Epopée, Recueil Ouvert : Section 3. L'épopée, problèmes de définition II - Marges et limites

Ève de Dampierre-Noiray

Faire résonner le chant des autres : quelques réflexions sur le “lyrisme épique” de Mahmoud Darwich

Résumé

En prenant pour point de départ la notion de “lyrisme épique souvent convoquée à propos de Mahmoud Darwich (1941-2008), cet article s’interroge sur le sens de cette formule, et les enjeux d’une lecture épique de l’œuvre poétique du poète palestinien. Cette perspective semble éclairer la manière dont l’univers quotidien du sujet lyrique acquiert, dans ses poèmes, une dimension légendaire, mais aussi la capacité de son chant à accueillir d’autres chants (paroles de l’ennemi, chant du vaincu), pour donner voix à une histoire universelle de la défaite. Dans ce contexte, il s’agit d’analyser en particulier la référence homérique telle qu’elle se présente chez Darwich, à la fois modèle pour penser une contre épopée des perdants et intertexte qui permet, dans le dernier recueil (2009) de dire l’impossible retour d’un temps et d’un lieu perdus.

Abstract

Reverberating the song of the others: reflections on Mahmoud Marwish’s epic lyricism”
Using as a point of departure the notion of
epic lyricism” often used when talking about Mahmoud Darwish (1941-2008), this article digs into the meaning of this formula, and the stakes of reading of the work of the Palestinian poet as epic poetry. This perspective sheds light on the ways in which the daily universe of the lyric subject in his poems acquires a legendary dimension, but also the capacity of his song to welcome other songs (the words of the enemy, the song of the vanquished) in order to voice a universal history of defeat. In this context, this paper will analyze in particular the Homeric reference as it presents itself in Darwish’s poetry, both as a model to imagine a counter-epic of the vanquished and as an intertext which allows, in the last collection (2009), to express the impossible return of a lost time and place.

Texte intégral

Un “poète lyrique-épique !”

  • 1 Nous avons brièvement rappelé la fortune de l’expression de Ritsos et les s...

1Le poète grec Yannis Ritsos (1909-1990), ami de Mahmoud Darwich, se doutait-il que son exclamation “tu es un poète lyrique-épique !” adressée à Darwich lors d’un récital à Athènes dans les années 1980, allait connaître une fortune si exceptionnelle ? Qu’il se soit agi d’une simple boutade semble improbable, même si l’exclamation était destinée à séduire par son caractère paradoxal : comment peut-on exceller en même temps dans le lyrisme et dans l’épopée ? Comment rassembler ces registres lyrique et épique que la tradition poétique occidentale, dans ses grandes lignes ou ses simplifications, a parfois tendance à séparer ? Cette expression, dont la force repose sur la rencontre de ces deux termes, est désormais presque systématique, comme une évidence lorsqu’il s’agit d’aborder l’œuvre poétique de Mahmoud Darwich. Si ses nombreux commentateurs et lecteurs l’ont, depuis trente-cinq ans, adoptée, c’est peut-être parce qu’il l’a lui-même largement utilisée pour illustrer certains aspects de son écriture. La formule revient à plusieurs reprises dans les entretiens éclairants rassemblés en français dans La Palestine comme métaphore ; elle fait ainsi écho, en les synthétisant en une même impulsion, à la mention fréquente, dans les poèmes eux-mêmes, de la double tentation du lyrisme et de l’épopée1.

2Du côté de la critique, il suffit de parcourir le dernier ouvrage collectif consacré à Mahmoud Darwich, la revue Europe qui rassemblait en 2017 plus de vingt contributions, pour trouver non seulement de multiples allusions à son lyrisme épique, mais aussi une référence continue, plus diffuse, à l’épopée, autrement dit une association presque toujours admise entre Mahmoud Darwich, considéré à la fois comme personnage d’une existence et auteur d’une œuvre, et l’épopée. Pour ce qui est de la formule, elle est souvent glosée par chacun de façon intuitive, personnelle : comment en serait-il autrement ? Les différentes élucidations du lyrisme épique propre à Darwich, et plus largement de son lien avec l’épopée, forment un ensemble d’hypothèses hétérogène. À l’heure où le champ des études sur son œuvre s’est enrichi de nombreux travaux en français, en plus de ceux qui existent en arabe, anglais, ou allemand, ce foisonnement d’hypothèses rend nécessaire, comme point de départ de cette réflexion, plusieurs questions : quel sens donner ce lyrisme épique que Ritsos, comme beaucoup après lui, prêtent à l’écriture poétique de Mahmoud Darwich ? Quels traits épiques dominent dans cette œuvre et à quelles traditions littéraires se rattachent-ils ? En quoi l’inscription de ses textes dans ce registre peut-elle en éclairer le sens ?

  • 2 Sur la distinction entre ces trois formes dans la poétique de Darwich, voir...

  • 3 J’ignore dans quelle langue Ritsos a dit cette phrase. Si c’est en grec, il...

3La postérité de la formule, qui ajoute à sa complexité, tient d’abord à ce que Darwich l’a faite sienne dans ses entretiens sur la poésie. Répondant au poète libanais Abbas Beydoun, il emploie la formule en arabe : al-ghinâ’iyya al-malhamiyya, où elle se compose de deux adjectifs, le premier substantivé (mot à mot la lyrique, la forme lyrique ou le fait d’être lyrique), le deuxième dans une fonction d’épithète : épique. L’adjectif ghinâ’î traduit par lyrique est formé sur la racine [غناء] qui renvoie à l’action de chanter, à la mélodie, à la chanson, ce qui le distingue d’autres noms comme nashîd (hymne), ou qasîda (poème)2. La notion semblerait en fait plus technique en arabe, comme si la connotation sentimentale associée à l’idée de lyrisme comme expression d’une subjectivité, et souvent d’une douleur, était moins présente, le terme renvoyant davantage à la musicalité, à la forme. Ainsi, la formule qui, en français (ou dans la langue dans laquelle elle a été prononcée par Ritsos3) crée bien une tension, une surprise, en accouplant des registres ou des imaginaires éloignés, ne produit pas nécessairement ce même effet en arabe dans la mesure où les deux termes se partagent les caractéristiques du poème : d’un côté, ses sonorités et sa musicalité désignées par ghinâ’iyya, de l’autre, ses thèmes, ses images et sa cadence, désignés par le terme malhamiyya. Si une telle séparation binaire de l’essence du poème est purement théorique, et pose d’emblée problème puisque le rythme participe à la fois de la mélodie et de la cadence, il y a toutefois l’idée d’une répartition, qui n’est pas ouvertement conflictuelle. Si une contradiction demeure, elle provient plutôt de la rencontre entre un chant individuel et un destin collectif, auquel renvoie l’adjectif traduit par épique. Celui-ci est formé sur le nom féminin malhama [ملحمة] qui rappelle par son étymologie [لحم] l’idée de la chair et du combat. Le préfixe ma- caractérise les schèmes de noms de lieux en arabe : la malhama est donc morphologiquement le lieu d’un affrontement des corps. D’où sa dimension physique et collective, en même temps qu’agonistique : le mot désigne le corps à corps charnel, l’engagement, et, par extension, l’épopée ou la geste – même si cette dernière est souvent désignée par le terme plus général sîra : la ligne de conduite, la biographie, la vie racontée.

  • 4 Muhammad Rajab An-Najjâr, Le Héros dans les épopées populaires arabes (Al-b...

  • 5 Voir Najat Rahman, op. cit. p. 216.

  • 6 Ibid, p. 222.

  • 7 J’emprunte la formule éclairante de Jean-Louis Backès (L’impasse rhétorique...

