La Réserve : Livraison du 05 novembre 2015
Vers une typologie des anecdotes galantes de Mme de Sévigné
Initialement paru dans : Littératures classiques, n° 78, « Écritures de l’actualité (XVIe-XVIIIe siècles) », K. Abiven et L. Depretto (dir.), 2012, p. 97-109
Texte intégral
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1 Les citations des lettres de Mme de Sévigné, données entre parenthèses au f...
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2 Tel est le cas de Mme Paul (lettre du 30 mai 1672 à Mme de Grignan : I, 522...
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3 Nous faisons allusion aux enlèvements de Mlle Mazarin (lettre du 23 décembr...
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4 Sur la « solution de continuité entre La Fare et Mme de La Sablière », voir...
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5 À propos des liaisons du marquis de Vardes, l’un des plus grands séducteurs...
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6 Sur l’amour ridicule de d’Hacqueville pour une « borgnesse », voir les lett...
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7 Mme de Sévigné raconte à Bussy-Rabutin comment Mlle de Beauvais a refusé to...
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8 La marquise revient à plusieurs reprises sur le retentissant procès en annu...
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9 I. Landy-Houillon, « Réflexion et Art de plaire. Quelques modalités de fonc...
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10 B. Roukhomovsky (dir.), L’Optique des moralistes de Montaigne à Chamfort, ...
1Friande de tous les faits divers propres à faire apparaître l’infinie variété des bizarreries de la nature humaine, Mme de Sévigné ne peut que se délecter à raconter dans ses lettres les « caprices de l’amour » (30 mai 1672 : I, 522)1, d’autant plus que son statut de veuve irréprochable l’autorise à déployer une liberté de parole peu commune à l’égard des ridicules dont « tout l’empire amoureux » (8 avril 1671 : I, 211) est rempli. Qu’elles relatent les risibles agissements de riches veuves contractant de scandaleuses mésalliances avec des hommes bien plus jeunes attirés par leur seule fortune2, de jeunes filles consentant à être enlevées dans leur couvent3, d’amants infidèles4, de libertins multipliant les conquêtes et les ruptures5, d’amoureux transis aliénant brutalement leur bon sens6 et prêts à accepter tous les sacrifices7 ou encore de jeunes femmes bernées par des séducteurs sans scrupule8, nombreuses sont les anecdotes qui, tout au long de la correspondance, illustrent – pour reprendre le titre de Mme de Villedieu – les désordres de l’amour. Assurément, l’anecdote galante peut d’abord se définir par sa composante thématique. Pourtant, celle-ci ne doit pas occulter les stratégies textuelles qui président à la mise en récit du matériau anecdotique. Si le sujet de l’anecdote est bien évidemment dicté par l’actualité, sa configuration formelle, en revanche, ne saurait s’expliquer seulement par la pression de la nouvelle (aussi sensationnelle ou scabreuse soit-elle) que Mme de Sévigné décide de relayer : elle repose sur les choix stylistiques d’une épistolière qui, loin de se contenter de la fonction informative de ses anecdotes galantes, choisit de les utiliser comme support de la réflexion morale. Car telle est notre hypothèse : chez Mme de Sévigné, qui « en tout point conforme à l’esthétique et aux dispositions morales de son siècle, pratique abondamment la “réflexion” dans ses lettres9 », les stratégies textuelles qui président à la narration des anecdotes galantes sont le corollaire de sa tendance à filtrer les événements à travers le prisme optique10 caractéristique des moralistes. Le malin plaisir que prend manifestement l’épistolière à raconter, certes sous l’impulsion des événements, les ravages de l’amour semble provenir moins de la consignation aléatoire de cas particuliers que de leur mise en série, moins de la pure collecte de faits bruts que de leur inclusion au sein d’un paradigme.
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11 On se souvient que la carte de Tendre oppose l’honnête amitié et la passio...
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12 Dans le cadre d’une approche linguistique de l’opinion, G.-E. Sarfati prop...
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13 Pour une réflexion d’ensemble sur l’exemplarité, nous renvoyons à deux col...
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15 Sans entrer dans les détails de la démarche inductive qui sous-tend l’élab...
2Autrement dit, si l’épistolière jubile à relater les déboires amoureux dont elle est informée, c’est qu’elle les perçoit comme les savoureuses illustrations d’une opinion largement partagée – à savoir que l’amour, qui est « une fièvre trop violente pour durer » (14 juillet 1680 : II, 1013), est un redoutable et méprisable fauteur de troubles. Sans minorer la diversité formelle des anecdotes relatant les divers débordements amoureux dont Mme de Sévigné se fait l’écho, force est de constater qu’elles sollicitent toutes, de manière plus ou moins explicite, l’axiologie promue dans le sillage de la Carte de Tendre (qui condamne l’amour passionnel pour mieux valoriser l’amitié tendre)11. De fait, les anecdotes qui illustrent les méfaits de l’amour « dénué de toute sorte de vertus » (13 novembre 1689 : III, 754) ne sont réductibles ni à leur fonction informative ni à leur fonction ludique – au demeurant indéniables –, tant elles ne cessent de réactiver la « compétence topique12 » de destinataires imprégnés de la doxa galante. D’où, dans ces anecdotes, une constante tension entre le particulier et le général, le cas concret et la loi abstraite, le souci de raconter avec pittoresque et la volonté de commenter. Ce qu’il s’agit donc de mettre au jour, c’est la manière dont chez Mme de Sévigné, l’anecdote crée de l’exemplaire13 à partir de cas particuliers et singuliers. Quels sont les procédés grâce auxquels le fait divers acquiert une portée illustrative14 ? Dans quelle mesure convertit-elle des référents singuliers en types, voire en stéréotypes ? Comment la narration anecdotique mobilise-t-elle des représentations topiques et parvient-elle à mettre en place une esthétique inductive15 propre à entraîner l’adoption d’un régime de lecture spécifique?
