis le XIIe siècle et l’organisation de diverses écoles soufies, le terme est également utilisé pour les biographies des chefs des tribus et les soufis de grande renommée. Şahin, Haşim, “Menâkibnâme”, In : Islam ansiklopedisi, Türkiye Diyanet Vakfı, 2004, vol. 29, p. 112-114. Ustûre : Dans le dictionnaire ottoman-turc, ce terme est la traduction exacte de “mythologie” et n’a aucune connotation épique (Voir, en ligne : http://www.luggat.com/117790/usture).
54 Voir Gökalp, Ziya, Türk Töresi [1923], [La tradition turque], İstanbul, K.B.Y., 1976 ; Gökalp, Ziya, Türk Medeniyeti Tarihi [1924], [Histoire de la civilisation turque], İstanbul, K.B.Y., 1926. Bien que ces deux dénominations, menkıbe et ustûre, proposées par Ziya Gökalp comme équivalents de l’épopée ne soient jamais reprises par ses successeurs, elles peuvent s’expliquer par référence aux destan eux-mêmes. Une grande majorité des destan préislamiques – pour ne pas dire tous – ne nous sont parvenus que sous forme de récit, sous forme d'allusion dans des chroniques de l’époque islamique. Nous ne savons donc presque rien de leurs formes originelles. Quant aux destan de l’époque islamique, ils ont pour la plupart un saint ou un gazi comme héros principal et ils peuvent facilement s’introduire dans le genre islamique menkıbe. La grande influence du culte des saints et des gazi sur les destan créés en Anatolie avant et durant la période ottomane est indéniable, ce qui rend compte de la parenté que Zia Gökalp établissait entre ces genres et le destan. Les affinités thématiques entre les deux genres ne manquent pas et il y a de nombreux exemples qui attestent l’existence d’une conception identique du récit de la vie des saints soufis et des récits qui narrent les exploits d’un héros. Le Simavne Kadısı Oğlu Şeyh Bedreddin Destanı de Nazim Hikmet publié pour la première fois en Turquie, en 1936, reprend un événement historique de la vie d'un grand soufi du XIV- XVe siècle. Ce même destan est également comparé au destan de Köroğlu. (Akdik, Hazel Melek, “Sözlü kültürden modern edebiyata bir köroğlu anlatisi : simavne kadisi oğlu Şeyh Bedreddin destani” [Un récit de Köroğlu de la tradition orale à la littérature moderne : le destan de Şeyh Bedreddin, le fils du juge de Simavne], Milli Folklor, vol. 24, N° 96 (2012), p. 129-136). Nazim Hikmet propose le récit de la vie de ce soufi dans une perspective épique très proche de celle du destan de Köroğlu.
55 Cette idée est chère aux penseurs et théoriciens des années 1910-1930 et en lien avec le touranisme qui conçoit les peuples d’origine turque comme un ensemble socio-culturel. Comme A.C. Yöntem l’indique bien, il ne s’agit pas tant la question de la race que la question de la langue.
56 Évoquée également sous le nom de “l’époque de la guerre de la libération”, cette période qui va de 1919 à 1922 débute par l’effondrement de l’Empire Ottoman à la fin de la première guerre mondiale et couvre les guerres civiles qui s’ensuivent et la guerre d’indépendance menée par Ata Türk contre les grandes puissances qui cherchaient, suite au traité de Sèvres, à s’emparer des territoires découpés de l’ancien empire.
57 Duymaz, Ali, “Ömer Seyfettin'in kaleme aldiği destanlar üzerine bir değerlendirme”, [Investigation sur les destan rédigés par Ömer Seyfettin], Balikesir University Journal of Social Sciences Institute, vol. 12, N° 21 (2009), p. 415.
58 Gökalp, Ziya, Altın Destan, [Le destan d’or], Genç Kalemler, vol. III, N°14 (1327/ 1911), p. 41-43.
59 Il offre dans cet ouvrage un récit d’Oghuz khagan complété par d’autres destan turcs, parmi lesquels le Livre de Dede Korkut.
