Epopée, Recueil Ouvert : Section 4. État des lieux de la recherche

Christina Ramalho

À propos du "sujet” épique : héros, héroïnes et “anachronisme”

Résumé

Cet article entend contribuer au renouvellement de la vision du genre épique à travers le traitement de son héros/héroïne. Pour ce faire, il se concentrera sur le “sujet” épique, c’est-à-dire sur le héros/l’héroïne de certains longs poèmes qui mêlent histoire et mythe, en ayant recours ou non à des anachronismes. Il travaille à partir de plusieurs éléments : l’évolution du concept de sujet en tant que catégorie fondamentale dans les études littéraires, l’évolution du genre épique lui-même, celle de la représentation épique des femmes, ainsi que l’usage de l’anachronisme dans des poèmes épiques. Pour illustrer le propos, on s’appuiera sur le commentaire de quelques poèmes épiques d’expression anglaise : The Faerie Queene, d’Edmund Spenser ; Paradise Regained, de John Milton ; The Rape of the Lock, d’Alexander Pope ; The Fall of Hyperion, de Keats ; Christ, de Gavin Bantock ; et South America, Mi hija, de Sharon Doubiago.

Abstract

Titre anglais: About the epic subject: heroes, heroines and anachronism
This article aims to contribute to the renewal of the vision of the epic genre through the treatment of its hero/heroine. To this end, it focuses on the epic “subject”, that is to say on the hero/heroine of several long poems that blend history and myth, with or without using anachronisms. Several approaches contribute to this study: the evolution of the concept of subject as a fundamental category in literary studies, the evolution of the epic genre itself, the evolution of the epic representation of women, and the use of anachronism in epic poems. The analysis is illustrated by commentaries on a few English-language epic poems: The Faerie Queene, by Edmund Spenser ; Paradise Regained, by John Milton ; The Rape of the Lock, by Alexander Pope ; The Fall of Hyperion, by Keats ; Christ, by Gavin Bantock ; and South America, Mihija, by Sharon Doubiago.

Texte intégral

  
N.d.É. Article paru sous le titre “
About the epic subject : heroes, heroines and anachronism”, dans : Revista Épicas. Ano 5, N. 10, Décembre 2021, p. 162-179. ISSN 2527-080-X.
  
Ce texte est la traduction d’un article de la Revista Épicas, revue du Centre International et Multidisciplinaire d’Études Épiques (CIMEEP, Brésil), associée de longue date du Projet Épopée (voir https://www.cimeep.com et ici-même les présentations par sa directrice, dans les volumes 2018 et 2019).
  
Traduction DeepL, revue, corrigée et annotée par Camille Thermes, Université Grenoble-Alpes, laboratoire Litt&arts, en collaboration avec l’autrice.
Les éditeurs remercient Pierre Vinclair, qui a traduit pour cette publication les extraits de Spenser, Bantock et Doubiago.
  

Cet article s’intéressera au statut des héros et des héroïnes dans les poèmes épiques. Mon fil directeur sera l’analyse de Hall sur l’évolution du concept de sujet, et mon approche fera une place centrale à l’“anachronisme” au sens où Aravamudan et les travaux du CELIS entre 2015 et 2017 l’ont défini1. Je montrerai, à travers divers exemples de langue anglaise (Spenser, Milton, Pope, Keats, Bantock, Doubiago2) que cet “anachronisme” permet une actualisation et une appropriation créative par les auteurs successifs. Je prendrai pour exemple une des conséquences essentielles de cette réappropriation : l’irruption des femmes dans l’épique – aussi bien la transformation récente de leur représentation dans l’épopée que l’apparition d’autrices d’épopées. L’actualité du genre épique se manifeste en effet dans des formes renouvelées, comme le montre tout un courant actuel des études épiques, et le héros/l’héroïne en est un élément fondamental.

  • 4 Ibid.

  • 5 Notre traduction. Version originale :“While the Italian word anacronismo, m...

Dans les traditions épiques occidentales grecque et romaine, les modèles d’héroïsme épique peuvent être repris et transformés par différents poètes, par des procédés d’imitation partielle ou de reprise créative. Ainsi, lorsque nous explorons des catégories telles que le “sujet” et l’héroïsme épique, nous devons garder à l’esprit que celles-ci composent toujours avec un certain type d’anachronisme, parce que l’être humain est toujours partie prenante de l’histoire – de même que toutes les œuvres littéraires sont parties prenantes de la littérature comme expression humaine. Si nous en croyons Srinivas Aravamudan, “plus ou moins tout le monde” est concerné par l’anachronisme, dans la mesure où chacun de nous “dépasse l’historicisme objectiviste en refaisant une explication de lui-même dans le sillage des multiples futurs qui existent dans le maintenant, plutôt qu’en cédant à la tyrannie d’un maintenant totalisé qui mène prétendument à un futur singulier3”. Du coup, toujours selon Aravamudan, “le retour de l’anachronisme n’est rien d’autre que le retour du sujet4”. Concernant le concept d’anachronisme lui-même, il affirme, de manière particulièrement intéressante : “Si le terme italien anacronismo, signifiant “erreur chronologique”, est né à la fin du XVIe siècle, le mot anachronisme dérive du grec anachronismos, qui signifiait à l’origine “en retard5” . Il s’agira pour nous d’identifier les moments où la production épique parvient à faire de l’apparent anachronisme une manière de repenser l’inscription de l’être humain dans le monde.

  • 6 Voir Montandon, Alain et Neiva Saulo (dir.), Anachronismes créateurs, Clerm...

Les travaux du CELIS, et en particulier ceux qui concernent “l’anachronisme érigé en code”, permettent d’aller plus loin6. Ils ont fait émerger le concept d’anachronisme comme “revival” (“renouveau”) ainsi que son rapport avec les “rites littéraires” qui supposent une “sociabilité anachronique”. De notre point de vue, l’anachronisme comme “revival” suppose l’ouverture d’un temps dans le temps, dont l’objectif peut être justifié par la proposition, à travers un “rite littéraire”, de créer une connexion de sens qui ne passe pas nécessairement par la récupération d’un passé épuisé, mais par sa réinvention.

Dans le cadre spécifique de cet intérêt pour le sujet épique, il n’est pas besoin de reprendre l’ensemble des contributions des philosophes, sociologues et anthropologues, de Descartes à Foucault et Kristeva en passant par Kant, Marx, Beauvoir et Derrida. L’exploration de la catégorie héros/héroïne épique implique bien sûr une réflexion théorique sur la question du sujet, puisqu’ils ne sont envisagés comme tels qu’en tant qu’ils sont sujets de l’action et du discours ; le héros et l’héroïne épiques étant avant tout des représentations culturelles, il semble fécond d’étudier ici le sujet en tant que catégorie culturelle.

I. Les évolutions du concept de sujet : l’“anachronisme” comme moteur de la transformation épique

Le sujet épique possède des caractéristiques spécifiques dont certaines sont intimement liées à ses déplacements dans le monde, eux-mêmes liés à la structure narrative du genre. Le sujet épique est un “être en action”. Par cette action, il acquiert une valeur sociale et symbolique : représenter l’inscription historico-existentielle de l’être humain qui a réussi à accomplir un “voyage” dans le monde, en intégrant à ce voyage une expérience mythique qui intensifie sa valeur symbolique. Parce que ma recherche s’intéresse à la différentiation genrée des sujets épiques, ce qui me retiendra particulièrement sera de comprendre comment l’évolution des modes de représentation de l’être humain dans la société a permis à l’héroïsme épique de cesser d’être une exclusivité masculine, accompagnant ainsi les changements radicaux qui ont affecté la représentation des femmes dans les deux derniers siècles.

  • 7 HALL, Stuart. A identidade cultural na pós-modernidade [The question of cul...

Les théories du sujet de Stuart Hall vont nous aider à comprendre la présence de l’héroïsme dans l’épopée à travers les âges. Retraçons quelques-unes de ses réflexions. Stuart Hall distingue en effet trois moments historiques pour le sujet culturel : le sujet des Lumières, le sujet sociologique et le sujet post-moderne7.

Les réflexions de Hall, en saisissant des changements fondamentaux dans la façon dont la société construit, comprend et reçoit l’héroïsme, nous aident à mieux comprendre comment la présence de modèles épiques antérieurs affecte la perception de l’héroïsme d’hier et d’aujourd’hui. Par exemple, lorsqu’on se réfère au “Christ” de Bantock, il faut replacer la signification du Christ dans le contexte du XXe siècle, lorsque l’histoire de la vie privée est devenue une référence valable comme représentation de l’histoire humaine. Dans le même temps, revisiter les modèles antérieurs du sujet (et de l’héroïsme) peut aussi correspondre à différentes formes d’anachronisme. En effet, le dialogue avec des textes anciens peut soit consolider une vision traditionnelle, soit analyser une telle vision à partir de perspectives contemporaines permettant d’observer les actes du sujet héroïque du passé à la lumière de nouvelles conceptions de l’histoire, du sujet et même de l’héroïsme. On peut par exemple penser à la présence d’Achille, d’Ulysse et d’Enée, entre autres, dans le poème El carrito de Eneas (2003), de l’argentin Daniel Samoilovich, dans lequel les héros de l’urbanité argentine contemporaine– les éboueurs recycleurs –sont nommés d’après des héros gréco-romains. De sujets invisibles, ces éboueurs deviennent des héros, représentants symboliques de la lutte pour la survie dans des conditions défavorables, et leur mission est de transporter les fragments d’histoire dispersés sous forme de papier, de verre, de vaisselle, etc. La référence aux héros Antiques aboutit donc non pas à la création d’un seul, mais de plusieurs protagonistes, puisque divers sujets jusqu’alors invisibles deviennent ainsi des symboles héroïques du quotidien.