4Au-delà de cette idée de combat sur laquelle nous reviendrons, l’épopée, en arabe, se confond moins avec la notion de voyage ou avec le récit du voyage – même si le déplacement y reste un élément structurellement et thématiquement indispensable – qu’avec celle d’héroïsme, ou encore de mythe. L’éclairante étude consacrée récemment par Muhammad Rajab An-Najjâr à la représentation du héros dans l’imaginaire littéraire arabe4 rend manifeste la superposition, dans les épopées, entre les étapes de la reconnaissance du héros (‘Antara, Abû Zayd Hilâli, Hamza al-‘Arab, et d’autres) et les phases du récit épique, mais aussi les processus de mythification du héros dans le récit populaire, la manière dont ses traits caractéristiques revêtent, à certains stades de son parcours, une dimension transcendante. Cette envergure mythique du héros d’épopée remettrait alors en cause l’idée, pourtant séduisante, selon laquelle “le caractère ouvert du combat et de la forme dans l’épopée” l’opposerait au “mythe [qui] est et a été historiquement fermé5”. De même que les termes que nous tentons de distinguer se confondent parfois et se font écho dans la poésie de Darwich, à la manière des termes nashîd (chant collectif) et ughniyya (chanson ou chant individuel) dans le poème “La Qasîda de Beyrouth” (1984)6, l’”impasse rhétorique7” ou terminologique se double des questions linguistiques et culturelles posées par la transmission des textes. Rappelons par exemple que les fameuses mu’allaqât, traduites le plus souvent par “poèmes suspendus” ou “odes suspendues”, appellation qui semble leur conférer une autonomie de joyau de la poésie préislamique, sont elles-mêmes extraites de ces ensembles plus vastes que sont les épopées. Là encore, les termes et registres que nous voudrions démêler se confondent perpétuellement, c’est donc avec une grande précaution, et en ayant conscience de la maladresse qu’il y a à appliquer des notions culturellement marquées à des littératures dont l’aire les dépasse, que je les manierai.

  • 8 Mahmoud Darwich, La Palestine comme métaphore, Arles, Actes sud, 1997, coll...

5Mais ce qui importe ici, quelle que soit la langue dans laquelle on le désigne, est la manière dont Darwich défend précisément le caractère surprenant de cette alliance du lyrique et de l’épique. Dans le même entretien avec Abbas Beydoun, il argumente en faveur d’une polyphonie, d’un entremêlement d’éléments hétérogènes, en reprenant l’appellation de “lyrisme épique” pour désigner ce que son interlocuteur appelle “le poème à structure tramée qui relie des voix, des époques, des champs, des registres bien distincts8”. Le lyrisme-épique est à ses yeux un droit que réclame le poète, droit de “compose[r] des symphonies” tout en “fredonn[ant] de temps en temps un air de danse” ; d’allier le “trop-plein de chant” qui se trouve en lui à son “besoin d’expression journalistique, cinématographique, critique”. Darwich revendique l’alliance de la légèreté et de la pesanteur, d’une certaine douceur harmonique avec une vivacité combative. Cette alliance des contraires prend toutefois un sens différent dans un autre entretien, où il répond à la poétesse israélienne Helit Yeshurun qui lui demande de préciser quelle “voix” parle dans ses textes, et ce qui “arrive au ‘Je’ dans une poésie qui a le devoir de dire ‘Nous’” :

  • 9 Ibid., p. 132.

Je veux être précis : ai-je tellement écrit “Nous” ? Je ne suis pas d’accord avec cette impression. J’ai toujours été conscient du fait que la voix personnelle est celle qui instaure le rythme, le texte. Le”Nous” devient présent, obtient le droit à la parole lorsque le poème s’élève du lyrique vers l’épique. Car dans l’épique il n’y a pas de “Je”. Si vous regardez attentivement mon travail vous verrez que son lyrisme est épique. Légendaire et quotidien.9

Faire surgir le légendaire du quotidien

  • 10 L’image de la corde à linge revient souvent dans les poèmes rassemblés dan...

  • 11 Jean-Michel Maulpoix, “Le chant de la Palestine de Mahmoud Darwich”, Europ...

  • 12 Voir infra, et de façon plus générale, une grande partie des poèmes de Moi...

6Ces quelques extraits donnent un aperçu de l’étendue des significations que l’on peut prêter à l’alliance des deux termes lyrique et épique, et des procédés d’écriture qui participent de ce registre : c’est d’abord, semble-t-il, une affaire d’énonciation, d’un “droit [du Nous] à la parole” : en ce sens la réponse de Darwich à Helit Yeshurun explicite l’idée exprimée avec Abbas Beydoun selon laquelle le poème doit relier les voix, élever le singulier au collectif. Mais en choisissant d’associer les adjectifs “légendaire” et “quotidien”, Darwich prête au lyrisme épique un enjeu qui dépasse la transformation d’une voix singulière en voix collective. Les instances énonciatives véhiculent elles-mêmes des univers thématiques et poétiques propres, de sorte que le “quotidien” mentionné par Darwich éveille chez son lecteur l’image des éléments de la vie domestique qui habitent ses poèmes : le café, le seuil de la maison, la corde à linge. Si le lyrisme épique consiste dans l’alliance de cet univers avec un autre situé à un niveau historique ou légendaire, alors l’attention portée par Jean-Michel Maulpoix au vers “Nous les chasserons du pot de fleur et de la corde à linge10” peut illustrer cette spécificité darwichienne, ce registre en tension, à la fois entretissage et “télescop[age] entre “l’intime et le collectif11”. Le lyrisme épique ferait alors coexister les objets familiers renvoyant au je poétique et les pronoms inscrivant dans le texte le pluriel, sous la forme d’un nous (que Darwich, quoi qu’il en dise, emploie abondamment12), ou d’un eux plus ou moins défini, qui fait sentir la présence de l’ennemi. Dans le vers cité, la présence de collectif porte le souhait à un autre niveau, et fait résonner la voix du sujet en lui donnant un écho historique. Nombreux sont les exemples qui font entendre cette alliance du “légendaire” et du “quotidien”, qui consiste moins en une transfiguration du quotidien en légendaire (laquelle impliquerait que le quotidien est prosaïque et doit subir une métamorphose) qu’en un mouvement d’amplitude, d’élargissement de la voix du sujet et des objets familiers à un autre espace, à un autre temps. Dans les recueils publiés à partir du début de l’exil de Darwich hors de Palestine, on voit émerger ces prémices de ce qu’il décrira des années plus tard comme la rencontre du lyrisme avec l’épique. Ainsi dans “Telle est son image et voici le suicide de l’amant” (1975), l’énumération des “noms” que le poète choisit “pour [l]a mère” rend perceptible ce télescopage :

  • 13 “Telle est son image et voici le suicide de l’amant” (Tilka sûratûhâ wa ha...

Le jasmin est un nom pour ma mère. Le café du matin,
Le pain chaud, le fleuve méridional, les chansons,
À l’heure où les maisons s’adossent au soir,
Sont les noms de ma mère.
[…]
Le jasmin est un nom pour ma mère. Le bouquet d’écume,
Les chansons à l’heure où les montagnes s’inclinent jusqu’à l’automne, le coton.
Les sirènes des bateaux lorsqu’elles me déchirent
Et les noms des sabines et des victimes,
Sont les noms de ma mère13.

و الياسمين اسم لأمي : قهوة الصبح

الرغيف الساخن. النهر الجنوبي. الأغاني.

حين تتكىء البيوت على مساء

أسماء امي.
[…]
و الياسمين اسم لأمي. باقة الزبد

الأغاني حين تنحدر الجبل الى الخريف. القطن.
أصوات البواخرحين تمخرني

وأسماء السبايا والضحايا.
أسماء امي.

Ici, c’est la reprise syntaxique qui, créant l’illusion de l’identique, souligne la mise en parallèle des “maisons” et du “pain chaud” avec les “sirènes des bateaux” ou “les sabines”, et explicite la rencontre du légendaire et du quotidien. Mais il arrive que l’élévation du lyrique vers l’épique soit elle-même décrite, comme dans ces vers de “Chroniques de la douleur palestinienne” (1970) :

  • 14 “Chroniques d’une blessure palestinienne” (Yawmiyyât jurh filastini, 1970)...

maintenant, nous savons ce qui transforme le cri de l’alouette
en un poignard éblouissant à la face des conquérants
nous savons ce qui transforme le silence du cimetière
en une apothéose et des jardins de vie14

وعرفنا ما الذي يجعل صوت القبرة
خنجراً يلمح في وخه الغزاة
وعرفنا ما الذي يجعل صمت المقبرة

محرجاً .. و بساتين حياة !