60 Composé en 1941, et publié pour la première fois en Turquie en 1956, Kurtuluş Savaşı Destanı, [Le destan de la guerre de la libération] sera, en 1968, repris sous un autre nom, voir Hikmet, Nâzım, Kuvayi Milliye Destanı, [Le destan de l’armée nationale], (1956, premier titre : Kurtuluş Savaşı Destanı, [Le destan de la guerre de la libération]), Istanbul, Bilgi, 1968.
61 Citons à titre d’exemple Çanakkale Destanı, [Le destan de la guerre de Çanakkale] publié en 1965.
62 Sepetçioğlu, Mustafa Necati, Yaratılış ve Türeyiş, [La création et la procréation], Ankara, Türk Kültürünü Araştırma Enstitüsü, 1965.
63 Kozanoğlu, Aptullah Ziya, Battal Gazi Destanı : Türk romanı, [Destan de Battal Gazi : un roman turc], Ankara, Atlas Kitabevi, 1965.
64 Sur l’aspect mystique dans les destan de Niyazi voir Durmuş, M. “Destan Şairi Niyazi Yıldırım Gençosmanoğlu’nun Asya’dan Anadolu’ya Göçen Ruha ve Ahi Evren Kültürüne Bakışı”, [sur l'"esprit" d'Asie introduit par les Turcs en Anatolie lors de leur immigration et la culture d’Ahi Evran], premier symposium international de Ahilik Kültürü ve Kırşehir, Kırşehir, 2008, 15-17 Octobre, disponible sur Academia.edu.
65 Sehend, B. K. Sazımın Sözü, İntişarat-ı Şems, Tebriz (sans date, publié d’après les chronologies dans les années 1962-1963).
66 Topçu, Ümmühan, “Hilmi Ziya Ülken’de Türk Rönesansı Arayışı ve Destan”, [La recherche d’une renaissance turque et le destan chez Hilmi Ziya Ülken], Millî Folklor, 17e année, N° 65 (2005), p. 102-105.
67 Uluç, Lâle, “The Shahanama of Firdausi in the Lands of Rum.”, In : Shahnama Studies II : The Reception of Firdausi’s Shahnama, Charles Melville & Gabrielle van den Berg (éds.), Brill, 2012, p. 161-180.
68 Destan composé par des ashik anonymes aux XIX-XXe siècles autour des combats de Qaçaq Nebi contre les tsars russes durant la seconde moitié du XIXe siècle.
69 Les premières publications d’Homère en azéri, et à Bakou, sont effectuées en 1977 et 1978 (Voir : Homer, Ilyada (trad. Rzagülzadə, Mikayil), Bakou, Azərnəşr, 1978 ; Homère, Odisseya (trad. Ziyatay, əlekber), Bakou, Azərnəşr, 1977). Cependant, le terme s’était depuis déjà longtemps introduit dans les discours critiques.
70 cf. Reichl, Karl, Turkic oral epic poetry. Traditions, Forms, Poetic Structures. New York and London : Galad Publishing, 1992, p. 130-133.
71 op. cit., p. 130.
72 op. cit., p. 130.
73 op. cit., p. 124. En était-il de même pour les performances des ashik, chez les Turcs de l’ouest ? Faute de documents, nous ne pouvons pas parler du passé lointain, mais pour un barde d’aujourd’hui chanter Köroğlu ou un récit amoureux comme Asli ile Kerem ne semble pas fondamentalement différent : d’ordinaire le barde ne classe pas les œuvres narratives de son répertoire en fonction de leur caractère guerrier ou non-guerrier. Seule exception, les cas de performance lors des fêtes de mariage qui duraient autrefois sept jours et donnaient une occasion privilégiée pour réciter et chanter “les destan d’amour” (Mahabbat dastani). Dans les autres contextes, rien ne semble réellement distinguer hikaye et destan aux yeux des récitants. La musique qui accompagne le destan d’amour ou le destan “épique” ne peut pas non plus servir de signe distinctif : elle n'est pas en elle-même épique ou lyrique, mais change en fonction des épisodes. Ainsi, un passage très répandu chez les Qashqai en Iran est celui où le héros principal, Koroğlu, interroge les Gruidas pour savoir s’ils voient ou non son compagnon de guerre, Eyvaz. La musique qui accompagne cet épisode est extrêmement triste et romantique.
