La Réserve : Livraison du 1er décembre 2015
Considérations logiques sur de nouveaux styles de fictionnalité : les mondes de la fiction au XVIIe siècle
Initialement paru dans : Fr. Lavocat dir., La Théorie littéraire des mondes possibles, Éditions. du C.N.R.S., 2010, Partie II , Chapitre 3, pp. 171-188
Texte intégral
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1 Voir F. Lavocat, « Fictions et paradoxes. Les nouveaux mondes possibles à l...
1Dans un ouvrage collectif sur les Usages et théories de la fiction, Françoise Lavocat propose de considérer le paradoxe comme un des « archétypes de la modélisation fictionnelle » (la formule est de Jean-Marie Schaeffer), aux côtés du romanesque1. Et elle en appelle de ses vœux à une observation fine de toutes les « constellations fondamentales de l’engendrement d’univers fictionnels » aux XVIe et XVIIe siècles. Notre hypothèse première ici est que dans la seconde moitié du XVIIe siècle, sont en place plusieurs « constellations fondamentales d’engendrement d’univers fictionnels », et plus précisément, plusieurs logiques de référenciation de la fiction, plusieurs stratégies de positionnement logique qui structurent ce que nous proposons de nommer de nouveaux styles de pensée de la fiction, de nouveaux styles de fictionnalité.
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2 Voir Jean Gayon, « De la catégorie de style en histoire des sciences », dan...
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3 Voir Kuhn, T. S., La Structure des révolutions scientifiques (1962, 1970), ...
2Nous utilisons ici la notion de « styles de pensée » au sens où les historiens des sciences l’utilisent, comme modes et méthodes de conceptualisation non exclusifs les uns des autres (c’est ainsi que dans les sciences peuvent cohabiter des styles de pensée déductive, expérimentale et/ou statistique)2. Ces styles de pensée scientifique sont des généralisations d’historien, mais contrairement au concept de paradigme mis en avant par Kuhn et lié à une histoire par révolution (un paradigme balayant le paradigme antérieur3), les styles de conceptualisation se succèdent sans s’exclure, voire en se combinant. La notion de style permet donc à la fois de penser des modèles différents de fonctionnement d’un objet (ici la pensée scientifique, pour nous la conception de la fiction) et d’articuler ces modèles dans un développement historique. Voilà qui nous permettra d’opérer une articulation entre conception théorique et projection dans l’histoire, en appréhendant sous l’angle d’une modélisation épistémique plurielle la pensée de la fiction telle qu’elle s’est construite dans l’histoire.
3Pour en venir à une rapide description du corpus, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, un nouveau type d’écriture romanesque apparaît, qui dénigre les « vieux romans » précieux et instaure à la fois un format appelé à durer (le format bref : en un seul volume), une topique nouvelle (l’histoire servant de « cadre » à la fiction galante) et peut-être une nouvelle façon de concevoir et de lire la fiction, un « nouveau roman » qui, dépassant le sous-genre du « roman historique », inaugurerait le x-ième renouveau de tout le genre romanesque.
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4 Nous nous référerons aux éditions suivantes : Madame de La Fayette, Histoir...
4Il s’agit là d’un corpus désormais bien réédité : nous nous appuierons ici d’abord sur l’œuvre de Madame de La Fayette, avec l’Histoire de la Princesse de Montpensier (1662) et l’Histoire de la Comtesse de Tende (même date ?), que l’on peut considérer comme les premières versions de la Princesse de Clèves (1678) – triomphe du mélange de l’histoire (galante) et de l’Histoire (de France) ; nous renverrons aussi le lecteur au chef-d’œuvre de Saint-Réal, Dom Carlos, nouvelle historique (1672) et à ce que nous pourrions appeler des scénarios concurrents (et parfois critiques) de La Princesse de Clèves, au premier rang desquels La Duchesse d’Estramène (1682) et les nouvelles de Catherine Bernard, Le Comte d’Amboise, nouvelle (1689) ou encore Inès de Cordoue (1696)4.
5Quelles analyses peut-on mener sur ce renouveau de la fiction en prose, qui s’étale sur presque un demi-siècle et tout d’abord comment définir ce (sous)-genre ?
6On peut en premier lieu recenser un certain nombre d’analyses « internes », qui rendent compte du fonctionnement structurel de ces textes – sans parvenir pour autant à identifier un fait de structure comme critère nécessaire et/ou suffisant pour définir quelque chose comme un « genre ».
7Un grand nombre d’études a pu mettre en évidence la « poétique » de ces textes, en fait une « contre-poétique » du resserrement et du rapprochement avec le monde du lecteur, qui se structure à partir d’un contre-modèle, celui des grands romans. :
5 Du Plaisir, Les Sentiments sur les lettres et sur l’histoire, avec des scru...
Ce qui a fait haïr les anciens romans est ce que l’on doit d’abord éviter dans les romans nouveaux. Il n’est pas difficile de trouver le sujet de cette aversion ; leur longueur prodigieuse, ce mélange de tant d’histoires diverses, leur grand nombre d’acteurs, la trop grande antiquité de leurs sujets, l’embarras de leur construction, leur peu de vraisemblance, l’excès dans leur caractère, sont des choses qui paraissent assez d’elles-mêmes.5
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6 Quatre histoires digressives interrompent par exemple la diégèse de la Prin...
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7 Op. cit., p. 311 : « Aussi on la [cette histoire] trouvera plus extraordina...
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8 Catherine Bernard écrit encore dans l’Avis du Comte d’Amboise (op.cit., p. ...
8Un des intérêts de cette synthèse poétique est qu’elle émane d’un auteur critique contemporain de la « mode » de la nouvelle, plus ou moins méconnu, Du Plaisir. Il faut donc avoir conscience que cette « contre-poétique » est un modèle général forgé par les acteurs du champ eux-mêmes, à leur avantage et en accord avec une forte stratégie de différenciation par rapport à leurs prédécesseurs. Nous ne sommes donc pas obligés de les suivre en tout point et pour reprendre quelques-uns des caractères mis en avant par Du Plaisir, force est de constater que bien des nouvelles partagent avec le roman précieux (bien plus qu’elles n’excluent) le mélange des histoires6, le grand nombre d’acteurs, l’invraisemblance des situations (Catherine Bernard se vantera en préface du Comte d’Amboise d’une action « extraordinaire »7) ou encore l’excès des caractères (qui donnent volontiers dans le sublime8). Au prisme de la relecture, l’idée d’une « contre-poétique » romanesque témoigne d’une modélisation polémique de l’écriture de fiction, sans constituer par ailleurs un principe régulateur des pratiques.
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9 Jean Régnault de Segrais, Les Nouvelles françaises ou les divertissements d...