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16 Nous adoptons la terminologie d’A. Adam, Le Texte narratif. Traité d’analy...
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17 Loc. cit.
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18 Loc. cit
3À y regarder de près, les anecdotes galantes que rapporte Mme de Sévigné construisent quatre sortes d’exemplarité, qui ont en commun d’avoir pour effet pragmatique de confirmer les thèses galantes sur les méfaits de la passion amoureuse. Si l’on procède le long d’un continuum menant de l’exemplarité la plus explicite à la plus implicite, on peut distinguer plusieurs niveaux d’exemplarité, en fonction des différentes stratégies de clôture qui confèrent à l’anecdote sa valeur exemplifiante. L’examen des anecdotes galantes de Mme de Sévigné conduit à proposer une typologie distinguant quatre modèles, selon que la narration se clôt par un épiphonème, une épiphrase à la première personne, une épiphrase à la troisième personne ou une clausule ironique à présentatif. S’il est ainsi possible de différencier quatre régimes d’exemplarité morale, hâtons-nous cependant de souligner les limites inhérentes à une telle entreprise de modélisation. D’une part, quelques anecdotes échappent inévitablement à cette tentative de mise en série. D’autre part, nous n’ignorons pas que seule une microlecture offre les moyens de décrire l’interaction des phénomènes dont la convergence est au fondement de la « dimension configurationnelle16 » de chaque anecdote. De fait, les effets de clôture, auxquels nous restreignons nos analyses, sont systématiquement préparés par « des évaluations injectées en divers points du récit », qui, « suspendant le cours des événements rapportés, peuvent tendre à réduire les “erreurs” dans le passage de l’épisodique à la saisie cognitive d’ensemble17 ». Faute d’avoir ici le loisir d’étudier en détail les procédés qui, « en élucidant la valeur du récit », favorisent « la reconnaissance par l’interprétant de l’intention du narrateur18 », contentons-nous d’en mentionner trois qui, s’ils forment souvent faisceau, ne sont pourtant ni nécessairement spécifiques, ni forcément concomitants : le jeu sur les connotations ; l’utilisation du discours rapporté, qui assure non seulement la circulation (médisante) des nouvelles, mais encore la communication d’un consensus autour d’évidences partagées ; les allusions intertextuelles, qui, en produisant des décalages génériques souvent cocasses, distillent une charge de distanciation méprisante.
L’épiphonème
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19 S’appuyant sur la définition qu’en propose P. Fontanier (Les Figures du di...
4Face au fait divers qu’elle choisit de relater, Mme de Sévigné peut adopter l’attitude du moraliste prompt à tirer de l’anecdotique un savoir sur la nature humaine, et conférer au récit anecdotique une visée généralisante explicite et assumée. Dans ce cas, l’épistolière clôt l’anecdote par l’énonciation d’une vérité générale, exprimée au moyen d’une phrase générique – soit, en termes rhétoriques, par un épiphonème19.
Mme de La Fayette me mande deux mariages qui ne font pas d’honneur à notre sexe. Cette présidente Barentin, qui riait toujours, si aise d’être présidente, si gorgiase, veuve depuis dix mois, s’est amourachée d’un homme de vingt ans, fils de Cormaillon. Elle lui a donné six mille livres de rente et quatre-vingt mille francs, et l’a épousé. Lui, sachant que le feu président était cousin germain de Mme de Louvois, lui a conté son aventure et a dit à M. de Louvois que si ce mariage lui déplaisait, il ne la verrait jamais. Voilà ce qu’a fait cette folle :
Pour qui ? pour un ingrat…
Mme de La Mésangère a épousé le fils de Fontenay, qui est à M. de Chartres, autre folie désapprouvée de Mme de La Sablière et de tout le monde. On ne distingue pas assez les têtes sages. (15 mars 1690 : III, 852)
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20 A. Adam, op. cit., p. 167.
Cette double anecdote à morale unique se caractérise d’abord par la présence, en sa clôture, d’une « morale explicite, indiquant clairement après coup le calcul interprétatif, facilitant le passage de l’ordre chronologique séquentiel-événementiel à la dimension configurationnelle-cognitive du discours », même si, art de plaire oblige, cette « « morale évaluative finale20 » se teinte d’ironie.
5C’est de ce modèle que relève l’anecdote suivante :
Nous avons fort causé, Guitaut et moi, de notre ami, qui est si sage et qu’il craint tant. Il n’ose vous mander un accident qu’on croit qui lui est arrivé ; c’est d’être très passionnément amoureux de la borgnesse, fille du maréchal. C’est amour, fureur, à ce qu’on dit. Il s’en défend comme d’un meurtre, mais ses actions le trahissent. Il sent le ridicule d’être amoureux d’une personne ridicule. Il est honteux, embarrassé, mais ce bel œil l’a charmé :
Cet œil charmant qui n’eut jamais
Son pareil en divins attraits.
