Epopée, Recueil Ouvert : Section 5. Thèses, travaux en cours

Léo-Paul Blaise

L’invention de l’histoire poétique de Dagobert. Un cycle épique mérovingien a-t-il été possible au XIVe siècle ?

Résumé

Cet article, tout comme la thèse en cours dont il reprend les articulations principales, se propose de revenir sur le cycle de Dagobert, conglomérat de chansons de geste du XIVe siècle appariées par leur substrat historique mérovingien. Tout en revenant sur la notion de cycle épique, dont nous tentons de reconsidérer les présupposés et de repenser le mode d’application à notre corpus, nous souhaitons montrer que le “cycle de Dagobert” en tant que tel n’existe pas, qu’en tout cas cette appellation est trompeuse. Déterminé par une approche que nous souhaitons être neuve, l’article entend recentrer l’attention des lecteurs sur les aspects disruptifs et contradictoires de cet ensemble épique qui font des Mérovingiens un outil littéraire de différenciation et les détermine comme Altérité constitutive du royaume de France. L’impossibilité pour les auteurs médiévaux de ramener la représentation des Mérovingiens à un principe unifié (à l’opposé de ce qui se passe pour le Charlemagne épique des siècles antérieurs) sert une nouvelle manière, propre à la chanson de geste tardive, de “penser sans concept” le rapport particulier des individus de la fin du Moyen Âge au monde, fait de contingence historique et d’accélération de la circulation des savoirs.

Abstract

This article is based on an ongoing PhD thesis anda questions the Dagobert Cycle, a term coined by critics to refer to an epic ensemble made up with a few late medieval chansons de geste of which the Merivingian chrononope forms the backbone. By interprating afresh the ‘epic cycle’ concept and the possibility to apply it to this corpus, we want to demonstrate that there is no Dagobert Cycle as such and that this term is misleading. Contrary to traditional cyclic storytelling characterised by unified fiction and a constant meaning or ideology (of which the King’s Cycle or the cycle of Guillaume d’Orange are typical examples), disruption and contradiction are paramount to the Merovingian cycle. The epic Merovingians become a literary tool of differentiation and the constituent Alterity of the French nation. The impossibility for medieval people to centre the Merovingian fiction around a unified principle (a king like Charlemagne for the Carolingian epic) favours a new way at the heart of the late medieval epics to think without concept the specific link between medieval individuals and their world, made of historic contingency and accelerated knowledge circulation.

Texte intégral

     
     

  • 1 Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, Paris, A. Franck, 1865, p. ...

“Si les peuples, en entourant de l’auréole épique la figure d’un grand homme, oublient souvent pour lui leurs héros les plus anciennement chéris et dérobent à leur gloire les rayons dont ils décorent la sienne, à plus forte raison doivent-ils déposséder les guerriers qu’ils ont pris longtemps pour sujet de leurs chants au profit d’un descendant plus illustre qu’eux.”1

  • 2 Judith Schlanger, “La question heuristique”, Revue de métaphysique et de mo...

“Là où le neuf abonde, le passé surabonde.”2
     
     
     
     

  • 3 Hans Ulrich Gumbrecht, “Complexification des structures du savoir : l’essor...

  • 4 Ibid., p. 27.

1Depuis que l’on ne souscrit plus sans nuances à la métaphore scientifique qui cultivait du Moyen Âge finissant l’image automnale d’un moribond en plein déclin, de nombreuses contributions se sont efforcées de peindre le XIVe siècle et sa littérature comme une “phase d’incubation de la Modernité”3. Dès lors se sont suivies les tentatives réussies, d’abord de montrer que les années comprises entre 1250 et 1350 constituent le “point de départ d’un processus lent, complexe et difficile à définir vers un monde qui ne sera plus “médiéval””, puis d’établir que la première moitié au XIVe siècle “se présente à nous comme le moment historique d’une rupture dans la tonalité affective des discours4, et enfin de mettre au jour une complexification des structures des savoirs qui accompagnent les innovations et les traditions culturelles.

  • 5 Nous nous permettons de renvoyer à notre travail de Master, réalisé sous la...

  • 6 L’architexte est défini comme ce qui fait “la littérarité de la littérature...

  • 7 Paris, BnF, fr. 819-820 (Gaston Paris, et Ulysse Robert (éd.), Les Miracles...

  • 8 Cette pièce médiévale a récemment suscité des réécritures estudiantines dan...

2Au rang de cette complexification nous semble tout à fait significatif, dans le domaine littéraire, l’établissement hâtif et le tout aussi hâtif avortement d’une mémoire nouvelle et pourtant de plus haute antiquité. En effet, différents genres littéraires, de manière concomitante, promeuvent un chronotope mérovingien comme cadre de leurs fictions respectives5. Évidemment, chaque genre littéraire, selon ses destinataires propres et ses structures mimétiques particulières, remploie et reconfigure le cadre spatio-temporel mérovingien à des fins esthétiques différentes. Autrement dit, chaque œuvre est impliquée par les contraintes de son architexte6. Sur les tréteaux d’abord, la fin du siècle est prolixe en matière de mimésis mérovingienne. Parmi les quarante textes dramatiques du manuscrit Cangé7, communément appelés les Miracles de Nostre Dame par personnages, on en compte trois d’inspiration mérovingienne. Il s’agit du Miracle du roi Thierry, du Miracle de sainte Bautheuch8 et du Miracle de Clovis. Les quelques apparitions mérovingiennes se signalent, dans l’univers moral et édifiant des miracles dramatiques, comme des exempla tirés de la plus ancienne histoire du royaume de France. L’histoire “nationale”, parcellisée et résumée dans quelques hauts faits significatifs (conversion de Clovis, châtiment des enfants rebelles de Bathilde) y est ajustée à un mysticisme moral. Conséquemment, par la conjonction de ces deux perspectives historique et chrétienne, la performativité théâtrale miraculaire fait du récit mérovingien, devenu imagerie édifiante, un spectacle mémorable, un réservoir d’imagines pour auditoire en quête de comportements illustres à imiter.

3Un autre pôle d’attraction mérovingienne réside dans la poésie de cour. Nous pourrions ne citer que le cas d’Eustache Deschamps qui convoque, lui aussi, dans son œuvre prolifique, le personnel mérovingien. Le bailli de cour module cependant sa représentation des Mérovingiens selon les topoï de la poésie lyrique du XIVe siècle. Volontiers, le premier roi très chrétien fait figure d’instaurateur d’une cité idéale qui a vocation à se perpétuer à travers l’histoire du royaume de France. La vision des origines du lien contractuel passé entre Dieu et le royaume de France doit continuer à se découper à l’arrière-fond de la sensibilité des contemporains de Deschamps, notamment par une invite à l’identification avec la France mérovingienne. Pourtant ce même sentiment de continuité s’y brouille d’une tension avec une tendance à la distinction qui fait apparaître la cité mérovingienne comme le souvenir déjà presque inconscient d’une félicité perdue, résolument autre, éloignée par une distance temporelle irréfragable.

  • 9 Paul Zumthor, La Lettre et la voix. De la “littérature” médiévale, Paris, S...

  • 10 Nous renvoyons à la synthèse de William Kibler, “Relectures de l’épopée”, ...

  • 11 Sur la reconsidération de la chanson de geste tardive, nous renvoyons, san...

4C’est enfin le domaine de la chanson de geste qui est affecté, plus massivement que les genres précédemment évoqués, par la nouveauté mérovingienne au XIVe siècle. Par son essence communautaire, par sa vocation à commémorer les valeurs fondamentales d’un groupe social, par, enfin, ses prétentions à être une “parole-force”9 prise dans le bourdonnement des voix quotidiennes, la chanson de geste a connu le même sort critique que le contexte historique dans les mailles duquel elle s’insère. Il en a été ainsi de la chanson de geste tardive, jadis tenue pour la littérature abâtardie d’un siècle décadent10, aujourd’hui devenue terreau de réflexions sur les transformations d’un genre évolutif dans une époque de transition11.

  • 12 Clause Roussel, “L’automne de la chanson de geste”, art. cit.

  • 13 Claude Roussel (éd.), La Belle Hélène de Constantinople : chanson de geste...

  • 14 Denis Collomp (éd.), Dieudonné de Hongrie (dit Le roman de Charles le Chau...

  • 15 Noëlle Laborderie (éd.), Florent et Octavien. Chanson de geste du XIVe siè...

  • 16 Axel Wallensköld (éd.), Florence de Rome. Chanson d’aventure du premier qu...

  • 17 Mari Bacquin (éd.), Theseus de Cologne, édition partielle d’une chanson de...

  • 18 William S. Woods (éd.), A Critical Edition of Ciperis de Vignevaux: with I...

5Au sein de ce corpus, un sous-ensemble particulier plante effectivement “un décor pseudo-mérovingien” et dresse “une sorte d’histoire poétique de Dagobert”12.Il se compose de six chansons de geste aux identités bien marquées qui sont, par ordre chronologique dans la diégèse mérovingienne, LaBelle Hélène de Constantinople13, Dieudonné de Hongrie14, Florent et Octavien15, Florence de Rome16, Theseus de Cologne17 et Ciperis de Vignevaux18.

  • 19 “On a dit, à juste titre, que l’épopée est carolingienne, entendons, qu’el...

  • 20 Ibid., p. 37. Voir également Dominique Boutet, Charlemagne et Arthur ou le...

  • 21 Intérêt pour l’itinéraire de héros d’un nouveau genre, aux tendances moins...

6Il s’agit là d’un avènement bien retardé. En effet, durant les deux siècles qui l’ont vue fleurir et s’épanouir, la chanson de geste est restée foncièrement et strictement d’inspiration carolingienne, même si, en revanche, elle n’a jamais renoncé à associer à cette inspiration toute une série de structures de pensée autres, ou plus anciennes (idéal courtois, survivances indo-européennes)19. Cette inspiration carolingienne, massive dans tous les cycles épiques alors constitués, a trouvé presque naturellement à s’incarner dans ce point de fuite qu’est Charlemagne, cristallisation de “la légende politique et religieuse d’un empereur, représentant le pouvoir chrétien vainqueur en Europe”20. Cet avènement d’une chanson de geste mérovingienne est d’ailleurs synchronique d’un renouvellement important de ce genre, tant thématique que formel21.

  • 22 En focalisant ainsi notre attention sur la royauté mérovingienne dans un c...

7Au-delà donc de configurations propres à chaque chanson qui toutes, au-delà de leur couleur mérovingienne, conservent une identité assurée, c’est justement l’homogénéité chronologique du phénomène mérovingien dans la littérature épique qui permet à la fois de tenter de le comprendre en système, d’en soulever les enjeux et de le rattacher à des conditions esthétiques, historiques et culturelles précises. Tout comme l’élévation de la dynastie carolingienne au rang de mythe épique n’a pas relevé d’un choix accessoire (et la production scientifique s’est attachée à le démontrer depuis plusieurs décennies), nous pensons que la naissance des Mérovingiens épiques n’est pas une anomalie. En effet, ce n’est que lorsque des conditions poétiques et culturelles spécifiques se sont trouvées favorablement réunies que la “mise en épopée” des Mérovingiens a pu être envisagée et autorisée et qu’une nouvelle royauté épique a pu se constituer peu à peu comme une réplique rétorquée aux siècles de chanson de geste carolingienne22.

  • 23 Dominique Boutet, Formes littéraires et conscience historique. Aux origine...

8La comparaison est inévitable. Une première approche de la royauté mérovingienne épique ne saurait se départir d’un rapprochement avec le mythe impérial carolingien charrié par la littérature épique, une première analyse du personnage de Dagobert d’une analogie avec le Charlemagne épique, figure syncrétique et somme des aspirations humaines. Or, la comparaison a d’emblée pour mérite de nous faire voir que la royauté épique mérovingienne se situe dans une pratique de l’écart face aux cycles du Roi ou de Garin de Monglane, deux cycles épiques dans lesquels la représentation de la royauté carolingienne est primordiale. En effet, ils mettent le plus régulièrement et le plus problématiquement en scène les trois vastes thèmes politico-historiques privilégiés par le genre épique médiéval (les vicissitudes de l’ordre féodal, la croisade et le mythe impérial), thèmes que fédère l’époque carolingienne, “où semblait réalisée la fusion de l’empire terrestre et de la Chrétienté.”23

  • 24 “Le mythe, ici, […] peut se définir comme un ensemble de relations intelle...

9La question cyclique nous semble un biais adéquat pour édifier une herméneutique des Mérovingiens épiques. Le “mythe” carolingien lui-même (tel que le définit Dominique Boutet) n’est en effet lisible qu’à travers une structure architextuelle cyclique qui démultiplie, diffracte les conflits et les lieux d’inquiétude tout en les résolvant toujours dans la personne du roi, incarnation de l’ordre politique, principe unificateur qui polarise toute une généalogie de vassaux fidèles à l’idée impériale (le lignage de Guillaume d’Orange) ou auquel se rapporte tout un ensemble événementiel (la bataille de Roncevaux). C’est le cycle qui fait que sur Charlemagne repose le rôle cathartique de la chanson de geste24. Il convient ainsi de savoir si nous pouvons déterminer l’existence d’une telle cohérence cyclique à propos de notre corpus – certains médiévistes la postulent en effet – et si elle lui donne la même force cohésive.