9On peut encore aborder cet ensemble assez cohérent de fiction à la fois romanesque et historique en mettant en « évidence » ce que Marc Escola nomme métaphoriquement dans son édition des nouvelles galantes du XVIIe siècle une « grammaire » du genre, et que nous qualifierions volontiers de rhétorique commune : une inventio spécifique orchestrée dans une disposition adaptée - articulation autour de scènes fortes (la rencontre, la séparation, la communication oblique, les retrouvailles, le renoncement, l’adieu), croisées avec une topique ornementale, enchantée des lieux (fêtes de Cour, locus amoenus pastoral, architecture de la retraite). Mais ce schéma hypertextuel (fondé sur le texte de la Princesse de Clèves) non seulement ne prétend pas donner une définition en extension ou en intension du genre (il vise pédagogiquement à en offrir une saisie expérimentale), mais on pourrait le retrouver dans des cycles fictionnels antérieurs (songeons, exemple parmi d’autres, aux Nouvelles françaises de Segrais en 16569).
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10 Th. Pavel, L’Art de l’éloignement. Essai sur l’imagination classique, Pari...
10Autrement dit, en appréhendant la nouvelle fiction selon des modèles trans-génériques ou trans-historiques, ces analyses en constituent en quelque sorte des descriptions internes, et ne disent rien de ce qui fait l’enjeu des débats, et la raison du succès : à savoir ce qui se noue autour de l’incertitude du « genre », incertitude rappelée jusque dans la nomination même des ouvrages (nouvelle historique, histoire anglaise, nouvelle espagnole, histoire). C’est bien là un élément de rupture fort que cet ancrage dans l’historique et le « national », une rupture avec une pensée du roman jusqu’alors conçue, pour reprendre la formule-titre de Thomas Pavel, comme un « art de l’éloignement »10.
11En effet, la nouvelle fiction se veut un mixte d’affabulation galante et d’histoire récente, et dès lors elle est en marge des classifications habituelles comme l’explicitent pour nous l’abbé de Charnes (acteur important, dans le rôle de la défense, de la Querelle de La Princesse de Clèves). Les nouvelles fictions, nous dit-il,
11 Charnes, Conversations sur la Critique de la Princesse de Clèves, Paris, C...
Ce ne sont pas de ces pures fictions, où l’imagination se donne une libre étendue, sans égard à la vérité. Ce ne sont pas aussi de celles où l’auteur prend un sujet de l’histoire, pour l’embellir et la rendre agréable par ses inventions. C’en est une troisième espèce, dans laquelle, ou l’on invente un sujet, ou l’on en prend un qui ne soit pas universellement connu ; et on l’orne de plusieurs traits d’histoire, qui en appuient la vraisemblance, et réveillent la curiosité et l’attention du lecteur.11
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12 Souvenons nous en effet de la Dédicace de L’Illusion comique (Corneille, 1...
12Nous voyons ici instaurer ce qui va devenir un « topos » critique, à savoir le caractère hybride, mixte, de la nouvelle historique et galante. Dans le langage de Corneille, nous pourrions qualifier cette invention d’« extravagance », de « caprice » ou de « monstre » (de monstre théorique, s’entend12) mais nous ne ferions guère plus alors que de redire son ambiguïté : en quels termes et selon quelle méthodologie aborder cette technique composite dans notre propre modernité, qui n’installe pas la nouvelle fiction qu’est la nouvelle, dans un « entre-deux » ?
13Notre hypothèse est que la théorie logique des mondes possibles est peut-être, sur ce point précis, décisive, car elle semble la seule qui puisse nous permettre de sortir d’une analyse en termes de mixité, d’hybridité ou d’exception.
14Répertorions pour commencer quelques analyses-types traditionnelles et évaluons ce à quoi elles aboutissent.
15Que peut tout d’abord nous apporter une approche rhétorique ? Avec l’outil d’imitation (de récriture), nous pouvons tenter de faire le partage entre ce qui, dans le texte de la fiction, relève de l’imitation historique et de l’imitation galante. Le résultat, on le sait, est peu convaincant : il s’avère rapidement qu’il est impossible d’établir une définition rhétorique de la fiction historique et galante, puisque l’énoncé historique peut varier du minima (quatre-vingt lignes dans le Comte d’Amboise, cette histoire d’un homme qui est assez généreux pour céder sa maîtresse à son rival, pendant les guerres de religion) au maxima (plus de la moitié du texte pour Dom Carlos) et qu’on ne voit pas bien selon quel critère rigoureux fixer un dosage quelconque.
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13 Pour une présentation de cette question d’actualité dans les débats théori...
16C’est à une semblable impasse que conduit l’approche narratologique, quand elle pose une distinction fondamentale entre énoncés factuels (historiques et moraux) et énoncés fictionnels. Dès l’apparition des noms propres historiques, le problème se pose de savoir ce qu’il advient, statutairement parlant de ces personnages « migrateurs » : conservent-ils un statut différent des autres personnages fictionnels avec lesquels ils interagissent, ou sont-ils « fictionnalisés »13 ? La question est théoriquement indécidable dès lors qu’on la pose en termes d’isolement d’énoncés car la lecture alors supposée n’est plus un phénomène lisse et confiant, mais une gymnastique insupportable entre deux attitudes pragmatiquement dissociées. Il ne nous sera pas inutile de reprendre un des textes précis, le début de la Princesse de Montpensier, pour éprouver de visu l’intrication paradigmatique du factuel (que nous laissons en caractères romains) et du fictionnel (que nous mettons en italiques, pour les besoins de la cause) :
14 Op. cit., p. 53.
Pendant que la guerre civile déchirait la France sous le règne de Charles IX, l’amour ne laissait pas de trouver sa place parmi tant de désordres, et d’en causer beaucoup dans son empire. La fille unique du marquis de Mézières, héritière très considérable et par ses grands biens et par l’illustre maison d’Anjou dont elle était descendue, était comme accordée au duc du Maine, cadet du duc de Guise, que l’on appela depuis le Balafré.14
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15 Sur ces notions, voir J. Searle, Sens et expression, Paris, Ed. de Minuit,...
17Il en va de même concernant une approche pragmatique opérée sur la question de la vérité (ou de la fausseté) de la nouvelle. Cette question n’est pas neuve si on la pose pour toute fiction en général : ce n’est pas le lieu ici pour développer les acquis de notre modernité sur le statut pragmatique singulier de la fiction (ni vraie ni fausse, elle relève pour les uns d’un « contrat de feintise », pour les autres d’une « simulation ludique d’assertions sérieuses » ou encore d’un « acte de communication indirecte »15). Il existe une tentation « projectiviste » qui n’est pas fausse, pour notre corpus : c’est de dire que cette approche pragmatique si singulière – cette exception pragmatique (la suspension du jugement de vérité) - s’explicite dans la fiction historique des années 1660-1690, où elle apparaît massivement dans les constats plus ou moins déploratifs des critiques :
16 Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique (1696), article sur les ...
L’on n’a pas d’autre voie de discerner ce qui est fiction d’avec les faits véritables que de savoir par d’autres livres si ce qu’elle narre est vrai. C’est un inconvénient qui s’augmente tous les jours.16
18Et Pierre Bayle de souhaiter ce que les narratologues et pragmaticiens recherchent confusément – un établissement politique des frontières :
17 Ibid.
[…] et je crois qu’enfin on contraindra les Puissances à donner ordre que ces nouveaux romanistes aient à opter : qu’ils fassent des Histoires toutes pures, ou des romans tout purs ; ou qu’au moins ils se servent de crochets pour séparer l’une de l’autre, la vérité de la fausseté.17
19En mêlant ainsi histoire et fiction, vérité et affabulation, les auteurs du XVIIe siècle ont fait surgir un acte de langage indécis, que la pragmatique n’arrive pas à décrire de façon non paradoxale. Car c’est bien un hybride théorique qui est mis à jour, pour parler de cette fameuse « suspension du jugement de vérité » : la fiction s’écrit quelque part entre vrai et faux, entre assertion sérieuse et assertion feinte, entre communication directe et communication indirecte, entre acte et jeu, etc.
20Quelle leçon tirer de ce qu’il faut bien appeler des impasses méthodologiques ? Alors que les fictions des années 1660-1680 sont à l’évidence un des lieux qui a à nous apprendre sur la frontière entre fictionnel et factuel, et par ricochet sur le propre de la fiction, les approches rhétoriques, narratologiques et pragmatiques, si riches d’enseignements sur le fonctionnement interne de ces « machines textuelles », laissent ouverte la question générique. Ou, pour le dire autrement, toute approche en termes de départition et d’hétérogénéité du tissu textuel est sans aucun doute à proscrire.
21C’est pourquoi il importe de se donner pour base une théorisation susceptible d’appréhender ces textes dans leur globalité, dans leur unité. D’où l’intérêt de recourir, à titre d’hypothèse de travail, à la théorie sémantique des mondes possibles, pour décrire de façon unifiée le monde textuel tout en maintenant la différence entre fictionnel et factuel, sous l’angle d’une différence logique entre « monde actuel » MA, et monde textuel MT.
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18 Voir R. Saint-Gelais, « Ambitions et limites de la sémantique de la fictio...
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19 L. Dolezel, Heterocosmica. Fiction and Possible Worlds, Baltimore et Londr...
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20 Fr. Lavocat, « L’œuvre littéraire est-elle un monde possible », Atelier, 1...
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21 Voir G.W. Leibniz, Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de...
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22 Th. Pavel, Les Univers de la fiction, Paris, Ed. du Seuil, 1988.
22Pour une présentation sommaire de cette théorie, nous renverrons à deux articles récents : l’un, de Richard Saint-Gelais (« Ambitions et limites de la sémantique de la fiction »)18, article consacré au grand ouvrage de référence de Lubomir Dolezel, Heterocosmica19, et l’autre, de Françoise Lavocat, sous le titre « L’œuvre littéraire est-elle un monde possible ? »20. C’est chez Leibniz que l’on trouve présentée la logique des mondes possibles sous une forme chère aux littéraires, la fiction21 : Leibniz définit comme mondes possibles les pièces d’une pyramide infinie qui contient toutes les versions et variantes possibles de la vie de Sextus Tarquinus s’il avait choisi de suivre le conseil de Jupiter (renoncer au trône). Au sommet de la pyramide se trouve la dernière pièce, le meilleur des mondes possibles, le monde tel qu’il est. Ainsi conçu, le monde possible constituerait une « alternative crédible du monde réel », une variante mimétique de notre monde. C’est l’interprétation qu’en fait d’ailleurs Thomas Pavel dans son ouvrage Les Univers de la fiction22, quand il dit par exemple que La Comédie humaine est une alternative crédible du monde réel au milieu du XIXe siècle au point d’en être la réplique exacte, à une centaine de personnages fictifs près. Mais une telle interprétation est un contresens logique en ce qu’elle assimile la possibilité (monde possible) au vraisemblable, alors que la logique du possible telle qu’elle est reconceptualisée à la fin du XXe siècle n’a rien à voir avec la mimesis.
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23 S. Kripke, La Logique des noms propres (1972), Paris, Ed. de Minuit, 1982.
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24 Voir Fr. Lavocat, « L’œuvre littéraire est-elle un monde possible ? », op....
23En effet, la logique modale des années 1970-1980 a construit la notion de monde possible pour donner une réponse plus fine à la question de la vérité des propositions (des énoncés). Pour reprendre l’analyse de Saul Kripke23, un monde est un ensemble de propositions formant des descriptions d’états consistants et complets (un monde est consistant s’il n’est pas logiquement contradictoire, et il est complet si on peut toujours dire de toutes les propositions qui le composent, qu’elles sont soit vraies soit fausses). La possibilité est alors une relation liée à la notion d’accessibilité : un monde M2 est possible pour M1 s’il est « accessible » à partir de celui-ci, c’est-à-dire s’il y a une relation énoncée qui permette d’obtenir M2 à partir de M1, autrement dit qui stipule les modifications des conditions de vérité des propositions dans M2. Par exemple, une proposition p, fausse « dans » M1, sera stipulée vraie en référence à un autre monde dit M2. Pour la plupart des logiciens, le monde possible M2 est la réplique du monde actuel M1, à un changement local près24. Les mondes possibles sont des outils intéressants pour la théorisation empirique, parce qu’ils fournissent des modèles alternatifs de l’univers et des scénarios contrafactuels.
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25 Pour l’importation de la logique sémantique des mondes possibles dans le c...
24La notion de monde possible a pu alors être appliquée à la fiction pour aborder certaines impasses théoriques25, concernant en particulier les problèmes de référence (à quoi et comment réfère la fiction ?), mais aussi la relation qui existe entre monde actuel et monde fictionnel - la logique des mondes possible nous invitant à penser cette relation d’accessibilité non pas sur le mode mimétique du reflet plus ou moins déformant, mais sur le mode de la variation des conditions de vérité.
25A partir de là, que peut nous apporter la logique des mondes possibles dans ce qui nous pose problème, à savoir le statut hybride des nouvelles fictions historiques et galantes du second XVIIe siècle ?
26En tant qu’instrument logique, cette théorie va nous permettre de progresser sur un élément fondamental de la problématique fictionnelle, à savoir sur la question de la vérification.
27Commençons par nous interroger sur ce qu’est, en logique, la vérité et la fausseté.
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26 Voir les textes rassemblés dans De Vienne à Cambridge. L’héritage du posit...
28On peut définir la vérité à l’intérieur du monde actuel (MA) comme le fruit d’une opération de vérification d’un ensemble de propositions à l’intérieur d’un monde de référence. C’est ici une définition traditionnelle de la vérité à l’intérieur d’un seul monde de référence, comme jugement fondé sur un travail de vérification. On se rappelle ici l’apport de la logique contemporaine de l’induction : est scientifiquement vrai tout ce qui est vérifiable26, et Karl Popper ajoute :
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27 K. Popper, La Logique de la découverte scientifique (1934), Paris, Payot, ...
29Est donc scientifiquement vrai tout ce qui est falsifiable.27
30En effet, pour expliciter cette dernière formule, si, comme dans notre cas de l’histoire racontée, l’opération de vérification est une opération d’évaluation de la conformité des propositions textuelles avec les archives du monde actuel, alors, à partir d’une archive donnée, il y a toujours deux options possibles dans la production de nouvelles propositions : les respecter (la vérification du nouvel énoncé conclura à la vérité) et les falsifier (la vérification conduira à la fausseté).
31Or, les discours critiques et auctoriaux des années 1670 produisent un contre-modèle logique, celui des « anciens romans » : non seulement ils appréhendent la Fable « ancienne » en termes de vérification et de falsification, mais ils établissement un jugement logique stable, selon lequel toutes les fables des anciens romans sont « fausses » - recoupant en cela les propositions mêmes des romanciers critiqués, sous influence aristotélicienne. C’est ainsi que Mademoiselle de Scudéry peut écrire en 1649 :
28 Madeleine de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus, Au lecteur (1649), Paris...
Encore qu’une Fable ne soit pas une Histoire, et qu’il suffise à celui qui la compose de s’attacher au vraisemblable, sans s’attacher toujours au vrai : néanmoins dans les choses que j’ai inventées […] j’ai suivi tantôt l’un et tantôt l’autre [de tous ces auteurs], selon qu’ils ont été plus ou moins propres à mon dessein : et quelquefois suivant leur exemple, j’ai dit ce qu’ils n’ont dit ni l’un ni l’autre : car après tout, c’est une Fable que je compose, et non pas une Histoire que j’écris.28
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29 Aristote, Premiers Analytiques, éd. J. Tricot, Vrin, 1962, II, 27, 70 : « ...
32La classification qui est ici à l’œuvre repose très précisément sur le double principe de la vérification et de la falsification : les énoncés tirés de l’histoire ou de la mythologie sont vérifiés (dans l’archive) ; et si les énoncés vraisemblables sont faux, ils renvoient cependant à des maximes générales de comportement qui elles sont bel et bien vérifiées dans notre actualité (confer la définition logique du vraisemblable selon Aristote29). Dans la conception qui est héritée de la poétique antique, les propositions de la fable sont donc soumises au principe de vérification et au jugement consécutif de fausseté, et le monde actuel est le monde qui vérifie la fable et énonce ses procédures de falsification (falsification mimétique au double sens de mimesis morale - de bienséance- , et de mimesis rhétorique - de récriture -, ou bien falsification « libre », invraisemblable, fantaisiste ou merveilleuse).
33Ce qui revient à dire que les propositions de la fabula – terme que nous réservons à ce style de fonctionnement fictionnel – sont validées en référence au seul monde actuel, ou, autre façon de dire la chose, les propositions de la fabula ne réfèrent pas à un monde possible autonome, qui fonctionnerait comme cadre de référence concurrent du monde actuel. D’un point de vue logique, pour les critiques de la seconde moitié du XVIIe siècle l’écriture fabuleuse des « anciens romans » n’est pas soumise à un régime particulier de contraintes logiques : elle est soumise au régime général de véridiction et de falsification du monde actuel, et elle est du côté de la falsification (qu’elle soit mimétique ou non).
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30 Voir les Sentiments d’un homme d’esprit sur la nouvelle intitulée Dom Carl...
34Or, en même temps, les auteurs et critiques de la nouvelle historique et galante invalident explicitement cette logique de vérification pour la fiction qu’ils sont en train d’inventer ou de répertorier. Il y a ceux qui n’arrivent plus à effectuer les vérifications (et qui le déplorent)30 ; et il y a ceux qui, sautant le pas, constatent que l’approche vérificationnelle est évincée, comme Valincour, critique majeur de La Princesse de Clèves :
31 Valincour, Lettres à Madame la Marquise *** sur le sujet de la Princesse d...
Il serait difficile à ceux qui voudraient la prendre comme une histoire de deviner sur quels mémoires l’historien a travaillé. En effet, les principaux faits n’ont été sus que de ceux qui y ont eu part, et il ne paraît point qu’ils les aient jamais racontés à personne, ni qu’ils aient pu jamais parvenir à la connaissance de l’auteur que par le moyen d’une révélation particulière.31
35C’est dans cette même optique de rejet de la vérification, qu’entre la topique du privé, du secret – car l’histoire secrète, c’est strictement celle qu’on ne peut vérifier.
36Que nous disent à la fois tous ces textes ? que les propositions de la fiction sont difficilement vérifiables (Bayle), ou ne sont pas vérifiables (Valincour) ; mais ils nous disent aussi qu’il y a un véritable enjeu dans la vérification, dans la mesure où ces textes postulent/posent/imposent que ce qu’ils écrivent est la vérité ; et cette vérité-là, c’est celle des faits et des personnages de la nouvelle à une date plus ou moins récente, autrement dit c’est leur actualité :
32 Mme de la Fayette, Lettre à Lescheraine [sur La Princesse de Clèves], 13 a...
Il n’y a rien de romanesque et de grimpé ; aussi n’est-ce pas un roman : c’est proprement des mémoires et c’était, à ce que l’on m’a dit, le titre du livre, mais on l’a changé.32
37A travers les propos des uns et des autres, nous trouvons la même matrice logique d’un nouveau fonctionnement de la fiction, que nous pouvons articuler en cinq points.
1.
38Les propositions de la fiction ont eu une actualité (les faits et personnages ont existé), ce qui revient à dire qu’il existe un monde où ces propositions ont été vérifiées. Mais le monde actuel ne permet plus la vérification de ces propositions. L’important ici est en quelque sorte que le texte de la fiction (comme l’explicite souvent son encadrement) opère une remise en cause du monde actuel comme monde nécessaire de référence : il est faux que le monde actuel puisse vérifier les propositions du texte, ce qui est une formulation de la contingence (il est possible que le monde actuel ne soit pas le monde de référence). Une telle postulation logique remet en cause la validité de l’induction puisque ce qui est vrai à un moment t du monde de référence, n’est plus vrai à un moment t+1 ; dans la logique même de cette rupture inductive, ce qui est postulé, c’est donc une rupture dans le monde de référence, le monde de référence étant désormais partitionné entre un monde de référence inactuel M2 (celui dans lequel les propositions textuelles étaient vraies à l’instant t) et notre monde de référence actuel M1, qui ne peut plus vérifier les propositions textuelles, avec cette relation d’accessibilité première et fondatrice (constitutive) de M2, selon laquelle les propositions du texte sont vraies (vérifiées) dans le seul monde M2. Avec ce nouveau style de fictionnalité, il y a bien dédoublement du monde de référence pour valider les propositions et amorce d’une nouvelle règle de validation, autrement dit autonomisation d’un monde possible.
2.
39Comme l’énonce explicitement la proposition de Valincour rappelée ci-dessus, il n’est plus possible de vérifier les propositions dans le monde actuel. Ce qui veut dire qu’on ne peut plus porter sur elles un jugement de vérité ou de fausseté en les rapportant à notre monde de référence. Là est le point décisif, porté par la topique déjà relevée du secret et du privé. Il y a affirmé un rejet fort de l’attitude vérificationnelle, et par-là même, un rejet de la problématique de la falsification. Le roman ne se présente plus comme un art de « l’éloignement » : en tant qu’il n’est plus vérifiable, il oblige à abandonner toute référence mimétique à notre monde. Comme l’explicite Dolezel, un tel changement signe la faillite de l’optique mimétique. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, à l’intérieur du champ de la fiction, apparaît ainsi une fracture entre fable (qui reste dans la perspective mimétique de vérification et de falsification, mimétique ou non, dans un seul monde actuel M1) et nouvelle fiction (nouveau fonctionnement de la fiction) qui rejette le postulat de vérification et de falsification dans M1.
40De droit, ce rejet marche pour tous les énoncés du monde du texte : mais dans les faits, on rencontre tout le panel possible des stratégies pour établir cette logique spécifique, jusqu’aux stratégies les plus paradoxales, entre les textes qui démentent toute rhétorique de la falsification (La Princesse de Montpensier) et ceux qui exhibent une rhétorique de la vérification (Dom Carlos).
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33 Il s’agit de la déclaration juridique bien connue des téléspectateurs : « ...
41La Princesse de Montpensier (1662) offre en effet un cas extrême de rejet du principe de falsification contrôlée (mimétique). Dans un Avis, Madame de La Fayette réfute toute application historique, y compris pour les énoncés apparemment les plus historiques (tels que le « duc du Maine, cadet du duc de Guise, que l’on appela depuis le Balafré »), selon une formule désormais célèbre33 et dont elle donne la première version :
34 Madame de La Fayette, Histoire de la Princesse de Montpensier, op. cit., p...
L’auteur ayant voulu, pour son divertissement, écrire des aventures inventées à plaisir, a jugé plus à propos de prendre des noms connus dans nos histoires que de se servir de ceux que l’on trouve dans les romans, croyant bien que la réputation de Mme de Montpensier ne serait pas blessée par un récit effectivement fabuleux.34
42Mme de La Fayette explicite ici le postulat fondamental de non vérification (et par-là même de non mimétisme, de non-travestissement), alors même que la présence de l’Histoire est massive dès le début de l’ouvrage. Ce que Mme de La Fayette nous apprend ainsi, c’est que c’est bien la globalité du texte qui, de droit et de fait chez elle, relève de ce rejet du principe de vérification et des protocoles conjoints de falsification.
3.
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35 Voir L. Plazenet, Présentation, dans Saint-Réal, op. cit., p. 16-18.
43De façon générale, un topos se met en place, qui circule du paratexte au texte, à savoir le paradoxe qu’opère la voix authentificatrice avec l’opération de vérification : l’idée étant encore une fois que cette opération est à la fois interdite (dans le monde actuel) et effectuée dans le monde inactuel, la voix authentificatrice se portant garante de son effectivité dans le monde inactuel. C’est ce qu’illustre le cas extrême du Dom Carlos (1672). En marge de sa nouvelle, Saint-Réal insère en effet quelles ont été les références historiques utilisées. Il y a donc un effet fort, qui semble contradictoire avec notre analyse générale, à savoir que ce texte revendique d’être vérifié par rapport aux archives du monde actuel. Mais c’est une illusion rhétorique. Car quel usage faire de cette annotation historique ? Un piège serait de la prendre comme incitation à la re-vérification, comme attachement au fonctionnement de la vérité des énoncés textuels dans notre monde actuel : les historiens de la littérature qui se sont lancés dans la vérification… des archives exhibées par l’auteur concluent généralement à la fois à leur falsification et à leur incomplétude, Saint-Réal taisant les archives qu’il utilise beaucoup et exhibant, pour aller vite, celles qu’il utilise peu. Comme le dit fort justement Laurence Plazenet35, ces références ne sont pas à prendre au pied de la lettre, elles renvoient à l’instauration d’une attitude lectoriale – que nous interpréterons d’un point de vue logique ainsi : que le lecteur lise cette nouvelle comme il lirait les ouvrages des historiens, en toute confiance quant à l’opération de vérification. Ce qui revient à dire que la voix authentificatrice est ici une voix confisquant l’opération de vérification, en rappelant constamment par des notes l’actualité de ses développements. Accumuler les preuves de la vérification fonctionne donc comme opération de blocage, de verrouillage quant à une éventuelle re-vérification par le lecteur : jeu extrême avec ce paradoxe de la vérification, à la fois opérée et inopérable, fondatrice de ce régime de fictionnalité.
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36 Voir Ch. Noille, « L’entrée dans le conte : fonctions logiques du paratext...
44Autre cas, tout aussi extrême, celui qui s’amorce dans la vogue mondaine des contes de fée littéraires, à la toute fin du siècle (années 1690). Nous avons étudié ailleurs comment l’écriture classique des contes passe par la mise en texte d’une voix de contage opérant une rupture par rapport à une diction sérieuse constituée en situation pragmatique de référence (en l’occurrence, le conte mondain s’écrivant sur arrière-plan explicite ou implicite précisément de la nouvelle historique et galante36). Ce qui est important ici, c’est qu’inséré dans le montage logique qui préside à la mise en place de cette nouvelle fictionnalité, il reprend dans ses propres règles de validation un des éléments de validation de la nouvelle, à savoir précisément ce paradoxe de la vérification opérée/inopérable.
45Réfutons tout d’abord une illusion critique : le conte refuse bel et bien de se soumettre au principe de vérification de sa part de fausseté et de sa part de vérité dans le monde actuel. Le conte n’est pas fausseté et mensonge sinon, son statut serait celui-là même de la fabula totalement fausse, c’est-à-dire de la fiction (à l’ancienne mode) invraisemblable ; s’il en était ainsi, le conte se confondrait avec par exemple la fable merveilleuse en tant qu’il produirait, non une image mimétique, mais une reprise fantaisiste du monde actuel. Or, comme la nouvelle, le conte persiste dans le rejet de toute opération qui évaluerait en termes d’alignement ou d’écartement son rapport au monde actuel, et ce, en reprenant sur le mode ironique le postulat de vérification, dans un énoncé désarmant de simplicité, mais logiquement constitutif (énoncé la plupart du temps explicité, mais que nous tenons ici pour implicite dans les autres cas) : à savoir Il était une fois. S’il est vrai que les événements du conte étaient une fois, alors la voix du conte pose dans une assertion non sérieuse, ludique, que la vérification du conte a été opérée (ailleurs, jadis, une seule fois) dans un monde inactuel, alternatif, concurrent du monde actuel. Il arrive aussi que le texte même du conte thématise cette désinvolture à l’égard du principe de vérification, comme en clôture du Palais de la Magnificence (1699) que cite Anne Defrance dans un de ses articles :
37 Fin du Palais de la Magnificence, dans Recueil de Contes galants (1699), c...
Si l’on me demande comment je sais des choses qui se sont passées dans des régions si éloignées, je répondrai qu’une fée, ou mon petit doigt me les a dites.37
46Cet épilogue met en évidence l’aspect formel de la vérification, opérée sur le mode du comme si : assertée mais non démontrée, la vérification ne repose pas sur une contrainte logique d’écriture mais sur la seule vertu d’une voix. Par là même, l’exemple du conte nous introduit à une quatrième considération sur les tenants et les aboutissants logiques du cadre primordial de la nouvelle, à savoir l’ambivalence logique de cette voix « authentificatrice », pour reprendre la terminologie de Lubomir Dolezel.
4.