Le sujet des Lumières

Le sujet des Lumières s’est constitué à partir des constructions théoriques de Descartes qui, postulant la dichotomie matière/esprit, a fait de l’être humain le sujet d’une expérience de vie rationalisée. Selon Stuart Hall, ce postulat a déconstruit l’asservissement de l’être humain aux logiques religieuses, qui entravaient jusqu’alors la connaissance de soi dans le but d’exercer un contrôle sur les comportements. Pour cette raison, avant ce que Hall appelle le sujet des Lumières, l’être humain ne pouvait pas se concevoir lui-même en tant que sujet. Même à l’époque classique – malgré sa conception anthropocentrique – il revenait au philosophe de guider l’être humain vers l’intelligible, en le détournant du chemin sensible qui, dans la perspective philosophique, éloignait l’être de la connaissance.

Avant de s’arrêter sur ce sujet des Lumières, il faut en effet noter un premier stade de cet “anachronisme” : avec le christianisme, c’est la religion qui a assumé ce rôle de guide, comme en témoigne ce passage du Paradis retrouvé, de John Milton (1608-1674) :

I, Who erewhile the happy Garden sung,

By one mans disobedience lost, now sing

Recover’d Paradise to all mankind

By one mans firm obedience fully tri’d

Through all temptation, and the Tempter foil’d

In all his wiles, defeated and repuls’t,

And Eden rais’d in the wast Wilderness8.

1Moi qui chantais jadis le bienheureux jardin

2Perdu par la désobéissance d’un seul, je chante maintenant

3Le paradis recouvré pour tous les humains

4Par la ferme obéissance d’un seul, pleinement éprouvé

5A travers toutes les tentations, et le Tentateur déjoué

6Dans toutes ses ruses, défait et repoussé,

  • 9 MILTON, John. Le Paradis reconquis, traduction française de Jacques Blondel...

7Et le jardin d’Eden dressé dans la stérile étendue9.

De la même manière que la muse épique n’était pas la même dans les épopées homériques et virgilienne, l’héroïsme épique de Milton diffère de celui des héros grecs et romains : ici, la principale bataille à gagner n’est pas une bataille humaine, mais une bataille contre les forces du Mal, contre la tentation qui détourne l’homme de Dieu. C’est pour cette raison que la voix épique du poème de Milton revendique :

Thou Spirit, who ledst this glorious Eremite

Into the Desert, his Victorious Field

Against the Spiritual Foe, and broughtst him thence

By proof th’ undoubted Son of God, inspire,

As thou art wont, my prompted Song else mute,

And bear through highth or depth of Natures bounds,

With prosperous wing full summ’d to tell of deeds

Above Heroic, though in secret done,

And unrecorded left through many an Age,

  • 10 Milton, John. Paradise Regained, op. cit.

Worthy t’have not remain’d so long unsung10.

O Esprit qui menas ce glorieux ermite

8Dans le désert où il remporta la victoire

9Sur l’ennemi spirituel, et qui l’en fis sortir,

10Quand l’épreuve eut montré qu’il était sans conteste Fils de Dieu,

11Viens selon ta coutume inspirer mon chant et lui donner la voix,

12Et porte-le à travers le zénith ou l’abîme des confins de la nature,

13L’aile vaillante et large, pour conter les hauts faits

14Qui passent l’héroïque, accomplis cependant en secret

15Dont maint siècle oublia de retenir la trace,
Dignes d’avoir plus tôt fait vibrer une lyre11.

Malgré la distance idéologique qu’il prend, Milton s’appuie sur la tradition pour élaborer son propre sujet, inscrivant délibérément son poème dans cette tradition par de très nombreuses références classiques12. Du coup, il peut construire son propos en travaillant la tradition de l’intérieur. C’est une première forme de ce que Aravamudan appelle l’anachronisme, dont nous allons voir la fécondité pour l’épique.

Pour Hall, la conscience cartésienne a placé l’être humain au centre de la connaissance philosophique. Ce sujet des Lumières, égocentrique, masculin et individualisé, a été repris par Locke, pour qui l’individu était “souverain” car il avait la possibilité de guider sa conscience vers le passé, le présent et le futur, pour organiser rationnellement son expérience existentielle. Curieusement, cette nouvelle expérience a provoqué un retour vers la poésie épique classique et religieuse, sous la forme d’une série de poèmes épiques satiriques (mock-epic), qui “utilisent la structure épique mais à une échelle miniature, pour des sujets triviaux et sans importance13”. Ainsi, dans le poème héroï-comique d’Alexander Pope (1688-1744), The Rape of the Lock (1712-14)14, l’ouverture du texte nous montre comment Pope a affronté avec ironie la tradition épique religieuse :

The Machinery, Madam, is a term invented by the critics, to signify that part which the Deities, Angels, or Dæmons, are made to act in a poem: for the ancient poets are in one respect like many modern ladies; let an action be never so trivial in itself, they always make it appear of the utmost importance. These Machines I determined to raise on a very new and odd foundation, the Rosicrucian doctrine of Spirits.

I know how disagreeable it is to make use of hard words before a lady ; but it is so much the concern of a poet to have his works understood, and particularly by your sex, that you must give me leave to explain two or three difficult terms.

The Rosicrucians are a people I must bring you acquainted with. The best account I know of them is in a French book called Le Comte de Gabalis, which, both in its title and size, is so like a novel, that many of the fair sex have read it for one by mistake. According to these gentlemen, the four elements are inhabited by Spirits, which they call Sylphs, Gnomes, Nymphs, and Salamanders. The Gnomes, or Dæmons of earth, delight in mischief ; but the Sylphs, whose habitation is in the air, are the best conditioned creatures imaginable ; for, they say, any mortal may enjoy the most intimate familiarities with these gentle spirits, upon a condition very easy to all true adepts, – an inviolate preservation of chastity.

  • 15 Pope, Alexander. The Rape of the Lock. An heroi-comical poem. Illustrated ...

As to the following cantos, all the passages of them are as fabulous as the Vision at the beginning, or the Transformation at the end (except the loss of your hair, which I always mention with reverence). The human persons are as fictitious as the airy ones ; and the character of Belinda, as it is now managed, resembles you in nothing but in beauty15.

Machines, Madame, est un terme inventé par les critiques pour désigner les actions par lesquelles les dieux, les anges ou les démons sont censés intervenir dans un poème. C’est que les poètes de jadis n’étaient pas différents de bien des dames d’aujourd’hui : aussi triviale soit une action en elle-même, ils la faisaient toujours apparaitre de la première importance. Ces machines, je les ai quant à moi élaborées à partir d’une base à la fois très nouvelle et très étrange : la doctrine des esprits de la Rose-Croix.

Je sais comme le recours au jargon peut être désagréable aux oreilles d’une dame ; mais c’est si important, pour le poète, que ses ouvrages soient bien compris, et tout particulièrement de votre sexe, que vous devez me laisser ici expliquer deux ou trois de ces termes difficiles.

Les Rosicruciens forment une communauté que je dois vous présenter. C’est dans un livre français que l’on peut en lire la meilleure description, d’après moi : Le Comte de Gabalis, un ouvrage qui par son titre et son volume ressemble à une simple nouvelle, si bien que beaucoup de personnes du beau sexe s’y sont trompées. D’après les membres de cette fraternité, les quatre éléments sont peuplés d’esprits, qu’ils appellent sylphes, gnomes, nymphes et salamandres. Les gnomes, ou démons de la terre, prennent plaisir au mal ; mais les sylphes, qui habitent l’air, sont les créatures les mieux disposées qu’on puisse imaginer. Ces messieurs prétendent même que tout mortel peut jouir de la plus grande intimité avec ces agréables esprits, à une condition facile à honorer pour les véritables fidèles : à savoir une absolue, une inviolable chasteté.

  • 16 Traduction française de Pierre Vinclair : op. cit..

Quant aux chants ci-après, tous relèvent de la fable, autant la vision qui les ouvre que la métamorphose finale (à l’exception donc de la perte de votre mèche, que je ne décris jamais qu’avec révérence). Les personnages humains y sont aussi fictifs que les esprits aériens ; et quant à Bélinda, il est maintenant fait en sorte qu’elle ne vous ressemble que par sa beauté16.

L’“anachronisme” (Aravamudan) prend là une nouvelle forme. Les parodies et les variations comiques constituent des formes d’opposition à une tradition dans laquelle l’être humain ne pouvait plus se reconnaître. Comme le dit Aravamudan, “toute analyse d’un anachronisme, qu’il s’agisse d’un événement ou d’une période, doit prendre en compte la fonction de datation qui rend possible de tels discernements17”. Ces reprises visant à démanteler la tradition sont le fruit d’une époque où la place de l’humain était elle aussi déconstruite. Elles étaient une manière cartésienne d’essayer d’ordonner le nouveau à partir de la négation de l’ancien.