10Le but de cette étude est donc d’envisager à nouveaux frais la question de la cyclicité de ce corpus mérovingien et, à partir de là, d’exhumer le sens et la portée historique de celui-ci ; il s’agira de déterminer les caractères de la liaison architextuelle qui apparie ces textes et d’analyser leur incidence sur la représentation et la signification socio-historique des Mérovingiens épiques.

11Nous procéderons d’abord par une mise au point d’ordre épistémologique sur la question du cycle. Nous montrerons que le “cycle de Dagobert” n’existe pas en tant que tel et que la représentation mérovingienne n’y joue aucunement le même rôle unificateur et polarisant que le mythe carolingien dans les cycles précédents. C’est donc à partir d’un nouveau paradigme d’étude, plus sensible aux ruptures, aux retours, aux brusques déplacements, aux interactions idéologiques qu’aux procédés d’unification, que nous déclinerons trois types d’incidences de cette archi-texture particulière sur la représentation des Mérovingiens épiques : poétique, esthétique et historique.

I. Le “cycle de Dagobert”, une projection critique

  • 25 Patrick Moran, “L’herméneutique en contexte cyclique : l’exemple du Cycle ...

12La forme cyclique pose de nombreux problèmes d’ordres divers au médiéviste et parmi ceux-ci, la question herméneutique n’est pas des moindres25. En effet, poser la question du sens d’un cycle épique ou romanesque, c’est poser celle de son intention et, à force de se demander si son objet d’étude est bien extérieur à lui ou s’il ne fait que générer son propre discours, l’herméneute court le risque d’un constat aporétique. Au-delà d’un dilemme épistémologique, c’est également une alternative méthodologique qui se présente à lui : étudier séparément les œuvres individuelles en renonçant à l’idée qu’elles peuvent fonctionner de concert ou considérer qu’un cycle possède une senefiance propre, malgré les incertitudes sur l’intentio auctoris et le disparate des œuvres envisagées.

  • 26 Pour lequel nous renvoyons à Richard Trachsler, Clôtures du cycle arthurie...

  • 27 Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, p. 463-465.

13Pour la chanson de geste, la question du cycle diffère sensiblement de celle qui se pose pour le roman médiéval26. En effet l’écriture cyclique épique n’est pas celle du type roman-fleuve en plusieurs tomes coordonnés par la volonté d’un même architecte. Le cycle épique est un objet stratifié, pensé au fur et à mesure par des auteurs éloignés dans le temps et l’espace au gré de leur lecture/écoute des textes existants sur lesquels ils décident de greffer un épisode supplémentaire et complémentaire. Le cycle est donc avant tout, si nous nous plaçons du point de vue médiéval, volonté de faire cycle, permanente évolution créatrice, toujours en puissance, geste imperceptible pris dans l’espace immatériel qui relie réception et création. L’écriture cyclique a donc une cohérence propre : elle repose sur un phénomène de reconnaissance d’une appartenance à une tradition clairement identifiable pour les auditeurs des gestes. Au-delà de cet acte de création originelle, le cycle est plus clairement affaire de réception lorsque des remanieurs se sont entrepris de créer les fameux manuscrits cycliques dont l’ambition est de grouper et d’ordonner chronologiquement des textes dérivant d’une même volonté cyclique. D’où des entreprises de nivellement et de lissage des différences, menues contradictions et transitions entre les textes envisagés. De ce point de vue là encore, le cycle est assimilable à un acte volitif, mais élevé au rang systémique. Enfin, le cycle peut être envisagé comme objet d’étude créé par les critiques modernes pour parler des chansons de geste prises dans un contexte thématique commun. Mais une nouvelle fois, sous le vernis savant, il est une entité prise entre réception et production. Ce que nous pouvons affirmer de certain quant au cycle épique est donc sa position médiane, entre un discours fermé, donné d’avance, qui est son mode d’intelligibilité (la tradition thématique ou le “type-cadre” zumthorien27 auquel chaque texte se réfère, explicitement ou non) et une pratique qui renvoie à une réalité technicienne et créatrice, toujours impulsive. Maigre consolation certes, mais celle-ci nous permet cependant de mettre au jour l’articulation de trois dimensions inséparables dont la combinatoire permet d’assurer la pertinence critique de la notion de cycle : il émane toujours d’un lieu, intersection d’une volonté individuelle et d’une tradition qui le surdéterminent tous deux ; il est une pratique, médiatisé par une technique d’écriture, toujours sur la frontière entre le donné et le créé, le supposé réel et les mille et une manières de le dire ; il est enfin une écriture dont le rôle est de fabriquer une appartenance, une structure de rappel à d’autres œuvres.

14Tentons dans un premier temps de dérouler les différentes manières qu’ont eues certains chercheurs de construire leur objet mérovingien.

1. Des “cycles de Dagobert”, d’un “cycle de Rome” et de leurs critiques

  • 28 Robert Bossuat, “Dagobert, héros de romans du Moyen Age”, Comptes rendus d...

  • 29 Ibid., p. 366. Significativement, cette expression, inspirée de l’ouvrage ...

  • 30 Bossuat lui-même nous souffle discrètement cette proposition avec des préc...

15Malgré l’apparent appariement des textes de notre corpus par le “décor” mérovingien qu’ils élisent préférentiellement, le “cycle de Dagobert” ou “cycle mérovingien” connaît des réalisations bien différentes d’un auteur à l’autre. Dès 1964, Robert Bossuat avait attiré l’attention sur la présence dans la littérature épique du XIVe siècle de Dagobert comme fondateur, avec saint Denis, de la tradition monarchique, tout en avertissant les lecteurs de ne pas en tirer argument pour conclure “à l’existence d’un cycle mérovingien.”28 Pourtant, Bossuat lui-même subsume la diversité des textes présentés (Florent et Octavien, Dieudonné de Hongrie et Theseus de Cologne) sous un même et unique geste intentionnel (la propagande des Valois) et va même jusqu’à qualifier ce parcours de “légende poétique de Dagobert”29. La tentation cyclique n’est certes pas loin30.

  • 31 André Moisan, Répertoire des noms propres de personnes et de lieux cités d...

  • 32 L’auteur signale d’ailleurs à propos du cycle de Dagobert, qu’“il s’agit p...

  • 33 François Suard, Guide de la chanson de geste et de sa postérité littéraire...

16André Moisan, au seuil de son Répertoire31, constitue un “cycle de Dagobert” qui engloberait Dieudonné de Hongrie, le roman en vers Octavien, les chansons de geste Florent et Octavien, Florence de Rome, Ciperis de Vignevaux et Theseus de Cologne (mêlant ainsi au cycle un texte romanesque et une chanson de geste, Florence de Rome, où Dagobert n’apparaît pas32). Enfin plus récemment, François Suard33 inventorie un “cycle mérovingien” (en fait, une biographie épique de Dagobert composée de Dieudonné de Hongrie, Theseus de Cologne et Ciperis de Vignevaux), distinct de la “chanson indépendante” La Belle Hélène de Constantinople et de l’amorce d’un cycle original constitué par Florent et Octavien et par le remaniement de Florence de Rome.

  • 34 Denis Collomp (éd.), Dieudonné de Hongrie, op. cit., vol. 1, p. 28. L’aute...

  • 35 Ibid., p. 47-49. En présentant le personnage de Valérien, le narrateur nou...

17Denis Collomp, l’éditeur de Dieudonné de Hongrie, fait part d’une vue originale sans qu’elle soit non plus pleinement satisfaisante pour notre propos. Tout en reconnaissant l’importance jouée par le personnel mérovingien dans les chansons de geste tardive, notamment à travers la figure de Dagobert, “le monarque débonnaire par excellence”34, l’auteur dégage, d’une allusion à Florent et Octavien, un “cycle de Rome”35. Malheureusement, il s’arrête là et ne creuse pas plus avant la possibilité de discerner un cycle romain. Pourtant il s’agit d’une intuition qui attire l’attention sur le fait que Dagobert, nous y reviendrons, est difficilement envisageable comme un héros épique de grande étoffe narrative et qu’il partage la scène avec d’autres personnages plus saillants, voire plus insignes. Il attire également l’attention sur la pluridimensionnalité de notre corpus et son écartèlement entre plusieurs théâtres, dont le français n’a pas la primauté, loin s’en faut.

18Alors que la critique s’accorde unanimement sur l’extension du cycle de Guillaume ou sur celle du cycle des Lorrains, la composition du cycle de Dagobert ne fait aucunement consensus. Assurément, le “cycle de Dagobert” apparaît comme une projection critique qui n’a de tangible que le fantasme d’y voir un avatar de la fameuse histoire poétique de Charlemagne. Nous avons voulu voir un emblème dans un personnage qui est avant tout un roi invisible, noyé dans une masse, simple personnalisation, parmi tant d’autres dans notre corpus, d’une idée impériale diffractée, irisée.

2. Le paradigme unitaire et ses insuffisances

  • 36 François Suard, “La chanson de geste française : une forme littéraire évol...

19Si les critiques ne sont jamais parvenus à harmoniser leurs propositions concernant la constitution du cycle mérovingien, c’est probablement que les outils permettant de délimiter le cycle, outils qui relèvent tous d’un paradigme unitaire, ne lui conviennent pas. Distinguons deux catégories d’outils. Nous pouvons dans un premier temps circonscrire une œuvre cyclique à partir des principes, souvent assez clairement identifiables, qui ont présidé à sa constitution ou à la réunion des textes qui le composent. Nous nous situons ici au niveau de la production des textes. François Suard en a relevé trois : les groupements opérés autour d’un personnage central, les groupements exposant les étapes successives d’une action guerrière, les groupements par identité familiale36. Or, aucun de ces principes ne semble avoir présidé immanquablement à la constitution du corpus textuel mérovingien.

20D’abord, Dagobert n’apparaît pas dans toutes les chansons du corpus (il est brillamment absent de La Belle Hélène de Constantinople et de Florence de Rome), il occupe une place congrue lorsqu’il apparaît dans Florent et Octavien ou au mieux égale à d’autres rois mérovingiens dans Dieudonné de Hongrie (en intermittence avec son grand-père Charles et son père Philippe) ou dans Theseus de Cologne et Ciperis de Vignevaux (où le personnel mérovingien se démultiplie en occultant la place de Dagobert). En outre, il se dispute la place éminente de fondateur de la monarchie franque avec Clovis (dans La Belle Hélène de Constantinople).

21Ensuite, aucune action guerrière unificatrice (telle qu’une croisade par exemple), dont les étapes seraient suivies de manière linéaire d’une chanson à l’autre, n’y est décelable.

22Enfin, part belle est faite au personnel mérovingien certes, mais son importance actantielle le dispute fortement avec d’autres lignages (celui, romain, d’Othevien ; celui, hongrois, d’Esméré ou encore celui, constantinopolitain, d’Hélène et Antoine).

  • 37 Scrupuleusement analysés par Madeleine Tyssens pour la geste de Guillaume ...

  • 38 Ibid., p. 155 (nous soulignons).

23Dans un deuxième temps, nous pouvons identifier un cycle dans sa matérialité même, visible et lisible, dans laquelle il nous apparaît constitué. Cette identification repose donc essentiellement sur la prise en compte de la réception des cycles épiques par ses récepteurs ; elle rend ainsi compte du cycle comme effet de lecture. Ce sont principalement l’existence de manuscrits cycliques37 ou alors les éléments de cohésion qui assurent la pérennité de pensée d’un cycle. En réalité, les deux facteurs sont indissolublement liés. Si un cycle se présente avant tout à nous comme une réalité codicologique, un groupement cyclique n’est pas purement arbitraire. Sans doute une direction, non formulée, a-t-elle, dans une étape pré-cyclique, dirigé le cadre idéologique de chansons indépendantes et une pensée commune créé une situation de facto qui légitimait un rassemblement manuscrit plus ou moins ordonné des chansons déjà existantes. Il n’empêche que d’éminents chercheurs comme Madeleine Tyssens ou Jean Frappier ont éclairci la question cyclique à partir d’un présupposé unitaire et stratégique, étudiant les effets de soudure, de transition, d’organisation, à la recherche des tous les éléments cohésifs qui témoigneraient de la vision des remanieurs médiévaux, selon laquelle “[les chansons] formaient déjà un tout indissociable, un seul chapitre du grand roman qu’ils rassemblaient pour leur public.”38

  • 39 Qu’est-ce à dire ? Qu’il s’agissait là d’une première étape des remanieurs...

24Là encore, nous ne pouvons que souligner l’insuffisance de ces outils pour appréhender le corpus mérovingien. En effet, aucun manuscrit ne nous est parvenu qui postulerait un mode de relation cyclique entre tous ces textes. Seul le manuscrit Paris, BnF, fr. 24384 pourrait assumer ce rôle, s’il ne présentait pas l’un à la suite de l’autre deux textes seulement, Florent et Octavien et Florence de Rome dans sa version remaniée, donc, malheureusement, les deux textes de notre corpus qui présentent le plus timidement la figure de Dagobert39.

25Face à tous ces facteurs de dispersion de la représentation mérovingienne, qui a bien du mal à apparaître unifiée, il est difficile de trouver une liaison architextuelle qui soit celle du cycle épique. Le cycle étant affaire de remaniement, de rassemblement postérieur à la création de chaque chanson, l’absence de manuscrit nous interdirait a priori de penser notre conglomérat mérovingien en terme de cycle.

  • 40 Nous renvoyons à la terminologie de Patrick Moran, Lectures cycliques, op....