47En effet, la voix narrative de la nouvelle et du conte énonce dans le monde actuel une proposition ayant sens (l’impossibilité de vérifier aujourd’hui les propositions) tout en énonçant qu’elle est l’agent de vérification de ces mêmes propositions dans le monde inactuel (autrefois, une fois). La voix authentificatrice fonctionne ici par rapport à deux mondes de référence à la fois : c’est même le seul agent à avoir deux mondes possibles de référence dont les conditions de vérification sont incompatibles les unes avec les autres. Que faire de cet « agent double » ? Est-il de notre monde ? d’ailleurs ? d’un macro-monde – d’un univers – qui comprendrait les deux mondes ? La logique classique des mondes possibles (en l’occurrence la logique leibnizienne) nous apprend que Dieu est l’agent nécessaire de cette poly-référence.
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38 Songeons également au début des États et empires de la lune de Cyrano (165...
48Outre qu’elle invite à un parallèle éculé entre le créateur et l’écrivain, une telle remarque a tendance à compliquer la situation logique, plus qu’à l’expliquer, dans la mesure où elle ancre la logique dans une ontologie. Mais c’est bien cette métaphysique qui autorise et permet au XVIIe siècle la mise en scène permanente – et, dans le conte, ironique – d’une poly-référence38.
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39 Voir Cyrano de Bergerac, L’Autre Monde ou Les États et empires de la lune,...
49Et il n’est pas sûr que, dans la théorie littéraire contemporaine, on puisse s’émanciper totalement des présupposés ontologiques, comme nous y invite pourtant la sémantique de Kripke. En effet, si le premier lecteur venu peut affirmer haut et fort que ce n’est pas vrai que la voix authentificatrice du conte ou de la nouvelle ait pu vérifier dans un autre monde la vérité de ses énoncés, n’est-ce pas précisément au nom de présupposés lourdement ontologiques, selon lesquels l’autre monde, phénoménologiquement parlant, n’existe pas ? Explicitons ce point de vue, qui est celui de la logique aristotélicienne (celle qui fonctionne avec un seul monde de référence, le monde actuel), comme celui de Monsieur Tout le monde : dans cette optique logique, quand l’auteur énonce l’impossible vérification, il dit vrai (en référence au cadre actuel) ; quand il énonce la possible vérification dans un autre cadre (et quand il énonce ipso facto la rupture de l’induction entre monde d’hier ou de là-bas, et monde d’ici ou d’aujourd’hui), il dit faux : c’est un mensonge volontaire. Son mensonge consiste à nous faire passer pour vrai non seulement la fiction, mais avec elle l’idée d’un monde de référence alternatif, où seraient modifiées les conditions de validité. Il énonce comme vrai ce qui est faux, à savoir la possibilité même d’une sémantique de la fiction, d’une fiction pensée comme monde autonomisable possible : mais le problème est que la postulation d’un monde alternatif de référence est performative, en ce sens où la possibilité d’une validation alternative existe dès lors qu’elle est énoncée/formalisée. Si la voix authentificatrice dit faux par rapport à notre monde, qu’est-ce qui nous interdit logiquement de penser qu’elle dit vrai par rapport à l’autre monde – sinon des présupposés lourdement ontologiques ? « Pourquoi non », comme dirait Cyrano39 ?
50Mais si on met de côté ces présupposés ontologiques, si on admet la possibilité d’accessibilité à M2, à quoi aboutit-on ? Une logique sémantique sans régulation ontologique autorise à penser des aller-retour entre M1 et M2, autrement dit des relations d’accessibilité réflexive, dans les deux sens (du monde actuel au monde inactuel, mais aussi du monde inactuel au monde actuel) ; tant et si bien que les modification des conditions de vérification, de droit, devraient être à même de décrire aussi bien l’accessibilité de M1 à partir de M2, que de M2 à partir de M1. Osons, en guise de dernier point, tenir cette position logique stricte. Les deux mêmes exemples, celui de la nouvelle historique et galante, et celui du conte, nous serviront à nouveau de fil conducteur.
5.
51Concernant la nouvelle, si les auteurs et les lecteurs réfutent ou témoignent de la difficulté à maintenir une posture vérificationnelle, il n’en reste pas moins qu’il y a un lien fort entre le monde de la nouvelle historique et galante et le monde actuel (à savoir les archives de l’histoire, mais aussi les maximes de nos comportements, ce « naturel des sentiments » tant mis en avant par les nouveaux auteurs). S’il n’est pas un lien de vérifiabilité des propositions textuelles dans le cadre du monde actuel, quel est-il ?
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40 Cf. le lexique du ressort et de la dépendance utilisé d’une part chez un m...
52Pour savoir quel est le lien logique précis entre monde actuel (MA) et monde textuel (MT), il convient de mettre en parallèle la définition du travail de l’historien et celle du romancier, telle qu’on la trouve énoncée à l’époque, à savoir trouver ou inventer les « circonstances » de l’acte historique40. Autrement dit, si on respecte la seule logique de l’exposition des circonstances telle qu’elle est présentée de part et d’autre – et par conséquent si l’on tient comme conséquence d’un préjugé ontologique le mode du « comme si » utilisé par les commentateurs de fiction -, il apparaît que les circonstances secrètes ou privées sont les ressorts (souvent paradoxaux) de l’histoire officielle et publique, c’est-à-dire les causes ; et donc, l’histoire publique, à l’intérieur de la perspective romanesque, à l’intérieur de MT (et non dans notre monde actuel à nous) est présentée comme la conséquence des énoncés fictionnels (et non leur origine, l’archive qui permettrait de les vérifier !). On peut établir que la fiction historique postule que l’histoire sera vérifiable et vérifiée dans le MT : la fiction historique permet de vérifier l’histoire. L’histoire, mais aussi nos maximes de comportement, et généralement l’ensemble du monde actuel sont vérifiables dans la nouvelle fiction.
53Voilà qui nous permet d’énoncer complètement la relation réflexive d’accessibilité entre MA et le monde de référence du texte MT. La nouvelle fiction telle qu’elle s’élabore dans la nouvelle historique de la fin du XVIIe siècle, s’établit en explicitant trois postulations logiques nouvelles :
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actualité des propositions textuelles dans un monde alternatif (il est vérifiable que T, le texte, est vrai dans un monde de référence, nommé MT) ;
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déni de toute véridicité et de toute falsification des propositions textuelles dans MA ;
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et vérification (et donc falsification) possible de certaines propositions de MA dans MT.
54Cette stipulation triple est donc constitutive du MT de la fiction historique et galante : c’est précisément l’énoncé de la relation d’accessibilité du monde actuel au monde du texte.
55Le monde de la fiction est accessible à partir du MA selon la variation suivante : MT est tel que
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MT vérifie T
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T ne se vérifie pas dans MA
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et MT vérifie des propositions de MA.