La construction de la strophe, avec ses échos sonores remarquables qui se perdent en français, rend visible cette transformation, tout en permettant d’identifier les univers distincts auxquels appartient chaque élément : l’univers ! domestique et l’univers légendaire. Le premier est signalé peut-être par ce “cri (ou chant) de l’alouette” que l’adverbe “maintenant” (dans la traduction) et le pronom “nous”, l’un et l’autre déictiques, rendent familier et proche ; le second est symbolisé par ce “poignard éblouissant à la face des conquérants”. Le surgissement de l’épique semble favorisé, dans ces passages, par la manière dont résonne la voix de la communauté, portée par le je devenant nous, voix qui dominera largement les recueils ultérieurs – notamment Blocus pour panégyriques de la mer (Hissârun li-madâ’ihi al-bahr, 1984), Moins de roses (Wardun aqall, 1986), et Onze astres (Ahada ‘achara kawkaban, 1992), où la désignation collective est souvent associée à la menace d’une conquête. En outre, ils permettent d’éclairer des poèmes dans lesquels la rencontre du légendaire avec le quotidien se dit de manière plus hermétique, ainsi cette apostrophe au héros du célèbre poème-fleuve “Ahmad Azaatar” (1977) :

  • 15 La terre nous est étroite, op. cit., p. 174.

Va loin dans mon sang ! Et va loin dans la farine
Que nous soyons malades de patrie simple et d’un possible jasmin.15

فاذهب بعيداً في دمي ! واذهب بعيداً في الطحين
لنصاب بالوطن البسيط وباحتمال الياسمين

Ouvrir le chant à l’histoire des vaincus

7Nous voyons également émerger à la surface de ces images un motif guerrier, non pas immédiat mais semble appelé par la particularité de l’énonciation. Devenant collectif, le sujet fait exister un Autre qui prend les traits d’un ennemi explicitement désigné comme “conquérant” ou rendu présent à travers les métonymes de la guerre : sang, patrie, poignard. Tandis que ce motif se dessine en crescendo dans les vers “Les sirènes des bateaux lorsqu’elles me déchirent / Et les noms des sabines et des victimes”, dans l’exemple suivant l’image des “conquérants” semble naître de celle du poignard. Plus loin, c’est la mention du sang qui teintera l’évocation de la patrie d’une connotation épique et guerrière. Lorsqu’il ne naît pas d’une disposition agonistique de l’énonciation (sur laquelle nous reviendrons), le combat est inscrit dans la trame du poème, ou dans son titre, comme souvent dans les recueils suivants : “La Qasîda de Beyrouth”, ou “poème de Beyrouth” (C’est une chanson, c’est une chanson, 1984), “Trêve avec les Mongols devant la forêt des chênes” (Je vois ce que je veux, 1990), “D’autres barbares viendront” ou “Le vent nous est hostile” (Moins de roses, 1986), “Dernier discours de l’homme rouge” (Onze astres, 1992).

  • 16 Mahmoud Darwich, Anthologie (1992-2005), édition bilingue, Arles, Actes su...

  • 17 La terre nous est étroite, op. cit., p. 384.

8La dimension référentielle de nombreux titres illustre souvent l’élargissement spatial et temporel, autrement dit historique, qui caractérise le lyrisme épique chez Darwich. C’est ce qui explique que la formule soit souvent associée, notamment dans les paratextes des éditions de son œuvre, à une étape précise de son écriture. Celle-ci correspondrait au début des années 1990, alors que le poète est “confronté aux deux événements considérables dont on célébrait partout, en 1992, le cinquième centenaire : l’expulsion des Arabes d’Espagne par les rois catholiques et la conquête de l’Amérique par Christophe Colomb16”, selon Farouk Mardam Bey. De même, la “phase lyrique-épique” qu’identifie Subhi Hadidi est caractérisée par le retour de Darwich aux “pièces longues, fortement marquées par les expériences tragiques de l’humanité (les invasions mongoles, la guerre de Troie, la perte de l’Andalousie, le génocide des nations indiennes) et s’interroge sur la place du Palestinien dans le monde17”. La possibilité d’identifier un tel tournant dans l’élaboration de l’œuvre poétique de Darwich n’est pas une fiction : on sait l’importance qu’eut dans son parcours le double anniversaire symbolique de 1992. Néanmoins, l’entreprise du lyrisme épique déborde largement ce cadre temporel et cette analogie historique et poétique qui fait de la Palestine une nouvelle Andalousie, du Palestinien une métaphore du Maure ou de l’homme rouge. Comme on a tenté de le montrer, on voit déjà se dessiner, dans les recueils antérieurs à cetet période, une impulsion du lyrisme vers l’épique qui apparaît comme un trait propre à la poétique darwichienne.

  • 18 Subhi Hadidi, “Le poème d’amour de Mahmoud Darwich”, Europe, op. cit., p. ...

  • 19 Jihen Souki, “Mahmoud Darwich. De l’exil au royaume”, ibid., p. 164.

  • 20 Ce poème est traduit par Laâbi sous le titre “Buée sur le miroir” (Rien qu...

  • 21 Najat Rahman, “La nostalgie menacée…”, Europe, op. cit., p. 216.

  • 22 Abdellatif Al-Warârî, Al-Anâ al-ghinâ’î fi sh‘ir Mahmûd Darwish : min al-r...

9Le foisonnement d’interprétations et d’appropriations qu’a suscitées la formule de Ritsos (prononcée, rappelons-le, au début des années 1980) est d’ailleurs significatif, comme en témoignent les textes rassemblés dans la seule revue Europe déjà mentionnée. Tandis que Subhi Hadidi analyse l’”écriture d’amour épique” chez Darwich définie comme “la relation symbiotique entre poésie épique et lyrique amoureuse”, et lit le recueil Le lit de l’étrangère (1999) comme une illustration de la manière dont “les circonstances historiques donnent une dimension épique au thème de l’amour18”, Jihen Souki y relève quant à elle l’importance du détour narratif (procédés de “détour par le récit”, “discours” plus souvent “détourné”, que “frontal”) dont elle fait “une composante essentielle de l’esthétique de Darwich et dans le même temps du lyrisme épique dont parle Ritsos19.” De son côté, Evanghelia Stead s’appuie sur une retraduction du poème “Miroir brouillé” (1970) pour montrer que le “modèle poétique ancien et héroïque” de “l’épopée” est “récusé par Darwich, car il répand la guerre innombrable”, et se demande “comment faire poème si l’épopée est exclue20”. Enfin, chez Najat Rahman l’analyse de la reprise des mythes originels par la poésie de Darwich devenant alors un “lieu intermédiaire entre l’histoire et le mythe”, lieu où “il n’y a pas de contradiction […] entre le lyrique et l’épique” suggère au contraire une réconciliation, qu’elle évique à travers une image on ne peut plus darwichienne : “l’épique c’est l’histoire étreinte par le lyrisme21.” En somme, que certains textes de Darwich semblent incarner à un haut degré cet entremêlement lyrique-épique, ou que l’ensemble de son parcours poétique semble habité par un mouvement de l’un vers l’autre, idée que défend encore récemment le poète marocain Abdellatif Al-Warârî dans son étude sur l’évolution du “je lyrique” dans la poésie de Darwich, “de la romance à l’épopée22”, l’alliance de ces deux adjectifs continue d’inspirer, par sa complexité et son apparente contradiction, bien des lecteurs.

  • 23 Mahmoud Darwich, Une mémoire pour l’oubli (Zâkira li-l-nisyân, 1987), trad...

  • 24 Voir La Palestine comme métaphore, op. cit., p. 29-30.

  • 25 Jean-Michel Maulpoix, op. cit., p. 102.