Alex Eric Hernandez le voit comme un “outil” chez Pope18 :

Pope critique ceux qui voudraient faire du cœur éthique du christianisme une marchandise, en affirmant de manière provocante que, comme les poudres utilisées pour embellir Belinda, la Bible peut devenir simplement un instrument pour ceux qui cherchent à se donner une position sociale – ou, peut-être plus insidieusement, devient un outil idéologique pour une société qui s’industrialise rapidement19.

Pope rationalise donc la foi en l’assimilant à un objet de consommation, ce qui déconstruit le modèle du sujet épique héroïque vu chez Milton. D’une certaine manière, à travers une perspective comique, Pope rend le héros épique artificiel en rendant artificielles les valeurs religieuses qui le meuvent.

L’existence d’œuvres satiriques qui dialoguent avec l’épopée ou s’approprient le genre, permet de comprendre les transformations qui touchent aussi bien la relation entre sujet et société que le concept même de sujet. Et le héros épique est, en quelque sorte, une figure emblématique de ces transformations, puisqu’il représente un modèle idéalisé de conduite et de caractère. Tom MacFaul réfléchit à l’utilisation que fait Pope de l’épopée antique pour critiquer les valeurs héroïques de son époque20 :

Certes, la miniaturisation de l’héroïque dans le poème a en partie pour effet de suggérer une diminution générale et une esthétisation des valeurs héroïques à la cour d’Elisabeth, comme le souligne Robert A. Brinkley, mais l’idée que l’action héroïque est viciée et enchevêtrée dans des réseaux de pouvoir qui dépassent l’entendement du héros permet au code héroïque d’être à la fois valorisé et traité comme dépassé. Ce type d’épopée satirique est très proche de l’attitude des épopées les plus authentiques, comme l’Iliade et l’Énéide21.

Comme le rappellent tous les manuels de littérature, l’épopée satirique ne se moque pas vraiment de l’épopée, “mais plutôt de l’incapacité de sa société à s’élever aux normes épiques22”. D’une certaine manière, le modèle du héros épique classique peut donc être réemployé pour penser les nouveaux sujets qui apparaîtront dans les épopées à travers les âges. Et ce réemploi tend parfois à déconstruire le modèle classique lui-même, constituant ainsi une ressource créative pour s’approprier l’ancien et concevoir le nouveau.

  • 23 Inspirée d’un personnage réel, Arabella Fermor.

De plus, dans le poème de Pope, quelque chose d’autre se détache : le rôle central est donné à une femme, Belinda23. Cette dernière se révèle être une sorte de symbole de ce qui, selon le poème, constitue le vrai visage de la Religion : une chose à la mode. Dans “les épisodes qui confondent l’iconographie religieuse avec l’idéologie du mercantilisme capitaliste24”, l’auteur montre les processus de rationalisation d’une expérience qui était à l’origine mythique/mystique.

Le sujet sociologique

Ce sujet rationnel laissera lui aussi la place à d’autres modèles. Selon Hall, la complexité des sociétés modernes a dilué le pouvoir d’action du sujet cartésien et a fait remonter à la surface les injonctions sociales et les déterminismes biologiques darwiniens – facteurs décisifs dans la transformation du sujet en un concept social. L’individualité est alors devenue une donnée au sein de la complexité de l’expérience existentielle humaine, désormais plutôt pensée selon le prisme culturel des relations entre l’individu et la société. Dans ce processus, cependant, les effets d’une conception cartésienne du sujet peuvent encore se faire sentir. En effet, selon un dualisme strict, la psychologie prend en charge la compréhension du sujet individuel tandis que la sociologie s’attache à la compréhension du sujet social. Pour Hall, ce sujet sociologique, perdu dans le maniement de ses masques sociaux, n’a pas accédé à une dimension individuelle. Et il lui semble qu’implicitement la marque individuelle reste une projection masculine, qui s’ajoute désormais aux référents racial (blanc), géoculturel (occidental) et économique (bourgeois).

Shelley (1792-1822) et Keats (1795-1821), situés précisément à cette frontière entre le sujet des Lumières et le sujet sociologique, fournissent des exemples pour illustrer les évolutions du concept de sujet. Certains aspects littéraires classiques ont été revisités par eux, bien que dans des perspectives différentes25. Le poème The Fall of Hyperion (1819), de Keats, présente une nouvelle vision de la place que le rêve pourrait occuper dans un poème épique. Et cette vision a certainement influencé les transformations qui ont affecté le genre épique au XIXe siècle, tant en ce qui concerne son lien avec l’héroïsme qu’en ce qui concerne son lien avec l’Histoire. Ainsi, l’ouverture du poème :

CANTO I26

Fanatics have their dreams, wherewith they weave

A paradise for a sect ; the savage too

From forth the loftiest fashion of his sleep

Guesses at Heaven ; pity these have not

Trac’d upon vellum or wild Indian leaf

The shadows of melodious utterance.

But bare of laurel they live, dream, and die ;

For Poesy alone can tell her dreams,

With the fine spell of words alone can save

Imagination from the sable charm

And dumb enchantment. Who alive can say,

‘Thou art no Poet may’st not tell thy dreams?’

Since every man whose soul is not a clod

Hath visions, and would speak, if he had loved

And been well nurtured in his mother tongue.

Whether the dream now purpos’d to rehearse

Be poet’s or fanatic’s will be known

When this warm scribe my hand is in the grave.

CHANT PREMIER

16Le fanatique en rêvant peut ourdir

17Un paradis pour secte ; et le sauvage

18Grâce aux nobles élans de son sommeil

19Pressent le Ciel : que n’ont-ils consigné

20Sur vélin, ou sur une feuille d’arbre indienne

21Ces ombres d’un mélodique discours.

22Chez eux, on vit, rêve et meurt sans laurier ;

23Car seule la Poésie dit ses rêves

24Et par la magie des seuls mots préserve

25L’imagination du noir sortilège

26Et du charme muet. Quel vivant peut dire :

27“Poète tu n’es point ; tais donc tes rêves” ?

28Quand chacun dont l’âme n’est pas que glaise

29Est visionnaire et voudrait s’exprimer,

30Eût-il pu aimer, se faire à sa langue ?

31Ce rêve qu’or j’entends narrer naît-il

32Du Poète ou du Fanatique ? Seule

33À sa mort le dira ma main, mon scribe27.

Lorsque Keats repense la place de la poésie, il bouscule la vision cartésienne logique du monde. Pour lui, il est clair que la division entre les perspectives rationnelle et subjective de la vie n’est pas suffisante pour donner une signification à la présence humaine dans le monde. Dans ce contexte, la poésie épique doit faire évoluer ses propres perspectives, principalement sur des thèmes comme l’histoire, l’héroïsme, et la société. À travers la présentation que fait Vincent Newey de l’histoire de la création de The Fall of Hyperion – qui met l’accent sur la construction des personnages Saturne et Océanus, dans la première version, Hyperion – il est possible de discerner un exemple du conflit qui se joue entre ces deux perspectives28 :

C’est aussi une période d’intense activité intellectuelle. Il lit et annote attentivement le Paradis perdu à partir de la fin de l’année 1817 et emporte avec lui la traduction de la Divine Comédie de Dante par Cary, lors de son voyage dans le Nord de l’été 1818. Ce travail de lecture s’inscrit dans un effort soutenu d’exploration et de réflexion qui englobe à la fois des questions esthétiques plus vastes, les événements contemporains, et le cours des affaires humaines. Keats a commencé Hyperion à l’automne 1818, l’a abandonné, au milieu d’une phrase en avril 1819, et a commencé une reconstruction sous le titre The Fall of Hyperion (…).

En passant en revue la grande marche de l’esprit (“the grand march of intellect29), Keats a pris soin de louer le “génie” poétique de Wordsworth plutôt que la “philosophie” de Milton. La philosophie d’Oceanus est décidément peu miltonienne, car non théologique. Les questions du bien et du mal, du vice et de la vertu, de l’action morale, de la damnation ou de la rédemption du péché, ne figurent pas dans son récit du destin universel vers une “perfection progressive30”.

Le processus de création de Keats implique ainsi une profonde réflexion sur le rôle de la littérature. Comme chez Dante, le je lyrique/narrateur est le héros qui devra relever le défi douloureux consistant à unir la raison et l’imagination. Son guide durant son voyage est la muse Moneta (la Mnémosyne des Grecs), qui souligne, d’une certaine manière, que la souffrance est une composante nécessaire pour atteindre une vision véritablement artistique. Dans le chant II, Moneta révèle qu’il existe un plan intangible, que l’humain n’atteint qu’en imagination :

Mortal, that thou may’st understand aright,

‘I humanize my sayings to thine ear,

‘Making comparisons of earthly things;

‘Or thou might’st better listen to the wind,

‘Whose language is to thee a barren noise,

‘Though it blows legend laden through the trees.

‘In melancholy realms big tears are shed,

‘More sorrow like to this, and such like woe,

  • 31 Keats, John, The Fall of Hyperion, op. cit.

‘Too huge for mortal tongue, or pen of scribe31.

34CHANT SECOND

35“Je veux, mortel, de toi me faire entendre,

36Tends l’oreille : j’humanise mes dires,

37Et de ce qu’on voit sur Terre m’inspire ;

38À moins qu’écouter le vent t’aille mieux :

39Son langage n’est pour toi qu’un son vide,

40Quand aux bois il bruit en fait de légendes :

41Un royaume amer pleure à chaudes larmes,

42Peine analogue et semblable malheur,

  • 32 Keats, John, La Chute d’Hypérion, op. cit., p. 59.