56Voilà qui permet de définir la spécificité générique de la fiction historique et galante du second XVIIe siècle, en rupture avec la fabula, sans tomber dans l’aporie de l’exception logique (ni V ni F) ni dans celle de l’hybridation (récit à la fois factuel et fictionnel). On peut considérer cette spécificité logique comme émergence d’un nouveau régime général de la fiction, appelé à perdurer historiquement. La nouvelle historique et galante du second XVIIe siècle fait émerger un nouveau style de positionnement logique pour la fiction, un nouveau style de fictionnalité.
57Le second exemple de la réflexivité dans la conceptualisation de la relation d’accessibilité entre MT et MA, nous le prenons avec le conte mondain, écrit, c’est notre hypothèse, en contre-point logique de la nouvelle galante. Le conte conserve de la nouvelle le rejet du principe de vérification et de falsification, tout en se libérant de la contrainte conjointe de se constituer en archive capable de vérifier la vérité de propositions du monde actuel. Pour aller vite, il est au contraire constamment vérifiable que des propositions du monde actuel sont fausses dans le monde du conte. Le conte balaie le troisième principe logique de la nouvelle selon lequel le monde de la fiction vérifie les lois physiques, politiques ou morales du monde actuel. Comme l’énonce Catherine Bernard,
41 Catherine Bernard, Inès de Cordoue, op. cit., p. 393.
On jugea qu’ […] il y avait une sorte de mérite dans le merveilleux des imaginations qui n’étaient point retenues par les apparences de la vérité.41
58En contre-point de la logique sémantique de la nouvelle fiction, le conte apparaît donc comme un espace d’affaiblissement des contraintes logiques, d’une part en établissant une distance ludique avec le principe de vérification dans le monde actuel et d’autre part en inversant les résultats de la vérification du monde actuel (d’un ensemble de propositions du monde actuel). Par son abandon affiché de préoccupation de vérité, il libère la voix contrainte de la nouvelle ; par sa formalisation ironique du principe de vérification, il en maintient le postulat de base.
59Dernière proposition, de conclusion : ce qui apparaît ainsi avec cette conceptualisation réflexive de la relation logique d’accessibilité, c’est la possibilité – encore une fois logique, et non ontologique –d’analyser des styles de fiction – style de la fabula, style de la nouvelle, style du conte – comme des variantes logiques complémentaires les unes des autres, permettant d’accéder d’un monde de référence à l’autre : autrement dit, c’est ici en quelque sorte une approche logique de la généricité, de la différence des genres, qui est aussi en cause et que la théorie sémantique des mondes possibles nous permettra sans doute de mieux en mieux formaliser.
60La logique sémantique des mondes possibles nous offre ainsi un instrument prometteur pour reprendre à nouveaux frais la théorie des genres littéraires.
Notes
1 Voir F. Lavocat, « Fictions et paradoxes. Les nouveaux mondes possibles à la Renaissance », dans id. dir., Usages et théories de la fiction, le débat contemporain à l’épreuve des textes anciens (XVIe-XVIIIe siècles), Presses Universitaires de Rennes, 2004, pp. 87-111.
2 Voir Jean Gayon, « De la catégorie de style en histoire des sciences », dans Alliage, n° 26, 1996, pp. 3-9. Les travaux de référence sont ici ceux de l’historien Alistair Crombie, dans son monumental (et non traduit) Styles of Scientific Thinking in the European Tradition : The history of argument and explanation especially in the mathematical and biomedical sciences and arts, London, Duckworth, 1994 (2487 pages). Crombie propose une classification en six styles, « méthodes de raisonnement » ou de « construction » de l’objet scientifique, successivement apparus au cours de l’histoire.
3 Voir Kuhn, T. S., La Structure des révolutions scientifiques (1962, 1970), Flammarion, 1983.
4 Nous nous référerons aux éditions suivantes : Madame de La Fayette, Histoire de la Princesse de Montpensier (1662) dans Nouvelles galantes du XVIIe siècle, présentation M. Escola, Paris, Flammarion, 2004, pp. 52-85 ; id., Histoire de la Comtesse de Tende (1718), dans ibid., pp. 99-115 ; id., La Princesse de Clèves (1678), éd. Ph. Sellier, Paris, Le Livre de Poche, 1999 ; Saint-Réal, Dom Carlos, nouvelle historique (1672), éd. L. Plazenet, Paris, Le Livre de Poche, 2004 ; Du Plaisir, La Duchesse d’Estramène (1682), dans Nouvelles galantes du XVIIe siècle, op. cit., pp. 220-289 ; Catherine Bernard, Le Comte d’Amboise, nouvelle (1689), dans ibid., pp. 310-389 ; et id., Inès de Cordoue, nouvelle espagnole (1696), dans ibid., pp. 390-449.
5 Du Plaisir, Les Sentiments sur les lettres et sur l’histoire, avec des scrupules sur le style (1683), éd. Ph. Hourcade, Genève, Droz, 1975 ; éd. C. Esmein dans Poétiques du roman. Scudéry, Huet, Du Plaisir et autres textes théoriques et critiques du XVIIe siècle sur le genre romanesque, éd. C. Esmein, Paris, H. Champion, 2005, p. 761 sq. ; repris dans Nouvelles galantes, op. cit., p. 486 sq.
6 Quatre histoires digressives interrompent par exemple la diégèse de la Princesse de Clèves, ce qui n’est pas rien pour un aussi « bref » volume.
7 Op. cit., p. 311 : « Aussi on la [cette histoire] trouvera plus extraordinaire par l’action […]. » Faut-il rappeler comme autre exemple d’invraisemblance pour les contemporains eux-mêmes, l’épisode de l’aveu qui catalyse la fin de La Princesse de Clèves et cristallise la querelle consécutive à la parution de la nouvelle ?
8 Catherine Bernard écrit encore dans l’Avis du Comte d’Amboise (op.cit., p. 311) : « […] et même, si j’ai quelque chose à craindre, c’est qu’il ne soit trop peu vraisemblable qu’un amant soit si généreux. »
9 Jean Régnault de Segrais, Les Nouvelles françaises ou les divertissements de la princesse Aurélie, Paris, S.T.F.M., 1992.
10 Th. Pavel, L’Art de l’éloignement. Essai sur l’imagination classique, Paris, Gallimard, 1996.
11 Charnes, Conversations sur la Critique de la Princesse de Clèves, Paris, Claude Barbin, 1679, p. 130.
12 Souvenons nous en effet de la Dédicace de L’Illusion comique (Corneille, 1639) : « Voici un étrange monstre que je vous dédie. Le premier acte n’est qu’un prologue, les trois suivants font une comédie imparfaite, le dernier est une tragédie, et tout cela cousu ensemble fait une comédie. Qu’on en nomme l’invention bizarre et extravagante tant qu’on voudra, elle est nouvelle (...) j’ose dire que la représentation de cette pièce capricieuse ne vous a point déplu (...). »
13 Pour une présentation de cette question d’actualité dans les débats théoriques contemporains, voir C. Montalbetti, « Personnages référentiels en terre fictionnelle » dans id., La Fiction, Paris, Flammarion, 2003, en particulier la tripartition de Parsons et sa discussion par Pavel, p. 103 sq.