74 Reichl, Karl, The oral epic : performance and music, V.W.B, 2000, p. 19-20.
75 Yetiş, Kâzım, “Destan”, [Destan], In : Islam ansiklopedisi, Türkiye Diyanet Vakfı, 1994, vol. 9, p. 202-205.
76 Luth à trois cordes joué par les ashik.
77 Nicole Revel, Christiane Seydou, Maria Couroucli, Altan Gokalp, Emmanuèle Baumgartner, Jocelyne Fernandez, Roberte Nicole Hamayon, Pierre-Sylvain Filliozat, François Macé, article “Épopée”, Encyclopædia Universalis [en ligne] : http://www.universalis.fr/encyclopedie/epopee/.
78 Il s’agit d’un passage élégiaque sur la mort du grand héros, Alp Er Tunga. Le vrai intérêt de ce passage réside dans le fait qu’il y a dans les sources écrites des peuples voisins de nombreuses références à ce roi turc et que l’on l’identifie au roi du Turan - le pays et le peuple ennemi de l’Iran dans le Shâh-Nâme - Afrasiyab. Ce destan dont le titre figure toujours dans la liste des destan turcs préislamiques a disparu et a été réécrit. Associer ce passage et les allusions à ce personnage à un destan relatant les guerres entre les Turcs et les Persans renvoie surtout au désir des Turcs d’avoir un grand destan qui donnerait une autre version des choses, un destan “à l’envers” par rapport au Shâh-Nâme. Pour une synthèse sur Alp Er Tunga cf. Abdurrahman, Varis, “Tarihteki Efsanevi Turan Padişahı Alper Tunga Hakkında”, [À propos du roi mythique de Turan, Alp Er Tunga dans l’Histoire], Tarih Araştırmaları Dergisi, vol. 22, N°35 (2004), p. 1-8.
79 Abdülkadir, İnan, “Türk Destanlarına Genel Bir Bakış”, [Vue d'ensemble sur les destan turcs], Türk Dili Araştırmaları Yıllığı Belleten, 1954, p.
80 Banarlı, Nihad Sami, Resimli Türk Edebiyatı Tarihi, [Histoire illustrée de la littérature turque], Ankara, M. E. B., vol. 2, N° 997 (1971). p. 1
81 Ibid, p. 23
82 Ibid, p. 2.
83 Boratav, Pertev Naili, Halk hikâyeleri ve halk hikâyeciliği, [Les hikaye populaires et la tradition de la Hikaye populaire], Istanbul, Adam, 1946.
84 Yildirim, Dursun, “Hikâyeciliğimizde Üçüncü Yaratıcılık Ortamı ve Hikâyeci Eyyûbî-i Garîb”, [Le “troisième contexte” de la création, dans la tradition de la hikaye et le Hikâyeci Eyyûbî-i Garîb], Türkbilig/Türkoloji Araştırmaları Dergisi, vol. 4, N° 5(2003), p. 134-142. [Ce “troisième contexte” correspond à une origine de hikaye ni orale ni littéraire, mais “mixte”, N.D.E.] ; Yildirim, Dursun, “Kitâb-ı Dedem Qorqud Metinleri Hangi Yaratıcılık Ortamından Geliyor ?”, [Quel contexte pour les textes du Livre de Dede Korkut ?], Türkbilig/Revue des études de turcologie, vol. 3, N° 3 (2002), p. 130-171 ; Yildirim, Dursun, “Türk Kahramanlık Destanı”, [Les destan héroïques turcs], In : Türk Bitiği : Araştırma/İnceleme Yazıları, Ankara, éditions Akçağ, 1998, p. 149-157.
