La Réserve : Livraison du 15 février 2016

Francis Goyet

Le mot dialogue chez Sébillet : « fiction », éthos, églogue

Initialement paru dans : Riflessioni teoriche e trattati di poetica tra Francia e Italia nel Cinquecento, Elio Mosele éd., Fasano, Schena editore (colloque de Malcesine, mai 1997), 1999, p. 53-68

Texte intégral

1On montrera ici comment procède la réflexion de Thomas Sébillet, sur le point précis du mot dialogue. Derrière la surface apparemment lisse de son Art poétique français de 1548 on découvre une lecture très subtile de Quintilien. Le théoricien latin est utilisé à des fins « françaises » par un jeu de rapprochements et aussi de silences. Le texte de 1548 y gagne en complexité et donc aussi en intérêt.

  • 1 Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. F. Goyet, Paris...

2Mis en vedette au titre du chapitre II, 8, le mot dialogue est donné comme un terme générique : « Du Dialogue, et ses espèces, comme sont l’Eglogue, la Moralité, la Farce »1. Moralité et farce sont expliquées ensuite comme les équivalents français de la tragédie et de la comédie des Anciens. Voilà pour la surface lisse. Le théoricien traite du genre théâtral en le plaçant sous la rubrique « dialogue », et cette petite opération taxinomique lui permet d’intégrer en prime dans le même chapitre un genre qui n’est pas théâtral, celui de l’églogue. Comme façon de redistribuer les cartes, on a connu plus acrobatique. Pourtant tout n’est pas si simple.

3Une première évidence à défaire est celle du lien entre le mot dialogue et le théâtre. Dialogue et dialoguer comme termes de théâtre ne sont attestés en France qu’à partir du XVIIIe siècle. Dialoguer est mentionné apparemment pour la première fois chez Voltaire. Furetière dans son dictionnaire ne connaît pas ce sens théâtral. À son entrée dialogue il écrit :

Entretien de deux ou plusieurs personnes, soit de vive voix, soit par escrit. Une mere doit prendre garde à ces longs dialogues que les galants font avec leurs filles. Les Anciens ont escrit la pluspart de leurs traitéz en Dialogues.

4Le premier exemple a sans doute une saveur de théâtre : comédie de la séduction sous le nez des parents ou tuteurs. Mais enfin dialogue y signifie plutôt conversation, un peu trop libre. D’où il est facile à Furetière de passer à l’autre exemple. Par dialogue l’Antiquité désigne une conversation, un entretien, très libre lui aussi. Doux entretien ou savante causerie, dans tous les cas ce n’est pas du théâtre.

  • 2 « Le dialogue en France de 1550 à 1560 », Le Dialogue au temps de la Renais...

5Le rapprochement par Sébillet entre dialogue et théâtre n’est donc pas une évidence. Ce qui serait a priori plus évident est le rapprochement avec le dialogue imité de l’Antiquité. Eva Kushner a montré dans un article très documenté la floraison de dialogues, en France, dans la décennie 1550-1560, au sens d’entretiens savants entre personnes de bonne compagnie2. Quand donc en 1548 Sébillet donne au Dialogue la dignité d’une tête de chapitre, on peut supposer qu’il est sensible à cet air du temps, à ce renouveau d’abord très italien – Speroni, pour ne citer que lui. Mais alors il est pour le moins étonnant de voir que Sébillet parlant du dialogue ne dise pas un mot des dialogues renouvelés de l’antique.

  • 3 Fouquelin parle de dialogisme et de prosopopée en synthétisant le catalogue...

6Pour s’approcher de cet ensemble de problèmes, le plus simple est assurément de partir de Quintilien. Sébillet ne le lit pas de façon linéaire, comme le fera par exemple Fouquelin3. Il cite ce qui l’arrange et contamine deux passages, dès le tout début de son chapitre :

Entre les poèmes sont fréquents et bien reçus ceux qui sont traités en style prosomilitique [ = Quintilien, livre III], c’est-à-dire, confabulatoire : quels sont ceux où par prosopopée sont introduites personnes parlant à tour [ = tour à tour], que l’on nomme du mot Grec, Dialogues [ = Quintilien, livre IX].

7Pour y voir clair dans ce festival de termes conceptuels, on peut s’arrêter sur deux mots, la prosopopée et le prosomilitique. On pourra alors revenir sur l’églogue.

1. Prosopopée et « fiction »

8Le passage fondamental dans Quintilien est IX, 2, 29-32 :

  • 4 Trad. Jean Cousin, Paris, Les Belles-Lettres (Coll. des Universités de Fran...

Plus audacieuse, et, de l’avis de Cicéron, exigeant un plus grand effort est l’intervention imaginaire de personnages, qui est appelée [en grec] « prosopopée ». C’est une figure merveilleuse pour donner au discours de la variété et surtout de l’animation. 30. Grâce à elle, nous dévoilons les pensées de nos adversaires, comme s’ils s’entretenaient avec eux-mêmes, mais on ne les croira que si nous les représentons avec des idées qu’il n’est pas absurde de leur attribuer ; de plus, nous pouvons introduire ainsi d’une manière convaincante des conversations tenues par nous avec d’autres et par d’autres entre eux et, en leur attribuant des conseils, des objurgations, des plaintes, des éloges, des accents de pitié, nous leur donnons les caractères qui conviennent. 31. Il y a plus : à l’aide de cette forme de langage, il est permis de faire descendre les dieux du ciel et d’évoquer les morts. Les villes mêmes et les peuples reçoivent le don de la parole. Et il y a quelques rhéteurs, qui restreignent le terme de prosopopée aux cas où, à la fois, les personnes et les mots sont fictifs ; ils préfèrent appeler les conversations imaginaires des « dialogues », terme [grec] que certains ont traduit en latin par sermocinatio. 32. Pour ma part, en vertu de l’usage déjà reçu, j’ai appelé les deux genres de fiction du même nom : car certes il est impossible d’imaginer un langage, sans imaginer une personne pour le tenir. Mais pour les choses, auxquelles la nature n’accorde pas le don de la parole, nous pouvons assouplir l’emploi de la figure de la façon suivante : « Si ma patrie, en effet, qui m’est beaucoup plus chère que ma propre vie, si toute l’Italie, si la République entière me disaient : “M. Tullius, que fais-tu ?” » Voici qui est plus audacieux encore : « C’est elle, Catilina, qui s’en prend à toi, et qui, toute muette qu’elle est, semble te dire : “Aucun forfait, depuis quelques années déjà, n’a été commis, si ce n’est par toi” »4.

9On voit aisément tous les points que l’on retrouve chez Sébillet. Tout d’abord, le grec prosôpopoiiai est traduit en latin par « fictiones personarum », la fiction de personnages ou personae. Ce sont les « personnes » dont parle Sébillet : « sont introduites personnes ». Le verbe introduire est d’ailleurs classique à propos de la prosopopée, et on le trouve déjà sous la plume de Quintilien, au § 30, même s’il s’agit chez lui d’introduire les conversations : « sermones (…) introducimus ». Enfin, le mot dialogue, lui, arrive un peu plus loin, en grec de nouveau. Cette fois Quintilien ne le reprend pas à son compte mais l’attribue à d’autres rhéteurs qu’il ne nomme pas, à des quidam : 

At sunt quidam qui has demum prosôpopoiias dicant in quibus et corpora et uerba fingimus ; sermones hominum adsimulatos dicere dialogous malunt, quod Latinorum quidam dixerunt sermocinationem.

  • 5 Art poétique, v. 81.

10En somme, la seule idée qui manque chez Quintilien par rapport à Sébillet est celle du « tour à tour ». On peut la retrouver avec les conversations ou sermones « tenues par nous avec d’autres et par d’autres entre eux ». Mais elle n’a pas ici la netteté d’une formulation comme celle d’Horace qui, à propos justement de théâtre, parle d’alterni sermones5.

  • 6 Fouquelin entérine à peu près cette opposition quand il introduit le terme ...

11D’un point de vue conceptuel, le point le plus important est que Quintilien ne fasse pas sienne la distinction des « quidam », et que cette distinction soit précisément celle que nous avons conservée. Les quidam pensent comme nous quand ils distinguent entre personnification d’entités imaginaires et propos de personnages réels. Pour eux comme pour nous, relèvent aussi de la première espèce les propos d’hommes morts, telle la fameuse prosopopée de Fabricius par Rousseau. D’un côté les morts et l’imaginaire, de l’autre les vivants et le réel. La clarté de cette distinction est telle que le terme de prosopopée, dans cette optique, ne peut désigner exactement que les morts et l’imaginaire. Il devient dès lors urgent de trouver pour les vivants et le réel un autre terme, et c’est celui de dialogue. Les choses sont alors limpides. Au réel le dialogue, à la fiction la prosopopée6.

12Quintilien refuse cette présentation, comme le montre le mouvement même de son texte. Pour lui, la prosopopée, ce sont d’abord les pensées intimes de l’adversaire, ses cogitationes, puis ses conversations avec d’autres ou sermones, c’est-à-dire exactement ce que les quidam nomment des dialogues. La raison profonde d’une telle présentation est l’importance que Quintilien accorde à l’idée de fiction. Pour lui tout est fiction, fingere. Il lui est impossible « d’imaginer un langage, sans imaginer une personne pour le tenir, nam certe sermo fingi non potest ut non personae sermo fingatur » (§ 32). En d’autres termes, la distinction si nette entre réel et imaginaire ne tient pas à ses yeux. Par voie de conséquence, il est pour lui inutile d’introduire un autre terme, celui de dialogue, pour désigner les conversations réelles. À ses yeux celles-ci ne demandent pas moins d’élaboration ou de « fiction » pour être crédibles, « credibiliter » (§ 30).

13On voit ainsi que Sébillet est en un sens justifié par le texte de Quintilien d’identifier dialogue et prosopopée. C’est tout de même assez paradoxal, puisque le mot dialogue n’est pas repris à son compte par Quintilien lui-même. Mais le plus paradoxal est que, dans le même mouvement, Sébillet en vienne à marginaliser dans son chapitre le fait de faire parler des personnifications, des personnages imaginaires, dieux, villes ou morts. Autrement dit, on a un curieux chassé-croisé théorique. Sébillet reprend aux quidam leur mot de dialogue, mais sur le fond il se range en fait au point de vue de Quintilien. Lui aussi refuse de distinguer entre réel et imaginaire, pour lui aussi l’essentiel est que tout est fiction.

14Ce chassé-croisé de Sébillet a une traduction immédiate dans ses exemples. De Marot il cite le Jugement de Minos, qui se tient entre personnages historiques, morts mais réels : Alexandre, Hannibal, Scipion. Mais il ne cite pas la Déploration de Florimond Robertet, où parlent par prosopopée et la République Française et la Mort. Il ne cite pas non plus l’Epître du Dépourvu, où parlent des allégories comme Crainte et Bon Espoir, ou encore le dieu Mercure. Sébillet exclut donc tout ce que nous appellerions nous la prosopopée : les propos de personnages imaginaires. Le résultat de cette opération est d’exclure toute idée de réalisme littéraire. Car ce sont les quidam qui distinguent entre fictif et simulé, entre fingere et adsimulare. Comme eux nous pensons et disons encore « fiction » pour désigner un pur produit de l’imaginaire. Quand l’opposition est ainsi entre imaginaire et réel, le travail de représentation est lui-même scindé entre prosopopée et dialogue, c’est-à-dire entre « fiction » et « simulation ». Réalisme, dialogue, adsimulare : ce dernier terme, au fond, c’est en latin l’idée grecque de mimésis, de reproduction de la réalité. Le travail artistique de représentation est gagé sur la réalité des choses, ou leur irréalité. C’est là qu’est le critère. Si les choses sont irréelles, c’est une fable ou un mythe ; si elles sont réelles, c’est un roman ou mieux encore une reconstitution des faits. Et en dernière analyse, c’est la vérité des faits qui emporte la crédibilité, et non le travail par lequel l’artiste les a reconstituées.

  • 7 J’ai développé ce point dans « Hypotypose, type, pathos », La Rhétorique : ...

15Sébillet comme Quintilien déplacent le problème du réalisme et de la mimésis. Car si chez eux la « fiction de personnes » est le terme englobant, cela signifie qu’elle inclut et la « simulation » de propos réels et la simulation de personnages inventés ou de personnifications. Pour le dire à l’inverse, les propos réels ne sont pas moins « fictifs » que les propos imaginaires : fictifs, c’est-à-dire élaborés, fabriqués. Dans cette perspective, la vérité des faits ne garantit en rien la crédibilité, la réussite. En dernière analyse, tout repose ici sur le travail de l’artiste, sur son talent plus ou moins grand à reconstituer. Le concept de persona est alors crucial. Pour être crédible, pour réussir, l’artiste doit en effet reconstituer de façon convaincante non pas des faits mais un personnage ou persona. Que ce personnage soit un homme réel et vivant ou quelque dieu imaginaire ne change rien au fond du problème. À tous il faut donner les « personae idoneae », les « caractères qui conviennent » de la fin du § 30. On en arrive ainsi au sens de fingere chez Quintilien. Le verbe signifie « façonner », il est l’équivalent latin du grec poiein. Il n’est paradoxal que si on le lit avec les lunettes du réalisme. Car façonner veut dire ici inventer des propos réels en inventant d’abord la personne réelle qui les prononce. Cela se dit très simplement en termes de théâtre. Il s’agit de créer un rôle ou un type, lequel par sa cohérence commandera le moindre geste, la moindre intonation, comme le dit si brillamment le Paradoxe sur le comédien7.

16On pourrait objecter ici la seule fois où Sébillet emploie dans son chapitre l’expression « feinte de personne », calque du fictiones personarum de Quintilien. Car c’est à propos de la Moralité par allégorie, donc de la prosopopée au sens le plus habituel, les personnifications que l’on fait parler. La réponse à l’objection est que le mouvement du texte marginalise en fait la moralité allégorique, évoquée très brièvement et pour mémoire. Qui plus est, Sébillet la traite en second, à un rang donc nettement inférieur. Suivons en effet le mouvement. Une longue page traite d’abord de la « Moralité », c’est-à-dire en fait de la tragédie grecque ou latine. Sub fine et sans que rien n’ait annoncé jusque-là cette bipartition, Sébillet ajoute : « Or y a-t-il une autre sorte de Moralité que celle dont je viens de parler, en laquelle nous suivons allégorie ou sens moral… » Cette autre sorte est en fait historiquement première, c’est d’ailleurs à cause de « sens moral » qu’elle se nomme moralité. Elle se traite « sous feinte de personne attribuée à ce que véritablement n’est homme ni femme ». Fort bien. Mais dans la phrase immédiatement suivante, Sébillet s’empresse d’ajouter :

Quoi que soit, pense que la première vertu de la Moralité, et tout autre Dialogue, est le Décore des personnes observé à l’ongle, et la convenante et apte reddition du Moral et allégorie. Toutes sortes de vers y sont reçues en mélange et variété…

17Cet ajout laisse entendre que la moralité au sens ancien n’a pas toujours brillé par la convenance. À la « feinte » préférons donc le « décore », francisation du latin decorum ou decor. Ou plus exactement la « feinte de personne », loin d’être l’apanage de la seule allégorie, ne vaut que si elle n’oublie pas le « décore ». Avec ce dernier mot, Sébillet retombe sur l’idée cruciale de persona idonea, de caractère vraisemblable et par là crédible. Fictio, decor, persona, voilà la trilogie à opposer à tout réalisme littéraire.