Voilà ce que Guitaut n’osait écrire. Je vous confie ce secret, et je vous conjure de le garder très fidèlement. Mais le moyen de ne point faire admirer en cette occasion la puissance de l’orviétan ? (19 février 1672 : I, 443)
Destinée à rendre perceptible « l’intention » de l’épistolière, qui « n’est pas une simple intention de communiquer une suite événementielle en se limitant à la dimension épisodique de l’histoire21 », mais bien de susciter la connivence de sa destinataire autour d’un savoir moral unanimement partagé, la clôture se fait au moyen d’un épiphonème, dont le caractère didactique est toutefois tempéré par la modalité interrogative et l’ingéniosité de la périphrase par laquelle Mme de Sévigné désigne le pouvoir de l’amour22.
L’épiphrase à la première personne
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23 Rappelons que l’épiphrase consiste en l’« addition d’un commentaire explic...
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24 Nous renvoyons à la microlecture qu’en fait M. Escola, « La seconde main d...
6Consciente des risques qu’entraîne la formulation d’énoncés génériques, l’épistolière préfère parfois assortir ses récits anecdotiques d’épiphrases23 à la première personne, qui, en exprimant de simples réactions subjectives (indignation, mépris), certes indissociables des jugements axiologiques sur lesquelles elles sont fondées, présentent l’avantage d’atténuer le caractère péremptoire et didactique de la réflexion morale. C’est ce qu’illustre la clôture du morceau de bravoure que Mme de Sévigné consacre à l’enlèvement de Mlle de Vaubrun par M. de Béthune24 :
Écoutez un peu ceci, ma bonne. Connaissez-vous M. de Béthune, le berger extravagant de Fontainebleau, autrement Cassepot ? Savez-vous comme il est fait ? Grand, maigre, un air de fou, sec, pâle, enfin comme un vrai stratagème. Tel que le voilà, il logeait à l’hôtel de Lyonne avec le duc, la duchesse d’Estrées, Mme de Vaubrun et Mlle de Vaubrun. Cette dernière alla, il y a deux mois, à Sainte-Marie du faubourg Saint-Germain ; on crut que c’était le bonheur de sa sœur qui faisait cette religieuse et qu’elle aurait tout le bien. Savez-vous ce que faisait ce Cassepot à l’hôtel de Lyonne ? L’amour, ma bonne, l’amour avec Mlle de Vaubrun. Tel que je vous le figure, elle l’aimait. Benserade dirait là-dessus, comme dit Mme de Ventadour qui aimait son mari : « Tant mieux si elle aime celui-là, elle en aimera bien un autre. » Cette petite fille de dix-sept ans a donc aimé ce don Quichotte, et hier il alla, avec cinq ou six gardes de M. de Gêvres, enfoncer la grille du couvent avec une bûche et des coups redoublés. Il entra avec un homme à lui dans ce couvent, trouve Mlle de Vaubrun qui l’attendait, la prend, l’emporte, la met dans un carrosse, la mène chez M. de Gêvres, fait un mariage sur la croix de l’épée, couche avec elle, et le matin, dès la pointe du jour, ils sont disparus tous deux, et on ne les a pas encore trouvés. En vérité, c’est là qu’on peut dire encore :
Agnès et le corps mort s’en sont allés ensemble.
Le duc d’Estrées crie qu’il a violé les droits de l’hospitalité. Mme de Vaubrun veut lui faire couper la tête. M. de Gêvres dit qu’il ne savait pas que ce fût Mlle de Vaubrun. Tous les Béthune font quelque semblant de vouloir empêcher qu’on ne fasse le procès à leur sang. Je ne sais point encore ce qu’on en dit à Versailles. Voilà, ma chère bonne, l’évangile du jour. Vous connaissez cela, on ne parlait d’autre chose. Que dites-vous de l’amour ? Je le méprise quand il s’amuse à de si vilaines gens. (25 mars 1689 : III, 557-558)
L’épiphrase, qui dévoile l’opinion qu’a l’épistolière de « l’amour », révèle que Mme de Sévigné pratique spontanément la logique inductive : elle perçoit l’événement non pas comme un cas isolé, singulier, mais comme un cas d’espèce venant confirmer son opinion. En présupposant des régularités et des similitudes (« quand il s’amuse… »), l’épiphrase inscrit explicitement le cas particulier dans une série, et le dote ainsi d’exemplarité.
7Que l’épiphrase permette d’assortir le récit anecdotique de son évaluation, c’est aussi ce dont témoigne l’histoire de la « pauvre Bartillat », qui se clôt sur la résolution de l’épistolière (rendue plus saisissante par l’emploi du futur catégorique et de l’antithèse) de ne jamais se laisser berner par des amants qui se révèlent n’être que de vils imposteurs – résolution qui ne manque pas de sel compte tenu du veuvage de la séduisante marquise :
Voici une histoire bien tragique. Cette pauvre Bartillat est devenue passionnée, pour ses péchés passés, de l’insensible Caderousse :
Il l’a vue s’enflammer et non pas se défendre.
