La Réserve : Archives Jean-Yves Vialleton
La « vie extraordinaire » de Molière : du théâtre au roman
Initialement paru dans : Gabriel Conesa et Jean Émélina dir., Molière et le romanesque, Pézenas, aux Éditions Domens, 2009, p. 10-38. Actes du 4ème colloque international de Pézenas, 8-9 juin 2007
Texte intégral
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1 La Fameuse Comédienne ou Histoire de la Guérin, auparavant femme et veuve d...
1La Fameuse Comédienne ou Histoire de la Guérin, auparavant femme et veuve de Molière, texte paru en 16881, nous raconte comment Armande Béjart, après s’être conduite comme une prostituée, a fini par se refaire une réputation : une vraie prostituée, une prostituée professionnelle, usurpe son identité pour escroquer un naïf parlementaire de Grenoble et la Molière peut ainsi mettre sur le compte de ce sosie toutes ses aventures scandaleuses passées. L’auteur anonyme est si bien informé sur la vie conjugale de Molière qu’il nous rapporte même les confidences que celui-ci fit à son ami Chapelle un jour dans le secret du jardin d’Auteuil :
2 La Fameuse Comédienne, éd. citée, p. 24-25.
J’étais persuadé qu’il y avait fort peu de femmes qui méritassent un attachement sincère […] j’ai pris ma femme pour ainsi dire dès le berceau, je l’ai élevé avec des soins qui ont fait naître des bruits dont vous avez sans doute entendu parler, je me suis mis en tête que je pourrais lui inspirer par habitude des sentiments que le temps ne pourrait détruire, et je n’ai rien oublié pour y parvenir. […] mais je lui trouvais par la suite tant d’indifférence que je commençais à m’apercevoir que toutes mes précautions avaient été inutiles […]2.
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3 « El prevenido enganado » de Maria de Zayas y Sotomayor. Voir Cl. Bourqui, ...
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4 A. Van Gennep, Manuel de folklore français, Bibliographie, rééd. Paris, Laf...
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5 P. Saintyves [Émile Nourry dit], Les contes de Perrault et les récits paral...
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6 E. Kris et O. Kurz, L’Image de l’artiste. Légendes, mythe et magie [1934, 1...
2On reconnaît là un trait, véridique ou diffamatoire, on ne le sait pas vraiment, mais en tout cas « fameux », de la biographie de Molière : son mariage incestueux et ses infortunes conjugales. Le terme précautions inutiles marque que ce trait biographique rattache Molière non seulement à un de ses personnages, l’Arnolphe de L’École des femmes, mais même aux sources de cette pièce : dès la création, plusieurs textes polémiques désignent « La précaution inutile » de Scarron, adaptation d’une « nouvelle exemplaire et amoureuse » espagnole, comme un des textes « pillés » par Molière3. La Fameuse Comédienne joue à confondre l’œuvre et la vie de l’auteur, les pièces et leurs sources, le théâtre et le roman, le véridique et le fictionnel. On a depuis bien souvent tenter de démêler cette confusion pour construire une histoire objective de la vie de Molière. C’est un autre chemin que nous suivrons ici. L’humour du conteur de l’Histoire de la Guérin nous invite à entrer dans un jeu consistant non à trier parmi les historiettes, mais à les faire proliférer : à la manière des folkloristes de naguère, on considérera la vie de Molière comme relevant de ce qu’Arnold Van Gennep appelait une « littérature mouvante »4 et on inscrira les anecdotes de cette vie dans ce que Saintyves appelaient à propos des contes de Perrault ses « récits parallèles »5. Et puisque de nombreux travaux nous ont maintenant appris que les vies des poètes antiques et des artistes de la Renaissance, ne relèvent pas de l’histoire objective, mais qu’elles sont d’abord un moyen de penser le « phénomène sociologique de l’énigme de l’artiste » selon l’expression du livre fondateur d’Ernest Kris et Otto Kurtz6, nous essaierons de voir en quoi il est possible de lire la vie de Molière comme une « légende artistique ».
I. Le comique enfin pris au sérieux
3On ne sait pas bien si Molière a puisé dans sa vie pour écrire son œuvre ou bien s’il a imité dans sa vie les personnages qu’il a inventés. En tout cas, si l’on se pose ces questions sur l’auteur qui sont tournés en dérision par Proust essayiste, mais qui passionnent Proust épistolier, il semble facile d’y répondre. Qu’en est-il du rapport de Molière aux relations sociales ? Molière, c’est Alceste. Qu’en est-il de sa santé ? Molière, c’est Argan. Qu’en est-il de son rapport aux femmes ? Molière, c’est Arnolphe.
4Molière-Alceste n’est pas comme on le dit parfois une invention du Romantisme. Certes, l’indignation de Rousseau nous permet de savoir que le XVIIIe siècle ne voyait pas dans Alceste un apôtre de la simplicité et du naturel et un contempteur de l’hypocrisie servile, mais un personnage tout simplement ridicule. Molière est cependant déjà Alceste en 1705, et sans en être ridicule, loin de là. Grimarest dans sa Vie de Molière raconte que Conti avait demandé à Molière de devenir son secrétaire, mais que celui-ci préféra rester comédien. Molière en aurait donné plusieurs raisons, dont celle-ci :
7 Grimarest, Vie de M. de Molière, 1705, dans Molière, Œuvres, éd. P.-A. Touc...
Et pensez-vous d’ailleurs, ajouta-t-il, qu’un misanthrope comme moi, capricieux si vous voulez, soit propre auprès d’un grand ? Je n’ai pas les sentiments assez flexibles pour la domesticité7.
5Grimarest insiste un peu plus loin et explique ainsi la satire du courtisan qui caractérise selon lui L’Impromptu de Versailles.
8 Ibid., p. 17b
Molière, né avec des mœurs droites, Molière, dont les manières étaient simples et naturelles, souffrait impatiemment le courtisan empressé, flatteur, médisant, inquiet, incommode, faux amis8.
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9 M. R. Lefkowitz, The Lives of the Greek Poets, Duckworth, Londres, 1981 ; G...
6Les historiens de l’art ont remis au jour ce qui pouvait justifier cette identification : la mélancolie est selon une très vieille tradition l’humeur des personnes d’exception. Mais c’est d’un phénomène bien plus large qu’il faut rendre compte : l’identification de Molière à plusieurs de ses personnages, sans considération de la lecture apparemment à contresens des pièces qu’elle implique. Or ce mécanisme est bien connu pour ce qui est des vies antiques de poètes, grâce aux études de Friedrich Leo et plus récemment de Mary Lefkowitz et de Giorgio Arrighetti9.
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10 L’anecdote est reprise aussi dans Joseph de la Porte, Jean-Marie Clément, ...
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11 Un fragment de la vie d’Euripide par Satyrus s’appuie sur un fragment d’Ar...
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12 C’est la méthode critique de Chaméléon (G. Arrighetti, ouvr. cité).
7Euripide met en scène plusieurs grands personnages dans le malheur vêtu de haillons. Aristophane dans ses comédies (Corneille s’en souviendra dans la préface à Don Sanche10) se moque de ce procédé facile et met en scène Euripide vêtu de haillons pour le tourner en dérision. Dans les vies d’Euripide, on prend au sérieux l’allégorie littéraire burlesque et on raconte qu’Euripide portait de mauvais habits11. Le trait biographique sert enfin à expliquer l’œuvre, selon un principe de conformité entre l’œuvre et son auteur que formule Aristote et que ses disciples appliquent dans toute son étendue12.
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13 E. Kris et O. Kurtz, ouvr. cité, p. 160 et suiv.
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14 Sur l’« actualisation biographique », voir E. Kris et O. Kurtz, ouvr. cité...
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15 A. Van Gennep, La Formation des légendes, Paris, Ernest Flammarion, 1910, ...