10Par ailleurs, dans les paratextes cités, la mention des événements historiques associés au lyrisme épique fait apparaître le thème guerrier du point de vue du vaincu ou de la victime. C’est là, on le sait, une des caractéristiques d’un projet poétique que Darwich a souvent exposé, à la fois dans ses propres poèmes à travers un langage poétique et dans ses entretiens. Ceux de La Palestine comme métaphore explicitent longuement son choix d’être “un poète troyen”, de “dire cette défaite”, d’être ce poète qui dans Une mémoire pour l’oubli, souhaitait déjà, là où l’histoire “écrit l’épopée du fleuve”, “en dir[e] le lit, les algues sur le rivage […]23”. Sans cesse reformulée dans son œuvre, cette idée prend une force nouvelle au moment où Darwich externalise, en quelque sorte, le discours de la défaite, puisant dans d’autres expériences historiques, ouvrant le temps et l’espace hors de la question palestinienne. On ne saurait toutefois s’en tenir à une seule lecture politique, encore moins identifier cette entreprise à un simple parti pris historiographique. En effet, elle consiste moins à adopter une position de perdant ou un point de vue de subalterne, dans le but d’opérer une déconstruction historique (qui pourrait se prêter à une lecture postcoloniale, à mon sens peu convaincante), qu’à exposer un dessein poétique consistant à accueillir, dans le poème, d’autres voix auxquelles la défaite donne une puissance poétique singulière.24 Or cette présence de la voix de l’Autre dans la poésie de Darwich, qui est peut-être une acception de ce lyrisme épique comme “poésie [qui] interpelle25”, est rendue possible par la mise en œuvre de procédés caractéristiques de son écriture polyphonique.

Le poème de mon semblable, le poème de mon adversaire

  • 26 La Palestine comme métaphore, op. cit., p. 133.

  • 27 Mahmoud Darwich, Lâ urîdu li-hazîal-qasîdâ an tantahî (Je ne veux pas que ...

  • 28 Je renvoie notamment à C. Boidin, E. de Dampierre-Noiray et E. Picherot, F...

11Certaines des caractéristiques les plus identifiables de l’écriture de Darwich participent des effets de polyphonie qui, d’une part, permettent au “poème [de] quitte[r] le niveau lyrique pour le périple collectif26”, d’autre part, font de lui ce que Darwich appellera, dans un de ses derniers textes, “le poème d’un autre que moi27”. L’emploi fréquent de formes dialoguées inspirées du Cantique des Cantiques, la mise en scène de la parole de l’autre, en particulier de l’ennemi, l’abondance des tournures interrogatives ont fait l’objet de relevés et de commentaires28 qui pourraient éclairer notre examen du lyrisme épique de Darwich. Mais c’est surtout l’évolution de ces mêmes procédés à travers son œuvre qui nous intéresse, car elle semble suivre une trajectoire conduisant du lyrisme vers l’épopée. Ainsi le dialogue des amants dans “Écriture à la lumière d’un fusil”, où alternent les voix de Shoulamit et de Shimon, laisse entendre l’affrontement de deux hommes : la voix de Mahmoud, ancien amant de Shoulamit, s’introduit dans l’intimité des amants pour rivaliser, le temps d’une rêverie de la jeune femme, avec Shimon. Leur affrontement fait écho au poème “Un soldat rêvant de lys blancs”, dont la construction dialogique fait alterner l’hostilité et la compassion.

12Le dialogue avec l’ennemi ressurgit sous une autre forme dans les poèmes du recueil Moins de roses (1986) où le face à face avec un conquérant, désigné d’abord au pluriel (dans “La terre ne nous contient plus” ou “Ils m’aiment mort”), devient plus direct, toutefois sans la violence de l’adresse frontale qui marque l’adresse “à un assassin” dans État de siège (2002). Dans “Ils m’aiment mort”, le combat est mis en scène au sein même de la parole poétique, et au moyen d’elle, de sorte que l’ennemi n’est jamais représenté ni figuré, mais seulement entendu, et ce sont des “paroles” qu’il dérobe à la fin du poème :

  • 30 Ibid., p. 23 et 40. Sur la relation à l’ennemi et l’échange de rôles entre...

  • 31 “Sirhane prend le café à la cafétéria”, La terre nous est étroite, op. cit...

La parole de l’autre semble ici instable, comme si les phénomènes de confusion des voix et d’inversion des rôles entre l’assassin et la victime (suggérée dans “Il étreint son meurtrier30” et explicitement évoquée dans “Les pilleurs de tombe”) anticipaient la fragilité du dialogue voire son effacement qu’exprimeront, par des moyens différents, des textes ultérieurs : on pense au long “Discours de l’homme rouge”, ou à “Lorsqu’il s’éloigne”. Lorsque cet Autre, à qui le poète offre sa voix ou son étrange compassion, reste sourd, invalidant ainsi le dialogue, seule demeure la parole du vaincu. Si l’écriture de Darwich est traversée par une représentation des mots comme arme, depuis les “lettres grasses” dont on bombarde l’ennemi dans le célèbre poème “Sirhane31” jusqu’au langage poétique de la victime dont le sens demeure obscur à son bourreau, impuissant à assassiner les images (“Ils m’aiment mort”), elle parvient surtout à donner à la parole du vaincu une puissance qui résiste au conquérant, ou qui englobe sa victoire dans le poème de la défaite.

13D’autres procédés rendant manifeste cette ouverture du lyrisme au “périple collectif” mériteraient d’être ici examinés. L’usage fréquent de la modalité interrogative, qui s’intensifie entre les recueils Moins de roses et Onze astres, participe pleinement de cette ouverture à l’universel du chant. Mais la polyphonie prend aussi chez Darwich la forme d’une transmission, par le sujet lyrique, de voix venues d’autres poètes et d’autres temps, que son chant permet d’accueillir.

Intertextes religieux et populaires : Héroïsme, périple, lamentation collective

  • 32 Mahmoud Darwich, entretien avec Samer Abu Hawwash (2002) dans Europe, op. ...

  • 33 Mahmoud Darwich, La Palestine comme métaphore, op. cit., p. 117-118.

14La poésie de Darwich apparaît en effet comme le réceptacle d’autres voix, non seulement parce que le je y fait entendre un nous collectif qu’il porte et déploie, ou parce qu’il provoque la voix d’un adversaire, mais aussi en se faisant le relais d’autres chants. De ce “lyrisme montant dans de grands voyages, sur le chemin des épopées32”, que Darwich dit avoir appris de Neruda, à une “lamentation collective sur le paradis perdu33”, le lyrisme épique prend aussi ce sens : celui d’un accueil, dans la voix du sujet, d’héritages littéraires multiples. Il ne s’agira pas ici d’énumérer les traditions épiques dont la poésie de Darwich porte la trace, allant de la reprise thématique à l’intertextualité, de la réécriture à des formes de contre-écriture, mais de souligner leur entremêlement quasi syncrétique. L’image d’un chant qui se tisse sans cesse sur d’autres chants surgit d’emblée à notre esprit lorsque Darwich évoque la place prise par l’Andalousie dans son imaginaire poétique :

  • 34 Ibid.

Dans la tradition arabe, l’Andalousie est la lamentation collective sur le Paradis perdu. Elle exerce une attraction dramatique vers le passé. L’Andalousie rappel la poésie antéislamique de la Jâhiliyya dans laquelle on pleure sur le lieu, sur la maison qui n’est plus. […] C’est le chant des nomades qui passaient d’un lieu à l’autre. […] L’Andalousie a pris la place du lieu perdu, et ensuite la Palestine s’est transformée en Andalousie. […] J’ai écrit ces Onze astres en souvenir des cinq siècles écoulés depuis la sortie d’Espagne et l’arrivée […] de Christophe Colomb en Amérique. Mes poèmes sont l’appel d’un poète arabe au sein de cet immense développement historique34.

  • 35 Genèse,37, 1-36 et 12ème sourate du Coran.

  • 36 Voir Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée [The Bi...

  • 37 Voir la notice biographique sur Mahomet qui précède le chap. 1 (sourate “L...

15L’allusion au recueil Onze astres (1992) est significative : il s’agit des onze astres que Joseph, dans le récit de la Genèse et dans le Coran35, voit en songe. Elle nous rappelle que le principal intertexte de la poésie de Darwich est la Bible hébraïque, référence souvent associée à sa poésie amoureuse, en raison de l’influence majeure du Cantique des cantiques sur certains poèmes construits comme un dialogue amoureux (de “Écriture à la lumière d’un fusil” à “S’envolent les colombes” ou “Je ne veux pas que ce poème finisse”). Mais les textes religieux sont avant tout, pour Darwich, une source d’inspiration épique. L’Exode, comme le Livre de Josué, où sont racontés des événements épiques par excellence –aussi contestée qu’ait pu être leur réalité historique36 – comme la sortie d’Égypte et la conquête de Canaan, constituent ce matériau, en dialogue constant avec l’autre intertexte majeur qu’est le Coran. Or on sait que le récit coranique, notamment dans sa structure narrative initiale, modifiée par l’ordre des sourates, ne cesse de rencontrer les personnages et épisodes des épopées populaires. L’évolution du héros épique et des causes qu’il défend prendra ainsi une dimension politique et religieuse majeure dans les versions postérieures à l’Islam : en témoigne, par exemple, le regret exprimé par Mahomet de ne pas avoir eu à ses côtés ‘Antara, qui avait vécu bien avant l’Islam mais dont la tribu avait embrassé la nouvelle religion37.

  • 38 Voir Muhammad Rajab An-Najjâr, Le Héros dans les épopées populaires arabes...

  • 39 Patrick Mégarbané et Hoa Hoï Vuong, Le Chant d’al-Andalus. Une anthologie ...

16L’exemple du célèbre poème de Darwich “Je suis Joseph, mon père” (Moins de roses, 1986), illustre cette convergence : au-delà de la lecture immédiatement politique que l’on peut en faire du texte où Joseph/Yûsuf figure l’abandon des Palestiniens par leurs frères arabes, la sourate de Joseph dont il s’inspire reflète les influences multiples et entrelacées de la poésie de Darwich, où le lyrisme se mêle encore à l’épopée. Car le sort de Joseph évoque à la fois la destinée des héros (et héroïnes) populaires des grandes épopées arabes38 – on pense à Abu Zayd, Zât al-Himma, Mazlûm et bien d’autres – dont l’abandon par la mère ou par la tribu, mise à l’épreuve de leur bravoure et de leur élection, est un élément narratif classique, et la douleur existentielle des poètes exilés, que l’on songe à l’œuvre d’Al-Ma‘ari (XIe siècle) ou plus généralement au “sentiment de la perte” et à la “nostalgie redoublée” qui constituent la “double identité39” – celle d’un exil dans l’exil – des poètes andalous.

  • 40 Mahmoud Darwich, “Je suis Joseph, ô mon père” / Anâ yûsûfun ya âbî, Moins ...

Je suis Joseph, ô mon père. Mes frères ne m’aiment pas. Ils ne veulent pas de moi parmi eux. […] Ils m’ont chassé du champ. Ils ont empoisonné mon raisin […]. Lorsque la brise a soufflé et caressé mes cheveux, ils m’ont jalousé et se sont révoltés contre moi et contre toi. […] Que leur ai-je fait, ô mon père ? Les papillons se sont posés sur mes épaules, les épis se sont penchés sur moi et les oiseaux ont plané au-dessus de mes mains ? […] Quel crime ai-je commis quand j’ai dit avoir vu onze astres, le soleil et la lune, et que je les ai vus prosternés devant moi ?40

انا يوسوف يا ابي. يا ابي إخوتي لا يحبونني. لا يريدونني بينهم يا أبي.
[…]
وهم طردوني من الحقل . وهم سمموا عنبي يا أبي.
[…]
حين مر النسيم ولاعب شعري غاروا و ثاروا على و ثاروا […]عليك
فماذا صنعت لهم يا أني؟ الفراشات حطت على كتفي و مالت على السنابل والطير حطت على راحتي.
هل جنيت على أحد عندما قلت إني : رأيت احد عشر كوكباً والشمس والقمر رأيتهم لي ساجدين.

  • 41 Mahmoud Darwich, Onze astres sur l’épilogue andalou, Anthologie 1992-2005,...

17Si l’on considère souvent que le recueil Onze astres réalise de la façon la plus aboutie l’entreprise du lyrisme épique, c’est aussi par sa manière de mettre en scène, ne serait-ce que dans sa composition, la rencontre entre la voix du poète et plusieurs épisodes dramatiques de l’histoire de l’humanité et de l’imaginaire collectif. La perte de l’Andalousie et la conquête du continent américain coïncident par la date symbolique de 1492, mais répètent, dans l’écriture darwichienne, la dépossession originelle d’Adam. En clamant “Je suis l’Adam des deux Eden”, le poète fait du “dernier soupir de l’Arabe”, entendu à la fois comme plainte et lieu symbolique, le théâtre d’une nostalgie universelle où les Perses rencontrent la “lance du Croisé”, où Lorca surgit parmi les “palmiers assiégés”, où “l’Homme rouge” invoque Euripide et “l’adieu à la Méditerranée41”, comme si toutes leurs voix faisaient écho à cette phrase de Darwich :

  • 42 Mahmoud Darwich, Trois lettres à Samih al-Qâsim, Europe, op. cit., p. 79.

Nous voyageons à travers la nostalgie et l’hymne ininterrompu jusqu’à un monde dans lequel ce ne sont pas les Mille et une nuits qui nous captivent mais mille et une défaites.42 

  • 43 Mahmoud Darwich, La Palestine comme métaphore, op. cit., p. 29.

L’assertion semble condenser en quelques images l’”élévation du lyrique vers l’épique” dont parlera Darwich dix ans plus tard lorsqu’il reviendra sur la nécessité pour le poème d’”emporte[r] le Nous avec lui”, mais aussi sur son choix d’être “du camp des perdants” son “droit” (et son devoir) de “proclamer la défaite43”. En nous rappelant cette ambition d’être un “poète troyen”, elle attire notre attention sur la portée très ambiguë de la référence homérique dans son œuvre, qu’illustre admirablement l’un de ses derniers poèmes.

Il me suffirait de modifier la dernière scène du récit d’Homère

  • 44 Kadhim Jihad Hassan, “La splendide endurance”, Europe, op. cit., p. 188 et...

  • 45 Voir par exemple, de Darwich, les poèmes “Attente de ceux qui rentrent”, “...

  • 46 Mahmoud Darwich, Lâurîdu li-hazîal-qasîdâ an tantahî (Je ne veux pas que c...

18La pièce éponyme du dernier recueil, Je ne veux pas que ce poème finisse, paru en arabe à titre posthume en 2009, peut se lire à la fois comme l’aboutissement de la métaphore du poète troyen, et une mise en abîme de l’image odysséenne qui fut si souvent associée à Darwich, depuis son exil de Palestine et ce qu’il nommait sa “sortie” de Beyrouth, à travers ce que Kadhim Jihad Hassan appellera sa “splendide endurance44”. La dernière partie de ce très long poème est construite comme une réponse à cette référence à Homère et Ulysse qui traverse les textes de Darwich et ceux de ses commentateurs45. En effet, dans ce poème qui met en scène le dernier voyage du poète après sa rencontre avec la mort qui lui accorde un sursis, celui-ci prend les traits d’Ulysse dans un passage qui récrit librement, mais explicitement, “la dernière scène du récit d’Homère46”, à savoir la reconnaissance d’Ulysse par Pénélope au chant XXIII de l’Odyssée. Il s’agit d’une longue adresse du voyageur à son épouse, qui reprend en les condensant ou les transformant plusieurs épisodes célèbres du retour d’Ulysse à Ithaque. Le récit, qui chez Homère met en scène le processus de reconnaissance, prend chez Darwich la forme d’une tirade dans laquelle le voyageur décline désespérément son identité :

C’est moi que tu attends : ne me ferme pas la porte de ta maison

  • 47 Ibid., p. 77-78.

ne me renvoie pas à la mer, ô mon épouse […]
C’est moi : l’esclave du lieu qui t’a vu naître
ou son maître
[…] moi qui n’ai épousé que toi
n’ai jamais guéri de toi
ni de ma cicatrice
Les déesses des mers n’ont pas su me séduire
Je suis celui pour qui tu défais le temps
dans une pelote de laine
[…]
Ton lit est caché dans le tronc d’un olivier
Il est mon secret et ton secret …47 

أنا هو، لا تغلقي باب بيتك
ولا ترجعيني الى البحر يا امرأتي [...]
أنا هو، من كان عبدا
لمسقت رأسك...او سيدا
[...]
و لم اتزوج سواك
ولم اشف منك ومب ندبتي ابداً
و قد راودتني الهات كل البحار سدى
انا هو، من تفرطيني له الوقت
في كرة الصوف
[...]
سريرك ، ذات المخباً في جذع زيتونة
هو سرِّيٍ و سرُّك...