26Notre argumentation n’a pas pour but d’invalider la pertinence des outils d’analyse précédemment évoqués. Nous souhaitons juste souligner leur inadaptation à l’embrouillamini mérovingien tout en précisant qu’il ne faudrait pas pour autant en conclure à une impossibilité d’étudier en tant que telle la représentation des Mérovingiens épiques. En effet, nous émettons l’hypothèse que notre corpus présente le visage composite d’un cycle en état de formation et, partant, plusieurs états, qui sont effectivement différentes étapes, du processus de formation cyclique. Florent et Octavien et Florence de Rome semblent ainsi constituer un “noyau cyclique”40 déjà bien fermement établi, notamment parce qu’il s’agit de deux remaniements d’œuvres déjà existantes (respectivement du roman en octosyllabe Octavien et de la chanson origine Florence de Rome). En tant que réécritures, ces deux textes ont dû connaître l’opération stratégique d’organisation qui est celle des remanieurs cycliques. Dieudonné de Hongrie constituerait un second noyau, à dominante plus mérovingienne que romaine. Le rattachement cyclique est ici incarné par une série de tactiques de composition qui l’amarrent au premier noyau mais qui n’ont pas la vertu de créer une réelle cohésion cyclique. La Belle Hélène de Constantinople est un texte franchement indépendant, mais dont la matière composite le rend comptable, de manière accidentelle, du conglomérat mérovingien. Enfin, Theseus de Cologne et Ciperis de Vignevaux, par leurs incohérences et leurs contradictions internes, sont restés, à des degrés différents, en dehors de l’organisation cyclique, à l’état donc de “satellites”.

  • 41 Ce paradigme conduit logiquement à une conception esthétique du cycle qui ...

  • 42 Sur le rhizome et ses implications épistémologiques, voir Gilles Deleuze e...

27Par conséquent, nous souhaiterions proposer une autre manière d’envisager la représentation mérovingienne, non plus à partir du postulat d’un système unitaire, cohérent et continué (qui est en somme le paradigme qui a infléchi, auprès de la critique médiéviste, les conceptions des cycles épiques médiévaux41), mais selon ce que nous appellerions volontiers un “paradigme indiciaire”, sensible aux traces, petits discernements, lignes brisées, ruptures et discontinuités, virages brusques qui trament la représentation épique des mérovingiens comme un ensemble de vecteurs trament un réseau géographique. Partant, plus que celle du cycle, c’est l’image du rhizome comme réalité hétérogène dont l’organisation des éléments ne suit aucune ligne de subordination qui se découpera à l’horizon de notre réflexion42.

II. Tactiques cycliques. Les voies indirectes de l’élaboration du cycle

  • 43 Madeleine Tyssens, La geste de Guillaume d’Orange, op. cit., p. 457-458.

  • 44 Jean-Claude Vallecalle, “Le merveilleux dans le cycle de Huon de Bordeaux”...

28Ce constat nous porte à explorer ainsi différemment et progressivement les incidences de ce nouveau paradigme sur notre herméneutique mérovingienne. La première de ces incidences, la plus directement observable, relève de la poétique architextuelle. Les liaisons qui apparient notre corpus ne sont pas les relations d’insertion, d’inclusion, de transition qui trahissent “des remanieurs préoccupés d’ajuster des récits parfois contradictoires, d’harmoniser le style des différents poèmes d’un recueil”43, qui relèvent toutes d’une stratégie compilatrice. En effet, peu à peu, et le processus culmine au XIVe siècle, cette conception du cycle comme compilation cède la place à une conception de la narration épique comme composition : la geste est devenue une œuvre44. Notre corpus mérovingien n’échappe pas à ce constat, celui d’un ensemble que plusieurs mains ont voulue faite de plusieurs œuvres interconnectées. De la stratégie unificatrice des remanieurs, nous sommes passés à des tactiques disséminées de composition, à des gestes opératoires. Dans l’état d’(in)achèvement du corpus mérovingien, cette évolution nous contraint à passer de l’étude du cycle à celle de l’effet-cycle. Nous souhaitons pour l’heure présenter deux de ces gestes opératoires.

1. Transplanter

  • 45 François Suard, “La chanson de geste comme système de représentation du mo...

  • 46 Cf. Claude Roussel, “Identité et transgression dans les chansons d’aventur...

29François Suard a bien mis en évidence ce fait essentiel, à savoir que “l’espace épique est traversé par le mouvement”45 et que cette mise en mouvement est particulièrement remarquable dans les chansons des XIVe et XVe siècles. Notre corpus ne fait en ce sens pas exception. Au contraire, l’exubérance des intrigues, compliquées de séparations et de retrouvailles familiales, attise les déplacements nombreux, souvent contraints et nécessaires à un parcours rédempteur. Sans revenir en détail sur les exigences et les enjeux de ces multiples voyages sur mer et sur terre46, nous souhaitons souligner que les Mérovingiens épiques y sont présentés comme le fruit d’une double transplantation, ils sont la conséquence, presque inopportune, d’une double transgression géographique, rendant d’autant moins assuré le problème des origines de cette dynastie. D’une part, il s’agit, dans La Belle Hélène de Constantinople, de narrer les Enfances de saint Martin et de son frère Brice, qui lui-même donnera naissance à un enfant homonyme, successeur de saint Martin à la tête de l’évêché de Tours, donc de narrer les aventures des premiers saints patrons de la dynastie mérovingienne. Voyons d’ailleurs comme une intention concertée la réunion, dans cette chanson, à la fois des origines du patronage saint de cette dynastie et de la naissance du royaume de France grâce à la conversion de Clovis (à laquelle un épisode digressif est consacré aux v. 9333-9657). L’établissement de la sainteté tourangelle y est présenté comme une incidence d’un parcours beaucoup plus vaste, fruit d’une concaténation d’événements dont la relation causale apparaît très faible. La mère de saint Martin et de Brice est Hélène, elle-même fille de l’empereur de Constantinople Antoine, lui-même lié à Richard, empereur de Rome, par la fille de celui-ci dont il est l’époux. Les deux frères ont pour père Henry, roi d’Angleterre. Hélène, contrainte de fuir son foyer par les fausses accusations de sa belle-mère, arrive avec ses enfants sur l’île Constance. S’ensuivent séparations et tribulations diverses au terme desquelles les enfants arrivent à Amiens où, à l’occasion des funérailles de l’évêque de cette ville, ils rencontrent l’archevêque de Tours (laisses CLXXI-CLXXIV). Ainsi se tisse la relation entre ces deux petits-fils d’empereur constantinopolitain et l’abbatiat de Tours :

Droitement a Amiens, la mirable chité,
Furent ly doy enfant baptisiet et levé.
Lïons ot non Martin, che dist l’auctorité,
Filleux a l’archevesque que moult l’a enamé,
Qui de Tour en Touraine tenoit la dignité.

(BHC, v. 6475-6479)

“C’est ici-même à Amiens, l’admirable cité,
Que les deux enfants furent baptisés et élevés.
Lion reçut le nom de Martin, la tradition nous l’apprend,
Il devint filleul de l’archevêque, qui l’a tant affectionné,
Lui qui détenait les honneurs de Tours, en Touraine.”

Ascendance composite à dominante orientale et greffe en pays étranger réussie, conformément au schéma de pensée de la translatio imperii, voici les deux déterminations syncrétiques du patronage saint mérovingien.

  • 47 Alberto Varvaro, cité par François Suard, “La chanson de geste comme systè...

30La chanson Dieudonné de Hongrie établit la même dissémination, complexifiée par un brouillage temporel et onomastique qui enlève toute cohésion à la dynastie mérovingienne et tend à lui enlever toute spécificité. Cette chanson à la structure tripartite consacre chacun de ses “chapitres” aux aventures respectives de Charles le Chauve et Philippe, de Dieudonné et de Dagobert (celui-ci étant l’arrière-petit-fils du premier). Le cas de Charles le Chauve y est édifiant parce qu’éminemment syncrétique. Ce roi homonyme d’un roi carolingien est en fait un substitut du roi Clovis, dont la destinée lui ressemble en bien des points, comme si le vernis onomastique carolingien suffisait pour détourner l’attention des récepteurs à l’écart d’un roi ambivalent, que l’on considérait encore au XIVe siècle comme un simple barbare converti. Or précisément, Charles y est un barbare étranger et converti. À la mort de leur roi Clotaire, Dieu envoie un ange aux douze pairs de France pour leur faire savoir qu’il a choisi pour lui succéder le païen Melsiant, roi de Hongrie. Celui-ci arrive à la tête de ses troupes dans l’intention de conquérir la France et d’en ruiner toutes les églises, alors que Guillaume de Montfort, baron de Bretagne, brigue la couronne, lui aussi. Les barons décident de les confronter tous deux à Reims ; la couronne sera donnée à celui des deux que Dieu désignera. La réponse divine ne se fait pas attendre ; le Saint-Esprit descend immédiatement sur Melsiant en lui mettant dans la main la Sainte-Ampoule. Le miracle amène la conversion du païen et sa proclamation comme roi de France (Paris, BnF, fr. 24372, v. 1-332, fol. 1r°a 1 – fol. 2v°b 20). Conditions assez singulières d’accession au trône de France, par lesquelles la tradition monarchique est assurée grâce à une mutatio regni réglée in extremis. Notons ici que l’espace n’est pas seulement “géographie du désir”47, pas exclusivement terreau d’inscription de la quête d’unité mythique des personnages épiques. Il signifie une mise en tension problématique des origines de la tradition monarchique franque, il sert une représentation du monde dé-boussolée où un mouvement centrifuge permanent redistribue les unités et arrache au personnel mérovingien toute prétention à l’assurance géographique, à la sûreté du lieu originel pour les jeter dans l’indistinction atopique, le brouillage identitaire des ascendances.

2. Opposer

  • 48 Bernard Guidot, “Constitution de cycles épiques : étude de quelques jalons...

31Au rang des gestes opératoires discernables et qui assurent le mimétisme cyclique tout en le mettant en doute puisqu’ils déstabilisent les données fondamentales de sa cohésion, celui de l’opposition est également significatif. Bernard Guidot a attiré l’attention de ses lecteurs sur l’impérative nécessité des repères structuraux dans un cycle où les péripéties foisonnent et les personnages fourmillent48. À partir de l’exemple du Cycle des Lorrains, l’auteur fait émerger des réseaux signifiants qui permettent de dégager une harmonie minimale et de mieux cerner le rôle et les attributions des personnages qui évoluent dans un paysage humain composite. Bien sûr, cette harmonie n’exclut pas les disparates de détail. Sans nous attarder sur ce genre de contradictions internes, inhérentes aux cycles qui n’ont pas subi (faute de temps ou d’intérêt ?) une volonté de groupement raisonné, nous voudrions mettre au jour l’évolution axiologique radicale de certains personnages qui traversent de part en part ce groupement cyclique mérovingien et qui prolongent donc la versatilité du monde soumis à une trubulentia malorum permanente.

32Il est vrai que les premiers jouets de cette inconstance sont les personnages eux-mêmes, soumis à des dérives axiologiques déterminantes. Le personnage de Garsile, empereur de Constantinople, en sera un premier exemple. Il apparaît dans la chanson Dieudonné de Hongrie, où sa figure est déjà duelle. En effet, ses premières apparitions se font sous le nom de Marados, empereur païen de Constantinople. Il s’oppose à Dieudonné lorsque celui-ci assiège et prend la ville. Dieudonné, vainqueur, parvient à convertir Marados sous le nom de Garsile (fol. 40 r°b 13-fol. 40 v°b 21). Or, il devient très vite un fidèle compagnon de Philippe, puis de Dieudonné. Il apparaît en effet à leur côté au cours du siège de Lausanne, lors de l’épisode où il s’agit de châtier des traîtres du royaume :

Li rois Charle le Chauve, qui moult par fu preudon,
Et Charlos li siens fiex, Geraumes et Othon,
Antone et Joserant, et li queins d’Avignon,
Garcille l’empereur, Richier et Synagon
Sont a l’armer Phelipe, u de biens ot foison
.”
(DH, v. 8870-8874)

Le roi Charles le Chauve, qui fut un homme si vaillant,
Et Charlot son propre fils, Jérôme et Othon,
Antoine et Joseran, et le comte d’Avignon,
Garsile l’empereur, Richier et Synagon
Font partie de l’armée de Philippe, débordante de bienfaits.”

33Paradoxalement, son apparition au sein de plusieurs semblables énumérations de barons le consacre, lui, sa parfaite intégration dans les structures féodales et sa fidélité acquise à Dieudonné (v. 9673-9680). Son statut d’empereur de Constantinople, et sa vaillance (n’est-il pas caractérisé par l’expression consacrée li ber ?) permet, par contrecoup, de rehausser le prestige français :

Et Charles ot se gent moult tres bien devisee :
A Charlot, le sien fil, l’arier garde a livree ;
Et li ber Dieudonné, qui bien fiert de l’espee,
La premiere bataille a che jour demandee
Et li rois fu vaillans : point ne li a vëee.
Phelipe va après, qui le brache ot quarree,
Et Garsilles o li, qui le barbe ot merlee,
Qui de Grace tenoit le terre et la contree
Et de Constantinoble avoir la renommee
.”
(DH, v. 9750-9758)

“Et Charles avait réparti son armée fort bien :
À Charlot, son fils, il a donné l’arrière-garde ;
Et le brave Dieudonné, prompt à frapper de son épée,
Reçut ce jour le commandement de la première bataille
Et le roi y fut brave : on ne la lui refusa pas.
Philippe le suit, lui ses membres solides,
Et Garsile avec lui, à la barbe mêlée,
Qui tenait le royaume et le territoire de Grèce
Et s’illustrait de posséder Constantinople.”

34Il acquiert ensuite une épaisseur narrative qui le conduit à jouer un rôle déterminant dans le siège de la ville suisse : après un combat acharné (laisse CCLXXXI), Garsile est pris par le parti des traîtres, tout comme Philippe et Dieudonné, puis libéré par Charles le Chauve. Cette action, qui scelle la connivence entre la famille mérovingienne et Garsile, fait pourtant long feu. Garsile est abandonné par la narration, le chanteur n’y fera plus allusion.

35Nous retrouvons cependant le même personnage dans Florence de Rome. Certes, plusieurs générations séparent supposément les deux récits. Mais ce genre d’inadéquations ne contredit en rien la possibilité d’une identité entre les deux personnages. La chanson de geste trace continuellement les contours d’un temps stratifié et aux rythmes différenciés, dans lequel des personnages logiquement morts si on les considère à l’aune de la vie humaine peuvent ressurgir sans nuire à la cohérence de l’univers épique. Et même s’il ne s’agit pas du même personnage, il y a là un cas d’homologue homonyme tout à fait singulier à interpréter. En effet, Florence de Rome met en scène un Garsile, roi de Grèce. En tout état de cause, le fait qu’il s’agit dans cette chanson d’un vieillard suppose l’identité des deux Garsile. La première mention qui en est faite est construite avec une habilité telle qu’il en ressort foncièrement duel, là aussi. Une première tonalité amoureuse, distillée par le motif de l’amor de lonh, permet de dépeindre le souverain comme un prétendant courtois :

De Gharsille diray de Gresse oultre le mer
Pour mieux yceste ystoire et tous vrais recorder ;
Car il avoit oÿ de Flourenche parler,
Son sens et sa valour ot oÿ recorder,
Si l’avoit fait Amour si fort enamourer
Que par jour ne par nuit il ne pooit durer
.”
(FR, v. 200-205)

“Je parlerai de Garsile de la Grèce ultramarine
Afin de vous rapporter le plus justement possible cette histoire.
Car il avait entendu parler de Florence,
Il avait eu vent de son intelligence et de sa valeur,
Si bien qu’Amour l’avait fait tomber si rudement amoureux
Qu’il ne tenait plus en place, jour ni nuit.”

36En revanche, la suite de la peinture, par un décrochement et un abaissement soudain de registre, contribue à le ridiculiser et à discréditer la moindre de ses prétentions galantes. Le signalement de sa laideur physique le déprécie autant que sa laideur morale, qui lui répond. Le jugement normatif porté par le poète sur ce personnage s’inverse radicalement, appuyé par une caractérisation superlative et anaphorique :

Mais folie le fait a si bielle pensser,
Car s’estoit le plus lais c’on puist regarder.
Chieus Sire le confonde qui tout a a sauver !
Puis fist pour la puchielle mainte ville ghaster,
Maint chevalier morir, maint soudoiier finer,
Ainssi que je diray, s’on me voelt escoutter
.”
(FR, v. 206-211)

“Mais c’était une folie qui le faisait penser ainsi,
Car c’était le plus laid qu’on pût rencontrer.
Que Dieu le Sauveur l’anéantisse !
Puis il fit pour la jeune fille dévaster maintes villes,
Mourir maints chevaliers, expirer maints soldats,
Comme je le raconterai si l’on veut m’écouter.”

Par un mouvement d’enchaînement anticipatoire, la laideur outrageante ramassée sur le v. 207 est amplifiée au début de la laisse suivante :

Signeur, chieux rois Garssillez dont je fay mention
Estoit un rois poissans qui avoit grant renon ;
Viellès estoit li rois, tous blans sont si grenon,
Li œil li sont ou chief plus rougez que carbon.

(FR, v. 212-215)

“Seigneurs, Garsile, ce roi dont je parle,
Était un roi puissant à la grande renommée ;
Ce roi était un vieillard, toute blanche est sa moustache,
Son œil, au milieu de sa face, plus rouge que braise.”

  • 49Moult fu joyans Gharssilles, quant il oÿ retraire
    Le mort de l’empereur, q...

37Ces quelques vers approfondissent encore son ambiguïté. Nous sommes loin du fier Garsile de Dieudonné de Hongrie. L’empereur de Constantinople est ici devenu un vieillard hideux, as lons dens (v. 457), a le rouge paupiere (v. 3098), qui crasse avoit la panche (v. 3116), victime des rires et des quolibets (des barons, en entendant sa description, en ont ris plenté, v. 485). Surtout, son inconséquence amoureuse va le ranger amèrement du côté des opposants à l’héroïne Florence. En effet, devant le refus de celle-ci d’accéder à ses requêtes de l’épouser, il met le siège devant Rome et devient ainsi l’incarnation d’une l’altérité antagoniste épique (marquée à même ses yeux) dans une chanson sans aucun Sarrasin. C’est d’ailleurs durant les combats contre les Grecs que meurt Othon, le père de Florence, représentant éminent de la lignée romaine, qui s’était illustré dans Florent et Octavien, mort dont se réjouit avec délectation Garsile (laisses XXXI-XXXV). Cette bataille entre combattants chrétiens (l’instance narratoriale, comme pour charger l’empereur de Constantinople, rappelle à l’envi sa confession chrétienne tout en l’opposant implicitement à son comportement49) tient une place prépondérante dans cette chanson et est reconduite à plus petite échelle par la lutte des deux frères Esméré et Milon pour la main de Florence. Nous apprenons d’ailleurs que l’empereur est lié aux deux frères hongrois, puisque leur père l’a aidé dans le passé à défendre sa ville contre une attaque sarrasine (v. 1874-1878).

38Garsile, passé d’adjuvant, dans Dieudonné de Hongrie, à celui d’opposant sur l’axe du pouvoir du schéma actantiel, devient donc l’emblème d’hostilités contre-nature et sans fondement d’être jugé digne dans le champ axiologique épique (fait d’autant plus remarquable que le sourire, dont témoigne les descriptions répétées de Garsile, a pris la place du sérieux), alors qu’il incarnait auparavant la conversion réussie d’un individu tiré de l’ombre à la lumière et fidèlement acquis aux causes des combattants de la chrétienté. Dans cette configuration, Garsile est, à n’en pas douter, un opérateur du déclin amorcé par cette chanson dans l’économie du récit mérovingien. À partir de là, les luttes fratricides entre chrétiens vont devenir le schéma structurel de toutes les chansons qui vont suivre (Theseus de Cologne et Ciperis de Vignevaux) et prendre le pas sur le désir de croisade et d’universalité chrétienne.

39Par divers procédés accumulés, par des opérations de réécriture variées, le corpus mérovingien n’est pas redevable d’une norme univoque ; il est fondamentalement carrefour de normes, carrefours d’univers de valeurs dont les frontières ne sont pas toujours parfaitement ajustées ou complémentaires. Le réel épique y apparaît comme un patchwork, une polyphonie. Montage, transpositions, oppositions, mise en sourdine rendent plus problématique l’orientation de l’œuvre, affectent la valorisation trop accentuée de la royauté mérovingienne et tendent à rendre indécidable tout ce qui pourrait ressembler à une mise en perspective globale, synthétique et unitaire du texte.

III. Les charmes du récit : translatio imperii et mise en péril du cycle

  • 50 “La forme seule ne suffit pas pour classifier de telles œuvres ; c’est d’a...

40Cette première incidence poétique de l’archi-texture de notre corpus sur la représentation des Mérovingiens en entraîne une autre, d’ordre esthétique, sans son sillage. Les séries d’excroissances accumulées, de renversements, de migrations, de transplantations, de syncrétismes, qui sont autant de gestes opératoires qui miment la cyclicité dans un corpus qui privilégie dissémination et dérivation, installent un récit dans lequel les Mérovingiens n’ont pas le premier rôle. L’expression “cycle mérovingien” serait d’ailleurs réductrice, puisqu’elle évacue différents pôles fictionnels (la lignée d’Othevien à Rome, la lignée d’Hélène à Constantinople) qui entrent en interaction signifiante avec la dynastie mérovingienne. Afin de déterminer la portée esthétique de ce récit, suivons les recommandations de William Kibler qui, nous invitant à abandonner toute formation préconstruite lorsqu’on aborde les “chansons d’aventure”, en appelle à se laisser abandonner au rythme de la fiction, rien que de la fiction50. Ainsi verrons-nous que la fiction mérovingienne n’est en fait qu’une balise au sein d’une narration aux proportions bien plus vastes. Les gestes opératoires dressent effectivement un schéma dynamique qui est celui d’une translatio imperii et regni, une fresque où l’unité cyclique le dispute à et s’affadie devant la distinction narrative. Là où une gamme de constantes assuraient une manière d’intangibilité aux cycles précédents, ici une narration, donc, à proprement parler, une structure où l’on ne peut avancer qu’en opposant ce qui suit à ce qui précède, constitue l’armature du corpus.

1. Les étapes d’une translatio imperii et regni

41Une attention portée au déroulement chronologique de notre corpus, établi à la fois par les successions des moments de la vie de Dagobert, et par la succession historique des rois mérovingiens qui y apparaissent, laisse entrevoir plusieurs phases historiques à distinguer. La Belle Hélène de Constantinople présente le royaume franc comme participant d’un vaste mouvement d’évangélisation et de pacification initié par Antoine, empereur de Constantinople, qui parcourt l’Europe et entraîne dans son sillage conversions diverses de rois païens et grandes manifestations de l’élection du peuple chrétien. En amont, ce récit apologétique et, par voie de conséquence, la conversion de Clovis et la vie de ses saints patrons tourangeaux, se voient d’ailleurs intimement liée à la Venjance Nostre Seigneur dont les faits sont rappelés par une rapide agrafe cyclique. Celle-ci fait se succéder, dans une apparente continuité, les empereurs Titus et Vespasien et le pape Clément, oncle de l’épouse d’Antoine :

Après che que Jhesus ot souffert passïon,
Et que Vespasïens en prist vengison,
Et Titus, li siens fieux, que tant ot de renon,
Si ot ung apostole a Romme en prés Noiron,
Par droit nom de baptesme avoit Climent a nom.
” (BHC, v. 18-22)

“Après que Jésus-Christ a souffert la Passion,
Et que Vespasien l’en a vengé,
Et après Titus, son fils, qui eut tant de prestige,
Il y eut à Rome au Champs de Néron un pape
Qui avait reçu lors de son baptême le nom de Clément.”

42À la fin de la chanson, alors que Martin reste à Tours pour y devenir le fameux évêque, Brice, son frère, retourne à Constantinople pour exercer la fonction impériale que tenait son grand-père Antoine (v. 15525-15538). Logiquement, les deux frères “occupent” l’espace méditerranéen selon une bipartition fonctionnelle : le gouvernement temporel à l’Est, la primauté spirituelle à l’Ouest. Ce récit étiologique installe un équilibre entre le monde franc et le monde oriental, médiatisé par le monde romain, équilibre perpétué par Dieudonné de Hongrie et Florent et Octavien malgré l’importante ellipse chronologique qui les sépare tous deux de La Belle Hélène de Constantinople. En revanche, avec Florence de Rome débute une phase qui consiste en l’éviction et l’oubli des origines constantinopolitaines et la tentative progressive du monde franc pour s’arroger l’héritage impérial romain. Florence de Rome, à travers l’affrontement des deux frères hongrois Esméré et Milon, thématise la rivalité familiale qui devient alors une structure constante. La chanson exhibe d’ailleurs son statut, insu probablement, de charnière. La naissance de Florence pour laquelle les deux frères vont se déchirer est accompagnée de funestes présages : “Que par ceste naissanche avenroit tel dolour / Que toutte Ronmenie en avenroit tristour” (v. 79-80). Florence, fille de l’empereur de Rome, et Esméré doivent désormais affronter Garsile, empereur de Constantinople et prétendant illégitime de Florence. Nous voyons donc les relations se brouiller entre le pôle romain et le pôle constantinopolitain. Theseus de Cologne et Ciperis de Vignevaux relancent l’exclusion des pères, puisque dans la première chanson le héros Theseus, sur une suite de malentendus, entre en conflit avec Esméré, devenu entretemps empereur de Rome, et entraîne avec lui le roi Dagobert, le forçant donc à se battre contre le lignage avec lequel il entretenait une si bonne relation de fidélité dans Florent et Octavien. Dans la seconde, la querelle dynastique franque conduit les descendants de Dagobert à réinvestir la tradition impériale, mais sur le mode de l’usurpation. Les deux chansons achèvent donc le brouillage des repères dans un monde devenu équivoque où les anciennes alliances ne survivent pas au passage du temps, où les attirances et les répulsions entre les grands ensembles civilisationnels évoluent au gré des intérêts personnels et où l’équilibre des fidélités se révèle en tout état de cause bien précaire et soumis à l’inconstance. Les Mérovingiens n’apparaissent alors que comme un rouage d’une machinerie complexe, sans incarner l’idéal régulateur carolingien, faute de pouvoir étendre et faire régner le bon ordre par le fer et la contrainte.