8Les mêmes anecdotes se retrouvent d’une vie à l’autre. Une anecdote moderne trouve presque toujours une anecdote ancienne qu’on pourrait nommer son « étymon ». Le vieux Sophocle est en rivalité avec Euripide, selon le motif, très répandu aussi dans la littérature artistique13, de la rivalité des artistes ; autour de chacun se forme un camp ; Sophocle mort, Euripide lui rend cependant un hommage émouvant. Corneille, nouveau Sophocle, et Racine, nouvel Euripide, ne manquent pas d’« actualiser »14 ce schéma en revivant les mêmes événements. Bayle dans son dictionnaire note déjà ce phénomène et s’interroge sur son étrangeté. On a là encore un phénomène bien repéré : une légende se définit moins comme un récit dont les personnages sont censés avoir existé que comme un récit qui peut changer de personnages, selon une des lois de leur formation, la « loi de transposition »15.
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16 Scipion l’Africain et Lélius aurait écrit ses pièces, voir par exemple, An...
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17 Sur Chapelle auteur d’une des scènes des Fâcheux, voir Menegiana et Boelae...
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18 F. de Callière, Des bons mots, Paris, Cl. Barbin, 1692, p. 304.
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19 « o dimidiate Menander », « Vie de Térence », V, dans Suétone, trad. M. de...
9Molière est le nouveau Plaute et le nouveau Térence. Sa vie n’emprunte cependant rien à celle de Plaute et que quelques traits à celle de Térence. Des personnages considérables ont participé à l’écriture des pièces de Térence, voire les ont écrites à sa place en secret16 : il en est de même pour Molière17. Quand Molière est critiqué comme n’étant qu’un « demi-Ménandre »18, il hérite en réalité de la définition de Térence qu’on trouve dans sa « vie » antique19. Ce point met en évidence une autre caractéristique de la légende d’auteur. La distinction entre attaque et louange y est superficielle : la même historiette peut servir aux ennemis et aux amis. L’anecdote est fondamentalement ambivalente, la dérision et le prosaïque, voire souvent le vulgaire, n’exclut pas l’admirable et le miraculeux.
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20 M. R. Lefkowitz, « The Euripide Vita », Greek, Roman and Bysantine Studies...
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21 M. R. Lefkowitz, The Lives…, ouvr. cite, p. IX.
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22 Ibid., p. 33.
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23 Ibid., p. 89.
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24 Vita, éd. Méridier, 1929, trad. en anglais par M. R. Lefkowitz, ouvr. cité...
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25 Satyrus, M. R. Lefkowitz, ouvr. cité, note 4, p. 164.
10De façon inattendue, c’est dans la vie d’un auteur tragique que se rencontre en revanche un grand nombre de traits dont hérite la vie de Molière. Les ennemis de Molière dans la polémique autour de L’École des femmes assurent que celui-ci a médit des femmes et qu’elles risquent de vouloir se venger de lui. Cette attaque pourrait se concevoir si elle renvoyait aux Précieuses ridicules, petite comédie qui bouleverse la tradition puisque ce sont des hommes qui bernent des femmes et non l’inverse comme il se doit dans une farce. Mais elle se fait à l’occasion de la pièce qui sert pour nous de meilleur argument au « féminisme » de Molière. On dira que ses ennemis cherchent à lui ôter l’appui de la nouvelle cour toute féminine. L’argument suppose soit que les grandes dames de la cour du jeune Louis XIV étaient assez bêtes pour les croire, soit que les polémistes étaient des imbéciles incapables d’attaques efficaces. Tant que cela n’est pas prouvé, l’explication ne tient guère. À défaut d’explication, on peut chercher l’étymon de l’anecdote. Euripide à en croire certains biographes anciens lui aussi haïssait les femmes et elles le haïssaient en retour, elles ne le laissèrent tranquille que sur la promesse de ne plus médire d’elles20. D’autres racontent qu’elles le détestaient parce qu’il approuvait Phèdre, parce qu’il avait révélé le secret des femmes21. Un fragment de Melanippe est lu comme une preuve qu’il leur fit bien ses excuses22. Il existe d’ailleurs d’autres points communs entre Euripide et Molière. Si Euripide a écrit Hippolyte, c’est parce qu’il avait découvert que sa femme le trompait23. Un vers d’Électre témoigne qu’il faisait des plaintes sur l’infidélité de sa femme. Les pièces d’Euripide contiennent selon les uns des passages philosophiques, selon les autres des passages d’impiété. C’est qu’Euripide a suivi dans sa jeunesse les cours de plusieurs philosophes24. La preuve en est qu’on peut relever dans ses pièces des passages qui sont des démarquages de textes de philosophes25. D’ailleurs, des philosophes auraient participé à l’écriture de ses pièces, et Socrate lui-même. Tout cela vient d’une « vie » peu fiable ; comme Nietzsche plus tard, Racine pourtant la prend au sérieux dans la préface de Phèdre lorsqu’il justifie la moralité d’Euripide et celle du théâtre. Rappelons pour finir qu’Euripide avait un second métier : il était peintre.
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26 V. 285-286, p. 18 ; dans Comédies et Pamphlets sur Molière, éd. G. Mongréd...
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27 Le Parnasse réformé, Paris, Thomas Jolly, 1671 (Genève, Slatkine reprints,...
11La généalogie des traits biographiques concernant la haine des femmes pour Euripide est facile à faire : ces traits viennent bien sûr de la mise en scène burlesque d’Euripide par Aristophane dans Les Thesmaphories. C’est exactement le même type de généalogie qui caractérise le diagnostic que les biographes donnent de la maladie dont Molière serait mort. Dans la comédie-pamphlet contre Molière paru en 1670 et intitulée Élomire hypocondre, les médecins veulent se venger de Molière qui les a attaqués dans sa Comédie des médecins, c’est-à-dire dans L’Amour médecin. Une première farce contre Élomire a échoué. Les médecins l’ont persécuté jusqu’à ce qu’il se croie malade et soit obligé de les consulter. Mais la consultation, faisant éclater le ridicule des médecins, a ôté l’idée de sa maladie à Élomire qui « devien[t] plus frais/ Et plus gros et plus gras [qu’il] ne le fu[t] jamais », et lui a donné même de quoi enrichir une scène de sa pièce26 : cette première manche, qu’Élomire gagne, se passe avant la pièce (elle est racontée dans le premier acte). La deuxième manche est la pièce elle-même. Les médecins aidés d’un valet d’Élomire à leur solde parviennent à persuader à nouveau Élomire qu’il est malade. Élomire les consultent deux fois sous deux déguisements successifs, qui ne trompent pas les médecins : chacune des consultations permet de « farcer » Élomire. À la fin de l’acte II, les médecins lui font croire qu’il est malade du poumon. Maladie inquiétante : la fluxion qui tombe sur le poumon ou la poitrine est la plus grave, comme le dit plusieurs fois Furetière dans son dictionnaire. Mais c’est surtout que cette maladie demande qu’on arrête le théâtre. Un prédicateur s’use les poumons, nous dit un exemple de Furetière. Un acteur aussi : dans son Parnasse réformé Guéret fait dire à Montfleury mort à cause de ses interprétations tragiques : « j’ai usé tous mes poumons »27. S’user les poumons est l’expression qui au XVIIe siècle est l’équivalant de l’actuel « user sa salive ». Cette maladie demande aussi qu’on s’éloigne des miasmes de la ville, bon moyen de faire retourner Molière en province, comme on le fait pour Monsieur de Pourceaugnac. Il faudra cependant trouver une autre ruse : au dernier acte, pour l’obliger à fuir, on lui fera croire qu’il est poursuivi par la justice, comme Tartuffe. Le faux et malintentionné diagnostic d’Élomire hypocondre n’aura pas réussi à faire qu’Élomire se décide de quitter « et Ville et Comédie », mais il reviendra, on le sait, dans Le Malade imaginaire comme faux diagnostic burlesque et bien intentionné dans la bouche de Toinette et se convertira en maladie réelle dans la vie de Molière, maladie dont il mourra.
12Dans les vies de poètes et d’artistes, la mort est à la fois une prolongation et une inversion de ce qui faisait la valeur du poète et de l’artiste. Homère sait tout des grandes choses, il meurt donc quand des enfants pêcheurs lui posent une énigme dont la solution est « le poux » et qu’il ne peut la résoudre. De même, Racine est le poète bon courtisan et il meurt d’une naïve gaffe mondaine : il oublie que la veuve Scarron est la maîtresse du roi. Molière auteur de comédie incapable d’écrire et même de jouer une tragédie meurt en faisant d’une comédie une tragédie. Entrer dans la mort, c’est entrer dans l’autre monde, c’est-à-dire dans un monde inversé ; dans le « codage » alimentaire par exemple, c’est celui où on l’oublie le goût du pain, où l’on se nourrit de ce qui ne nourrit pas les hommes vivants : l’odeur des mets, le sang humain, les pissenlits par les racines, ou les pierres qui tiennent lieu de festin. Le premier à dire que Molière est « mort presque sur scène », Bossuet, comprend très bien cela : dans l’autre monde, ceux qui rit pleureront.
13Les vies de Molière puisent dans ses comédies et plus largement dans le répertoire d’histoires où ces comédies s’inscrivent. Ce répertoire, les contemporains nous le livrent en dénonçant les plagiats de Molière. Peu importe ici que ces sources le soient à titre essentielles ou accessoires, qu’elles soient probables, indécises ou à exclure. Ce qui compte est le domaine qu’elles désignent. Molière a tout simplement les mêmes sources que celle du héros du Page disgracié :
28 Tristan L’Hermite, Le Page disgracié, éd. J. Serroy, Paris, H. Champion, I...
Bien souvent je contais quelque aventure nouvelle que j’avais apprise ; d’autres fois, c’était une vieille histoire renouvelée que j’avais apprise dans le Décaméron de Boccace, ou dans Straparole, Pogge le Florentin, le Fuggilozio, les Sérées de Bouchet, et autres auteurs qui se sont voulus charitablement appliquer à guérir la mélancolie28.
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29 Des moments de liberté consacrés à la boisson modérée permettent de repren...
14Ces sources, ce sont celles qui relèvent toutes du « conte pour rire » qui est, avec le vin29, le « tombeau de la mélancolie » (Furetière). C’est la littérature de la convivialité et de la détente, de l’« eutrapélie » aristotélicienne, qui permet de conserver son équilibre malgré les labeurs et les souffrances. C’est la littérature « comique » associée au style simple défini par Cicéron comme le style dont Plaute est le modèle, style des « facéties », c’est-à-dire des bons mots, des historiettes et des farces, des narrazion continuate et des burle comme le traduit Castiglione dans Le Livre du Courtisan. C’est ce type de littérature dont parle Montaigne, où compte peu la différence entre l’advenu et le non advenu, pourvu qu’on puisse en tirer la guérison des maladies imaginaires.
15Mais si, dans sa vie, Molière incarne le comique même, ce comique y est pris au sérieux. Identifié à un « atrabilaire » déraisonnable hésitant entre la mondanité et la retraite, Molière en devient un sage vivant dans le monde sans céder à la mondanité mais profondément soucieux des autres. Identifié à un personnage qui est tout au plus un père adoptif et qui, faute de mariage, n’est un mari et un cocu que par l’imagination, Molière en devient un véritable père incestueux et un véritable cocu. Identifié à un personnage qu’on ne peut considérer comme malade que si se croire malade quand on est dans une grande forme physique est une maladie, Molière en devient un homme véritablement et physiquement malade. La vie d’Euripide est une version burlesque de son œuvre tragique. La vie de Molière est une version grave de son œuvre comique.
II. Aristote chevauché par Phyllis
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30 Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, cité par p. Force, Molière ou Le Prix de...
16Molière est un Philosophe. On pourrait penser que, selon une « généalogisation » que rappelle La Bruyère, pour qu’on ait Ménandre, il faut avoir eu avant Théophraste et donc avoir eu son maître, le Philosophe, Aristote. Mais que Molière soit philosophe ne signifie pas seulement qu’on peut le ranger parmi les moralistes classiques. Voltaire le rappelle : « Molière avait d’ailleurs une autre sorte de mérite, que ni Corneille, ni Racine, ni Boileau, ni La Fontaine n’avaient pas, il était philosophe, et il l’était dans sa théorie et dans sa pratique »30. Or, en identifiant une fois encore Molière à l’un de ses personnages, il est facile de nommer sa philosophie : Molière est un libertin, c’est dire que Molière est Don Juan, ou plutôt, puisque cette philosophie est soigneusement cachée, Molière est Tartuffe. Ces identifications montrent que Molière n’est pas seulement assimilé aux personnages qu’il a interprétés comme acteur. L’assimilation de Molière à Tartuffe est plus étrange encore que les autres, mais elle est déjà présente dans le tout premier texte qui accuse Molière d’impiété. Les auteurs qui aux XVIIe et XVIIIe siècles nomment Molière « le Philosophe » l’entendent cependant d’une autre manière et donnent explicitement les raisons de cette appellation. Grimarest fait de Molière un Philosophe, mais c’est pour l’opposer aux libertins : le sage qui sait modérer ses passions s’oppose à ceux qui se livrent à la débauche. Les libertins se soûlent au vin et font le projet fou d’un suicide catonique, alors que Molière ne boit que du lait et les fait revenir à la lumière de la raison en faisant semblant d’être de leur côté. Les libertins discutent infiniment pour savoir qui de Descartes et de Gassendi a raison, alors que Molière connaît les secrets de la nature des choses et traduit, forcément, Lucrèce. Là encore, peu importe que la vie donne une lecture à contresens de l’œuvre : un lieu commun nous rappelle que la Nature est voilée et que son secret échappe aux hommes, et le lieu commun est repris par un de ces personnages de Molière qu’on appelle aujourd’hui des raisonneurs (Béralde). Mais c’est justement pour cela que connaître les secrets de la nature est une chose proprement miraculeuse.
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31 Il s’agirait d’un conte bouddhique de Chine du Ve siècle, documenté en Eur...
17La sagesse de Molière n’est pas cependant sans entrer en contradiction avec les autres traits de son caractère, en particulier son amour et sa jalousie maladive. Pour résoudre cette contradiction, les biographes nous livrent les confidences de Molière lui-même à Chapelle avouant que toute sa philosophie lui est inutile en amour. Grimarest attaque La Fameuse Comédienne en disant que ce texte est un roman (ce qui suppose qu’il n’a pas compris, comme Bayle avant lui, et comme bien des biographes après lui, que le texte était effectivement un roman, une nouvelle galante, c’est-à-dire un roman humoristique). Il reprend cependant la scène des confidences de Molière à Chapelle. Dans les deux versions, la contradiction entre Molière-Aristote et Molière-Arnolphe trouve sa résolution dans un lieu commun qui joue un rôle important dans La Critique de L’École des femmes : l’amour rend fou les plus sages. Se dessine en filigrane une autre anecdote, et même l’anecdote philosophique la plus connue et la plus pérenne : on la trouve dans les fabliaux français et les « nouvelles » italiennes et c’est la seule anecdote philosophique recensée dans le répertoire des contes-types d’Aarne et Thompson (T 1561)31. Cette anecdote, c’est bien sûr celle de la belle femme (Phyllis, Roxane, Candacis ou Campaspe) se rendant maîtresse de la raison d’Aristote pour se venger du conseil qu’il donnait de se méfier des femmes et du désir qu’elles inspirent, ce qui nous ramène à la question de la sexualité de Molière.
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32 Molière se marie en février 1662, L’École des femmes est créée en décembre...
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33 Voir Cl. Lévi-Stauss, notamment « Mythe et oubli » dans Le Regard éloigné,...
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34 Le lait est ambigu : c’est la nourriture des nourrissons, mais aussi au XV...
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35 Son nom correspond en effet au grec agnê, « pure et chaste », mais il est ...
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36 D’après le site internet » nominis.cel.fr » hébergé par l’Église catholiqu...
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37 Anneau dans le bec d’une colombe pour Agnès ; anneau épiscopal jeté dans l...
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38 Certains dictionnaires la donnent comme patronne de la chasteté (Dix mille...
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39 E. Kris et O. Kurz, ouvr. cité,. 161.
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40 « cet ouvrage de plusieurs années qu’il veut faire passer pour un enfant d...
18La vie conjugale de Molière est mise sous le signe de l’inceste et du cocuage et plus précisément de l’inceste et de la prostitution32. Là aussi on a une prise au sérieux d’éléments présents dans son œuvre et ses sources. Dans L’École des femmes, il n’y a à proprement parler ni inceste ni cocuage, sinon imaginaire. Dans « La Précaution inutile », il y a cocuage, mais pas vraiment inceste : le personnage principal élève la fille de père inconnu d’une femme qui allait être son épouse. Le conte de Straparole raconte l’initiation d’un jeune homme qui a pour idéal l’inceste (il ne connaît de femmes désirables que sa mère ou sa nourrice) avant de partir avec la femme de son initiateur. Ce dernier est le professeur d’université du héros, un « physicien » (contrairement à ce qu’on a pu dire, le motif de l’école n’est donc pas absent des sources). Ce n’est que dans la vie de Molière qu’inceste et cocuage deviennent effectifs. Le couple inceste-prostitution est bien connu des anthropologues : ce sont deux troubles dans la circulation des femmes, circulation empêchée ou exagérée. Dans les mythes, ce trouble est associé à un autre ou « traduit » par un autre, celui de la circulation de l’information, avec le couple indiscrétion-mutisme ou quiproquo33. Cette maladie sociale peut se traduire en maladie de l’individu. Mais ce qui est intéressant dans les vies de Molière, c’est que ce mythe est transformé en mythe d’artiste. Grimarest explique que Molière ne boit que du lait34 et survit, mais que revenant à la « viande » parce que reprenant une relation avec une femme, il en meurt. Il faudrait éclaircir plus avant le thème alimentaire, ce qu’on ne peut faire ici : juste avant de mourir, Molière refuse comme étant un poison le bouillon de son épouse et préfère du pain et du parmesan. L’union sexuelle est dans le monde ordinaire ce que la séparation des sexes est dans le monde extraordinaire de la création. Cette équation est d’ailleurs peut-être inscrite dans le nom même d’Agnès et d’Arnolphe. Sainte Agnès (21 juin) se voue à Dieu, se refuse à un païen et elle est mise au bordel, où un miracle (la poussée de ses cheveux qui voile sa nudité) préserve sa virginité ; elle est la fiancée du Christ35. Saint Arnulf (saint Arnoul de Metz, fête locale 18 juillet) fut le précepteur de Dagobert, ancêtre de Charlemagne. Il devient un prélat et décide pour cela de quitter sa femme qui entre au couvent36. Il est intéressant de voir que le mythe de ces saints et les rites qui les concernent sont en relation inverse : ces saints dont l’histoire est celle d’un refus de l’union terrestre au profit d’une union avec le divin (tous les deux sont associés dans l’iconographie à l’anneau donné ou redonné miraculeusement par un animal37) sont les patrons respectivement des hommes mariés trompés et des jeunes filles qui cherchent un mari (encore dans la Rome d’aujourd’hui38). Le motif des épousailles avec un dieu est essentiel dans le christianisme : la nouvelle de Scarron comme la pièce de Molière font d’ailleurs allusion à l’enfantement de la Vierge. Associé au motif de la jeune fille enfermée, ce motif est présent dans le mythe de Danaé et dans le conte-type de « La fille du soleil » (T 898), où un prince recueille et épouse une petite fille abandonnée parce qu’elle est la fille d’une femme que son enfermement dans une tour n’a pas protégée de la grossesse. Se dessine un cycle de l’enfantement sans père ou de l’enfantement sans mère, qui réalise la métaphore de l’œuvre comme enfant, dont l’importance dans les légendes d’artistes a été soulignée par Kris et Kurtz39 et qui est bien sûr présente dans les textes de la polémique autour de L’École des femmes40. Dans le conte-type de « La fille du soleil », le mariage est différé pour différentes causes selon les versions : la fille du soleil est muette parce qu’elle ne peut dire son origine ou bien c’est une poupée qui attend sa transformation en femme. Le prince provoque le dénouement par une maladie feinte. La maladie affectée par Horace n’est pas donc seulement un lazzi parodiant les stéréotypes amoureux.
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41 Alors que les garçons aimés des dieux sont transformés en fleurs, que le p...
19Dans la vie de Molière par Grimarest, la double anomalie de la vie conjugale de Molière et sa capacité de créateur se traduisent donc l’une l’autre. Dans La Fameuse comédienne, la déception de Molière avec sa femme n’aboutit pas à lui faire choisir une autre femme, mais un garçon. Le roman redouble avec humour l’infidélité d’Armande avec l’infidélité du jeune Baron (ils entrent même en concurrence). Laissons de côté deux motifs oubliés : celui de Molière homosexuel et celui de Molière juif et roi. Pour ce qui est de La Fameuse comédienne, la source est celle attendue dans un texte galant, Ovide. Orphée dans les Métamorphoses après son deuil d’Eurydice invente la pédérastie. Ce qui est intéressant ici, c’est que la légende d’Orphée chez Ovide ouvre le livre X qu’on peut facilement lire comme un mythe voire une allégorie anthropologique et où se retrouvent la prostitution et l’inceste. Entre les deux, le personnage de Pygmalion : les impures Propétides inventent la prostitution, ce qui révolte Pygmalion qui reste célibataire, obsédé qu’il est par les « vices dont la nature remplit le cœur des femmes ». Il crée une femme d’ivoire qu’il habille et pare, et que Vénus rend vivante. De cette femme naît une fille dont le fils commettra l’inceste avec sa fille Myrrha. Pygmalion fait partie des héros de la littérature artistique qui loue les statues quand elles donnent l’illusion de respirer. Boccace dans sa Généalogie des dieux raconte l’histoire d’Épiméthée qui trouve le secret d’animer sans l’aide des dieux une statue : il en est puni et transformé en singe. Quand la statue se transforme en femme, Pygmalion sent l’ivoire s’attendrir comme de la cire au soleil, qui « façonnée par le pouce, prend les formes les plus variées »41. C’est le même rêve de cire modelée, on le sait, qui anime Arnolphe, mais ce rêve n’est pas couronné de succès.
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42 Pline, XXV, 65. E. Kris et O. Kurtz, ouvr. cité, p. 97-99. Sur le lien ent...
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43 E. Kris et O. Kurtz ; ouvr. cité, p. 99. Voir aussi É. Pommier, Théories d...
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44 Pour des exemples, voir V. Fournel, Curiosités théâtrales anciennes et mod...
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45 Éd. citée, p. 55 et circa.