19Mais à mesure qu’il multiplie les arguments destinés à persuader la femme aimée de le reconnaître, le ton du voyageur devient élégiaque, comme s’il pressentait que son identité ne lui serait pas rendue, ce qu’annonçait sa prophétie initiale :

Tu ne me reconnaîtras pas
car le temps fait vieillir l’écho

ن تعرفيني
لأن الزمان يشيخ الصدى

Fidèle au récit d’Homère où l’olivier est l’élément déclencheur du processus de reconnaissance d’Ulysse par Pénélope, Darwich fait de l’olivier le point culminant de la supplication du héros, et de la réponse laconique de son épouse, mais il renverse l’enjeu du dialogue, de façon à invalider l’identité d’Ulysse :

Elle lui a dit : ô étranger
un autre étranger m’a épousée
il n’y a pas de tronc d’olivier ici
ni de lit,
car le temps est le piège /

قالت له : قد تزوجني يا غريب
غريب سواك
فلا جذع زيتونة هخنا
او سرير،
لأن الزمان هو الفخ /

  • 48 Dans “Rita et le fusil” (Un amoureux de Palestine, 1966), le fusil est cel...

20À l’inverse de la Pénélope d’Homère dont la feinte sert à provoquer son époux, il n’y a pas de mise à l’épreuve dans la réécriture de Darwich, car le mouvement est inversé : si l’olivier reste un outil de persuasion, il est pour le voyageur un ultime recours, sa dernière chance, et non le déclencheur d’un long processus de dévoilement. En effet, il a déjà dévoilé son identité, et prouvé, grâce à plusieurs signes de reconnaissance, qu’il n’avait pas perdu la mémoire. Au moment où s’amorce un inventaire épique, le récit attendu de ses aventures (les sirènes, Calypso, le voyage incessant) rendu possible par l’arrivée dans un point fixe, la réponse de l’épouse brise l’élan narratif. La mémoire a été perdue, l’écho n’a pas été conservé : passé et présent ne peuvent se rejoindre. Si le passage reprend donc le thème de l’infidélité, motif ancien dans la poésie de Darwich où les femmes, comme Rita ou Shoulamit, appartiennent parfois à l’autre camp,48 l’enjeu ici semble être moins l’infidélité de l’épouse que le rejet d’Ulysse/Darwich hors du temps.

  • 49 Sur la fonction symbolique de cet arbre dans l’épopée homérique, voir Fran...

21 Mais l’olivier plus d’une fois associé à Ulysse dans L’Odyssée49 rappelle aussi un autre arbre dont Darwich évoque la dimension symbolique et la puissance de remémoration dans une lettre de 1986 à son ami le poète Samih al-Qâsim, originaire du même village de Galilée, al-Birwa. Il s’agit d’un caroubier, qui dans cette anecdote agit lui aussi comme un révélateur d’identité, et incarne l’idée, récurrente dans les poèmes et entretiens de Darwich, selon laquelle l’enjeu du combat n’est plus la terre, déjà perdue, mais la mémoire du lieu, que l’on peut appeler avec Darwich la “terre du récit”. Dans cette lettre, Darwich raconte une histoire qui s’est déroulée trente ans auparavant : un écrivain finlandais vivait en Israël jusqu’au jour où, devinant à l’épaisseur de son tronc l’âge d’un caroubier géant situé dans le kibboutz Yasur, sur les ruines d’al-Birwa, il prit conscience de l’ancienneté des Palestiniens sur cette terre, pourtant démentie par tous ses camarades, et décida de quitter Israël pour redevenir finlandais. Des années plus tard, l’écrivain, nommé Daniel Katz, raconta à Darwich son histoire et lui dédia un poème qui s’en inspirait. Ce qui nous frappe d’abord dans la lettre à Samih al-Qâsim est la manière dont l’histoire est racontée : Darwich retrace en premier lieu son échange avec l’écrivain, rencontré à Helsinki, au cours duquel “[s]es larmes [l]e confondirent. Il reproduit ensuite la “chanson courte” composée par Katz, avant de rapporter la question qu’il lui avait posée (“Qui vous a appris […] que sous votre kibboutz se trouve mon village ?”) et la réponse du Finlandais (“Le caroubier colossal !”). L’évocation du caroubier se poursuit à la manière d’une rêverie poétique adressée à son ami, le destinataire de la lettre :

  • 50 Mahmoud Darwich, Trois lettres à Samih al-Qâsim (1986-1987), Europe, op. c...

Mais c’est le caroubier qui nous a signalés au colon étranger “innocent”, moi et mes aïeux, c’est lui la gaine de mon identité, lui encore la peau de mon âme […]. C’est là-bas que je suis né… C’est là-bas que je suis né. […]. Salue-le si l’on ne l’a pas encore coupé. Le caroubier – je me suis abrité dans son tronc creux colossal […]. Mon cher, gardien du caroubier face aux chansons des autres. Je t’en prie… je t’en prie, si tu passes devant lui demain, étreins-le et grave dans son tronc ton nom et le mien… Ne perds pas de temps !50

  • 51 Ibid. Sur l’enjeu politique du chant et le rapport entre l’occupation du l...

22Il n’est pas exclu que les images associées à l’olivier odysséen aient été déjà présentes à l’esprit de Darwich au moment d’évoquer ce caroubier, comme un substrat référentiel inconsciemment lié à l’imaginaire méditerranéen, mais les échos lexicaux et syntaxiques entre ce passage et le poème de 2009 n’en sont pas moins surprenants. Dans la tirade d’Ulysse/Darwich, les reprises anaphoriques et l’insistance trahissant le pressentiment d’une perte rappellent la syntaxe de la lettre et la manière dont s’y exprime l’urgence de la reconnaissance d’identité. Mais tandis que l’ami se fait gardien, complice fidèle de cette “identité” dont le tronc est la “gaine” protectrice (remarquons que, dans les deux cas, c’est le tronc qui révèle l’identité), l’épouse que retrouve le voyageur le trahit, en lui refusant à la fois son identité et la possibilité même d’un retour. Dans sa réponse, la redondance créée par la répétition du nom “étranger” dans des fonctions syntaxiques opposées, procédé fréquent dans l’écriture darwichienne où il signale souvent un renversement d’identité, fait écho à l’allusion au “colon étranger” dans la lettre, reprise par la périphrase “les chansons des autres”. L’image figure l’idée d’une dépossession de la mémoire qui ressurgit sous diverses formes dans la même lettre, où Darwich évoque “leur chant qui nous a anéantis” et “la colonisation du langage de la nostalgie, du retour51”. Enfin, la Pénélope infidèle du poème de 2009 relie, par son démenti, trois éléments symboliques majeurs : le tronc d’olivier, le secret (ou signe de reconnaissance), et le piège. Or on sait combien le piège est présent dans l’Odyssée, et caractéristique du héros Ulysse dont l’ingéniosité lui permet à la fois de le déjouer et d’en inventer.

  • 52 Mahmoud Darwich, Entretiens sur la poésie, trad. Farouq Mardam-Bey, Arles,...

23L’anecdote du caroubier apporte un éclairage précieux à la réécriture par Darwich de cet épisode célèbre de l’épopée d’Homère, en quelque sorte son dénouement, car elle donne une autre résonance à cette volontaire distorsion de la scène de reconnaissance. Elle nous invite en effet à assimiler la fin du périple et l’échec de la reconnaissance à la présence de cet ennemi “qui occupe mon lieu à ma place52”. Le contre-récit du retour, ou récit d’un non-retour, est d’autant plus cruel cet ultime poème épique semblait vouloir se libérer de la question du lieu : la reprise de l’énigmatique refrain “le piège, ce n’est pas le lieu” trouve sa réponse dans la sentence finale : “le piège c’est le temps”. Précisément, ce n’est plus du territoire qu’il est question, mais de la mémoire : ce qui a disparu n’est pas le “ici” mentionné par Pénélope, mais, le passé, l’Histoire, dont le chant seul peut garantir la survivance.

  • 53 “Chroniques de la douleur palestinienne”, Rien qu’une autre année, op. cit...

J’ai pour toi une parole
que je n’ai jamais dite encore :
l’ombre sur le balcon envahit la lune
mon pays est une épopée
j’en étais le musicien
me voici devenu
une simple corde de l’instrument53

لك عندي كلمة
لم اقلها بعد
فالظل على شرفة القمر
وبلادي ملحمة
كنت فيها عازفاً.. صرت وتر !