43Au conteur comme au scribe inaccessibles32.

Pour résoudre ce conflit, l’être humain devra faire fusionner la connaissance scientifique et l’observation de la réalité sociale, tout en ouvrant un espace à la sensibilité imaginative offerte par le langage. Mais le poids du désordre social allant croissant conduira à l’impossibilité d’une réconciliation entre le sujet sociologique et la tradition représentée par le sujet des Lumières.

  • 33 HALL, Stuart. A identidade cultural na pós-modernidade [The question of cu...

Ainsi, depuis la fin du XIXe siècle, l’impossibilité d’établir une union entre l’individuel et le social projette le sujet dans une situation chaotique et fait surgir la “figure isolée, exilée ou aliénée de l’individu, mise en arrière-plan de la foule ou de la métropole anonyme et impersonnelle33”. Les œuvres ponctuelles d’artistes tels que Baudelaire et Kafka mettent en évidence l’expérience singulière du sujet, pris soit comme un flâneur, soit comme un dandy, soit encore comme un sujet hors de son corps. Le sujet mouvant, pensé comme un corps perdu dans l’espace ou comme un esprit désincarné, révèle le décentrement de l’être. Autrement dit, l’identité du sujet étant fragmentée, tout centre devient impossible, ou mieux encore, de multiples centres coexistent.

Le sujet post-moderne

C’est cet être décentré qui définit pour Hall le sujet post-moderne. Il remarque qu’“une structure déplacée est une structure dont le centre est déplacé, et se trouve non pas remplacé par un autre centre, mais par une pluralité de centres de pouvoir34”. Il relève les cinq propositions théoriques qui lui semblent marquer la transformation du sujet des Lumières en sujet post-moderne, en passant par le sujet sociologique : le structuralisme marxiste, représenté principalement par Louis Althusser ; la découverte de l’inconscient par Freud – et les visions ultérieures, comme celles de Lacan ; le structuralisme linguistique de Ferdinand de Saussure et les travaux postérieurs, comme ceux de Jacques Derrida et d’autres penseurs qui ont affirmé l’impossibilité d’un discours totalement individualisé ; les études philosophiques et historiques de Michel Foucault sur les mécanismes de pouvoir et les contrôles disciplinaires devant assurer la docilité de l’être humain ; et, enfin, les théories et les mouvements sociaux de nature féministe, comme ceux de Simone de Beauvoir et de Julia Kristeva, qui ont déconstruit les dichotomies culturellement ancrées comme, par exemple, “le public et le privé” et ont tourné leurs réflexions et leurs actions vers l’appréhension de la formation des identités sexuelles et de genre.

Toutes ces évolutions théoriques concernant l’existence humaine ont confirmé et, d’une certaine manière, impulsé le processus de re-fragmentation des identités déjà fragmentées par l’incompatibilité entre l’individuel et le social. Bien que parmi la fragmentation du sujet des Lumières et du sujet sociologique on puisse encore entrevoir, avec une certaine facilité, les marques de la polarisation masculin/blanc/occidental/bourgeois, on ne peut nier que ce processus chaotique a initié la déconstruction des catégories axiologiques et exclusives de classe et genre.

Pour toutes ces raisons, considérer le parcours du sujet épique comme l’une des catégories symboliques de l’expérience existentielle humaine nous amène à comprendre que, si le sujet cartésien masculin a été déconstruit par l’effet d’une lecture sociologique de la vie humaine, cela n’a pas amené à une réorganisation de la société. Cette orientation formulait seulement des injonctions sociales, sans entraîner la redistribution des rôles sociaux.

Toujours pour Hall, le passage de la pensée structuraliste à la pensée post-structuraliste a cependant favorisé, sinon une redistribution, du moins une déconstruction des sources et des formes du pouvoir. La vision de l’histoire, par exemple, qui adoptait jusqu’alors une orientation patriarcale dans sa lecture des faits, a été contrainte à se redéfinir sur les plans philosophique et théorique. De cette réorientation découle la possibilité de repenser la catégorie du sujet historique et, par conséquent, de revoir la formation des identités nationales. Le sujet post-moderne étant, comme on l’a vu, un sujet décentré, c’est, comme le propose Homi K. Bhabha (1998), dans l’“espace interstitiel” que nous le redécouvrirons35. Or, l’“espace interstitiel” intègre à sa structure complexe plusieurs dimensions de l’existence humaine, dont la mythologie. C’est sous cet angle que les figures du héros et de l’héroïne épiques, pensés ici comme sujets épiques, acquièrent une nouvelle pertinence. Les premières manifestations du discours épique dans la littérature occidentale ont révélé les héros comme des sujets en mouvement, qui devaient circuler entre les plans historique et merveilleux et agir dans les deux, de manière à être l’agent du fait et du mythe. On peut donc penser que l’héroïsme épique constitue l’allégorie parfaite de la conquête de cet espace interstitiel proposé par Bhabha, c’est-à-dire que le sujet épique, habitant la double dimension historique et mythique de l’être, vit une expérience enrichissante qui le projette simultanément dans le national et dans l’universel, dans le champ des injonctions historico-culturelles et dans le champ des injonctions mythico-symboliques36. Cette existence, par conséquent, lui permet la conquête symbolique (car littéraire) d’une individualité.

II. La femme comme “sujet secondaire” dans la littérature épique

Dans The Power of Myth, Joseph Campbell a défini le profil des héros de récits mythiques aux origines les plus diverses37. Pour lui, la performance héroïque présuppose un déplacement dans le monde, une prédisposition et une compétence à agir hors des lieux sacrés comme hors de la dimension rassurante du foyer, pour se lancer dans l’espace inconnu de la “forêt dense”. La performance au sein d’un espace géographique inconnu souligne le caractère nomade et original des exploits héroïques. Du héros primitif qui tuait des monstres à travers le monde, au héros spiritualisé, tel Moïse, dont la tâche était de diffuser de nouvelles connaissances à son peuple, la mission héroïque la plus archaïque incluait l’affrontement d’antagonismes et de dualités constantes dans l’expérience humaine. Reprenant à son compte la vision patriarcale, Campbell réemploie les injonctions culturelles qui assignent les femmes à l’immobilité. Bien qu’il définisse les héros comme des “personnes” (people), sans distinction de genre, ses considérations font implicitement référence à l’impossibilité tacite de penser le déplacement des femmes dans le monde. Il faut donc se poser la question des obstacles qui s’érigent culturellement contre l’épique féminin.

Depuis la culture classique occidentale jusqu’au sujet cartésien, à de rares exceptions près, la fonction héroïque épique ne revient pas à une femme. Bien sûr, dans les récits mythologiques, les femmes pouvaient assumer des postures guerrières, telles les déesses de l’Olympe. Et de même, dans la réalité historique, il se trouve des femmes qui ont rompu avec les paradigmes du comportement féminin et se sont précipitées dans la “forêt dense”. Mais, comme on l’a vu précédemment à propos de la circularité du fait culturel, la littérature a privilégié les versions des mythes qui se référaient aux exploits héroïques masculins, et ignoré le plus souvent les versions moins orthodoxes dont les exploits féminins obscurcissaient les paradigmes.

Appartenant au monde domestique, la femme ne joue en général qu’un seul rôle : celui d’apaiser les sentiments qui peuvent influer sur l’expérience héroïque de l’homme, comme la peur, la faiblesse, l’ennui et le doute. Le fait de savoir que le “lieu sacré” reste gardé par la femme facilite l’exécution du parcours cyclique du héros – départ, accomplissement et retour – en plus d’adoucir l’affrontement des défis héroïques. Par conséquent, en tant que co-sujet de l’action, la femme ne vit pas la plénitude du déplacement et ne tente même pas le défi de l’inconnu. Et ce, alors même que le fait d’affronter et de surmonter le défi est alors culturellement considéré comme la façon de progresser, d’accéder au mérite et au salut. Figure immobile, la femme accomplit donc un destin de soumission et de silence.

Dans la perspective héroïque, l’affrontement des épreuves avait, et a toujours, la dimension d’une “prouesse”. Qu’il soit physique – lorsqu’il requiert une force extraordinaire, avec souvent pour enjeu de sauver des vies humaines –, ou spirituel – lorsqu’il implique de faire face au “niveau supérieur de la vie spirituelle” (Campbell) et de convertir l’expérience en un message à diffuser – l’exploit héroïque exigeait jusqu’au XVIIe siècle un esprit aventureux, explicitement masculin. Par définition, la passivité et l’immobilité de la femme lui refusaient la possibilité d’affronter les épreuves héroïques, ne lui laissant que les domestiques, qui n’avaient évidemment pas le même statut. Et toutes les actions des femmes visant à briser ce conditionnement dichotomique étaient historiquement et culturellement occultées.

Dans cette optique, la construction de l’identité épico-héroïque du sujet ne peut être que masculine. En outre, la carrière héroïque requiert systématiquement loyauté, tempérance et courage. Les exploits ou les aventures du héros n’influencent pas seulement son identité individuelle, mais aussi l’identité nationale. Autrement dit, la performance héroïque du sujet a également le rôle culturel d’établir le lien entre l’individu et son pays. Il est donc également compréhensible qu’en raison de la nécessité de construire et de réaffirmer les identités nationales, de nombreux héros épiques, tous hommes, représentés dans les poèmes épiques néoclassiques et romantiques, aient été construits à partir du contexte historique, et non plus du contexte mythique de l’Antiquité. Lorsque l’action héroïque revêtait une dimension épique, c’est-à-dire lorsque ces exploits ou ces aventures dépassaient le plan historique pour prendre une dimension mythique, l’héroïsme avait une valeur encore plus grande sur le plan culturel, puisque les conquêtes du héros épique devenaient les conquêtes d’une collectivité représentée en lui et par lui.