D’abord il a été au fait, et lui a fait mettre en gage ses perles pour soutenir un peu la bassette. Il alla chez Mme de Quintin avec mille louis, qu’il fit sonner. Sa reconnaissance l’obligea de dire d’où ils venaient ; elle a été si excessivement saisie de ce procédé qu’elle en est devenue une image de saint Benoît, comme elle a été autrefois. Et le sang et les esprits ne courant plus, elle est devenue gonflée et gangrenée, de sorte qu’elle est à l’agonie. Nous y passâmes hier, le petit Coulanges et moi ; on attend qu’elle expire. Elle est mal pleurée ; le père et le mari voudraient qu’elle fût déjà sous terre. Il n’y a pas deux opinions sur la cause de sa mort. Mme de Frontenac en est toute honteuse, aussi bien que tout le sexe, qui devrait déchirer Caderousse comme Orphée. Je ne ferai jamais mon héros d’un si malhonnête homme. J’ai le même chagrin contre lui que Mme de Coulanges contre La Fare ; elle ne le salue plus et dit qu’il l’a trompée. Il n’y a qu’elle qui se plaigne ; La Sablière a pris son parti en jolie et spirituelle personne. Ce n’est pas pour le même sujet que je hais Caderousse, comme vous voyez, car même, il ne m’a pas trompée. (24 janvier 1680 : II, 810-811)
Cette fois encore, Mme de Sévigné appréhende le comportement qu’elle relate non pas à travers sa singularité, mais par le biais de son exemplarité, l’analogie entre le comportement de Caderousse et celui de la Fare (deux hommes qui ont en commun d’avoir préféré, quoique chacun à leur manière, le jeu à leur maîtresse) exhibant la portée illustrative de l’anecdote qui vient d’être racontée. Quant au « chagrin » éprouvé par Mme de Sévigné, il confirme que les émotions consignées dans les épiphrases sont inséparables de jugements de valeur s’appuyant sur des certitudes morales. L’épiphrase à la première personne fonctionne ainsi comme un outil de démystification : loin d’être dupe de comportements qui pourraient sembler brillamment héroïques (l’enlèvement) ou follement romanesques (mourir d’amour), Mme de Sévigné ne manque pas d’instruire le procès de l’amour, qu’elle tient pour une source non de sublimation de soi mais de ridicule. Destinée à susciter le mépris et la répulsion à l’égard des « vilaines gens » incapables d’aimer avec grandeur et noblesse, l’épiphrase à la première personne, qui érige les protagonistes en anti-modèles, signifie tout le mépris (aussi amusé soit-il) de la marquise à l’égard de ces pitoyables contrefaçons.
L’épiphrase à la troisième personne
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25 « Dans la phrase attributive, la caractérisation a le privilège […] de fai...
8Mme de Sévigné pratique encore une autre manière d’apprécier et de commenter les comportements décrits dans le récit anecdotique : celle qui consiste à clore celui-ci par une épiphrase à la troisième personne – épiphrase d’autant plus efficace qu’elle prend la forme d’une construction attributive25, propre à instaurer une relation d’équivalence référentielle dotée d’une puissante charge critique. Alors que l’ensemble de l’anecdote exploite déjà, à grand renfort de termes péjoratifs, ses affinités avec le portrait satirique, Mme de Sévigné achève de ridiculiser les protagonistes au moyen d’un commentaire qui non seulement confirme que le matériau anecdotique a été appréhendé et traité à travers des évidences partagées d’ordre moral, mais encore confère à l’anecdote un statut paradigmatique.
Nous avons ici une Mme de la Baroire qui bredouille d’une apoplexie ; elle fait pitié. Mais quand on la voit laide, point jeune, habillée du bel air, avec des petits bonnets à double carillon, et qu’on songe de plus qu’après vingt-deux ans de veuvage, elle s’est amourachée de M. de La Baroire qui en aimait une autre à la vue du public, à qui elle a donné tout son bien, et qui n’a jamais couché qu’un quart d’heure avec elle pour fixer les donations, et qui l’a chassée de chez lui outrageusement (voici une grande période), mais quand on songe à tout cela, on a extrêmement envie de lui cracher au nez. On dit que Mme de Péquigny vient aussi ; c’est la Sibylle Cumée. Elle cherche à se guérir de soixante et seize ans, dont elle est fort incommodée ; ceci devient les Petites-Maisons. (4 juin 1676 : II, 309)
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26 R. Amossy, L’Argumentation dans le discours, Paris, Colin, 2006, p. 186. S...
La structure attributive, d’aspect inchoatif, qui clôt de manière lapidaire le parallèle entre Mme de la Baroire et Mme de Péquigny délivre bien « des sentiments fondés sur une certitude morale26 » (ces deux femmes sont folles, et auraient leur place dans un asile d’aliénés). La transition de la narration anecdotique à l’épiphrase de structure équative se fait par le biais d’une idée communément admise (de tels comportements sont imputables à de la démence) : c’est une opinion partagée qui assure l’enchaînement entre le récit et l’énoncé interprétatif.
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27 A. Rabatel, « Effacement énonciatif et argumentation indirecte : “On-perce...
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28 J.-Cl. Anscombre, « De l’argumentation dans la langue à la théorie des top...
9Que l’on appréhende les mécanismes qui font passer de l’un à l’autre en termes de « point de vue stéréotypé » reposant sur « des évidences perceptuelles doxiques27 » ou en termes de « topos » pragmatique28, l’épiphrase donne bien un tour moral à l’anecdote, comme en témoigne celle qui relate la passion de Mme Paul :
Si vous ne trouvez pas cette tête-là assez renversée, vous n’avez qu’à le dire : je vous donnerai celle de Mme Paul, qui est devenue éperdue, et s’est amourachée d’un grand benêt de vingt-cinq ans ou vingt-six ans, qu’elle avait pris pour faire le jardin. Vraiment il a fait un beau ménage ; cette femme l’épouse. Ce garçon est brutal ; il est fou. Il la battra bientôt ; il l’a déjà menacée. N’importe, elle veut en passer par là. Je n’ai jamais vu tant de passion. Ce sont tous les plus violents sentiments qu’on puisse imaginer. Mais ils sont croqués, comme les grosses peintures. Toutes les couleurs y sont, il n’y aurait qu’à les étaler. Je me suis extrêmement divertie à méditer sur ces caprices de l’amour. Je me suis effrayée moi-même, en voyant de tels attentats. Quelle insolence ! s’attaquer à Mme Paul, c’est-à-dire à l’austère, la farouche, l’antique et grossière vertu ! Où trouvera-t-on quelque sûreté ? Voilà de belles nouvelles, ma pauvre bonne, au lieu de vos aimables relations. (30 mai 1672 : I, 522)
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29 A. Adam, op. cit., p. 166.
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30 Nous renvoyons à la classification établie par C. Kerbrat-Orechioni, L’Éno...
Fondées sur différentes constructions du verbe être, les épiphrases à la troisième personne font explicitement passer de la narration à ses prolongements extra-diégétiques – bref, « de la série événementielle à la série cognitive29 ». Préparées par les nombreux évaluatifs axiologiques30 qui portent sur les objets dénotés des jugements de valeur fortement négatifs, elles achèvent de ridiculiser les victimes de ce que Mme de Sévigné appelle les « caprices de l’amour », l’anaphore démonstrative ajoutant à sa fonction logique une charge péjorative qui exhibe l’intention de dénigrement, avant que l’autodérision ne l’emporte définitivement sur la tentation moralisatrice.
La clausule à présentatif
10Il arrive enfin que Mme de Sévigné semble se contenter de raconter les aventures galantes dont elle vient de prendre connaissance sur le mode de la neutralité. Ce qui fait la spécificité de ce modèle d’anecdote, c’est l’absence apparente d’énoncés interprétatifs – ce qui a pour effet de mettre l’accent sur l’analyse psychologique et d’insérer l’anecdote dans une sorte d’étude des mœurs amoureuses.
M. le chevalier de Lorraine alla voir l’autre jour la Fiennes. Elle voulut jouer la délaissée ; elle parut embarrassée. Le chevalier, avec cette belle physionomie ouverte que j’aime, et que vous n’aimez point, la voulut tirer de toutes sortes d’embarras, et lui dit : « Mademoiselle, qu’avez-vous ? pourquoi êtes-vous triste ? qu’y a-t-il d’extraordinaire à tout ce qui nous est arrivé ? Nous nous sommes aimés, nous ne nous aimons plus ; la fidélité n’est pas une vertu des gens de notre âge. Il vaut bien mieux que nous oubliions le passé et que nous reprenions les tons et les manières ordinaires. Voilà un joli petit chien ; qui vous l’a donné ? » Et voilà le dénouement de cette belle passion. (1er avril 1672 : I, 469)
Introduite par un présentatif, la clausule, en assurant l’indication conclusive d’un « dénouement », semble à première vue relever de l’impartialité du constat. À première vue seulement, puisque sous l’apparente objectivité affleure très vite la distanciation ironique, l’anaphore démonstrative convoquant le point de vue non pas de l’épistolière mais de tous ceux qui ont été dupes de la « beauté » de cette « passion ». Réexaminée dans une perspective sémantico-énonciative propre à en mettre au jour le fonctionnement polyphonique, l’anaphore démonstrative s’avère déployer un habile dialogisme : si elle ménage une place à la qualification méliorative, c’est seulement dans le but d’en dénoncer l’inadéquation. L’anaphore démonstrative constitue ainsi un outil redoutablement efficace pour dénoncer les jugements hâtifs sur des liaisons amoureuses vouées à des fins aussi vulgaires qu’inévitables.
11C’est d’ailleurs par le même procédé ironique que Mme de Sévigné clôt, avant de laisser libre cours à ses préoccupations spirituelles, le morceau de bravoure qui relate la rupture entre Mme de La Sablière et La Fare.