Notes

1 Nous avons brièvement rappelé la fortune de l’expression de Ritsos et les sens dont l’investit Darwich dans C. Boidin, E. de Dampierre-Noiray, E. Picherot, Formes de l’action poétique, Atlande, 2016 (p. 118 sq) : “Apparemment oxymorique, cette formule est aussitôt adoptée par Darwich car elle lui permet de résumer plusieurs lignes directrices du projet poétique qu’il tente de mettre en place depuis l’exil. D’un point de vue interne, il s’agit tout d’abord de concilier l’expression du sentiment individuel et de celui de la communauté ainsi que le registre de la douleur et celui de la résistance, du combat. D’un point de vue externe, il s’agit de composer un “contre-discours”, c’est-à-dire un discours qui s’articule à celui de l’adversaire, non pas pour le battre sur son propre terrain mais pour montrer l’inanité de son discours, la violence qu’il impose à l’autre.”. Le présent article entend repartir de ces hypothèses pour rendre manifeste la trajectoire qui conduit de l’une à l’autre.

2 Sur la distinction entre ces trois formes dans la poétique de Darwich, voir Najat Rahman, “La nostalgie menacée et la quête perpétuelle”, Europe, n° 1053-1054, janvier-février 2017, p. 223.

3 J’ignore dans quelle langue Ritsos a dit cette phrase. Si c’est en grec, il faut imaginer (d’après Apostolos Lampropoulos que je remercie ici !) quelque chose comme Είσαι ένας επικός λυρικός ποιητής / ‘Ise énas epikóslyrikós piitís (dans cet ordre-là, l’adjectif “épique” précédant le syntagme “poète lyrique”). À moins qu’il n’ait créé un adjectif double επικό-λυρικός /epiko-lyrikós. Mais la phrase a pu être prononcée en français, ou en anglais.

4 Muhammad Rajab An-Najjâr, Le Héros dans les épopées populaires arabes (Al-batal fi-l-malâmih ash-sha‘biyya al-‘arabiyya), tome 2, Le Caire, Al-hay’a al-misriyya al-‘âma li-l-kitâb, 2018, p. 263-299.

5 Voir Najat Rahman, op. cit. p. 216.

6 Ibid, p. 222.

7 J’emprunte la formule éclairante de Jean-Louis Backès (L’impasse rhétorique, PUF, 2002).

8 Mahmoud Darwich, La Palestine comme métaphore, Arles, Actes sud, 1997, coll. Babel, p. 41.

9 Ibid., p. 132.

10 L’image de la corde à linge revient souvent dans les poèmes rassemblés dans l’anthologie en français Rien qu’une autre année, d’où est apparemment tiré ce vers dont il ne m’a pas été possible d’identifier la provenance exacte. On peut relever d’autres associations à l’effet similaire : “ma patrie, une corde à linge” ou “j’étends mes mythes sur une corde à linge” (Mahmoud Darwich, Rien qu’une autre année, trad. A. Laâbi, Paris, Minuit, 1983, p. 47 et 62).

11 Jean-Michel Maulpoix, “Le chant de la Palestine de Mahmoud Darwich”, Europe, op. cit., p. 101-103. Il s’agit du remaniement d’un texte plus ancien paru sur le site de l’auteur [http://www.maulpoix.net/darwich.htm].

12 Voir infra, et de façon plus générale, une grande partie des poèmes de Moins de roses/ Wardunn aqall (1986) et de Onze astres/Ahada ‘achara kawkaban (1992). Comme ici avec Moins de roses, que Laâbi traduit Plus rares sont les roses, j’ai parfois modifié les titres des poèmes et recueils traduits pour être au plus près de l’original, mais je renvoie aux pages dans ces éditions françaises. Pour des raisons de mise en page, j’utilise la transcription dans les notes.

13 “Telle est son image et voici le suicide de l’amant” (Tilka sûratûhâ wa hazâ intihâru-l-‘âchiq, 1975), trad. E. Sanbar, Mahmoud Darwich, La terre nous est étroite et autres poèmes, Paris, Gallimard, 2000, coll. Poésie/ Gallimard, p. 110, sic (sans majuscule dans le texte).

14 “Chroniques d’une blessure palestinienne” (Yawmiyyât jurh filastini, 1970), Rien qu’une autre année, op. cit., p. 76.

15 La terre nous est étroite, op. cit., p. 174.

16 Mahmoud Darwich, Anthologie (1992-2005), édition bilingue, Arles, Actes sud, coll. Babel, p. 8.

17 La terre nous est étroite, op. cit., p. 384.

18 Subhi Hadidi, “Le poème d’amour de Mahmoud Darwich”, Europe, op. cit., p. 174-175.

19 Jihen Souki, “Mahmoud Darwich. De l’exil au royaume”, ibid., p. 164.

20 Ce poème est traduit par Laâbi sous le titre “Buée sur le miroir” (Rien qu’une autre année, op. cit., p. 49).

21 Najat Rahman, “La nostalgie menacée…”, Europe, op. cit., p. 216.

22 Abdellatif Al-Warârî, Al-Anâ al-ghinâ’î fi sh‘ir Mahmûd Darwish : min al-rumâns ila sh‘iriyyat al-ma‘ich al-yawmî, Londres, Al-Qods al-Arabî, 8/8/2018.

23 Mahmoud Darwich, Une mémoire pour l’oubli (Zâkira li-l-nisyân, 1987), trad. Y. Gonzales-Quijano et F. Mardam-Bey, Arles, Actes sud/ Sindbad, coll. Babel, p. 124-125.

24 Voir La Palestine comme métaphore, op. cit., p. 29-30.

25 Jean-Michel Maulpoix, op. cit., p. 102.

26 La Palestine comme métaphore, op. cit., p. 133.

27 Mahmoud Darwich, Lâ urîdu li-hazîal-qasîdâ an tantahî (Je ne veux pas que ce poème finisse), Beyrouth, Riad El-Rayyes Books, 2009, p. 75, trad. E. de Dampierre-Noiray et A. Khallouf ©.

28 Je renvoie notamment à C. Boidin, E. de Dampierre-Noiray et E. Picherot, Formes de l’action poétique, op. cit., p. 203 sq.

29 Mahmoud Darwich, “Ils m’aiment mort” / Yuhibûnani mayyitan, Moins de roses (Wardunn aqall, 1986), trad. A. Laâbi, Paris, Minuit, 1989, p. 40. Pour le texte arabe, je renvoie aux volumes des œuvres complètes : Mahmûd Darwîsh, Diwân, Beyrouth, Dar al-Awda, 1994, 2 vol. et Al-â‘mâl al-jadîda al-kâmila, Beyrouth, Riad-el-Rayyes Books, 2009, 3 vol. 

30 Ibid., p. 23 et 40. Sur la relation à l’ennemi et l’échange de rôles entre bourreau et victime dans la poésie de Darwich, voir E. de Dampierre-Noiray, “Figures de l’ennemi dans l’œuvre de Mahmoud Darwich”, dans Formes de l’action poétique, Hermann, coll. Cahier Textuel, 2017, p. 219-230.

31 “Sirhane prend le café à la cafétéria”, La terre nous est étroite, op. cit., p. 71

32 Mahmoud Darwich, entretien avec Samer Abu Hawwash (2002) dans Europe, op. cit., p. 65.

33 Mahmoud Darwich, La Palestine comme métaphore, op. cit., p. 117-118.

34 Ibid.

35 Genèse,37, 1-36 et 12ème sourate du Coran.

36 Voir Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée [The Bible Unearthed, 2001], Paris, Gallimard, 2002.

37 Voir la notice biographique sur Mahomet qui précède le chap. 1 (sourate “La vache”) de la traduction de Kazimiski (Le Koran, Paris, Librairie Charpentier, 1869, p. 22).

38 Voir Muhammad Rajab An-Najjâr, Le Héros dans les épopées populaires arabes, op. cit. chap. 4 et 5.

39 Patrick Mégarbané et Hoa Hoï Vuong, Le Chant d’al-Andalus. Une anthologie de la poésie arabe d’Espagne, Arles, Actes sud/ Sindbad, 2011, p. 15.