Privée de la possibilité de se déplacer, la femme était psychologiquement immobile et dépendante ; incapable, donc, de se découvrir elle-même. L’histoire de l’expérience féminine réelle a également été négligée, comme si elle ne pouvait pas voyager à travers les dimensions réelles et mythiques par lesquelles se constitue une identité culturelle. Ce n’est qu’à partir des conquêtes signalées par Stuart Hall après le moment du sujet sociologique que l’identité du sujet s’est finalement détournée du masculin et ouverte aux multiples expériences de l’existence, dont celle de la conquête et du déplacement géographiques féminins.

Aujourd’hui, dans notre littérature post-moderne, le déplacement du sujet, susceptible d’être représenté allégoriquement soit par le héros, soit par l’héroïne épique, semble attester de ce que Homi Bhabha appelle “l’étrangeté38”. Sans avoir à franchir les limites d’un lieu sacré, notamment parce que ce lieu sacré s’est dilué dans l’espace hybride et globalisé, le héros et l’héroïne épiques peuvent vivre l’expérience de l’inhabituel, de la non-homogénéité (Bhabha) et agir, comme l’a formulé Anazildo V. da Silva (2002), en faisant l’“expérience du chaos”.

À la lumière de ce que l’on vient de voir, on peut donc affirmer que la femme n’a jamais existé en tant que sujet des Lumières ou en tant que sujet sociologique, car elle a en fait toujours agi en tant que “co-sujet” – “sujet secondaire”. Ce n’est que lorsque la catégorie du genre a commencé à être pensée de manière théorique et critique – et historique –, que les actes des femmes ont commencé à donner lieu à des représentations culturelles et qu’elles ont pu être perçues comme des sujets. Ce qui rend cette question plus complexe, c’est que cette possibilité pour la femme “d’être” (et non de “co-être”, d’être de façon secondaire), s’est déployée en même temps que l’idée globale de “non-être”, c’est-à-dire en même temps que la négation de la capacité du concept de sujet à représenter l’identité humaine. Bien que nous n’ayons pas ici la prétention de définir ou de redéfinir le sujet de manière exhaustive, il est possible de poser la question : est-il plus prudent, ou légitime, d’affirmer qu’une femme ne peut pas être perçue comme un sujet des Lumières ou un sujet sociologique (puisqu’elle a toujours été un co-sujet dans l’Histoire), ou bien d’envisager que le sujet des Lumières et le sujet sociologique, tels qu’ils ont été définis, ne sont pas des catégories théorico-critiques suffisantes pour lire l’expérience existentielle humaine à travers les époques ? En d’autres termes, faut-il employer ces concepts et laisser de côté la femme en tant que catégorie de genre, ou les transgresser pour repenser le rôle des femmes dans le monde, à partir de paramètres conceptuels autres que ceux relatifs au concept de sujet ?

  • 39 Pour un exemple d’étude qui s’appuie sur une telle hypothèse de travail, v...

S’il est possible de transgresser ces concepts lorsque l’on s’intéresse à l’“existence” de manière générale, l’exercice devrait aussi être possible dans le cadre du sujet épique, en prenant toutefois garde à ne pas négliger le contexte déterminé dans lequel les œuvres ont été produites. Il faudrait ainsi revoir toute la lecture canonique des épopées occidentales qui ont précédé le XVIIIe siècle, pour chercher si la condition de co-sujet épique des femmes est un fait historiquement indéniable, ou s’il est simplement la conséquence d’une lecture biaisée des poèmes épiques39. Il existe des poèmes comme The Faerie Queene (1589-1596), d’Edmund Spenser, qui nous invitent à réfléchir à la signification de la présence des femmes dans les anciennes structures de pouvoir. Dans le début du livre trois, par exemple, la chasteté est personnifiée par une figure féminine, Britomartis :

It falls me here to write of Chastity,

The fayrest virtue, far aboue the rest ;

For which what needs me fetch from Faery

Forreine ensamples, it to haueexprest ?

Sith it is shrined in my Souerainesbrest,

And formd so liuely in each perfect part,

That to all Ladies, which haue is profest,

Neede but behold the pourtraict of her hart,

  • 40 Spenser, Edmund. The Faerie Queene. London: New York : Routledge (2006), p...

If pourtrayd it might bee by any liuing art40.

44Il m’incombe d’écrire sur la Chasteté,

45Plus pure des vertus, qu’elle prime sans peine,

46Pour laquelle chercher un exemple étranger

47Trop loin de moi serait une entreprise vaine,

48Du fait qu’elle est enclose en le sein de ma Reine,

49Et faite si vivante en ses nobles parties

50Qu’à toute Dame qui voudrait l’avoir pour sienne,

51Contempler un portrait de Son cœur eût suffi

52Si portrait se pût faire en un art ayant vie41.

Établissant un dialogue avec la poésie épique de l’Arioste, et faisant explicitement référence à des poèmes d’Homère et de Virgile, Spenser réalise, avec The Faerie Queene, une confrontation de valeurs et d’idéologies, opposant les univers catholique et protestant dans une œuvre allégorique sur les vertus et la politique. Cette œuvre demeure néanmoins inachevée. La reine des fées (Gloriana), elle-même, est l’un des personnages féminins épiques qui nécessite une approche plus approfondie, puisqu’elle est la représentation de la reine Elisabeth I. Pour le dire autrement, les personnages féminins qui apparaissent dans les épopées anglaises reproduisent une condition historique particulière dans laquelle les femmes liées aux structures du pouvoir en Angleterre ont dépassé la condition de “co-sujets” que nous voyons dans beaucoup d’autres cultures. Dans une culture où les figures féminines occupent des places importantes dans les structures de pouvoir, il est pertinent d’analyser cette dimension épique pour étudier la présence des femmes dans les poèmes épiques.

III. Fécondité du sujet post-moderne : la fragmentation à l’œuvre dans Christ et South America. Mi hija

La fragmentation du sujet et son décentrement, qui ont conduit au sujet post-moderne, n’empêchent pas de comprendre l’être comme un individu. Au contraire, ces transformations ont résolu la question de l’individualité dans le sens où l’individu, en tant que catégorie, n’existe plus (s’il a jamais existé) en tant qu’unité psychologique ou sociale fixe, car il est conçu comme intrinsèquement multiple. Bien que cette vision de l’être (ou du sujet) soit complètement contraire aux perspectives d’ordre dialectique – qui, jusqu’à tout récemment, ont guidé l’évolution de la pensée occidentale – puisqu’elle établit l’existence non pas d’un, mais de plusieurs sujets en un, on ne peut nier l’ouverture qu’apporte cette nouvelle approche du sujet en ce qui concerne l’existence humaine. La fragmentation du sujet n’est pas la négation de l’identité, mais une autre manière de la comprendre. Un bon exemple des possibilités qui s’ouvrent alors est le poème épique Christ, de Bantock42.

Bantock : réinventer la vie du Christ

Pour comprendre le texte de Bantock, il faut changer de point de vue sur de nombreux éléments relatifs à l’héroïsme épique présents dans la vie du Christ, principalement en ce qui concerne la représentation de ce dernier, ainsi qu’on le voit dans le passage suivant :

Permit me to remember the plagues,

though I shall not force the trend

to hammer together these words

to build a decrepit house.

I shall receive the stones,

the holy relics guarded by orthodoxy.

And I shall build God again.

Homer was the man who carved the sphinx

from the iron beginning of the world;

but now there Is no such ground to hammer from,

and the sands are strewn with stones

chipped from the first monument;

so I must seek to be the man who built a pyramid.

and may that have the same charm

as the thundering silence of sphinx;

may that have the same vast serenity of the open eye.

Christ goes on down a road not yet discovered,

a first and lasting fire on a long causeway:

so hear him cry down in the raven winds,

in the wrinkled creeks of weird elms,

and echoing behind the wails of orphans;

hear him now, hear him cry down

where you are nearest to the world’s nerve,

  • 43 Bantock, Gavin. Christ. A poem in twenty-six parts. Oxford : Donald Parson...

or as I, in the heroic dirge of the sea43.

Permets que je rappelle aux hommes les pestes —

mais je n’en rajouterai pas

pour marteler ces mots de concert

et bâtir un abri délabré.

Je recevrai les pierres

et les reliques sacrées de l’orthodoxie.

Alors je bâtirai Dieu de nouveau.

Homère fut l’homme qui sculpta le sphinx

dans le fer de l’origine du monde,

matière qui fait aujourd’hui défaut à nos marteaux —

et le sable est parsemé des roches

effritées du premier monument ;

donc je dois me faire bâtisseur de pyramide.

Puisse cela avoir le même charme

que le silence tonitruant du sphinx,

et la vaste sérénité de l’œil ouvert.

Le Christ prend une route non encore découverte,

un premier feu — il dure longtemps — sur un long sentier :

entends-le qui crie dans les vents coassant,

au milieu des criques d’ormes bizarres, toutes ridées,

il fait écho au gémissement des orphelins ;

maintenant écoute-le, entends-le crier

quand tu frôles le nerf du monde,

ou habites, comme moi, l’élégie héroïque de la mer44.