  • 8 Chez Quintilien lui-même, le mot decor est la chute du passage de XI, 1, 39...

  • 9 « Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable » (Boileau) : ce manque...

18En mettant en avant le mot « décore », Sébillet passe insensiblement de Quintilien à Horace8. C’est en effet le grand précepte de l’Ars poetica, tout comme de l’Art poétique français. Au vers 119, « composez des caractères qui se tiennent », en latin « conuenientia finge ». Au vers 156 et suivants, surtout, « il vous faut marquer les mœurs ou mores de chaque âge et donner aux caractères, changeant avec les années, les traits qui conviennent, mobilibusque decor naturis dandus et annis. » Suivent les célèbres descriptions de l’enfant, du jeune homme, de l’homme mûr, du vieillard. Notons que cette question du decor est traitée par Horace, précisément, à l’intérieur de considérations sur le théâtre. Sa conclusion le dit bien : il ne faut pas donner « à un jeune homme le rôle ou partes d’un vieillard » (v. 177). En termes de théâtre, que le personnage soit historique ou non n’importe pas. Ce qui compte n’est pas le réalisme au sens de mimésis mais le réalisme au sens ancien du vraisemblable9. Pour être crédible le vieillard doit agir selon ce qu’on attend de son rôle, tout comme Achille doit être « infatigable, irascible, inexorable, ardent », Médée farouche, Ixion perfide, Oreste sombre (v. 120-124). Qu’Achille soit imaginaire et le vieillard croqué sur le vif ne change rien à la nécessité de les « feindre » ou fingere tous deux. Ils sont tous deux le produit d’une fiction, c’est-à-dire le résultat d’un travail de création.

19De la Moralité aux mores, de la persona idonea au decor : on peut conclure ce point en posant que Sébillet lit les considérations de Quintilien sur la prosopopée comme un rappel de celles d’Horace sur le théâtre. En cela il n’a pas tort, puisque la visée des deux auteurs latins est bien la même. Le but à atteindre est d’être crédible, « vraisemblable » au sens du XVIIe siècle. Pour cela il faut donner à chacun le rôle qui lui convient, qu’il joue dans une tragédie ou dans une comédie. À l’époque de Sébillet, cet art de donner à chacun son decorum, c’est par exemple et au plus haut point celui d’Érasme dans une œuvre qui combine dialogue et comédie sociale, les Colloques. Les personnages y sont à la fois réalistes au sens où ils représentent des contemporains, et fictifs au sens où ils sont plus vrais que nature. C’est déjà du dialogue, ce n’est pas tout à fait du théâtre. Une réussite pratique comme celle des Colloques nous permet je crois de visualiser l’entre-deux théorique dans lequel évolue Sébillet, et le type d’objet littéraire nouveau qu’il appelle ainsi de ses vœux.

2. Prosomilitique et refus du pathos

20Avec ce mot inhabituel placé au tout début de son chapitre, Sébillet indique me semble-t-il ceci. En mettant l’accent sur le « décore », sur la convenance des personnages, il diminue d’autant la part de la tragédie, ou plus exactement du tragique. Et c’est là qu’il diffère vraiment de Quintilien, en faisant dire à son texte sur la prosopopée ce qui l’intéresse lui Sébillet.

21« Prosomilitique » apparaît dans le chapitre III, 4 de Quintilien – à bonne distance, donc, de la prosopopée au livre IX, et sans lien apparent. Ce chapitre III, 4 examine les diverses divisions que les prédécesseurs de Quintilien ont proposées pour les genres de cause. Lui-même s’en tient à la tripartition la plus classique : le judiciaire, le délibératif et le démonstratif, c’est-à-dire le procès, la prise de décision politique en assemblée, enfin l’éloge. Mais Anaximène par exemple a distingué seulement deux genres, le judiciaire et le délibératif, quitte à les sous-diviser en sept espèces (III, 4, 9). C’est dans ce contexte qu’apparaît, au § 10, le mot grec prosomilètikè :

Dans le Sophiste [222 C], à l’éloquence judiciaire et à l’éloquence d’assemblée, Platon a joint une troisième sorte, qu’il appelle prosomilètikè, terme qu’on voudra bien nous permettre de traduire par « conversationnelle » [sermocinatricem] ; cette dernière se distingue de l’éloquence du forum et convient aux discussions privées, dont l’essence est assurément la même que celle de la dialectique – quae […] est accommodata priuatis disputationibus, cuius uis eadem profecto est quae dialecticae.

22On comprend aisément les raisons qui justifient Sébillet de rapprocher avec le passage du livre IX sur la prosopopée. En fait de tripartition le sophiste mis en scène par Platon distingue en effet deux grandes catégories, l’éloquence publique et la privée. À la première le forum, plaidoyers et harangues, à la seconde la conversation ou sermo, ainsi que les disputationes « dont l’essence est la même que la dialectica ». Ce dernier mot renvoie directement à dialogue. Du reste, le latin disputatio est l’un des mots habituels pour le grec dialogos. Entre la dialectique du livre III et le dialogue du livre IX on tient donc le lien qui autorise de rapprocher prosomilitique et prosopopée. Au livre III, gr. prosomilètikè = lat. sermocinatrix ; au livre IX, gr. dialogos = lat. sermocinatio. Pour faire le rapprochement, il suffisait au fond à Sébillet d’avoir sous la main un index de Quintilien, et de le lire au mot sermocinatio.

23La question est alors celle-ci : qu’est-ce qui attire Sébillet vers sermo et ses dérivés ?

  • 10 Si, à l’origine, l’homélie est le sermon de l’évêque à ses fidèles, le mot...

  • 11 De là on peut rendre compte rapidement du mot confabulatoire par lequel Sé...