85 Paksoy, Hasan Bülent, “Türk Destanları’nın Önemi”, [Sur l’importance des destans turcs], Tarih İncelemeleri Dergisi, vol. 8, N° 1 (1993), p. 51-63 ; Paksoy, Hasan Bülent, Alpamış, Rus yöntemi altında Orta Asia kimliği, [Alpamış, l’identité de l’Asie Centrale sous la gestion russe], Ankara, Association for the Advancement of Central Asian Research, 2012 ; Paksoy, Hasan Bülent, “Dastan Genre in Central Asia”, In : Modern Encyclopedia of Religions in Russia and the Soviet Union, Paul D. Steeves (éd.), Academic International Press, 1995, vol. 5, p. 222-231 ; Paksoy, Hasan Bülent, Turk Tarihi, Toplumlarin Mayasi ve Uygarlik, [Histoire turque. L’origine des sociétés, la civilisation turque], Izmir, Mazhar Zorlu holding, 1997 ; Paksoy, Hasan Bülent, Uzaysal yönetim beklerken, [En attendant la gestion spatiale], Firenze, Carrie/ European University Institute, 2008. [En attendant une véritable gestion de l'espace, N.D.E. ]
86 Il cite, nous l’avons vu, l’exemple de la signification du destan dans les textes anciens pour conclure qu’il s’agissait d’un genre défini par sa fonction : donner des conseils et apporter des solutions en relatant les conflits vécus et résolus par les ancêtres. On peut penser ici à la notion de “sagesse épique” développée par Walter Benjamin dans “Le narrateur”, in Œuvres II : Poésie et Révolution, trad. M. De Gandillac, Denoël, Paris, 1971, p. 143.
87 Paksoy, Hasan Bülent, Turk Tarihi, Toplumlarin Mayasi ve Uygarlik, [Histoire turque. L’origine des sociétés, la civilisation turque], Izmir, Mazhar Zorlu holding, 1997 p. 73-74.
88 Paksoy, Hasan Bülent, Alpamış, Rus yöntemi altında Orta Asia kimliği, [Alpamış, l’identité de l’Asie Centrale sous la gestion russe], Ankara, Association for the Advancement of Central Asian Research, 2012, p. 14.
89 Op. Cit., p. 12.
90 Ibid. p. 13.
91 L’équivalent turc de ce terme est les paroles des ancêtres, ce qui renvoie à un culte consacré aux ancêtres.
92 Indications données par la littérature orale sous forme des conseils expliquant ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Exemple : ölenile ölmezler, qui veut dire : il ne faut pas mourir avec celui qui meurt (il faut se rétablir après la mort d’un proche).
93 Paksoy, Hasan Bülent, Alpamış, Rus yöntemi altında Orta Asia kimliği, [Alpamış, l’identité de l’Asie Centrale sous la gestion russe], Ankara, Association for the Advancement of Central Asian Research, 2012.p. 13.
94 Bilginler benim ferasetime kulak versinler/ Sözüme destan muamelesi yaparak muratlarına ersinler. Paksoy, cité par : Paksoy, Hasan Bülent, Alpamış, Rus yöntemi altında Orta Asia kimliği, [Alpamış, l’identité de l’Asie Centrale sous la gestion russe], Ankara, Association for the Advancement of Central Asian Research, 2012.p. 13.
95 Togan, Zeki Velidi, “Türk Destanlarının Tasnifi”, [La classification des destan turcs], Atsız Mecmua, (1931) / mai, juin, juillet, septembre.
96 Atsız, Nihal, « Kopuzlama Ve Oğuzlama ”, Orkun, 1951, N° 34. ; Atsız, Nihal, « Türk Destani Üzerinde Çalişanla ”, Orkun, 1951, N° 31. ; Atsız, Nihal, « Türk Destanı Üzerine İncelemeler, Türk Destâni ”, Orkun, 1951, N° 30 ; Atsız, Nihal, « Türk Destanini Nazima Çekmek Teşebbüsleri, Uğuz Kağan Destanı ”, Orkun, 1951, N° 31 ; Atsız, Nihal, « Türk Destanini Tasnif Etmek Tecrübesi ”, Orkun, 1951, N° 32.
97 Atsız Nihal, “Türk destanini tasnif etmek tecrübesi” [Sur la classification des destan turcs], Orkun, N° 32 (1951). URL : http://www.nihal-atsiz.com/yazi/turk-destani-uzerine-incelemeler.html/3 (consulté :7/23/2017).
98 Atsız Nihal, “Türk Destanı üzerine incelemeler, Türk Destanı”, [Études sur les destan turcs. Le destan turc], Orkun, N° 30 (1951). URL : http://www.nihal-atsiz.com/yazi/turk-destani-uzerine-incelemeler.html (consulté :7/23/2017).
99 Ibid.
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103 Sakaoğlu, Saim et Duymaz, Ali, İslâmiyet öncesi Türk destanları : incelemeler, metinler, [Les destan turcs d’avant l'islam ; les analyses, les textes], Ötüken, 2002.
104 Boratav, Pertev Naili. Contes de Turquie. Maisonneuve & Larose, 2002.
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110 Akyüz, Çiğdem, “Dünden Bugüne Türk Dünyası Destan Anlatıcıları”, [Les narrateurs du destan dans le monde turc, hier et aujourd’hui], Turkish Studies, vol. 6, N° 4 (2011), p. 15-26.
111 Çetindaş, Dilek, Yeni Türk Şiirinde Destan, [Le destan dans la poésie moderne turque], Ötüken, 2014, p. 53-54.
112 Ibid. p. 54.
113 Ibid. p.55.
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Yöntem, Ali Canip, “Sanat ve Edebiyat-Millî Lisan ve Millî Edebiyat”, [Art national et littérature nationale. La langue et la littérature nationales], Genç Kalemler, vol. 2, N° 3 (1327/1911/ mai), p. 47-52.
Yöntem, Ali Canip, “Yine Epopeye Dair”, [De nouveau sur l’épopée], Büyük Mecmua, N° 6 (1919/1335) /avril), p. 84-85.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Monire Akbarpouran
Université Shahid Beheshti
Monire Akbarpouran est docteure ès Lettres Françaises de l’université Shahid Beheshti (Téhéran). Elle a soutenu en 2017 sa thèse intitulée L’imaginaire épique. Les cas du Livre de Dede Korkut et de la Chanson de Roland.
Articles publiés
« Vers l’étude du « travail épique » dans le Livre de Dede Korkut », Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 45 | 2014, http://emscat.revues.org/2340. En collaboration avec Dominique Carnoiy Torabi : “Doganeye hoviyat/gheyriat va baztarif-e no-e adabi-e hamase” (دوگانه هویت و غیریت و بازتعریف نوع ادبی حماسه), [Identité/Altérité et la redéfinition du genre épique], Critical Language & Literary Studies, [Revue persane de la faculté des lettres de l’université de Shahid Beheshti], Automne-Hiver 1395 (2016-2017), 13e série, n°17, p. 79-99 et “Khanesh-e beynamatni-e dastan-e ashigi-e Asli va Karam : Taghir va tatavvor-e naghsh-e gahraman dar yek sonnat-e adabi” (خوانش بینامتنی داستان عشیقی اصلی و کرم : تغییر و تطور نقش قهرمان در یک سنت ادبی), [Lecture intertextuelle du destan d’Asli et Karam : modification et développement du statut du héros dans une tradition littéraire], Cultural History Studies (Pejuhesh Nameh Anjoman-e Iraniye Tarikh), printemps 1395 (2016), 7e année), N° 27, p. 63-84 ; « L'Altérité dans le Livre de Dede Korkut : l’image du chrétien », JASS (Journal of Academic Social Science Studies), N °57 , été 2017, p. 291-309. URL : https://www.jasstudies.com/Makaleler/1520018130_15-Monire%20Akbarpouran.pdf