43C’est pourquoi il nous est relativement difficile de lire en filigrane de ce récit l’histoire d’une dynastie à proprement parler. Le temps biologique (prégnant dans les cycles de constitution antérieure) cède la place à un temps politique : le rythme des successions lignagères ne dicte plus le déroulement du temps. Ce sont plutôt les ruptures, les crises, les retournements axiologiques qui assument ce rôle. Le principe généalogique n’est ici qu’une illusion. Sous couvert d’une forme généalogique, le récit de cette translatio offre l’histoire de l’institution d’une royauté et d’un royaume. Il en suggère même, bien plus, l’orientation. La temporalité rassurante des générations qui se succèdent les unes aux autres se mue en fatales accélérations qui reconfigurent le jeu des relations européennes dont l’enjeu reste toujours Rome et l’idéologie impériale qu’il incarne et transmet.

2. Les Mérovingiens et le mythe impérial

  • 51 Francine Mora-Lebrun, L’Enéide médiévale et la naissance du roman, Paris, ...

  • 52A feiz, dreiz emperere, jo sai ke Deus vous aime. / Tis hom voil devenir ...

44Le mythe impérial (dans ses trois piliers fondamentaux que sont l’universalité géographique, l’idée romaine et pontificale et la défense du monde chrétien) sert de toile de fond à toutes les chansons du cycle du roi et joue un rôle non négligeable dans bon nombre de chansons de rebelles. Or nous reconnaissons bien également dans le récit mérovingien une influence du modèle énéen (transmis plus par l’Eneas que par l’Enéide) par lequel l’extension conjointe du christianisme et de l’empire se faisait progressivement d’Ouest en Est51. L’Eneas a évidemment participé de cet esprit et célèbre ce transfert qui pouvait apparaître comme l’accomplissement des temps chrétiens. Notre corpus relance l’idée impériale sous plusieurs angles. Il s’agit bien d’une part d’une tranlsatio d’Ouest en Est, opérée par Antoine, empereur de Constantinople (La Belle Hélène de Constantinople), qui, comme un avatar d’Enée, répand le germe chrétien dans l’Europe, notamment en France, à la fondation de laquelle il contribue. C’est une souche prestigieuse accordée au royaume de France. Or, par un retournement unique dans le paysage épique français, c’est justement le peuple franc qui, par la conversion, est l’outil et le comble de cet accomplissement spirituel et politique. À partir de ce point, le corpus va s’efforcer d’ajuster la représentation mérovingienne à l’achèvement en acte d’une véritable translatio. Il ressort clairement des autres chansons que la question est bien d’affirmer la suprématie impériale du royaume français. La notion d’héritage historique pèse alors sur l’ensemble de l’œuvre et peut-être celle-ci est-elle avant tout une illustration de cette idée. Auparavant, seul le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople avait établi précisément cette dynamique translative en l’associant au transfert de reliques (au terme de cette chanson, l’empereur Hugues de Constantinople non seulement accepte de reconnaître la supériorité des Français et de Charles, mais encore demande de faire entrer l’empire d’Orient dans la mouvance de l’empire d’Occident, autrement dit de transférer le siège de l’unique empire vers l’Ouest52). Dans notre corpus, cette connivence structurelle entre le royaume franc et l’héritage impérial romain est suggéré de deux manières.

45D’une part, il s’agit pour les auteurs de rendre sensible cette connivence au moyen de complicités interpersonnelles. Les poètes de la geste mérovingienne manifestent constamment un souci d’effectuer des rapprochements entre personnel franc et personnel romain. Dans La Belle Hélène de Constantinople, le païen Robastre, roi de Bordeaux, possède une histoire singulière, pivot d’un réseau de relations interpersonnelles qui associent étroitement Orient et Occident. Après s’être converti au christianisme, poussé par le prosélytisme d’Antoine de Constantinople, et être devenu Coustant, il épouse Plaisance, fille du roi Ardembourc de Jérusalem. Le fruit de cette union syncrétique est Joserant, abandonné et recueilli par Clovis lui-même, qui lui donne toute l’éducation nécessaire. Si nous poursuivons encore la lignée de Coustant et de Plaisance, le narrateur nous informe d’abord que Jaserant sera donné en fiançailles à Floovente, la fille de Clovis (v. 12288-12291) et ensuite qu’il sera le grand-père du futur Riquier, fidèle compagnon d’arme de Floovent, fils de Clovis (v. 7425 ou v. 9143 ; cette agrafe cyclique, sans souci de cohérence temporelle, renoue d’ailleurs avec une chanson antérieure, Floovant). Le syncrétisme est achevé lorsque Coustant, à la fin de la chanson, devient lui-même empereur de Rome (laisse CCCXCXIX).

46Dieudonné de Hongrie, dans la chanson éponyme, qui est décidément un carrefour cyclique déterminant, se retrouve au cours de ses déboires en Italie. Il se rend alors à Rome, assiégée par les païens, et y rencontre l’empereur Valérien, dont il devient immédiatement le champion :

“.I. empereur i ot, qui moult fist à loër ;
Valerïens ot non, si com j’oïs conter.
Iciex avoit .i. fil moult jone bacheler :
Otevïen ot non – se sachiés sans fausser –
Et puis ot il de Rome le terre a gouverner.
Tant ce vaut Dieudonné esploitier et haster
Qu’il est venus a Rome droit a .i. ajourner.
Li rois Valerïens faisoit ses cors sonner
Et voloit sus Païens a iche jour aler.
La se vint Dieudonné devers li presenter :
Son estat et sen non li ala deviser.
Et quant li emperere li oÿ recorder,
Dont ala Dieudonné baisier et acoler ;
Et le fist richement fervestir et armer :
Pour le renon de li li prïa de mener
La baniere de Rome pour se gent rasambler,
Et li ber Dieudonné ne li vaut refuser
.”
(DH, v. 11798-11814)

“Il y avait un empereur, qui était bien digne d’éloges ;
Il s’appelait Valerien, comme je l’ai entendu dire.
Celui-ci avait un fils, un tout jeune homme :
c’était Octavien, sachez-le sans feinte,
Et il eut ensuite à gouverner l’empire de Rome.
Dieudonné désire cheminer si hâtivement
Qu’il gagna Rome en une seule journée.
Le roi Valérien faisait alors sonner du cor
Et voulait je jeter sur les Païens ce jour-même.
C’est à ce moment que Dieudonné se présenta à lui :
Il alla lui décliner son nom et sa situation.
Et lorsque l’empereur l’entendit parler,
Il s’empressa d’aller baiser et accoler Dieudonné ;
Puis il le fit richement revêtir de fer et armer :
C’est en son nom qu’il le pria de porter
La bannière de Rome pour réunir son armée,
Et le brave Dieudonné ne put le lui refuser.”

47S’ensuit une série de péripéties au cours desquelles les deux personnages sont faits prisonniers ensemble et réduits en esclavage à Acre. Dieudonné, ayant réussi à s’évader, revient ensuite pour délivrer son fidèle compagnon. Mais surtout, une mention discrète au fils de Valérien, Octavien, fait ici office d’impetus d’une relation privilégiée entre la lignée de Dieudonné et celle de Valérien, relation qui va se dérouler au gré des générations et des chansons suivantes. Elle s’effectue selon des motifs réitérés dont le principal est le siège sarrasin des villes de Rome ou de Paris, au secours desquelles se précipiteront respectivement Dieudonné (laisse CDVII) et Dagobert (dans Florent et Octavien, laisse CLIX et laisses CCVI-CCXVIII), ainsi que Othevien (Florent et Octavien, laisses I-V) et selon des complicités assurant la cohésion des deux lignages (Dieudonné-Valérien, Dagobert-Othevien, Dagobert-Florent, Ludovis-Gadifer). Dans Theseus de Cologne, c’est enfin un lien d’alliance qui unit les deux lignages puisque Ludovis, le fils de Dagobert, y épouse Baudour/Bathilde, sœur de Theseus de Cologne, lui-même époux de Flore, descendante de Valérien.

  • 53 Nous nous permettons d’étendre à la sphère orientale dans son ensemble l’o...

  • 54 Cf. Catherine Gaullier-Bougassas, “L’absence de la Grèce dans la trilogie ...

48D’autre part, le second procédé pour affirmer la réalité de cette translatio, qui, on le voit, se lit à travers une continuité lignagère franco-romaine, est la mise en œuvre assidue d’un tropisme oriental par lequel Constantinople et Jérusalem (cités qui revêtent en outre une importance déterminante pour l’imaginaire occidental, l’une pour sa prééminence religieuse, l’autre pour sa richesse) représentent deux villes qu’il s’agit toujours de s’approprier53. Suite au mouvement de décentrement (celui d’Antoine de Constantinople) s’opère un mouvement de recentrement permanent par lequel l’Orient se trouve assujetti dans la mouvance occidentale. Les deux villes orientales n’y apparaissent jamais comme point de fuite ou d’origine en tant que tel. L’action se développe toujours dans un espace bifrons, entre Occident et Orient. En effet, ces récits affectionnent tous les aventures orientales, sur le modèle de nombre de ces romans qui usent de la “matière de Grèce” pour mettre en scène des rivalités orientalo-occidentales pour la primauté de l’héritage romain54. Mais la conquête ou la conversion d’une de ces deux cités apparaît toujours comme une étape nécessaire qui détermine l’Occident, certes, comme héritier culturel des royautés d’Orient, mais aussi, dans le même temps, comme supérieur à elles.

49Nous avons vu plus haut que Garsile, par le changement axiologique qu’il subit entre Dieudonné de Hongrie et Florence de Rome, pouvait être considéré comme un opérateur du déclin de la geste, qui bascule alors dans une phase oublieuse où les ascendants culturels sont évincés. Le sort subi par ce personnage à la fin de Florence de Rome entérine cette intuition. Après sa défaite contre les Romains, Garsile est fait prisonnier par Esméré, le champion de la lignée othovienne, qui le conduit fièrement à travers la ville de Rome, affichant sa supériorité et la soumission de l’empereur, clairement traité comme un vaincu. La scène du triomphe à l’antique mérite d’être citée :

Esmerez de Hongrie sa retrette sonnoit,
Gharssille fait conduire, noblement le menoit.
Lu rois fu au cheval, Esmerez le tenoit
Par my le diestre main et le reconfortoit.
Li rois faisoit samblant que riens n’y acomptoit ; […]
Il est entréz en Ronme, ou les Ronmains pierchoit,
Et dames et puchielles en moult noble conroit.
Garssillez est passéz, a qui moult anoiioit ;
Jusqu’au palais maiour li rois ne s’arriestoit ;
A noble compaignie Gharssilles y montoit ;
Des trompes et nakairez li sons restentissoit ;
Cascuns a Esmeret moult haute honneur portoit
Conme le souverain qui tous les ghouvrenoit.
Esmeréz conmanda c’on fezist la endroit
Gharssiles desarmer, qui moult le desiroit.

(FR, v. 3193-3209)

“Esméré de Hongrie sonnait la retraite,
Il fait avancer Garsile, le menait noblement.
Le roi était à cheval, Esméré le conduisait
Par la main droite et le revigorait.
Le roi faisait mine de ne pas être affecté ; […]
Il est entré dans Rome, les Romains se tenaient sur les hauteurs,
Les dames et jeunes femmes formaient une escorte grandiose ;
Garsile l’a traversée, ce qui le tourmentait fort ;
Le roi ne s’arrêta pas avant d’être arrivé au grand palais ;
Garsile gravissait les marches en majestueuse compagnie ;
Les sons des trompettes et des timbales retentissaient ;
Chacun témoignait à Esméré des plus grands honneurs,
L’acclamant comme le souverain qui les gouvernerait.
Esméré ordonna que l’on fit sur-le-champ
Désarmer Garsile, qui n’aspirait qu’à cela.”

Ses signes exhibés de soumission sont reconduits par l’inféodation de Garsile :

Ainssi li rois Gharssillez fist a ce tamps honmage
Au courtois Esmeré, qui em prist le siervage
Et l’acort dou païs et de tout le barnage,
Et en livra li rois as Ronmains boin hostage,
Et apriès ceste pais, ou il prist grant hontage,
Se departi Gharssilles, li rois au dur corage ;
En Gresse s’en ralla, son nobile hireitage,
Puis tint ferme le pais tous jours en son eage.

(FR, v. 3299-3306)

“Ainsi le roi Garsile rendit à ce moment hommage
Au courtois Esméré, qui le prit en servage
Avec le consentement du pays et de l’assemblée des barons,
et le présenta aux Romains comme leur otage,
Puis après cette réconciliation, dont il se sentit humilié,
Garsile s’en alla, le roi à la fierté farouche ;
Il rentra en Grèce, son glorieux royaume,
Puis dirigea le pays résolument tous les jours de sa vie.”

50Nous voyons donc se dessiner ici un parcours qui, au travers de ses sinuosités, de Dieudonné de Hongrie à Florence de Rome, a permis au monde chrétien d’englober l’Autre oriental, qui était, grâce aux télescopages temporels des diverses chansons, l’Ailleurs sarrasin (Dieudonné de Hongrie) et l’Autrefois des origines (La Belle Hélène de Constantinople).