Syed Akbar Husain souligne cet écart, qui permet à Bantock de transformer l’épopée de l’intérieur – dans un mouvement qui est paradoxalement à rapprocher de celui de Milton, mais aussi des autres exemples que nous avons vu de l’“anachronisme” fructueux décrit par Aravamudan45 :

  • 46 (Husain apud Bantock, p. ix).

Ainsi, le poète prend position dès le début du poème, et demande au lecteur d’aborder cette œuvre sans préjugés sur le christianisme, ou sur l’histoire de Jésus-Christ telle qu’elle est exposée dans le Nouveau Testament46

  • 47 the “missing years of Christ’s life” Husain apud Bantock, 1965, p. ix

  • 48 Ibid.

L’œuvre se concentre spécifiquement sur ce que Husain appelle “les années manquantes de la vie du Christ47”. Bantock privilégie les scènes portant sur la relation du Christ avec Jean (le disciple considéré comme le plus aimé) et avec Marie-Madeleine, ainsi que sur la faillibilité de la nature humaine et sur celle du Christ lui-même. Husain comprend le poème comme une vision de l’évolution du Christ à travers le temps, dans un voyage vers “l’auto-perfection48”.

  • 49 Husain Syed Akhar. Introduction. In : Bantock, Gavin, op. cit., p. x.

  • 50 Ibid., (xiii).

Niant la naissance virginale du Christ et l’idée selon laquelle il serait une incarnation de Dieu, Bantock propose un poème épique qui déconstruit la tradition biblique pour s’attacher à l’héroïsme du Christ à partir d’une perspective historique romancée, mais légitimée en tant que fiction parce que le Christ est une image mythique aux significations multiples. Ainsi, l’œuvre part d’un point de vue qui nie le sacré et considère Jésus-Christ comme un homme faillible, afin de défendre l’idée que “l’homme doit être l’artisan de son propre destin49” et d’affirmer finalement qu’“une foi sera remplacée par une autre, un Dieu succédera à un autre Dieu, une étape de l’évolution de l’homme sera suivie d’une autre ; mais malgré tout, les hommes doivent continuer à aimer et à souffrir50”.

Ainsi, dans Christ, Jésus est réinventé à partir d’une tradition épique-héroïque déjà connue, qui est développée – et déconstruite – de manière à mettre en valeur ce qu’affirment les vers d’ouverture et de clôture du poème : “A man at the beginning of my love/for that is the beckoned theme” (1) et “I am forever that singing gull in love’s wake :/now I know – that for criming men who adorn fields, /finish echoes in the windwhen love beckons” (251), c’est-à-dire : le Christ est, avant tout, Amour. C’est peut-être pour cette raison que le poème a été réédité en 2016 sous le titre Christos : Lovesong of the Son of Man : A Poem in Twenty-Six Parts.

  • 51 Aravamudan, Srinivas. The return of anachronism. Modern Language Quaterly,...

Comme le dit Aravamudan, à propos de l’utilisation moderne de l’anachronisme : “il ne s’agit plus du sujet humaniste unitaire mais d’un sujet fragmenté, fragmentaire, l’objet, l’abject, voire le rejet de l’historicisme, son reliquat lâche, et certes un anachronisme, mais aussi son prétexte, son but, son incitation51”. Ainsi, lorsque Bantock utilise la vie du Christ comme une matière épique, il sait qu’il aura à composer avec un intertexte multiple, à travers lequel a déjà été développée l’image du Christ qu’il cherche à déconstruire. Le Christ, dans son poème, devient un autre “sujet”, auquel l’homme moderne peut s’identifier.

Doubiago : variation sur un mythe grec

C’est de cette même – et très saine – démocratisation culturelle de l’expérience héroïque que relève l’accroissement du nombre significatif d’autrices à l’origine de productions épiques depuis la seconde moitié du XXe siècle. Un excellent exemple de ces nouvelles formes épiques est South America, Mi hija (1991), de l’écrivaine américaine Sharon Doubiago (1941-), dans laquelle une mère et sa fille peuvent voyager ensemble à travers l’Amérique du Sud pour découvrir leurs propres vérités et repenser leurs places dans le monde, bien qu’elles constatent la persistance de nombreuses injonctions liées au genre :

f. The Laughless Rock

In the earliest story

Isis was condemned to pregnancy,

To given birth in no time, no place

You wait for me to speak

My throat turns to stone

I want to say what all mothers

want to say to tier daughters.

What all mothers must say

To their daughters

but are unable.

Why can’t we speak?

Why do mothers betray their daughters

and thus themselves

all of life

the earth and all of time

the past and the future ?

I am making the same betrayal

as my mother made of me

even now, though I have come this far with you

though you have come this far with me

though we have come this far together

though I have been thinking on this moment all your life

though you have waited all your life

though we know our necessary evolution

though you are raped, kidnapped,

though I hear you screaming

In you the secret turns to seed

  • 52 Doubiago, Sharon. South America. Mi hija. Pittsburgh : University of Pitts...

In me, to stone52

f. La Roche au rire absent

Dans la toute première histoire

Isis fut condamnée à la grossesse

Pour enfanter tout de suite, n’importe où

Tu attends que je parle

Ma gorge se fait pierre

Je veux dire ce que toutes les mères

veulent dire à leurs filles.

Ce que toutes les mères doivent dire

À leurs filles

sans y parvenir.

Pourquoi ne pouvons-nous pas parler ?

Pourquoi les mères trahissent leurs filles

et donc elles-mêmes

toute leur vie

et la terre et le temps entier

passé et futur ?

Je fais la même trahison

que ma mère avec moi

Même maintenant, malgré tout ce chemin fait avec toi

bien que tu l’aies fait avec moi

bien que nous ayons fait tout ce chemin ensemble

Et quoique toute ta vie j’aie pensé à ce moment

quoique tu l’aies attendu toute ta vie

et que nous connaissions notre évolution nécessaire

et que tu sois violée, arrachée,

et que je t’entende crier

En toi le secret se fait semence

Et en moi pierre53

Doubiago dialogue avec la tradition grecque en se référant au mythe de Perséphone. Chacune des neuf parties de son poème est introduite par un poème sur ce mythe, dans une perspective critique qui traite du statut subalterne des femmes. À la fin du voyage, la voix lyrique prie pour une nouvelle relation entre les hommes et les femmes. Comme le dit Aravamudan :

  • 54 [N. d. É. L’histoire océanique (oceanic history) repose sur une vision de ...

  • 55 Aravamundan, Srinivas. The Return of anachronism. op. cit., p. 343.

L’histoire littéraire, quant à elle, a souvent construit ses empires sur le terrain bancal des traditions textuelles. En outre, l’histoire océanique54 prend pour moteur principal le voyage maritime plutôt que la juridiction territoriale et nous présente donc de manière passionnante des notions différentes d’histoire et d’identité55.

Dans cette perspective, Doubiago fait varier un mythe grec pour intégrer les questions de genre et laisser la place à un discours de contestation au sein de l’espace restreint et masculin de la production épique. La littérature change avec le monde qui la produit. Que le critique accueille avec bonheur ou avec dégoût ces changements, son rôle est de le montrer et de l’analyser. Au-delà de la place de la femme dans le monde social et dans l’épique, il lui faudra sans doute bientôt, à la suite de Tomaz Tadeu da Silva, penser le “sujet” dans ses rapports intimes avec la machine. C’est là peut-être en effet la frontière qui nous fait face :

  • 56 Notre traduction. Version originale : “Pois uma das mais importantes quest...

L’une des questions les plus importantes de notre époque est précisément : où finit l’humain et où commence la machine ? Ou, étant donné l’omniprésence des machines, l’ordre ne serait-il pas inverse : où finit la machine et où commence l’humain ? Ou encore, étant donné la promiscuité générale entre l’humain et la machine, pourquoi ne pas considérer que les deux questions sont tout simplement insensées ? Plus que la métaphore, c’est la réalité du cyborg, sa présence indéniable dans notre milieu (“notre” ?), qui met l’ontologie humaine en échec. Ironiquement, l’existence du cyborg ne nous intime pas l’ordre de nous interroger sur la nature des machines, mais, bien plus dangereusement, sur la nature de l’homme : qui sommes-nous56 ?.

Guidé par le mythe, guidé par le philosophe, guidé par Dieu, guidé par lui-même, guidé par la société, dispersé parmi ses propres fragments et ceux des autres, conduit par la machine, le sujet est une catégorie en constante évolution. Les différents types d’“anachronisme” (Aravamudan) que nous avons vus à l’œuvre dans les productions épiques sont au service de cette transformation constante, déconstruction/reconstruction, de l’épopée. Comme le rappelle Highet lorsqu’il analyse la présence de la tradition classique dans les œuvres des auteurs épiques occidentaux :

  • 57 HIGHET, Gilbert. La tradición clásica [La tradition classique]. V. I. Mexi...

S’ils ont su être en résonance avec le monde, c’est parce qu’ils se sont exposés au rayonnement multiple du passé classique pour intensifier par lui la vive lumière solitaire du présent, illuminant ainsi, avec cette force qui n’a été donnée qu’aux détenteurs d’une imagination féconde, tout le spectacle majestueux des destinées humaines57.

53Bibliographie

54
ARAVAMUDAN, Srinivas. The return of anachronism.
Modern Language Quaterly, vol. 2, n° 4 (december

552001), p. 331-353, https://muse.jhu.edu/article/22906 Web 16 May, 2019.

56BANTOCK, Gavin. Christ. A poem in twenty-six parts. Oxford : Donald Parsons (1965).

57BANTOCK, Gavin. Christos : Lovesong of the Son of Man : A Poem in Twenty-Six Parts. Revised ed. Buckhorn Weston : Brimstone Press (2016).

58BHABHA, Homi K. The Location of Culture. Londres : Routledge (1994).

59CAMPBELL, Joseph. The Power of Myth. New York : Doubleday (1988).
DOUBIAGO, Sharon.
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60HALL, Stuart RJP. The question of cultural identity. in Hall, Stuart ; Held, David ; McGrew, Anthony (eds.), Modernity and its futures, Cambridge : Polity Press in association with the Open University (1992), p. 274-316.

61HERNANDEZ, Alex Eric. Commodity and Religion in Pope’s The Rape of the Lock. SEL Studies in English Literature 1500-1900, Volume 48, Number 3, Summer 2008, p. 569-584. https://muse.jhu.edu/article/245408/pdf Web 14 May 2019.

62HIGHET, Gilbert. La tradición clásica [La tradition classique]. V. I. Mexico : Fondo de Cultura Económica, 1954(A).

63HUSAIN SYED AKHAR. Introduction. In : Bantock, Gavin. Christ. A poem un twenty-six parts. Oxford : Donald Parsons (1966), pp ix-xiii.

64KEATS, John. The Fall of Hyperion (1819). http://www.john-keats.com/gedichte/the_fall_of_hyperion.htm. Web 14 Jan 2019.

65MACFAUL, Tom. “The Butterfly, the Fart and the Dwarf : the Origins of the English Laureate Micro-Epic”. Connotations : A Journal for Critical Debate. Volume 17 (2007/2008) Numbers 2-3, p. 144-164.

66MACHACEK, Gregory. Milton and Homer : “written to Aftertimes”. Duquesne University Press (2011), (accessible sur muse.jhu.edu) ou BOWRA, Cecil Maurice. From Virgil to Milton. Macmillan & Company Limited (1948).

67MILTON, John. Paradise Regained. Disponible en ligne sur https://gutenberg.org/cache/epub/58/pg58-images.html

68MÜLLER, Lutz. O herói. Todas nascemos para ser heróis [The hero. We were all born to be heroes]. São Paulo : Cultrix (1997).

69NEWEY, Vincent. Hyperion, The Fall of Hyperion, and Keat’s epic ambitions. The Cambridge Companion to Keats. Ed. Susan J. Wolfson. Cambridge : Cambridge University Press (2001), p. 69-85.

70POPE, Alexander. The Rape of the Lock. An heroi-comical poem. Illustrated by Aubrey Beardsley. New York : Dover Publication Inc. (1968).

71RAMALHO, Christina. Vozes épicas : história e mito segundo as mulheres [Epic Voices : History and Myth According to Women]. Rio de Janeiro : UFRJ (2004).

72RAMALHO, Christina. Epopeia e religião : fronteiras entre mito e história. Letras Escreve. https://periodicos.unifap.br/index.php/letras Macapá, v. 8, n. 3, 2o sem., 2018, p. 59-74.

SPENSER, Edmund. The Faerie Queene. London : New York : Routledge (2006). Traduction française : La Reine des fées (the faeriequeene) : extraits / introd., trad. et notes par Michel Poirier, Paris : Aubier, Montaigne (1950).
SILVA, Anazildo Vasconcelos da. A lírica brasileira no século XX [The Brazilian lyric in the twentieth century]. Rio de Janeiro : OPVS, 2002.

73SILVA, Tomaz Tadeu da. Antropologia do ciborgue : As vertigens do pós-humano [Cyborg Anthropology : The Vertigoofthe Post-Human]. Belo Horizonte : Autêntica (2000).

74[sans auteur]. “The Rape of the Lock : A Mock-Epic”. English Literature. Notes / Words: 825 / January 29, 2020, https://englishliterature.net/notes/the-rape-of-the-lock-a-mock-epic Web 15 February 2020.

75

76Traductions françaises et ouvrages français :

77Keats, John, La Chute d’Hypérion. Traduction française de Gérard Gâcon. Coeuvre-et-Valsery, Ressouvenances, collection Polychrome, 2014 [1819].

78Montandon, Alain et Neiva, Saulo (dir.), Anachronismes créateurs. Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2018.

79Milton, John, Le Paradis reconquis. Traduction française de Jacques Blondel. Paris, Aubier Montaigne, 1955.

80Vinclair, Pierre, Le Rapt de la boucle. Paris, Belles Lettres (édition bilingue), 2022.

Notes

1 Aravamudan, Srinivas. The return of anachronism. Modern Language Quaterly, vol. 2, n° 4, December 2001, p. 331-353, https://muse.jhu.edu/article/22906. Web 16 May, 2019. CELIS est le Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique de l’Université de Clermont Auvergne, dirigé par Saulo Neiva et Bénédicte Mathios dans le Programme Anachronismes porteurs. Partant des travaux d’Aravamudan, le CELIS étudie l’anachronisme à travers quatre axes : un premier axe porte sur la relation entre anachronisme et historicité, et observe notamment la richesse que peuvent apporter les représentations erronées du passé ; une deuxième approche s’intéresse à la manière dont l’artiste peut se singulariser en recherchant volontairement l’inadéquation temporelle ; un troisième angle observe l’anachronisme en tant que “sillon”, c’est-à-dire qu’il analyse les actualisations de l’anachronisme et la manière dont celui-ci peut infléchir des pratiques ultérieures ; enfin, un dernier axe travaille sur l’anachronisme érigé en code, c’est-à-dire comme fondateur de goûts et de modes. C’est ce dernier aspect qui nous intéresse ici.

2 The Faerie Queene, d’Edmund Spenser ; ParadiseRegained, de John Milton ; The Rape of the Lock, d’Alexander Pope ; The Fall of Hyperion, de Keats ; Christ, de Gavin Bantock ; et South America, Mi hija, de Sharon Doubiago.

3 Notre traduction. Version originale : “The subject of anachronism (more or less everybody, because no living localized human being can fully occupy the hot seat of objectivist historicism, even when speaking in its name) goes beyond historicism by refashioning an explanation of himself or herself in the wake of the multiple futures that exist in the now, rather than by yielding to the tyranny of a totalized now that purportedly lead to a singular future”. Aravamudan, Srinivas. The return of anachronism. art. cit., p. 351.

4 Ibid.

5 Notre traduction. Version originale :“While the Italian word anacronismo, meaning a “chronological misplacement”, was coined in the late sixteenth, the word derives from the Middle Greek anachronismos, which originally meant “late in time””. Aravamudan, Srinivas. The return of anachronism. art.cit., p. 331.

6 Voir Montandon, Alain et Neiva Saulo (dir.), Anachronismes créateurs, Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal (2018).

7 HALL, Stuart. A identidade cultural na pós-modernidade [The question of cultural identity]. Trad. Tomaz Tadeu da Silva and Guacira Lopes Louro. Rio de Janeiro : DP & A. (2002), p. 10.

8 MILTON, John. Paradise Regained, https://gutenberg.org/cache/epub/58/pg58-images.html.

9 MILTON, John. Le Paradis reconquis, traduction française de Jacques Blondel. Paris : Aubier Montaigne (1955), p. 123.

10 Milton, John. Paradise Regained, op. cit.

11 Milton John, Le Paradis reconquis, op. cit., p. 123.

12 Sur ce sujet, voir par exemple Machacek, Gregory. Milton and Homer: “written to Aftertimes”. Duquesne : Duquesne University Press (2011), (accessible sur muse.jhu.edu) ou Bowra, Cecil Maurice. From Virgil to Milton. New York : Macmillan & Company Limited (1948). 

13 Suivant la bonne formulation des "Notes de littérature anglaise" :EnglishLiterature. Notes / Words : 825 / January 29, 2020, https://englishliterature.net/notes/the-rape-of-the-lock-a-mock-epic.

14 Traduction française par Vinclair, Pierre. Le Rapt de la boucle. Paris : Belles Lettres (édition bilingue), (2022). Sur l’épopée classique, et en particulier sur Pope et la tradition épique satirique, voir la thèse de Garncarzyk, Dimitri. La Muse géomètre. L’épopée dans l’Europe du 18e siècle. Paris 3 (2018), https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02147397, et, ici-même, son article : “‘Le plus grand ouvrage dont la nature humaine soit capable’. Qu’est-ce qu’une épopée au 18e siècle ?”, Le Recueil ouvert [En ligne], volume 2017 – Auralité : changer l’auditoire, changer l’épopée.. Voir aussi le volume qu’il a dirigé sur le sujet : Le Recueil ouvert [En ligne], volume 2020 – Des épopées de la première modernité (1500-1800), de la Mitteleuropa aux Indes occidentales : pour un panorama.

15 Pope, Alexander. The Rape of the Lock. An heroi-comical poem. Illustrated by Aubrey Beardsley. New York : Dover Publication Inc. (1968), p. 141.