24On voit tout d’abord que, dans le cadre de cette vaste opposition public/privé, on retrouve ici une opposition latine familière, celle entre oratio et sermo. L’oratio est le discours public. Harangue ou plaidoyer elle relève de la rhétorique, des règles, de l’art que formalisent les traités. Le sermo est la conversation familière. Pour ainsi dire sans art, il est plus souple, il se caractérise par cette « liberté » qui est tout ce que Quintilien arrive à dire pour définir le dialogue : « dialogorum liberta[s] » (X, 5, 15). De là on peut aller à une identification elle-même facile, même si elle est un peu moins familière. Dire que sermocinatrix traduit prosomilètikè, c’est rappeler que le latin sermo a pour équivalent grec l’homilia. Ce mot de grec classique donnera « l’homélie » des premiers chrétiens, laquelle est proche justement de ce sermo qu’est le « sermon ». Au départ l’homélie est le discours que l’évêque tient au petit groupe des fidèles. Ce qui domine est l’idée de cénacle, de cercle restreint sinon tout à fait « privé ». L’homélie ou le sermon supposent donc, comme le dialogue à l’antique, une petite assemblée, ce qui renvoie d’ailleurs à l’autre sens du grec classique homilia, « la réunion »10. On est dans le registre du banquet antique voire des agapes commémorant la Cène : petit groupe réuni pour causerie, le tout de façon amicale et relâchée. C’est en somme l’idée même du « colloque » érasmien, l’un des Colloques étant justement un banquet où l’on discute. Dans tous les cas le style a cette familiarité que l’anglais appelle encore « colloquial »11.

25Prosomilitique et son doublet confabulatoire désignent donc nettement, tout comme dialogue, la même idée de conversation relâchée, familière. En allant chercher ces trois termes équivalents, la première phrase du chapitre de Sébillet noie pour ainsi dire l’idée même de prosopopée. Elle estompe ainsi un trait fondamental du passage du livre IX. Là Quintilien ne songe pas du tout à l’éloquence privée, mais bien à l’éloquence du forum. Il ne traite pas du sermo mais de la seule oratio. C’est cette différence entre Quintilien et Sébillet qu’il faut maintenant souligner.

26Le début du développement de Quintilien précise l’orientation générale. Fiction de personnes réelles ou imaginaires, conversations privées ou anathèmes publics, la prosopopée est une figure « merveilleuse pour donner au discours de la variété et surtout de l’animation, mire namque cum uariant orationem, tum excitant » (§ 29). La uarietas de l’oratio, c’est bien. L’animation ou plutôt excitation, c’est mieux. Or, excitare chez Quintilien désigne sans ambiguïté le registre du pathos, du mouere.

  • 12 Pour tout ceci, je me permets de renvoyer à ma thèse, Le sublime du « lieu...

  • 13 A la fin, la prosopopée adressée à Catilina est « plus audacieuse encore, ...

27Cela ne pose pas de difficulté pour les derniers exemples cités, c’est-à-dire pour les paroles de personnages morts ou imaginaires. Faire parler les dieux ou les morts est « pathétique », on est au plus haut degré de l’émotion. C’est un de ces moments où l’orateur retourne son public, le bouleverse. Faire parler la patrie, la faire s’adresser directement à Catilina, c’est tendre la corde la plus haute dont dispose l’orateur. On est à un maximum d’indignatio, à un sommet dans le mouere12. D’une part, tout le passage de Quintilien est encadré par la reprise du même comparatif, audacius13, et cette audace renvoie au pathos. D’autre part, le contexte plus large est lui aussi sous le signe du mouere. De l’exclamation à l’apostrophe en passant par la prosopopée, ces trois figures de pensée sont « le mieux adaptées pour faire croître l’émotion », « augendis adfectibus » (IX, 2, 26).

28Le cadre général ainsi posé est si solide que les conversations dont parle Quintilien en commençant ne peuvent être autre chose que « pathétiques ». Certes ce sont des sermones, mais pour autant on ne retombe pas dans le domaine « privé ». Ces conversations sont elles-mêmes intégrées dans un discours, dans une oratio. Si elles sont reconstituées par l’avocat, c’est pour les besoins de sa cause. On est donc loin de l’idée de familiarité relâchée, et encore plus loin de celle de l’absence d’art. Si la question paraît difficile à décider, c’est que Quintilien ne donne pas d’exemple de conversations ainsi reconstituées. Une lecture rapide pourrait dès lors supposer que son balancement entre uarietas et excitatio annonce le plan de son passage, et donc une opposition de registre. Et c’est peut-être ce que fait Sébillet, de regrouper d’un côté variété et éthos, de l’autre excitation et pathos, l’éthos étant pour Quintilien une émotion un cran plus bas. En ce cas, on retomberait sur la distinction des quidam entre dialogue et prosopopée : à la première le sermo et les propos familiers, à la seconde l’oratio publique et le pathétique.

  • 14 L’habileté de l’avocat à « faire parler » les autres, et surtout les absen...

29Contre cette distinction, un premier argument est la liste d’affectus que donne Quintilien, à défaut d’exemples. Dans les conversations reconstituées « nous donnons les caractères qui conviennent [en montrant chaque personnage] en train de conseiller, de faire des reproches, de se plaindre, de louer, d’avoir pitié, suadendo, obiurgando, querendo, laudando, miserando » (§ 30). Or à part le conseil, et encore, ce sont tous là des sentiments très forts, qui relèvent du pathos ou mouere. En révélant ainsi ou les pensées de nos adversaires ou les nôtres, on révèle des affects pour faire réagir le public de façon non moins affective, pathétique. Un second argument est l’exemple que Quintilien donne un peu après pour ce genre de révélation. Car on peut feindre aussi des écrits et pas seulement des paroles. Ainsi de cet avocat reconstituant une clause secrète de la partie adverse : « “Ma mère, qui a été l’objet de toute mon affection et même de toute ma tendresse, qui a vécu pour moi (…)”, etc. eh bien “qu’elle soit déshéritée” » (IX, 2, 34). Il est clair ici que, sous prétexte de reconstitution d’un texte « privé », on est dans le registre ô combien public de l’indignatio et du pathétique. Faire parler les morts, les textes, et même les propos familiers, c’est toujours pour faire croître l’émotion, « augendis adfectibus »14.

30Par rapport à Sébillet, tout cela montre que le passage de Quintilien sur la prosopopée est assez malléable. On peut en tirer à peu près ce que l’on veut, surtout en le lisant hors contexte. En tout cas, si la position de Quintilien n’est pas complètement claire, le choix par Sébillet du mot prosomilitique est tout à fait éclairant. Concluons là-dessus. Le passage sur la prosopopée l’intéresse pour le poids donné à la « fiction », mais il le gêne aussi par l’importance accordée au pathétique. La manœuvre théorique est alors savoureuse. On va chercher un autre texte de Quintilien pour neutraliser ce qui gêne tout en gardant ce qui intéresse. Prosomilitique et dialogue phagocytent pour ainsi dire la prosopopée, en la tirant loin du pathétique. Cette conclusion partielle indique ce qu’il nous reste à faire. Il nous faut approfondir la notion qui s’oppose à celle de pathos, c’est-à-dire celle d’éthos. Cela nous mène aussitôt à examiner la place démesurée que Sébillet accorde à l’églogue.

3. Eglogue et éthos

31Faire le lien entre dialogue et églogue est en soi banal. Furetière par exemple complète ainsi la notice que je citais en commençant : « Les Dialogues des Bergers sont frequens en Poësie, et on les nomme Eglogues. » Dans ces termes-là, la question est de comprendre le lien profond entre dialogue et pastorale. C’est de ce côté qu’il faut chercher pour situer l’attitude de Sébillet. On a vu à la fin du premier point qu’il identifie persona et mores, à la manière horacienne. Mon hypothèse est qu’il identifie aussi persona et éthos. C’est pour cela que le frappent dans le passage de Quintilien les mots que celui-ci récuse, ceux de dialogue et de sermocinatio. C’est pour cela aussi, je crois, qu’il traite en premier de l’églogue, avant la tragédie et la comédie. L’églogue emblématise le refus du pathos et la préférence pour l’éthos : contre l’invective et l’indignatio tragiques, et pour la libertas familière du prosomilitique.