14 Op. cit., p. 53.
15 Sur ces notions, voir J. Searle, Sens et expression, Paris, Ed. de Minuit, 1982, p. 109 sq. ; G. Genette, Fiction et diction, Paris, Ed. du Seuil, pp. 58-60 ; ou encore J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Ed. du Seuil, 1999, pp. 13 sq.
16 Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique (1696), article sur les Mémoires de la cours d’Espagne, dus à Mme d’Aulnoy (1690).
17 Ibid.
18 Voir R. Saint-Gelais, « Ambitions et limites de la sémantique de la fiction », Acta Fabula, URL : http : //www.fabula.org/revue/cr/122.php
19 L. Dolezel, Heterocosmica. Fiction and Possible Worlds, Baltimore et Londres, The Johns Hopkins University Press (coll. "Parallax"), 1998
20 Fr. Lavocat, « L’œuvre littéraire est-elle un monde possible », Atelier, 10 mai 2005, URL , http : //www.fabula.org/atelier/php
21 Voir G.W. Leibniz, Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal (§§ 42 sq., 415 sq.), dans C.J. Gerhardt éd., Die Philosophischen Schriften von G.W. Leibniz, Georg Olms Verlag, 1978, VI.
22 Th. Pavel, Les Univers de la fiction, Paris, Ed. du Seuil, 1988.
23 S. Kripke, La Logique des noms propres (1972), Paris, Ed. de Minuit, 1982.
24 Voir Fr. Lavocat, « L’œuvre littéraire est-elle un monde possible ? », op. cit.
25 Pour l’importation de la logique sémantique des mondes possibles dans le champ des études littéraires, le lecteur peut se reporter aux travaux récents développés outre atlantique, avec Lubomir Dolezel ou Thomas Pavel, déjà cités, mais aussi à ceux de Marie-Laure Ryan ou de Ruth Ronen. Voir M.-L. Ryan, Possible Worlds, Artificial Intelligence and Narrative Theory, Indiana University Press, Bloomington, 1991; et R. Ronen, Possible Worlds and Literary Theory, Cambridge University Press, Cambridge and New York, 1994.
26 Voir les textes rassemblés dans De Vienne à Cambridge. L’héritage du positivisme logique de 1950 à nos jours, éd. et préface P. Jacob, Paris, Gallimard, 1980.
27 K. Popper, La Logique de la découverte scientifique (1934), Paris, Payot, 1973.
28 Madeleine de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus, Au lecteur (1649), Paris, Augustin Courbé, 1656, pp. 3-4.
29 Aristote, Premiers Analytiques, éd. J. Tricot, Vrin, 1962, II, 27, 70 : « Le vraisemblable est une prémisse probable. Ce que l’on sait devenir ou ne pas devenir, être ou ne pas être la plupart du temps de cette façon est vraisemblable, par exemple haïr qui vous hait ou aimer qui vous aime. »
30 Voir les Sentiments d’un homme d’esprit sur la nouvelle intitulée Dom Carlos (1673), dans Saint-Réal, Dom Carlos, op. cit. : « Il [L’auteur] sait si finement mêler la fable à l’Histoire, qu’à peine peut-on les séparer. Quand je lis la nouvelle qu’il vient de donner au public, et que son style sec m’a persuadé que c’est une relation véritable, je cours à l’Histoire, et je demeure surpris de trouver fabuleux tout ce que j’avais jugé historique. » Ou encore, voir supra, P. Bayle, op. cit.
31 Valincour, Lettres à Madame la Marquise *** sur le sujet de la Princesse de Clèves (1678), éd. C. Montalbetti, Flammarion, 2001, pp. 72-73.
32 Mme de la Fayette, Lettre à Lescheraine [sur La Princesse de Clèves], 13 avril 1678, dans id., Correspondance, éd. A. Beaunier, 1942, t. II, p. 63.
33 Il s’agit de la déclaration juridique bien connue des téléspectateurs : « Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé ne saurait être que fortuite ». Une telle formule énonce et dénonce à la fois l’effet de mimétisme, par un déni de toute vérification.
34 Madame de La Fayette, Histoire de la Princesse de Montpensier, op. cit., p. 52.
35 Voir L. Plazenet, Présentation, dans Saint-Réal, op. cit., p. 16-18.
36 Voir Ch. Noille, « L’entrée dans le conte : fonctions logiques du paratexte dans l’écriture de la fiction à la fin du XVIIe siècle », dans Ph. Forest dir., L’Art de la préface, Nantes, Éditions Cécile Defaut, 2006, pp. 103-122.
37 Fin du Palais de la Magnificence, dans Recueil de Contes galants (1699), cité par A. Defrance, « Les premiers recueils de contes de fées », dans Féeries, 1, 2003, pp. 27-48.
38 Songeons également au début des États et empires de la lune de Cyrano (1657) : « Et moi, leur dis-je, qui souhaite mêler mes enthousiasmes aux vôtres, je crois […] que la lune est un monde comme celui-ci, à qui le nôtre sert de lune ».
39 Voir Cyrano de Bergerac, L’Autre Monde ou Les États et empires de la lune, Paris, H. Champion, 2004, pp. 5-9.
40 Cf. le lexique du ressort et de la dépendance utilisé d’une part chez un mémorialiste (Saint-Simon) et d’autre part chez deux critiques majeurs dans la querelle de La Princesse de Clèves (l’abbé de Charnes et Valincour). Voir Saint-Simon, Mémoires, Paris, Gallimard, 1983, t. 1, « Savoir s’il est permis d’écrire et de lire l’histoire singulièrement celle de son temps », p. 5 et sq., sur les circonstances factuelles : « Ainsi pour être utile il faut que le récit des faits découvre leurs origines, leurs causes, leurs suites et leurs liaisons les uns des autres, ce qui ne se peut faire que par l’exposition des actions des personnages qui ont eu part à ces choses (...). C’est ce qui rend nécessaire de découvrir les intérêts, les vices, les vertus, les passions, les haines, les amitiés, et tous les autres ressorts tant principaux qu’incidents des intrigues, des cabales et des actions publiques et particulières qui ont part aux événements qu’on écrit (...). » Voir Charnes, Conversations sur la Critique de la Princesse de Clèves, Claude Barbin, 1679, p. 135, sur les circonstances fictionnelles : « Ce sont des actions particulières de personnes privées ou considérées dans un état privé […] on peut souvent considérer les actions qu’elles contiennent, comme les ressorts secrets des événements mémorables, que nous avons appris dans l’Histoire. » Et enfin Valincour, op. cit., p. 70 : « Enfin je voudrais que mes fictions eussent un rapport si juste et si nécessaire aux événements véritables de l’histoire, et que les événements parussent dépendre si naturellement de mes fictions, que mon livre ne parût être autre chose que l’histoire secrète de ce siècle-là, et que personne ne pût prouver la fausseté de ce que j’aurais écrit. » Notre optique est donc ici d’écraser la différence ontologique entre circonstances factuelles et fictionnelles, et de ne retenir que la communauté de fonctionnement logique des unes et des autres comme causes.
41 Catherine Bernard, Inès de Cordoue, op. cit., p. 393.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Christine Noille
Université Grenoble Alpes / U.M.R. Litt&Arts – RARE Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution