Epopée, Recueil Ouvert : Section 5. Thèses, travaux en cours

Armand Erchadi

En attendant Rostam : Ce que Le Livre des Rois de Ferdowsi fait aux idées d’épopée et de littérature-monde

Présentation de la thèse en cours d’Armand Erchadi à l’Université du Luxembourg

Résumé

Cet article présente un examen critique des thèses développées par Hamid Dabashi dans The Shahnameh. The Persian Epic as World Literature (2019). Le chercheur irano-américain soutient que Le Livre des rois s’oppose en tout point aux épopées qu’il nomme « occidentales », tout en persistant à appeler « épopée » l’œuvre de Ferdowsi, sans préciser ce qu’il entend par là. Il s’en prend tout particulièrement aux thèses de Quint et Moretti sur l’épopée. Mon travail de recherche étant fondé sur une définition de l’épopée à partir de la notion de valeur, je tente de montrer dans quelle mesure mon approche, opposée à celle de Dabashi, permet de tenir ensemble le poème de Ferdowsi et les épopées européennes. Cela amène donc à discuter, comme y invite la thématique du volume, de la pertinence à accorder à la notion de littérature-monde. Je m’appuie pour cela sur la dernière époque du Livre des rois, l’âge historique, fondée non plus sur un héros, mais sur un espace-temps (territoires contre territoires, fils contre pères) en perpétuelle tension. Bien des épopées européennes (D’Aubigné, Camões, Hugo, etc.) se rapprochent de l’épique tel que le construit Ferdowsi, au rebours d’un supposé modèle homérique. En outre, puisque ce volume du Recueil Ouvert invite à examiner l’aspect « aréal » de l’épopée, je rappellerai la géographie du Livre des rois (en rejoignant ici les thèses de Dabashi), qui fait voler en éclats les catégories occidentales comme celles d’Orient et d’Occident. Dans ce cadre, la notion de métissage – multiplicité et mélange des origines ethniques des héros de Ferdowsi, mais aussi éloge de l’équilibre ou de l’union de la bravoure et du kherad – peut être particulièrement mise à profit.

Abstract

This article presents a critical examination of the theses developed by Hamid Dabashi in The Shahnameh. The Persian Epic as World Literature (2019). The Iranian-American scholar argues that the Book of Kings is opposed in every way to the epics he calls "Western", while persisting in calling Ferdowsi’s work "epic", without specifying what he means by this. He particularly attacks Quint and Moretti’s theses on epic. As my research is based on a definition of epic based on the notion of "value", I shall attempt to show to what extent my approach, in opposition to Dabashi’s, allows Ferdowsi’s poem and European epics to be held together. This leads to a discussion, as the volume’s theme invites us to do, of the relevance of the notion of world-literature. To do this, I’ll use the last era of the Book of Kings (the historical age), which is no longer based on a hero, but on a space-time (territories versus territories, sons versus fathers) in perpetual tension. Many European epics (D’Aubigné, Camões, Hugo, etc.) come close to the epic as constructed by Ferdowsi, contrary to a supposed Homeric model. In additionand in line this time with Dabashi’s theses—, as this volume of the Recueil Ouvert invites us to examine the "areal" aspect of the epic, I will pay attention to the geography of the Book of Kings, which shatters Western categories such as East and West. In this context, the notion of métissage - the multiplicity and mixture of ethnic origins of Ferdowsi’s heroes, but also the praise for balance or the union of bravery and kherad - can be particularly useful.

Texte intégral

1. Le Livre des Rois de Ferdowsi : hapax épique ou épopée exemplaire ?

1Dans The Shahnameh. The Persian Epic as World Literature (2019), Hamid Dabashi, professeur d’études iraniennes et de littérature comparée à l’université Columbia, dénonce la notion de littérature-monde, du moins telle qu’elle se présente selon lui pour le moment, comme une fiction eurocentrique et coloniale : pour faire advenir une littérature-monde réelle, il soutient qu’il est urgent d’y intégrer des œuvres non européennes, en particulier le Châhnâmeh (Le Livre des Rois) de Ferdowsi, poème persan de plus de cinquante mille distiques achevé en l’an 1010 (l’auteur continuant de le réviser jusqu’à sa mort, en 1019 ou 1025).

  • 1 Dabashi, Hamid, The Shahnameh. The Persian Epic as World Literature, New Yo...

  • 2 Derive, Jean, « Introduction », in Derive, Jean (éd.), L’Épopée : universit...

2Faisant feu de tout bois, le polémiste vitupère aussi bien le calendrier chrétien, la perspective picturale inventée en Europe et le postcolonialisme que les critiques littéraires blancs (et leur « violence épistémique »), voire l’idée d’universalisme1. Pourtant, derrière ce donquichottisme critique qui prend les moulins à vent de la littérature comparée pour des géants impérialistes, Hamid Dabashi pose une question pertinente : comment le moindre spécialiste peut-il prétendre penser le genre de l’épopée sans se fonder – au-delà de l’habituelle allusion de politesse – sur des textes aussi centraux que le Mahābhārata ou Le Livre des Rois ? Il est toutefois regrettable qu’il ne reconnaisse pas la vitalité des études contemporaines sur la question, car, pour nuancer son propos, il faut souligner que la remise en cause du « modèle homérique » comme « référence-étalon » de l’épopée au profit de « l’établissement d’un genre épique largement interculturel2 » est déjà en marche depuis plusieurs années.

  • 3 L’œuvre de Virgile n’est pas réductible à la propagande augustéenne (Schmid...

  • 4 Florence Goyet a démontré que l’épopée fait surgir le nouveau à travers les...

  • 5 Nous avons tenté de faire voir, au rebours de l’iconographie officielle, qu...

  • 6 Dans «La vision d’où est sorti ce livre», Victor Hugo qualifie lui-même l’é...

3Sur le fond, Hamid Dabashi commet, semble-t-il, deux erreurs : premièrement, il considère comme une évidence que Le Livre des Rois constitue une épopée, mais sans jamais définir cette notion ; deuxièmement, il prétend que Le Livre des Rois s’oppose en tous points aux épopées dites occidentales, sans réaliser qu’une telle proposition contredit la considération précédente. Or, si nous persistons à appeler des œuvres si éloignées dans l’espace et le temps du même nom – grec – c’est sans doute qu’il existe des points communs entre elles et qu’il faut commencer par répondre à la question : qu’est-ce qui fait du Livre des Rois une épopée ? Quant à la seconde affirmation, l’argumentation de Hamid Dabashi réduit le point de vue occidental à deux théoriciens, David Quint et Franco Moretti, et prétend que, là où l’épopée européenne serait essentiellement impérialiste ou, du moins, reposerait sur une dichotomie entre vainqueurs et vaincus, Le Livre des Rois dépasserait ces fausses oppositions. Une telle lecture de l’épopée européenne peut néanmoins paraître douteuse : si elle pourrait à la rigueur s’appliquer à l’Énéide – encore que cela soit discutable3 – elle échoue à comprendre aussi bien l’Iliade4 que Les Lusiades5 ou La Légende des siècles6.

  • 7 Baudelaire tourne en dérision les prétentions épiques d’Edgar Quinet, qui v...

4Si Le Livre des Rois constitue une épopée, tout en échappant au modèle classique du genre – ce qui pourrait être dit de tout chef-d’œuvre épique – dans quelle mesure permet-il de redéfinir ce qui fait l’épopée et, au passage, de renouveler la conception d’une authentique littérature-monde ? Le poème de Ferdowsi, par son ampleur, sa structure et son ambition, est hors norme, trait que semblent partager les grandes épopées, ou plutôt les épopées tout court, dans la mesure où la clef de compréhension de l’épique est, selon nous, la notion de valeur : plus essentiellement que toute autre forme, tragédie, ode ou roman, l’épopée ne se décrète pas, et une épopée ratée a ceci de particulier qu’elle ne peut se prétendre épique7. Le Livre des Rois est donc à la fois un texte unique et significatif d’un genre : il permet de dégager la notion d’épopée des poncifs classiques et critiques qui ont longtemps contribué à figer le genre dans une gangue idéologique. Ni hapax littéraire ni application de règles fixées à l’avance, Le Livre des Rois nous servira de révélateur, au sens chimique, de l’épopée, à la manière de la solution qui rend visible l’image latente enregistrée sur une pellicule.

2. Questions de lexique : une épopée – ou presque ?

  • 8 Voir Safâ, Zabihollâh, Hemâseh-sarâyi dar Irân [La Poésie épique en Iran], ...