51Cette soumission est enfin matérialisée par la mise à sac des places fortes grecques par les Romains :

Et la desconfitture dura moult longhement :
Chieus qui poelt escapper se meth à sauvament ;
Ronmains les vont sieuwant en criant haultement.
La fu grans li conquest et d’or fin et d’argent,
D’armes et de harnas et de chevaus grantement,
Et de boins prisonniers orent il longhement
.”
(FR, v. 3160-3165)

“Et la déconfiture se prolongea longtemps :
Ceux qui peuvent s’enfuir courent se mettre à l’abri ;
Les Romains se mettent à les poursuivre de leurs hauts cris.
Là fut pillée quantité d’or fin et d’argent,
D’armes et de harnais et nombre de chevaux,
Et de bons prisonniers qu’ils gardèrent longtemps.”

Comme en écho au retournement des valeurs que nous avons dépeint, au brouillage des repères axiologiques et des éléments cohésifs, le narrateur ne peut manquer de terminer cette évocation par un discours sentencieux, où semble percer néanmoins une déploration ironique, sur les possibilités d’enrichissement soudain offertes par la guerre :

Einssi est il de gherre, car il avient souvent
Que li aucun en sont apovri tellement,
Et li aucun y ont un tel recouvrement
Qu’apriès eus en sont riche et enfant et parent
.”
(FR, v. 3166-3169)

“Il en est ainsi de la guerre, car il arrive souvent
Que les uns en sortent gravement appauvris,
Et les autres tellement rétablis dans leur fortune
Qu’après eux et les enfants et les proches en sont riches.”

  • 55Li gentis patriarches ne si va arestant
    A Phelipe le ber va les clés prest...

52Du côté mérovingien, en témoignent l’élection de Brice (le père de saint Brice qui “vint servir son oncle a Tours devotement. / Depuis fu archevesque, se l’istoire ne ment”, v. 15533-15534) à la tête de l’empire constantinopolitain à la fin de La Belle Hélène, de Philippe comme roi de Jérusalem55, la prise de Constantinople par Dieudonné (fol. 40 r°b-fol. 40 v°b), l’élévation d’Othevien au rang de roi de Jérusalem (Florent et Octavien, laisse CCLXV). Les deux dernières chansons du récit mérovingien ne composent plus du tout avec ces origines orientales et achèvent le cycle sur la confirmation des liens franco-romains puisque Ciperis de Vignevaux prévoit, à la fin de la chanson, que Gouthequins (un curieux homonyme du Guitequin de la Chanson des Saisnes) et Césaire, tous deux descendants de Dagobert, deviendront successivement empereur de Rommenie. Par la geste parfois conjointe, parfois divergente, des Mérovingiens et des Romains, nous assistons aux tentatives réitérées et multiformes de l’Occident de s’approprier l’Orient, à la fois comme territoire et comme passé, de revendiquer une histoire, fixer une dynamique, briguer un héritage culturel ; tentatives qui se prolongent également pour la royauté mérovingienne dans la volonté de s’approprier l’héritage impérial romain.

IV. Les Mérovingiens, outil épique de distinction

  • 56 Nous renvoyons à Claude Roussel, “De Charlemagne à Dagobert”, art. cit. ; ...

  • 57 Hans Ulrich Gumbrecht, “Complexification des structures du savoir”, art. c...

53Sans remettre en doute les travaux qui ont déjà montré que les nouveaux choix littéraires servaient de nouvelles questions, en somme que les Mérovingiens épiques permettaient aux poètes d’affirmer la continuité de la monarchie française élue de Dieu, de Clovis et Dagobert à Charlemagne et, par extension, à Charles V, et cela malgré les vicissitudes familiales et les contingences historiques56, nous voudrions attirer l’attention sur le souci des auteurs de geste de notre corpus à se servir des Mérovingiens comme outil de différenciation. Nous avons tenté de montrer que la perspective cyclique permettrait de préciser le rôle des Mérovingiens épiques comme maillon d’une chaîne événementielle, d’un devenir qui est celui d’une translatio imperii. La royauté épique s’ouvre au processus, à la dynamique historique et par là les Mérovingiens apparaissent comme les indices d’une nouvelle manière de penser l’histoire et de penser le monde. Au XIVe siècle en effet, une nouvelle épistémè, fondée sur une double tendance à la différenciation et à une plus grande acceptation de la subjectivité dans l’élaboration du savoir, conduit à problématiser le rapport des individus au monde. Celui-ci y prend les aspects d’un objet complexe, opaque et difficile à saisir car n’étant plus garanti immanquablement par un savoir cohérent et cosmologiquement clos57. D’où un effort collectif désespéré pour sauver la cohérence et la plénitude symbolique du monde, jadis garanties par la cosmologie chrétienne. Nul doute qu’il conviendrait d’intégrer cette translatio épique dans cet effort collectif et de la considérer comme schéma compensatoire. D’où également un souci constant pour exorciser la mutabilitas humana et l’effet transformateur du temps.

  • 58 Michel de Certeau, La faiblesse de croire, Paris, Seuil, 2003.

  • 59 François Suard, “La chanson de geste comme système de représentation du mo...

54Les auteurs de geste médiévaux ne s’y sont pas trompés. Les Mérovingiens épiques étaient les mieux à même de signifier ce rapport au temps, de l’intégrer dans la structure traditionnelle de la chanson de geste. En effet, les Mérovingiens épiques apparaissent dans ce corpus comme fondamentalement autres, tout en étant un seuil originel qui fait entrer le royaume des Francs dans l’histoire universelle. Nous utilisons le terme “seuil” à dessein. Les Mérovingiens ne constituent pas une origine absolue, comme l’était le monde épique carolingien, sensiblement intangible ; ils figurent plutôt un point de jonction, une “rupture instauratrice”58 entre un avant et un après. C’est ce qu’indique notamment la translatio dépeinte en ouverture de Dieudonné de Hongrie. C’est également en ce sens que témoigne un régime d’historicité épique particulier à notre corpus. Rappelons avec François Suard que le monde épique carolingien ne contient jamais de récit des origines à proprement parler, car c’est la Bible qui, implicitement, en tient lieu59. Or, notre corpus présente le souci constant de mettre en perspective temporelle l’histoire du royaume de France, d’en souligner l’amarre irrémédiablement mondaine, en somme d’en appuyer l’historicité. La Belle Hélène de Constantinople est régie, en ce sens, par ce que nous appellerions un régime d’historicité archéologique, sensible aux évolutions, aux ruptures qui font passer d’un état des choses à un autre. Ainsi de la profondeur historique instillée dans l’histoire de France. Alors qu’un cardinal romain se rend à Londres pour prier Henry, le roi d’Angleterre, de venir au secours de Rome assiégée, le narrateur surgit, étonnamment didactique :

Or a ly cardinaux a le chiere menbree
Passé l’ost des paiens, chelle gent desraee.
Tout parmy Rommenie a se voie hastee
Et a tant chevauchiet, et maint et avespree,
Q’en Gales est entrés qu’ore est Franche clamee.
A ce tamps que je dis n’ert point Paris frumee
Ensement qu’elle est ore ne ensement nommee,
Elle ot a non Lucesse, ainsy fu appellee.
Ly cardinaux chevauche a mainie privee,
Mainte ville passa, maint mont, mainte valee.
Dessy jusqu’a Boulongne n’y a fait arestee.
La gente de che païs n’ert pas crestïenee,
Ains estoient paiien, en tamps et en l’anee
Que ly frans cardinaux passa en la contree
.”
(BHC, v. 1565-1578 ; cf. v. 2180-2182)

“À ce moment le cardinal au corps vigoureux
A traversé l’armée des païens, cette race honnie.
Il a hâté sa course à travers tout le royaume de Rome
Et a tant chevauché, du matin jusqu’au soir,
Qu’il est entré en Gaule, qu’on appelle aujourd’hui la France.
Au temps dont je parle, Paris ne ressemblait pas encore
À ce qu’elle est aujourd’hui et ne portait pas le même nom,
Elle s’appelait alors Lutèce, telle était son nom.
Le cardinal chevauche sans aucune suite,
Il traversa maintes villes, maintes montagnes, maintes vallées.
Jusqu’à Boulogne il n’a fait aucune halte.
Le peuple de cette contrée n’était pas encore chrétien,
Mais demeurait païen, à l’époque et au temps
Où le loyal cardinal traversa la région.”

55Remarquons que le cas de la Gaule n’est pas isolé et que l’Écosse connaît de semblables mentions, plus discrètes (“Or sus le haulte roche c’on apelle Constanche, / Qui ore a non Escoche, le terre d’onnouranche”, v. 3605-3606). Dans cette mention, un passé est clairement mis en regard avec un temps présent dont il est tout à la fois intimement tributaire et irrémédiablement séparé. Selon une topique traditionnelle, la remontée dans le temps se fait à travers une approche, non pas, ici, strictement étymologique, mais linguistique (en atteste la série de participes passés formant ensemble un chaîne rimique attirant l’attention des récepteurs sur cette donnée élocutoire : clamee, nommee, appellee). Une série d’oppositions à divers niveaux syntaxiques accusent cette dialectique. Un premier vers synthétique (v. 1569) oppose d’un côté et de l’autre de la césure à l’hémistiche, coupe qui met l’accent sur l’adverbe ore, l’ancien et l’actuel nom de cet espace géographique familier aux lecteurs-auditeurs (Gaule vs. Franche). S’ensuit une série de vers d’amplification de la matière ainsi amorcée qui, dans l’alternance des temps passé (v. 1570 et 1572) et présent (v. 1571) explicite une nouvelle fracture onomastique dans l’histoire de la capitale de la monarchie franque. La concentration de cette distinction passé/présent dans l’hémistiche métadiscursif (“A ce tamps que je dis”, v. 1570) achève l’implication émotive des récepteurs dans cet exposé historique. C’est Clovis qui, après sa miraculeuse conversion, décide de donner à la région son nom actuel :

Et ly rois repaira en Franche le jolie ;
A Lutesse revint, une ville garnie,
Se ly canga sen non ly rois, qui que nus die.
Pour le tres bonne gent dont elle fu emplie
Et pour che que ens manoit fleur de chevalerie
Li mist a non Paris, su com l’istoire crie,
Pour che que n’ot parel tant que le chiel tournie,
Et le terre ot non Franche, de le gent resoignie
.”
(BHC, v. 9626-9633)

“Et le roi retourna en France la Jolie ;
Il revint à Lutèce, une luxueuse ville,
Et le roi lui changea son nom, on nous le dit.
En raison de la très bonne population dont elle était emplie
Et parce qu’y résidait la fleur de la chevalerie,
il lui donna le nom de Paris, comme l’histoire nous le professe,
Parce ce qu’il n’y en eut pas de pareil sous la voûte céleste,
Et le territoire fut nommé France, pour la crainte qu’inspirait son peuple.”

56Le processus prend ici une tournure plus explicitement étymologique. Le narrateur remembre ici la naissance du nom de la capitale du royaume de France par métonymie, puisque le nom de Paris provient directement de ce qu’elle abrite le tres bonne gent ainsi que fleur de chevalerie. Doit-on lire dans l’étymologie de la ville une analogie avec le héros grec Pâris, même si la renommée de celui-ci ne se déploie pas à proprement parler dans le domaine de la vaillance ? La référence n’est pas des plus explicite. Mais dans ce cas, la référence implicite à l’univers de référence grec ne ferait que confirmer l’hypothèse de la narration épique d’une translatio dont les indices se multiplient dans le royaume de France à travers ses appellations territoriales et les rois qui le gouvernent. En outre, la naissance y est concomitante d’une conversion religieuse. Cette étymologie a donc valeur de baptême, le royaume de France trouvant son nom, perpétué jusqu’au présent des récepteurs, dans sa situation privilégiée de monarchie sans égale car élue de Dieu.

57Le jongleur prend ainsi acte d’un processus de constitution d’une identité à la fois géographique et monarchique. La notion de processus y est essentielle puisqu’elle concourt à déterminer l’historicité propre du royaume de France dans le devenir historique du monde naturel. Une dialectique joue ici entre un processus d’identification et de défamiliarisation, qui n’est d’ailleurs pas seulement contextuelle mais identitaire. Malgré (en vertu de ?) leur caractère fondateur, les Mérovingiens épiques n’en restent pas moins les figures d’une altérité escamotée. La Belle Hélène de Constantinople ne manque pas de noter le caractère paradoxal du personnage de Clovis qui, avant sa conversion :

Hardis fu […], chiere ot de lïon,
De gerrïer avoit adont s’intensïon.
Il avoit entour Gaules mainte terre de non
Conquestee par forche, mise a euxecusion.
Nus ne duroit a luy n’a se possessïon ;
Cuy il ahert de guerre n’a vers luy garison
Qu’il ne soit pris ou mors sans avoir raenchon
.”
(BHC, v. 9355-9361)

“Il était téméraire […], une vraie chaire de lion,
Il avait une volonté de guerrier.
Il possédait autour de la Gaule maintes terres
Conquises par la force, réduites à la servitude.
Nul ne résistait, ni à lui ni à son empire ;
Celui à qui il mène la guerre n’a aucune chance
De le prendre ou de le faire mourir sans payer rançon.
Cette évocation d’un Clovis encore barbare n’a rien à envier aux descriptions topiques de chefs de guerre sarrasins.”