40 Mahmoud Darwich, “Je suis Joseph, ô mon père” / Anâ yûsûfun ya âbî, Moins de roses, op. cit. p. 46.

41 Mahmoud Darwich, Onze astres sur l’épilogue andalou, Anthologie 1992-2005, op. cit., p. 27, 29, 35, 43.

42 Mahmoud Darwich, Trois lettres à Samih al-Qâsim, Europe, op. cit., p. 79.

43 Mahmoud Darwich, La Palestine comme métaphore, op. cit., p. 29.

44 Kadhim Jihad Hassan, “La splendide endurance”, Europe, op. cit., p. 188 et 208.

45 Voir par exemple, de Darwich, les poèmes “Attente de ceux qui rentrent”, “Mon père” (1966), “D’autres barbares viendront” (1986), et les textes d’Alaa Khaled, “Face au serviteur de l’invisible” et d’Elias Sanbar, “Maintenant, tu es toi !”, Europe, op. cit., p. 186-187 et 240.

46 Mahmoud Darwich, Lâurîdu li-hazîal-qasîdâ an tantahî (Je ne veux pas que ce poème finisse), op. cit., p. 77

47 Ibid., p. 77-78.

48 Dans “Rita et le fusil” (Un amoureux de Palestine, 1966), le fusil est celui qui “s’interpose” entre les amants (dans Mahmoud Darwich, Rien qu’une autre année, p. 29) ; quant à la Shoulamit du poème “Écriture à la lumière d’un fusil” (Ma bien aimée sort de son sommeil / Habibati tanbadu min nawmihâ, 1970) aime Shimon, car il “la protégea de son amour ancien [pour Mahmoud] / Et du reniement des siens.”, Mahmoud Darwich, La terre nous est étroite, op. cit., p. 52.

49 Sur la fonction symbolique de cet arbre dans l’épopée homérique, voir François Dingremont, “Du sol phéacien au lit nuptial. Un arbre enraciné dans l’Odyssée, dans Poétique, n° 148, avril 2006, p. 435-453.

50 Mahmoud Darwich, Trois lettres à Samih al-Qâsim (1986-1987), Europe, op. cit., p. 73-78.

51 Ibid. Sur l’enjeu politique du chant et le rapport entre l’occupation du lieu et celle de la langue, voir aussi E. de Dampierre-Noiray, “Mahmoud Darwich et le lieu de la langue”, Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], “Agrégation lettres 2017”, n° 16, automne 2016 , mis à jour le : 14/11/2016, URL : https://revues.univ-pau.fr/opcit/143

52 Mahmoud Darwich, Entretiens sur la poésie, trad. Farouq Mardam-Bey, Arles, Actes sud/ Sindbad, 2006, p. 114-115.

53 “Chroniques de la douleur palestinienne”, Rien qu’une autre année, op. cit., p. 81. J’ai modifié la traduction très personnelle de Laâbi.

Bibliographie

    

Œuvres de M. Darwich abordées dans cet article
   

DARWICH, Mahmoud, Rien qu’une autre année, trad. A. Laâbi, Paris, Minuit, 1983.

DARWICH, Mahmoud, Une mémoire pour l’oubli (Zâkira li-l-nisyân, 1987), trad. Y. Gonzales-Quijano et F. Mardam-Bey, Arles, Actes sud/ Sindbad, coll. Babel.

DARWICH, Mahmoud, La Palestine comme métaphore, Arles, Actes sud, 1997, coll. Babel.

DARWICH, Mahmoud, La terre nous est étroite et autres poèmes, Paris, Gallimard, 2000, coll. Poésie/ Gallimard.

DARWICH, Mahmoud, Anthologie (1992-2005), édition bilingue, Arles, Actes sud, coll. Babel.

DARWICH, Mahmoud, Entretiens sur la poésie, trad. Farouq Mardam-Bey, Arles, Actes sud/ Sindbad, 2006.

DARWICH, Mahmoud, Lâ urîdu li-hazîal-qasîdâ an tantahî (Je ne veux pas que ce poème finisse), Beyrouth, Riad El-Rayyes Books, 2009.

DARWÎSH, Mahmûd, Diwân, Beyrouth, Dar al-Awda, 1994, 2 vol. 

DARWÎSH, Mahmûd, Al-â‘mâl al-jadîda al-kâmila, Beyrouth, Riad-el-Rayyes Books, 2009, 3 vol. 
    

Ouvrages
     

BOIDIN, Carole, DE DAMPIERRE-NOIRAY, Ève et PICHEROT, Émilie, Formes de l’action poétique, Atlande, 2016.

FINKELSTEIN, Israël et SILBERMAN, Neil Asher, La Bible dévoilée [The Bible Unearthed, 2001], Paris, Gallimard, 2002.

MÉGARBANÉ, Patrick et VUONG Hoa Hoï, Le Chant d’al-Andalus. Une anthologie de la poésie arabe d’Espagne, Arles, Actes sud/ Sindbad, 2011.

RAJAB AN-NAJJÂR, Muhammad, Le Héros dans les épopées populaires arabes (Al-batal fi-l-malâmih ash-sha‘biyya al-‘arabiyya), tome 2, Le Caire, Al-hay’a al-misriyya al-‘âma li-l-kitâb, 2018.

Europe, n° 1053-1054, janvier-février 2017.

Le Koran, trad. Kazimiski, Paris, Librairie Charpentier, 1869.
    

Articles
    

DINGREMONT, François, “Du sol phéacien au lit nuptial. Un arbre enraciné dans l’Odyssée” dans Poétique, n° 148, avril 2006, p. 435-453.

DE DAMPIERRE-NOIRAY, Ève, “Figures de l’ennemi dans l’œuvre de Mahmoud Darwich” dans Formes de l’action poétique, Hermann, coll. Cahier Textuel, 2017.

DE DAMPIERRE-NOIRAY, Ève, “Mahmoud Darwich et le lieu de la langue” dans Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], “Agrégation lettres 2017”, n° 16, automne 2016 , mis à jour le : 14/11/2016, URL : https://revues.univ-pau.fr/opcit/143

GUILLAUME, Jean-Patrick, “Quelques avatars du géant au tronc d’arbre, dans la tradition épique arabe et ailleurs” dans Medioevo romanzo e orientale. Temi e motivi epico-cavallereschi fra Oriente e Occidente, Università di Catania, Rubettino, 2010, p. 173-188.

LUFFIN, Xavier, “La tradition épique arabe, un genre à (re)découvrir en Occident”, Bon-à-tirer, n° 152, 15/3/2011, en ligne.

GOYET Florence, “Le "travail épique", permanence de l’épopée dans la littérature moderne” dans Formes modernes de la poésie épique, dir. Judith Labarthe, Bruxelles, P.I.E-Peter Lang, Nouvelle poétique comparatiste, n° 12, 2004, p. 265-280.

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AL-WARÂRI, Abdellatif, Al-Anâ al-ghinâ’î fi sh‘ir Mahmûd Darwish : min al-rumâns ila sh‘iriyyat al-ma‘ich al-yawmî, Londres, Al-Qods al-Arabî, 8/8/2018

Pour citer ce document

Ève de Dampierre-Noiray, «Faire résonner le chant des autres : quelques réflexions sur le “lyrisme épique” de Mahmoud Darwich», Le Recueil Ouvert [En ligne], mis à jour le : 29/10/2023, URL : http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/324-faire-resonner-le-chant-des-autres-quelques-reflexions-sur-le-lyrisme-epique-de-mahmoud-darwich

Quelques mots à propos de :  Ève  de Dampierre-Noiray

U. Bordeaux-Montaigne / EA Telem / LGC-MA
Ève de Dampierre-Noiray est maître de conférences en littérature comparée à l’université Bordeaux-Montaigne. Ses travaux portent sur les littératures européennes et arabes du XXe siècle (domaines français, arabe, italien, anglais), en particulier sur les enjeux de la fiction à l’époque postcoloniale, la poésie arabe contemporaine (œuvre de Mahmoud Darwich, poésie égyptienne et syrienne XX-XXIe), la traduction. Elle a publié De l’Égypte à la fiction (Classiques Garnier, 2014, prix D. Potier-Boès de l’Académie Française 2015) et, avec C. Boidin et E. Picherot, Formes de l’action poétique (Atlande, 2016). Elle est rattachée à l’équipe Telem (UBM) ainsi qu’au réseau de chercheurs LGC-MA.