32Citons tout d’abord l’essentiel du passage consacré à l’églogue :

  • 15 Respectivement : I, p. 21-26 (La première églogue des Bucoliques de Virgil...

  • 16 Traités…, p. 131 (p. 127 dans la rééd. 2001).

Avise donc que ce Poème qu’ils [Théocrite, Virgile, Marot] ont appelé Eglogue, est plus souvent un Dialogue, auquel sont introduits Bergers et gardeurs de bêtes, traitant sous propos et termes pastoraux, morts de Princes, calamités de temps, mutations de Républiques, joyeux succès et événements de fortune, louanges Poétiques, et telles choses ou pareilles, sous allégorie tant claire, que les desseins des noms, des personnes, et l’adaptation propre des propos pastoraux aux choses sous iceux entendues et déduites, les fassent voir tant clairement, comme s’aperçoit la peinture sous le verre : comme tu peux voir au Tityre, qu’a tourné Marot de Virgile, et en l’églogue qu’il a faite sur la mort de feu Madame Louise, mère du feu notre Roi François, premier de nom et de grandeur : et en celle qu’il a dressée audit feu Roi, sous les noms de Pan et de Robin15. Laquelle trouvant sans interlocution de personnes et forme de Dialogue, retiens que l’Eglogue se fait élégamment de perpétuel fil d’oraison, en sorte cependant que les Prosopopées entremêlées au fil, suppléent l’interlocution, et que les propos et personnes constituant le narré sentent, avec leur décore gardé, la Bergerie (car le Français ainsi nomme l’Eglogue Grecque, et assez proprement) […]16.

33Le premier élément à souligner est l’imbroglio théorique que crée Sébillet en mettant l’églogue dans la catégorie des dialogues.

34Si en effet la plupart des Bucoliques de Virgile sont des dialogues, certaines n’en sont pas. En fait de classification, il serait donc plus sage de parler d’intersection entre l’ensemble « dialogue » et l’ensemble « églogue ». Comme Sébillet pose que le dialogue est le genre dont l’une des espèces est la bucolique, il se coince lui-même. Il est obligé d’admettre dès le début que « ce Poème qu’ils ont appelé Eglogue, est plus souvent un Dialogue ». Voilà une relation genre-espèce pour le moins élastique ! Et de nouveau à la fin, sa citation de l’Eglogue au Roy rappelle à Sébillet l’évidence. Ce texte de Marot fait partie des exceptions à la règle, elle est un long monologue. Certes le poète, sous le nom de Robin, s’adresse tout du long en le tutoyant au roi, sous le nom du dieu Pan ; certes au beau milieu le père de Robin parle à son fils, « Pan (disoit-il) c’est le Dieu triumphant / Sur les pasteurs, c’est celluy (mon enfant) / Qui les premiers les roseaulx pertuysa… » (v. 79-102). Mais enfin ce n’est pas un dialogue. À même ce contre-exemple, Sébillet bricole alors une théorie ad hoc. Quand une églogue est « sans interlocution de personnes et forme de Dialogue », quand donc elle est un monologue, eh bien elle relève tout de même du genre du dialogue. Il y faut seulement deux conditions : qu’elle ait de-ci de-là des « prosopopées », c’est-à-dire chez Marot les paroles que le père, mort maintenant, tient à son fils ; et que les personae ou « personnes » aient l’air ou « décore » de bergers.

35Tout ce bricolage théorique donne au fond le sentiment que l’essentiel n’est pas la théorie. La forme dialoguée n’est que l’un des éléments qui attirent Sébillet. On voit qu’il retombe sur l’idée de « décore », de réussite dans la caractérisation des personnages. Cette réussite est à ses yeux un trait définitoire du Dialogue, autant sinon plus que la forme dialoguée. Un monologue où la persona est réussie est pour lui un dialogue : exemple l’Eglogue au roi. « Le chant rural du petit Robinet » (v. 14), toutes ces naïvetés si charmantes de Marot-Robin, voilà le modèle à suivre. Marot a su parler comme un berger, il a su transformer le roi François en dieu Pan protecteur de ces mêmes bergers. C’est une double « fiction », où le poète met en scène sous un déguisement deux contemporains, lui et son roi, en les caractérisant par leurs paroles mêmes. Le fait que ce soit formellement un monologue ajoute à la réussite, loin de la diminuer. Car le roi-dieu ne parle même pas. Il est caractérisé non par ce qu’il dit, mais par la façon dont le poète-berger s’adresse à lui, façon mi-plaisante mi-révérente. Dernier exemple que donne Sébillet, embarrassant d’un point de vue théorique, ce monologue est donc en fait un comble de « dialogue » au sens où Sébillet entend le mot.

36A partir de cette analyse, on peut revenir sur la question de l’éthos. Le point essentiel est que la bergerie de l’Eglogue au roi permet au poète de ne pas prendre les choses au tragique. Dans cette autobiographie, le poète de quarante-trois ans raconte son printemps, son été et maintenant son automne :

Je ne quiers pas (ô bonté souveraine)
Deux mile arpents de pastis en Touraine,
Ne mille bœufs […].
Il me suffit, que mon troupeau preserves
Des Loups, des Ours, des Lyons, des Loucerves,
Et moy du froid, car l’yver, qui s’appreste,
A commencé à neiger sur ma teste. (v. 231-238)

37Assurément il n’y a pas lieu à tragédie, mais ce n’est pas non plus la grande période de connivence d’avant l’affaire des Placards. Nous sommes en 1539, entre deux exils de Marot. Il est rentré en faveur auprès du roi en 1537, et grâce à cette Eglogue, le roi donne même une maison au poète, sise à Saint-Germain-des-Prés. En 1542 Marot s’exilera de nouveau, à Genève d’abord. C’est en pensant à ce contexte d’ensemble qu’il est utile de relire le passage où Quintilien oppose pathos et éthos (VI, 2, 8-20).

  • 17 Voir le passage très clair de XII, 7, 3-4 : « se défaire d’un homme funest...

38Quintilien résume ses remarques en assimilant le pathos avec la tragédie et l’éthos avec la comédie (VI, 2, 20). Derrière cette approximation, le critère essentiel est plutôt de savoir si on exclut ou si on inclut. Le pathos est l’exclusion de la Cité, c’est l’invective ou indignatio contre un adversaire qui est montré comme un hostis, comme un ennemi public. L’éthos est l’inclusion dans la Cité, c’est la bienveillance de la captatio beneuolentiae, l’adversaire est donné à voir comme un prochain allié. Dans les exemples de Quintilien, le pathos, c’est le noble senex qui se venge des insultes d’un jeune homme qui ne lui est rien. L’éthos, c’est le père qui pardonne à son fils (§ 14). Du côté du pathos, on est dans la logique de l’odium légitime contre un ennemi. C’est l’indignatio, le grand moment où dans la péroraison le procureur tonne contre une atteinte insupportable aux valeurs de la Cité17. Du côté de l’éthos, on ne prend rien au tragique, on est ouvert à tous les accommodements. Si donc « comédie » il y a, c’est du Térence ou du Molière, et non du Plaute. Le père est un brave bourgeois, rien de ce qui est humain ne lui est étranger, et surtout pas les frasques de son fils. L’éthos se définit au fond par soustraction des valeurs du pathos. À l’un la tragédie, c’est-à-dire les affaires de l’Etat, la patrie en danger, la guerre, la fin possiblement malheureuse. À l’autre la comédie, c’est-à-dire moins le comique que les affaires privées et la fin heureuse d’un mariage qui satisfait tout le monde. D’une autre opposition binaire, Quintilien pose que le pathos est l’amour passion, l’amor ravageur, tandis que l’éthos est l’affection tendre, la caritas que le christianisme fera sienne (§ 12).

39On voit l’intérêt de cette répartition pour analyser la portée de la bergerie marotique. Le poète entre deux exils choisit comme toujours le style bas contre le style haut, le « comique » contre le tragique, c’est-à-dire l’appel à l’inclusion contre la menace de l’exclusion. Appeler Pan à l’aide contre les loups, c’est poser le roi en protecteur, en Bon Pasteur, en Père de ses sujets. Les résonances chrétiennes sont évidentes. Ce n’est pas pour rien que l’époque d’Érasme prise Térence. Le père qui pardonne les frasques de son fils évoque aisément le Père divin dont la miséricorde est infinie. De ce point de vue « éthique », l’opposition et la résistance ne sont que temporaires. L’opposant au Père est appelé une brebis égarée, ce qui est justement le vocabulaire de la pastorale. La tragédie et le pathos, eux, sont réservés à l’adversaire irrécupérable, en termes chrétiens au pécheur endurci, que l’on exclut parce qu’il s’est d’abord exclu de lui-même. L’odium et l’indignatio latines ont pour équivalent l’excommunication. Or, précisément, Marot a abjuré en décembre 1536 l’erreur luthérienne, il s’est repenti. Si donc il aime tant la pastorale c’est parce qu’il valorise comme toujours le registre du pardon. De façon plus large, on pourrait dire qu’est également « éthique » le choix par Marot du genre de l’épître. Dès lors que l’on se parle, même entre adversaires, dès lors qu’il y a dialogue au sens moderne du terme, dès lors en effet on est dans le registre de l’éthos. Car l’un des équivalents latins de ce mot grec est le conciliare, c’est-à-dire l’idée de concilium, de « concile » : palabre et discussion, entregent et civilité voire convivialité. Non pas le registre héroïque de l’affrontement tragique, mais le registre bourgeois des accommodements, de la « comédie » à la Térence.

40Sébillet ne renvoie pas au chapitre VI, 2 de Quintilien. Mais ce dernier donne comme équivalent latin au grec ethos le mot de mores (VI, 2, 8-9). Il ajoute que cela ne demande pas moins d’art et d’expérience que le pathos, ars et usus (§ 10). Les caractères de l’éthos sont bonté, calme, douceur, gentillesse et humanité, agrément et charme pour les auditeurs,

et la perfection consiste à l’exprimer de telle sorte que tout donne l’impression de dériver de la nature des faits et des personnes, qu’y éclate à travers sa parole et, dans une certaine mesure, s’y reconnaisse le caractère [mores] de l’orateur (§ 13).

  • 18 Sur la question de la persona, voir désormais l’ouvrage fondamental de Cha...

41On voit le profit que Sébillet pouvait tirer de telles remarques, tout à fait classiques chez Cicéron comme chez Quintilien. Sans doute la traduction du grec ethos par mores n’est-elle pas satisfaisante, dans la mesure où « le mot mores inclut en lui-même tous les habitus de l’âme » (VI, 2, 9), tous les sentiments, donc aussi bien les affects violents du pathos. Il n’empêche : la tentation est grande, déjà chez Quintilien, d’identifier mores et ethos, mores et persona18.

42Tout se passe en effet comme si, dans le pathos, l’orateur était hors de lui-même, inhumain, pris par une fureur ou furor qui ressemble à l’enthousiasme pythique. Dans l’invective contre l’ennemi public, c’est la Cité qui parle par sa bouche, lui n’est personne, il n’a pas de persona. L’orateur dès lors ne semble vraiment lui-même que dans les sentiments plus calmes de l’éthos. Dans le pardon et la douceur il est plus humain, là seulement il peut élaborer par « fiction » une persona qui lui est propre, un caractère qui lui ressemble – ou qui ressemble à l’image qu’il veut donner de lui. Pour avoir l’air humain il lui faut se fabriquer un visage, un caractère distinctif. Autrement dit, une persona ne peut être passe-partout, elle doit tendre vers l’individualisation maximum si elle veut donner le sentiment du « naturel ». Pas de persona qui ne soit idonea. C’est un paradoxe, ou plutôt le secret d’un très grand art, dans la mesure où la persona doit aussi être typique et typifiante. De ce que le public attend par exemple du jeune homme qu’il ressemble à un jeune homme, ne déduisons pas qu’on peut payer cette attente avec des caricatures grossières. Il faut la payer au contraire avec des types soigneusement élaborés, des types pour ainsi dire individuels. À l’instar du Tartuffe de Molière, ou du Robin-Marot, de tels types sont de véritables créations, de si fines « fictions » qu’elles paraissent plus vraies que la réalité.

43Ainsi pouvons-nous dire pour conclure ce point que Sébillet a à la fois tort et raison de ranger l’églogue tout entier dans la catégorie du dialogue. Il a tort si le critère purement formel est la forme dialoguée. Mais il a raison de manière plus profonde, si le critère est l’élaboration par « fiction » d’une persona idonea. Alors l’églogue est non seulement une espèce du genre dialogue, mais l’espèce peut-être la plus éclairante. Elle emblématise le fait que le dialogue est au fond par nature non-tragique, humble ou plus exactement « éthique ». Ce n’est pas par hasard que la réflexion de Sébillet s’enracine sur le cas Marot. Le dialogue est par nature éthique tout comme ce poète paraît par nature enjoué et badin. Commencer le chapitre par l’églogue est ainsi l’équivalent du geste par lequel Marot fait commencer ses œuvres par la traduction de la première églogue de Virgile. C’est une façon d’annoncer la couleur. Et en effet, si l’églogue a pour vocation de traiter même des affaires d’État, « morts de Princes, calamités de temps, mutations de Républiques », alors que reste-t-il à la tragédie, au pathos de l’exclusion ? Plutôt Térence que les Catilinaires : l’éthos est tellement premier que la pastorale est le genre dominant, premier peut-être en dignité, premier en tout cas dans la réflexion de Sébillet. Les affaires publiques elles-mêmes sont traitées sur le mode « privé » de la conversation civile, de cette convivialité aux allures chrétiennes où le roi est une sorte de père et le poète une sorte de fils, l’un un bon pasteur et l’autre une brebis qui rêve de bercail. À ce compte, le pathos et son tragique sont récusés comme païens, comme ignorance du pardon et de la miséricorde infinie. Seuls l’éthos et les mores fondent l’union des cœurs dans un royaume vraiment digne du nom de chrétien.

  • 19 Contre le primat de la « comédie » ainsi entendue, on pourrait m’objecter ...

44En termes stricts de dialogue théâtral, mon hypothèse est que la comédie à laquelle songe Sébillet n’existe pas encore. C’est une comédie rêvée qui ressemblerait aux pastorales de Marot et aussi, je crois, aux Colloques d’Érasme. Elle réussit une caractérisation très fine des personnages. Les propos y sont doublement plaisants : en eux-mêmes et parce qu’ils typifient, qu’ils croquent les contemporains. Il y a du plaisir à savourer de telles réussites dans le croquis. Il y a du plaisir aussi à goûter l’extrême variété de la comédie sociale, la diversité des diverses mœurs ou mores. On rejoint ainsi deux indications qu’on pouvait tirer de Quintilien : le goût pour la libertas du dialogue, son côté naturel, spontané ; le goût aussi pour la uarietas plus que pour l’excitatio. Car la variété elle-même est « éthique » en ce qu’elle renvoie à un croquis du monde tel qu’il est, dans la diversité de ses composantes, où rien de ce qui est humain ne lui est étranger. Or c’est toujours de pardon que parle la variété. Cela revient à voir de façon souriante l’unité des divers états de la société, au lieu de les opposer comme ennemis. La pastorale du royaume chrétien, c’est aussi une façon de décliner l’Un de la monarchie et le multiple de ses sujets19.

45On peut alors terminer en revenant sur les deux « oublis » de ce chapitre II, 8 sur le dialogue.

46D’une part, Sébillet ne parle pas du dialogue vraiment à la mode, c’est-à-dire du dialogue à l’antique, en fait italianisant. Mais il me semble qu’il l’a constamment dans sa ligne de mire. Ne pas en parler serait y penser toujours, par le biais contourné du théâtre et de la pastorale. En tout cas, s’il y a un genre « éthique » c’est bien celui-là : familiarité courtoise, égalité des devisants mais aussi indication ferme de leurs positions sociales respectives. Diversité préside aux devis. L’avantage de lire Sébillet lisant Quintilien est alors de ne pas écraser ce genre du dialogue à l’antique avec les gros sabots du réalisme littéraire. Les personnages y sont éminemment « fictifs », même et surtout lorsqu’ils reprennent plus d’un trait à des personnages réels.

  • 20 Aubailly, Le monologue, le dialogue et la sottie, Paris, Champion, 1976. L...

  • 21 On ne peut l’interpréter comme une façon pour Sébillet de nier à Marot la ...

  • 22 Defaux (notes 10 et 11, II, p. 823) souligne deux éléments qui pourraient ...

  • 23 Comédie ou dialogue matrimonial, exemplaire de paix en mariage, trad. de l...

47D’autre part, Sébillet ne parle pas non plus d’une autre réalité appelée dialogue, française et pour ainsi dire ancien régime : la production théâtrale de la fin du XVe siècle et le genre poétique des très brèves questions-réponses. De ce point de vue, on devrait être frappé qu’il ne cite pas dans son chapitre le Dialogue nouveau de 1541, attribué à Marot. Si Jean-Claude Aubailly analyse ce texte dans son corpus, c’est qu’il s’agit d’une reprise particulièrement réussie du vieux dialogue théâtral bien de chez nous, où deux compagnons parlent filles et mariage20. Sans que l’on puisse tirer trop loin l’argument, cet oubli mérite tout de même réflexion21. Il me semble que cela souligne à quel point Sébillet est tourné vers l’avenir et non vers le passé. Ce Dialogue « nouveau » de 1541 n’est pas assez nouveau à son goût : les personae y sont inexistantes et sans nom propre ; le texte est décidément trop privé, sans enjeu de réconciliation pour le royaume22. 1541, c’est aussi l’année où Barthélemy Aneau traduit un colloque d’Érasme sous le titre « Comédie ou dialogue »23. On est là, je crois, à une ligne de partage des eaux. Après 1541, le mot dialogue rompt peu à peu avec les sens français précédents et se raccroche au sens antique et italien du dialogue platonicien. Sébillet garde la vieille outre du théâtre et y verse un vin plus fin. Ou pour le dire autrement, chez lui le partage des eaux se fait plutôt sur le mode de la confluence. Non pas séparation tranchée entre un avant et un après, mais récriture dynamique du passé, fleuve de réflexion. Le fluctuant n’est pas la confusion d’un vague syncrétisme, c’est l’intuition profonde du courant – avec à la surface, de-ci de-là, quelques jolis tourbillons théoriques.

Notes

1 Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. F. Goyet, Paris, Le Livre de Poche, 1990, p. 129 (dans la rééd. de 2001, p. 125).

2 « Le dialogue en France de 1550 à 1560 », Le Dialogue au temps de la Renaissance, éd. M. T. Jones-Davies, Paris, Jean Touzot, 1984, p. 151-167.

3 Fouquelin parle de dialogisme et de prosopopée en synthétisant le catalogue de l’Institution oratoire, IX, 2 sur les figures de pensée (La Rhétorique française , 1555, dans les Traités… du Livre de Poche, I, B, 2, b, p. 413-418, et p. 380-385 dans la rééd. 2001).

4 Trad. Jean Cousin, Paris, Les Belles-Lettres (Coll. des Universités de France), 1978.

5 Art poétique, v. 81.

6 Fouquelin entérine à peu près cette opposition quand il introduit le terme de dialogisme, « c’est-à-dire une feinte collocution de certains personnages ensemble », avec pour exemple le dialogue entre les deux pirates Calasire et Trachine, à l’intérieur du roman d’Héliodore.

7 J’ai développé ce point dans « Hypotypose, type, pathos », La Rhétorique : enjeux de ses résurgences, éd. par J. Gayon, J.-Cl. Gens et J. Poirier, Bruxelles, éd. Ousia, 1998, p. 46-67.

8 Chez Quintilien lui-même, le mot decor est la chute du passage de XI, 1, 39-40 qui revient sur la prosopopée ou « fictio personarum » : « Ainsi, nous ne prêtons pas la même figure [fingitur] à P. Clodius, à Appius Caecus, à un père de la comédie de Caecilius, à un père de la comédie de Térence. [Suivent trois exemples, le licteur de Verrès, le flagellé qui crie « Je suis citoyen romain », le langage si digne prêté à Milon dans la péroraison du Pro Milone.] Bref, il y a autant de cas différents dans une prosopopée que dans une cause, et même plus, parce que nous y prêtons des sentiments à des enfants, à des femmes, à des peuples, même à des réalités muettes, et que toutes doivent conserver le caractère qui leur sied, suus decor. »

9 « Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable » (Boileau) : ce manque de vraisemblable est un défaut, qu’il s’agit justement de combler par un travail. C’est dans cet esprit que Corneille ou Racine se permettent de modifier les récits historiques qui font le point de départ de leurs pièces : pour les rendre fictifs non pas au sens moderne, mais au sens ancien où on leur rajoute de la cohérence, où on les rend plus crédibles.

10 Si, à l’origine, l’homélie est le sermon de l’évêque à ses fidèles, le mot s’oppose ensuite à celui de sermon. L’homélie devient l’explication des textes lus à la messe, et de là l’exhortation à imiter dans la vie quotidienne les grands exempla. Le sermon, lui, est un traité de théologie, dogmatique ou doctrinal (voir le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, 1969, s. v. Homéliaires ; je remercie ma collègue Aline Canellis pour sa mise au point). Dans tous les cas, l’homélie a un caractère très spontané et oral, elle n’a pas de plan très visible, et la présence de l’auditoire y est facilement repérable ; ce qui n’empêche pas l’idée très forte d’un enseignement, d’une relation de maître à élève, tous traits que l’on retrouvera aisément dans les « dialogues » doctrinaux des XVe et XVIe siècles. Citons encore Calvin, dans l’Institution : les « homelies des anciens docteurs, c’est-à-dire sermons populaires » (Littré s. v. Homélie, historique).

11 De là on peut rendre compte rapidement du mot confabulatoire par lequel Sébillet explicite (si l’on peut dire !) celui de prosomilitique. Dans ma note du Livre de Poche, j’avais recopié le Thesaurus linguae graecae, où prosomilètikè est traduit par confabulans dans un texte de saint Irénée. Fabula signifie d’abord « propos de foule, conversation ». Esse in fabulis, c’est être l’objet de toutes les conversations, « être la fable de la ville ». L’autre sens de fabula est celui de « propos familiers, conversations privées » (le Gaffiot cite conuiuales fabulas, « propos de table », Tacite, Annales, VI, 11). Sur cette base, fabulatio signifie « conversation » et le verbe confabulor, chez Plaute ou Térence, « converser ». De ce faisceau de sens il ne resterait plus qu’à retrouver la trace chez les humanistes. Tout ce que j’ai trouvé jusqu’ici est le titre d’Egidio Gallo, donc du début du XVIe siècle, les Confabulationes Pueriles. C’est un ouvrage donné aux jeunes élèves avec les Dialogi, justement, de Mathurin Cordier (cité par Peter Mack, p. 194 de son article très riche, « The dialogue in English education of the XVIth century », Le Dialogue au temps de la Renaissance, p. 189-212 ; Egidio Gallo est l’auteur de Comediae, Rome, 1505). La forme dialoguée entre le maître et l’élève vise à apprendre aux enfants un latin propre à la conversation familière, le latin tel qu’on le parle. Ces dialogues scolaires nous ramènent là encore à Érasme, dont les tout premiers Colloques reprennent ce moule et la même visée pédagogique.

12 Pour tout ceci, je me permets de renvoyer à ma thèse, Le sublime du « lieu commun ». L’invention rhétorique dans l’Antiquité et à la Renaissance, Paris, Champion, 1996.

13 A la fin, la prosopopée adressée à Catilina est « plus audacieuse encore, audacius », alors que, au début, la prosopopée est d’emblée décrite comme une figure « plus audacieuse, audaciora ». C’est-à-dire plus audacieuse que la figure de l’exclamation dont on vient de parler.

14 L’habileté de l’avocat à « faire parler » les autres, et surtout les absents, est à rapprocher de cette autre habileté, faire parler les présents. C’est alors l’entraînement à interroger les témoins produits par la partie adverse, et à leur faire dire ce qui sert votre cause : exemple à imiter, « les dialogues des socratiques et particulièrement de Platon, où les questions sont si habiles que, même si l’on répond à la plupart d’entre elles de façon pertinente, le dialogue n’en arrive pas moins à la conclusion que l’on désire atteindre » (V, 7, 28).

15 Respectivement : I, p. 21-26 (La première églogue des Bucoliques de Virgile, I, p. 224-231 (Eglogue sur le trespas de Ma Dame Loyse de Savoie), II, p. 34-41 (Eglogue au Roy, soubs les noms de Pan, & Robin) – dans l’édition des Œuvres de Marot par Gérard Defaux, Paris, Garnier, 1990-1993.

16 Traités…, p. 131 (p. 127 dans la rééd. 2001).

17 Voir le passage très clair de XII, 7, 3-4 : « se défaire d’un homme funeste à l’intérieur d’une cité doit s’égaler à la défense de la patrie […] haïr les citoyens malhonnêtes et s’attirer des inimitiés, c’était encore, semblait-il, une garantie de rectitude spirituelle ».

18 Sur la question de la persona, voir désormais l’ouvrage fondamental de Charles Guérin : Persona. L’élaboration d’une notion rhétorique au Ier siècle av. J.-C, volume I : antécédents grecs et première rhétorique latine, Paris, Vrin, 2009 et Volume II : théorisation cicéronienne de la persona oratoire, Paris, Vrin, 2011 ; ainsi que Blandine Pérona, Prosopopée et persona à la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, 2013 (le présent article, bien antérieur, ne tente même pas d’intégrer l’apport de ces deux ouvrages).

19 Contre le primat de la « comédie » ainsi entendue, on pourrait m’objecter que Sébillet écrit une tragédie à la même époque que son art poétique. Mais justement : son Iphigène de 1549, tragédie pour ainsi dire expérimentale, est une tragédie du pardon, tout comme vers 1550 l’Abraham sacrifiant de Théodore de Bèze. Comme le montre fort bien, ici même, le professeur Grazia Lana Zardini, Bèze a conscience de modifier le modèle antique par la culture chrétienne. Le pardon impose la fin heureuse : victoire de l’éthos sur le pathos.

20 Aubailly, Le monologue, le dialogue et la sottie, Paris, Champion, 1976. Lors du colloque, j’avais imprudemment annoncé que ma version écrite développerait plus longuement le ou plutôt les sens de dialogue au tournant du XVe siècle : cela serait décidément trop long.

21 On ne peut l’interpréter comme une façon pour Sébillet de nier à Marot la paternité de ce texte. Certes, Sébillet écrit « ce dialogue imprimé entre les œuvres de Marot intitulé Dialogue joyeux » (Traités…, note 85, au texte p. 76, à propos de la licence d’élider le pronom elle en el’). On a déduit que la formule « imprimé entre les œuvres » jetait le doute sur la paternité (contra, Defaux, note 23, II, p. 825 – le Dialogue nouveau est dans son éd. tome II, p. 42-53). Mais cf. « De cette concaténée a usé Marot en une complainte imprimée entre ses œuvres commençant O que je sens mon cœur plein de regret » (Traités…, p. 149, ou 143 en 2001 – Defaux, I, p. 97, « Complainte d’une nièce sur la mort de sa tante ») et encore, à propos de la coupe féminine, « comme il t’avertit même en une épître liminaire imprimée devant ses œuvres » (Traités…, p. 74 – Defaux, I, p. 18, « Clément Marot à un grand nombre de frères… »). Ces deux derniers textes étant sans conteste de Marot, la formule « imprimée entre ses œuvres » ne signifie donc pas automatiquement « faussement attribuée ».

22 Defaux (notes 10 et 11, II, p. 823) souligne deux éléments qui pourraient faire penser que ce dialogue « nouveau » de 1541 remonte en fait à une époque bien antérieure, la dame nommée « Passefillon » et saint François de Paule étant liés au règne de Louis XI (II, p. 45). En ce cas, le texte serait bien plus proche chronologiquement des dialogues analysés par Aubailly. Ou bien est-ce de la part de Marot une manière de clin d’œil à la grande époque du genre théâtral du dialogue ?

23 Comédie ou dialogue matrimonial, exemplaire de paix en mariage, trad. de l’Uxor memphigamos d’Érasme (Paris, Jean Longis et Vincent Sertenas). Voir la note de Defaux, II, p. 1198-1201.

Pour citer ce document

Francis Goyet, «Le mot dialogue chez Sébillet : « fiction », éthos, églogue», La Réserve [En ligne], La Réserve, Livraison du 15 février 2016, mis à jour le : 10/02/2016, URL : http://ouvroir.ramure.net/revues/reserve/340-le-mot-dialogue-chez-sebillet-fiction-ethos-eglogue.

Quelques mots à propos de :  Francis  Goyet

Université Grenoble Alpes / U.M.R. Litt&Arts – RARE Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution

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