58Les Mérovingiens n’apparaissent en aucun cas comme un ensemble tout fait ; la dynamique de notre récit mérovingien, fait de déplacements constants, consiste à déplacer les Mérovingiens dans l’espace et le temps, de les présenter en devenir. Leur image ne constitue plus un point de fuite statique, mais une unité dynamique. Le temps s’introduit à l’intérieur de leur mimesis, en imprègne toute l’image, ce qui modifie la signification substantielle de leur destinée. Leur évolution y est indissoluble de l’évolution historique et de sa chronotopicité. Le monde carolingien était un monde immuable ; même si des changements s’y produisaient (notamment à travers des conquêtes successives), ils étaient périphériques et ne touchaient pas aux fondements du monde. L’homme s’y formait, s’y développait à l’intérieur d’une époque. Partant, les Sarrasins pouvaient y constituer une catégorie absolue d’altérité et servir, par contraste, au mythe impérial.

59Au contraire, leurs prédécesseurs épiques exhibent l’inconstance du monde. L’altérité absolue que constituaient géographiquement les Sarrasins y est remplacée par une altérité corrélative et constitutive de l’histoire du royaume de France. L’altérité s’est déplacée du plan ethno-religieux et territorial au plan chronologique et intérieur.

Conclusion

  • 60 Claude Roussel, “Identité et transgression dans les chansons d’aventures”,...

60Dans cette perspective, nous revenons à notre point de départ. Les Mérovingiens n’eussent pas été pensables hors de la chanson de geste tardive. L’évolution de la perspective cyclique en récit prospectif inachevé (qui faisait que ce cycle, par nature, ne pouvait “prendre” et ne pouvait en rester qu’à l’ordre des effets) construit une image ambiguë des Mérovingiens épiques, dans l’entre-deux d’une évolution historique. Cette représentation n’est en fait que la caisse de résonance du nouveau type de héros épique qui se construit dans le corpus tardif et dont on a déjà montré ce qu’il devait aux conditions socio-historiques. Le héros épique tardif est un homme à la recherche de lui-même, contraint de devenir un homme nouveau60. La force organisatrice du futur et du devenir joue dans sa constitution identitaire. Partant, il fallait que le monde lui répondît, il fallait que l’homme se formât en même temps que le monde, qu’il reflétât en lui-même la formation historique du monde. À héros nouveaux, nouvelle dynastie épique. Rien d’étonnant alors à ce que le problème identitaire ait été perçu comme devant être traité dans toute son envergure puisqu’il s’agit bien des réels et des possibles de l’homme. Grâce à cette représentation des Mérovingiens épiques, l’image de l’homme en devenir perd son strict caractère privé et débouche sur une sphère toute différente, sur la sphère de l’existence historique.

  • 61 Dominique Boutet, Charlemagne et Arthur, op. cit., p. 611-612.

61 L’image diffractée et plurielle des Mérovingiens épiques et leur entente, voire leur collusion, avec le lignage romain, dont ils sont inséparables, témoignent de l’impossibilité des auteurs du XIVe siècle à concentrer ad unum ces figures dans un mythe syncrétique. Mais cette impossibilité semble avoir été un ferment autrement plus efficace au XIVe siècle pour penser une expérience de la contingence historique, de la pluridimensionnalité du monde, de l’accélération dans la circulation du savoir. Les auteurs en ont exploré le statut fondamentalement utopique et atopique, non localisable, sans source et récupérateur d’un héritage culturel bien plus qu’acteur d’une translatio cherchée et voulue. Dominique Boutet a clairement montré en quoi les tensions irréductibles qui animent la figure royale carolingienne épique deviennent un symbole de la finitude humaine et aussi une tentative de résolution dans l’unité de l’opacité et de l’hétérogénéité des “étants”, un retour amont61. Nous pensons que les Mérovingiens épiques entérinent les conséquences de cette crise de la représentation de la royauté épique, les explorent de manière décomplexée comme un élément de l’identité narrative du royaume de France, dans une tension féconde entre l’idem (la part de l’identité qui subsiste dans le temps) et l’ipse (la part de l’identité où est maintenue consciemment une part d’altérité), en somme entre un déjà-là et un pas-encore.

Notes

1 Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, Paris, A. Franck, 1865, p. 437.

2 Judith Schlanger, “La question heuristique”, Revue de métaphysique et de morale, 88e année, 3, juillet-septembre 1983, p. 322-355, p. 355. Le travail que nous proposons ici est un compendium de l’orientation générale donnée à un travail de thèse en cours mené à l’ENS de Lyon, Le Cycle de Dagobert ou la question d’un cycle archéologique”. Les Mérovingiens dans la chanson de geste tardive, dirigé par Beate Langenbruch (CIHAM UMR 5648).

3 Hans Ulrich Gumbrecht, “Complexification des structures du savoir : l’essor d’une société nouvelle à la fin du Moyen Âge”, La littérature française aux XIVe et XVe siècles, Daniel Poirion (dir.), Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters, VIII/1, Heidelberg, Carl Winter Universitätsverlag, 1988, p. 20-28, p. 27.

4 Ibid., p. 27.

5 Nous nous permettons de renvoyer à notre travail de Master, réalisé sous la direction de Beate Langenbruch, En quête de fabulations : représentation des Mérovingiens et expérience poétique au XIVe siècle, ENS de Lyon, 2015. Les rapides remarques qui suivent sur les miracles dramatiques et sur Eustache Deschamps en sont tirées ; le lecteur y trouvera, évidemment, des analyses plus fouillées.

6 L’architexte est défini comme ce qui fait “la littérarité de la littérature […], c’est-à-dire l’ensemble des contraintes générales, ou transcendantes – types de discours, modes d’énonciation, genres littéraires, etc. – dont relève chaque texte singulier”, Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1992, p. 7.

7 Paris, BnF, fr. 819-820 (Gaston Paris, et Ulysse Robert (éd.), Les Miracles de Nostre Dame par personnages publiés d’après le manuscrit de la Bibliothèque nationale, Paris, Firmin Didot et Cie, 1876-1883, 8 t.). Ce manuscrit est l’exhaustive représentation de l’impressionnante activité littéraire de la Confrérie Saint-Éloi des orfèvres de Paris. D’inspirations extrêmement diverses (le corpus oscille entre réécritures de miracles narratifs, dont certains de Gautier de Coinci, de vies de saints, de romans ou de chansons de geste), ces drames ont été joués, à raison d’une pièce par année, de 1339 à 1382 (sauf en 1354 et de 1358 à 1360) à l’occasion du puy annuel de la confrérie. Pour quelques mises au point récentes sur ce corpus, nous renvoyons à Donald Maddox et Sara Sturm-Maddox, Parisian Confraternity Drama ot the Fourteenth Century : the Miracles de Nostre Dame par personnages, Turnhout, Brepols, 2008 ; Florin Beschea, Corps, cœur, âme et raison dans les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci et dans les Miracles de Nostre Dame par personnages, Ph. D., Indiana University, Bloomington, 2013 ; Daniela Musso, Réminiscences mythiques dans les Miracles de Nostre Dame par personnages : la mise en scène d’un imaginaire chrétien du XIVe siècle, thèse de doctorat, Université de Grenoble et Université de Gênes, 2013. Voir aussi la traduction en cours de l’ensemble du corpus, dont deux tomes ont paru : Gérald Bezançon et Pierre Kunstman (trad.), Miracles de Notre-Dame par personnages. Tome I et Tome II, Paris, Classiques Garnier (Moyen Age en traduction, 6 et 7), 2017 et 2019.

8 Cette pièce médiévale a récemment suscité des réécritures estudiantines dans le cadre d’un séminaire de l’ENS de Lyon, regroupées dans l’exposition “Le Miracle de sainte Bautheuch. Relectures et réécritures d’un jeu médiéval”, présentée à la Bibliothèque Diderot de Lyon (01/02/2016-15/02/2016) ainsi qu’à la Maison de l’Université de Rouen et à l’UFR des Lettres de l’Université de Rouen (26/09/2018-15/10/2018) (direction scientifique : Beate Langenbruch ; commissaires de l’exposition : Blandine Lefèvre et Kate Poston ; collaborateurs éditoriaux et membres du comité d’organisation : Léo-Paul Blaise et Charlotte Guiot). Cf. Jacques Merceron, “De l’hagiographie à la chanson d’aventures : l’image de sainte Bathilde reine de France”, Miren Lacassagne (éd.), Ce nous dist li escris… Che est la verite. Etudes de littérature médiévale offertes à André Moisan par ses collègues et ses amis, Senefiance, 45, 2000, p. 193-206.

9 Paul Zumthor, La Lettre et la voix. De la “littérature” médiévale, Paris, Seuil, 1987, p. 83.

10 Nous renvoyons à la synthèse de William Kibler, “Relectures de l’épopée”, Au carrefour des routes d’Europe : la chanson de geste. Tome I, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence [en ligne ; http://books.openedition.org/pup/3924; consulté le 11/04/2019].

11 Sur la reconsidération de la chanson de geste tardive, nous renvoyons, sans être exhaustifs, aux diverses analyses d’ensemble et de détail de François Suard (“L’épopée française tardive”, La littérature française aux XIVe et XVe siècles, op. cit., p. 161-177), Claude Roussel (“L’automne de la chanson de geste”, Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 12, 2005 (La tradition épique, du Moyen Age au XIXe siècle), p. 15-28), Jean-Claude Vallecalle (“Le merveilleux dans le cycle de Huon de Bordeaux”, Mario Gandolfo Giacommarra, Epica e storia. Le vie del cavaliere in memoria di Antonio Pasqualino, Palerme, Associazione per la conservazione delle tradizioni popolari, 2005, p. 245-254) et aux monographies récentes de Alban Georges (Tristan de Nanteuil. Écriture et imaginaire épiques au XIVe siècle, Paris, Champion (NBMA 80), 2006), Martine Gallois (L’Idéal héroïque dans Lion de Bourges, poème épique du XIVe siècle, Paris, Champion (NBMA 107), 2012) ou Jonathan Cayer (Heroic Uncertainties : Representations of the Hero in the French Epic of the Later Middle Ages, thèse dirigée par R. Howard Bloch en mai 2012 à l’Université de Yale).

12 Clause Roussel, “L’automne de la chanson de geste”, art. cit.

13 Claude Roussel (éd.), La Belle Hélène de Constantinople : chanson de geste du XIVe siècle, Genève, Droz, 1995 (abrégée BHC).

14 Denis Collomp (éd.), Dieudonné de Hongrie (dit Le roman de Charles le Chauve). Édition critique des folios 49 à 87, thèse de doctorat sous la direction de Marguerite Rossi, Université de Provence, Faculté des Lettres et Sciences humaines, 1986, 2 vol. (abrégée DH).

15 Noëlle Laborderie (éd.), Florent et Octavien. Chanson de geste du XIVe siècle, Paris, Champion, 1992, 2 vol. (abrégée FO).

16 Axel Wallensköld (éd.), Florence de Rome. Chanson d’aventure du premier quart du XIIIe siècle, Paris, Société des Anciens Textes Français, 1907-1909, 2 vol. (remaniement en alexandrins du XIVe siècle, vol. 1, p. 131-280) (abrégée FR).

17 Mari Bacquin (éd.), Theseus de Cologne, édition partielle d’une chanson de geste du XIVe siècle, Lund, Lunds Universitet, 2008 (abrégée TC)

18 William S. Woods (éd.), A Critical Edition of Ciperis de Vignevaux: with Introduction, Notes, and Glossary, Chapel Hill, University of North California, 1949 (abrégée CV).

19 “On a dit, à juste titre, que l’épopée est carolingienne, entendons, qu’elle rappelle à la mémoire, sous les Capétiens, les origines carolingiennes du pouvoir, dont elle fait un récit, ou plutôt un chant mythique. Mais cette “remythification” se fait par une remontée dans la mémoire archaïque fournissant des motifs, des structures où les chansons de geste trouvent leur unité profonde et signifiante.”, Daniel Poirion, Résurgences, Paris, P.U.F., 1986, p. 36.

20 Ibid., p. 37. Voir également Dominique Boutet, Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992. Charlemagne n’était ni vraiment un personnage, ni vraiment un rôle, mais plutôt un “point de cristallisation” qui exprime, à défaut de vraiment les résoudre, “les difficultés que le développement de la conscience historique engendre dans des esprits encore accoutumés à penser le monde comme éternellement immuable” (p. 610).

21 Intérêt pour l’itinéraire de héros d’un nouveau genre, aux tendances moins purement chevaleresques, favorisant un schéma narratif fait d’occultation et de manifestation alternées du personnage central, intégration massive d’éléments folkloriques et merveilleux, souci de présenter des personnages en devenir sont quelques traits caractéristiques du corpus tardif. Cf. Claude Roussel, “L’automne de la chanson de geste”, art. cit.

22 En focalisant ainsi notre attention sur la royauté mérovingienne dans un corpus de chanson de geste tardive, nous ne faisons que suivre les recommandations de Robert Cook et de sa “philologie profonde” : “L’histoire nouvelle, en auscultant le document muet, cadastre, rôle de taille, photo aérienne, a bousculé bien des habitudes. Le nouveau philologue, en examinant sous un jour littéraire et culturel au sens large de nombreux textes “laids”, triviaux, didactiques, remaniés, tardifs, stéréotypés, opaques, prendra ses caractéristiques comme des points de départ et non comme la confirmation de catégories préalables…” (““Méchants romans” et épopées française : pour une philologie profonde”, L’Esprit créateur, 23, 1983, p. 64-74, p. 72-73. Sur le “remplacement” de Charlemagne par Dagobert, cf. Claude Roussel, “De Charlemagne à Dagobert. Avatars de la figure royale dans les chansons de geste du XIVe siècle”, Peter Andersen et Danielle Buschinger (éd.), Charlemagne dans la réalité historique et la littérature, Médiévales, 36, 2004, p. 60-68.

23 Dominique Boutet, Formes littéraires et conscience historique. Aux origines de la littérature française 1100-1250, Paris, P.U.F., 1999, p. 128.

24 “Le mythe, ici, […] peut se définir comme un ensemble de relations intellectuelles dialectiques entre le réel et l’imaginaire, cristallisées autour d’un personnage emblématique, pour dire, clarifier, explorer l’ordre et le sens du monde. Ce type de mythe exige, d’une certaine façon, la fragmentation, l’éclatement, la multiplication des œuvres.”, Dominique Boutet, Charlemagne et Arthur, op. cit., p. 610 (voir aussi p. 418-424) ; Mireille Issa, “Les fonctions politiques, théocratiques et cathartiques de la littérature épique”, Marianne Ailes (éd.), Epic connections/Rencontres épiques, Edimbourg, Société Rencesvals British Branch, vol. 1, p. 319-332. Charlemagne n’est pas le seul personnage susceptible d’accueillir la cohérence mythique d’un cycle. Nous renvoyons à l’approche mythique et sémiotique de l’unité du cycle de Guillaume de David Schenck (“Le mythe, la sémiotique et le cycle de Guillaume”, Charlemagne et l’épopée romane. Actes du VIIe congrès international de la Société Rencesvals, Paris, Les Belles-Lettres, 1976, vol. 2, p. 373-381.

25 Patrick Moran, “L’herméneutique en contexte cyclique : l’exemple du Cycle Vulgate”, Dominique Boutet et Catherine Nicolas (éd.), La Question du sens au Moyen Age : hommage au professeur Armand Strubel, Paris, Champion, 2017, p. 215-226.

26 Pour lequel nous renvoyons à Richard Trachsler, Clôtures du cycle arthurien : étude et textes, Genève, Droz, 1996 et à Patrick Moran, Lectures cycliques : le réseau inter-romanesque dans les cycles du Graal du XIIIe siècle, Paris, Champion (NBMA 112), 2014.

27 Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, p. 463-465.

28 Robert Bossuat, “Dagobert, héros de romans du Moyen Age”, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 108e année, n° 2, 1964, p. 361-328, p. 363.

29 Ibid., p. 366. Significativement, cette expression, inspirée de l’ouvrage fondateur de Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, sera reprise et rendue encore plus explicite par Noëlle Laborderie dans son édition de Florent et Octavien, op. cit., vol. 1, p. CII, puisqu’elle y parle d’une ““Histoire poétique” de Dagobert et d’Othevien”.

30 Bossuat lui-même nous souffle discrètement cette proposition avec des précautions désamorcées immédiatement : “Il se peut que toutes ces chansons, composées à des dates différentes, mais pas tellement éloignées, aient fait l’objet sous le règne de Charles V, d’un regroupement cyclique. Mais telles que nous les avons, elles offrent une biographie complète du roi franc, de sa naissance à sa mort” (p. 367). Nous voyons mal comment s’établit la concession entre ces deux propositions et malheureusement, Bossuat n’explicite pas la différence qu’il fait entre un “regroupement cyclique” et une “biographie complète du roi de France” (la donnée codicologique ?).

31 André Moisan, Répertoire des noms propres de personnes et de lieux cités dans les chansons de geste françaises et les œuvres étrangères dérivées, t. 1, vol. 1, Genève, Droz, 1986, p. 77 et p. 95.

32 L’auteur signale d’ailleurs à propos du cycle de Dagobert, qu’“il s’agit plutôt d’un essai de groupement cyclique, sans cohésion très apparente” (ibid., p. 77, n. 1).

33 François Suard, Guide de la chanson de geste et de sa postérité littéraire (XIe-XVe siècle), Paris, Champion (“Moyen Âge – outils et synthèses” 4), 2011, p. 296, p. 306-308 et p. 308-309.

34 Denis Collomp (éd.), Dieudonné de Hongrie, op. cit., vol. 1, p. 28. L’auteur ajoute que “les périodes carolingienne et surtout mérovingienne répondent aux préoccupations de la chanson de geste : elles offrent des figures héroïques suffisamment connues du public pour en éveiller l’intérêt, tout en restant peu précises, ce qui laisse la place à la transposition épique”.

35 Ibid., p. 47-49. En présentant le personnage de Valérien, le narrateur nous signale effectivement que de son fils Otevien
“ Furent puis .ii. enfans de haute estracïon
Qui moult orent de max en leur regnascïon,
Et tout par une dame qui ot le cuer felon,
La mere Otevien, c’a sa maleïchon
Envoia les enfans en grant quetivison,
Dont li uns fu clamés “Chevalier au lïon”
Et li autre Florent, si com lissant trouvon :
Se le nouri Climens de Paris, sa maison,
Ensi que chi après vous feray mencïon.” (BHC, v. 12539-12547)

“Naquirent depuis deux enfants de noble ascendance
Qui connurent leur vie durant bien des malheurs,
Tout cela à cause d’une femme au cœur félon,
La mère d’Octavien, qui, maudite soit-elle,
Réduit les enfants dans un état de misère
Telle que l’un en fut appelé “Chevalier au lion”
Et l’autre, Florent ; ainsi nous pouvons le lire :
Lui, fut élevé par Clément de Paris en sa maison,
J’en ferai mention par la suite.”

36 François Suard, “La chanson de geste française : une forme littéraire évolutive”, Eve Feuillebois-Pierunek, Épopées du monde. Pour un panorama (presque) général, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 331-350, p. 334-5. Ce dernier principe de composition est également celui qu’a décrit Jean Frappier à propos de l’extension de la geste de Monglane (Les chansons de geste du cycle de Guillaume d’Orange, vol. 1, La Chanson de Guillaume. Aliscans. La Chevalerie Vivien, Paris, SEDES, 1955, p. 63-64).

37 Scrupuleusement analysés par Madeleine Tyssens pour la geste de Guillaume d’Orange (La Geste de Guillaume d’Orange dans les manuscrits cycliques, Paris, Les Belles-Lettres, 1967).

38 Ibid., p. 155 (nous soulignons).

39 Qu’est-ce à dire ? Qu’il s’agissait là d’une première étape des remanieurs pour bel et bien constituer ce qui aurait été un cycle mérovingien ? Alors notre corpus devrait être considéré par la critique comme un cycle inachevé, dont le noyau Florent et Octavien-Florence de Rome constituerait la première étape et dont les autres textes seraient de futurs membres. Ou alors qu’il s’agissait bien d’un cycle indépendant ? Auquel cas la présence de Dagobert dans ce micro-cycle signalerait l’incertitude des jongleurs eux-mêmes quant à l’unité de la matière mérovingienne épique.

40 Nous renvoyons à la terminologie de Patrick Moran, Lectures cycliques, op. cit.

41 Ce paradigme conduit logiquement à une conception esthétique du cycle qui relève d’implications épistémologiques profondes. Il témoigne d’une épistémè irriguant le champ des sciences humaines, implicitant une série de postulats essentiels (le sujet, les totalités culturelles, la tradition, le principe organisateur) et évoluant, par conséquent, dans une inaptitude générale à postuler une théorie de la discontinuité. Voir Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Galimard, 1969, p. 9-29.

42 Sur le rhizome et ses implications épistémologiques, voir Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie. 2. Mille Plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980.

43 Madeleine Tyssens, La geste de Guillaume d’Orange, op. cit., p. 457-458.

44 Jean-Claude Vallecalle, “Le merveilleux dans le cycle de Huon de Bordeaux”, art. cit., p. 246.

45 François Suard, “La chanson de geste comme système de représentation du monde”, François Suard, Chanson de geste et tradition épique en France au Moyen Âge, Caen, Paradigme, 1994, p. 21-48, p. 27.

46 Cf. Claude Roussel, “Identité et transgression dans les chansons d’aventures”, Marianne Ailes (éd.), Epic connections/Rencontres épiques, op. cit., vol. 2, p. 633-648.

47 Alberto Varvaro, cité par François Suard, “La chanson de geste comme système de représentation du monde”, art. cit., p. 25.

48 Bernard Guidot, “Constitution de cycles épiques : étude de quelques jalons”, Chanson de geste et réécritures, Orléans, Paradigme, 2008, p. 73-91, p. 81.

49Moult fu joyans Gharssilles, quant il oÿ retraire
Le mort de l’empereur, qui lui estoit contraire ;
Jhesucris en loa, le Pere deboinnaire.
Et li aulcun Ronmain ne finoient de braire
Pour le roy, qui fu mors et qui gist en my l’aire.” (FR, v. 1125-1130)

“Garsile exulta lorsqu’il entendit raconter
La mort de l’empereur, son ennemi ;
Il rendit grâce à Jésus-Christ, le Père bienfaisant.
Mais pas un seul Romain ne s’arrêtait de gémir
Pour le roi, qui, tout juste mort, gît sur le sol.”

50 “La forme seule ne suffit pas pour classifier de telles œuvres ; c’est d’après l’organisation de leurs aventures que nous pouvons les reconnaître. Et ces aventures doivent être appréciées en dehors de tout message politique ou social. Ce qui doit nous intéresser, c’est la fiction même, la suite des aventures. Libérés de nos préjugés critiques, nous devons nous offrir enfin à la fiction, à l’aventure”, William Kibler, “La “chanson d’aventures””, Essor et fortune de la chanson de geste dans l’Europe et l’Orient latin. Actes du IXe congrès international de la société Rencesvals pour l’étude des épopées romanes, vol. 2, Modène, Mucchi, 1984, p. 509-515, p. 515.

51 Francine Mora-Lebrun, L’Enéide médiévale et la naissance du roman, Paris, P.U.F., 1994.

52A feiz, dreiz emperere, jo sai ke Deus vous aime. / Tis hom voil devenir : de tei tendrai mun regne, / Mun tresor te durrai, si l’amenrai en France !”, Alain Corbellari (éd.), L’Épopée pour rire, Paris, Champion, 2017, Le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople, v. 796-798.

53 Nous nous permettons d’étendre à la sphère orientale dans son ensemble l’outil forgé par Alexandre Winkler, Le Tropisme de Jérusalem dans la prose et la poésie (XIIe-XIVe siècle). Essais sur la littérature des croisades, Paris, Champion, 2006, en particulier p. 117-160.

54 Cf. Catherine Gaullier-Bougassas, “L’absence de la Grèce dans la trilogie des matières selon Jean Bodel et les conquêtes de la “matière” d’Alexandre le Grand”, Christine Ferlampin-Acher et Catalina Girbea (éd.), Matières à débat : la notion de matière littéraire dans la littérature médiévale, Rennes, P.U.R., 2017, p. 317-328. Il va sans dire que le mélange des matières est un des aspects primordiaux à étudier dans la nébuleuse mérovingienne.

55Li gentis patriarches ne si va arestant
A Phelipe le ber va les clés prestentant
De la sainte chité et li vont ottriant
Trestoutes les reliques pour faire son commant
Et dient qu’il iront la dedens tourniant. […]
Or fu li rois Philipes de .ii. roiaumes rois :
C’est de Jherusalem ou Dieu fu mis en croisade
Et c’estoit de Hongrie, sir des Honguerois.” (fol. 22, r°a 18-23 et 32-34)

“Le noble patriarche s’avance sans s’arrêter
En allant présenter à Philippe les clés
De la Sainte Cité et il va lui confier
Toutes les reliques utiles à exercer le commandement
Et ils disent qu’ils iront visiter le Sépulcre. […]
Dès cet instant Philippe fut roi de ces deux royaumes :
De Jérusalem, où Dieu fut l’objet de croisades,
Et de la Hongrie, en tant que seigneur des Hongrois.”

56 Nous renvoyons à Claude Roussel, “De Charlemagne à Dagobert”, art. cit. ; Michael Heintze, “Ciperis de Vignevaux. L’origine de la famille royale dans l’épopée française”, Au carrefour des routes d’Europe, op. cit., p. 659-673.

57 Hans Ulrich Gumbrecht, “Complexification des structures du savoir”, art. cit., p. 25.

58 Michel de Certeau, La faiblesse de croire, Paris, Seuil, 2003.

59 François Suard, “La chanson de geste comme système de représentation du monde”, art. cit.

60 Claude Roussel, “Identité et transgression dans les chansons d’aventures”, art. cit.

61 Dominique Boutet, Charlemagne et Arthur, op. cit., p. 611-612.

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Pour citer ce document

Léo-Paul Blaise, «L’invention de l’histoire poétique de Dagobert. Un cycle épique mérovingien a-t-il été possible au XIVe siècle ?», Le Recueil Ouvert [En ligne], mis à jour le : 29/10/2023, URL : http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/339-l-invention-de-l-histoire-poetique-de-dagobert-un-cycle-epique-merovingien-a-t-il-ete-possible-au-xive-siecle

Quelques mots à propos de :  Léo-Paul  Blaise

Ancien élève de l’École Normale Supérieure de Lyon, Léo-Paul Blaise prépare actuellement une thèse en Lettres modernes intitulée “Le cycle de Dagobert ou la question d’un cycle archéologique” : les Mérovingiens dans la chanson de geste tardive”, sous la direction de Beate Langenbruch (CIHAM UMR 5648). Depuis 2019, il est codirecteur, avec Elena Podetti, du laboratoire junior “Épopées médiévales : frontières, échanges, héritages”.