5Afin de déterminer ce qui fait du Livre des Rois une épopée et ce que Le Livre des Rois fait à l’idée d’épopée, il convient d’examiner la définition du genre. Le terme grec d’épopée n’existe pas en persan. Les critiques modernes8 ont inventé l’équivalent حماسه سرایی (hemâseh-sarâyi), à partir d’une racine arabe حماسة signifiant « enthousiasme » et du verbe persan سرودن, « chanter, réciter, composer », et qui pourrait être traduit par « poésie héroïque ». Traditionnellement, il n’était question que de مثنوی(masnavi), forme poétique désignant les distiques rimés, de généralement onze syllabes (mètre متقارب [motaqâreb] scandé  — — /  — — /  — — /  —), qui se retrouvent dans les poèmes longs ou narratifs, tant héroïques que didactiques ou lyriques. La question de la versification est d’ailleurs traitée par l’épopée elle-même, à propos du recueil de fables indiennes Kalila et Damna, que le poète Roudaki (ixe-xe siècles) mit en vers persans :

حدیث پراگنده بپراگند
چو پیوسته شد جان و مغزآگند

  • 9 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. ix, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nou...

Un récit en prose est pénible à mémoriser,
Mais s’il est en vers c’est bien plus aisé9.

6L’origine du vers est liée à la nécessité de mémoriser – comme Homère, Roudaki est réputé aveugle – mais la mémoire est aussi le sujet constant du Châhnâmeh, qui a pour ambition de ressusciter dans l’esprit des hommes tout ce que le temps a emporté. Une traduction plus littérale de ce distique permet de mieux entrer dans la pensée de Ferdowsi : il dit qu’« Un propos décousu se dissipe,/ Tandis qu’attaché il remplit l’âme et le cerveau. » La poésie relie, met en ordre et comble : elle est le texte, le tissu par excellence, là où la prose est pleine de trous.

2.1. Le dâstân, de l’histoire à la performance

  • 10 Marx, William, La Haine de la littérature, Paris, Les Éditions de Minuit, ...

7Il est sans doute plus utile d’examiner par quels mots Ferdowsi lui-même désigne son poème, tant il est vrai que Le Livre des Rois, pour reprendre à William Marx une notion qu’il applique à l’Odyssée d’Homère, constitue une « méta-épopée » : en effet, comme Homère, le poète persan « s’interroge sur la définition et les conditions d’exercice de son art10 » au sein de son œuvre même. Généralement, c’est à la fin de chacun de ses chants, qui correspondent au règne d’un roi différent, que Ferdowsi met le récit en pause et livre des confidences sur ses états d’âme et sur son labeur poétique. Finissant, par exemple, le livre 34 (dans le découpage choisi par Pierre Lecoq pour sa traduction, et que nous adopterons pour des raisons de clarté), consacré à Yazdguerd le Méchant, il fait le vœu de pouvoir achever son ouvrage et se plaint de sa situation matérielle, avant de conclure par ce distique :

کنون داستانى بگوىم شگفت
کزان برتر اندازه نتوان گرفت

  • 11 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. vii, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein N...

En attendant je ferai un récit merveilleux,
Tel qu’aucun conte ne sera jamais mieux11.

  • 12 Voir Reichl, Karl, Singing the Past: Turkic and Medieval Heroic Poetry, It...

  • 13 Voir Asaduddin, Mohammad, « First Urdu Novel: Contesting Claims and Discla...

Le mot utilisé en persan est داستان (dâstân), c’est-à-dire «histoire» ou «conte». En turc, il a donné destan, qui signifie « épopée ». Le terme est aussi présent en Asie centrale, dans les langues turciques comme le kirghize, l’ouïghour, l’ouzbek, le karakalpak, le kazakh ou le turkmène, sous des formes variées, pour désigner un récit oral en vers, ou en un mélange de vers et de prose, qui peut être considéré comme un équivalent du poème épique12. En persan, il sert en particulier à désigner les récits de tradition orale et populaire ; il est intéressant de noter qu’il se retrouve en ourdou pour désigner les cycles héroïques à succès qui, dans ce territoire linguistique, ont précédé l’apparition du roman moderne13.

  • 14 Il est révélateur que le mot dâstân, persan d’origine, soit employé de pré...

8L’oralité dénotée en partie par dâstân est renforcée, dans le distique qui vient d’être cité, par le premier mot, کنون (konoun), « maintenant », et le recours au verbe dire. Une traduction littérale – celle de l’extraordinaire édition de Pierre Lecoq assume, en effet, de nécessaires libertés pour des raisons de rythme et de rime – donnerait donc : « Maintenant, que je dise une histoire merveilleuse,/ Telle que nulle autre ne puisse se mesurer à elle ». Le Livre des Rois apparaît ainsi comme un poème performatif : Ferdowsi, par sa voix vivante, est toujours présent au lecteur-auditeur14.

2.2. Le sokhan : « l’odyssée est dans la voix »

  • 15 L’épopée peut être définie comme le genre de la valeur, en Orient comme en...

  • 16 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich, Esthétique, vol. 2, trad. Charles Bénard, ...

  • 17 Comparant Homère et Virgile, Rodney Delasanta note que « In the oral epics...

  • 18 De Jong, Irene J.F., Narrators and Focalizers. The Presentation of the Sto...

9Si Ferdowsi emploie principalement le mot dâstân, d’autres termes servent secondairement à qualifier le poème en train d’être composé, en particulier نامه (nâmeh), «livre», سخن (sokhan), « parole, discours » et کار (kâr), «travail, ouvrage». Mais, tandis que nâmeh, également présent dans le titre de l’œuvre – Châhnâmeh, « Le Livre des Rois », mais aussi « Le Roi des Livres », puisqu’en composition le mot châh, « roi », peut signifier « le meilleur, le plus grand15 » – relève de la désignation factuelle, sokhan, plus encore que dâstân, souligne la dimension orale du poème, et plus précisément le fait qu’il est composé et récité par un poète qui vit et qui palpite. Le poème persan permet de revenir sur la contradiction perçue par Hegel à propos de l’épopée : celle-ci est à la fois considérée comme un récit objectif qui « paraît se chanter de lui-même » et comme l’œuvre d’« un seul homme16 ». Or cette illusion d’objectivité et d’impersonnalité est due à la constitution de la théorie de l’épopée en Occident à partir de l’œuvre d’Homère, qui, selon une tradition qui commence avec Aristote et qui se prolonge notamment avec Wolf, Schiller et Hegel lui-même, n’intervient guère dans son poème. La première erreur de cette approche est d’évacuer la dimension orale de l’épopée grecque, faite pour être récitée et entendue et, par là, indissolublement liée à une expérience d’ordre subjectif : l’épopée est une parole incarnée et habitée. Lorsqu’elle s’oriente de plus en plus vers l’écrit – sans cesser pour autant d’être récitée à haute voix, comme c’est le cas pour Le Livre des Rois – il est naturel que le texte conserve une trace plus explicite de la présence de la voix de l’aède17. Par ailleurs, Irene de Jong et d’autres ont détruit, depuis, cette illusion et démontré qu’Homère est en réalité très présent dans son texte, comme le révèlent invocations des Muses, questions rhétoriques, adresses aux lecteurs, micro-uchronies à l’irréel du passé, analepses, prolepses, etc., et surtout, en usant des outils modernes de la narratologie, qu’il est un narrateur « multiple » et puissant qui joue avec les diverses focalisations : « the story does not tell itself18 » (« l'histoire ne se raconte pas toute seule »), pour renverser la formule hégélienne.

  • 19 Dabashi, Hamid, The Shahnameh. The Persian Epic as World Literature, New Y...

10Ferdowsi révèle précisément le caractère essentiel de cette présence du sujet poétique dans l’épopée. Comme le souligne Hamid Dabashi, « Ferdowsi is the first and foremost hero of his own epic19 » (« Ferdowsi est le premier et le principal héros de sa propre épopée ») : de Camões à Hugo et à Whitman, ce lyrisme épique traduit à l’écrit la nature performative de l’épopée, qu’il faut considérer comme un acte verbal, accompli par un conteur. La voix de Ferdowsi est constamment présente au cours du récit : de façon explicite, ainsi dès la première page du poème, où apparaît le pronom من (man), « je, moi » :

خرد را و جان را که یارد ستود
و گر من ستایم که یارد شنود

  • 20 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. i, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nou...

L’âme et la raison, comment les célébrer ?
Si je le pouvais, qui saurait m’écouter20 ?

  • 21 Meschonnic, Henri, Célébration de la poésie, Lagrasse, Verdier, 2001, p. 251.

De façon révélatrice, cette première occurrence se fait sous forme interrogative, pour exprimer les doutes et les craintes du poète à l’orée de son épopée, comme il fait l’éloge de la raison, création primordiale de Dieu, défini dès l’incipit comme خداوند (khodâvand), « dieu, seigneur, maître » du جان (djân), « vie, âme », et du خرد (kherad), « raison, sagesse ». Mais la présence de la voix du poète se manifeste aussi et surtout de manière implicite, par la rime et le rythme, comme le confirme la puissante intuition d’Henri Meschonnic à propos des liens entre le lyrique et l’épique : « Le poème montre que l’odyssée est dans la voix. Dans toute voix. L’écoute est son voyage./ Et si l’écoute est le voyage de la voix, alors s’abolit l’opposition académique entre le lyrisme et l’épopée21. »

2.3. Le kâr et le grain de sénevé épique

  • 22 Voir Ferdowsi, Châhnâmeh, t. ix, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhosse...

11Enfin, dernier terme pour parler de l’épopée qui est en train de s’écrire, le mot kâr désigne le « labeur » personnel de Ferdowsi : le mot évoque, là encore, la figure concrète et active du poète comme artisan, auteur du châhkâr (« chef-d’œuvre ») que constitue le Châhnâmeh, dont l’ampleur ambitieuse et les difficultés de réalisation sont soulignées. En préambule à l’histoire du roi Khosrow Parviz et de Chirine, couple auquel le poète Nezâmi a également consacré, plus tard, une célèbre épopée amoureuse, Ferdowsi définit sa propre œuvre en une quinzaine de distiques22. Son acte poétique essentiel consiste à « renouveler » (نو کردن, now kardan, verbe répété dans le passage) et vivifier les histoires anciennes, « ز گفتار و کردار آن راستان/ نامهٔ باستان » (nâmeh bâstân/ Ze goftâr o kardâr ân râstân, « ce livre des anciens temps,/ Qui raconte les actes de tant de vaillants »). Le poète épique est ainsi celui qui fait du neuf avec l’ancien : « کنون داستان کهن نو کنیم » (konoun dâstâne kohan now konim, « À présent je vais faire un poème nouveau,/ Avec l’ancien récit »). C’est par cette parole modernisatrice et vivifiante, parce qu’elle est شایسته (shâyesteh, « digne »), نغز (naghz, « agréable ») et غمگسار (ghamgosâr, « consolatrice »), que peut advenir l’œuvre monumentale et ses centaines et milliers de distiques, sur lesquels insiste ensuite Ferdowsi, en sollicitant, en vain, la générosité de son mécène, le roi Mahmoud. Si l’épopée est labeur, chef-d’œuvre au sens artisanal et donc monument, ce n’est pas pour autant un mausolée glacial et pesant, mais, comme on le verra, une machine vivante, mouvante et émouvante. Le kâr ne s’oppose pas au sokhan, mais dévoile au contraire que la parole poétique est une oralité sciemment travaillée, cultivée et fécondante, une pollinisation des esprits par le chant. Les deux ultimes distiques de l’épopée le rappellent, en une métaphore de vie et d’espérance : le sokhan, la parole poétique, est comparé à une graine que Ferdowsi a semée (« تخم سخن من پراگنده‌ام », tokhme sokhan man parângandeham, « j’ai semé, moi, la graine de la parole »). Elle lui confère l’immortalité dans la mémoire des hommes, car elle fleurira chez tous les esprits doués de sens, de raison et de piété :

ازآن پس نمیرم که من زنده‌ام
که تخم سخن من پراگنده‌ام
هرآن کس که دارد هش و رای و دین
پس از مرگ بر من کند آفرین

  • 23 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. ix, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein No...

Je ne mourrai point après avoir tant vécu,
La parole grâce à moi s’est répandue,
Tout être ainsi doué de savoir et de vertu,
Fera mon éloge quand je ne serai plus23.

12La définition minimale de l’épopée, telle qu’elle se trouve dans les dictionnaires, encyclopédies et ouvrages universitaires occidentaux, pourrait être résumée à ceci : poème long qui raconte les exploits d’un héros au service de la communauté. Tel qu’il se présente lui-même, à la fois comme parole, comme labeur et comme histoire des grands hommes des temps passés, Le Livre des Rois entre parfaitement dans ce cadre, à une nuance de taille : ses proportions monumentales qui l’amènent à substituer à la figure du héros solitaire une multitude de personnages, voire un peuple entier.

3. Un livre-monument : la métaphore du trône de Tâqdis

13Le Livre des Rois n’est pas un livre fait pour être lu ou entendu en un jour, ni même en plusieurs (« Je veux lire en trois jours l’Iliade d’Homère », proclamait Ronsard), il n’est pas fait pour être consommé, mais pour vous consommer. En cela, il faut parler de livre-monument, dont le trône de Tâqdis constitue la métaphore.

14Le trône de Khosrow Parviz, nommé طاقدیس, Tâqdis (« arche », « voûte », « coupole », probablement, en référence à son plafond où étaient représentées planètes et constellations), n’apparaît que dans les dernières pages du Livre des Rois, dont il constitue une remarquable mise en abyme. Il n’est étrangement jamais mentionné dans les dizaines de milliers de distiques qui ont précédé, alors même que ses origines remontent au monstrueux roi Zahâk, d’origine arabe, à l’époque mythologique du Châhnâmeh. Un certain Djahn fils de Barzine offre au roi Féridoun, vainqueur de ces Arabes, un trône doré sur le Damâvand, le sommet le plus élevé d’Iran, au nord-est de l’actuelle Téhéran. Le trône est transmis à Iradj, premier roi d’Iran – ses ancêtres étaient souverains du monde – puis à chacun de ses descendants. Chaque roi du Châhnâmeh embellit et élève alors le trône en y ajoutant des éléments nouveaux. Gochtâsp, souverain du quinzième livre, demande à son ministre Djâmasp – grande figure du zoroastrisme – de trouver un moyen de sublimer le trône pour honorer le roi après sa mort. Plutôt que d’y ajouter des ornements purement esthétiques, Djâmasp en fait un emblème de la science : de trône devenu palais, le Tâqdis représente désormais sur un plafond le firmament complet, la somme des connaissances astronomiques de son temps. Le règne d’Eskandar (Alexandre le Grand) marque néanmoins une rupture :

چنین تا به گاه سکندر رسید
ز شاهان هر آن کس که آن گاه دید
همی ‌برفزودی برو چند چیز
ز زرّ و ز سیم و ز عاج و ز شیز
مر آن را سکندر همه پاره کرد
ز بی دانشی کار یکباره کرد

  • 24 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. ix, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein No...

Puis le trône échut finalement à Eskandar,
Et tous les rois qui y portèrent le regard,
Y ajoutèrent quelque chose à leur manière,
Or, argent, ivoire, ébène et autres matières,
Mais Eskandar le brisa en mille morceaux,
Il fut anéanti par l’ignorance de ce héros24

Le châh errant, le fils de Roumie, Alexandre le Grand – considéré comme un roi iranien dans le Châhnâmeh – est ainsi celui qui disperse le trône, comme il a fait éclater l’Empire. De même, après le récit de son règne, l’épopée avait sombré dans un momentané chaos au moment d’aborder la dynastie des Parthes Arsacides (tout entière résumée dans le livre vingt-et-un, car Ferdowsi ne disposait pas de sources pour traiter ces souverains), avant l’accession des Sassanides au trône avec Ardachir. Le poète considère ces Sassanides comme les descendants légitimes de la dynastie héroïque des Keyanides : Ardachir finit d’ailleurs par retrouver quelques débris du Tâqdis.

  • 25 Voir, ici-même, Ghafouri, Alireza, « Recherches récentes sur l’épopée pers...

15En effet, le trône avait été réduit en pièces sous Alexandre : les grands se sont transmis ses morceaux de génération en génération, à la manière des fragments de récits écrits et oraux que Ferdowsi a recueillis pour composer son Livre des Rois25.

16Au quarante-troisième livre de l’épopée, Khosrow Parviz entreprend enfin de rassembler tous les fragments possibles afin de reconstituer le Tâqdis. Ces travaux de reconstitution se font à l’image de la conception iranienne de l’empire, dans le mélange des peuples, les ouvriers étant choisis non pour leurs origines mais en fonction de leurs talents. Au bout de deux ans de labeur, le trône, désormais de dimensions gigantesques – des centaines de mètres – et incomparablement décoré – avec d’innombrables incrustations de pierres et de métaux précieux – n’est plus même un palais fixe : il devient mouvant, de façon à maintenir, hiver comme été, une température toujours idéale. Le trône de Tâqdis est ainsi à la fois une relique des temps passés, une merveille technique, une ode au savoir et à la raison – exacte image du Livre des Rois, qui commençait par un éloge du kherad (« raison, sagesse ») – et une œuvre collective, voire mondiale, dont les architectes et maçons viennent de l’Orient et de l’Occident les plus lointains. C’est une œuvre-monde, qui met en abyme aussi bien l’Iran que le poème de Ferdowsi : en cela, ce dernier constitue bien un tout premier exemple de littérature-monde, comme le suggérait Hamid Dabashi.

4. Question de méthode : commencer par la fin

17Le Livre des rois est généralement subdivisé en trois époques ou parties :

  • l’époque mythologique, composée de l’ouverture du poème et des six premiers livres (en reprenant la numérotation proposée par Pierre Lecoq dans sa traduction, où chaque livre correspond généralement à un règne), de l’origine du monde, avec le premier roi, Gayomârt, à la révolte de Kâveh au service de Féridoun ; cet âge, très bref, correspond à peine à un vingtième de l’œuvre entière ;

  • l’époque héroïque, qui s’étend sur neuf livres, massifs pour la plupart, et plus de la moitié de l’œuvre : c’est la plus célèbre et la plus longue ; elle conte notamment les aventures du héros Rostam, jusqu’à son meurtre ;

  • l’époque historique, qui contient trente-cinq livres de longueur très inégale et représente un peu moins de la moitié de l’œuvre complète, du règne de Bahman fils d’Esfandyâr à la chute des Sassanides lors de l’invasion arabe.

  • 26 Sainte-Beuve, Charles Augustin, « Le Livre des Rois, par le poëte persan F...

18Afin de cerner la singularité du Livre des Rois, d’examiner ce que le poème de Ferdowsi fait à la définition générale de l’épopée et de voir dans quelle mesure il est susceptible d’en affiner la compréhension, l’hypothèse de travail suivante peut être avancée : il peut se révéler profitable de s’appuyer prioritairement sur la dernière époque du Livres des Rois – l’âge historique, à partir du règne de Bahman fils d’Esfandyâr, et surtout d’Eskandar – autrement dit, de commencer par la fin. Il convient ainsi d’évacuer provisoirement la deuxième partie – l’âge héroïque – du Livre des Rois, qui met en scène Rostam, dans la mesure où c’est celle qu’on identifie le plus spontanément au modèle occidental classique de l’épopée, avec un héros central qui accomplit des exploits : en ce sens, de Rostam, Sainte-Beuve écrivait d’ailleurs qu’il représentait « assez bien l’Hercule ou le Roland des traditions orientales26 », soulignant le caractère archétypal du héros perse. Loin de ces repères familiers au lecteur d’épopées occidentales, la troisième et dernière partie du Livre des Rois, en se rapprochant de la chronique historique et en fourmillant d’anecdotes à visée morale, voire de sentences parfois répétitives (du point de vue de certains traducteurs occidentaux, qui vont jusqu’à les exclure de leur traduction), est la plus révélatrice des singularités souvent méconnues de l’épique. Cette partie – d’environ vingt-et-un mille distiques sur les cinquante mille du poème – est fondée non plus sur un héros unique, mais, davantage encore que lors des deux époques précédentes, sur un espace-temps en perpétuelle tension : sur le plan géographique, les territoires s’opposent aux territoires, tandis que, du point de vue chronologique, les fils affrontent les pères.

19L’un des effets les plus frappants à la lecture de l’intégralité de l’œuvre est le puissant sentiment de totalité : absolument tout est raconté, depuis la création de l’univers jusqu’à l’invasion arabe. Chaque roi et chaque reine est nommé et décrit, un par un, pays par pays, époque par époque, sans aucune omission – compte tenu à la fois de l’état des connaissances disponibles à l’époque du poète et de ses intentions politiques. L’œuvre de Ferdowsi infléchit la définition de l’épopée vers l’idée d’un espace-temps, depuis sa création jusqu’à sa disparition – à moins qu’il ne s’agisse, comme on le verra, d’une occultation, c’est-à-dire d’une disparition passagère – en montrant ses progrès, ses convulsions et son déclin. Le Livre des Rois est, en effet, caractérisé par une constante autoréférentialité, le poète s’efforçant de constituer pour l’histoire de l’univers et de l’Iran un puissant continuum sans la moindre rupture chronologique. En ce sens, il convient de noter que chaque roi fait référence aux princes et aux héros qui l’ont précédé, et qui ont été eux-mêmes les personnages des chants antérieurs, comme si chaque châh était à la fois protagoniste et lecteur du Châhnâmeh. Les références, dans la bouche des personnages eux-mêmes, aux rois et aux héros du passé – Djamchid, Zahâk, Rostam, etc. – est constante. Il s’agit fréquemment de rappels généraux des grands noms du passé, mais les allusions peuvent se faire plus précises, comme lorsque Bahrâm Tchoubine, au livre quarante-deux, invoque le nom de Rostam pour justifier sa stratégie militaire auprès du roi Hormozd, ou lorsqu’au livre suivant, en s’adressant aux nobles, il compare Khosrow Parviz à Zahâk, l’infâme roi-serpent qui occupe le cinquième livre de l’épopée, pour accuser Khosrow Parviz de parricide.

20L’époque historique du Livre des Rois à laquelle nous nous intéressons est composée de trente-cinq chants, dont cinq sont plus particulièrement développés – il s’agit des règnes d’Eskandar, Bahrâm Gour, Kasrâ Nouchirvân, Hormozd et Khosrow Parviz – huit de longueur moyenne et enfin vingt-deux d’une extrême brièveté, parfois de l’ordre de la simple page. Cette structure très singulière souligne, par un effet de rythme à grande échelle, l’alternance des règnes grandioses et des règnes dérisoires, qui accèdent, par-delà leurs différences, à une forme d’égalité au regard de l’éternité.

  • 27 Voir Dehrmann, Mark-Georg, « Episode und Totalität: Zur Poetik des modern...

  • 28 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich, Esthétique, vol. 2, trad. Charles Bénard, ...

21L’ambition d’histoire totale qu’exprime Ferdowsi est proprement épique. Ce lien entre épopée et totalité a été amplement théorisé par les penseurs allemands, en particulier Friedrich Schlegel27 et Hegel : « Le fond de l’épopée, c’est […] un monde tout entier dans lequel se passe une action individuelle28 ». Cette notion épique de totalité s’exprime d’abord d’un point de vue géopolitique : il ne s’agit pas de raconter la fondation d’un nouvel État après une défaite comme dans l’Énéide, ni de narrer le voyage de retour du héros vers sa patrie comme dans l’Odyssée, ni même d’évoquer la victoire contre un ennemi particulier comme dans l’Iliade, mais de décrire, sans omettre le moindre détail, le développement organique du monde depuis la création.

5. Pourquoi le Châhnâmeh n’est pas une « épopée moyen-orientale »

5.1. L’universalité revendiquée de l’épopée

22De cette totalité géopolitique découle une complexité, qui, d’emblée, doit nous amener à souligner les limites du terme moderne – et occidental – de « Moyen-Orient ». Il ne s’agit pas pour autant de lui substituer celui d’« Asie occidentale », qui a, de nos jours, la préférence des autorités de la République islamique d’Iran pour situer le pays dans sa zone d’influence, en réaction contre le point de vue eurocentrique. Comme pour la définition de l’épopée, il faut revenir au texte : Le Livre des Rois construit, en effet, sa propre géographie : le monde est divisé au début du poème entre Roum (l’Ouest, qui correspond à l’empire byzantin), Irân (la terre du milieu) et Tourân (le Nord et l’Est, qui correspondent à l’Asie centrale et à la Chine), avant que d’autres peuples soient cités – Égyptiens, Arabes, Slaves, Kurdes, Khazars, Alains, Huns blancs (Heytâl, Hephtalites), etc. –notamment durant l’époque historique. Ainsi, lorsque Ferdowsi parle de باختر, bâkhtar (« l’Ouest »), il désigne Roum, c’est-à-dire l’empire byzantin, et plus précisément ce qui correspondrait aujourd’hui au territoire turc et à une partie du Proche-Orient, là où se trouvaient les populations chrétiennes (« romaines ») au temps de Ferdowsi : rien de commun, donc, avec ce que nous entendons aujourd’hui par l’Ouest, l’Occident ou l’Europe. Et lorsqu’il dit خاور, khâvar (« l’Est »), il entend le Tourân, qui recouvre des régions très vastes et très diverses.

23L’expression récurrente sous la plume de Ferdowsi, « Irân o Anirân » (l’Iran et le non-Iran), sert d’ailleurs à désigner le monde entier, dans sa globalité : Le Livre des Rois insiste donc sur l’unité et l’universalité du monde, dans lequel l’Iran occupe une place centrale. En outre, à plusieurs moments l’empire iranien soumet militairement ou par l’impôt Roum et le Tourân, se confondant alors avec la quasi-totalité du monde connu, dans un processus qui pourrait être considéré, à certains égards, comme une forme de protomondialisation. Par ailleurs, l’histoire humaine narrée par le Châhnâmeh est placée sous le signe d’une constante réversibilité : tantôt c’est Roum qui est soumis à l’Iran et tantôt c’est l’Iran qui est soumis à Roum et doit lui verser l’impôt. Surtout, dans Le Livre des Rois, orient et occident constituent très souvent moins des régions que des directions, des lignes de force. Le monde en gestation qu’évoque Ferdowsi est particulièrement mouvant. Cette réalité se révèle notamment au livre 20, consacré à Alexandre le Grand, le châh errant par excellence.