16 Traduction française de Pierre Vinclair : op. cit..

17 Aravamudan, Srinivas. The return of anachronism. art.cit.

18 Hernandez, Alex Eric. Commodity and Religion in Pope’s The Rape of the Lock. SEL Studies in English Literature 1500-1900, Volume 48, Number 3, Summer 2008, p. 569-584. https://muse.jhu.edu/article/245408/pdf. Web 14 May 2019.

19 Notre traduction. Version originale : “Pope criticizes those who would commodify the ethical heart of Christianity by making the provocative claim that, like the powders used to beautify Belinda, the Bible may become simply another accessory for those positioning themselves socially – or, perhaps more insidiously, it becomes an ideological tool for a rapidly industrializing society”. Hernandez, Alex Eric. Commodity and Religion in Pope’s The Rape of the Lock, op. cit., p. 569-570.

20 Dans l’article “The Butterfly, the Fart and the Dwarf : the Origins of the English Laureate Micro-Epic”, Connotations : A Journal for Critical Debate. Volume 17 (2007/2008) Numbers 2-3, p. 144-164.

21 Notre traduction.Version originale :Certainly, part of the effect of the poem’s miniaturization of the heroic is to suggest a general diminution and aestheticizing of heroic values at Elizabeth’s Court, as Robert A. Brinkley points out, but the idea of heroic action being vitiated and entangled by webs of power beyond a hero’s ken allows the heroic code to be both valued and treated as doomed. This kind of mock epic has considerable congruity with the attitude of the truest epics, such as the Iliad and the Aeneid.” Macfaul, Tom. The Butterfly, the Fart and the Dwarf : the Origins of the English Laureate Micro-Epic. Connotations : A Journal for Critical Debate. Volume 17 (2007/2008) Numbers 2-3, p. 144-164, p. 146. Nous soulignons).

22 Pour reprendre de nouveau Notes / Words: 825 / January 29, 2020, https://englishliterature.net/notes/the-rape-of-the-lock-a-mock-epic. L’article continue : “on contraste la mesquinerie de la noblesse de son époque avec la bravoure et la hauteur noble des héros nobles traditionnels”.

23 Inspirée d’un personnage réel, Arabella Fermor.

24 Hernandez, Alex Eric. Commodity and Religion in Pope’s The Rape of the Lock. op. cit., p. 572.

25 Sur la comparaison qui peut être faite entre Keats et Shakespeare d’une part, et Shelley et Milton d’autre part, voir Highet, Gilbert. The Classical Tradition: Greek and Roman Influences on Western Literature. Oxford : U.P (1949).

26 Keats, John. The Fall of Hyperion, op. cit.

27 Keats John, La Chute d’Hypérion (1819), traduction française par Gérard Gâcon. Coeuvre-et-Valsery : Ressouvenances, collection Polychrome (2014), p. 15-17.

28 Newey, Vincent. Hyperion, The Fall of Hyperion, and Keat’s epic ambitions. The Cambridge Companion to Keats. Ed. Susan J. Wolfson. Cambridge : Cambridge University Press (2001), p. 69-85.

29 Voir https://englishhistory.net/keats/letters/letters-to-j-h-reynolds-3-may-1818/ : “It proves there is really a grand march of intellect; it proves that a mighty providence subdues the mightiest minds to the service of the time being, whether it be in human knowledge or religion ...” , Keats Letters, 1.281-82

30 Newey, Vincent. Hyperion, The Fall of Hyperion, and Keat’s epic ambitions, op. cit., p. 71-73.

31 Keats, John, The Fall of Hyperion, op. cit.

32 Keats, John, La Chute d’Hypérion, op. cit., p. 59.

33 HALL, Stuart. A identidade cultural na pós-modernidade [The question of cultural identity], op. cit., p. 32.

34 Ibid., p. 16.

35 Bhabha, Homi K. The Location of Culture. Londres : Routledge (1994).

36 Cependant, il convient d’indiquer que nous différencions l’héroïsme épique des autres types d’héroïsme, car le premier exige une double performance, dans les plans historique et merveilleux. Autrement dit, l’héroïsme épique n’est pas une construction fictionnelle, mais une intrusion dans l’expérience humaine existentielle.

37 Campbell, Joseph. The Power of Myth, New York : Doubleday (1988).

38 Le terme est régulièrement employé chez Homi K. Bhabha (strangeness) pour désigner ce qui, dans une culture colonisée ou anciennement colonisée, résiste à l’assimilation. Autrement dit, l’étrangeté est ce qui permet de maintenir un pôle singulier, une réalité qu’aucun modèle culturel hégémonique ne peut assimiler. L’étrangeté est ainsi par exemple ce qui empêche la formation d’une “communauté nationale” (Benedict Anderson) homogène.

39 Pour un exemple d’étude qui s’appuie sur une telle hypothèse de travail, voir la thèse de doctorat de Soleymani, Nina. Lionnes et colombes : Les personnages féminins dans le Cycle de Guillaume d’Orange, la Digénide, et le Châhnâmeh de Ferdowsi, à paraître aux éditions Honoré Champion.

40 Spenser, Edmund. The Faerie Queene. London: New York : Routledge (2006), p. 288.

41 [N. d. É. Nous remercions Pierre Vinclair, qui a traduit pour cette publication cet extrait de Spenser.]

42 Poème épique de 7000 vers, écrit en 1965 par l’Anglais Gavin Bantock (1939-), structuré en vingt-six parties commençant chacune par une lettre de l’alphabet. BANTOCK, Gavin. Christ. A poem in twenty-six parts. Oxford : Donald Parson (1965) ; Christos : Lovesong of the Son of Man : A Poem in Twenty-Six Parts, Revised ed. Buckhorn Weston : Brimstone Press (2006).

43 Bantock, Gavin. Christ. A poem in twenty-six parts. Oxford : Donald Parsons (1965).

44 [N. d. É. Nous remercions Pierre Vinclair, qui a traduit pour cette publication cet extrait de Bantock ainsi que l’extrait de Doubiago qui suit.]

45 Husain Syed Akhar. Introduction. In : Bantock, Gavin, op. cit., p. ix-xiii.

46 (Husain apud Bantock, p. ix).

47 the “missing years of Christ’s life” Husain apud Bantock, 1965, p. ix

48 Ibid.

49 Husain Syed Akhar. Introduction. In : Bantock, Gavin, op. cit., p. x.

50 Ibid., (xiii).

51 Aravamudan, Srinivas. The return of anachronism. Modern Language Quaterly, op. cit., p. 352.

52 Doubiago, Sharon. South America. Mi hija. Pittsburgh : University of Pittsburgh Press (1992), p. 35-35.

53 [N. d. É. Nous remercions Pierre Vinclair, qui a traduit pour cette publication cet extrait de Doubiago].

54 [N. d. É. L’histoire océanique (oceanic history) repose sur une vision de l’Histoire qui ne porte pas sur la terre, mais sur l’eau qui recouvre 70 % de la surface de la planète. Il s’agit de retracer l’Histoire à partir de celle des mers et des Océans, en prêtant particulièrement attention aux phénomènes de déplacement et aux connections entre des trajectoires humaines et non-humaines. Voir Cambridge Oceanic Histories.]

55 Aravamundan, Srinivas. The Return of anachronism. op. cit., p. 343.

56 Notre traduction. Version originale : “Pois uma das mais importantes questões de nosso tempo é justamente: onde termina o humano e onde começa a máquina? Ou, dada a ubiqüidade das máquinas, a ordem não seria a inversa?: onde termina a máquina e onde começaohumano? Ou, ainda, dada a geralpromiscuidade entre o humano e a máquina, não seria o caso de se considerar ambas as perguntas simplesmente sem sentido? Mais do que a metáfora, é a realidade do ciborgue, sua inegável presença em nosso meio (“nosso”?), que põe em xeque a ontologia do humano. Ironicamente, a existência do ciborgue não nos intima aperguntar sobre a natureza das máquinas, mas, muito mais perigosamente, sobre a natureza do humano: quem somos nós? ” SILVA, Tomas Tadeu da. Antropologia do ciborgue: As vertigens do pós-humano [Cyborg Anthropology: The Vertigoofthe Post-Human]. Belo Horizonte : Autêntica (2000), p. 13.

57 HIGHET, Gilbert. La tradición clásica [La tradition classique]. V. I. Mexico : Fondo de Cultura Económica, 1954(A), p. 257.

Pour citer ce document

Christina Ramalho, «À propos du "sujet” épique : héros, héroïnes et “anachronisme”», Le Recueil Ouvert [En ligne], mis à jour le : 09/11/2023, URL : http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/425-a-propos-du-sujet-epique-heros-heroines-et-anachronisme

Quelques mots à propos de :  Christina  Ramalho

Christina Ramalho, Docteure en Lettres de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (2004), a été boursière de plusieurs bourses post-doctorales en Amérique du Sud et en Europe : en Études Capverdiennes (USP, FAPESP, 2012), Études Épiques (Université Clermont-Auvergne, 2017) et Historiographie Épique (Université de Buenos Aires, 2022). Professeure associée de Théorie Littéraire et de Littérature Brésilienne à l’Université Fédérale de Sergipe, campus d’Itabaiana. Créatrice et coordinatrice du Centre International et Multidisciplinaire d’Études Épiques, CIMEEP, elle est l’auteure ou l’éditrice de 39 livres de critique littéraire, mais aussi de poésie, chroniques et contes. Depuis novembre 2022, elle est membre correspondante internationale de la British Comparative Literature Association. Site Web : www.cimeep.com/www.ramalhochris.com.