Vous me demandez, ma bonne, ce qui a fait cette solution de continuité entre La Fare et Mme de La Sablière. C’est la bassette ; l’eussiez-vous cru ? C’est sous ce nom que l’infidélité s’est déclarée ; c’est pour cette prostituée de bassette qu’il a quitté cette religieuse adoration. Le moment était venu que cette passion devait cesser et passer même à un autre objet. Croirait-on que ce fût un chemin pour le salut de quelqu’un que la bassette ? Ah ! c’est bien dit ; il y a cinq cent mille routes où il est attaché. Elle regarda d’abord cette distraction, cette désertion ; elle examina les mauvaises excuses, les raisons peu sincères, les prétextes, les justifications embarrassées, les conversations peu naturelles, les impatiences de sortir de chez elle, les voyages à Saint-Germain où il jouait, les ennuis, les ne savoir plus que dire. Enfin, quand elle eut bien observé cette éclipse qui se faisait et ce corps étranger qui cachait peu à peu tout cet amour si brillant, elle prend sa résolution. Je ne sais ce qu’elle lui a coûté, mais enfin, sans querelle, sans reproche, sans éclat, sans le chasser, sans éclaircissement, sans vouloir le confondre, elle s’est éclipsée elle-même, et sans avoir quitté sa maison où elle retourne encore quelquefois, sans avoir dit qu’elle renonçait à tout, elle se trouve si bien aux Incurables qu’elle y passe quasi toute sa vie, sentant avec plaisir que son mal n’était pas comme ceux des malades qu’elle sert. Les supérieurs de cette maison sont charmés de son esprit ; elle les gouverne tous. Ses amis la vont voir ; elle est toujours de très bonne compagnie. La Fare joue à la bassette :
Et le combat finit faute de combattants.
Voilà la fin de cette grande affaire qui attirait l’attention de tout le monde ; voilà la route que Dieu avait marquée à cette jolie femme. Elle n’a point dit les bras croisés : « J’attends la grâce. » Mon Dieu, que ce discours me fatigue ! eh ! morts de ma vie ! elle saura bien vous préparer les chemins, les tours, les détours, les bassettes, les laideurs, l’orgueil, les chagrins, les malheurs, les grandeurs. Tout sert, et tout est mis en œuvre par ce grand ouvrier qui fait toujours infailliblement tout ce qui lui plaît. (14 juillet 1680 : II, 1012-1013)
Laissant transparaître de façon concomitante la lucidité sardonique de l’épistolière et les illusions de ses contemporains tout en conférant à l’anecdote fluidité narrative et cohésion argumentative, les anaphores démonstratives sont utilisées non seulement dans la clausule, mais encore tout au long de l’anecdote. Si celle-ci acquiert une portée exemplaire, c’est précisément en vertu des dissonances ironiques déployées par les anaphores, qui ont pour effet de discréditer durablement les erreurs d’interprétation motivées par une incorrigible naïveté.
Conclusion
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31 La formule est de M. Escola, art. cit., p. 208.
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32 M.-A. Paveau, Les Prédiscours. Sens, mémoire, cognition, Paris, Presses So...
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33 Ibid., p. 14.
12Les anecdotes galantes de Mme de Sévigné témoignent donc, s’il en était encore besoin, de la fidélité de la marquise aux idéaux de sa jeunesse – à savoir les valeurs du royaume de Tendre. En « précieuse jamais repentie31 » qui persiste à penser que seuls quelques cœurs d’exception sont capables d’aimer véritablement, c’est-à-dire de conférer à leurs sentiments le raffinement et la distinction propres à la tendresse, la marquise ne manque pas de ridiculiser les agissements qui lui semblent être autant de « « péché[s] » commis « contre l’idée de l’amour » (29 novembre 1679 : II, 750). Certes, Mme de Sévigné, qui souhaiterait que l’amour « ne fût que pour les gens choisis » (28 juin 1671 : I, 283), ne peut s’empêcher de passer le matériau anecdotique au filtre de la méditation morale, sa manière de raconter les aventures galantes dont elle a connaissance paraissant résulter davantage du goût pour l’analogie que de l’attrait pour l’unique, davantage de l’attention aux similitudes que de la curiosité pour le singulier. Pourtant (et contrairement à l’impression que peut donner un article consacré aux effets de clôture…), grâce à la maîtrise consciente d’une énonciation aussi ludique que variée, Mme de Sévigné semble proposer à sa destinataire moins un commentaire qu’une narration, moins une interprétation qu’un récit, moins un sermon qu’un « évangile du jour » (25 mars 1689 : III, 558). Loin de pouvoir être réduit à un simple arrière-plan idéologique, le discrédit de l’amour apparaît plutôt comme l’un de ces « cadres prédiscursifs collectifs (savoirs, croyances, pratiques), qui donnent des instructions pour la production et l’interprétation du sens en discours »32. Aussi le thème des maux et des ridicules provoqués par l’amour doit-il être appréhendé sous l’angle des « déterminations prélinguistiques des discours », dans la mesure où il assume le rôle d’opérateur « dans la négociation du partage, de la transmission et de la circulation du sens »33 constitutifs d’une relation épistolaire réussie.
Notes
1 Les citations des lettres de Mme de Sévigné, données entre parenthèses au fil du texte, mentionnent la date de la lettre et sa pagination (tome et page) dans l’édition de référence : Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 3 volumes, 1972-1978.
2 Tel est le cas de Mme Paul (lettre du 30 mai 1672 à Mme de Grignan : I, 522) et de Mme d’Albret (lettre du 23 décembre 1683 à Bussy-Rabutin : III, 92).
3 Nous faisons allusion aux enlèvements de Mlle Mazarin (lettre du 23 décembre 1682 à Bussy-Rabutin : III, 91) et de Mlle de Vaubrun (lettre du 25 mars 1689 à Mme de Grignan : III, 557-558).
4 Sur la « solution de continuité entre La Fare et Mme de La Sablière », voir la lettre à Mme de Grignan du 14 juillet 1680 (II, 1012).
5 À propos des liaisons du marquis de Vardes, l’un des plus grands séducteurs de son époque, voir les lettres à Mme de Grignan du 28 juin 1671 (I, 280) et du 30 mars 1672 (I, 467). Sur les frasques de Charles de Sévigné, voir notamment les lettres à Mme de Grignan du 8 avril 1671 (I, 210-211), du 17 avril 1671 (I, 225-226) et du 25 octobre 1679 (II, 722) – frasques dont Mme de Sévigné n’hésite ni à se divertir avec son fils (15 avril 1671 : I, 222) ni à rire avec sa fille (4 août 1677 : II, 514), ni à discuter avec ses amis, comme en témoigne l’une des lettres écrites par Mme de La Fayette à Mme de Sévigné (19 mai 1673 : I, 580).
6 Sur l’amour ridicule de d’Hacqueville pour une « borgnesse », voir les lettres à Mme de Grignan du 19 février 1672 (I, 443) et du 9 mars 1672 (I, 451).
7 Mme de Sévigné raconte à Bussy-Rabutin comment Mlle de Beauvais a refusé toute faveur à son époux, le comte de Soissons, pendant deux ans et demi (lettre du 23 décembre 1682 : III, 91).
8 La marquise revient à plusieurs reprises sur le retentissant procès en annulation qui suivit le mariage de Mme de Coligny, fille de Bussy-Rabutin, avec La Rivière (voir la lettre à Guitaut du 23 janvier 1682 : III, 80-81).
9 I. Landy-Houillon, « Réflexion et Art de plaire. Quelques modalités de fonctionnement dans les lettres de Mme de Sévigné », dans G. Haroche-Bouzinac (dir.), Lettre et réflexion morale. La lettre, miroir de l’âme, Paris, Klincksieck, 1999, p. 25.
10 B. Roukhomovsky (dir.), L’Optique des moralistes de Montaigne à Chamfort, Paris, Champion, 2005.
11 On se souvient que la carte de Tendre oppose l’honnête amitié et la passion amoureuse, en représentant le royaume de Tendre bordé par une Mer dangereuse au-delà de laquelle s’étendent les Terra incognita de l’amour passionnel. L’idéal de la tendresse est désormais bien connu, grâce aux travaux d’histoire des sensibilités (M. Daumas, La Tendresse amoureuse. XVI-XVIIIe siècles, Paris, Perrin, 1996), de philologie (D. Denis, « Les inventions de Tendre », Intermédialités, n° 4, « Aimer », automne 2004, p. 45-66) et de stylistique (C. Lignereux, Une écriture de la tendresse au XVIIe siècle. Pour une étude stylistique des lettres de Mme de Sévigné, thèse soutenue en novembre 2009, sous la dir. de D. Denis).
12 Dans le cadre d’une approche linguistique de l’opinion, G.-E. Sarfati propose la notion de « compétence topique » pour désigner « l’aptitude des sujets à produire des énonciations opportunes et adéquates, et, corrélativement, de les interpréter compte tenu des formes et des contenus axiologiques investis dans la structuration du sens dans un cotexte et un contexte donnés. Ou encore : l’aptitude des sujets à sélectionner et identifier – à la production comme à la réception – les topiques afférentes à une situation langagière donnée. », (« Aspects épistémologiques et conceptuels d’une théorie linguistique de la doxa », dans R. Koren et R. Amossy (dir.), Après Perelman. Quelles politiques pour les nouvelles rhétoriques ? L’argumentation dans les sciences du langage, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 76).
13 Pour une réflexion d’ensemble sur l’exemplarité, nous renvoyons à deux collectifs récents : L. Giavarini (dir.), Construire l’exemplarité. Pratiques littéraires et discours historiques (XVIe-XVIIIe siècles), Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2008, et E. Bouju, A. Gefen, G. Hautecoeur et M. Macé (dir.), Littérature et exemplarité, Rennes, PUR, 2007.
14 Comme le soulignent Ch. Perelman et L. Olbrechts-Tyteca
15 Sans entrer dans les détails de la démarche inductive qui sous-tend l’élaboration discursive de l’exemplarité, rappelons que l’induction repose sur un double « principe d’expérience et de recension : expérimentation qui permet de faire apparaître de nouvelles conditions d’emploi des faits observés, de les questionner, et recension comme geste de rassemblement en une même classe de divers cas reconnus semblables. » (P. Boudon, « Entre rhétorique et dialectique : la constitution des figures d’argumentation », Langages, n° 137, mars 2000, p. 77).
16 Nous adoptons la terminologie d’A. Adam, Le Texte narratif. Traité d’analyse textuelle des récits, Paris, Nathan, 1985, p. 167.
17 Loc. cit.
18 Loc. cit
19 S’appuyant sur la définition qu’en propose P. Fontanier (Les Figures du discours [1830], Paris, Flammarion, 1977, p. 386-390), C. Fromilhague définit l’épiphonème comme une « formule synthétique » qui se situe « le plus souvent à la fin d’un ensemble (= clausule conclusive) », et qui est « de forme sententieuse, et donc amovible » (C. Fromilhague, Les Figures de style, Paris, Nathan, 1995, p. 5). Dans leur Dictionnaire de rhétorique et de poétique, M. Aquien et G. Molinié soulignent que l’épiphonème « exprime une opinion de type général, présenté comme n’appelant pas de contestation possible » (Paris, Librairie générale française, 1999, p. 161).
20 A. Adam, op. cit., p. 167.
21 Loc. cit.
22 À propos d’une autre occurrence, R. Duchêne rappelle que « l’orviétan est une variante de la thériaque, l’un des remèdes de base au XVIIe siècle. Dans L’Amour médecin (II, VII), l’opérateur célèbre les vertus d’un remède miracle et conclut : “Ô grande puissance de mon orviétan !” » (note 2 de la p. 216 : I, 1052-1053).
23 Rappelons que l’épiphrase consiste en l’« addition d’un commentaire explicatif, d’une réaction affective, qui s’articulent avec ce qui les précède et qui ne sont donc pas sémantiquement détachables. » (C. Fromilhague, Les Figures de style, op. cit., p. 101). Se référant à la définition qu’en donne P. Fontanier (Les Figures du discours, op. cit., p. 399-402), B. Dupriez insiste sur le fait que c’est une « partie de phrase qui paraît ajoutée spécialement en vue d’indiquer les sentiments de l’auteur ou du personnage » (Gradus, Union générale d’Éditions, 1984, p. 194).
24 Nous renvoyons à la microlecture qu’en fait M. Escola, « La seconde main de la marquise : fiction et diction dans les Lettres de Mme de Sévigné », La Licorne, n° 79, « Le savoir des genres », R. Baroni et M. Macé (dir.), 2006, p. 201-210.
25 « Dans la phrase attributive, la caractérisation a le privilège […] de faire partie intégrante et imprescriptible du propos, et par là de gratifier le sujet d’une qualité en quelque sorte inaliénable. Ainsi, le verbe copule commence-t-il à œuvrer plus tôt qu’on ne le pense en faveur de l’identification du sujet : il trace insensiblement un chemin de la description que nous appellerons “stabilisée” à la manifestation de l’identité qu’est censé incarner l’attribut syntagme nominal. » A. Jaubert, Étude stylistique de la correspondance entre Henriette*** et J.-J. Rousseau. La subjectivité dans le discours, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1987, p. 67.
26 R. Amossy, L’Argumentation dans le discours, Paris, Colin, 2006, p. 186. S’appuyant sur les travaux de P. Charaudeau autour du « savoir de croyance, d’H. Parret sur les « émotions [qui] sont des jugements » et de R. Boudon à propos des « sentiments moraux », R. Amossy propose une synthèse de la manière dont « l’analyse du discours tient compte de l’élément émotionnel tel qu’il s’inscrit dans le discours en étroite liaison avec la doxa de l’auditoire et les processus rationaux qui visent à emporter l’adhésion. »
27 A. Rabatel, « Effacement énonciatif et argumentation indirecte : “On-perceptions”, “on-représentations” et “on-vérités” dans les points de vue stéréotypés », dans P.-Y. Raccah (dir.), Signes, langues et cognition, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 85-116.
28 J.-Cl. Anscombre, « De l’argumentation dans la langue à la théorie des topoï », dans J.-Cl. Anscombre (dir.), Théorie des topoï, Paris, Kimé, 1995, p. 39.
29 A. Adam, op. cit., p. 166.
30 Nous renvoyons à la classification établie par C. Kerbrat-Orechioni, L’Énonciation de la subjectivité dans le langage, Paris, Colin, 1980, p. 83-100.
31 La formule est de M. Escola, art. cit., p. 208.
32 M.-A. Paveau, Les Prédiscours. Sens, mémoire, cognition, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2006, p. 118. Par « cadres prédiscursifs », l’auteur désigne plus précisément « les données qui ne sont pas matériellement discursives, mais qui ne sont pas non plus totalement étrangères à la mise en discours. Elles proviennent de notre perception organisée du monde et de l’accumulation de nos expériences. […] Les données prédiscursives ressemblent alors à des organisations discursives disponibles pour la production des discours, et qui les orientent de manière plus ou moins contrainte ». L’auteur en énonce six propriétés spécifiques : la co-élaboration entre l’individu et la société (les cadres pré-discursifs sont partagés collectivement et appropriés individuellement) ; l’immatérialité (ils ne s’inscrivent pas directement dans la matérialité discursive) ; la transmissibilité ; l’expérientialité (ce sont des organisateurs d’expérience) ; l’intersubjectivité (ils accueillent des contenus dont la vérité est approximative et relative parce qu’ils possèdent une dimension pratique) ; la discursivité (ils sont manifestables en discours), ibid., p. 116-126.
33 Ibid., p. 14.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Cécile Lignereux
Maître de conférences en langue et littérature françaises – Université Grenoble Alpes / UMR Litt&Arts – RARE Rhétorique de l'Antiquité à la Révolution