5.2. Le cas d’Eskandar : une épopée orientée

24Il est, en effet, intéressant de se pencher sur le cas d’Eskandar, dans la mesure où il s’agit du conquérant macédonien Alexandre le Grand, qui, par une assimilation poétique et narrative stupéfiante, est iranisé par l’épopée. Ainsi, au dix-huitième chant de l’épopée, le roi Dârâb part guerroyer contre Roum, dont le roi – le قیصر (Qaysar), c’est-à-dire « César » – est Faylaqous, soit Philippe de Macédoine. Nâhid, la fille de Faylaqous, est offerte à Dârâb ; or celui-ci est importuné par la mauvaise haleine de la jeune Roumie : pour la soigner, un médecin lui donne une herbe, اسکندر (eskandar), le « cerfeuil » – qui, en grec, se dit σκάνδιξ (skandix) – mais il est trop tard et le désir du roi d’Iran s’est étiolé. Il la renvoie donc chez son père, sans savoir qu’elle est enceinte de lui ; Nâhid donne à son fils le nom de l’herbe désodorante, Eskandar ; en Iran, Dârâb a un autre fils, Dârâ.

25Le poème persan se réapproprie ainsi l’histoire d’Alexandre le Grand, dont il fait un métis mi-roumi, mi-iranien, en même temps que demi-frère de Dârâ (dont le modèle serait Darius III, dernier souverain de la dynastie achéménide, au ive siècle avant Jésus-Christ). Cette réécriture de l’histoire – en termes modernes, cette uchronie épique – commence par une remotivation de l’étymologie même de son nom, qui perd tout lien avec Ἀλέξανδρος, « qui protège les hommes », au profit du « cerfeuil » : l’appropriation épique commence par la langue avant de s’étendre à l’histoire et à la géographie.

26Au dix-neuvième chant, consacré au règne de Dârâ, Eskandar, devenu roi de Roum, s’attache les services du sage سطالیس(ار) ([Ar]setâlis), c’est-à-dire Aristote, pour le conseiller. Comme tous les Roumis, c’est, selon Ferdowsi, un chrétien : là encore, l’assimilation de l’Antiquité grecque à la représentation du monde propre à l’Iran du xie siècle, telle que Le Livre des Rois la développe, est remarquable. S’il triomphe à la guerre de son demi-frère Dârâ, Eskandar sait aussi se montrer noble et généreux, aussi, dans la version de Ferdowsi, est-il loué et acclamé comme souverain par les Iraniens eux-mêmes. L’iranisation d’Alexandre le Grand a toutefois ses limites : dans les livres postérieurs à celui qui est proprement consacré à son règne, Eskandar est de plus en plus fréquemment assimilé à Roum : ainsi le poète souligne que, sur les conseils d’Aristote, Eskandar a démembré l’Iran pour diluer la menace contre les Roumis.

27Roi itinérant, Eskandar est en quête de l’« Eau de Vie » qui donne la jeunesse éternelle : il est, par conséquent, sans cesse en mouvement dans le Châhnâmeh, vers l’orient ou vers l’occident, allant à la rencontre de peuplades échappant à toute géographie connue, y compris celle de l’épopée elle-même, qui a pourtant relaté la naissance de l’univers, de la terre et de l’humanité. Alexandre rencontre ainsi un peuple inconnu où les hommes sont voilés, parés et parfumés comme des femmes :

زبانها نه تازی و نه خسروی
نه ترکی نه چینی و نه پهلوی

  • 29 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. vii, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein N...

Leur langue n’était ni l’arabe ni le pehlevi,
Ni le chinois, ni le turc, ni même le farsi29.

28L’épopée avait, dès le commencement, l’ambition de tout dire, d’englober tous les peuples, de nommer toute la création, humains et animaux, dives et êtres fabuleux : or, voici qu’avec Eskandar surgit l’inconnu. Tout se passe comme si l’épopée admettait soudain sa propre incomplétude, comme un système mathématique se présentant d’abord comme parfait, mais qui finirait par remettre en cause ses propres capacités, à la manière des théorèmes de Gödel. Ce faisant, le poème de Ferdowsi évite le piège d’une fermeture en une totalité achevée et embrasse une dimension supérieure, celle de l’infini, dont Eskandar, incarnation du désir, est l’emblème : l’orient du Châhnâmeh n’est pas un lieu, car il n’existe pas d’espace figé ; il est une direction. Rencontrant un peuple de guerrières vierges semblables aux Amazones, Eskandar affirme ainsi une pulsion de savoir qui est sans limite :

نخواهم که جایی بود در جهان
که دیدار آن باشد از من نهان

  • 30 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. vii, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein N...

Je ne veux pas qu’il y ait un lieu ici-bas
Qui me reste caché et que je ne voie pas30

Et ce désir s’exprime par une référence appuyée aux points cardinaux :

سوی باختر شد چو خاور بدید
ز گیتی همی رای رفتن گزید

  • 31 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. vii, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein N...

Ayant vu l’occident, il alla vers l’orient,
Il voulait connaître le monde entièrement31.

  • 32 Ghirshman, Romain, L’Iran : des origines à l’Islam, Paris, Albin Michel, 1...

29L’Iran n’est pas au « Moyen-Orient », comme nous autres, Européens, le voudrions, si ce n’est depuis une perspective géographique particulière et limitée ; mais il n’est pas plus dans une « Asie occidentale » qui n’a guère l’unité et la légitimité linguistiques, politiques et culturelles dont l’affublent les théocrates au pouvoir à Téhéran, essentiellement guidés par la haine de l’Occident. Est et Ouest font partie de l’histoire de l’Iran, luttant, à l’intérieur même de cette civilisation, pour une position centrale, sous les Achéménides (depuis l’Est contre l’Ouest, vie-ive siècles avant Jésus-Christ) comme sous les Séleucides (dynastie hellénistique, depuis l’Ouest contre l’Est, ive-ier siècles avant Jésus-Christ), puis les Parthes Arsacides (depuis l’Est de nouveau, et dont la domination commence progressivement à partir du iiie siècle avant Jésus-Christ, avant de céder face aux Sassanides, au iiie siècle après Jésus-Christ). Mais l’histoire perse n’est pas celle d’une simple opposition entre l’Ouest et l’Est : « Que ce soit dans le domaine de la culture matérielle ou dans celui de la religion ou de la culture spirituelle, les Achéménides furent les premiers à véhiculer les formes et les idées entre l’Occident et l’Orient et à réaliser le rapprochement de ces deux mondes et de leurs civilisations, traçant ainsi la voie à suivre au monde iranien de l’avenir32. »

30Le cas d’Eskandar souligne la dimension vaste et mouvante du monde du Châhnâmeh. La géographie épique est fondée à la fois sur la totalité et la complexité. En témoigne enfin et surtout l’omniprésence des missives et des ambassades tout au long du poème, qui contribuent à dessiner les contours d’un monde essentiellement multipolaire. Il est essentiel de souligner que, dans cette troisième grande époque du Livre des Rois en particulier, les scènes de bataille effectives sont toujours très brèves, tandis que les échanges diplomatiques, à l’inverse, occupent une place majeure. Dans le Châhnâmeh, les châh passent leur temps à écrire des lettres et à envoyer des messagers au Qaysar de Roum, au Khâqân ou au Fâghfour de Chine, au Râjâ de l’Inde… La guerre est au second plan : ce qui prime, c’est la diplomatie, les politesses, les formules, les menaces, les compliments, les flatteries, les propositions, les contre-propositions et les sous-entendus. Les ennemis d’hier deviennent les alliés d’aujourd’hui, et inversement. Point de manichéisme au pays de Mani : c’est un monde complexe, troublé, tendu, et étonnamment proche du nôtre. Il prend l’allure d’un véritable réservoir de modèles politiques à l’attention des princes.

31Comme l’annonçait Ferdowsi dès l’ouverture du poème, il s’agit d’une épopée du خرد (kherad, « raison, sagesse ») :

کسی کاو خرد را ندارد ز پیش
دلش گردد از کردهٔ خویش ریش

  • 33 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. i, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nou...

Celui qui n’écoute pas la voix de la raison
Aura le cœur déchiré par ses propres actions33

  • 34 Il a été rapproché par des lecteurs modernes du personnage de Zadig. Voir ...

32Toute la troisième partie du Livre des Rois vient le démontrer, en insistant notamment sur les relations ambiguës entre le sage conseiller et son roi, et plus particulièrement à travers la figure particulière du sage Bozordjmehr34. Il est le héros d’une bataille qui voit s’opposer l’Inde et l’Iran autour de l’invention des échecs et du نرد (nard, « backgammon », « trictrac »). Le Livre des Rois constitue ainsi une épopée mentale autant que guerrière, où les savants se livrent des combats stratégiques à la manière de généraux.

6. Pistes épiques

33À cette étape de notre démonstration, Le Livre des Rois ayant pu être défini comme épopée universelle, il resterait à analyser la façon dont le poème de Ferdowsi renouvelle et transforme la notion classique d’épopée et la conception courante de littérature-monde : voici quelques pistes, pour ne pas excéder les limites de la présente publication.