20Au XVIIe siècle, la cire, avec le plâtre, servait à faire des poupées. Elle servait aussi à fabriquer des effigies. La pratique des effigies en cire des morts est ancienne. Mais, sous Louis XIV, la statue de cire connaît un véritable succès mondain. Quelqu’un s’en fit le spécialiste. Ces statues de cire aux yeux de cristal étonnaient par leur hyperréalisme, comme la femme de cire du Musée Grévin qui arrange son bas étonnera André Breton. On retrouve ici ce qui est peut-être le mythe artistique essentiel de l’Occident, celui de la représentation artificielle prise pour la réalité. Ce mythe est celui des raisins de Zeuxis et du rideau de Parrhasios42. Du XVIe au XVIIIe siècle, il est particulièrement représenté par de nombreuses anecdotes concernant des portraits : le portrait de Paul III séchant à la fenêtre est pris pour le pape lui-même43. C’est aussi à l’époque moderne le mythe fondamental de l’acteur. Les anecdotes se déclinent de façon riche : illusion parfaite du spectateur dans un moment de ravissement, illusion burlesque du béotien qui prend la pièce pour la réalité (Lysis dans le Berger extravagant de Sorel, I, III, spectateur d’une pastorale à l’Hôtel de Bourgogne se jette sur la scène pour avertir la bergère des pièges qu’on lui tend), illusion brisée par une intervention du spectateur ou une imperfection de l’acteur (l’actrice trop vieille pour le rôle, Floridor trop sympathique pour jouer Néron dans Britannicus), illusion maintenue malgré un incident grâce à l’habileté de l’acteur44, etc. Or, ce qui doit frapper, c’est que ce mythe de l’illusion est absent de la vie de Molière, alors même que celui-ci est appelé le « peintre » et qu’il est acteur. Dans La Fameuse Comédienne, le mythe est présent, mais il n’est pas rattaché à Molière ni même à sa femme. De façon très spirituelle, c’est seulement la prostituée qui donne l’illusion d’être la fameuse actrice dans une farce intéressée qu’elle joue à un président de province45.
III. Le singe et la poupée de cire
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46 Cicéron, De oratore, I, 129.
21Dans le mythe de l’illusion, le médium doit se faire oublier. Ce n’est pas du tout dans cette perspective que se fait l’éloge du jeu de Molière. Devant l’actrice qu’on prend un instant pour Cordélia, personne ne s’écrirait : « Qu’elle est naturelle ! » Le naturel de Molière est étrangement visible. Le plus célèbre éloge du jeu de Molière est un éloge de sa technique virtuose d’expression corporelle et il est calqué sur celui de Roscius. C’est d’ailleurs les principes de Roscius selon Cicéron que Molière rappelle dans L’Impromptu de Versailles : « le point capital au théâtre c’est de jouer juste (decere) selon le personnage et le moment de la pièce »46. Mais Roscius est celui dont la technique est admirable, non celui qui se fait oublier derrière son rôle. Dans les anecdotes, l’acteur Roscius prend des leçons de l’orateur Cicéron, ou bien lui en donne, ou bien traduit par son jeu un discours. Cette mise en miroir se retrouve dans la vie de Molière, un moment partagé entre le barreau et la scène.
22Le mythe de l’illusion est un mythe de la substitution : ce qui est représenté se substitue à ce qui le représente. Le mythe qui concerne Molière est tout au contraire un mythe de la duplication et même de la multiplication. Les mots-clés en sont l’« original » et la « copie », l’original pouvant tirer son ridicule du fait qu’il n’est qu’une copie, la copie pouvant elle-même être copie de copie, comme dans la gravure de Vermulen où Molière copie Scaramouche qui copie la nature.
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47 « Il y a de certaines choses qui demandent absolument que l’on y réponde d...
23Le mythe de l’illusion est un mythe de l’amour : le président de province amoureux tombe amoureux de la Molière, comme le fera Gérard de Nerval. Le mythe qui concerne Molière est un mythe agonistique. Le vocabulaire est celui du coup porté ; le « trait » et le « coup de pinceau » sont à la fois ce qui constitue le « portrait » et le coup « satyrique » conçu comme violence. D’où le caractère particulier des polémiques autour de Molière : elles se font sous le signe du donné et du rendu, de la « vengeance » (mot clé) qui se doit d’utiliser les mêmes armes que l’agresseur47 ; les textes polémiques ne cherchent pas à faire illusion, mais continuent le processus de multiplication par copie.
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48 C’est des commentaires de la comédie latine par Donat que vient la définit...
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49 A. Ross Curtis, Crispin Ier : la vie et l’œuvre de Raymond Poisson, comédi...
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50 Pline (XXX, 89) en parle à propos d’Apelle. L’anecdote est transposée dans...
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51 Voir E. Kris et O. Kurtz, ouvr. cité, p. 125, H. W. Janson, Apes and Ape-L...
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52 Réponse, scène 2 et scène 7, p. 100 et p. 150 (éd. G. Mongrédien, p. 266 e...
24Ce qui explique tout cela, c’est que le mythe concernant Molière n’est pas un mythe de l’illusion, mais de la ressemblance. La comédie est moins imago que speculum48. L’excellence de la peinture ne donne pas l’illusion de la présence de celui qui est représenté, elle le fait reconnaître et cette reconnaissance peut aller jusqu’à l’universel. C’est bien ce que dit Mlle Molière dans L’Impromptu : « Pourquoi fait-il de si méchantes pièces que tout Paris va voir et où il peint si bien les gens que chacun s’y connaît ». Quelques anecdotes théâtrales illustrent ce mythe. Colbert devient l’ennemi de Poisson, car il croit reconnaître dans le costume de l’acteur son propre habit et pense que celui-ci le joue49. L’anecdote trouve son étymon comme souvent dans Pline qui raconte que deux consuls se croient joués par deux acteurs jumeaux qui leur ressemblent. Le mythe de la ressemblance est aussi illustré par des anecdotes artistiques, celles qui racontent que grâce à son talent, l’artiste réalise un portrait-robot qui permet d’identifier un malfaisant50. L’anecdote est attribuée notamment à Annibale Carrache, ce qui doit étonner, car lui et sa génération dénoncent la pure reproduction de la réalité comme ne relevant pas de l’art véritable. La littérature artistique italienne oppose la production de l’image et la copie du réel, l’imitare et le ritrare. Le portrait, ritratto, dans la mesure où il est justement simplement « tiré du naturel » est une activité à peine artistique. C’est dans ce contexte que l’image du singe évolue. Boccace avait lancé la définition du poète comme « singe de la nature », et la littérature artistique italienne des XVe et XVIe siècles en avait fait la définition du peintre. Mais au XVIIe siècle, le singe devient l’antithèse de l’artiste en tant qu’image de la reproduction servile et de l’imitation non savante51. Molière est souvent représenté en singe par ses ennemis qui veulent critiquer son jeu et ses pièces52.
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53 P. Dandrey, ouvr. cité. Sur la caricature, voir p. 112-114.
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54 Lettres sur les affaires, p. 307 (« faire rire par des grimaces, des Turlu...
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55 Donneau de Visé, Mélante dans Zélinde, sc. 10, p. 150-151, éd. G. Mongrédi...
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56 Ariste dans Réponse à l’Impromptu de Versailles, p. 91, éd. G. Mongrédien,...
25Ce statut ambigu du portrait dans la réflexion artistique à l’époque de Molière éclaire peut-être les contradictions apparentes dans la polémique contre Molière, en particulier les attaques contre son jeu de comédien. Il existe en effet deux versions du jeu de Molière. La première est celle dont P. Dandrey a montré qu’elle correspondait à la clé de l’esthétique du dramaturge et qu’elle résolvait le problème posé par la définition du ridicule comme difformité : Molière représente de façon naturelle la difformité du monde. La seconde fait valoir que Molière est « outré »53. Ce second point de vue est souvent repris par les ennemis de Molière. Il est associé à la singerie et à l’art populaire, c’est-à-dire à un art qui n’est pas de l’art : celui de la farce et des tréteaux. Un des motifs associés à cette attaque est vestimentaire, c’est celui de l’exagération de la taille des canons54. Un autre motif est celui du sujet noble traité de façon basse, du marquis mis pour le valet. Quand il est associé à l’art, c’est à l’art mauvais ou à l’art menteur, sophiste. Molière est « mauvais copiste » : « Il nous habille autrement que nous [les gens de qualités] sommes ; il allonge nos cheveux, il agrandit nos rabats, apetisse nos pourpoints, augmente nos garnitures ; donne plus de tour à nos canons » etc. Par ce procédé, une « belle personne » peut être peint comme « un monstre »55 ; « il nous les [les Originaux] fait voir dans un faux jour, et se sert de couleurs qui nous trompent et qui nous font voir des défauts où il n’y en a pas.56 » Le premier point de vue trouve une brillante théorisation dans la Lettre sur la comédie de l’Imposteur et, comme il nous semble favorable à Molière, le respect ne peut que nous la faire adopter. On finirait par oublier qu’il est contre-intuitif : il est difficile de dire sincèrement que les personnages de Molière sont tout à fait comme ceux de la vie. Mais il faut surtout noter que les deux points de vue ne se réduisent pas à un simple débat entre partisans et ennemis de Molière. Le second point se trouve aussi chez ceux qu’on peut penser des partisans de Molière. Des Précieuses ridicules, Grimarest écrit :
57 Éd. citée, p. 16.
on disait que c’était une charge un peu forte : mais Molière connaissait déjà le point de vue du théâtre, qui demande de gros traits pour affecter le public, et ce principe lui a toujours réussi dans tous les caractères qu’il a voulu peindre.57
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58 Éd. G. Mongrédien, p. 306 et p. 307.
26Dans une gravure qui illustre l’édition posthume des œuvres complètes, sous Mascarille en marquis et un vrai marquis avec de trop grands canons figurent des petits singes allégoriques. Quand au premier point de vue, il est assez répandu (Desmarest de Saint-Sorlin l’utilisait déjà dans sa préface des Visionnaires) et il se trouve même chez les ennemis de Molière. Certains textes polémiques ne se privent même pas d’utiliser les deux points de vue à la fois. Dans la Lettre sur les affaires du théâtre de Donneau de Visé, le fait que « nous voyons bien des jaloux », mais « peu qui ressemblent à Arnolphe », car il est « hors du vraisemblable », sert à montrer que Molière a tort de dire qu’il « peint d’après nature » et non « de fantaisie ». Mais le même texte, pour montrer que les « portraits ridicules » sont plus facile à faire que la peinture des héros et des princes, définit ces derniers comme « des fous que l’on peint d’après nature » : « ces peintures ne sont pas difficiles, l’on remarque aisément leur postures ; on entend leurs discours ; l’on voit leur habits ». Pour peindre un héros « il faut que le jugement et l’esprit s’y fassent remarquer ». « Lorsqu’il dit qu’il peint d’après nature, il confesse qu’il n’y met rien du sien »58. Le texte réunit donc les deux arguments contre le portrait : le portrait n’est pas naturel, il est donc mauvais ; le portrait est tiré du naturel, c’est donc un genre inférieur.
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59 Zélinde, scène 6 (Oriane), p. 37 et p. 38.
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60 E. H. Gombrich, Art and Illusion, 1960, trad. fr. G. Durand, Gallimard, no...
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61 Ibid., p. 298, note 357.
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62 É. Pommier, Théories du portrait de la Renaissance aux Lumières, ouvr. cit...
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63 Sur le refus de l’art de donner l’illusion de la rélaité, voir E. Kris et ...
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64 « méthode qui consiste à faire des portraits en recherchant une ressemblan...
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65 Pline rapporte les légendes de l’origine de la peinture en constatant que ...
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66 « le marquis aujourd’hui est le plaisant de la comédie » comme autrefois «...
27Dans une des pièces de la querelle de L’École des femmes, on trouve une anecdote qui fait de Molière littéralement un peintre qui non seulement prend des notes sur des tablettes mais fait des croquis en cachette : « Peut-être que c’était un crayon, et qu’il dessinait leurs grimaces, pour les faire représenter au naturel sur son théâtre »59. Cette anecdote en rappelle d’autres qui concernent les premiers caricaturistes. D’après ces anecdotes, la caricature serait née dans l’entourage des frères Carrache vers 1600 puis avec le Bernin vers 1650. Celui-ci fait connaître au grand public ce qui n’est d’abord qu’une pratique d’atelier. Les historiens de l’art se sont penchés sur un problème chronologique : pourquoi la caricature apparaît-elle si tard dans l’art ? Ils répondent que selon la formule de Gombrich dans L’Art et l’Illusion, cela « suppose que l’on a pu découvrir la différence théorique qui existe entre la ressemblance et l’équivalence »60. Quand Bernin, par ailleurs inventeur du naturel au théâtre61, vient à Paris, on l’emmène voir les statues de cire : il les méprise en disant que ce sont « cose di donne ». Boileau lui aussi refusera de les considérer comme de l’art62. La statue de cire réalisait le mythe de l’illusion : on pouvait même compter les cheveux. La nouvelle manière de concevoir l’art rendait ridicule le mythe de l’illusion, qui fut le mythe même de la création artistique jusqu’alors. La caricature fut le fruit de ceux-là même qui prêchaient pour la « belle nature » : comme la nature sublimée, la caricature montre le pouvoir de l’artiste de se détacher de la reproduction servile63. Ils ne faisaient pas ainsi un simple portrait « cavato dal naturale », car, comme le dit Mascarille à Madelon dans les Précieuses, « les portraits sont difficiles et demandent un esprit profond ». La caricature offrait le paradoxe de la ressemblance par la dissemblance, il s’agit de « donner l’impression de voir le sujet lui-même, alors que les éléments sont modifiés », selon la définition du « portrait ridicule » donnée par Filipo Balduccini dans Dictionnaire des termes artistiques en 168164. Par la caricature, les artistes faisaient semblant de revenir à un art primitif, réduit à quelques traits65, celui des « crayons grossiers » faits par les enfants, celui des dessins fait au charbon sur les murs de cabarets, comme Molière semblait faire revenir à la farce : en cela, cet art relevait bien du style simple, celui qui semble relever du quotidien mais qui est en réalité savant et inimitable. Mais il bouleversait aussi la hiérarchie des styles et inventait ainsi le dessin politique, comme lorsque Bernin croque le pape comme un grillon recroquevillé, et lorsque Molière invente de remplacer le « valet bouffon » par le marquis66.
28Le mot caricature apparaît lentement et remplace les termes plus courant de « portrait chargé » et de « portrait ridicule », il prend rapidement un sens péjoratif. Quand l’art de la caricature triomphe en Angleterre du XVIIIe siècle, on préfère l’appeler « caractère ». Mais le mot est encore employé dans un sens non péjoratif par ceux qui savent. En 1751, Goldoni a donné une adaptation théâtrale de la vie de Molière par Grimarest pour rendre hommage au « Maître de l’Art » : le sujet en est l’interdiction levée de Tartuffe et le mariage de Molière et d’Armande malgré l’opposition de Madeleine. Goldoni ajoute du sien en introduisant le personnage de Pirlon, un des dévots hypocrites qui cherchent à faire interdire Tartuffe. Molière lui joue ce tour : la servante de Molière fait semblant d’être sensible au charme de Pirlon pour lui dérober ses habits, habits que Molière utilise comme costume pour jouer Tartuffe. À la scène 9 de l’acte III, Molière arrive prêt à entrer sur scène « avec le manteau [le tabarro] et le chapeau de Pirlon, une perruque et des moustaches toutes pareilles aux siennes ». Il demande à Baron : « Suis-je bien costumé ? » Celui-ci lui répond :
_____________ Bellissima figura !
Formar non si potrebbe miglior caricatura.
Siete Pirlone istesso.
67 G. Goldoni, Tutte le opere, éd. G. Ortolani, Milan, A. Mondadori, t. III, ...
[À merveille ! La caricature est excellente. C’est Pirlon lui-même.]67
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68 Baudelaire, Critique d’art, éd. Cl. Pichois, Paris, Gallimard, coll. Folio...
29Baudelaire dans son grand article sur les caricaturistes français soutenait le paradoxe que les « caricatures sont souvent les images les plus fidèles de la vie » et affirmait que « quant au moral, Daumier a quelque rapport avec Molière »68. De fait, de Daumier, on a raconté qu’il ne faisait pas des portraits, mais qu’il se peignait lui-même :
69 Jean Gigons, Causeries sur les artistes de mon temps, 1895, p. 55, cité pa...
Il se représente continuellement lui-même, sans doute à son insu. C’était toujours son nez !- et quel nez en virgule ! et ses petits yeux pénétrants et luisants comme des diamants69.
30Le roman de la vie de l’auteur n’est pas seulement bon à connaître, il est « bon à penser ». Car il y a, dans les folies qu’on raconte sur les grands artistes, toujours plus de vérités qu’on ne croit.
Notes
1 La Fameuse Comédienne ou Histoire de la Guérin, auparavant femme et veuve de Molière, Frankfort, Frans Rottenberg, Marchand-Libraire, près des Carmes, 1688 ; éd. C. Garboli, Milan, Adelfi, 1997 ; Paris, Allia, 1997 (nous citons cette dernière édition)
2 La Fameuse Comédienne, éd. citée, p. 24-25.
3 « El prevenido enganado » de Maria de Zayas y Sotomayor. Voir Cl. Bourqui, Les Sources de Molière. Répertoire critique des sources littéraires et dramatiques, Paris, Sedes, 1999.
4 A. Van Gennep, Manuel de folklore français, Bibliographie, rééd. Paris, Laffont, coll. Bouquins, 1999, p. 520.
5 P. Saintyves [Émile Nourry dit], Les contes de Perrault et les récits parallèles. Leurs origines (coutumes primitives et liturgie populaire, 1923, rééd. Paris, R. Laffont, coll. Bouquins, 1987.
6 E. Kris et O. Kurz, L’Image de l’artiste. Légendes, mythe et magie [1934, 1975], trad. M. Hechter, Paris, Rivages, coll. Galerie, 1987.
7 Grimarest, Vie de M. de Molière, 1705, dans Molière, Œuvres, éd. P.-A. Touchard, Paris, Seuil, coll. L’Intégral, 1964, p. 15 a
8 Ibid., p. 17b
9 M. R. Lefkowitz, The Lives of the Greek Poets, Duckworth, Londres, 1981 ; G. Arrighetti, Poeti, Eruditi e Biografi, Momenti della riflessione dei Greci sulla letteratura, Pise, Giardini Editore, 1987. Pour un résumé de cette problématique, voir Suzanne Saïd, « De l’homme à l’œuvre et retour. Lecture de l’auteur dans l’antiquité », dans S. Dubel et S. Rabeau dir., Fiction d’auteur ? Le discours biographique sur l’auteur de l’Antiquité à nos jours, Paris, H. Champion, 2001, p. 9-15 (avec bibliographie).
10 L’anecdote est reprise aussi dans Joseph de la Porte, Jean-Marie Clément, Anecdotes dramatiques, Paris, Veuve Duchesne, 1725, Genève, Slatkine reprints, 1971, t. II, p. 499
11 Un fragment de la vie d’Euripide par Satyrus s’appuie sur un fragment d’Aristophane pour justifier la démarche : « il ressemble aux paroles qu’il prête à ses personnages ». 694, éd. Kassel-Austin ; fr. 39 IX Sat, M. R. Lefkowitz, ouvr. cité, p. 27, note 8.
12 C’est la méthode critique de Chaméléon (G. Arrighetti, ouvr. cité).
13 E. Kris et O. Kurtz, ouvr. cité, p. 160 et suiv.
14 Sur l’« actualisation biographique », voir E. Kris et O. Kurtz, ouvr. cité, p. 180.
15 A. Van Gennep, La Formation des légendes, Paris, Ernest Flammarion, 1910, seconde édition 1912, livre V, chap. III et livre VII, chap. 3, p. 280. ; J.-B. Renard, Rumeurs et légendes urbaines, Paris, PUF, 1999 (Que sais-je ?), 3è éd. 2006, p. 12, p. 16 et p. 58 (renvoi à l’effet Goliath de Gary Fine, fixation d’un schème sur la personne célèbre du moment dans les « légendes contemporaines »).
16 Scipion l’Africain et Lélius aurait écrit ses pièces, voir par exemple, Anecdotes dramatqiues, t. II, p. 505.
17 Sur Chapelle auteur d’une des scènes des Fâcheux, voir Menegiana et Boelaena (p. 271, note 21).
18 F. de Callière, Des bons mots, Paris, Cl. Barbin, 1692, p. 304.
19 « o dimidiate Menander », « Vie de Térence », V, dans Suétone, trad. M. de Golbery, Paris, C.L.F. Panchouha, coll. Bibliothèque latine-française,1838, t. III, p. 313.
20 M. R. Lefkowitz, « The Euripide Vita », Greek, Roman and Bysantine Studies, 20, 1979, p. 187-210, repris dans The Lives of the Greek Poets, ouvr. cité, ch. 9, p. 89 ; M. Delcour, « Les biographies anciennes d’Euripide », Antiquité classique, 2, 271, 1933, p. 271-290.
21 M. R. Lefkowitz, The Lives…, ouvr. cite, p. IX.
22 Ibid., p. 33.
23 Ibid., p. 89.
24 Vita, éd. Méridier, 1929, trad. en anglais par M. R. Lefkowitz, ouvr. cité, p. 164
25 Satyrus, M. R. Lefkowitz, ouvr. cité, note 4, p. 164.
26 V. 285-286, p. 18 ; dans Comédies et Pamphlets sur Molière, éd. G. Mongrédien, Paris, A.-G. Nizet, 1986, p. 242.
27 Le Parnasse réformé, Paris, Thomas Jolly, 1671 (Genève, Slatkine reprints, 1968), p. 87.
28 Tristan L’Hermite, Le Page disgracié, éd. J. Serroy, Paris, H. Champion, II, 29, p. 366.
29 Des moments de liberté consacrés à la boisson modérée permettent de reprendre des forces : Platon Lois, I, 637b-642b, cité par Macrobe Saturnales, II, 8, 6.
30 Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, cité par p. Force, Molière ou Le Prix des choses. Morale, économie et comédie, Paris, Nathan, coll. Le texte à l’œuvre, 1994, p. 7 (exergue à l’introduction).
31 Il s’agirait d’un conte bouddhique de Chine du Ve siècle, documenté en Europe à partir du début du XIIIe siècle. Mais il est vrai que la culture populaire n’est souvent qu’une vieille culture savante : la maxime que veut faire graver Harpagon dans sa salle à manger est on le sait à la fois un mot que l’Antiquité prêtait à Socrate (Macrobe, Les Saturnales, II, 8, 15 ; Athénée, IV, 158f ; Diogène Laerce, II, 34) et un lieu commun de la médecine populaire de l’époque (Bachot, 1626, cité par J. Coste, La Littérature des « Erreurs populaires…, Paris, H. Champion, 2002, p. 186).
32 Molière se marie en février 1662, L’École des femmes est créée en décembre 1662. L’accusation d’être cocu apparaît dans les Nouvelles Nouvelles de Doneau de Visé, 1663 : « si vous voulez savoir pourquoi presque dans toutes ses Pièces il raille les Cocus, et dépeint si naturellement les Jaloux, c’est qu’il est du nombre de ces derniers » (La Querelle de L’École des femmes, éd. G. Mongrédien, Marcel Didier, STFM, 1971, introduction, p. XIV-XV). Elle donne lieu à des allusions dans Réponse, scène 3, p. 115 (Ibid., p. 275) et Élomire hypocondre, 1670. L’accusation d’inceste est attestée par une lettre de Racine de novembre 1663.
33 Voir Cl. Lévi-Stauss, notamment « Mythe et oubli » dans Le Regard éloigné, Paris, Plon, 1983.
34 Le lait est ambigu : c’est la nourriture des nourrissons, mais aussi au XVIIe siècle celle des mourants.
35 Son nom correspond en effet au grec agnê, « pure et chaste », mais il est assimilé au latin agnus (saint Augustin, Sermon 274), elle est agna dei, et comme l’agneau mystique est dans l’Apocalypse symbole du Christ, elle est une fiancée céleste (L. Réau, Iconographie de l’art chrétien, Paris, PUF, t. III, 1958, 1, 33 et 36).
36 D’après le site internet » nominis.cel.fr » hébergé par l’Église catholique de France. Le saint n’est pas dans la légende dorée, et il est éliminé de la plupart des catalogues actuels (notamment les trois cités en note plus bas). Sa vie vient des vies mérovingiennes, Vitae Arnulfi, Boniti, Praiecti, Rustiulae.
37 Anneau dans le bec d’une colombe pour Agnès ; anneau épiscopal jeté dans la Moselle par humilité et retrouvé dans un ventre de poisson pour Arnulphe.
38 Certains dictionnaires la donnent comme patronne de la chasteté (Dix mille saints. Dictionnaire hagiographique, trad. fr M. Stroobants, 1991, 1ère éd. 1921). Mais elle donne lieu à des rites populaires de recherche de maris par l’intermédiaire d’agneaux ornés de rubans offerts au pape (A. Cattabiani, Santi d’Italia, Rizzoli, 1999, 2004, t. I, p. 36-39 et J. E. Mercem, Dictionnaire thématique et géographique des saints imaginaires, facétieux et substitués…, Seuil, 2002, p. 963).
39 E. Kris et O. Kurz, ouvr. cité,. 161.
40 « cet ouvrage de plusieurs années qu’il veut faire passer pour un enfant de huit jours », « ses enfants ont plus qu’un père » (Réponse, sc. 3, p. 104 et 108, éd. G. Mongrédien, p. 268 et 271) ; « il avait eu trop d’indulgence pour ses enfants » (Lettre sur les affaires, éd. G. Mongrédien, p. 305).
41 Alors que les garçons aimés des dieux sont transformés en fleurs, que le peuple prostitué est transformé en animal à corne et le peuple qui refuse les hôtes en statue, Pygmalion fabrique une statue qui devient chair vivante, en passant par la cire, produit de la fleur et de l’animal.
42 Pline, XXV, 65. E. Kris et O. Kurtz, ouvr. cité, p. 97-99. Sur le lien entre ces légendes et les légendes de la statue animée (Hépahïstos, Pygmalion, Dédale, etc.), voir p. 104
43 E. Kris et O. Kurtz ; ouvr. cité, p. 99. Voir aussi É. Pommier, Théories du portrait de la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque illustrée des histoires, 1998.
44 Pour des exemples, voir V. Fournel, Curiosités théâtrales anciennes et modernes, françaises et étrangères, nouvelle édition augmentée, Paris, Garnier frères, 1878 et S. Chaouche, La Scène en contrechamp. Anecdotes françaises et traditions de jeu au siècle des Lumières, Paris, H. Champion, 2005.
45 Éd. citée, p. 55 et circa.
46 Cicéron, De oratore, I, 129.
47 « Il y a de certaines choses qui demandent absolument que l’on y réponde de la même manière que l’on est attaqué » (Réponse 5, p. 130-131, éd. G. Mongrédien, p. 284). Voir aussi le début de la Lettre sur les affaires du théâtre. D’où le trait caractéristique de cette polémique : répondre, c’est imiter Molière, faire la même chose que lui, mais contre lui.
48 C’est des commentaires de la comédie latine par Donat que vient la définition traditionnelle de la comédie comme imago et speculum, miroir. Sur l’importance de l’image du miroir, P. Dandrey, « Molière et ses miroirs publics », Prospéro, n° 2, 1992, p. 37-40, repris dans le chapitre I de Molière ou l’Esthétique du ridicule, Paris, Klincsieck ; 1992 et Larry F. Norman, The Public Mirror. Molière and the Social commerce of depiction, Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 1999.)
49 A. Ross Curtis, Crispin Ier : la vie et l’œuvre de Raymond Poisson, comédien-poète du XVIIe siècle, Toronto, University of Toronto Press/Paris, Klincksieck, 1972. Cf. Pline, VIII, § 52-56 (« similtudium exempla »).
50 Pline (XXX, 89) en parle à propos d’Apelle. L’anecdote est transposée dans les vies de Sodoma (Armenini, 1587) et d’Annibale Carrache (Bellori, 1672) : voir E. Kris et O. Kurtz, ouvr. cité, p. 139 et p. 184, note 1 du chapitre 4.
51 Voir E. Kris et O. Kurtz, ouvr. cité, p. 125, H. W. Janson, Apes and Ape-Lore in the Middle-Ages and the Renaissance, Londres, 1952, (chap. X, « Ars simia naturae ») ; P. Georgel et A.-M. Lecoq, La Peinture dans la peinture, catalogue de l’exposition de décembre 1982-février 1983 au Musée des Beaux-Arts de Dijon, (« Le singe de la Nature », p. 47-48). Une illustration de 1672 des Vies de Bellori oppose au singe figurant l’imitation charnelle qui ignore l’Idée l’imitatio sapiens figurée comme une femme regardant son visage dans un miroir.
52 Réponse, scène 2 et scène 7, p. 100 et p. 150 (éd. G. Mongrédien, p. 266 et p. 295) ; Impromptu de l’Hôtel de Condé, scène 3, v. 188 (« Que quand ce Singe adroit contrefit Montfleury »).
53 P. Dandrey, ouvr. cité. Sur la caricature, voir p. 112-114.
54 Lettres sur les affaires, p. 307 (« faire rire par des grimaces, des Turlupinades, de grandes Perruques, et de grands Canons »).
55 Donneau de Visé, Mélante dans Zélinde, sc. 10, p. 150-151, éd. G. Mongrédien, p. 77-78.
56 Ariste dans Réponse à l’Impromptu de Versailles, p. 91, éd. G. Mongrédien, p. 261.
57 Éd. citée, p. 16.
58 Éd. G. Mongrédien, p. 306 et p. 307.
59 Zélinde, scène 6 (Oriane), p. 37 et p. 38.
60 E. H. Gombrich, Art and Illusion, 1960, trad. fr. G. Durand, Gallimard, nouvelle éd., 1996, chapitre X « L’expérimentation dans le domaine de la caricature », p. 279-303.
61 Ibid., p. 298, note 357.
62 É. Pommier, Théories du portrait de la Renaissance aux Lumières, ouvr. cité, p. 255.
63 Sur le refus de l’art de donner l’illusion de la rélaité, voir E. Kris et O. Kurtz, ouvr. cité, p. 120.
64 « méthode qui consiste à faire des portraits en recherchant une ressemblance aussi complète que possible avec la physionomie de la personne représentée, tout en accusant certaines caractéristiques et en en faisant ressortir les défauts dans le but de se divertir et parfois de se moquer, de sorte que, dans l’ensemble, les portraits pussent donner l’impression de voir le sujet lui-même, alors que les éléments sont modifiés ».
65 Pline rapporte les légendes de l’origine de la peinture en constatant que toutes concernent un tracé fait sur les contours d’une ombre (circumductio umbrae, XXXV, 15). Dans certaines reformulations, on imagine qu’est utilisé le charbon (Vasari, prologue de Vies).
66 « le marquis aujourd’hui est le plaisant de la comédie » comme autrefois « valet bouffon », Impromptu de Versailles scène 1.
67 G. Goldoni, Tutte le opere, éd. G. Ortolani, Milan, A. Mondadori, t. III, 1939 première éd., p. 1111 ; trad. française du XVIIIe siècle, dans Goldoni, Comédies choisies, éd. D. Fachard, LGF, coll. La Pochotèque, 2007, p. 1110.
68 Baudelaire, Critique d’art, éd. Cl. Pichois, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 1992, p. 204 et 216.
69 Jean Gigons, Causeries sur les artistes de mon temps, 1895, p. 55, cité par E. H. Gombrich, ouvr. cité.
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Quelques mots à propos de : Jean-Yves Vialleton
Université Grenoble Alpes / U.M.R. Litt&Arts – RARE Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution