Epopée, Recueil Ouvert : Section 4. État des lieux de la recherche

Marguerite Mouton

État des lieux de la critique anglosaxonne sur le genre littéraire de l’épopée

Résumé

Cet article interroge la spécificité de la critique anglosaxonne du genre littéraire de l’épopée, en la contrastant dans un premier temps avec les approches qui ont cours en France, pour examiner ensuite plus précisément la manière dont elle déploie de vastes panoramas historiques des œuvres relevant du genre épique. Une troisième partie cherchera à décrire comment la critique anglosaxonne répond au défi de parler de l’épique dans un monde où Hegel a décrété la mort de l’épopée.

Abstract

This paper highlights the specificity of Anglo-Saxon criticism on the literary genre of the epic, first by contrasting it with French trends, and then by examining how it tends to offer vast historical overviews of epic works. The third part undertakes to describe the way in which Anglo-Saxon critics respond to the challenge set on epic theory by Hegel’s claim that the genre is dead.

Texte intégral

1Cette étude cherche à cerner, autour de quelques grands débats théoriques, les particularités de la critique anglosaxonne qui s’intéresse au genre épique. Du fait de la multiplicité des traditions épiques et de l’envergure des œuvres considérées, l’étude du genre de l’épopée constitue un défi pour la critique littéraire, défi auquel les commentateurs ont répondu le plus souvent par deux stratégies distinctes : la recension des chefs-d’œuvre – généralement privilégiée par la critique anglosaxonne –, et l’inventaire des caractéristiques thématiques et formelles – à partir duquel se déploie souvent la réflexion des théoriciens allemands, français ou russes.

2On présentera ici tout d’abord succinctement les deux types d’approches méthodologiques (I), pour développer ensuite sur les panoramas historiques généralement adoptés en Angleterre ou aux États-Unis (II). Enfin, on s’interrogera sur la manière dont la critique anglosaxonne envisage l’avenir du genre épique (III).

I. Les tendances critiques : entre panorama historique et analyse des caractéristiques

  • 1 La matière y est organisée selon des sections consacrées à des enjeux poéti...

  • 2  Myers, Irene Tanner, Epic Poetry, New York, Henry Holt & Company, 1901 ; B...

  • 3  Stanford, William B., The Ulysses Theme, a Study in the Adaptability of a ...

  • 4 Voir Oberhelman, Steven M., Kelly, Van, et Golsan, Richard Joseph (éd.), Ep...

  • 5  Swedenberg, Hugh T., The Theory of the Epic in England, 1650-1800, Berkele...

  • 6  Pour A. Johns-Putra, il ne fait par exemple aucun doute que La Chanson de ...

  • 7  Labarthe, Judith, L’Épopée, Paris, Armand Colin, 2006.

  • 8 A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit.

3Pour schématiser, on peut dire qu’il existe deux manières d’aborder le genre épique, que les chercheurs ont privilégiées de manière différente. Ainsi, chez les commentateurs français (comme d’ailleurs chez leurs homologues allemands), le débat théorique est plus ancien. Ils privilégient généralement une réflexion sur les caractéristiques, que cette approche soit normative (de la Renaissance jusqu’aux années 1960) ou descriptive par la suite. Cette pratique était dominante aux époques classique et romantique, par exemple chez Boileau, Marmontel, ou encore Goethe et Schiller. Plus récemment, la version descriptive analytique de cette tendance a été illustrée par D. Madelénat et par nombre d’ouvrages collectifs1. Une seconde manière d’appréhender la question de l’épique est de recourir à l’historique des chefs-d’œuvre du genre. Cette méthode est particulièrement représentée par la critique de langue anglaise. Il existe en effet une longue tradition de panoramas historiques des chefs-d’œuvre épiques où l’on opte pour une analyse de chaque épopée pour elle-même. La lignée est ininterrompue entre des critiques comme I. T. Myers (1901), C. M. Bowra (1945 et 1952), E. M. W. Tillyard (1954 et 1958), T. Greene (1963), J. K. Newman (1986), C. Burrow (1993), P. J. Cook (1996) et plus récemment A. Johns-Putra (2006)2. Des travaux portant sur un thème ou une figure reprennent le même schéma chronologique3, de même que les ouvrages collectifs4 ou que les études d’une période plus restreinte5. Suivant les critiques, cet historique comprendra ou non les livres bibliques, les textes épiques médiévaux6 scandinaves et germaniques, et les avatars modernes de l’épopée. De même, on insistera plus ou moins sur les traditions italiennes (Dante et Le Tasse, portugaise (Camoëns) ou anglaise (Spenser et Milton). Certains ajouteront les œuvres de Tolstoï, voire les “épopées du monde orthodoxe”7, ou encore l’opéra et le cinéma à grand spectacle8.

  • 9  J. Labarthe, L’Épopée, op. cit.

  • 10 Th. Greene, The Descent from Heaven, A Study in Epic Continuity, op. cit.,...

  • 11 Frye, Northrop, Anatomy of Criticism, Four Essays, Princeton, Princeton Un...

4Entre les deux tendances existe un continuum d’expériences mixtes, alliant réflexions sur les chefs-d’œuvre historiques et sur les caractéristiques du texte épique. En France, dans un livre récent, Judith Labarthe distingue ainsi questions théoriques (60 pages), inventaire historique des épopées dans une deuxième partie (200 pages qui excluent les textes antiques, présentés dans la partie théorique, et qui commencent à l’époque médiévale) et approche poétique des thèmes et du style (50 pages)9. Si l’étude des chefs-d’œuvre est prépondérante dans l’ouvrage, elle reste donc encadrée par une théorisation des caractéristiques dont la critique anglaise fait plus aisément l’économie. Symétriquement, l’analyse transhistorique de Thomas Greene s’ouvre sur 25 pages de revue théorique de l’épopée et d’exposition de la thèse de l’auteur, avant de commencer le panorama historique qui illustre cette thèse. Pour Green, en effet, “la première qualité de l’imagination épique est son caractère expansif, l’élan pour répandre sa luminosité en des cercles toujours plus grands” [the first quality of the epic imagination is expansiveness, the impulse to expand its own luminosity in ever widening circles], ou encore : “[l]’épopée répond au besoin de l’homme de dégager un espace qu’il puisse sinon dominer, du moins appréhender, et en général cet espace s’agrandit pour remplir tout l’univers épique, pour couvrir le monde connu et atteindre le ciel et les enfers” [Epic answers to man’s need to clear away an area he can apprehend, if not dominate, and commonly this area expands to fill the epic universe, to cover the known world and reach heaven and hell]10. Étudiant la “continuité” du genre épique, Greene entend mettre en évidence la continuité des conventions de la tradition épique : le motif dans lequel un dieu descend de l’Olympe a alors pour fonction de définir l’espace vertical de l’univers épique, de produire une cause visible pour un effet visible, de rendre évidente la causalité des actions dans le temps et l’espace, là où la relation entre les hommes et les dieux pourrait conduire à s’interroger des causalités psychologiques ou existentielles complexes. Greene offre donc une réflexion fondamentale sur le fonctionnement du genre épique, tout en proposant un historique des œuvres épiques. Les essais de Northorp Frye réunis sous le titre Anatomie de la critique11, eux, parcourent en tous sens l’histoire des genres littéraires, à la recherche d’une formalisation en termes de modes discursifs. Il y renoue pourtant, comme nombre de commentateurs, avec une sorte de linéarité historique où tendent à se succéder les types “mythique” [mythic], “romantique” [romantic], “mimétique élevé” [high mimetic] (auquel correspond l’épopée), “mimétique bas” [low mimetic] et “ironique” [ironic]. Une telle approche, si elle mêle la composante historique et la réflexion sur les caractéristiques, reste fondamentalement théorique.

  • 12  Par l’importance et la variété des œuvres canoniques qui s’y rattachent, ...

5Derrière ces deux positions critiques, plus ou moins nettes selon les auteurs, se joue en effet un véritable débat, que l’on peut formuler ainsi : peut-on dire quelque chose du genre de l’épopée, ou faut-il se contenter de l’illustrer sans pouvoir interroger les critères sur lesquels les œuvres sont rassemblées12 ?

  • 13  Introduction de Judith Labarthe au collectif qu’elle a dirigé, Formes mod...

6Du côté français, l’ouvrage cité de Judith Labarthe affirme une “parenté universelle” entre les textes épiques, qui doit conduire à la recherche d’un “fondement anthropologique” de l’épopée. Ainsi la question accède au statut “d’une recherche de littérature générale : quels peuvent être les invariants, les constantes de cette forme de poésie, dans des aires culturelles ou linguistiques très éloignées ?”13.

  • 14  A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit., p. 6-7.

  • 15 Voir Rosmarin, Adena, The Power of Genre, Minneapolis, University of Minne...

7À peu près au même moment, aux États-Unis, Adeline Johns-Putra prend nettement position pour la seconde option : “[l]a fin ultime [de son étude] est une analyse comparée du développement générique, presque une série de clichés [snapshots], avec la conviction que c’est tout ce que l’on peut dire sur ce que l’épopée a été et donc est” [The ultimate aim is a comparative analysis of generic development, almost a series of snapshots, in the belief that this is all that can be said about what epic has been and therefore is]14. Une telle position risque de rencontrer le problème logique inhérent à toute analyse générique et qui consiste à devoir identifier des critères avant de pouvoir sélectionner les textes à partir desquels ils sont pourtant isolés15. Pour briser ce cercle, A. Johns-Putra refuse l’équation entre genre et texte. Il ne s’agit pas de chercher à comprendre un genre, mais à creuser notre compréhension actuelle de l’épopée en examinant de plus près une série de textes qui sont sélectionnés précisément parce qu’ils sont liés à la perception que nous avons de l’épopée à notre époque. L’argument repose sur l’idée d’un approfondissement à partir d’un ensemble de pré-connaissances déjà acquises qui ne constituent pas à proprement parler un genre. Sans nécessairement mener aussi loin la revendication théorique, un tel pragmatisme sous-tend les études qui analysent les chefs-d’œuvre les uns à la suite des autres comme autant de maillons entre lesquels le lecteur est libre de choisir la chaîne qui lui convient.

  • 16 On citera par exemple Wulf, Judith, La Légende des siècles de Victor Hugo,...

8À côté de ces deux pôles critiques, il faut enfin noter l’apport de la multitude d’études fondées sur la comparaison entre l’œuvre d’un auteur et un ou plusieurs des classiques reconnus de l’épopée. Ces analyses n’ont souvent pas l’ambition d’ajouter à la réflexion sur le genre épique mais plutôt d’éclairer la lecture d’un auteur16. L’œuvre ainsi confrontée à la tradition épique, de même que les habitudes interprétatives qui lui sont liées offrent une résistance féconde aux lieux communs du genre de l’épopée. La richesse de cette rencontre entre la poétique d’une œuvre et celle de l’épopée, alliée à cette absence de parti-pris des critiques dans le champ théorique de l’épopée, rend alors ces commentaires particulièrement précieux : ils présentent un regard neuf et fournissent des données éprouvées dans le domaine pratique et susceptibles de renouveler sur des fondements plus concrets la réflexion spéculative.

II. Panoramas historiques : quelques débats

9Les panoramas historiques de l’épopée dressés par les critiques anglosaxons distinguent plusieurs grandes périodes.

10Les études de l’Antiquité et Moyen Âge sont marquées par une particulièrement faible théorisation du genre en tant que tel, sinon au détour de commentaires ponctuels sur des œuvres ou des thèmes particuliers, ou au travers des débats sur les frontières du corpus épique.

  • 17 Th. Greene, The Descent from Heaven, A Study in Epic Continuity, op. cit. ...

  • 18 C. M. Bowra, From Virgil to Milton, op. cit. et Heroic Poetry, op. cit. ; ...

11La seconde grande période s’étend, selon les critiques, de la Renaissance au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Il s’agit d’une époque de profondes mutations poétiques et de conceptualisation intense, qui alimentent à leur tour de vastes réflexions théoriques chez les commentateurs du XIXe au XXIe siècle. Selon les critiques, cette période s’achève avec la publication du Paradis perdu de Milton17 ou avec la réflexion de Hegel sur la fin du genre18.

12On ajoute parfois à cette histoire de l’épopée un épisode correspondant au XIXe siècle. Les grands débats critiques soulevés par les époques précédentes, notamment la relation entre passé et présent, ou le rapport à l’idée de nation, sont confrontés à la tendance historiciste de l’époque, qui conduit à une nouvelle théorisation du genre épique.

13Enfin, on distingue éventuellement une dernière période, marquée par une extension des limites du genre du fait de la découverte de corpus oraux insoupçonnés, mais aussi de l’apparition de nouvelles formes littéraires, telles que la fantasy, se revendiquant de l’épique. Les théoriciens de l’épopée sont ainsi confrontés à une ouverture du champ de leurs recherches, au moment même où, par ailleurs, Lukács réaffirme avec force la mort du genre. Cette apparente contradiction explique une importante réflexion sur l’avenir de l’épopée dans une époque post-hégélienne.

1. Périodes anciennes : une multiplicité d’études ponctuelles

L’Antiquité : fondations et contreforts du genre épique

14La critique littéraire sur les épopées antiques est particulièrement abondante dans le monde anglosaxon, qu’elle s’intéresse aux Les épopées grecques et latines ou à la La Bible comme autre modèle d’épopée.

  • 19 Voir par exemple McAuley, Mairéad, Reproducing Rome: Motherhood in Virgil...

  • 20 Voir Horsfall, Nicholas, The Epic Destilled: Studies in the Composition of...

  • 21  Yearbook of Ancient Greek Epic, Leiden et Boston, Brill, 2017; Sammons, B...

  • 22 Currie, Bruno, Homer’s Allusive Art, Oxford, Oxford University Press, 2016.

  • 23 Schein, Seth L., Homeric Epic and its Reception: Interpretive Essays, Oxfo...

15Concernant l’Antiquité gréco-latine, et si l’on considère uniquement la production de ces dernières années, de nombreuses études s’intéressent à la diction, au mètre, au style, aux thématiques19 et à la composition20 des œuvres grecques et latines – ou de manière séparée, comme le revendique la nouvelle revue Yearbook of Ancient Greek Epic, lancée en 201721. Un autre pan de la recherche s’attache à l’interprétation, aux allusions mythologiques et à l’intertextualité22. Enfin, la réception des œuvres fait également l’objet d’études fournies23. Ces études sont cependant en général monographiques ou monothématiques et peu enclines à une théorisation plus large.

  • 24  Hector Munro Chadwick et Nora Kershaw Chadwick, The Growth of Literature,...

  • 25 Voir Schneidau, Herbert N., Sacred Discontent: the Bible and Western Tradi...

16La réflexion sur la Bible, et la question de la possibilité d’une épopée monothéiste ont soulevé un vaste débat critique. Pour contester cette possibilité, certains s’appuient sur des considérations historiques : l’étude de Hector et Nora Chadwick24 a ainsi montré comment, pour le peuple hébreu, l’épopée apparaît comme le genre littéraire de son voisin cananéen et donc lié à un culte païen. Israël n’aurait pas désiré se compromettre avec une écriture marquée par le polythéisme. Herbert Schneidau renforce cet argument par une réflexion25 plus fondamentale sur le rejet par les Hébreux d’une conception stable d’un monde mythologique, à laquelle ils préfèrent un récit qui manifeste les incertitudes et l’indétermination d’une existence ancrée dans l’Histoire.

  • 26  Cross, Frank Moore, From Epic to Canon: History and Literature in Ancient...

  • 27  Whitman, Cedric Hubbell, Homer and the Heroic Tradition, Cambridge (Mass....

17A l’inverse, d’autres invoquent des motifs narratologiques, structuraux ou théologiques pour défendre le caractère épique de la Bible. Selon Frank Moore Cross, l’Ancien Testament est au contraire comparable à l’Iliade et à l’Odyssée en bien des points, même s’il n’entretient pas le même rapport à l’héroïsme que la société homérique. En effet, si, à l’occasion, Abraham, Moïse, David ou Samson ont quelques traits héroïques, le seul véritable héros est Yahvé Sabaoth, le Seigneur, le Dieu des Armées26. Le genre de l’épopée n’apparaît alors pas incompatible avec le monothéisme. Cedric Whitman, pour sa part, affirme27 que tout dans le monde homérique a lieu deux fois, une fois sur la terre des hommes, et une fois sur le plan divin ; or les textes bibliques partagent cette caractéristique et mettent en jeu ces deux mêmes sphères de l’humain et du divin, mais avec la préoccupation singulière d’un Dieu unique. Pour F. M. Cross, l’épopée d’Homère est “normative” pour la mythologie grecque, au sens où elle la fixe en un état donné ; or les premiers livres de l’Ancien Testament jouent ce même rôle fondateur de circonscription et définition pour le peuple d’Israël. La Bible relèverait donc à divers titres du genre épique.

Le Moyen Âge : la double influence de Virgile et du christianisme

  • 28 Voir par exemple Baswell, Chistopher, Virgil in Medieval England: Figuring...

18Dans la profusion d’études consacrées au genre épique tel qu’il se déploie durant la longue période médiévale, on peut relever deux grandes questions qui intéressent particulièrement la critique anglosaxonne : l’influence du modèle virgilien28 et la christianisation progressive de la culture.

  • 29  A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit., p. 49.

19Une vision chrétienne du monde engage des valeurs qui ont paru à certains incompatibles avec l’épopée. Adeline Johns-Putra écarte ainsi de l’étude du genre les chansons de geste, désignées comme “romance”, en raison d’une conception diffuse de la compassion et de la bonté chrétiennes qu’elles recèlent et qui s’oppose à la colère cruelle d’Achille ou au patriotisme sans merci d’Énée29.

  • 30 Voir par exemple Hill, Thomas D., “The Christian Language and Theme of Beo...

  • 31  La renommée du modèle virgilien à l’époque fait l’objet de débat, mais l’...

20Mais d’autres critiques s’intéressent à la manière dont les œuvres se distinguent du traitement allégorique de Virgile, en ajoutant à un récit héroïque existant des valeurs chrétiennes. Dans Beowulf30, qui concilie le paganisme de Virgile31 et celui du Nord de l’Europe, au christianisme, le merveilleux se traduira par des figures monstrueuses issues du paganisme, contre lesquelles combattent les héros chrétiens.

2. De la Renaissance au XVIIIe siècle : chantiers et déboires théoriques

21De nombreux critiques s’intéressent à la réflexion et à la production épiques qui se développent entre la Renaissance et le XVIIIe siècle. En effet, on assiste à cette époque à un foisonnement théorique, à l’établissement de prescriptions complexes à partir des principes énoncés par Aristote, dont la Poétique est redécouverte au début de la Renaissance, en particulier avec la traduction italienne d’Alessandro Pazzi en 1536.

Allégorie et aspiration à un grand sujet national

  • 32 A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit., p. 68-72 ; P. J. Cook, ...

  • 33  Quint, David, “Epic”, dans Escobedo, Andrew (éd.), Edmund Spenser in cont...

  • 34  A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit., p. 72.

22Les commentateurs s’intéressent tout d’abord à l’affirmation de la tendance allégorique chrétienne et de l’aspiration à un grand sujet national fédérateur qui étaient déjà amorcées à l’époque médiévale. Cette première question est généralement soulevée dans des monographies consacrées à des auteurs épiques. On a pu discuter32 par exemple la manière dont, avec La Reine des fées (1591-1596), Spencer entend rivaliser avec La Jérusalem délivrée du Tasse (1581) et donner une épopée à l’Angleterre, voire réfléchir sur les classes sociales et sur la domination de l’aristocratie33. Adeline Johns-Putra voit cela dans le symbolisme qui intervient à deux niveaux, à la fois dans les domaines spirituel et politique : l’âme qui est au centre du récit est en quête de son salut, en même temps qu’elle cherche à acquérir les vertus d’un parfait gentleman anglais34.

La tyrannie du modèle à l’époque classique

  • 35 Himmelsbach, Siegbert, L’Épopée ou la “case vide” : la réflexion poéto...

  • 36  Bloom, Harold, Harold, The Anxiety of Influence: a Theory of Poetry, Lond...

23Plus largement, la multiplication des théories au détriment des œuvres elles-mêmes qui caractérise l’époque classique conduit les commentateurs à réfléchir sur la constitution du genre épique en un idéal inaccessible. On retrouve ici le même mouvement en France, bien étudié par Siegbert Himmelsbach : selon lui, la démultiplication des règles et le prestige accordé à l’épopée constituent le genre en un idéal inaccessible, que les œuvres “échouent” systématiquement à incarner. Ainsi se développerait, après le Moyen Âge, un “complexe de l’épopée”35. Si la critique anglaise réfléchit généralement plus en termes de modèles” que de “règles”, elle a également recouru à la psychanalyse pour évaluer les contraintes de l’archétype, qui rendent difficile la production d’autres œuvres. C’est le cas notamment d’Harold Bloom, qui développe la théorie bien connue de “l’angoisse de l’influence” [the anxiety of influence]36. Ainsi, dans le monde anglophone, c’est l’œuvre de John Milton qui “hante” ses successeurs et les force à mettre en place des stratégies de résistance pour que puisse s’affirmer leur propre originalité.

La querelle des Anciens et des Modernes

  • 37  H. T. Swedenberg, The Theory of the Epic in England, 1650-1800, op. cit. ...

  • 38  Concernant l’influence de Le Bossu sur Dryden, voir Thomas, Richard, Virg...

24De nombreux échanges interviennent entre les deux côtés de la Manche à cette période, comme l’ont étudié Hugh T. Swedenberg (1944) ou Stuart Curran (1970)37 : la littérature anglaise du XVIIIe siècle se développe sous l’influence de la théorie française du XVIIe siècle importée par le Traité du poème épique de René Le Bossu (1675), traduit en 1695. L’épopée y est définie comme un texte essentiellement allégorique et les modèles donnés sont exclusivement antiques. On a souvent commenté la manière dont Dryden et Pope reprennent à leur compte cette caractérisation38.

  • 39 Levine, Joseph M., The Battle of the Books: History and Literature in the ...

25Le débat sur le genre est également traversé par la querelle des Anciens et des Modernes : Joseph M. Levine (1991) montre que l’ancienne épopée n’apparaît plus pertinente, tandis que la nouvelle lui est quand même toujours inférieure ; l’idéal est donc inaccessible et l’entreprise épique vouée à l’échec39. Les poètes sont confrontés à un dilemme entre vénération et compétition à l’égard des classiques d’où le recours aux traductions et réécritures. L’Angleterre s’intéresse alors au modèle que Fénelon fournit avec son Télémaque, celui d’une continuation des œuvres antiques.

  • 40 Rudy, Seth, Literature and Encyclopedism in Enlightenment Britain: the Pur...

26Seth Rudy, dans un livre de 2014, interroge cette querelle des Anciens et des Modernes dans le cadre d’une étude particulièrement originale. Il cherche dans la littérature des XVIIe et XVIIIe siècles, et notamment dans la production épique, les vestiges d’une aspiration à la totalisation des savoirs, qui traversait déjà les œuvres d’Homère et de Virgile et qui aboutit au XXIe siècle à l’ambition globalisante de Google ou de Wikipédia. L’auteur analyse ainsi le dilemme devant lequel la querelle des Anciens et des Modernes place les théoriciens de l’époque, qui évaluent les œuvres épiques à l’aune de leur capacité à réunir toutes les connaissances. Dès lors, pour les uns, le monde moderne ne mérite pas un traitement épique, du fait de son immoralité et du peu de fiabilité des connaissances qu’il développe ; pour les autres, le genre épique ne permet peut-être pas rendre compte de la totalité des savoirs. En effet, des poètes comme Alexander Pope, James Thomson, Edward Young sont forcés de reconnaître que les œuvres d’Homère et de Virgile ne contenait qu’un savoir limité comparé à celui des Lumières. Ils croient toutefois à la possibilité de réaliser cet idéal pour leur propre époque, “sinon dans des épopées effectives, du moins dans des œuvres aux dimensions épiques” [if not with actual epics, then with works of epic proportions]40, redéfinissant le genre comme “encyclopédique”.

Des épopées comiques ?

  • 41  Henry Fielding désigne deux de ses œuvres comme des “épopées comiques en ...

  • 42  Voir Davis, Lennard J., Factual fictions: the Origins of the English Nove...

27Nombreux sont les commentateurs de ces trente dernières années qui s’intéressent alors à la manière dont, face à ces exigences théoriques et à ces modèles inaccessibles, les épopées comiques et parodiques en prose se développent, sous la plume d’auteurs comme Fielding ou Smolett41. Si leurs expériences poétiques rappellent le Don Quichotte de Cervantès, dans lequel on identifie souvent le début d’une nouvelle lignée générique, celle du roman moderne, il s’agit moins, pour les deux auteurs anglais, de répudier ou de subvertir l’épopée, que de la rénover. On a souvent noté que ces œuvres marquent en effet à la fois une étape dans l’évolution de l’épopée vers le roman et dans son évolution vers une forme d’épopée romantique qui fait porter l’intérêt sur le moi du poète42.

3. Le XIXe siècle : confronter l’épique à l’historicisme de l’époque

  • 43 Dentith, Simon, Epic and Empire in Nineteenth Century Britain, Cambridge, ...

  • 44 Wilkie, Brian, Romantic Poets and Epic Tradition, Madison, University of W...

  • 45 Voir Haylay, William, An Essay on Epic Poetry [1782], Gainesville, Scholar...

28De nombreux critiques se penchent sur la rencontre, à partir de la fin du XVIIIe siècle, entre les aspirations diffuses à une épopée qui rende sa dignité à la nation, et la nécessité historiciste d’un lien puissant entre l’époque de l’écriture et la forme littéraire de celle-ci. C’est le cas notamment de Simon Dentith (2006)43, à la suite de chercheurs plus spécifiquement intéressés par les rapports entre le romantisme et le genre épique, tels que Brian Wilkie (1965) et Joseph A. Wittreich (1970)44. En effet, à la fin du XVIIIe siècle paraît en Angleterre l’Essai sur la poésie épique (1782) de William Hayley, qui remet en cause le traité de Le Bossu et accuse la théorie d’étouffer la production épique45. Si les théories continuent à prospérer, elles changent radicalement d’enjeu en croisant l’historicisme : il ne s’agit plus de prescrire des normes génériques contraignantes, mais d’articuler avec le présent un genre perçu comme ancien.

  • 46  Voir Colley, Linda, Britons: Forging the Nation, 1707-1837, New Haven, Ya...

  • 47 S. Dentith, Epic and Empire in Nineteenth Century Britain, op. cit., p. 70.

29S’appuyant sur l’étude de la naissance de l’idée de nation britannique réalisée par Linda Colley46, Simon Dentith montre comment la Grande-Bretagne émergeante cherche d’abord des événements fondateurs dans son histoire ou au-delà – au-delà de la Glorieuse révolution de 1688, de la Réforme protestante, de la Conquête normande ou de l’installation des Saxons, de la légende arthurienne et de la matière de Bretagne47. La fin du XVIIIe et le début du XIXe siècles sont ainsi une période de redécouverte d’une multitude d’épopées, inventées au besoin : Le Nibelunglied, Le Cid, La Chanson de Roland, les Eddas, mais aussi le Kalevala reconstitué à partir de légendes populaires finnoises, et même les contes du pseudo-Ossian.

  • 48 Voir Rawson, Claude, “From Epic to Fragment: Reflections on Poetic Change”...

  • 49 Swift, Jonathan, Gullivers’ Travels, and Other Writings, Boston, Houghton ...

30Aux côtés de l’historicisme, de l’aspiration nationale et de l’ombre des chefs-d’œuvre du passé se dessine un autre champ de réflexion et d’expérimentation : celui de la tension entre totalité et fragment. On a ainsi pu faire remarquer48 que l’épopée a traditionnellement des liens avec le fragment, ne serait-ce que parce qu’elle nous parvient souvent sous forme lacunaire, et parce qu’elle est composée à partir de récits oraux plus courts. Or, peu à peu, le fragment n’est plus le signe d’une lacune, il devient objet de parodie comme dans l’épopée “comique” de Jonathan Swift intitulée Battle of the Books (1704)49. La parodie perd ensuite du terrain et le fragment devient une expression poétique à part entière et un marqueur générique, en particulier avec la parution de l’Ossian de James Macpherson.

31Simon Dentith montre en effet comment les questions variées de l’épopée nationale, de la forme fragmentaire, du primitivisme et du prestige des œuvres et des auteurs du passé, se cristallisent autour de la parution d’Ossian de Macpherson en 1761, qui cherche dans un Celtic revival une épopée nationale. L’œuvre se donne pour une “traduction” d’un texte original intitulé Fingal, mis par écrit par un barde écossais du IIIe siècle nommé Ossian. Cette attribution fictive pose un problème à l’historicisme qui considère comme impossible d’écrire à une époque donnée une œuvre d’une autre époque, “antique”, qu’il s’agisse de ballade ou d’épopée. En effet, si l’épopée est considérée comme essentiellement “primitive”, alors toute écriture d’épopée à l’époque moderne relève du pastiche.

  • 50 Ces essais sont réunis dans Gaskill, Howard (éd.), The Poems of Ossian and...

32Le débat sur cette question, qui fait rage à la fin du XVIIIe, a été analysée dans Epic and Empire in Nineteenth Century Britain par Simon Dentith, qui s’appuie sur les essais que Ferguson, Hugh Blair et James Macpherson ont publiés entre 1763 et 176750. Il montre comment cette polémique tourne autour d’arguments circulaires pour savoir si la société de l’époque est bien telle que représentée dans l’œuvre, ou si c’est notre lecture de l’œuvre qui fait que l’on se représente la société ainsi. Il s’agit de répondre à une question qui hantera le XIXe siècle : comment procurer dans le monde présent une expérience équivalente à celle que produit la lecture d’un texte ancien authentique, sans pour autant imiter les défauts de style qui parfois gênent dans l’original ?

  • 51  Voir Brian Wilkie, Romantic Poets and Epic Tradition, op. cit., p. 30-58.

33Simon Dentith distingue plusieurs tendances dans la manière dont la production épique du XIXe siècle se saisit de ces questions. La première, autour des œuvres de Robert Southey, auteur prolifique qui a écrit cinq vastes poèmes épiques, interprète l’épopée comme un récit concentrant un maximum de figures et de thèmes mythiques. Walter Scott tire cette tendance vers le roman historique, mais hésite entre les deux genres et les mêle en une sorte de continuum. Simon Dentith suit ici Brian Wilkie, qui reprenait déjà en 1965 le terme d’“épomanie” inventé par Southey pour caractériser cette période51.

34Wilkie et Dentith s’accordent également à identifier une seconde catégorie dans la production d’épopées : la reprise de la figure de Milton par les Romantiques (Blake, Wordsworth, Keats et Byron), qui mettent en avant le poète-prophète Harold Bloom (1975) a bien étudié comment une telle figure tutélaire pouvait aussi exercer une “influence” a contrario. Ainsi, pour écrire Hypérion (1820) et La Chute d’Hypérion (1856), John Keats cherche dans la Divine Comédie de Dante un modèle concurrent de celui de Milton, afin de lutter contre l’ascendant de ce dernier. L’héritage du Paradis perdu est pourtant manifeste dans la structure de l’œuvre, qui transpose le mouvement de la chute de Satan dans l’univers des Titans de la mythologie gréco-romaine où luttent Hypérion et Apollon, personnages présents au chant XXII du Paradis de Dante.

35Dentith spécifie une dernière mouvance, réunissant certains auteurs (Scott, Carlyle, Browning, Tennyson, Morris) qui mettraient en scène la question de l’articulation entre passé et présent par laquelle leur époque est travaillé. À l’intérieur même des poèmes s’établit un dialogue constant entre des environnements mais aussi des sentiments anciens et modernes, problématisant ainsi les tensions qui se développent autour du primitivisme épique et de la possibilité d’écrire des épopées à l’époque moderne.

4. XXe siècle : l’extension du genre

Extension géographique

36La théorisation du genre de l’épopée connaît de grands changements à la fin du XIXe siècle, cette fois sans qu’on puisse faire de distinction nette entre la critique anglosaxon et les autres. Un autre territoire d’investigation émerge avec la découverte de pays où les épopées sont encore “vivantes”, dans les Balkans, en Sibérie ou en Turquie par exemple. Ces traditions non occidentales, souvent de transmission orale, ont été découvertes et notées au XIXe ou au XXe siècle et leur constitution en domaine de recherche remonte aux années 1930.

37La question intéresse cette fois les linguistes et comparatistes tels que Hector M. et Nora K. Chadwick, qui publient leurs travaux entre 1934 et 1969. À la suite de Mathias Murko, chercheur slovène spécialiste des littératures serbo-croates (1929), Milman Parry (philologue américain spécialisé dans la littérature slave) enregistre des centaines d’épopées au Kosovo entre 1933 et 1935, qui sont actuellement conservées à la bibliothèque d’Harvard. Après la mort prématurée de M. Parry, Albert Lord (également philologue et professeur de littérature slave) continue ses recherches sur la composition de ce type d’épopées, domaine qui suscitera plus tard les travaux de John M. Foley (chercheur américain comparatiste, spécialiste d’Homère, de littérature médiévale vieil-anglaise et de l’épopée serbe) sur la tradition orale. Or, tous attribuent facilement le nom d’épopée aux objets variés qu’ils étudient.

  • 52  Cette matière, fondée par Max Müller au milieu du XIXe siècle, croise les...

  • 53 Voir par exemple les récentes publications sur ces corpus : Goldman, Rober...

  • 54 Biebuyck, Daniel, et Mateene, Kahombo, The Mwindo Epic of the Banyanga, Be...

38Le corpus des épopées à prendre en compte s’élargit encore avec l’œuvre-somme de Georges Dumézil, Mythe et épopée, parue entre 1968 et 1973. L’ouvrage propose une mythologie comparée52 à partir d’une multitude de traditions indo-européennes telles qu’elles sont transmises dans le Mahabhârata indien, les épopées grecques, latines, germaniques, scandinaves ou encore slaves53. Le mouvement d’extension du corpus se poursuit avec la publication d’épopées africaines (comme le Mwindo du Zaïre, dont la traduction anglaise paraît en 196954) et l’ouverture croissante aux traditions asiatiques.

39Les chercheurs se trouvent donc confrontés à une abondance d’épopées de toutes époques, aux formes extrêmement variées, allant des récits oraux transmis par les griots du village aux œuvres littéraires écrites par des auteurs bien identifiés. Leur étude met alors en jeu une multitude de compétences, de l’ethnographie et l’ethnologie à l’analyse littéraire, en passant par l’histoire, la sociologie, l’anthropologie ou la linguistique.

La fantasy

  • 55  Tymn, Marshall B., Zahorsky, Kenneth J., et Boyer, Robert H., Fantasy Lit...

  • 56  Moorcock, Michael, Wizardry & Wild Romance: A Study of Epic Fantasy, Aust...

40Parallèlement se développe une nouvelle tendance, celle de la “fantasy épique”, expression à peu près synonyme de “high fantasy”. Cette dernière a été définie en opposition à la low fantasy par Marshall B. Thymm, Robert H. Boyer et Kenneth J. Zahorski dans leur ouvrage de 1979 intitulé Fantasy Literature : l’intrigue de la low fantasy serait située dans le cadre de notre monde, traversé par des interventions magiques ou surnaturelles qui restent inexplicables, tandis que celle de la high fantasy s’inscrirait dans un “monde secondaire”, dont les lois propres ne sont pas les mêmes que celles qui ont cours dans le monde réel55. La critique discute sur ce lien entre fantasy et genre épique, parfois revendiqué (Carter 1973, Silverberg 2005), parfois relégué au rang de processus de légitimation d’un genre qui mériterait au contraire une reconnaissance à part entière (Moorcock 200456).

41Si le lien revendiqué avec le genre de l’épopée apparaît bien souvent comme une affaire de lignage avantageux, l’étude des œuvres de fantasy particulières sous cet angle générique se résume parfois finalement à un catalogue des “caractéristiques” de l’épopée et des éléments correspondants dans les œuvres modernes. L’ambition séduisante de théoriser une fantasy “épique” est souvent desservie dans les faits par l’élaboration simpliste d’une liste de points communs. Ce genre d’analyse, couramment repris par les fans sur les sites internet consacrés à la fantasy, mais aussi largement répandu dans la critique plus institutionnelle, se réfère à une définition souvent atomistique de l’épopée. Le relevé des éléments spécifiques du genre permet ainsi des comparaisons terme à terme entre une épopée traditionnelle et une œuvre de fantasy, ou plus généralement encore, il constitue la réserve de motifs et ingrédients du nouveau genre.

III. Quel avenir pour l’épopée ?

42Si la critique anglosaxonne tend à déployer de vastes panoramas historiques de l’épopée et à considérer la tradition générique à travers la succession des œuvres, il est clair qu’elle n’échappe pas entièrement au défi de théorisation et de définition du genre. Une telle dichotomie se fait plus radicale encore au XXe et au XXe siècle, face aux théories européennes qui proclament la mort de l’épopée et obligent ainsi les commentateurs à prendre position et, le cas échéant, à évaluer les conditions de possibilité d’une refondation de l’épique.

1. La mort de l’épopée ?

  • 57 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich, Cours d’esthétique, traduit par Lefebvre,...

43La théorie épique au XXe siècle est globalement fondée sur l’idée de la mort de l’épopée, telle qu’elle est déclarée par Lukács (1920) et Bakhtine (1941), qui reprennent l’analyse de Hegel dans son Cours d’esthétique (1835)57. Une telle conception a une influence déterminante sur l’ensemble de la critique mondiale. Parmi les commentateurs anglosaxons, nombreux sont ceux qui entérinent, au sein de leurs panoramas historiques, cette fin de l’épopée. Ainsi, les histoires de l’épopée écrites au milieu du siècle par M. Bowra (1945 et 1952), E. M. W. Tillyard (1954 et 1958) s’arrêtent à la fin du XVIIIsiècle.

  • 58 Fowler, Alastair, Kinds of Literature: An Introduction to the Theory of Ge...

  • 59 A. Fowler, “The Life and Death of Literary Forms” in Cohen, Ralph (éd.), N...

  • 60  Ibid., p. 93.

44Dans le même sens, dès 1974, puis dans son ouvrage majeur Kinds of Literature (1982)58, Alastair Fowler prend l’épopée comme exemple paradigmatique de la façon dont les genres littéraires sont sujets à la “mort”, ou du moins à l’évolution, au même titre que les espèces biologiques. Retrouvant le modèle organiciste, le critique remarque qu’“il serait étrange que la littérature, image de la vie, n’ait aucunement pour corollaire l’évolution des formes biologiques” [It would be strange if literature, life’s image, contained no correlate of the evolution of biological forms.]59. Le genre est soumis aux mêmes lois historiques que toute autre organisation temporelle, et en particulier les espèces vivantes. Partant du double principe que, d’une part, il y a dans la nature vie et mort, croissance, corruption et transformation, selon un développement historique, et que, d’autre part, “la nature ne fait pas de saut” [Natura non facit saltum]60, A. Fowler analyse de manière schématique la façon dont les genres littéraires évoluent et disparaissent.

  • 61 Ibid., p. 92.

  • 62 Ibid.

  • 63  Ibid., p. 91.

45Dans un premier temps, il étend à l’ensemble des genres la distinction de C.S. Lewis entre une épopée primaire, “primitive”, et une épopée qui imite consciemment la première. Il y ajoute une épopée “tertiaire” [tertiary], troisième stade dans l’évolution générique, qui correspond à la reprise d’un état “secondaire” du genre par un auteur qui le détourne et l’emploie d’une manière radicalement nouvelle, modulant la forme antérieure de façon burlesque, antithétique, ou symbolique. Puis, les genres littéraires, “limités par le carcan rigide de leur structure, épuisent finalement leurs capacités d’évolution” [limited by its rigid structural carapace, eventually exhausts its evolutionary possibilities] et s’éteignent en laissant derrière eux des “modes équivalents, souples, polyvalents et capables de nouvelles associations” [the equivalent mode, flexible, versatile, and susceptible to novel commixtures]61. Ces derniers sont moins liés aux “formes sociales spécifiques” [specific social forms] d’une période historique donnée, et peuvent donc leur survivre en “produisant en guise de compensation une multitude de formes génériques nouvelles” [generate a compensating multitude of new generic form]62. Les modes apparaissent dès le stade “secondaire” de l’évolution du genre, qui suppose déjà un certain degré d’abstraction et de distance critique ; ils “prolifèrent” [proliferate]63 et se désolidarisent de leur genre d’origine dans la troisième phase, où se multiplient les formes hybrides.

2. Œuvres épiques ou encyclopédiques ?

  • 64 Miller, James E., The American Quest for a Supreme Fiction: Whitman’s Lega...

  • 65 Voir Mendelson, Edward, “Encyclopedic Narratives: from Dante to Pynchon”, ...

46Parallèlement à ce modèle organiciste, qui tend à disloquer l’unité générique d’une même œuvre en une pluralité de “modes”, un autre pan de la critique a cherché à caractériser une nouvelle tendance épique au XXe siècle, souvent qualifiée d’“encyclopédique” (J. E. Miller 1979, V. Kelly 199464). Certains commentateurs préfèrent quant à eux distinguer les œuvres dont l’histoire se situe dans un temps éloigné, de celles qui tendent à concentrer toute la réalité telle qu’elle apparaît à une époque donnée, dans un récit dont l’action se déroule dans le présent. Edward Mendelson réserve le terme d’“épopées” pour les premières et qualifie les secondes de “narrations encyclopédiques” [encyclopedic narratives]65. D’après lui, les auteurs ont généralement l’intention d’imiter des épopées plutôt que d’écrire des narrations encyclopédiques ; toutefois, ils prennent pour sujet le monde présent qui les entoure, et non le passé héroïque. Dans les deux cas, l’œuvre connaît un grand retentissement dans la société : elle accède au statut de mythe culturel et donne naissance à tout un réseau de commentaires et d’imitations.

  • 66 Modern Epic: the World-System from Goethe to García Márquez, Londres et ...

47En Italie, Franco Moretti alimente de manière décisive ce débat anglosaxon, en refusant d’exclure les œuvres encyclopédiques du genre de l’épopée. Il propose pour sa part le concept d’“épopée moderne” pour désigner un genre comportant de “nombreuses similitudes structurelles qui le rattachent à un passé lointain” [many structural similarities binding it to a distant past], mais aussi des “discontinuités suffisamment importantes” [discontinuities important enough]66.

  • 67 Tense Future: Modernism, Total War, Encyclopedic Form, Oxford et New York,...

48Cette désignation a été récemment à nouveau combattue par Paul K. Saint-Amour, pour qui les œuvres de Joyce, Proust et Musil retenues par Moretti ne sont pas épiques mais encyclopédiques. L’auteur de Tense Future s’appuie pour cela sur l’idée hégélienne selon laquelle l’épopée se nourrit de la guerre, qui seule “met en mouvement la nation toute entière” [the whole nation […] is set in motion], tandis que la rhétorique du roman encyclopédique n’offre que des versions parodiques ou incomplètes de cette totalité67.

3. Époque moderne et théories post-hégéliennes

  • 68 W. B. Stanford, The Ulysses Theme, a Study in the Adaptability of a Tradit...

49Les thèses critiques sur le rapport du l’époque moderne à l’épique sont multiples et contrastées : on a pu voir dans le modèle narratif de l’Odyssée, qui alterne entre stabilité et instabilité, errance et domesticité, aventure et désir de retour, un schéma particulièrement adapté aux contradictions de l’époque moderne (W. B. Stanford 1954, D. Adams 2003)68.

  • 69 Blanton, Charles Daniel, Epic Negation: The Dialectical Poetics of Late Mo...

  • 70 Pound, Ezra, “Date Line”, Make It New, Londres, Faber and Faber, 1934, p. 19.

50D’autres critiques mettent en évidence les adaptations nécessaires de l’écriture épique au contexte historique moderne. Ainsi, C. D. Blanton examine69 la manière dont le modernisme tardif (T. S. Eliot 1922-1939, Louis MacNeice 1939, W. H. Auden 1940) inverse la méthode du “poème incluant l’histoire”70, qui définit l’épopée pour Ezra Pound. Il s’agit bien d’intégrer l’histoire dans l’œuvre épique, pas simplement au sens où les faits doivent être historiques, mais au sens où l’œuvre est capable d’“absorber” le monde à un moment donné, y compris le monde présent. Confrontée à une histoire contemporaine trop complexe et trop menaçante pour être intégrée dans l’œuvre “de manière directe”, l’“épopée moderniste” inclut l’histoire “d’une manière différente”, par la référence à des moments désarticulés plutôt que par la représentation, de telle sorte que puisse jouer dans l’œuvre le “travail du négatif”, un travail conceptuel : il ne s’agit plus seulement d’inclure l’histoire mais de la prendre pour objet, de faire de l’œuvre un instrument de la raison dialectique, visant par définition une totalité qui échappe toujours. Blanton explique comment, reprenant la réflexion hégélienne et post-hégélienne sur la raison historique, sur la façon dont la structure de l’expérience historique se soumet à la raison conceptuelle sans pouvoir jamais être représentée de manière affirmative, le modernisme découvre progressivement que la totalité n’est possible que dans sa propre négation.

  • 71 Spiotta, Dana, Eat the document, Londres, Picador, 2008 et Stone Arabia, N...

  • 72 Vermeulen, Pieter, Contemporary Literature and the End of the Novel: Creat...

51Dans une même tendance à la relecture dialectique de la Théorie du Roman de Lukács, Pieter Vermeulen réfléchit sur la manière dont les auteurs du XXIe siècle (comme Dana Spiotta, Hari Kunzru, Russel Banks71) affrontent la question de l’épuisement de la forme romanesque annoncée en 1967 par John Barth, et singulièrement de la possibilité ou de l’impossibilité d’écrire un roman après les événements du 11 septembre 2001. En effet, le modèle épique tel qu’il est décrit par Lukács serait une pure construction, le nom donné au désir d’immédiateté et de totalité toujours latent à l’époque du roman. Dès lors, celui-ci consiste par définition en un échec à saisir la totalité, il dramatise constamment sa propre dissolution, il n’existe qu’en tant qu’epic failure, “épopée manquée”. La théorie de Lukács permet dès lors au roman de se placer dans une tension féconde avec la totalité contemporaine et de réimaginer sa relation au présent et les moyens littéraires pour approcher l’ensemble et le singulier – sans jamais parvenir à les dire complètement72.

52Si Harold Bloom a montré comment le chef-d’œuvre épique, celui de Milton comme avant lui ceux d’Homère et de Virgile, a pu exercer sur la production épique une “influence” tantôt tétanisante, tantôt féconde, il semble que l’on puisse en dire autant des grands monuments de la théorie épique sur la réflexion postérieure. Il en est ainsi de la Poétique d’Aristote, reprise, commentée, transformée en préceptes, indéfiniment recomposée par les théoriciens, qu’elle met constamment au défi d’une pensée toujours plus adéquate. D’autres ouvrages plus récents ont également imposé leur présence dans le paysage mondial de la théorie épique. Et l’on voit bien que la critique anglosaxonne, malgré sa tendance à préférer les panoramas historiques aux définitions plus systématiques du genre par ses caractéristiques, n’échappe pas au débat à la fois fructueux et sans fin lancé par la thèse hégélienne et par sa relecture lukácsienne.

Notes

1 La matière y est organisée selon des sections consacrées à des enjeux poétiques tels que “La totalité et le fragmentaire”, “Relectures et réécritures” (Neiva, Saulo (éd.), Désirs & débris d’épopée au XXe siècle, Berne et New York, Peter Lang, 2009), ou encore thématiques, “Le rire de l’épopée”, “L’imaginaire de l’espace épique” (Mathieu-Castellani, Gisèle (éd.), Plaisir de l’épopée, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2000), “Modèle épique et eschatologie” (Franck Greiner et Jean-Claude Ternaux (éd.), L’Épopée et ses modèles de la Renaissance aux Lumières, Paris, Honoré Champion, 2002).

2  Myers, Irene Tanner, Epic Poetry, New York, Henry Holt & Company, 1901 ; Bowra, Cecil Maurice, From Virgil to Milton, Londres, Macmillan, 1945 et Heroic Poetry, Londres, Macmillan, 1952 ; Tillyard, Eustace Mandeville Wetenhall, The English Epic and its Background, Londres, Chatto & Windus, 1954 et The Epic Strain in the English Novel, Londres, Chatto & Windus, 1958 ; Greene, Thomas, The Descent from Heaven, A Study in Epic Continuity, New Haven et Londres, Yale University Press, 1963 ; Newman, John Kevin, The Classical Epic Tradition, Madison, University of Wisconsin Press, 1986 ; Burrow, Colin, Epic Romance: Homer to Milton, Oxford et New York, Oxford University Press, 1993 ; Cook, Patrick J., Milton, Spenser and the Epic tradition, Brookfield (Vermont), Scolar Press, 1996 ; Johns-Putra, Adeline, The History of the Epic, Houndmills ; Basingstoke ; Hampshire et New York, Palgrave Macmillan, 2006.

3  Stanford, William B., The Ulysses Theme, a Study in the Adaptability of a Traditional Hero, Oxford, Blackwell, 1954.

4 Voir Oberhelman, Steven M., Kelly, Van, et Golsan, Richard Joseph (éd.), Epic and Epoch: Essays on the Interpretation and History of a Genre, Lubbock, Texas Tech University Press, 1994.

5  Swedenberg, Hugh T., The Theory of the Epic in England, 1650-1800, Berkeley, University of California Press, 1944.

6  Pour A. Johns-Putra, il ne fait par exemple aucun doute que La Chanson de Roland n’appartient pas au genre épique (A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit., p. 72).

7  Labarthe, Judith, L’Épopée, Paris, Armand Colin, 2006.

8 A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit.

9  J. Labarthe, L’Épopée, op. cit.

10 Th. Greene, The Descent from Heaven, A Study in Epic Continuity, op. cit., p. 9-10. Ci-après, lorsque la note n’indique pas de version française de l’ouvrage, les citations sont de ma traduction.

11 Frye, Northrop, Anatomy of Criticism, Four Essays, Princeton, Princeton University Press, 1957 ; Anatomie de la critique, traduit par Guy Durand, Paris, Éditions Gallimard, 1969.

12  Par l’importance et la variété des œuvres canoniques qui s’y rattachent, l’épopée amplifie une difficulté de définition qui concerne également d’autres genres littéraires, tels que le roman, dont la dimension polymorphe et la souplesse sont perçues comme un obstacle.

13  Introduction de Judith Labarthe au collectif qu’elle a dirigé, Formes modernes de la poésie épique : nouvelles approches, Bruxelles et New York, Peter Lang, 2004, p. 14-15.

14  A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit., p. 6-7.

15 Voir Rosmarin, Adena, The Power of Genre, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1985, p. 35.

16 On citera par exemple Wulf, Judith, La Légende des siècles de Victor Hugo, Neuilly, Atlande, 2001 ; ou encore Flieger, Verlyn, « Frodo and Aragorn: the Concept of the Hero », in Neil D. Isaacs et Rose A. Zimbardo (éd.), Tolkien: New Critical Perspectives, Lexington, University Press of Kentucky, 1981, p. 40-62.

17 Th. Greene, The Descent from Heaven, A Study in Epic Continuity, op. cit. ; P. J. Cook, Milton, Spenser and the Epic tradition, op. cit.

18 C. M. Bowra, From Virgil to Milton, op. cit. et Heroic Poetry, op. cit. ; E. M. Tillyard, The English Epic and its Background, op. cit. et The Epic Strain in the English Novel, op. cit.

19 Voir par exemple McAuley, Mairéad, Reproducing Rome: Motherhood in Virgil, Ovid, Seneca, and Statius, Oxford, Oxford University Press, 2016.

20 Voir Horsfall, Nicholas, The Epic Destilled: Studies in the Composition of the Aeneid, Oxford, Oxford University Press, 2016 ; Rogerson, Anne, Virgil’s Ascanius: Imagining the Future in the Aeneid, Cambridge, Cambridge University Press, 2017.

21  Yearbook of Ancient Greek Epic, Leiden et Boston, Brill, 2017; Sammons, Benjamin, Device and composition in the Greek Epic Cycle, New York, Oxford University Press, 2017.

22 Currie, Bruno, Homer’s Allusive Art, Oxford, Oxford University Press, 2016.

23 Schein, Seth L., Homeric Epic and its Reception: Interpretive Essays, Oxford, Oxford University Press, 2016.

24  Hector Munro Chadwick et Nora Kershaw Chadwick, The Growth of Literature, Cambridge, The University Press, 1932.

25 Voir Schneidau, Herbert N., Sacred Discontent: the Bible and Western Tradition, Berkeley, University of California Press, 1977 et Alter, Robert, “Sacred History and Prose Fiction” dans Friedman, Richard (éd.), The Creation of Sacred Literature : Composition and Redaction of the Biblical Text, Berkeley, University of California Press, 1981, p. 7-24.

26  Cross, Frank Moore, From Epic to Canon: History and Literature in Ancient Israel, Baltimore (Md.), John Hopkins University Press, 2000, p. 27.

27  Whitman, Cedric Hubbell, Homer and the Heroic Tradition, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1958, p. 248.

28 Voir par exemple Baswell, Chistopher, Virgil in Medieval England: Figuring the Aeneid from the Twelfth Century to Chaucer, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; Fowler, Don, “The Virgil Commentary of Servius”, The Cambridge Companion to Virgil, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 73-78.

29  A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit., p. 49.

30 Voir par exemple Hill, Thomas D., “The Christian Language and Theme of Beowulf”, Companion to Old English Poetry, Aertsen, Henk et Bremmer, Rolph H. (éd.), Amsterdam, VU University Press, 1994.

31  La renommée du modèle virgilien à l’époque fait l’objet de débat, mais l’auteur en avait probablement connaissance au moins de façon indirecte. La description du marais où réside Grendel rappelle ainsi certains passages de l’Énéide (VII, p. 230-231, v. 483-486, 493-495). Voir Kennedy, Charles W. (éd.), Beowulf, the Oldest English Epic, Oxford, Londres et New York, Oxford University Press, 1978.

32 A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit., p. 68-72 ; P. J. Cook, Milton, Spenser and the Epic tradition, op. cit.

33  Quint, David, “Epic”, dans Escobedo, Andrew (éd.), Edmund Spenser in context, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 101-109.

34  A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit., p. 72.

35 Himmelsbach, Siegbert, L’Épopée ou la “case vide” : la réflexion poétologique sur l’épopée nationale en France, Tübingen, M. Niemeyer, 1988, p. 48.

36  Bloom, Harold, Harold, The Anxiety of Influence: a Theory of Poetry, Londres et New York, Oxford University Press, 1975 ; L’Angoisse de l’influence, traduit par Thiria-Meulemans, Aurélie, Shelledy, Maxime, et Degachi, Souad, Paris, Éditions Aux forges de Vulcain, 2013.

37  H. T. Swedenberg, The Theory of the Epic in England, 1650-1800, op. cit. ; Stuart Curran, Introduction, Le Bossu and Voltaire on the Epic, Gainesville, Scholars’ Facsimiles and Reprintings, 1970.

38  Concernant l’influence de Le Bossu sur Dryden, voir Thomas, Richard, Virgil and the Augustan Reception (Cambridge, Cambridge University Press, 2001) ; concernant son influence sur Pope, voir Keener, Frederick M., “Pope, The Dunciad, Virgil, and the New Historicism of Le Bossu”, Eighteenth-Century Life 15, 1991, p. 35-37.

39 Levine, Joseph M., The Battle of the Books: History and Literature in the Augustan Age, Ithaca (N.Y.), Cornell University Press, 1991.

40 Rudy, Seth, Literature and Encyclopedism in Enlightenment Britain: the Pursuit of Complete Knowledge, Basingstoke (GB) et New York, Palgrave Macmillan, 2014, p. 47.

41  Henry Fielding désigne deux de ses œuvres comme des “épopées comiques en prose” : Joseph Andrews (1742) et Tom Jones (1749). Dans la même veine, Tobias Smolett écrit Les Aventures de Roderick Random et Les Aventures de Peregrine Pickle.

42  Voir Davis, Lennard J., Factual fictions: the Origins of the English Novel, New York, Columbia University Press, 1983 ; McKeon, Michael, The Origins of the English Novel: 1600-1740, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1987 ; A. Johns-Putra, The History of the Epic, op. cit., p. 109-112.

43 Dentith, Simon, Epic and Empire in Nineteenth Century Britain, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.

44 Wilkie, Brian, Romantic Poets and Epic Tradition, Madison, University of Wisconsin Press, 1965 ; Wittreich, Joseph A., Introduction, The Romantics on Milton: Formal Essays and Critical Asides, Cleveland, The Press of Cas Western Reserve University, 1970.

45 Voir Haylay, William, An Essay on Epic Poetry [1782], Gainesville, Scholars’ Facsimiles & Reprints, 1968 et Le Bossu, René, Traité du poëme épique [1675], Hamburg, Buske, 1981.

46  Voir Colley, Linda, Britons: Forging the Nation, 1707-1837, New Haven, Yale University Press, 1992.

47 S. Dentith, Epic and Empire in Nineteenth Century Britain, op. cit., p. 70.

48 Voir Rawson, Claude, “From Epic to Fragment: Reflections on Poetic Change” dans Bär, Gerald, et Gaskill, Howard (éd.), Ossian and National Epic, New York, Peter Lang, 2012, p. 102.

49 Swift, Jonathan, Gullivers’ Travels, and Other Writings, Boston, Houghton Mifflin Company, 1960 ; La Bataille des livres et autres textes, traduit par Bégot, Monique, Paris, Rivages poche, 2003.

50 Ces essais sont réunis dans Gaskill, Howard (éd.), The Poems of Ossian and Related Works, Édimbourg, Edinburgh University Press, 1996, vol. 1.

51  Voir Brian Wilkie, Romantic Poets and Epic Tradition, op. cit., p. 30-58.

52  Cette matière, fondée par Max Müller au milieu du XIXe siècle, croise les outils de disciplines variées dont l’anthropologie (Müller, Max, Essay on Comparative Mythology dans Oxford Essays, Londres, John W. Parker and Son, 1856 ; Essai de mythologie comparée, traduit par Renan, Ernest, Paris, A. Durand, 1859).

53 Voir par exemple les récentes publications sur ces corpus : Goldman, Robert, et Goldman, Sally J. Sutherland (éd.), The Rāmāyaṇa of Vālmīki: An Epic of Ancient India, Princeton, Princeton University Press, 2017 ; Hudson, Emily T., Disorienting Dharma: Ethics and the Aesthetics of Suffering in the Mahābhārata, New York, Oxford University Press, 2013 ; Shayegan, M. Rahim, Aspects of History and Epic in Ancient Iran: from Gaumāta to Wahnām, Washington, Center for Hellenic Studies, 2012.

54 Biebuyck, Daniel, et Mateene, Kahombo, The Mwindo Epic of the Banyanga, Berkeley, University of California Press, 1969.

55  Tymn, Marshall B., Zahorsky, Kenneth J., et Boyer, Robert H., Fantasy Literature: A Core Collection and Reference Guide, New York, R.R. Bowker, 1979, p. 5.

56  Moorcock, Michael, Wizardry & Wild Romance: A Study of Epic Fantasy, Austin, MonkeyBrain, 2004, p. 43.

57 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich, Cours d’esthétique, traduit par Lefebvre, Jean-Pierre, von Schenck, Veronika, et Hotho, Heinrich Gustav, Paris, Aubier, 1995, p. 102.

58 Fowler, Alastair, Kinds of Literature: An Introduction to the Theory of Genres and Modes, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1982.

59 A. Fowler, “The Life and Death of Literary Forms” in Cohen, Ralph (éd.), New Directions in Literary History, Londres, Routledge et Kegan Paul, 1974, p. 85.

60  Ibid., p. 93.

61 Ibid., p. 92.

62 Ibid.

63  Ibid., p. 91.

64 Miller, James E., The American Quest for a Supreme Fiction: Whitman’s Legacy in the Personal Epic, Chicago, University of Chicago Press, 1979; Kelly, Van, Criteria for the Epic: Borders, Diversity and Expansion, dans Epic and Epoch: Essays on the Interpretation and History of a Genre, op. cit., p. 1-21.

65 Voir Mendelson, Edward, “Encyclopedic Narratives: from Dante to Pynchon”, Modern Language Notes, vol. 91, no 6, 1976, p. 1267-1275.

66 Modern Epic: the World-System from Goethe to García Márquez, Londres et New York, Verso, 1996, p. 2

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69 Blanton, Charles Daniel, Epic Negation: The Dialectical Poetics of Late Modernism, Oxford, Oxford University Press, 2015.

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Pour citer ce document

Marguerite Mouton, «État des lieux de la critique anglosaxonne sur le genre littéraire de l’épopée», Le Recueil Ouvert [En ligne], mis à jour le : 29/10/2023, URL : http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/308-etat-des-lieux-de-la-critique-anglosaxonne-sur-le-genre-litteraire-de-l-epopee

Quelques mots à propos de :  Marguerite  Mouton

Marguerite Mouton, docteur en littérature générale et comparée et professeur agrégé à l’ESPE de Beauvais, est membre du Centre d’Etudes des Relations et Contacts Linguistiques et Littéraires de l’université d’Amiens. Ses recherches portent notamment sur la théorie des genres littéraires, ainsi que sur les œuvres de Victor Hugo et de J.R.R. Tolkien.