34Une interrogation centrale du Châhnâmeh est la suivante : qu’est-ce qu’un bon roi, et à quoi le reconnaît-on ? La conception de la royauté chez Ferdowsi redouble et renforce la métaphysique de la valeur, consubstantielle à l’idée même d’épopée : de même qu’il ne peut y avoir de tragique sans transcendance, il ne saurait y avoir d’épique sans axiologie, hiérarchie des valeurs, distinction entre ce qui est grand (bozorg) et ce qui ne l’est pas. La royauté apparaît ainsi principe de hiérarchisation de l’être. À l’inverse, uniformité et nivellement – à ne pas confondre avec la justice sociale, qui est valorisée par Ferdowsi – sont, tout au long de l’épopée, sources de désordre : chaque rupture dans la hiérarchie de l’être provoque immanquablement le trouble public et la fureur générale (آشوب, âchoub).

  • 35 Hamid Dabashi, à partir de sa lecture du Livre des Rois, parle de la conce...

35Face à l’omniprésence du mal, aux risques de chaos et aux pulsions de mort, la réponse apportée par le poème pourrait être conçue comme une forme symbolique de métissage. Celle-ci doit être conçue à la fois comme mélange des races, idéal moral de mesure et indulgence aux fautes. Dans ce cadre peuvent être expliquées les origines multiples des rois et des héros, qui, tout en étant iraniens, sont fréquemment d’ascendance touranienne, roumie ou arabe, par le sang ou par l’éducation. Ce syncrétisme qui mêle les peuples, les territoires et les religions dans une forme de nationalisme inclusif est typique de l’empire perse et de l’identité iranienne35. La pluralité des racines des souverains n’est pas un élément isolé : elle exprime une caractéristique politique et sociale globale. C’est l’empire tout entier – armée, savants, ouvriers et artisans – qui est marqué par cet universel métissage. L’Iran est construit par le poème comme une réalité qui n’est ni strictement ethnique, ni uniquement territoriale, ni simplement religieuse, aux frontières floues et mouvantes ; c’est un patrimoine, c’est-à-dire un bien précieux construit au fil des générations et dont la transmission s’effectue, dans un sens symbolique autant que dynastique, de façon patrilinéaire.

36L’Iran du Châhnâmeh constitue une totalité à la fois temporelle et spatiale, caractérisée par l’éternité et l’universalité : autant, sinon plus, qu’un peuple ou qu’un territoire, l’empire est une idée. Pour retrouver un tel effort de totalisation et de mondialisation appliqué à l’épopée, il faudra attendre plus de huit cents ans avec le romantisme et La Légende des siècles de Victor Hugo. Ces leçons sont marquées, il faut le souligner, par leur universalité : Le Livre des Rois s’affirme lui-même comme œuvre de littérature-monde, en particulier par l’importance qu’il accorde aux sentences morales et par son insistance sur le fait qu’elles valent pour tous les peuples sans exception. C’est, de bout en bout, une épopée du kherad, de la raison.

  • 36 C’est ce qui posait problème à Hegel, qui, tout en consacrant un développe...

37L’étude précise du troisième âge du Livre des Rois permet enfin de s’acheminer vers une élucidation de la dissonance repérée entre la définition initiale de l’épopée et le poème de Ferdowsi : que faire de l’absence de héros individuel dans le Châhnâmeh36 ? Genre de la longueur, de l’ampleur, l’épopée, au fur et à mesure qu’elle s’éloigne de l’aventure, du récit court, voire du récit tout court, devient une méditation sur le temps et la place des hommes dans l’ordre du monde et le cours des choses. Elle devient une sagesse.

38La centralité héroïque, dans Le Livre des Rois, se trouve en fait remplacée par deux entités : d’une part, la communauté iranienne – en un sens culturel, et non ethnique – conçue comme espace-temps et, d’autre part, la figure présente-absente du roi idéal qui hante continuellement le poème ; il faudrait y ajouter une troisième, le héros occulté, thème secret et lancinant des livres qui suivent le meurtre de Rostam, le grand héros du deuxième âge et la figure à laquelle chacun songe spontanément lorsqu’il s’agit de citer un personnage du Châhnâmeh.

  • 37 À la suite d’Henry Corbin, la traduction récente de Leili Anvar féminise e...

39La recherche du roi idéal peut se penser à la manière du Cantique des oiseaux d’Attâr au xiie siècle : au bout de leur périlleuse quête du Simorgh37, roi des oiseaux, les trente (si) oiseaux (morgh) qui ont survécu à cette odyssée découvrent que le Simorgh réside en fait en eux-mêmes. Cet idéal doit être atteint en chaque auditeur et chaque lecteur : la récitation et l’écoute du poème deviennent alors de véritables exercices spirituels. C’est ce qui explique que Le Livre des Rois ait pu, par la suite, être lu comme une épopée mystique et morale : l’idéal de sagesse et de maîtrise de soi doit être atteint par chacun en cherchant le prince parfait qui réside en soi.

40Le personnage le plus exceptionnel de l’épopée, sans être lui-même roi d’Iran, est Rostam, dont la naissance est d’ailleurs liée au Simorgh, également personnage du Livre des Rois. Or, après la disparition de Rostam, à la fin de la deuxième époque du poème – celle des héros, justement – nul guerrier de l’époque historique, qu’il soit prince ou non, ne parvient à égaler sa grandeur : le lecteur est en perpétuelle attente du retour d’un héros, et se retrouve, par là, dans une posture qui peut faire songer au messianisme chiite, en attente du retour du douzième imam, qui a été occulté et qui doit revenir à la fin des temps.

  • 38 Cet ensemble de chapitres initialement destinés aux Misérables évoque les ...

  • 39 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. vii, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein N...

41Mais il se trouve que Rostam, ou, du moins, son homonyme, apparaît bien dans les dernières pages du Livre des Rois : ce Rostam historique se fait hélas aisément vaincre par les conquérants arabo-musulmans, redoublant désespérément l’occultation du héros iranien. L’absence de héros individuel pourrait être alors perçue comme un triomphe anti-épique de l’impersonnalité, des vaines chimères et de la déception. Un tel constat serait possible, n’était sa contradiction flagrante avec la fondation du livre-monument que parachève Ferdowsi au terme de cinquante livres, à l’image du trône de Tâqdis, qui en offre la parfaite métaphore. C’est que, de la même manière que la théologie négative s’attache à définir Dieu, qui est de l’ordre de l’indicible, par ce qu’il n’est pas plutôt que par ce qu’il est, Ferdowsi construit une hérologie négative : même s’il n’y a plus de héros, même si les plus grands rois sont faibles, même si l’empire perse s’est effondré quatre siècles avant la rédaction du poème, en ces « temps de détresse » (Friedrich Hölderlin) subsiste quelque chose que nulle vilenie, nulle misère, nulle mélancolie ne parviennent à éradiquer complètement. Nous proposons d’appeler valeur cet « imperdable », cet « inamissible », ce « résidu » pour reprendre les termes qu’emploie Victor Hugo lorsqu’il médite, au cours de son œuvre entière, sur cette notion (et en particulier dans Les Fleurs38) : le cœur de toute épopée réside en elle, dans l’affirmation – alors que tous les signes conspirent par ailleurs à indiquer son absence – de la valeur imperdable. Dans Le Livre des Rois, Ferdowsi en vient d’ailleurs lui-même à distinguer ارز et ناارز (arz et nâ-arz, « valeur » et « non-valeur39 »).

7. Éloge des hippopotames

  • 40 Voir Lyotard, Jean-François, La Condition postmoderne : rapport sur le sav...

42La théorie littéraire, comme toute discipline scientifique, évolue avec son temps : si les objets esthétiques sur lesquels elle s’interroge peuvent être permanents, ses approches et ses questionnements changent. Aussi serait-il absurde de penser l’épique au temps de la mondialisation des échanges et de l’affaiblissement des souverainetés nationales, des grands mouvements migratoires et du métissage des cultures, de la « décomposition des grands Récits40 » (Jean-François Lyotard) et de la toute-puissance des industries culturelles de masse à l’âge numérique, comme au temps d’Aristote ou d’Horace. Lire Le Livre des Rois, le Mahābhārata et d’autres épopées non occidentales, ainsi que les poèmes épiques occidentaux postérieurs au classicisme, renouvelle non seulement le corpus traditionnel des études épiques, mais surtout la compréhension du genre. Celui-ci peut paraître en crise ou subir des éclipses momentanées, pour autant la pertinence de la notion, loin de faiblir, est plus grande que jamais, comme en témoignent aussi bien sa vitalité dans les études universitaires que dans les productions culturelles et artistiques, voire dans le langage courant. Ce que Le Livre des Rois permet précisément de démontrer, notamment dans sa dernière époque, c’est que l’épopée n’est pas définie par un principe formel ou un schéma narratif simples et uniques, mais par la combinaison de plusieurs dimensions indispensables : il s’agit d’abord d’une totalité complexe et organique qui embrasse l’humanité entière avec la tranquille indifférence, universaliste et polyphonique, du récit, et qui, en dernière instance, ne discrimine pas les personnages, les nations et les idéologies en fonction de caractères extérieurs et adventices ; d’une profession de foi en acte qui affirme constamment les puissances de la voix poétique ; enfin, d’une spiritualité d’ordre politique, éthique et religieux, fondée sur l’affirmation de la valeur, y compris, voire surtout, dans les âges les plus désespérés. La valeur, c’est-à-dire l’impératif de hiérarchiser l’être, est le vrai cœur de l’épopée, car elle est à la fois l’indispensable contenu de tout poème épique et la pierre de touche esthétique qui détermine la réussite de poème : à la fois « Livre des Rois » et « Roi des Livres », le Châhnâmeh réalise pleinement ces deux aspects de la valeur.

  • 41 Hugo, Victor, William Shakespeare, Critique, Œuvres complètes, vol. xii, P...

  • 42 Borges, Jorge Luis, This Craft of Verse, « The Telling of the Tale », Camb...

43Ce sont les épopées hors norme aussi bien qu’énormes – Victor Hugo, à propos du « démesuré oriental », parlait de « ces vastes poëmes du Gange qui marchent dans l’art du pas des mammouths, et qui, parmi les iliades et les odyssées, ont l’air d’hippopotames parmi des lions41 » qui permettent de reconfigurer le genre épique avec plus de pertinence que les modèles classiques longtemps privilégiés en Occident. Sans cesser d’être nationale, car fondée sur une communauté historique et linguistique, l’épopée, et en particulier Le Livre des Rois, est la preuve que la littérature-monde a été pensée bien avant Goethe et la Weltliteratur : faire épopée – et non chanter une geste unique et limitée dans l’espace et le temps – c’est tenter de cerner le monde dans sa totalité, sa complexité et sa conflictualité. La mondialisation contemporaine est, en ce sens, riche de potentialités épiques, et tout nous laisse à penser que la prophétie de Borges est sur le point de se réaliser : « I have hope; and as the future holds many things – as the future, perhaps, holds all things – I think the epic will come back to us42. » (« J’ai de l’espoir ; et comme l’avenir contient beaucoup de possibilités – comme l’avenir, peut-être, les contient toutes – je pense que l’épopée finira par revenir chez nous. »)

44Cet avenir ne paraîtra lointain qu’à l’imprudent qui méjuge de l’allure des hippopotames : leur démarche pesante se mue, quand on s’y attend le moins, en charge fulgurante.

Notes

1 Dabashi, Hamid, The Shahnameh. The Persian Epic as World Literature, New York, Columbia University Press, 2019, p. x, et passim. Ironie du sort, l’auteur, par ailleurs employé de la chaîne qatarienne Al Jazeera – média où il accuse le romancier Salman Rushdie d’islamophobie – s’exprime, somme toute, dans le style le plus pur des campus nord-américains, ainsi lorsqu’il juge pertinent de relever, à propos de l’invocation liminaire du poète à Dieu, qu’« in Persian we don’t have gender-specific pronouns » (p. 2, « en persan, nous n’avons pas de pronoms genrés »), quand il attaque « the phallocentric disposition of the epic » (p. 174, « la prédisposition phallocentrique de l’épopée ») ou encore lorsqu’il pense identifier un « transgender desire in the Shahnameh » (p. 188, « désir transgenre dans Le Livre des Rois »). Ce recours systématique à un vocabulaire à la mode se fait sans réelle argumentation, alors même qu’il existe des ouvrages théoriques solides sur les sujets liés au genre chez Ferdowsi, dont, tout récemment, la thèse de doctorat de Nina Soleymani, Lionnes et colombes : les personnages féminins dans le Cycle de Guillaume d’Orange, la Digénide, et le Châhnâmeh de Ferdowsi, à paraître aux éditions Honoré Champion.

2 Derive, Jean, « Introduction », in Derive, Jean (éd.), L’Épopée : université et diversité d’un genre, Paris, Karthala, 2002, p. 5 et 7.

3 L’œuvre de Virgile n’est pas réductible à la propagande augustéenne (Schmidt, Ernst A., « The Meaning of Vergil’s ‘Aeneid:’ American and German Approaches », The Classical World, vol. 94, n° 2 [Winter, 2011], p. 145-171).

4 Florence Goyet a démontré que l’épopée fait surgir le nouveau à travers les vaincus, et, en ce sens, la défaite d’Hector face à Achille dissimule en réalité une forme de victoire politique (Penser sans concepts : fonction de l’épopée guerrière, Paris, Honoré Champion Éditeur, 2006, p. 358).

5 Nous avons tenté de faire voir, au rebours de l’iconographie officielle, que l’épopée de Camões affirme mélancoliquement les limites de toute conquête (« Pour une approche hydrocritique du genre épique : Les Lusiades de Camões comme méta-épopée de l’eau », in Roelens, Nathalie et al. [éd.], Water and Sea in Word and Image, Leiden, Brill, 2023 [à paraître]). Sur un sujet proche, nous nous permettons de renvoyer au travail d’Aude Plagnard : Une Épopée ibérique : Alonso de Ercilla et Jerónimo Corte-Real (1569-1589), Madrid, Casa de Velázquez, 2019 et, ici-même, son article « Des épopées imitatives et refondatrices ? Le cas d’Alonso de Ercilla et de Jerónimo Corte-Real », Le Recueil Ouvert, vol. 4 (2018).

6 Dans «La vision d’où est sorti ce livre», Victor Hugo qualifie lui-même l’épopée d’« écroulée ». Si les usages politiques des textes épiques sont fréquemment nationalistes et impérialistes – ce qui vaut également pour Le Livre des Rois – les poèmes eux-mêmes n’ont pas nécessairement cette intention, ou du moins ne s’y résument pas.

7 Baudelaire tourne en dérision les prétentions épiques d’Edgar Quinet, qui veut « mettre le vers au service d’une thèse poétique » et les oppose à la réussite de Victor Hugo dans La Légende des siècles. Selon lui, Hugo a créé une épopée authentique, là où Quinet n’a produit qu’un discours alourdi d’un «fastidieux ridicule» («Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains» (1861), Curiosités esthétiques, L’Art romantique et autres Œuvre critiques, Paris, Bordas, Classiques Garnier, 1990, p. 742). Avant Baudelaire, Humboldt affirmait déjà que le «nom d’épopée» se « mérite » (Essais esthétiques sur Hermann et Dorothée de Goethe, trad. Christophe Losfeld, Villeneuve-d’Ascq, PU du Septentrion, 1999 [1799], p. 153).

8 Voir Safâ, Zabihollâh, Hemâseh-sarâyi dar Irân [La Poésie épique en Iran], Téhéran, Ferdos, 1374/1995 [1321/1943].

9 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. ix, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nouchine et Abdolali Âzar (éd.), Téhéran, Qoqnoos, 1378/1999 [1960-1971], p. 1798, distique 3464. Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Ferdowsi, trad. Pierre Lecoq, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019, livre 41, p. 1406, distique 3506.

10 Marx, William, La Haine de la littérature, Paris, Les Éditions de Minuit, 2015, p. 20.

11 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. vii, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nouchine et Abdolali Âzar (éd.), Téhéran, Qoqnoos, 1378/1999 [1960-1971], p. 1510, d. 693. Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Ferdowsi, trad. Pierre Lecoq, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019, livre 34, p. 1188, d. 684.

12 Voir Reichl, Karl, Singing the Past: Turkic and Medieval Heroic Poetry, Ithaca, Londres, Cornell University Press, 2000, p. 21 et, ici même, l’article de Monire Akbarpouran, « Le destan turc est-il une épopée ? Premiers débats et prolongements actuels », Le Recueil Ouvert, vol. 3 (2017).

13 Voir Asaduddin, Mohammad, « First Urdu Novel: Contesting Claims and Disclaimers », in Mukherjee, Meenakshi (éd.), Early Novels in India, New Delhi, Sahitya Academy, p. 119-120.

14 Il est révélateur que le mot dâstân, persan d’origine, soit employé de préférence par Ferdowsi, pour les raisons qui ont été dites. En effet, par comparaison, il a beaucoup moins recours à deux termes d’origine arabe, pourtant très courants en persan, تاریخ (târikh), « histoire, chronique », par exemple au moment de l’épilogue de l’épopée, et قصه (ghesseh), «conte», par exemple pour nommer le cinquantième et dernier livre, consacré au roi Yazdguerd, dernier des Sassanides.

15 L’épopée peut être définie comme le genre de la valeur, en Orient comme en Occident, ce qui la place tout en haut dans la hiérarchie des genres : cela explique l’insistance de Ferdowsi sur son ambition poétique et lesبرتر اندازه (bartar andâzeh, « dimensions supérieures ») du Livre des Rois, dans le distique déjà cité du livre 34.

16 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich, Esthétique, vol. 2, trad. Charles Bénard, revue et complétée par Benoît Timmermans et Paolo Zaccaria, Paris, LGF, Classiques de la philosophie, 1997 [Vorlesungen über die Aesthetik, 1818-1829], p. 499.

17 Comparant Homère et Virgile, Rodney Delasanta note que « In the oral epics, the poet’s tone is literally present: in his, or the rhapsode’s voice, his delivery, his very physical presence. The degree of explicitness necessary to the audience’s appreciation of the story does not always need to be supplied by the narrated word. Approbation or disapprobation, tonal subtlety, irony can be supplied by a gesture, a vocal inflection, even a raised eyebrow. » (The Epic Voice, La Haye, Paris, Mouton, 1967, p. 40-41, cité dans De Jong, Irene J.F., Narrators and Focalizers. The Presentation of the Story in the Iliad, Londres, Bristol Classical Press, 2004 [1987], p. 25, « Dans les épopées orales, le ton du poète est littéralement présent : dans sa voix ou celle du rhapsode, dans sa diction, dans sa présence physique même. Pour comprendre et apprécier l’histoire, les auditeurs ne requièrent pas forcément une verbalisation explicite par le récit. Approbation ou désapprobation, subtilité du ton et ironie peuvent être indiquées par un geste, une inflexion vocale, voire un haussement de sourcil. »).

18 De Jong, Irene J.F., Narrators and Focalizers. The Presentation of the Story in the Iliad, Londres, Bristol Classical Press, 2004 [1987], p. 44.

19 Dabashi, Hamid, The Shahnameh. The Persian Epic as World Literature, New York, Columbia University Press, 2019, p. 218.

20 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. i, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nouchine et Abdolali Âzar (éd.), Téhéran, Qoqnoos, 1378/1999 [1960-1971], p. 18, d. 29. Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Ferdowsi, trad. Pierre Lecoq, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019, ouverture, p. 26, d. 29.

21 Meschonnic, Henri, Célébration de la poésie, Lagrasse, Verdier, 2001, p. 251.

22 Voir Ferdowsi, Châhnâmeh, t. ix, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nouchine et Abdolali Âzar (éd.), Téhéran, Qoqnoos, 1378/1999 [1960-1971], p. 2061, d. 3367-3382. Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Ferdowsi, trad. Pierre Lecoq, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019, livre 43, p. 1601, d. 3414-3429.

23 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. ix, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nouchine et Abdolali Âzar (éd.), Téhéran, Qoqnoos, 1378/1999 [1960-1971], p. 2161, d. 864-865. Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Ferdowsi, trad. Pierre Lecoq, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019, livre 50, p. 1679, d. 857-858.

24 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. ix, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nouchine et Abdolali Âzar (éd.), Téhéran, Qoqnoos, 1378/1999 [1960-1971], p. 2068, d. 3542-3544. Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Ferdowsi, trad. Pierre Lecoq, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019, livre 43, p. 1606, d. 3590-3592.

25 Voir, ici-même, Ghafouri, Alireza, « Recherches récentes sur l’épopée persane. La question des sources du Chahnameh de Ferdowsi », Le Recueil Ouvert, vol. 4 (2018).

26 Sainte-Beuve, Charles Augustin, « Le Livre des Rois, par le poëte persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl » (11 février 1850), Causeries du lundi, t. 1, Paris, Librairie Garnier Frères, 1851, p. 344.

27 Voir Dehrmann, Mark-Georg, « Episode und Totalität: Zur Poetik des modernen Epos nach 1800, am Beispiel von Friedrich Schlegel », Zeitschrift für Germanistik, n.s. XXX, cah. 3 (2020), p. 540-560.

28 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich, Esthétique, vol. 2, trad. Charles Bénard, revue et complétée par Benoît Timmermans et Paolo Zaccaria, Paris, LGF, Classiques de la philosophie, 1997 [Vorlesungen über die Aesthetik, 1818-1829], p. 532.

29 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. vii, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nouchine et Abdolali Âzar (éd.), Téhéran, Qoqnoos, 1378/1999 [1960-1971], p. 1330, d. 1132. Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Ferdowsi, trad. Pierre Lecoq, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019, livre 20, p. 1049, d. 1168.

30 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. vii, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nouchine et Abdolali Âzar (éd.), Téhéran, Qoqnoos, 1378/1999 [1960-1971], p. 1335, d. 1246. Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Ferdowsi, trad. Pierre Lecoq, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019, livre 20, p. 1054, d. 1272.

31 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. vii, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nouchine et Abdolali Âzar (éd.), Téhéran, Qoqnoos, 1378/1999 [1960-1971], p. 1342, d. 1421. Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Ferdowsi, trad. Pierre Lecoq, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019, livre 20, p. 1060, d. 1447.

32 Ghirshman, Romain, L’Iran : des origines à l’Islam, Paris, Albin Michel, 1976, p. 199.

33 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. i, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nouchine et Abdolali Âzar (éd.), Téhéran, Qoqnoos, 1378/1999 [1960-1971], p. 18, d. 23. Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Ferdowsi, trad. Pierre Lecoq, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019, ouverture, p. 25, d. 23.

34 Il a été rapproché par des lecteurs modernes du personnage de Zadig. Voir Chaybany, Jeanne, Les Voyages en Perse et la pensée française au XVIIIe siècle, Téhéran, Imprimerie du Ministère de l’information, Paris, Geuthner, 1971, p. 239. Il est vrai qu’avec douze siècles d’avance Bozordjmehr apparaît comme une figure prophétique des Lumières : son nom, en persan, ne signifie-t-il pas littéralement « grand soleil » ?

35 Hamid Dabashi, à partir de sa lecture du Livre des Rois, parle de la conception d’une nation « not as a racial category but as the site of a collective consciousness predicated on a shared memory accumulated over a sustained and renewed course of history » (The Shahnameh. The Persian Epic as World Literature, New York, Columbia University Press, 2019, p. 46, « non pas comme catégorie raciale mais comme lieu d’une conscience collective fondée sur une mémoire commune accumulée au cours d’un cheminement historique durable et renouvelé »).

36 C’est ce qui posait problème à Hegel, qui, tout en consacrant un développement au Châhnâmeh dans son chapitre consacré à la « poésie épique orientale », écrit : « nous ne pouvons appeler ce poème une véritable épopée, parce qu’il n’a pour centre aucune action individuelle complète et une. » (Hegel, Georg Wilhelm Friedrich, Esthétique, vol. 2, trad. Charles Bénard, revue et complétée par Benoît Timmermans et Paolo Zaccaria, Paris, LGF, Classiques de la philosophie, 1997 [Vorlesungen über die Aesthetik, 1818-1829], p. 555).

37 À la suite d’Henry Corbin, la traduction récente de Leili Anvar féminise en français son nom en « la Sîmorgh », voir son avant-propos intitulé « L’envol » dans ‘Attâr, Farîd od-dîn, Le Cantique des oiseaux, trad. Leili Anvar, Paris, Diane de Selliers, 2012, p. 22-23.

38 Cet ensemble de chapitres initialement destinés aux Misérables évoque les amours de prison entre brigands et prostituées. Or c’est précisément dans les miasmes et les immondices de la société que se prouve l’existence de l’âme : « Cet imperdable que nous avons en nous, c’est à quoi on ne réfléchit pas assez. […] Plus vous vous enfoncez bas, plus la lueur miraculeuse s’obstine. […] Stupeur sacrée ! la preuve se fait par les abîmes. » (Les Fleurs, Proses philosophiques de 1860-1865, Critique, Œuvres complètes, vol. xii, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 1985, p. 542)

39 Ferdowsi, Châhnâmeh, t. vii, Evgenii Eduardovitch Berthels, Abdolhossein Nouchine et Abdolali Âzar (éd.), Téhéran, Qoqnoos, 1378/1999 [1960-1971], p. 1423, d. 548. Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Ferdowsi, trad. Pierre Lecoq, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019, livre 22, p. 1117, d. 541.

40 Voir Lyotard, Jean-François, La Condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Minuit, 1979, p. 21.

41 Hugo, Victor, William Shakespeare, Critique, Œuvres complètes, vol. xii, Paris, Robert Laffont, «Bouquins», 1985 [1864], p. 316.

42 Borges, Jorge Luis, This Craft of Verse, « The Telling of the Tale », Cambridge, Harvard University Press, 2000, p. 51-52.

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Pour citer ce document

Armand Erchadi, «En attendant Rostam : Ce que Le Livre des Rois de Ferdowsi fait aux idées d’épopée et de littérature-monde», Le Recueil Ouvert [En ligne], mis à jour le : 09/11/2023, URL : http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/429-en-attendant-rostam-ce-que-le-livre-des-rois-de-ferdowsi-fait-aux-idees-d-epopee-et-de-litterature-monde

Quelques mots à propos de :  Armand  Erchadi

Armand Erchadi est doctoral researcher au Département des Sciences humaines de l’Université du Luxembourg.